MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

OPINION SUR LE GOUVERNEMENT.

11 FLORÉAL AN III.

 

JE n'ai point entendu présenter un plan de gouvernement parfait ; j'ai dit, au contraire, lorsque je l'ai offert à la Convention, qu'il était malheureux d'avoir à s'occuper de l'organisation d'un gouvernement, lorsqu'on était forcé, par les circonstances, de louvoyer à côté des principes. Je sais que la Convention doit accélérer le moment où la France se reposera sur un gouvernement ferme ; mais les circonstances dont rai parlé ne sont pas prêtes à cesser : nous ne devons pas rester sans gouvernement, nous ne devons pas rester dans l'anarchie.

On a dit que mon projet retraçait celui de Robespierre. Moi, je dis que le gouvernement actuel n'en retrace aucun, ne ressemble à aucun de ceux qui aient jamais existé. Je ne connais rien de plus pernicieux qu'une administration dont les différentes parties se renvoient sans cesse, et réciproquement, ceux qui s'adressent à elles. Pendant ce temps, le mal se fait, l'on ne contente personne, et l'on mécontente tout le monde. (Applaudissements.) Je suppose, par exemple, que des troubles éclatent dans un département ; la connaissance en appartient au comité de sûreté générale qui est investi de la police générale. Pour avoir les forces capables de rétablir l'ordre, il faut que celui-ci s'adresse au comité de salut public qui est chargé de la direction de la force armée ; il faut que les deux comités se rassemblent ; il faut que trente membres qui les composent disent leur avis ; il faut prendre une délibération qui, souvent, entraine beaucoup de longueur, et l'on peut s'être tué avant que les comités aient porté quelque remède au mal. Voilà ce qui peut arriver dans Paris même, où le comité de sûreté générale est obligé de demander au comité militaire une escouade de vingt hommes, quand il en a besoin pour maintenir la police dont il est chargé : cela démontre la nécessité de réunir le gouvernement dans un même centre.

On s'effraie en disant : Mais le comité de salut public aura la direction de la force armée, la disposition des finances. Je ne prétends pas que le comité puisse fouiller dans le trésor de la république ; mais je veux que, lorsque le gouvernement fera des achats de grains ou de munitions navales chez l'étranger, il sache s'il pourra les payer. Le comité des finances et les commissaires de la trésorerie n'en conserveront pas moins la clé du coffre-fort ; mais le gouvernement aura connaissance de sa situation pour régler ses opérations.

Je voudrais que le comité de salut public n'eût pas de bureaux, point de chefs sur lesquels il se reposât ; car ces chefs font presque toute la besogne, les membres du comité l'approuvent par leurs signatures, et cette manière d'administrer ne présente aucune responsabilité ; si, au contraire, le comité n'était que l'âme, que la pensée du gouvernement et qu'il renvoyât tous les détails, toutes les mesures d'exécution aux commissions exécutives, cette marche offrirait une responsabilité certaine, parce que si les agents ne faisaient pas leur devoir, ils seraient dénoncés et punis.

Il n'y a pas dans le projet que j'ai présenté autant de chances pour la tyrannie qu'on voudrait le faire croire ; au surplus, la Convention réunit tous les pouvoirs, et elle doit sentir qu'elle ne peut, dans ce moment, confier, sans danger pour la république, le pouvoir exécutif à des hommes pris hors de son sein.

Je ne m'oppose point au renvoi à la commission des onze ; mais je dois faire observer à l'assemblée que cette commission n'est point encore organisée ; qu'elle n'a pas même taillé une plume. Ce n'est pas la faute des membres qui la composent ; ceux d'entre eux qui ne sont d'aucun comité s'y rendent exactement ; mais les autres, qui sont occupés dans les comités de gouvernement, perdant tout le jour et une partie de la nuit à l'administration de la république, ne peuvent se rendre aux séances de la commission. Je crois donc que ceux-ci doivent être tenus d'opter d'ici au 15 de ce mois, jour du renouvellement des comités ; entre les fonctions de membres des comités de gouvernement et celles de la commission des onze ; car ils ne peuvent suffire à la fois à ces différents travaux ; du reste, j'appuie le renvoi à cette commission.