APRÉS le 31 mai, le comité de salut public nomma de nouveaux représentants dans les départements, pour y propager les prétendus bienfaits de cette journée, et pour y rechercher les partisans du fédéralisme. Deux de mes collègues, députés du département de la Vienne, y furent envoyés ; c'étaient d'eux montagnards déterminés qui rachetaient leur obscurité par la violence de leurs opinions et leur dévouement aveugle à la terreur. Je n'avais jamais eu la pensée de leur nuire ; ils me déclarèrent une guerre à mort par jalousie ou par fanatisme politique. Ils destituèrent tous les fonctionnaires, et les remplacèrent par des hommes à leur dévotion. J'avais fait à la Convention nationale un rapport de ma mission, il fut brûlé à la société populaire de Poitiers ; je fus rayé de la liste de ses fondateurs ; on y délibéra une adresse à la Convention pour me dénoncer comme conspirateur ; on posa des sentinelles aux portes de la salle, et l'on arrêta que ceux qui refuseraient de signer seraient traités comme suspects. Elle fut envoyée à toutes les sociétés affiliées. Mon père, le père, la mère, deux frères, trois oncles et trois tantes de ma femme furent arrêtés ; des patriotes, mes amis le plus intimes, qui avaient avec moi pris le parti de la révolution, éprouvèrent le même sort. Plusieurs d'entre eux auraient peut-être échappé à la proscription en se réunissant à mes ennemis, ou en gardant le silence ; ils préférèrent les fers et la mort. M. Tribert, mon beau-père, avait, comme je l'ai déjà dit, marché des premiers contre les rebelles de la Vendée, à la tête de deux compagnies de grenadiers de la garde nationale de sa commune. Fait prisonnier après une glorieuse défense, au mépris d'une capitulation, trainé de cachots en cachots par les Vendéens, condamné à être fusillé avec deux cent quarante compagnons de sa captivité, conduit au lieu de leur supplice, il avait donné à ses camarades le signal de la résistance. Après avoir désarmé et mis en fuite leurs bourreaux, ils s'étaient sauvés à travers mille dangers. Arrivé à Nantes comme par miracle, M. Tribert, épuisé par plusieurs mois d'angoisses et de souffrances, fut atteint d'une longue et cruelle maladie. A peine fut-il rentré dans ses foyers qu'il y fut arrêté et dévoué à l'échafaud. Mes persécuteurs avaient, sur tous les points de mon département, de fidèles échos de leurs calomnies, et de lâches ministres de leurs vengeances. On décachetait mes lettres, on interceptait toute communication avec ma famille ; dans une de ces lettres je disais : Qu'espérer lorsque la probité et la vertu ne sont à l'ordre du jour que dans les décrets de la Convention, et que les intrigants qui occupent la plupart des places en violent avec impudence les premières notions ? On m'accusa d'avoir entretenu une correspondance subversive de l'esprit public, et contraire à l'énergie du gouvernement républicain. Enfin, je m'eus plus de relations qu'avec une jeune sœur de dix-huit ans, qui brava, avec un dévouement héroïque, les menaces et les poignards des assassins. Je crois que le malheur des autres ne m'eût point trouvé insensible, et que, lorsque la terreur ne m'eût pas menacé moi-même, je n'en eusse jamais été ni le complice, ni l'apôtre. Mais je ne rougirai point de l'avouer, la proscription des plus purs patriotes, la persécution de ma famille et de mes amis, les odieuses injustices dom, j'étais abreuvé, dessillèrent mes yeux, et allumèrent dans mon âme cette indignation que depuis je fis éclater avec tant de force, et qui me donna le courage de paraître à la tribune, et d'attaquer les tyrans. Pendant leur règne j'y montai deux fois pour demander justice de tous les attentats qui se commettaient dans mon département, et pour justifier mon père, dont l'innocence et le patriotisme criaient vengeance. Ma voix fut étouffée par des clameurs ; l'on refusa de m'entendre ; on me renvoya au comité de sûreté générale. J'y allai plusieurs fois, je parlai, j'écrivis, je n'y trouvai que des cœurs insensibles à d'injustes malheurs, de feu pour accueillir mes persécuteurs, de glace pour m'entendre ; et des regards sombres et farouches semblaient me dire : Prends garde, tu as toi-même un pied sur l'échafaud. Comment peindre les tourments qui déchiraient mon âme ! Que de jours passés dans les alarmes et de nuits dans les angoisses ! Quoique innocent des malheurs de ma famille, je me reprochais d'en être la cause ; frémissant à chaque instant de voir les objets de mes plus chères affections dans ces tombereaux funèbres dévoués à la mort, je faisais des vœux pour qu'elle les frappât dans leurs prisons. Je ne la craignais point pour moi, le supplice ne me semblait plus que le terme d'une vie quels perversité des hommes me rendait insupportable. En voyant passer quelquefois, sous mes fenêtres, ces fatales charretées de victimes avec le sourire de la résignation, je me disais : Lorsqu'on va à l'échafaud d'un air serein, ne sont-ce pas les juges qui dont coupables ? Ne pouvant écarter l'orage, je pris le parti de gagner du temps ; un de mes beaux-frères avait été traduit au tribunal révolutionnaire. J'allai voir Fouquier-Tinville accusateur public, pour lui demander un délai : retarder le jugement, c'était retarder la mort. Je recommandais à ma sœur d'employer tous ses soins pour faire oublier nos parents et nos amis, et d'endormir le tigre puisqu'on ne pouvait pas le fléchir. Participer à la terreur qui couvrait la France de deuil, et qui me menaçait, moi et les miens, c'eût été une épouvantable lâcheté. En m'isolant entièrement des autres je me serais rendu inutilement suspect ; les dominateurs ne trouvaient pas mauvais que les membres du côté droit, décimés le 31 mai, conservassent, dans leur silence, l'attitude d'un parti vaincu, ni que le ventre restât ventre. Mais la montagne n'eût pas supporté qu'un député qui y siégeait, quelque obscur qu'il fût, se donnât par son inaction, l'air d'un mécontent. J'espérais d'ailleurs qu'en me rendant de quelque utilité, je m'en ferais. un mérite pour ralentir au. moins les effets de la persécution qui pesait sur ma famille. Les comités les moins importants de la Convention étaient abandonnés à la foule ; il suffisait d'en choisir un par la simple inscription de son nom pour en être membre. Je choisis dans celui d'agriculture et de commerce ; il n'y en avait pas de moins couru ni de plus innocent. L'agriculture allait toute seule et comme elle pouvait ; le commerce périssait d'éthisie par la guerre et le maximum : il était d'un autre côté dans la pléthore par l'abondance des assignats. Avec la meilleure volonté du monde, il n'y avait rien à faire à cet état de choses. Je m'occupai donc de l'instruction publique. L'Assemblée constituante n'avait fait que de beaux discours sur cette matière ; les universités, création de la monarchie, s'étaient écroulées avec elle ; quoiqu'elles n'eussent pas suivi la marche du temps, elles avaient fait beaucoup de bien, et méritaient peut-être un autre sort ; mais la faux révolutionnaire ne réformait point elle abattait et faisait place nette. La Convention voulut élever un édifice tout neuf ; elle ne se bornait pis à l'instruction, elle embrassait aussi l'éducation publique, si négligée dans les universités, et chez tous les peuples modernes. L'entreprise était difficile : parmi les chefs révolutionnaires d'alors, il y en avait qui regardaient les lumières comme des ennemies de la liberté, et la science comme une aristocratie ; ils avaient leurs raisons pour cela. Si leur règne eût été plus long, ou s'ils l'eussent osé, ils eussent fait brûler les bibliothèques, égorgé les savants, et replongé le monde dans les ténèbres. Ils répétaient contre les sciences les sophismes éloquents de quelques écrivains humoristes ; elles étaient, disaient-ils, la source de toutes les erreurs, de tous les vices, de tous les maux de l'humanité : les plus grands hommes s'étaient formés d'eux-mêmes, et non dans les universités et les académies. Ces déclamations flattaient la multitude ; les ignorants étaient ennemis des lumières par la même raison que les pauvres le sont des richesses. Ainsi Legendre qui, tout boucher qu'il était, avait parfois des éclairs très-brillants d'éloquence naturelle, se croyait un Mirabeau. Il ne lisait que les Mémoires du cardinal de Retz, qu'il appelait le bréviaire des révolutionnaires. Il disait que tout le reste n'était que fatras, et qu'il écrirait sur un de ses ongles toutes les vérités utiles contenues dans des milliers de volumes. On ne pariait donc que de ramener l'homme aussi près que possible de l'état de nature. Cependant, dans les divers plans que l'on proposait, il n'y avait rien de nouveau, on allait chercher des modèles dans les anciennes républiques. Rome et Athènes ne pouvaient convenir à des gens qui ne voulaient que du pain et du fer, ils donnaient la préférence aux lois sévères de Sparte. Il y avait même des hommes très-éclairés qui donnaient dans ces chimères. Ainsi Le Pelletier, je ne peux dire si ce fût par conviction, proposa son plan d'éducation commune. Il fit fortune parmi les Spartiates, et fut adopté par. le comité de salut public. Robespierre était tout-à-fait dans ces principes il dit à la tribune : Vous sentirez la nécessité de rendre l'éducation commune et égale pour tous les Français. Il ne s'agit plus de former des messieurs, mais des citoyens. La patrie seule a le droit d'élever ses enfants ; elle ne peut confier ce dépôt à l'orgueil des familles ni aux préjugés des particuliers, aliments éternels de l'aristocratie, et d'un fédéralisme domestique qui rétrécit les aines en les isolant, et détruit avec l'égalité tous les fondements de l'ordre social. On était embarrassé du château de Versailles on proposa d'en faire une maison d'éducation ; on calculait qu'il pourrait contenir dix mille enfants. J'avais fait de grandes recherches, et lu tout ce qui avait été écrit sur cette matière par les anciens et les modernes. Mes réflexions sur l'état actuel de la société, et mes propres sensations comme époux et père, car dès-lors j'étais l'un et l'autre, me soulevèrent contre un système séduisant en théorie, mais qui faisait violence à la nature, qui privait la société de son lien le plus fort, celui de la famille, et qui me paraissait impraticable. Deux fois le plan de Le Pelletier fut présenté par, le comité d'instruction publique ; à chaque fois je le combattis, et il fut rejeté. Mes deux discours firent quelque sensation, et la Convention, sur la proposition de David, m'adjoignit au comité. Mon système était fort simple. L'éducation domestique, un grand luxe d'instruction primaire, quelques établissements nationaux pour l'enseignement des ans et des sciences utiles, la libre concurrence des établissements privés, limitée seulement par une surveillance raisonnable : Faites naître, disais-je, dans les parents, par vos institutions et vos lois, un intérêt puissant à élever leurs enfants dans l'amour de la république. Voilà tout le secret, il n'y en a point d'autre. J'eus souvent occasion, dans le comité d'instruction publique, dans ses réunions avec celui de salut public pour cet objet, de développer et de soutenir ces principes, qui à la fin prévalurent. Une fois membre du comité d'instruction publique, je m'occupai avec assiduité des diverses parties dont il était chargé, et je passais dans la bibliothèque qui y fut établie tout le temps que me laissaient les séances de la Convention. Il était en général composé d'hommes modérés, car il y avait là fort peu d'influence à exercer sur les personnes et d'occasions de jouer un grand rôle dans la politique. Les temps n'étaient guères favorables pour proposer et faire réussir des plans utiles ; on s'y occupait donc principalement à donner des secours et des encouragements aux hommes de lettres, aux savants et aux artistes que les circonstances réduisaient à la misère, à opposer une digue aux dévastations du vandalisme, et à conserver cette masse considérable de richesses scientifiques et d'objets d'art, que la suppression des maisons religieuses, et la confiscation des biens d'émigrés avaient mise dans les mains de la nation. L'abbé Grégoire fut un des membres du comité qui y développa lé plus de zèle et rendit le plus 'de services : on connaît ses rapports, ils étaient courageux pour le temps. C'était un vrai républicain, actif, laborieux et désintéressé. Quoique prêtre et fidèle à son état, lorsque tant d'autres l'abjuraient, il était aussi ennemi du fanatisme que du despotisme et de toute espèce de tyrannie. Parmi les autres membres du comité se trouvaient : Le peintre David, la gloire d'une école qui avait eu Vien pour créateur. Il avait la dictature des arts. Par son talent, nul autre n'en était plus digne. Ses élèves se faisaient remarquer comme lui par l'exagération de leur patriotisme ; et la plupart de leurs compositions en étaient empreintes. Ils se distinguaient aussi par ce costume du moyen âge, dont on voulut, un instant, faire le costume national. On a reproché à David d'avoir, par jalousie, persécuté quelques artistes. Je ne m'en suis jamais aperçu. II y en avait un petit nombre qui tenait à l'aristocratie, moins par opinion que par reconnaissance, car la révolution régnait dans tous les ateliers. Comme patriote, David a pu leur être contraire ; comme artiste, la supériorité de son talent ne pouvait le rendre accessible au sentiment d'une basse rivalité. La difformité de ses traits et une certaine rudesse de manières ne prévenaient pas en sa faveur ; mais dans l'intimité, il avait de la simplicité et de la bonhomie. Fourcroy ; il tenait le sceptre des sciences naturelles et physiques, comme David celui des arts ; de plus, dans la société parleur facile ; à la tribune, orateur agréable, et à, professeur presque sans égal. Républicain ardent, irritable, mais éclairé, il fut aussi accusé d'avoir précipité vers l'échafaud, ou laissé périr des savants qui, comme lui, étaient au premier rang dans la carrière. Je voyais Fourcroy tous les jours : il avait de l'amitié pour moi ; jamais je ne lui surpris une parole, ni un sentiment capables d'ébranler la haute estime que j'avais autant pour son caractère moral que pour ses grands talents. Je n'ai connu de lui que de nombreux services rendus aux sciences et à ceux qui les cultivaient. Duhem, médecin, fameux par la violence de ses cris dans la Convention. Il ne les épargnait pas non plus dans le comité. Il dit, un jour qu'on y citait J.-J. Rousseau, que c'était un aristocrate et un fanatique, et que s'il eût encore vécu, t'eût été un homme bon à guillotiner. Heureusement, les hommes de ce tempérament n'étaient pas communs au comité. Edme Petit ; il avait une grande franchise, et disait, sur les choses et sur les hommes, des vérités toutes crues qui contrastaient fortement avec les opinions régnantes. On les lui pardonnait en faveur de son originalité. C'était un homme de bien, un adorateur passionné de J.-J. Rousseau, de sa personne et de ses écrits. Il affectait dans ses manières et ses expressions cette rudesse qu'on est convenu, par un contre-sens, de prendre pour l'enseigne de la philosophie. Plaichard Choltière, bon et brave homme, qui dormait depuis le commencement jusqu'à la fin des séances ; probablement le plus sage, et sans contredit le plus heureux de nous tous. Léonard Bourdon, que l'on appela ensuite Léopard, et qui s'occupait par-dessus tout de faire fleurir sa maison d'éducation aux dépens des autres établissements de cette espèce. La plupart de nos travaux étaient obscurs, car ils se bornaient à empêcher, autant que possible, le mal et la destruction. Le comité avait la surveillance de tous les établissements scientifiques et de l'instruction, des collections et dépôts. Nos occupations n'avaient point d'amertume, nous n'avions affaire qu'à des livres, des tableaux, des statues, des hommes de lettres, des artistes et des savants. Nous étions journellement en rapport avec des hommes du premier mérite, tels que Daubenton, Lagrange, Monge, Prony, Corvisart, Bernardin de Saint-Pierre, etc. Les uns, par patriotisme, les autres, pour éviter la proscription, tous par amour des sciences et des arts, nous apportaient le tribut de leur zèle et de leurs lumières. Nous étions bien assaillis aussi par une tourbe de gens qui croyaient suppléer à la médiocrité de leurs talents par la chaleur de leur patriotisme ; mais nous ne nous laissions point imposer par leurs clameurs. Par exemple, un citoyen D..., directeur des arts à Bergues, avait apporté à, Paris un très-mandais tableau de sa composition, représentant la bataille d'Hondscoote, et demandait à être chargé de suivre les armées pour peindre les batailles. C'était tout simplement une spéculation financière. Sa demande fut renvoyée au comité d'instruction publique ; je fus chargé d'en faire le rapport. Je n'épargnai pas la médiocrité de l'artiste, quoiqu'il l'eût mise sous la protection de son républicanisme ; et, quant à son projet, je le combattis par les considérations suivantes, qui déterminèrent la Convention à le rejeter : Ce serait se faire une bien petite idée de la plus étonnante des révolutions, que de croire qu'il appartient à la peinture d'en perpétuer le souvenir. L'existence de la patrie, cette nouvelle république fondée, la face de la France changée par la puissance du peuple et par vos lois ; les champs de bataille, les fleuves les mers, teints du sang de vos .ennemis, tous ces lieux témoins de nos exploits ; voilà les monuments de notre gloire ! Malheur à nous si la mémoire s'en perd dans la Postérité ! C'est que nous aurons perdu notre énergie, avili nos triomphes et dégradé nos travaux. Croit-on qu'alors de frivoles peintures feraient revivre ce que nous aurions éteint nous-mêmes par nos propres fautes ? Entretenons nos armées, honorons leurs victoires en les utilisant ; consolidons la république par de bonnes lois et de bonnes mœurs. L'école des sourds et muets était dirigée par l'abbé Sicard, originaire de Bordeaux : au fond, ennemi de la révolution, mais, courtisan adroit, il savait se plier aux circonstances. On lui reprochait aussi d'être très-intéressé, un peu charlatan, et de briller d'un éclat emprunté au génie modeste de l'abbé de l'Épée, son prédécesseur et soli maître. L'abbé Sicard eut beaucoup de peine à se sauver de la terreur. Il ne dut .son salut qu'à plusieurs membres du comité, qui ne le trouvaient pas bien dangereux comme personnage politique ; et surtout à l'impossibilité où l'on croyait être alors de le remplacer. Il est assez singulier que cette considération pût l'emporter sur la raison d'état de ce temps.-là, à laquelle on avait sacrifié des hommes aussi précieux, et des établissements non moins utiles. Mais celui des sourds et muets était populaire et en faveur, sans doute parce qu'il avait pour objet de faire participer par l'art, aux dons communs et les plus nécessaires de la nature, des êtres malheureux à qui elle les avait refusés. Le Jardin des Plantes était sous la direction du vieux Daubenton qui avait l'aspect et la bonhomie d'un patriarche. Les frères Thouin y soignaient la culture comme de simples jardiniers : l'aîné réunissait la science à la pratique ; c'était comme une famille de bons laboureurs. Jussieu, Lamarck, Fourcroy y étaient chargés des diverses branches de l'enseignement. Malgré la pénurie des financés, l'ordre et la régularité ne cessaient de régner dans toutes les parties de ce superbe établissement. Les agitations révolutionnaires semblaient s'arrêter à sa porte, elles n'y ralentirent point le zèle, elles n'y troublèrent point la bonne intelligence. Fourcroy était le patron du Jardin des Plantes, d'autres ont dit le tyran. Des faits notoires confondent ici la calomnie. La Convention avait ordonné la rédaction d'un Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français, pour être envoyé aux municipalités, aux sociétés populaires, aux écoles, aux armées, et être lu publiquement le décadi. paraissait par numéros. Léonard Bourdon en avait déjà rédigé quatre. On n'en fut pas content, et l'on m'en confia la rédaction. Ce recueil fut abandonné après le 9 thermidor. La Convention avait établi des instituteurs sur tous les vaisseaux de vingt canons et au-dessus. Elle avait ordonné qu'il serait fait une édition soignée de la déclaration des droits de l'homme, 'et de la constitution, auxquelles seraient ajoutées des notes explicatives et simples, et des traits historiques choisis de préférence parmi les actions des défenseurs de la liberté. Trois hommes de lettres en avaient été chargés ; un mois s'était écoulé, et ils n'avaient encore fait qu'un discours préliminaire. Le comité me confia ce travail, je le terminai dans quelques jours. C'était une espèce d'instruction : elle contenait un abrégé rapide de l'histoire de la marine chez les différents peuples, un tableau topographique des ressources maritimes de la France, une analyse des anciennes lois,, un exposé des principes sur lesquels devait être fondée la marine d'un peuple libre, des connaissances nécessaires aux marins, et des actions éclatantes des plus grands hommes de mer de tous les paye et de tous les temps. Ce travail fut approuvé par les deux comités réunis d'instruction publique et de salut public, et adopté par la Convention 'qui en décréta l'impression, et l'envoi aux armées navales et dans tous les ports. Les comités d'instruction publique et d'Aliénation proposèrent à la Convention l'établissement d'écoles d'économie rurale dans les départements, où l'on devait enseigner la théorie et la pratique de l'agriculture. Je prononçai une opinion contre ce projet. Quoique je n'adoptasse pas tous les principes des économistes, car je n'ai jamais aimé les sectes quelconques, je pensais que la liberté était le meilleur encouragement de l'agriculture et que la suppression du régime féodal et la vente des biens nationaux la feraient prospérer mieux que tous les maîtres et toutes les fermes expérimentales. J'ai toujours été fidèle à ce système dans son application à la plupart des affaires d'une nation, telles que le commerce, l'industrie, les banques, l'enseignement le culte, etc. En examinant les établissements érigés à grands frais par les gouvernements, j'avais cru reconnaître qu'ils n'étaient le plus souvent que des spéculations intéressées, des créations de l'orgueil, et d'insuffisantes compensations des entraves apportées par les lois au développement des facultés de l'homme. Je regardais et j'ai toujours regardé la manie réglementaire, comme le fléau le plus funeste aux peuples, et comme une chaîne inventée par le despotisme. |