II Au lendemain de Cannes, on a pu se figurer, à la cour de Pella comme ailleurs, qu'en Italie tout était terminé, et que Rome, avouant sa défaite, allait mettre bas les armes[1]. Quelques mois plus tard, il en faut juger autrement. La victoire des Puniques reste probable ; mais cette victoire, qui leur semblait acquise, recule maintenant, et, se dérobe. On croyait, les armées romaines anéanties : on apprend que, sans cesse renforcées, elles persistent à tenir la campagne, s'accrochent au terrain, barrent les routes du Nord, et, sans se laisser entraîner aux rencontres, sans jamais donner prise à l'ennemi, le surveillent, l'inquiètent, le harcèlent et le contiennent. La guerre paraissait finie d'un coup : elle n'a pas été suspendue un seul jour, elle dure — en Italie, en Espagne, en Sardaigne — et surtout menace de durer. Bien qu'une immense défection lui ait livré la Basse-Italie presque entière, bien que Capoue, la seconde Rome, vienne de se donner à lui, il est sûr désormais qu'Hannibal n'a point recueilli de ses succès l'avantage attendu[2] ; non seulement il n'a point marché sur Rome, n'a point atteint les frontières latines, mais, à l'Est, il n'a point dépassé Arpi, et, même en Campanie, il se heurte, dit-on, à des résistances tenaces ; son audace s'est émoussée, son élan s'est relâché, son offensive mollit ; il piétine, comme à bout de souffle. A cela une seule explication : il s'est usé et ne se peut réparer ; les hommes lui manquent pour avoir raison d'un adversaire dont il n'a ni mesuré la force, ni prévu l'opiniâtreté. Et peut-être la chose n'étonne-t-elle qu'à demi Philippe qui, de longue date, observe l'État romain, s'est fait instruire de ses ressources, pense les bien connaître, serait même enclin à se les exagérer[3]. — Mais, au reste, que Rome s'obstine, qu'Hannibal se ralentisse, que la lutte se prolonge, c'est là pour le Macédonien une grande occasion, et qui lui dicte sa conduite. A tout prendre, il n'eût point été bon que Carthage vainquit trop vite : étranger à sa victoire, Philippe n'en eût retiré qu'un profit indirect, chanceux et peut-être précaire. Sans doute, elle l'aurait mis en possession des villes d'Illyrie : mais eût-il été assuré de les garder ? Qui l'aurait garanti, par la suite, contre une revanche possible des vaincus[4] ? Comment, ne lui ayant rendu nul service, eût-il à cet effet compté sur le gouvernement punique ? Pour que la question illyrienne soit tranchée décidément, dans l'avenir comme dans le présent, selon ce que réclament son honneur et sa sécurité, ce n'est point assez que Rome succombe : il faut encore qu'il ait contribué à sa chute, que, pour l'abattre, les Puniques aient eu besoin de lui, et que, travaillant à leur côté, il ait fait d'eux ses obligés, mérité leur amitié, acquis un titre durable à leur reconnaissance. Précisément, voici qu'il est pour eux l'homme nécessaire dont l'intervention forcera le destin ; c'est lui qui, venant à la rescousse, leur permettra d'achever l'œuvre si bien entreprise ; c'est fortifiés de son aide, qu'ils pourront frapper sur l'ennemi commun ce dernier coup qui tarde trop : dès lors, entre eux et lui, isolés jusque-là, à présent unis, des liens vont se former qui seront indissolubles ; ils auront, après la victoire, même soin de ses intérêts que des leurs, et veilleront à ce qu'en aucun temps il n'ait rien à craindre des Romains impuissants. Dès le printemps de 215[5], la résolution de Philippe est prise ; il députe au camp d'Hannibal. Si, naguère, avant le tonnerre de Cannes, il a rêvé de s'agrandir en Italie, d'y retenir quelques dépouilles romaines, c'est une ambition qui n'est plus de saison ; sagement, il y sait renoncer et se réduire au rôle que lui marquent les événements. L'Italie, désormais, est la chose d'Hannibal : ses droits sur elle, conquis des Alpes à l'Aufidus, Philippe n'a garde de les lui contester ; il reconnaît sa primauté, le traite en victorieux, lui propose seulement d'être son auxiliaire[6] Et Hannibal, bien plus entravé encore qu'il ne l'a pu soupçonner ; vainqueur, mais empêché, faute de moyens, d'agir en vainqueur — ; étonné de la fermeté du Sénat ; déconcerté, après les expériences faites à Casilinum et à Pétélia, par la constance des socii restés fidèles à Rome ; tenu en échec par les forteresses qui hérissent l'Italie centrale ; arrêté net en Campanie, où Néapolis et Kymé, Puteoli et Nola ne se laissent ni forcer ni séduire ; repoussé, le long des côtes, parles villes helléniques[7] ; réduit à moins de quarante mille hommes en face des légions qui se multiplient ; séparé des Gaulois, maintenant trop éloignés, et n'en recevant plus rien ; privé, par la défaite d'Hasdrubal à Hibéra, des troupes qu'il attendait d'Espagne[8] ; peu ou mal servi par ses clients italiens[9], et, cependant, obligé de les défendre contre les Romains, obligé de se disperser pour garder l'immense frontière des territoires conquis, observer les cités ennemies, parer aux surprises locales, prévenir et châtier les défections, Hannibal accepte aussitôt cette offre, qu'il a peut-être sollicitée [10]. Une alliance est jurée entre le général punique, représentant l'État de Carthage, et le roi Philippe, fils de Démétrios, qui traite au nom des Macédoniens et de ses Alliés grecs. Perpétuelle et générale, elle vise tous les ennemis de Carthage et du roi ; elle sera défensive dans l'avenir, une fois la guerre romaine achevée ; dans le présent, elle est offensive et spécialement dirigée contre Rome, qu'elle a pour premier objet de réduire à merci[11]. Dans la pensée des contractants, cette alliance doit rester secrète, surprendre le Sénat qui, semble-t-il, n'en a rien pressenti. Mais les dieux veillent sur la République. Un accident heureux, la capture des ambassadeurs macédoniens à leur retour d'Italie[12], met les Patres en possession du serment prêté par Hannibal. Ils prennent ainsi connaissance de la clause capitale des accords, bien faite pour les alarmer Philippe s'engage à donner aide aux Puniques — c'est-à-dire à leur amener des renforts en Italie — selon ce qu'ils jugeront nécessaire et dans les conditions qui seront déterminées par une convention militaire spéciale[13]. Or, que la conclusion de cette convention, qui sera le nœud de l'alliance, doive suivre sans délai celle de l'alliance elle-même, chose qui ne parait que trop assurée. L'évidence du péril s'impose, cette fois, aux yeux du Sénat. La situation devient si claire qu'il en découvre d'un coup tous les aspects menaçants. — Nul doute, d'abord, que Philippe ne s'efforce de tenir ses engagements ; il y a trop d'intérêt car son concours, comme le montre le texte du serment, lui sera honnêtement payé. Naturellement, il sera compris dans la paix que les Puniques vainqueurs imposeront à Rome ; et, par cette paix, on exigera des Romains qu'ils renoncent à le jamais combattre, qu'ils fassent abandon de tout ce qu'ils ont pris en Illyrie et dans la mer voisine, qu'ils restituent même — clause de détail particulièrement offensante — à Démétrios de Pharos ses familiers détenus en Italie depuis 219[14]. Ainsi, Philippe sera débarrassé de l'odieux voisinage qu'a supporté quinze ans la Macédoine ; il sera maitre de s'étendre du golfe thermaïque au détroit ionien, de remplir tout l'entre-deux, d'avoir à l'Ouest comme à l'Est sa façade maritime : Apollonia et Épidamnos feront pendant à Thessalonique et à Kassandreia. Et non seulement rien ne subsistera des expéditions insolentes des consuls, non seulement Rome humiliée repassera la mer, mais jamais plus elle ne la pourra franchir contre ses retours offensifs, si elle prétend rompre la paix, Philippe aura pour bouclier l'alliance permanente de Carthage. Par surcroit, cette alliance lui est même garantie contre ses ennemis de Grèce, s'il en est attaqué[15] : outre qu'elle lui vaudra d'établir à demeure sa domination sur l'Illyrie, elle affermira donc celle qu'il exerce sur l'Hellade ; si bien que, certain à l'avenir de la docilité des Grecs, libre de soucis en Occident, c'est ailleurs, sans doute vers l'Orient qui l'attire, qu'il pourra tourner sa jeune ardeur. Quelle apparence que, changeant d'idée, le roi devienne insensible à de tels avantages Au reste, il n'est plus temps pour lui de se raviser : son entente avec Hannibal étant, il le sait[16] connue des Romains, tout recul lui est interdit, C'est en vain qu'il tenterait de se retrancher maintenant dans une neutralité tardive ; il sait bien qu'il s'est trop compromis, que désormais, pour le Sénat, il est et restera l'ennemi, que ses desseins hostiles, y voulût-il renoncer, ne lui seront point pardonnés, et que Rome, si elle l'emporte, lui en demandera compte. Pour ces raisons, on peut être convaincu qu'il s'attachera résolument à ses nouveaux alliés, travaillera de toute sa volonté à la défaite romaine[17]. Et, d'autre part, nul doute non plus qu'Hannibal, affamé de renforts et pressé de sortir d'une défensive qui l'épuise ; nul doute que le gouvernement de Carthage qui, en un an, a perdu deux armées — l'une en Espagne et l'attire en Sardaigne —, qui a dû détourner sur Hasdrubal les secours promis à son frère[18], qui, peut-être, médite déjà d'entreprendre, d'accord avec les Syracusains ennemis de Rome, une guerre nouvelle en Sicile[19], et qui, partant, manque et manquera d'hommes pour l'Italie, n'appliquent tous leurs soins à faciliter au Macédonien l'accomplissement de ses promesses. C'est lui, dans le moment et pour commencer, qui se trouve avoir besoin de ses alliés : pour qu'il les puisse aider, il faut d'abord qu'ils l'aident ; on peut compter qu'ils n'y manqueront pas et prévoir comment ils opéreront. Dans l'Italie du Sud, un bon port, un lieu sûr où débarquer est nécessaire au roi : Hannibal s'emploiera à le lui conquérir. Mais surtout, privé de forces navales, Philippe ne saurait se passer de l'étroit concours de la marine punique : il est clair qu'on le lui a garanti, et que c'est l'un des objets, ou l'objet principal, dont traite la convention adjointe à l'alliance[20]. Selon toute vraisemblance, une flotte viendra d'Afrique se mettre à son service. Elle l'aidera à rendre maître des villes illyriennes, qu'il ne peut laisser derrière lui en la possession des Romains, ouvertes à leurs débarquements : — au moment de quitter la Macédoine, il en doit garder les clés — ; elle lui facilitera, dans l'Illyrie conquise, l'établissement de son όρμητήριον, de sa base d'attaque contre l'Italie ; elle lui assurera, enfin, la libre traversée du détroit : c'est escortée par les vaisseaux de Carthage que la phalange tentera de prendre terre en Grande-Grèce. — Tels sont les dangers nouveaux auxquels, ayant omis de les prévenir, doit maintenant parer le Sénat ; et il s'occupe en effet d'y parer, Une escadre spéciale, ayant pour port d'attache Tarente, puis Brundisium, comptant 50 bâtiments[21], montée par quelques troupes[22], est placée sous les ordres du préteur M. Valerius Lævinus. Avec ces vaisseaux, Lævinus devra faire obstacle aux projets combinés de Carthage et de la Macédoine : croiser au large de la Calabre, garder les places de la côte, en interdire l'approche à Hannibal[23], et, cependant, observer le détroit, y pousser des reconnaissances, épier et contrarier les mouvements de Philippe et des Puniques. Au besoin, quittant l'Italie, il n'hésitera point à franchir la mer, à débarquer sur la rive orientale pour la défendre contre le Macédonien[24]. Précautions nécessaires, comme on va s'en apercevoir : Philippe donnera bientôt de l'ouvrage à la marine romaine. |
[1] C'est précisément la croyance à la paix prochaine entre Rome et Carthage qui explique en partie l'inaction de Philippe pendant l'été et l'automne de 216, inaction qu'on lui a maintes fois reprochée (cf., en dernier lieu, Niese, II, 467 ; Kahrstedt, 449). Il est clair que, n'ayant reçu de lui aucune aide, Hannibal se serait entièrement désintéressé du roi de Macédoine et n'aurait stipulé aucune garantie en sa faveur. Après avoir traité avec Carthage, Borne aurait donc été maîtresse de tourner contre lui tout son effort, et, nième vaincue par Hannibal, même amoindrie et abaissée, elle pouvait être pour la Macédoine une adversaire fort dangereuse. On devait croire, en effet, que les Puniques ne lui interdiraient pas d'avoir une escadre dans l'Adriatique ; en sorte qu'il lui eût été loisible d'embarquer sur cette escadre les troupes ramenées d'Espagne, de Sicile et de Sardaigne, de recommencer l'expédition de 219, et de jeter en Illyrie une armée toute chaude de la guerre, admirablement entraînée et bien plus nombreuse que celle de Philippe. On conçoit que la perspective d'une telle éventualité ait rendu le roi circonspect, et qu'il se soit gardé de provoquer à nouveau les Romains par une seconde tentative contre l'Illyrie. — D'autre part, il devait supposer qu'instruit de sa venue à Sason, l'amiral de la flotte romaine de Sicile exercerait désormais une surveillance active sur la Mer Ionienne, si bien que recommencer ; à quelques mois d'intervalle, l'expédition manquée du printemps eût été probablement courir à un désastre. L'action téméraire qu'il risquera en 214, on ne peut raisonnablement faire grief à Philippe de ne l'avoir pas risquée en 216.
[2] Sur la situation difficile d'Hannibal après Cannes, voir, avant tout, l'excellent résumé de W. Streit, Zur Gesch. des zweiten Punischen Krieges in Italien mach. Cannæ (Berlin. Stud., VI, 2 [1887] 9 suiv. Cf. Kromayer, Ant. Schlachtf., III, 1, 391-401, et, du même auteur, Roms Kampf um die Weitherrschaft (Leipzig, 1912), 53-56 ; Kahrstedt, 445-447, 451-456 ; De Sanctis, III, 2, 223 suiv.
[3] Se rappeler sa seconde lettre aux Lariséens (IG, IX, 2, 517 = Dittenberger, Sylloge 2, 289) et l'erreur qu'elle renferme sur le nombre des colonies fondées par les Romains.
[4] Que l'éventualité d'une guerre de revanche, faite par les Romains à la Macédoine, réoccupât Philippe, c'est ce que montre assez l'une des clauses de son traité avec Hannibal : Polybe, VII. 9. 13.
[5] C'est la date communément admise : cf. Matzat, Röm. Zeitrechn., 135 ; Scott, Macedonien und Rom, 46, note 93, etc. Le terminus pose quem se tire de Liv. (Ann.) 23. 33. 4 (cf. 33. 5, à rapprocher de 32. 16), où les custodiæ navium romanarum sont les 25 vaisseaux donnés à M. Lævinus au printemps de 215 (32. 17). Le terminus ante quem est la mort d'Hiéron si l'on tient compte de l'indication — à la vérité, un peu suspecte (cf. Niese, II, 511, 4 s. f.) — qui se trouve dans Liv. 23. 38. 11-13 ; or, cette mort tombe certainement au début, non de l'été de 214, comme le voudraient G. Tuzi (Studi di stor. ant., I, 93-94) et Beloch (III, 2, 227), mais de 215 (cf. De Sanctis, III, 2, 329-330 ; 683).
[6] C'est, en effet, ce qui résulte nettement du texte du serment d'Hannibal (Polybe, VII. 9. 1 sqq.). On y voit que l'alliance n'est pas conclue sur un pied d'égalité : 1° Il est évident que Philippe ne saurait élever de prétention sur aucune partie de l'Italie le traité ne dit rien des conquêtes qu'y a faites Hannibal, non plus que de celles que les alliés, agissant de concert, y pourront faire encore : ce silence signifie que des unes et des autres les Puniques disposeront souverainement ; 2° il est clairement indiqué (9. 6-7) que toutes les alliances précédemment contractées par Hannibal avec les peuples italiques ou voisins de l'Italie demeureront valables, et que, dans la suite de la guerre, il aura seul le droit d'en conclure d'autres ; 3° il semble qu'Hannibal continuera d'avoir a direction suprême des opération, militaires tout au moins, c'est lui qui jugera si le moment est venu de mettre fin aux hostilités (9. 12) ; — 4° enfin, la paix sera l'œuvre propre des Puniques : ce sont eux qui l'accorderont à l'ennemi commun (9. 12) et qui en débattront les conditions ; et, sur les avantages qu'ils en comptent tirer, sur la situation nouvelle qu'ils feront aux Romains en Italie, sur les renonciations qu'ils leur imposeront, ils ne s'expliquent pas : ce sont choses laissées à leur décision, qu'ils régleront leur guise et où leur allié n'a rien à voir.
[7] Les premières villes helléniques conquises — seulement en 215 par Hannon et les Bruttiens sont, comme on sait, Lokroi, Croton et Caulonia.
[8] Pour le total des forces d'Hannibal en 215, cf. Kahrstedt, 456 ; — pour la rupture e ses relations avec les Gaulois ; Jullian, Hist. de la Gaule, I, 494 ; — pour les suites de a bataille d'Hibéra : Liv. 23. 29. 16-17 ; 32. 5-7 ; 32. 12 ; cf. Kahrstedt, 451 ; De Sanctis, II, 2, 246. Le seul renfort que reçoive Hannibal en 21.5 est celui que Bomilcar débarque à Lokroi : Liv. 23. 41. 10-12. L'effectif en est inconnu ; il n'y a pas de raison suffisante pour le fixer à 4.000 hommes, comme fait De Sanctis (III, 2, 238, note 56) d'après Liv. 23. 13. 7 (texte qui, d'ailleurs, parait incomplet).
[9] Sur ce point, voir notamment Streit, Berl. Stud., VI, 2 (1887), 10 suiv.
[10] Il semble bien, en effet, que l'envoi au camp d'Hannibal des ambassadeurs macédoniens ait dû être précédé de quelques tractations ; il est fort possible qu'Hannibal ait ris l'initiative de ces pourparlers préliminaires.
[11] Traité entre Philippe et Hannibal (serment d'Hannibal) : Polybe, VII. 9. La meilleure étude sur le traité est celle de G. Egelhaaf, Histor. Zeitschr., 1885, 456 suiv. : le résumé de Kahrstedt (449) est fort inexact. — Les premières clauses (9. 4-9) ne sont guère que de style. — Caractère général de l'alliance : 9. 8-9. Caractère défensif de l'alliance dans l'avenir, après que la paix aura été imposée aux Romains : 9. 15-16 ; noter que l'alliance défensive vise d'abord les Romains : 9. 15. — Caractère offensif de l'alliance dans le présent : 9. 10-11 ; l'alliance offensive est limitée à la guerre que les Puniques font actuellement aux Romains, mais ne prendra fin que lorsque les Puniques, vainqueurs des Romains, consentiront à leur accorder la paix : 9. 12. — Il va sans dire qu'on ne doit tenir nul compte du peudo-traité, de fabrication annalistique, qu'ont reproduit ou résumé T. Live (23. 33. 10-12), Appien (Maced., 1) et Dion-Zonaras (IX, 4. 2-3).
[12] Liv. (Ann.) 23. 34. 2-9 ; 39. 1 (cf. Appien, Maced. I ; Dion-Zonaras, IX. 4. 3) capture, leur départ d'Italie, de Xénophane, ambassadeur de Philippe, et des trois ambassadeurs envoyés par Hannibal au roi pour recevoir son serment. Le récit annalistique, dont maint détail est sûrement apocryphe, doit cependant être tenu pour véridique quant à l'essentiel. Ce qui le confirme, c'est que l'acte publié par Polybe (VII. 9) est celui que Xénophane fit jurer à Hannibal, et dont il était porteur lorsqu'il fut pris par les Romains ; Polybe en eut connaissance à Rome : cf. De Sanctis, III, 2, 407, note 22. La critique de Kahrstedt (450, 1) est ici tout-à-fait malheureuse. C'est l'histoire de la première mésaventure de Xénophane, de sa capturé près de Luceria (?) et de son entrevue avec Lævinus (Liv. (Ann.) 23. 33. 4 sqq.), considérée comme historique par Kahrstedt, qui est entièrement légendaire et née de l'imagination des Annalistes ; voir les bonnes observations de W. Boguth, M. Valerius Lævinus (Progr. Krerns, 1892), 5.
[13] Polybe, VII. 9. 10 : ἔσεσθε δὲ καὶ ἡμῖν σύμμαχοι πρὸς τὸν πόλεμον, ὅς ἐστιν ἡμῖν πρὸς Ῥωμαίους, ἕως ἂν ἡμῖν καὶ ὑμῖν οἱ θεοὶ διδῶσι τὴν εὐημερίαν. (11) βοηθήσετε δὲ ἡμῖν, ὡς ἂν χρεία ᾖ καὶ ὡς ἂν συμφωνήσωμεν. L'importance de cette dernière clause semble avoir échappé aux historiens modernes. Je ne sais comment Niese (II, 467, 3) peut écrire : Das ist keine bestimmte bindende Verpflichtung zu gemeinsamer Kriegführung... ; je ne comprends pas davantage la remarque de De Sanctis (III, 2, 407) : ... il trattato non conteneva... la promessa che Filippo avrebbe inviato truppe ad Annibale in Italia... L'engagement, conçu en termes généraux, qui est pris par Philippe, implique la conclusion d'accords complémentaires, qui régleront dans le détail les modalités de sa participation à la guerre : ce sera la συμφωνία à laquelle il est fait allusion ; mais cet engagement n'en est pas moins, par lui-même, strict et formel. Le terme βοηθεΐν n'a rien d'équivoque ; pour l'emploi, dans les traités, de ce verbe avec le sens d'amener des troupes auxiliaires, voir, par exemple, les formules qu'a réunies P. Grätzel, De pactiornum — appellationibus, formulis, ratione (diss. Halle, 1885), 52-56 ; cf. Polybe, VII. 4. 2 ; 4. 7 (traités de Hiéronyrnos avec Carthage) ; X. 37. 5, etc. L'emploi semblable de βοήθεια (copiæ autilio venientes, Schweigh, Polybian. Lexik., s. v.) est assez connu.
[14] Philippe compris dans la paix conclue par les Puniques avec Rome ; Polybe, VII. 9. 12 (remarquer que le verbe συνθησόμεθα a pour sujet les Puniques) ; obligation imposée aux Romains de ne jamais faire la guerre à Philippe : 9. 13 ; — renonciation des Romains à Kerkyra, Apollonia, Épidamnos, Pharos, Dimalé, au pays des Parthiniens, à l'Atintania : 9. 13 ; — restitution à Démétrios de ses οίκεΐοι : 9. 14. J'entends cette phrase comme on fait d'ordinaire, et ne puis admettre l'interprétation de Kromayer, Hist. Zeitschr., 1909, 245.
[15] Alliance défensive des Puniques et de Philippe en cas d'attaque des Romains : Polybe, VII, 9. 15 ; portée, plus générale de l'alliance défensive, qui sera dirigée aussi contre la toute puissance tierce attaquant soit les Puniques ; soit Philippe 9. 16. — Comme les adversaires de Philippe en Grèce n'ont ni όρκοι ni φιλία avec les Puniques, il va de soi que, s'ils commencent les hostilités, Philippe devra être secouru contre eux par Carthage.
[16] Liv. (Ann.) 23. 39. 1 (les indications de l'Annaliste sont à ailleurs obscures et suspectes : cf. Weissenborn, ad h. l. ; Boguth, M. Valerius Lævinus, 5). — A propos de la seconde ambassade envoyée par Philippe à Hannibal dans l'été de 215 (23. 39. 2-3), T. Live fait cette réflexion (39. 4) : sed prius se æstas circumegit quam movere ac moliri quicquam rex posset ; tantum navis una capta cum legatis momenti fecit ad dilationem imminentis Romanis belli. La véritable et très simple raison de l'inaction maritime de Philippe pendant les derniers mois de 215 — inaction dont se sont étonnés les modernes —, c'est qu'il ne doute pas que les Romains, avertis de ses projets, ne fassent bonne garde sur mer. — A peine est-il besoin de rappeler que la prétendue tentative de Philippe contre Kerkyra, dont parlent Appien (Maced., 1 s. f.) et Dion (Zonaras, X. 4. 4 init.) et qui ferait suite à la capture de ses ambassadeurs, n'a aucune réalité (erreur de Niese sur ce point : II, 468). Il s'agit de l'expédition de 216 rapportée à une date trop tardive ; cf. Scott, Macedonien und Rom, 58, note 122 ; De Sanctis, III, 2, 364.
[17] L'opinion, si complaisamment reproduite, selon laquelle Philippe n'aurait, dès le principe, été pour Hannibal qu'un allié douteux, n'ayant point, malgré ses engagements, la ferme volonté de passer en Italie (cf. Niese, II, 468), ne se fonde absolument sur rien et ne supporte pas l'examen. Il est trop évident que Philippe avait tout à perdre l'échec des Puniques. Et, d'autre part, de quoi lui eût servi leur victoire, s'il s'était refusé à y contribuer ? Abandonné par lui durant la guerre, Hannibal n'eût pas manqué de l'abandonner lors de la paix. Les modernes, par la niaise déloyauté qu'ils lui prêtent, font de Philippe ce qu'il ne fut jamais — un pauvre d'esprit. Era... chiaro, écrit De Sanctis (III, 2, 409-410), cher i Macedoni o dovevano prima schivare a ogni custo quell'alea (della guerra) o affrontare poi per la vittoria cartaginese qualsiasi rischio, e innanzi tutto quello più grave della spedizione in Italia... Ma certo conduceva alla rovina, e presto, la via intermedia scelta da Filippo [?] : quella di muovere la guerra a Roma, ma di conduria badando solo ai guadagni immediati nella penisola balcanica. Tout ceci, apparemment, n'échappait point à Philippe ; et c'est pourquoi l'on doit croire que la conduite qu'il a tenue, il ne l'a tenue qu'en dépit de soi. S'il n'a point passé en Italie, ce n'est pas qu'il ne l'ait pas voulu, c'est vraisemblablement qu'il en a été empêché — empêché par la négligence qu'ont mise ses alliés à lui rendre l'entreprise possible.
[18] Sur la gravité de la défaite subie à Hibéra par Hasdrubal, qui aurait perdu près de 20.000 hommes : Kahrstedt, 451 , — désastre d'Hasdrubal Calvus en Sardaigne : Liv. 3. 40. 6-41. 7 ; d'après 32. 12, il aurait amené dans l'île environ 13.500 hommes ; Magon envoyé en Espagne avec les troupes destinées à l'Italie : 32. 12 ; pour 'effectif de ses forces (13.500 hommes) : 32. 5. — Pour le total des forces expédiées, en 215, sur les différents théâtres de la guerre (env. 30.000 hommes) : De Sanctis, III, 2, 238, note 56.
[19] A l'époque où mourut Hiéron, les dispositions, hostiles aux Romains, de la famille royale étaient connues de tous ; se rappeler la démonstration significative faite, en 215, par le préteur de Sicile sur le bruit de la mort du vieux roi : Polybe, VII, 3. 5-6. — Une alliance de Cartilage avec le gouvernement de Syracuse devait naturellement avoir pour conséquence l'envoi en Sicile de grandes forces qui aideraient les Syracusains à se débarrasser des Romains ; voir les deux traités conclus, au commencement de 214, entre Hiéronymos et les Puniques : Polybe, VII. 4. 2 ; 4. 7. Armements faits à Carthage dès cette époque : 4. 9. Ces armements n'ont, d'ailleurs, point été poussés bien vivement, comme le montre l'arrivée tardive de la flotte d'Himilko en Sicile : Liv. (P.) 24. 27. 7, et celle, plus tardive encore, de l'armée punique : 35. 3-5.)
[20] Ceci me paraît être l'évidence même. Hannibal et le gouvernement carthaginois n'ignoraient point, sans doute, que Philippe était hors d'état de passer en Italie par ses propres moyens, comme aussi de débusquer les Romains des ports de la Basse-Illyrie. Le premier soin des Puniques, dans leur intérêt même, devait être de remédier à l'impuissance navale du roi. Attendre qu'il se fût construit une flotte de guerre — à supposer, chose fort improbable, qu'une telle flotte fût capable de combattre les Romains avec avantage — eût été retarder très mal à propos le moment de sa venue en terre italienne, il semble, au reste, qu'il fût de règle, quand on demandait à un allié d'outre-mer son concours militaire, de lui fournir les vaisseaux qui transporteraient ses troupes ; voir, par exemple, le traité entre Rhodes et Hiérapytna : Collitz, 3749, l. 22-24 ; se rappeler, d'autre part, le troisième traité de Carthage avec Rome : Polybe, III. 25. 4 — : ici, par une dérogation à l'usage, on spécifie expressément que Carthage fournira les transports même en cas d'appel des Romains. — Il ne me semble pas douteux que l'escadre punique, qui, en 209 et 208, fit enfin mine de se porter au secours de Philippe, ne lui ait été envoyée en vertu de l'alliance de 215. On remarquera que c'est seulement après la retraite et la défaite de cette escadre, lorsque, décidément, il est avéré qu'il ne doit pas compter sur l'assistance maritime de ses alliés, que Philippe songe à se construire une grande flotte. Jusque-là, il persistait à croire, sur la foi des accords conclus, que cette assistance lui était assurée.
[21] La première escadre de Calabre, est composée de 25 vaisseaux. Après la capture des ambassadeurs macédoniens, elle est portée à 50 bâtiments : Liv. (Ann.) 23. 38.7 (non à 55, comme T. Live le dit par erreur : 38. 8-9). Ce chiffre de 50 peut être quelque peu exagéré ; il est toutefois admissible : cf. Kahrstedt, 461, 1. Pour la tâche assignée à P. Valerius Flaccus, præfectus du préteur M. Valerius Lævinus, et à Lævinus lui-même : Liv. (Ann.) 23. 38.9-11 ; 48. 3 (Lævinus envoyé à Brundisiurn) ; 24. 10. 4 ; 11. 3 ; 20. 12 ; 40. 2.
[22] Selon T. Live (Ann.), 23. 38. 9, P. Flaccus aurait embarqué sur l'escadre de Calabre les milites Varroniani, identiques au Terentianus exercitus (32. 16 ; cf. 25. 6 ; 25. 11.). Il s'agit probablement de la legio classica destinée à la Sicile, que M. Marcellus avait conduite à Canusium après la bataille de Cannes (22. 57. 7-8 ; cf. P. Cantalupi, dans les Studi di stor. ant., I, 24-25 ; sur l'origine possible de cette legio classica, voir Kahrstedt, 445, 1). Le fait est qu'à partir de 214, T. Live parle, d'après les Annalistes, d'une légion spécialement affectée à l'escadre que commande M. Lævinus : 24. 11. 3 ; 44. 5 ; 26, 1. 12. Elle aurait été licenciée en 210, après le retour de M. Lævinus en Italie ; 26. 28. 9 ; cf. 28. 2 (voir cependant l'indication contraire qui se trouve dans 27. 7. 15 : la légion reparait, en 209, sous les ordres de P. Sulpicius, puis disparait à nouveau en 208 : 22. 10). A l'examen, l'existence de cette légion parait extrêmement douteuse. Les opérations militaires, peu nombreuses et peu étendues, accomplies par M. Lævinus (combat sous Apollonia en 214 ; prise d'Oiniadai, de Masos et de Zakynthos (moins l'acropole), en 212 ; prise d'Antikyra en 211, avec le concours des Aitoliens commandés par Scopas : 26. 26. 2-3), ne donnent point à croire qu'il disposât d'une infanterie aussi considérable. En pareil cas, eût-il laissé Philippe remporter, en 213, tant de succès en Illyrie, battre si complètement Skerdilaïdas, prendre Lissos et envahir le territoire romain ? Notez, d'ailleurs, que le traité de 212 ne lui prescrit d'opérer que sur mer : 24. 10. Il est vrai que, dans le récit de l'expédition de 214 (24. 40. 5), il est d'abord indiqué que Lævinus transporta de grandes troupes en Illyrie ; mais, comme l'a vu Kahrstedt (461, 1), il y a là une exagération grossière, contredite par la suite du même récit (40. 8). — Il parait certain que Lævinus n'avait que des soldats de marine (épibates), lesquels pouvaient s'élever d'abord — aussi longtemps qu'il eut 50 vaisseaux — à l'effectif de 5 à 6.000 hommes (cf. Kahrstedt, ibid.).
[23] Cf. Liv. (Ann.) 24. 20. 12 sqq. (première tentative d'Hannibal contre Tarente).
[24] Cf. Liv. (Ann.) 23. 38, 11.