ROME, LA GRÈCE ET LES MONARCHIES HELLÉNISTIQUES AU IIIe SIÈCLE AVANT J.-C. (273-205)

 

CHAPITRE QUATRIÈME. — LA SECONDE GUERRE D'ILLYRIE (219). LES ROMAINS ET LA GUERRE-DES-ALLIÉS (219-217). LA PAIX DE NAUPAKTE (217).

  

 

Après un intervalle de dix années, les Romains portent une nouvelle fois leurs armes en Illyrie. Selon certains historiens, c'est encore un dessein ambitieux, dissimulé sous un douteux prétexte, qui les ramène sur le continent grec[1]. Une analyse sommaire des événements va nous apprendre ce que vaut cette opinion. — Et, d'autre part, nous allons constater un fait instructif, inaperçu des mêmes historiens et gênant pour leur thèse : c'est, à savoir, qu'après la seconde guerre d'Illyrie comme après la première, les Romains, qu'ils montrent ayant si grande hâte d'étendre leur influence ou même leur empire en pays hellénique[2], négligent d'intervenir en Grèce, malgré les pressantes raisons qui les y devraient engager.

 

§ I. — LA SECONDE GUERRE D'ILLYRIE.

Dans le temps qui suit la défaite de Teuta, les hommes d'État romains n'ont nullement cure des événements dont la Grèce est le théâtre ; c'est ainsi qu'Antigone y peut restaurer sans encombre la primauté de la Macédoine. Sont-ils du moins attentifs à surveiller les affaires d'Illyrie ? il semble bien que non. Par une inconséquence qui étonne, mais qui ne demeure point isolée dans son histoire[3], il semble que le Sénat, qui vient d'établir avec tant de vigueur l'autorité de Rome au-delà du détroit, soit trop peu jaloux de l'y maintenir. Le fait est qu'Antigone continue ou recommence d'exercer, au grand dommage de la République, une action dominante sur les pays illyriens. Il s'y ménage des intelligences, y noue des intrigues, y recrute des partisans et des auxiliaires, qu'il cherche audacieusement jusque parmi les clients et les amis du Peuple romain. De ceux-ci, le plus considérable est Démétrios de Pharos, dont la puissance, saris qu'on sache trop comment, avec ou sans le consentement du Sénat, a beaucoup, grandi depuis 228[4] et parait maintenant s'étendre à tout ce qui reste du royaume de Teuta. C'est lui que le roi de Macédoine s'efforce d'abord de gagner[5], et il y réussit avec une facilité et une promptitude singulières. Lorsqu'Antigone s'en vient dans le Péloponnèse combattre Kléomènes, le Pharien est déjà publiquement son allié : il prend en personne part à cette campagne, amène au roi un contingent de 1.600 Illyriens qui renforcent l'armée de la Symmachie[6], et va tout à l'heure contribuer glorieusement à la victoire de Sellasia[7]. C'est donc avant 223, c'est probablement dès 225 que s'est conclue l'alliance[8]. Ainsi, quatre ans à peine après s'être empressé à leur service, oublieux, pour parler comme Polybe[9], des bienfaits qu'il en a reçus, Démétrios se détache des Romains, passe au parti adverse. Il leur fait défection, aussi allègrement, semble-t-il, et sans plus d'hésitation que, naguère, pour eux à Teuta.

Volte-face inattendue et dont, il faut l'avouer, nous pénétrons mal les motifs[10]. Quelques promesses que lui eût pu faire Antigone, on s'étonne qu'à la suzeraineté lointaine et peu gênante du Peuple romain, Démétrios ait préféré l'alliance trop directe, et qui pouvait devenir bien pesante, d'un prince aussi puissant que le roi de Macédoine. Il semble qu'il eût agi plus sagement en demeurant, en face d'un voisin si redoutable, dont les ambitions naturelles menaçaient l'Illyrie entière, le client fidèle de la République ; il semble que le souci même de son indépendance aurait dû l'incliner à jouer au côté de Rome, contre le Macédonien, le rôle que jouera bientôt le dynaste Skerdilaïdas et qui, plus tard, sera si profitable à son fils Pleuratos[11]. Il y a ici un point qui nous demeure obscur. Mais, au reste, que le Pharien ait, ou non, fait un faux calcul, la chose n'importe guère. Ce que montre en tout cas sa soudaine défection, c'est que dans les pays d'outre-mer, Illyrie et Grèce, le prestige de Rome a très vite et grandement décru, et qu'elle n'y inspire plus ce respect craintif qu'on ressentait pour elle en 228. Polybe pense en donner la raison. Démétrios, dit-il, commença de dédaigner les Romains quand il les vit attaqués par les Gaulois[12]. Mais l'explication est peu satisfaisante. La guerre celtique, nous l'avons dit, tourna tout de suite à l'avantage de la République ; et, du reste, nous l'avons dit aussi, comment l'aurait-elle empêchée de faire usage de ses flottes ? Une action vigoureuse de la marine romaine sur les côtes d'Illyrie, une attaque dirigée contre Pharos, voilà, semble-t-il, le péril qu'au moment de lier partie avec Antigone, devrait appréhender Démétrios ; d'autant que, ce péril, le Macédonien, dépourvu de vaisseaux et d'ailleurs à la veille d'engager contre Kléomènes la lutte décisive, ne pourrait-presque rien pour l'en préserver. Mais il ne l'appréhende point ; il ne l'appréhendera jamais, pas même après la fin de la guerre celtique, comme le vont montrer dans un moment ses agressions de l'année 220. A l'endroit de Rome, le Pharien parait être revenu à ce bizarre état de quiétude qui était autrefois celui d'Agron et de Teuta[13]. Et la raison, plus générale que celle qu'indique Polybe, s'en trouve probablement dans l'attitude indolente du gouvernement romain ; dans le fait que le Sénat, qu'on représente volontiers pratiquant, partout où peut s'étendre son autorité, une politique tracassière d'intervention, s'est montré trop détaché des intérêts nouveaux qu'a Rome en Illyrie ; qu'il a négligé, plusieurs années durant, d'y faire sentir son action ; qu'il n'y a envoyé aucune de ces ambassades spéculatoires dont il fera plus tard un si fréquent emploi, et que jamais, depuis l'expédition des consuls, une escadre partie de Brundisium ou d'Hydrous n'a traversé la mer. Aux yeux des peuples qui la bordent, les Romains sont ainsi redevenus cette nation lointaine, tout occidentale et seulement occupée des choses de l'Occident, qu'ils étaient avant 229. Ils se sont laissé oublier et l'on a cessé de les craindre[14].

Et, vraiment, leur étrange insouciance, qui se prolonge, est faite pour encourager toutes les hardiesses. Démétrios ayant osé devenir, au vu de tous, l'allié d'Antigone, on s'attendrait que le Sénat lui demandât compte de la liberté qu'il a prise, lui remontrât que cette alliance ne se peut concilier avec sa qualité d'ami de Rome, l'invitât à se justifier ou, tout au moins, à s'expliquer[15]. Mais, pendant trois années encore, les Patres s'obstinent à ne rien voir ; et le résultat, c'est que le Pharien croît d'insolence et d'audace. La mort d'Antigone, qui lui enlève son grand protecteur, porte un adolescent au trône de Macédoine, et peut avoir pour conséquence quelque ébranlement profond de la monarchie antigonide[16], lui devrait, semble-t-il, conseiller la prudence. Pourtant, c'est au lendemain de cette mort qu'il s'insurge ouvertement contre Rome. En 220[17], il la provoque par un double attentat. Il envahit quelques-uns des territoires, occupe plusieurs des bourgades ou des villes qui relèvent de sa suzeraineté, s'empare notamment de la forte place de Dimalé, dans la contrée des Parthiniens, en arrière d'Épidamnos[18]. Puis, téméraire à la folie, sans souci des représailles romaines, sans réfléchir que son départ laissera ses États à la merci d'une descente ennemie, il viole le traité de 228 qui fait défense aux Illyriens de naviguer plus loin que Lissos. Uni au dynaste Skerdilaïdas[19], leurs deux escadrilles jointes — en tout 90 lemboi[20] —, il met le cap au Sud, descend la Mer Ionienne, s'en vient assaillir Pylos en Messénie[21]. C'est avec ce sans-gêne effronté que le prince de Pharos prétend abolir l'œuvre accomplie huit ans plus tôt par les Romains ; voilà les mers et les rivages de Grèce livrés, comme autrefois, aux corsaires du Nord ; voilà, peut-on croire, revenus les jours de Teuta et d'Agroa.

Cette fois, le Sénat consent à s'émouvoir, et l'on reconnaitra peut-être que, pour s'émouvoir, il a mieux qu'un prétexte. Sans doute, les Hellènes d'Illyrie, clients de la République, ont crié vers lui et réclamé son aide, — les Épidamniens surtout, tremblants de sentir dans leur voisinage l'ennemi maitre de Dimalé. Et, de fait, au train dont vont les choses, il y a risque que les villes maritimes tombent quelque jour aux mains de Démétrios. Peut-être va-t-il reprendre contre elles les projets de Teuta[22], les presser à la fois par terre et par mer, renouveler, à Épidamnos ou à Apollonia, le même coup qui, jadis, a si bien réussi à Phoiniké. C'est ce qu'on doit empêcher, d'autant que, derrière le Pharien, on aperçoit la Macédoine, vigoureuse et florissante[23], à laquelle il parait frayer la route ; c'est ce qu'on doit empêcher au plus vite[24] : car, ailleurs, à l'Occident, le ciel se charge et l'orage monte.

En effet, libérés de la guerre celtique, les Romains se sont enfin lassés de voir prospérer et grandir en Espagne l'empire fondé par les Barkides. Si, autrefois, ils ont reçu Sagonte dans leur alliance, et si, récemment, ils se sont ingérés dans les querelles intimes de la cité pour y faire dominer le parti ami de Rome ; s'ils ont tenu, même après leurs accords avec Hasdrubal, à garder ainsi une solide emprise sur les pays situés au sud de l'Èbre, c'est que jamais ils n'ont admis que, même au-delà du fleuve, Carthage régnât seule et devint partout maîtresse[25]. Or, au cours des deux dernières années (221-220), sous le commandement du jeune fils d'Hamilkar, de cet Hannibal que l'armée, tout d'une voix, s'est donné pour chef, la conquête punique vient de prendre un nouvel et inquiétant essor. En deux campagnes, Hannibal a vaincu trois nations ibériques ; en deux campagnes, Sagonte exceptée, il a tout dompté jusqu'à l'Èbre[26]. A ces nouvelles, cette crainte des voisins dangereux[27], qui seule, à cette époque, inspire et détermine toute leur politique extra-italique, s'est réveillée chez les Patres. Ils jugent qu'il est temps de refroidir les ardeurs d'Hannibal, de rappeler à cet audacieux qu'il devra compter encore avec Rome. C'est maintenant Sagonte qu'il vise et menace ; et les habitants ayant eu l'imprudence d'entrer en querelle avec des vassaux de Carthage[28], l'ayant ainsi nanti d'un bon grief, nul doute qu'il ne se dispose bientôt à l'attaquer. Ceci, le Sénat ne le souffrira pas. Après de trop longs retards, il a décidé de répondre aux appels des Sagontins, de prendre leur ville sous sa sauvegarde, d'interdire aux Puniques d'y toucher. Une ambassade va partir, dans l'été de 220, qui fera connaître ses résolutions d'abord à Hannibal lui-même, puis au gouvernement de Carthage[29], et les légats ont pour consigne de parler ferme et d'élever la voix. La démarche est osée. Que la guerre en puisse sortir, nul, à Rome, ne l'ignore[30] : et beaucoup, pressés d'en finir avec l'éternel ennemi que sera le Punique, souhaitent qu'elle en sorte en effet. En ces heures graves, prévoyant le dur et long effort que, prochainement peut-être, il leur faudra fournir en Ibérie ou en Afrique, les Patres veulent avoir le dos libre[31]. Plus que jamais il importe de se mettre à couvert de toute surprise venant de l'Orient ; plus que jamais il est nécessaire de faire bonne garde sur le détroit. Si, d'aventure, une flotte punique y vient rôder, il ne faut pas qu'elle ait chance de trouver, prêts à lui faire accueil, les ennemis de Rome en possession de la côte ; il ne faut pas qu'elle voie s'ouvrir à elle Épidamnos ou Apollonia, puisse stationner dans ces ports, et de là guetter l'Italie. L'idée, trop naturelle, d'un rapprochement, d'une entente possible entre Carthage, le prince de Pharos et les Macédoniens, pénètre dans les esprits et les agite. Il convient de pourvoir sur-le-champ à la sûreté de l'Illyrie romaine[32] et, partant, d'étouffer la rébellion de Démétrios. Aussi bien, le changement de règne survenu en Macédoine, la mort d'Antigone, l'allié du Pharien et son obligé, l'avènement du jouvenceau qui lui succède, par là-dessus un conflit aigu qui, en ce moment même, met aux prises avec les Aitoliens le nouveau roi et ses alliés grecs, sont des conjonctures opportunes et dont il sied de profiter.

Donc, au printemps de 219, le consul L. Aemilius prend la mer, porte une armée en Illyrie[33]. Il s'agit de faire vite et de frapper de grands coups ; c'est ce qu'a compris le consul, qui dirige les opérations avec une alerte vigueur. La force du rebelle réside en deux points : au Nord, dans la ville insulaire de Pharos, capitale de ses États ; au Sud, sur le continent, dans celle de Dimalé, réputée imprenable, et que Démétrios, dès qu'il a connu les projets des Romains, a munie d'une garnison puissante. C'est d'abord Dimalé qu'attaque Aemilius, et d'un tel élan qu'il l'emporte en sept jours. Après quoi, s'étant juste donné le temps de recevoir la soumission des cités voisines, il remet à la voile et pousse jusqu'à Pharos, où s'est retranché Démétrios. La place serait capable de soutenir un long siège ; mais un stratagème permet au consul d'attirer en plaine et d'accabler dans un seul combat les 6.000 Illyriens d'élite qui la défendent. Voyant ses troupes détruites ou dispersées, sa capitale au pouvoir de l'ennemi, Démétrios quitte la partie et disparaît ; c'en est fini de sa folle aventure. Comme l'été s'achève, Aemilius peut ramener en Italie ses hommes et ses vaisseaux. En quelques semaines, il a su, général énergique et avisé[34], mener à terme la tâche pressante qu'on lui avait commise : la puissance du Pharien est anéantie, lui-même est en fuite, et ses familiers, déportés à Rome, y vont demeurer captifs[35].

Telle est, en résumé, l'histoire de la courte expédition qu'on appelle la seconde guerre d'Illyrie. Naturellement, elle a pour conséquence l'établissement de la suzeraineté romaine sur Pharos et sur plusieurs des villes qui, de 228 à 220, obéissaient à Démétrios[36] 3; mais il est clair que, lorsqu'ils l'ont ordonnée, les Paires avaient tout autre chose en tête que de satisfaire leur ambition par des conquêtes c'est ce qui apparaît assez dès qu'on prend soin d'en observer l'origine et les circonstances. La seconde guerre d'Illyrie n'est qu'une précaution prise contre un péril trop longtemps méconnu. Reste à savoir si la précaution suffit pour que le péril soit conjuré.

 

 

 



[1] Cf. G. Colin, Rome et la Grèce, 26 : (Rome) ne tarda pas à trouver un prétexte pour assurer mieux encore sa prépondérance (en Illyrie)...

[2] G. Colin, 156 ; cf. 70.

[3] Remarquer, à la même époque, avec quelle indifférence le Sénat, après avoir resserré l'alliance de Rome et de Sagonte, accueille d'abord les avertissements des Sagontins qui lui signalent les progrès menaçants d'Hannibal : Polybe, III, 15. 1.

[4] Polybe ne donne là-dessus aucun renseignement. Selon les traditions romaines, ici comme ailleurs passablement suspectes, Démétrios, après la défaite et l'abdication (?) de Teuta (Dion, fr. 49. 7 ; I, 182 Boissev. = Zonaras, VIII. 19. 6), serait devenu le tuteur du roi enfant Pinnès, fils d'Agron et de Triteuta, et comme tel aurait exercé l'autorité qui appartenait précédemment à !a reine : Zonaras, VIII, 19. 7. Plus tard, Teuta étant morte, il aurait épousé Triteuta, la mère de Pinnès, et sa puissance s'en serait encore accrue : Dion, fr. 53 (I, 187 Boissev.) = Zonaras, VIII, 20. 11 ; cf. De Sanctis (III, 1, 322), qui fait, avec quelque vraisemblance, du prince illyrien Skerdilaïdas le cotuteur de Pinnès. — Ce qui suffirait à montrer combien ces traditions sont incertaines, c'est que Dion (fr. 53) place à Issa la résidence de Démétrios.

[5] Outre Démétrios, on trouve, en ce temps-là, en Illyrie le dynaste Skerdilaïdas (cf. déjà Polybe, II, 5. 6 ; 6. 3 ; 6. 6), qui est certainement apparenté à la famille royale et peut-être frère d'Agron (cf. Weissenborn, note à Liv., 26. 24. 9 ; Zippel, Röm. Herrsch, in Illyrien, 57 ; Niese, II, 285,1), et qui va jouer, d'abord comme allié de Philippe, puis surtout comme allié des Romains, un rôle de premier plan. Mais il ne semble pas qu'Antigone se soit mis en relations avec lui.

[6] Il ne parait d'ailleurs pas que Démétrios soit entré dans la Symmachie, ce qui sera au contraire le cas de Skerdilaïdas (Polybe, IV, 29. 7).

[7] Démétrios allié d'Antigone contre Kléomènes : Polybe, III, 16. 3. — auxiliaires qu'il amène à Antigone : II, 65. 4 ; — part qu'il prend à la bataille de Sellasia : 66. 5 sqq.

[8] L'indication de Polybe (III. 16. 2) donne à croire que Démétrios fit alliance avec Antigone peu après qu'eut éclaté la guerre celtique (ann. 225) ; cf. Niese, II, 326, 417 ; Beloch, III, 1, 757 ; Büttner-Wobst, P.-W. Supplem., I, 343, n. 44 a. — Appien (Illyr., 8), qui est muet sur cette alliance, place à tort pendant les trois premières années de la guerre celtique (225-223) la rébellion ouverte de Démétrios contre les Romains.

[9] Polybe, III, 16. 2.

[10] Niese (II, 326) l'explique par des hypothèses qu'aucun texte n'autorise et qui n'ont guère de vraisemblance : (Demetrios) wünschte, wie es scheint, seine Herrschaft besonders über die autonomen Gemeinden an der illyrischen Küste auszudehnen und volle Freiheit des Meeres. Da ihm die Römer dies nicht gestatteten, so wandte er sich dem wieder erstarten Makedonien zu. Les autonomen Gemeinden, dont il est ici parlé, sont, je pense, les cités et les peuples placés sous le protectorat de Rome ; de sorte que Démétrios, qui réclamait par surcroît la liberté de la mer, n'aurait pas hésité à demander aux Romains de supprimer, au lendemain de leur victoire, l'état de choses qui venait de la consacrer. C'est là lui attribuer une outrecuidance par trop naïve.

[11] Cf. Polybe, XXI, 21. 3.

[12] Polybe, III, 16. 2 ; cf. Appien, Illyr., 8. — Ce qu'ajoute Polybe n'offre pas, il faut l'avouer, grand sens. Démétrios a sans doute pu prévoir le conflit prochain entre Carthage et Rome ; mais s'il avait eu dessein d'en tirer avantage, il va de soi qu'il aurait dû attendre qu'il éclatât et privât les Romains de leur liberté d'action. Au contraire, par sa rébellion précipitée, il leur a permis d'opérer contre lui avant que la crainte de Carthage leur fût devenue une gêne.

[13] Cf. les justes observations de De Sanctis (III, 323-324). Le fait qui est ici bien digne d'attention, c'est précisément cette longanimité des Romains.

[14] L'expédition victorieuse que, selon les sources romaines (voir les textes dans Zippel, Röm. Herrsch. in Illyrien, 101 ; cf. De Sanctis, III, 1, 319-320), les Romains auraient faite en Histrie en 221, est presque sûrement apocryphe. La venue d'une armée romaine en Histrie aurait eu pour effet de rappeler Démarras à la prudence, surtout si, comme le dit Appien (Illyr., 8), c'était lui qui avait excité les Histriens contre Rome.

[15] D'après les traditions romaines tardives, Démétrios est bien invité à se justifier, mais seulement en 219. Ce sont les consuls de cette année-là, L. Aemilius et M. Livius, qui le somment, d'ailleurs inutilement, de comparaître devant eux : Dion, fr. 53 (I, 187 Boissev.) = Zonaras, VIII, 20. 11. Je ne saurais, comme De Sanctis (III, 1, 324, note 149), tenir ce renseignement pour digne de foi.

[16] Cet ébranlement ne s'est pas produit, mais on l'a pu craindre ; cf. Polybe, VII, 11. 4-5.

[17] L'expédition maritime de Démétrios et de Skerdilaïdas au sud de Lissos (Polybe, IV, 6. 6 ; cf. III, 16. 3) date, comme l'indique Polybe et comme tout le monde en tombe d'accord, de l'été de 220 ; le synchronisme avec les événements de Kynaitha (IV, 16. 11 ; 19. 7) est, en effet, décisif. L'invasion de l'Illyrie romaine par Démétrios (III, 16. 3) doit se placer aussi en 220.

[18] Polybe, III. 16. 3. — Comme le fait observer De Sanctis (III, 1, 323, note 146), ces localités, dépendantes des Romains, qu'attaque et ravage Démétrios, se trouvent certainement au sud de Lissos. Le Pharien semble, du reste, ne s'être emparé que d'une seule ville un peu considérable : c'est Διμάλη (cf. Polybe, III. 18. 1 ; 18. 3 ; VII, 9. 13), naturellement identique au Dimallum de T. Live (P., 29. 12. 3) et située dans le pays des Parthini, par conséquent non loin d'Épidamnos. La place n'était pas sur la côte, comme le dit à tort A. Philippson, P.-W. V, 646, s. v. Dimale. — Il n'y a nul compte à tenir des indications d'Appien (Illyr., 8), d'après lesquelles Démétrios aurait conquis toute l'Illyrie méridionale, y compris l'Atintania.

[19] Polybe, IV, 16. 6 (cf. III. 16. 3).

[20] Démétrios a 50 lemboi (Polybe, IV, 16. 8) ; Skerdilaïdas, 40 (16. 9).

[21] Polybe, IV, 16. 7 ; cf. IX, 38. 8. — Démétrios, à Pylos, travaille pour le compte des Aitoliens (IX, 38. 8 ; cf. IV, 25. 4), mais il n'y a point encore rupture ni menace certaine de rupture entre les Aitoliens et Philippe.

[22] Cf. Polybe, II, 9. 1. sqq.

[23] Cf. Polybe, III, 16. 4.

[24] Cf. Polybe, III, 16. 4.

[25] Sur ces questions, dont je n'ai point à traiter, mais que j'ai cru devoir étudier de près, consulter De Sanctis (III, 1, 322 ; 412 ; 414 ; 418 ; 426), où la politique des Romains. en Espagne et les origines de l'affaire de Sagonte me paraissent très bien exposées ; cf. Ed. Meyer, Sitz.-ber. Berl. Akad., 1913, 708-710. — Je rappelle que l'alliance de Rome et de Sagonte a dû précéder le traité de l'Èbre (De Sanctis, III, 1, 417 et notes 75-76). L'intervention des Romains dans les affaires intérieures de Sagonte (Polybe, III, 30. 2 ; cf. 15. 7) n'est antérieure que de peu à l'année 220 (15. 7 ; De Sanctis, II, 1, 417 et note 76). — Où je diffère d'avis avec De Sanctis, c'est lorsqu'il attribue à ne poussée d'impérialisme la politique espagnole des Romains (voir, notamment, II, 1, 424-425). Je crois bien plutôt que ce sont les inquiétudes, tardivement éveillées, du Sénat qui déterminent ses résolutions, et que si, finalement, il devient belliqueux, ce n'est que par crainte du péril dont les Puniques, trop actifs en Espagne, lui semblent menacer Rome.

[26] Polybe, III, 13. 4-14. 8 ; 14. 9 (cf. IV. 28. 1). Il y a, dans la phrase (14. 9), une forte exagération (cf. O. Meltzer, Gesch. der Karthag., II, 422 ; S. Gsell, Hist. de l'Afrique du Nord, III, 134) ; mais c'est bien ainsi qu'à Rome on devait se représenter les choses.

[27] Cf. Polybe, I, 10. 6.

[28] Cf. Polybe, III, 15. 8 ; Appien, Iber., 10. Sur ce conflit, Ed. Meyer, Sitz.-ber. Berl. Akad., 1913, 708-709.

[29] Polybe, III, 15. 2 ; 15. 5 ; 15. 12. — Il me semble qu'on assigne d'ordinaire à cette ambassade une date trop tardive : fin de l'année 220 (Meltzer, Gesch. der Karthag., II, 423 ; 429) ; commencement du printemps de 219 (Ed. Meyer, Sitz.-ber. Berl. Akad., 1913, 707) ; hiver de 220 /219 (De Sanctis, III, 2, 680). Il résulte de Polybe, III, 15. 3-4, qu'au moment où Hannibal fit rencontre, à Carthagène, des légats romains, il allait prendre ses quartiers d'hiver. Le colloque se place donc en automne, au plus tôt vers la fin de l'été. L'ambassade avait dû quitter Rome à un moment avancé de l'été.

[30] Cf. Polybe, III, 15. 12 ; 20. 2.

[31] Polybe, III, 16. 1 ; 16. 4.

[32] Polybe, III, 16. 1. — Selon Beloch (III, 1, 757), les Romains auraient attendu, pour attaquer Démétrios, que la guerre entre la Macédoine et l'Aitolie eût enlevé à Philippe la liberté de manœuvre. C'est une façon peu exacte de représenter les choses ; on prête au gouvernement romain un calcul qu'il ne fit point. L'exposé de Polybe (III, 16. 1 ; 16. 4) montre bien que les événements d'Espagne de l'année 220 et le péril couru par les Sagontins décidèrent le Sénat à intervenir en Illyrie sans retard, c'est-à-dite dès l'année suivante (219). Il ne choisit donc pas son moment. L'expédition de L. Aemilius se trouva coïncider avec le début de la guerre aitolique, et cette coïncidence fut avantageuse aux Romains ; mais ils n'avaient rien fait pour qu'elle se produisit.

[33] Polybe, III, 16. 7 ; 18-19 (Fabius ?), dont le récit est du reste beaucoup trop sommaire. Les sources romaines tardives (Dion, fr. 53 ; I, 187 Boissev. ; Zonaras, VIII, 20. 11-13 ; Appien, Illyr., 8 ; de vir illustr., 50. 1) ne méritent aucune confiance. C'est probablement à tort qu'elles adjoignent à L. Aemilius son collègue M. Livius Salinator ( cf. Zonaras, VIII, 20. 11 ; de vir. illustr., ibid.). — Polybe ne donne point d'indication sur l'importance des forces mises à la disposition de L. Aemilius.

[34] Cf. Polybe, III, 19. 13 ; 107. 8. Il se peut d'ailleurs que Polybe, ami de Scipion émilien, exagère quelque peu les mérites de L. Aemilius ; cf. De Sanctis, III, 2, 170.

[35] Cf. Polybe, VII, 9. 14.

[36] Polybe, VII, 9. 13 ; cf. III, 18. 6-7. Polybe dit à tort (III, 19. 12) que Pharos fut détruite par L. Aemilius (cf. De Sanctis, III, 1, 325, note 150). Dimalé (cf. Polybe, VII, 9. 13) est retombée dans sa condition première, c'est-à-dire qu'elle a été replacée sous le protectorat romain.