MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

PAR ANTOINE-CLAIRE THIBAUDEAU

PARIS - BAUDOUIN FRÈRES - 1824.

 

 

AVERTISSEMENT.

 

CHAPITRE PREMIER. — Ouverture de la Convention nationale.

CHAPITRE. II. — 21 janvier 1793.

CHAPITRE III. — Comité de défense générale. - Dumouriez. - Égalité (d'Orléans). - Influence de la commune de Paris.

CHAPITRE IV. — Mission à l'armée des côtes de La Rochelle. - Guerre de la Vendée. - Journée du 31 mai. - Faction du fédéralisme.

CHAPITRE. V. — La terreur.

CHAPITRE VI. — Des traitements exercés contre le clergé.

CHAPITRE VII. — Persécution de ma famille. - Comité d'instruction publique.

CHAPITRE VIII. — 9 thermidor.

CHAPITRE IX. — Lettre d'un émigré sur la situation des choses après le 9 thermidor.

CHAPITRE X. — Épuration des autorités. - Révision des lois révolutionnaires. - Rappel des 73 députés et autres représentants proscrits le 31 mai. - Thomas Payne. - Comité d'instruction publique, ses travaux, sciences et arts, musées.

CHAPITRE XI. — Changements produits par le 9 thermidor. - Renaissance des sociétés. - Mesdames Tallien, Récamier, de Staël, M. et madame Devaines ; Lehoc.

CHAPITRE XII. — Procès fait aux terroristes Carrier, Barrère, Billaud-Varennes et Collot-d'Herbois. - Journée du 12 germinal.

CHAPITRE XIII. — Journée du 1er prairial. - Assassinat de Ferraud. - Supplice de Bourbotte, Romme, etc.

CHAPITRE XIV. — Projet d'organisation du gouvernement révolutionnaire.

CHAPITRE XV. — Constitution républicaine de l'an III. - Décrets des 5 et 13 fructidor. - Révolte royaliste des sections de Paris.

CHAPITRE XVI. — Journée du 13 vendémiaire. - Les thermidoriens retournent à la Montagne.

CHAPITRE XVII. — Réaction et assassinats royalistes.

CHAPITRE XVIII. — Journée du 1er brumaire. - Projet de continuer le gouvernement révolutionnaire déjoué. - Fin de la session de la Convention nationale.

 

CHOIX DE MES OPINIONS DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS À LA CONVENTION.

Rapport sur la Marine. — Rapport sur le recueil des actions héroïques des républicains français. — Opinion sur la Constitution de 1793. — Opinion sur les sociétés populaires. — Opinion sur le maximum. — Rapport sur le Muséum d'Histoire naturelle et le Jardin des Plantes. — Motion de réviser les lois révolutionnaires. — Motion sur le gouvernement et l'administration. — Opinion sur le Gouvernement. — Proposition d'une pompe funèbre en l'honneur des amis de la liberté qui ont péri sur l'échafaud. — Opinion sur la constitution de l'an III. — Opinion sur le pouvoir exécutif. — Opinion sur l'élection des membres du Directoire. — Opinion sur la responsabilité du pouvoir exécutif. — Opinion sur le jury constitutionnaire. — Opinions sur l'organisation du ministère.

 

AVERTISSEMENT.

 

LORSQU'EN 1815 je rentrai dans la vie privée, ma première pensée fut de me créer des occupations pour employer mon temps et charmer mes loisirs. Accoutumé pendant toute ma vie au travail, il m'eût été impossible de vivre sans rien faire, et j'aurais fini par céder au chagrin et à l'ennui, si je n'avais cherché à me distraire d'une situation qui ne manquait pas d'amertume. Le sort m'avait jeté en Allemagne. Si j'avais eu un métier ; j'aurais pu l'exercer ; mais j'avais passé ma vie à faire des lois et à administrer : ce n'était pas un genre d'industrie qui eût cours à l'étranger. Je me décidai donc à écrire.

J'eus la velléité d'entreprendre une Histoire de la révolution. Je fus bientôt convaincu que cette entreprise, telle que je la concevais, était au-dessus des forces d'un, seul homme, et surtout dans un pays où l'on ne pouvait s'aider des lumières et des conseils de personne, et où l'on n'aurait pu se procurer qu'avec beaucoup de peine et à très-grands frais les documents et matériaux indispensables pour écrire cette histoire.

Je me bornai donc, au moyen de quelques notes que j'avais sauvées de mon naufrage, à mettre par écrit mes souvenirs. Un ouvrage de cette espèce ne pouvait être que très-incomplet et bien au-dessous du caractère sévère de l'histoire. Ainsi je ne le donne que pour ce qu'il est, un recueil qui contient à la fois des espèces de Mémoires et des fragments historiques.

Après cet aveu, on s'étonnera que je le publie : je dirai les motifs qui m'y déterminent.

Entré dans le monde avec la révolution, je suis resté vingt-cinq ans dans la carrière publique. Je n'y ai point joué les premiers rôles ; mais je n'y ai pas été au dernier rang, et, sans avoir acquis une grande célébrité, je ne suis point demeuré inconnu. Tant que j'ai été acteur sur ce théâtre, je ne me suis inquiété ni des applaudissements ni des sifflets. J'ai été mon droit chemin, faisant de mon mieux. Jamais on ne me vit descendre dans l'arène pour répondre à des accusations, me justifier ou faire mon apologie. Il est vrai que jamais je n'éprouvai d'attaques capables de me nuire aux yeux du public, ni d'alarmer ma conscience.

Depuis les évènements qui m'ont fait descendre de la scène, frappé individuellement par le sort, et impliqué dans des accusations générales et contre les hommes et contre les choses, j'ai aussi supporté en silence le poids de ma destinée, laissant au temps le soin de calmer les passions, et attendant une époque où, sans être soupçonné de vouloir les exciter, il fût permis de parler de soi, de ses sentiments, de ses opinions et d'objets déjà loin de nous, sur lesquels s'exerce chaque jour la plume des écrivains. Pour moi cette époque me paraît arrivée, pour moi à qui les années déjà passées ne promettent plus un long avenir. Je n'ai jamais aspiré à la renommée ; mais j'ai toujours eu quelque soin de ma réputation ; et si elle est de peu d'importance pour le public, elle en a une très-grande pour un homme qui la regarde comme le bien le plus cher à conserver et à transmettre.

Je ne veux point me faire meilleur, ni qu'on me croie pire que je n'ai été. En rapportant les évènements dans lesquels j'ai figuré, je n'ai d'autre but que de les représenter tels que je les ai vus et jugés, et de me rétablir aux yeux du public tel que j'ai été moi-même, sans rien dissimuler et sans rien abjurer. D'ailleurs ce serait en vain qu'on chercherait à lui en imposer. Nos actions et nos discours sont constatés par des monuments qui ne permettent pas de dénaturer impunément la vérité. Loin de les récuser, c'est leur témoignage que j'invoque.

Abstraction faite de ce qui me concerne personnellement, peut-être trouvera-t-on dans mes récits et mes jugements des faits et des aperçus qui ne seront pas tout-à-fait inutiles à l'histoire.

Peut-être aussi trouvera-t-on téméraires quelques-uns de mes jugements sur les personnes que je ne peux éviter de nommer ; peut-être plusieurs de mes opinions sur les choses paraîtront-elles erronées ; mais ces opinions je les ai eues, et ces jugements je les ai formés la plupart aux époques et lors des évènements auxquels ils se rapportent. Bien plus, je les ai dans le temps même fixés par écrit, et je n'ai pas cru devoir y rien changer depuis. Je rapporte fidèlement ce que j'ai vu, entendu et pensé. Je n'ai point eu alors l'intention de faire des satires ; je n'ai jamais sacrifié non plus à des ménagements pusillanimes ce que j'ai cru la vérité. D'ailleurs des torts et même des délits politiques n'ont jamais été des crimes à mes yeux. Il y a beaucoup d'hommes que j'ai attaqués et combattus à outrance, lorsque nous étions aux prises et que je croyais remplir un devoir ; et quand nous avons été sortis de la carrière, je leur ai tendu la main, et je les ai trouvés sans rancune. Je ne suis resté irréconciliable, et encore moins par haine que par délicatesse, qu'avec un petit nombre d'individus justement flétris par tous les partis. Des hommes que je n'ai cessé d'estimer auraient donc grand tort de se formaliser de ce que ma plume aurait laissé tomber du blâme, ou rapporté des choses qui sembleraient en attirer sur leur conduite politique à quelques-unes de nos époques : pour moi je sens que je n'en ai jamais voulu à qui m'a fait de semblables reproches, et j'ai toujours pensé que les actions et les discours des hommes publics, dans le cours de leurs fonctions, étant justiciables de l'opinion, ils devaient courir la chance de ses jugements.