MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

OPINION SUR L'ORGANISATION DU MINISTÈRE.

26 FRUCTIDOR AN III.

 

AVANT de cesser vos fonctions conventionnelles, vous devez préparer, pour toutes les branches de l'établissement public, les moyens d'action qu'elles réclament et leur donner ainsi la vie : je viens en conséquence vous présenter l'organisation du ministère, conformément aux dispositions principales que contient la constitution, et aux principes qui ont dirigé la commission des onze dans cette matière.

Elle a toujours distingué deux choses dans le pouvoir chargé de l'exécution des lois ; la pensée et l'action, le gouvernement et l'administration.

Cette distinction n'était pas nouvelle, peut-être ; mais on ne la trouvait nulle part assez fortement exprimée.

La confusion de ces deux fonctions entraine à sa suite tous les abus, tous les embarras que nous offre le système actuel de gouvernement dans les comités de la Convention, et dans les commissions exécutives.

Nous avons eu l'intention de les séparer, en vous proposant un Directoire exécutif et des ministres.

C'est dans ce Directoire que résident la pensée, la délibération et l'ensemble du gouvernement ; c'est à ce foyer que doivent se former les divers rayons qui y aboutissent, les grandes conceptions qui embrassent à la fois tous les besoins des gouvernés et toutes les parties de l'État.

En sortant du Directoire, tout se divise naturellement entre les ministres, suivant la nature de leurs fonctions : c'est là que la délibération finit, et que l'action commence à se communiquer rapidement à tous les degrés de l'échelle administrative. Si le Directoire, après avoir délibéré en commun, veut agir ensuite par ses membres dans chaque département du ministère, l'institution est dénaturée, tous les éléments du gouvernement sont confondus, et sa marche entravée d'une foule d'obstacles.

Alors les membres du Directoire, pour ainsi dire, noyés dans les détails, perdent de vue les grands objets qui doivent sans cesse les occuper ; alors tout languit dans l'administration publique. Le ministère devient inutile, puisque lés ministres ne sont plus que de simples commis et deviennent bientôt des esclaves.

L'exemple de ce qui se passe aujourd'hui consacre ces réflexions : ce ne sont point ceux qui délibèrent sur les moyens de défendre une grande république contre ses ennemis extérieurs qui doivent créer ces moyens et les mettre en mouvement ; ce ne sont point ceux qui embrassent d'un coup-d'œil tout le système diplomatique de l'Europe, qui doivent entretenir les correspondances habituelles relatives à cet objet ; ce ne sont point ceux qui recueillent des observations générales sur l'administration intérieure, sur l'économie politique et sur les mœurs nationales, qui doivent suivre tous les détails de l'administration.

Les plus éminentes de ces fonctions appartiennent au Directoire, et les autres sont aux ministres : il faut donc que le Directoire, semblable à un conseil d'État, gouverne seulement et que les ministres agissent.

Cette distinction est, à la vérité, difficile à tracer dans un décret, et c'est pour cela que nous avons cru nécessaire de la rappeler et de la graver, pour ainsi dire, d'une manière solennelle, en la déposant dans ce rapport sur le frontispice de la loi que DOM vous proposons.

Plusieurs questions se sont présentées à l'examen de la commission dans l'organisation du ministère ; savoir, le nombre des ministres leurs attributions respectives, leur responsabilité et leur traitement.

Il est statué par la constitution que le nombre des ministres est de six au moins et de huit au plus. On a voulu, par cette disposition, écarter deux systèmes également destructifs de toute administration ; une trop grande .division ou une réunion, trop forte des objets dont elle se compose.

Avant de nous déterminer pour un nouveau moyen que l'expérience du passé comme celle de tous les jours nous a fait adopter, nous avons opéré le rapprochement des parties de l'administration générale, que leur nature rend dépendantes l'une de l'autre ; qui doivent marcher ensemble, et qui ne peuvent marcher qu'ensemble, à cause de leur analogie.

C'est le seul procédé à suivre dans cette matière, et le résultat de cette opération indigne digne manière précise les bornes des départements respectifs du ministère.

Quelques personnes auraient désiré qu'on créât un ministre pour chaque branche de l'intérêt national à raison de son utilité et de son influence sur la prospérité générale ; mais ce système multiplierait les départements du ministère au-delà du maximum fixé par la constitution et diminuerait trop encore toutes les parties de l'administration. L'un demande un ministre pour l'agriculture, l'autre pour l'instruction publique, un autre pour le commerce ; car il n'y a que ces divers objet formant une partie des attributions du ministre de l'intérieur qu'on puisse avec raison proposer d'en retrancher. Nous avons donc examiné les motifs sur lesquels on s'est fondé à plusieurs époques de la révolution pour demander la division du département de l'intérieur.

Dans l'Assemblée constituante, on disait qu'il était dangereux de confier des fonctions aussi étendues à un seul homme, et qu'il était très-difficile d'en trouver un qui fût capable de porter un pareil fardeau. On proposait en conséquence de partager le département de l'intérieur eu cinq divisions, et de confier chacune d'elles à un directeur général, mais toujours sous les ordres d'un ministre, ce qui n'était plus alors dans le fait qu'un seul département avec des bureaux organisés d'une manière nouvelle. Aussi, l'Assemblée constituante ne conserva-t-elle qu'un ministre pour toutes les attributions du département de l'intérieur.

Au commencement de la session de la Convention, on demanda encore que le département du ministère fût divisé ; on allégua les raisons que j'ai rapportées ; on se plaignait amèrement surtout de l'existence d'un bureau d'esprit public, et on proposa de diviser le département de l'intérieur entre deux ministres dont l'un devait avoir le système administratif, et l'autre tout ce qui tient à l'économie politique.

Ce projet de division fut encore rejeté, et on fit dans la suite, en établissant des adjoints, une organisation à peu près semblable à celle qui avait été proposée par le comité de constitution de l'Assemblée constituante.

Nous ne parlerons point de l'état actuel des choses où l'on peut à peine retrouver les diverses attributions du ministère de l'intérieur, disséminées entre une infinité de commissions et d'agences.

Votre commission, après avoir examiné la nature des objets dont se compose le département de l'intérieur, a pensé qu'il suffisait d'un ministre pour le diriger.

En effet, l'économie politique et le système administratif, quoique susceptibles de division dans la théorie et dans l'ordre scientifique, se tiennent essentiellement dans la pratique et dans l'ordre social.

L'économie politique est le but, les administrations sont les moyens.

Si ces deux objets sont séparés, on peut dire que la manufacture est d'un côté, et que les matières premières sont de l'autre.

Tout reste dans l'inertie, si deux volontés ne s'accordent, et c'est ici surtout que l'unité est nécessaire, parce qu'il ne s'agit purement que de l'action ; il faut donc placer sous la main les divers instruments qui doivent lui donner de la rapidité.

Quoique dans l'État rien ne doive être étranger au gouvernement, et qu'il soit institué pour tout connaître et tout observer, il y a cependant plusieurs objets, dans l'économie politique surtout, dont il ne doit pas se mêler.

Il y a des choses sur lesquelles un bon gouvernement doit influer, pour ainsi dire sans paraître, semblable à la cause puissante qui féconde la terre et qui régit tout dans la nature sans se montrer aux humains.

On sent bien que je veux parler de l'agriculture, du commerce, des arts et de l'industrie.

Quelle que soit l'importance de ces divers objets, il est inutile d'établir plusieurs ministres exprès pour les surveiller, et pour recueillir des observations générales. Ils voudraient bientôt tout réglementer, tout diriger, au lieu de se borner à la surveillance.

Cette fureur de se mêler de tout est également nuisible aux gouvernements et aux gouvernés, car le gouvernement qui veut tout diriger, se charge de toutes les fautes et se rend comptable de toutes les erreurs.

Les gouvernements ont deux grandes affaires très-capables d'occuper toute leur attention, a dit un publiciste célèbre ; celle de maintenir l'ordre et la justice parmi les citoyens, et celle de défendre l'État.

ces deux vastes occupations est subordonné, comme moyen, le recouvrement dès deniers qu'elles exigent, et la dispensation de ces deniers ; tout le reste est étranger à l'administration, et doit être laissé à l'industrie particulière. Dès que le gouvernement s'en mêle, il gâte ce qu'il dirige, c'est le bras d'Hercule qui veut cultiver une tendre plante ; il la mutile, il l'écrase.

La division de toutes les autres parties du ministère est tellement établie par l'usage de tous les grands États, par la nature des choses et par les besoins des nations, dans l'ordre actuel existant en Europe, que nous n'y apporterons que quelques légers changements.

Nous proposons, par exemple, de confier au ministre de la justice dont les fonctions ne sont point d'ailleurs très-étendues, une partie de celles du ministre de l'intérieur, ou plutôt un objet qui leur était commun, et qui dès lors était mal rempli et était devenu une source de difficultés. Je veux parler de l'envoi des lois. L'exactitude, la bonté, l'activité et l'Uniformité du service exigent que ce soit le même agent qui soit chargé de lei envoyer à toutes les autorités constituées.

Ainsi nous vous proposons de diviser le ministère en six départements, savoir :

La justice, l'intérieur, la guerre, la marine, les finances et les relations extérieures.

C'est avec les six ministres que les autorités constituées et les commissaires du Directoire exécutif doivent correspondre, et non avec le Directoire. Quoique cet ordre paraisse très-naturel, nous avons cru devoir le rappeler dans un moment où la distinction de toute hiérarchie administrative a confondu les notions les plus simples, et dénature toutes les idées.

La constitution porte que les ministres sont responsables de l'inexécution des lois et des arrêtés du Directoire exécutif. Quoiqu'on ne doive plus attacher aujourd'hui à la responsabilité des ministres d'un gouvernement, lui-même responsable, la même importance qu'à celle des ministres d'un monarque inviolable, nous avons pensé néanmoins que cette responsabilité dans un gouvernement libre devait s'étendre à tous les délits contre la sûreté de l'État et contre la constitution, à tout attentat à la liberté et à la propriété individuelle, à tout emploi de fonds publics sans les formalités prescrites par la constitution, et aux dilapidations.

Nous ne nous sommes point arrêtés à un système que nous regardons comme destructeur de tout gouvernement, celui de donner aux citoyens le droit de poursuivre un ministre en justice. Nous avons cru que ce n'était plus aussi au corps législatif qu'il fallait attribuer ce droit, mais bien au Directoire exécutif. La raison de cette innovation résulte de la responsabilité du Directoire ; c'est pour cela qu'il a le droit de choisir et de révoquer à son gré ses ministres ; il serait absurde de ne pas lui laisser celui de les traduire devant les tribunaux, et il serait contraire à la constitution de donner au corps législatif un moyen d'arrêter la marche du pouvoir exécutif, en attaquant sans cesse les ministres. Il ne doit d'ailleurs exister aucun rapport immédiat entre le corps législatif et les ministres, si l'on veut que l'autorité du Directoire ne soit point illusoire, et qu'il y ait quelque stabilité dans le gouvernement.

Nous avons trouvé dans une disposition de l'Assemblée constituante sur cette matière, un moyen de concilier à la fois le respect et la considération dont les premiers agents du gouvernement doivent être investis avec le droit qu'ont les citoyens lésés par un acte d'administration d'en exiger la réparation. Ainsi l'action en dommages-intérêts ne peut avoir lieu contre un ministre pour faits de son administration, que lorsqu'ils ont donné lieu à un acte d'accusation ; cette action n'est qu'accessoire et doit même être sujette à prescription.

 

FIN DE L'OUVRAGE