MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

OPINION SUR L'ÉLECTION DES MEMBRES DU DIRECTOIRE.

7 THERMIDOR AN III.

 

COMMENT seront élus les membres du Directoire ? Telle est la question à disputer.

Votre commission vous propose de lès faire élire par le corps législatif.

Ou a demandé qu'ils fussent élus per le peuple. Cette question, à laquelle on a paru attacher une grande importance, n'en est point une suivant moi.

Il ne s'agit point d'analyser ici les opinions des publicistes qui font dépendre la liberté du peuple de la part qu'il se réserve dans le choix de ses mandataires. Tout se trouve résolu pour nous, puisque vous avez cru devoir adopter le système des assemblées électorales.

Ainsi les membres du corps législatif seront nommés par des électeurs immédiatement élus par le peuple, et les membres du Directoire seront nommés par des électeurs médiatement élus par le peuple ; car le corps législatif n'est pas autre chose lorsqu'il s'acquitte de cette fonction : il n'élit pas comme corps politique, mais comme assemblée électorale du gouvernement.

L'article proposé par la commission ne blesse donc pas plus la souveraineté du peuple que celui qui établit des assemblées électorales pour élire les membres du corps législatif et les magistratures supérieures.

Je trouve au contraire dans le mode proposé par la commission, une plus grande garantie pour une bonne élection des membres du Directoire, et c'est là le but que nous devons nous proposer.

Les membres du corps législatif étant déjà le choix des électeurs dans la nation entière, sont présumés réunir plus de lumières et de connaissances que les assemblées électorales elles-mêmes qui les ont nommés.

Et l'on ne peut pas contester que les choix du corps législatif ne soient, par cette raison, toujours plus éclairés et plus concordons entre eux que ceux de quatre-vingt-neuf assemblées électorales.

Je ne doute pas que les électeurs ne nommassent des hommes très-probes, très-vertueux, très-instruits même ; mais ces qualités, qui constitueraient un bon législateur, ne suffiraient pas pour être membre du gouvernement. Ces fonctions exigent des talents qui leur soient analogues ; car il y a une grande différence entre l'action de gouverner et celle de concourir à la législation. Le législateur est, pour ainsi dire, le manufacturier de la loi ; celui qui gouverne est chargé, de la faire circuler dans toute l'étendue de l'empire. Le corps législatif, par sa position, est plus capable que les corps électoraux de saisir ces différences et d'en faire la règle de sa conduite dans ses choix.

Il n'y a pas de doute encore que de ce système il doit nécessairement résulter qu'il y aura plus d'unité entre les membres du Directoire, et plus d'harmonie entre les pouvoirs, car le corps législatif a un intérêt quelconque à la conservation de magistrats qu'il a choisis.

On dira qu'on n'ôte pas au corps législatif le choix des membres du Directoire, mais qu'on l'oblige seulement à choisir dans une liste de candidats qui lui est présentée par les assemblées électorales.

Je ferai d'abord observer que c'est un renversement de principes que de vouloir faire présenter les listes de candidats par les corps politiques, qui participent de plus près à l'exercice de la souveraineté du peuple. C'est comme si on voulait, pour la formation du corps législatif, que le peuple fit une liste de candidats dans laquelle les électeurs seraient tenus de choisir. On ne manquerait pas de dire que ce serait avilir et blesser la souveraineté, et en cela on, aurait souvent raison. J'aimerais beaucoup mieux, pour conserver les principes et pour obtenir un bon choix, que ce fût le corps législatif qui fit la liste des candidats, et que les assemblées électorales consommassent le choix ; car je persiste à croire que si vous faites faire la liste de candidats par les corps électoraux, vous rendrez illusoire le choix du corps législatif par les limites, étroites dans lesquelles-il se trouve réduit ; et la France n'aura peut-être qu'un pouvoir exécutif faible, inhabile et par conséquent impuissant.

Les uns craignent qu'il ne soit trop fort, s'il est nommé par le peuple ; les autres craignent qu'il ne soit trop faible, s'il est nommé pas le corps législatif.

Pour moi, je ne crains ni l'un ni l'autre ; car, encore une fois, le peuple n'entre pour rien dans ce choix. Il ne s'agit ici que d'électeurs ; et si l'on veut faire dépendre la force Morale d'un élu du plus ou moins d'intermédiaires qui se trouvent entre le peuple et lui, on sera forcé de convenir qu'il faut estimer encore plus la probabilité des lumières et des vertus des électeurs ; et sous ce rapport, je crois avoir démontré que le système de la commission offrait plus d'avantages. Au surplus, c'est moins l'origine d'un pouvoir qui le rend fort ou faible, dépendant ou indépendant, que ses attributions ; et malheureusement, quoiqu'en principe la force ne fasse pas le droit d'expérience de tous lés peuples et de tous les temps nous apprend que la force finit presque toujours par s'ériger en droit. Ainsi, la force ou la faiblesse du Directoire dépendra donc, de quelque manière qu'il soit nommé, des fonctions qui lui seront déléguées, et des garanties que la constitution donnera aux différents, pouvoirs ; pour les préserver mutuellement d'invasion et le projet de constitution contient à ce sujet plusieurs dispositions que la Convention pourra modifier, si elle les trouve insuffisantes.

Il ne me reste plus qu'à répondre à quelques objections. On craint que le Directoire, s'il est élu par le corps législatif, ne soit l'esclave des factions. De quelles factions ? De celles qui s'élèveraient contre la république. Mais cela n'est pas plus présumable dans ce système que dans tous les autres. Veut-on parler des factions qui naîtraient dans le corps législatif ? Mais comme le Directoire aura été nommé par la majorité, l'objection tombe d'elle-même, car la majorité ne peut jamais être une faction.

On a comparé le corps législatif à une cour entourée de flatteurs, d'intrigants, d'ambitieux. Et le peuple n'a-t-il pas eu aussi ses flatteurs ? Ont-ils été moins bas, moins vils, moins corrompus que ceux des rois ? Croyez-vous que les assemblées électorales n'auront pas aussi leur antichambre et que, lorsque le corps législatif sera obligé de choisir dans la liste des candidats, les intrigues que vous craignez n'existeront pas encore ? Je pense, au contraire, qu'on ouvrirait une carrière plus vaste aux ambitions particulières.

Je vote donc pour l'article, tel qu'il est proposé par la commission.