§ V. — CONCLUSION. Et pourquoi ? voilà la question où l'on se trouve
nécessairement ramené. — Comme on l'a pu voir, les deux expéditions romaines
d'Illyrie ont a peu près même conclusion ; à neuf ans d'intervalle, c'est la
même histoire qui se répète ; dans les deux cas, le Sénat procède de façon
semblable. Il établit en 228, rétablit en 219 l'autorité de Rome sur la côte
illyrienne, et, chaque fois, en demeure là Chaque fois, avec Dira-t-on que c'est ici, de la part des Patres, défaut de
clairvoyance et de compréhension? Sans doute, il leur manque une certaine
clairvoyance, celle que peut seule donner une connaissance suffisamment
exacte des réalités géographiques. On a justement observé[1] que, s'ils
permirent trop longtemps aux Puniques de s'étendre librement en Espagne,
c'est qu'ils n'avaient qu'une vision confuse de cette terre lointaine,
enveloppée à leurs yeux de trop d'obscurité. S'ils n'ont pas réglé leurs actes sur cet intérêt manifeste,
c'est dès lors à leur humeur et à leur forme d'intelligence qu'il en faut
demander la raison. L'explication de leur conduite envers vers le même temps — dans l'intervalle des deux guerres
puniques — le reste de leur histoire. Admirables de constance lorsque l'ennemi
presse et que le salut de la chose romaine est en jeu, on les verra bientôt
manifester sans une défaillance, dans la longue détresse de l'État, l'énergie
d'âmes intraitables ; mais cette fermeté, qui fera leur gloire, est absente
de leurs conseils quand il importerait seulement d'opposer aux puissances
hostiles les mesures d'une politique concertée et suivie. On a signalé
maintes fois les incertitudes, les incohérences et les contradictions qui rendent
si singulière, entre 241 et 225, leur façon de procéder avec Carthage et les
Gaulois[4], et ce mélange
inattendu qu'elle présente de vigueur et de nonchalance, de prudence et
d'incurie. Rien d'étonnant, dès lors, si, a l'endroit de |
[1] Mommsen, R. G., I7, 566.
[2]
Il faut noter pourtant que les ambassades sacrées envoyées de loin en loin à
Delphes faisaient nécessairement le périple des rivages occidentaux de
[3] Polybe, XVIII, 11, 4-7.
[4]
Sur la conduite impolitique des Romains à l'égard des Puniques, à partir de
241, cf. les remarques de Mommsen (R. G., I7, 575) et le bon résumé de Beloch, dans A.
Gercke-E. Norden,. Einleit. in die Altertumswissensch., III, 167-168 ;
voir aussi De Sanctis, III, 1, 398-399. On sait de reste qu'après la conclusion
du traité de 241, le Sénat ne sait se résoudre ni à vivre en paix avec
Carthage, ni à lui porter un coup décisif ; que, pouvant l'accabler au temps de
la guerre libyque, il consent alors à l'épargner t refuse d'entrer en rapports
avec les rebelles qu'elle combat ; puis, qu'aussitôt après, répondant à
l'appel, d'abord dédaigné, des mercenaires sardes, il en fait la mortelle
ennemie de Rome par l'annexion brutale de
[5] Mommsen, R. G., I7, 575.
[6] Se rappeler, à ce propos, le mauvais accueil fait par le Sénat aux révoltés de Sardaigne et d'Utique, lors de la lutte de Carthage coutre ses mercenaires : Polybe, I, 83. 11. Remarquer aussi combien, pendant la guerre d'Hannibal, les Romains prennent peu souci de nouer des intelligences avec les souverains africains rivaux de Carthage. Ce que rapporte T. Live (24. 48) des relations formées, en 213, par les Scipions avec le roi Syphax est, comme on sait, infiniment suspect (cf. les observations critiques de Kahrstedt, 254-255 ; 513, 2, et celles, plus détaillées, de Gsell, Hist. anc. de l'Afrique du Nord, III, 181). Ce qui est dit (Liv. (Ann.) 27. 4. 5-8) des ambassades échangées, en 210, par Syphax et le Sénat ne mérite pas plus de créance (cf. Gsell, 182-183) ; l'initiative du rapprochement viendrait, au reste, non des Romains, mais du roi. C'est seulement à la fin de 206, avant de quitter l'Espagne, que P. Scipion fait de sa personne, sans en avoir aucunement reçu l'ordre, une démarche auprès de Syphax et tente de le gagner à l'alliance romaine (Liv. (P. ?) 28. 17. 4—18 ; cf. Polybe, XI. 24 a. 4). T. Live en donne la raison (28. 17. 3) : iam Africam magnamque Carthaginem — spectabat (Scipio). (4) itaque praemoliendam sibi ratus iam rem conciliandosque regum gentiumque animos, Syphacem primum regem statuit implare. Ce sont donc ses projets sur L'Afrique qui suggèrent à Scipion l'idée de se mettre en rapports avec le roi des Masaisyles. Quant au Sénat, depuis douze ans que dure la guerre en Espagne et en Italie, la pensée ne lui est pas venue de créer des embarras à Carthage en lui suscitant des ennemis dans son voisinage.
[7] On ne saurait trop se rappeler, par exemple, les hésitations du Sénat à entreprendre la guerre de Sicile (Polybe, I, 10. 9-11. 1). La décision, en cette circonstance, émane tout entière des consuls.
[8]
Quand Mommsen écrit (R. G., I7, 697) que la prétention, qu'avait
Rome [vers la fin du IIIe siècle] d'étendre son
bras tutélaire sur tous les Hellènes, n'était nullement une phrase vide de sens,
et que les gens de Néapolis, de Rhégion, de Massalia,
d'Emporiai pouvaient garantir que cette protection était fort sérieuse,
comment ne s'avise-t-il pas que, dans son énumération, ne figurent que des
villes grecques situées hors de