ROME, LA GRÈCE ET LES MONARCHIES HELLÉNISTIQUES AU IIIe SIÈCLE AVANT J.-C. (273-205)

 

MAURICE HOLLEAUX

PARIS — ANCIENNE LIBRAIRIE FONTEMOING ET Cie — 1935

 

 

AVANT-PROPOS.

CHAPITRE PREMIER. — PREMIERS RAPPORTS, HISTORIQUES OU LÉGENDAIRES, DES ROMAINS AVEC LA GRÈCE (266 ; 239 ?). ROME ET LA GRÈCE EN 230.

§ I. - L'AMBASSADE D'APOLLONIA. — § II. - LA PRÉTENDUE INTERVENTION ROMAINE EN AITOLIE. — § III. - LA PIRATERIE ILLYRIENNE. ROME ET LA GRÈCE EN 230.

CHAPITRE DEUXIÈME. — LA PRÉTENDUE POLITIQUE ORIENTALE DES ROMAINS AU IIIe SIÈCLE.

§ I. - LE PRÉTENDU TRAITÉ AVEC RHODES. — § II. - LE PRÉTENDU TRAITÉ AVEC SÉLEUCUS. — § III. - RELATIONS DE ROME AVEC L'ÉGYPTE. — § IV. - PRÉTENDUES RELATIONS AVEC L'ASIE GRECQUE. — § V. - RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

CHAPITRE TROISIÈME. — LA PREMIÈRE GUERRE D'ILLYRIE (229-228).

§ I. - ORIGINES DE LA GUERRE D'ILLYRIE. — § II. - RÈGLEMENT DES AFFAIRES ILLYRIENNES. — § III. - PREMIER CONTACT DE ROME AVEC LES GRECS. — § IV. - ROME ET ANTIGONE DOSON. — § V. - RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

CHAPITRE QUATRIÈME. — LA SECONDE GUERRE D'ILLYRIE (219). LES ROMAINS ET LA GUERRE DES ALLIÉS (219-217). LA PAIX DE NAUPAKTE (217).

§ I. - LA SECONDE GUERRE D'ILLYRIE. — § II. - LES DÉBUTS DE PHILIPPE V. — § III. - LES ROMAINS ET LA GUERRE-DES-ALLIÉS. — § IV. - LA PAIX DE NAUPAKTE. — § V. - CONCLUSION.

CHAPITRE CINQUIÈME. — LES COMMENCEMENTS DE LA PREMIÈRE GUERRE DE MACÉDOINE (216-212). PHILIPPE V SEUL CONTRE ROME. PHILIPPE V ALLIÉ D'HANNIBAL. L'ALLIANCE DE ROME ET DE L'AITOLIE.

§ I. - PREMIÈRE EXPÉDITION DE PHILIPPE EN ILLYRIE. — § II. - PHILIPPE ALLIÉ D'HANNIBAL. — § III. - SECONDE EXPÉDITION DE PHILIPPE EN ILLYRIE. — § IV. - LES ROMAINS SANS ALLIÉS GRECS.§ V. - LES AITOLIENS ET ATTALE DE PERGAME. — § VI. - ROME ALLIÉE DE L'AITOLIE.

CHAPITRE SIXIÈME. — LA PREMIERE GUERRE DE MACÉDOINE (suite) (212-205). LES ROMAINS EN GRÈCE. ROME ET LA GRÈCE EN 205.

§ I. - LES ROMAINS EN GRÈCE. — § II. - LES ROMAINS NE SERONT PAS DES CONQUÉRANTS. — § III. - CONDUITE DES ROMAINS ENVERS LES SYMMACHOI. — § IV. - CONDUITE DES ROMAINS ENVERS LES AITOLIENS. — § V. - LES PRÉTENDUS ALLIÉS GRECS DE ROME EN 205. — § VI. - ROME ET LA GRÈCE EN 205.

CHAPITRE SEPTIÈME. — LA PAIX DE PHOINIKÉ (205). ROME ET LA MACÉDOINE EN 205.

§ I. - NÉGOCIATIONS ET TRAITÉ DE PHOINIKÉ. — § II. - SENTIMENTS DE PHILIPPE ET DU SÉNAT. — § III. - ROME ET LA MACÉDOINE EN 205.

CHAPITRE HUITIÈME. — CONCLUSION. LA SECONDE GUERRE DE MACÉDOINE.

 

AVANT-PROPOS

Je me suis proposé, dans cet ouvrage, d'étudier les premières relations politiquesou paraissant avoir un caractère politiquedes Romains avec les États de la Grèce et les monarchies hellénistiques. Le prétendu traité que, vers 306, auraient conclu les Rhodiens et le Peuple romain, n'ayant, comme j'espère l'avoir établi, nulle réalité, c'est la fin de la guerre contre Pyrrhos ou, plus précisément, l'année 273, date de la venue à Rome de l'ambassade envoyée par Ptolémée Philadelphe, qui se trouve marquer mon point de départ. Durant l'époque précédente, rien n'indique ni ne permet de supposer qu'il ait existé quelques relations politiques entre l'État romain et le monde hellénique. Les rapports, le plus souvent hostiles, qu'ont pu avoir ou qu'ont eus les Romains

avec les souverains grecs venus en Italie, depuis Alexandre-le-Molosse jusqu'à Pyrrhos, pour y défendre l'hellénisme contre la barbarie, n'ont été que l'effet des entreprises dirigées par ces souverains ; ils n'intéressent pas l'histoire de la politique extérieure de la République : étrangers à mon sujet, je n'avais point à m'en occuper. Et l'on estimera sans doute suffisant que je mentionne ici, pour mémoire, l'ambassade, un peu suspecte, expédiée de Rome à Alexandre-le-Grand[1], comme aussi celle qu'Alexandre lui-même aurait adressée aux Romains et celle que leur adressa certainement Démétrios Poliorkètes, à l'occasion des pirateries des Antiates. Ce sont là des faits isolés, purement épisodiques, demeurés sans conséquence aucune ; j'ose ajouter que les deux derniers ont toujours paru passablement insignifiants[2].

Mon exposé critique et historique, limité au IIIe siècle avant notre ère, a pour terme naturel la fin de la première guerre romaine de Macédoine, la paix conclue à Phoiniké, en 205, entre Philippe V et les Romains. Toutefois, avant de clore mon travail, s'ai cru devoir jeter un regard sur les grands événements qui, ans s'y rattacher par aucun lien de nécessité (du moins à ce qu'il m'a semblé), ont succédé presque immédiatement aux plus récents de ceux dont j'ai fait l'histoire. Dans un dernier chapitre, j'ai indiqué à traits rapides, telles qu'elles m'apparaissent, les raisons de la conduite, singulièrement nouvelle au premier aspect, qu'a tenue l'État romain, au commencement du IIe siècle, à l'égard du roi de Macédoine, des peuples grecs et d'Antiochos III[3]. C'est en ce temps-là seulement, si mes vues sont justes, que le Sénat a jugé opportun d'avoir une politique hellénique : j'ai essayé d'indiquer brièvement la cause, tout accidentelle selon moi, de cette décision, dont les effets furent si graves et répondirent si peu, je crois, à ce qu'attendaient ses auteurs. Mais j'avertis expressément le lecteur qu'il ne faut voir, dans ce courtes pages, que l'esquisse, volontairement très sommaire,

d'une étude spéciale qui réclame et mérite d'amples développements. Cette étude, ayant pour objet la seconde guerre de Macédoine, ses origines et ses conséquences, je l'ai entreprise depuis plusieurs années et j'y apporte tous mes soins ; si j'ai la force et le loisir de l'achever, elle formera la suite de celle qui remplit les sept premiers chapitres du présent ouvrage.

Les résultats qui m'ont paru se dégager de l'examen des textes et des faits seront, je pense, assez facilement saisissables pour que je puisse me dispenser d'en présenter ici le tableau abrégé. Ce qui m'a le plus frappé, c'est la longue indifférence, constamment attestée jusqu'à la fin du me siècle, des gouvernants romains pour le monde grec. Aussi n'ai-je pu me persuader qu'à peine Carthage vaincue, ils aient cédé à l'impétueux désir d'établie sur lui la domination ou la suprématie de la République. Mommsen écrivait, voilà soixante-sept ans[4] : On a souvent répété qu'après la conquête de l'Occident, les Romains entreprirent aussitôt de soumettre l'Orient ; une étude plus attentive de l'histoire devra faire réformer ce jugement. C'est une prévention inique et obtuse qui, seule, empêche de reconnaître que Rome, à cette époque, n'aspirait aucunement à commander aux États méditerranéens, et bornait ses souhaits à n'avoir de voisins redoutables[5] ni en Afrique, ni en Grèce. Bien que vivement discutée, cette doctrine a d'abord trouvé grand accueil peut-être eût-on bien fait de s'y tenir. Mais il est sûr qu'elle a cessé d'être en faveur. On nous entretient complaisamment, depuis quelques années[6], de l'invincible attrait exercé de tout temps sur les Romains par l'hellénisme, de la force instinctive qui les poussait vers lui, des lois historiques et psychologiques qui exigeaient qu'ils devinssent maîtres des États grecs, et de leur volonté ancienne et fixe de les assujettir. On recommence à parler, et chaque jour davantage, des passions ambitieuses de l'aristocratie sénatoriale, de son besoin de domination, de son esprit d'impérialisme et de militarisme, lequel éclaterait déjà dès le temps de la guerre de Sicile[7]. On en revient, peu s'en faut, à la conception de Bossuet, déclarant que les Romains, quand ils eurent goûté la douceur de la victoire, voulurent que tout leur cédât et ne prétendirent à rien moins qu'à mettre premièrement leurs voisins et ensuite tout l'univers sous leurs lois. On se reprend même à croire — ce qui ne s'était plus vu depuis Mommsen — aux vastes plans d'extension méthodiquement élaborés par le Sénat : naguère, en France, dans l'introduction d'un ouvrage étendu, un historien se l'est figuré préparant de longue main les futures annexions de Rome en Orient, et marquant la Grèce pour être une de ses premières conquêtes... Dans l'histoire authentique, qu'une critique vigilante doit séparer de l'apocryphe, je n'ai rien rencontré qui pût légitimer de telles opinions ; j'y ai plutôt aperçu tout le contraire, et je me suis risqué à le dire.

Novembre 1920.

Maurice Holleaux.

 

Polybe est cité d'après l'édition de Th. Büttner-Wobst, Leipzig (Teubner), 1882-1904 ; Tite-Live, d'après l'édition de W. Weissenborn, revue par H. J. Müller, Berlin (Weidmann) : j'ai consulté, autant que je l'ai pu, les plus récents tirages. — Les abréviations dont j'ai fait emploi, dans les renvois aux ouvrages modernes et aux périodiques, étant conformes à l'usage communément suivi, n'ont besoin d'aucune explication. Je note seulement que je me suis borné à citer d'après la tomaison et la pagination, sans en répéter le titre, les trois ouvrages suivants : B. Niese, Gesch. der griech. und malcedon. Staaten seit der Schlacht bei Chaeronea ; J. Beloch, Griechische Geschichte ; G. De Sanctis, Storia dei Romani. J'ai, comme on le verra, eu sans cesse sous les yeux cette dernière Histoire, dont le 3e volume (parties 1 et 2) a paru alors que mon travail était déjà près d'être achevé. Quelles que soient les divergences d'opinion entre l'auteur et moi, je devais à son œuvre, dont j'ai grandement profité, cette preuve d'estime et d'admiration.

 

 

 



[1] Sur la question, voir, en dernier lieu, J. Kaerst, Gesell. des Hellenismus, I, 509, 1 ; V. W. Tarn, J. H. S., 1921, 13.

[2] Sur les Objections auxquelles donne lieu, au moins pour ce qui est de la forme, le texte de Strabon (V. 3. 5, 232), cf. G. De Sanctis, Storia dei Romani, II, 427, note 2.

[3] Sur cette importante question, j'avais pensé trouver quelques lumières dans un mémoire traitant de Flamininus et la politique romaine en Orient, qu'a publié, en 1916, la Revue historique (t. 122, 17 suiv.). J'ai eu le regret d'être déçu. Ce mémoire, d'un caractère un peu scolaire et qui semble avoir été composé dans une entière ignorance de tous les écrits parus depuis quelque vingt ans sur le sujet, contient sans doute, parmi trop d'erreurs matérielles (Épidaure pour Épidamnos : p. 17 ; Lissa (= Issa) confondue avec Lissos : p. 17 ; la bataille du Trasimène en 218 : p. 18 ; Athènes intervenant en médiatrice pendant la guerre-des-Alliés : p. 18 ; l'intervention diplomatique des Rhodiens-omise : p. 18 : l'expédition de Philippe en 216 oubliée : p. 19 ; la paix entre l'Aitolie et Philippe placée en 205 : p. 19 ; la mort de Philopator, en 204 : p. 19 ; l'expédition de Philippe en 202 confondue avec celle de 201 : p. 20 ; toutes les villes grecques d'Asie Mineure conquises par Philippe : p. 20 ; l'équilibre oriental résultant des traités de Naupacte et de Phœnice [?] : p. 21, etc.), quelques observations justes; mais elles sont comme noyées dans un exposé confus a l'excès et qui contredit souvent les vérités historiques les mieux établies. Je dois ajouter que l'auteur a négligé de procéder à l'étude critique, même sommaire, des sources dont il a fait usage : il renvoie couramment à Tite-Live là où Tite-Live ne fait que reproduire Polybe en l'altérant ; et l'on s'étonnera justement que l'amplification de rhétorique mise par Tite-Live, à la suite de quelque Annaliste, dans la bouche du consul P. Sulpicius (Liv. (Ann.) 31. 7), soit donnée comme le programme dans l'ensemble authentique, de la politique romaine.

[4] R. G., I7, 696 ; cf. 779, 780, — Ed. Meyer (Kl. Schriften, 277) s'exprime encore dans le même sens que Mommsen. Cf., d'autre part, les remarques si judicieuses de G. Bloch, La République romaine (Paris, 1913), 180-181.

[5] Ceci d'après Polybe, I, 10. 6.

[6] Voir notamment J. Kromayer, Roms Kampf um die Weltherrschaft (Leipzig, 1912 ) 13-14, 15, 62, 66. Kromayer fait à Mommsen une apparente concession (14), mais, en réalité, le contredit absolument (62-63, 66 : explication de la seconde guerre de Macédoine).

[7] Voir G. De Sanctis, Storia dei Romani, II, 429 ; III, 1, 420, 424, 425 ; III, 2, 560 ; et, tout récemment, dans la Revue Atene e Roma, 1920, (Dopoguerra antico) 80-82. Cf. le compte-rendu de la Storia dei Romani, vol. III, publié par U. Pedroli dans Riv. di Filol., 1918, 449-452. — R. Pöhlmann, Grundr. der griech. Gesch.4, 315. — B. Niese, Grundr. der röm. Gesch.4, 127 et note 1, fin. — On voit aussi reparaître la croyance à la politique machiavélique du Sénat : W. Strehl, Röm. Geschichte (Breslau, 1914), 200.