MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

OPINION SUR LE POUVOIR EXÉCUTIF.

5 THERMIDOR AN III.

 

L'ARTICLE soumis à votre discussion tient essentiellement à l'organisation du pouvoir exécutif.

Je ne vois pas le pouvoir exécutif seulement dans le Directoire, mais encore dans les administrations départementales et municipales. Ces autorités sont ses agents nécessaires, et ne sont pas autre chose.

Je sais, et l'histoire de tous les peuples nous l'apprend, que le pouvoir exécutif est toujours entreprenant, parce qu'il est toujours actif ; qu'il tend à accroître son pouvoir, parce qu'il dispose de la force ; c'est presque toujours par ses usurpations que périt la liberté. Aussi m'opposerai-je, lorsqu'on s'occupera de l'organisation de ce pouvoir, à ce qu'on lui délègue des attributions qui lui donneraient une part active dans la formation de la loi, et une influence quelconque sur le corps législatif.

Mais il faut aussi donner à ce pouvoir toute la force qui lui est nécessaire, afin qu'il puisse remplir l'objet pour lequel il est institué.

Il s'agit en effet de savoir si le pouvoir exécutif nommera auprès de chaque administration départementale et municipale un commissaire chargé de surveiller et de requérir l'exécution des rois, et qu'il révoque lorsqu'il le juge convenable, bu en d'autres termes si vous voulez avoir un pouvoir exécutif, donner un gouvernement à la France et établir un ordre social quelconque ; car si cette faculté est refusée au pouvoir exécutif, je ne vois plus en lui qu'un corps sans bras, qui conçoit, qui veut, mais qui s'agite en vain pour agir, qui excite le rire ou le mépris de tous ceux qui voient son impuissance, et qui finit par tomber sous les coups du premier qui voudra l'attaquer, parce qu'il n'a aucun moyen de défense.

En effet je suppose que vous rejetiez l'article qui vous est proposé, qu'arrivera-t-il ? Le pouvoir exécutif, dont l'action, dans un grand État, doit être prompte, rapide et non interrompue, sera subordonné à chaque instant à la délibération, à la volonté des administrations, à leur inertie ou à leur lenteur.

Et n'avez-vous pas pour vous l'expérience de plusieurs années ? N'avez-vous pas vu les administrations délibérer sur l'exécution de la loi au lieu de la faire exécuter, pendant la royauté constitutionnelle et sous le règne du conseil exécutif ? Qui de vous n'a pas vu les administrations refuser d'exécuter les ordres des dépositaires du pouvoir exécutif, et les attaquer au lieu de leur obéir ?

Lorsqu'une administration s'écartera de la ligne de ses devoirs ou de ses fonctions, qui est-ce qui en préviendra le pouvoir exécutif ? Sera-ce l'administration elle-même ? mais vous sentez bien qu'elle-même n'ira pas se dénoncer ; si elle néglige d'exécuter une loi, qui est-ce qui stimulera son activité ? Le Directoire ne connaîtra le mal que lorsque les citoyens eux-mêmes l'auront souffert et dénoncé, mais souvent il sera trop tard pour y remédier ; alors le corps législatif, le conseil des cinq-cents surtout accusera le Directoire de trahison ; la multitude qui ne voit que les résultats et non les causes, applaudira aux accusations.

Le Directoire, avili dans l'opinion, ne sera plus capable de gouverner ; on pourra par ce moyen en changer les membres tous les quinze jours ; et c'est là ce qu'on appelle l'indépendance des pouvoirs !

Il y a deux qualités essentielles pour constituer un bon gouvernement, l'unité de volonté et l'unité d'action, qui sont deux choses très-différents ; car, comme je l'ai déjà dit, il ne suffit pas pour gouverner de vouloir agir, il faut le pouvoir.

On commence par ne voir dans le pouvoir exécutif qu'un monstre toujours prêt à dévorer la liberté ; je serais tenté de dire à ceux qui voient ainsi : N'en établissez point, si je ne craignais qu'ils ne me prissent au mot. On voit au contraire dans les administrations des espèces de magistratures populaires destinées à surveiller en quelque sorte les actes du pouvoir exécutif. Ce renversement d'idées a été produit par le système des administrations provinciales, qui avaient en effet été instituées pour représenter les besoins de chaque province et pour diminuer l'influence du gouvernement despotique.

L'opinion d'un membre de cette assemblée, qui a dit que tout était représentation dans l'ordre social, est très-propre à accréditer cette erreur. Je ne suis point de son avis, et je pense que les administrations n'étant que les moyens d'action du pouvoir exécutif, ou les canaux par lesquels la loi est transmise dès l'instant de sa formation jusqu'aux citoyens, elles n'ont aucun caractère de représentation ; car pour me servir d'une idée du même membre, le pouvoir exécutif n'étant rien plus que l'agent du service de la loi, c'est une sorte d'entreprise que le peuple donne à des mandataires, et ces mandataires, devenant responsables de la bonté de leur service, devraient naturellement avoir la liberté de choisir, leurs agents subalternes dans toute la ligne que doit parcourir la loi. Aussi ai-je toujours cru que les administrations étaient ces agents choisis à la vérité par le peuple, et que le peuple ne faisait que remplir en cela, sur chaque partie du territoire, une fonction dont ses mandataires, exécutifs ne pourraient s'acquitter avec facilité et discernement.

On n'a encore combattu l'établissement, des commissaires exécutifs que par des déclamations ; on les compare à des intendants, à des vampires qui vont pressurer le peuple ; mais il n'y a pas une institution qu'on ne puisse attaquer ainsi avec des phrases, et c'est cependant dans cette matière qu'il faut surtout en être économe, car dés suppositions ne sont ras des raisons.

D'abord les intendants et tous les agents du gouvernement monarchique exerçaient une autorité très-étendue et très-arbitraire ; les commissaires qu'on vous propose ne sont pas chargés d'administrer, puisqu'ils sont établis auprès de l'administration ils n'y ont aucune part, ils surveillent et requièrent seulement l'exécution des lois, ils sont là pour instruire à chaque instant le Directoire de l'état des choses ; et je ne vois pas ce qu'il y a dans une telle institution de semblable à l'ancien régime, d'oppressif pour le peuple, ni de dangereux pour la liberté.

Ce sont, dit-on, des intrigants qu'on enverra de Paris, et à ce sujet on propose par amendement que le Directoire ne puisse au moins choisir les commissaires que dans les lieux mêmes où ils devront exercer leurs fonctions.

Cette crainte qu'il serait inutile de chercher à détruire, puisqu'elle ne prouve rien contre l'institution proposée, tient beaucoup à des circonstances de la révolution, où l'on a vu le pouvoir exécutif envoyer une tourbe de commissaires dans les départements.

Le pouvoir exécutif était anarchique, il envoyait des apôtres d'anarchie ; d'ailleurs, ces commissaires n'avaient presque toujours d'autre règle de conduite que leur volonté ; mais lorsque voila aurez un pouvoir exécutif national et constitutionnellement établi, et une organisation stable et définitive des pouvoirs publics, tous ces abus disparaîtrons.

On se récrie sur leur nombre, sur leur salaire ; mais toutes ces considérations ne détruisent pas le principe ; lorsque la Convention l'aura une fois consacré, on discutera le nombre, le traitement et les dénominations.

Je ne vois dans tous les amendements proposés que des modifications du principe qui a déterminé la commission à vous présenter cet article ; on s'égare toujours lorsqu'on veut tirer des conséquences de faits qui se sont passés pendant la révolution, c'est-à-dire, pendant l'absence ou la presque nullité de tous les pouvoirs, pour les appliquer à un régime constitutionnel.

Il ne peut y avoir aucune transaction, aucun terme moyen sur le point que nous discutons ; ou le gouvernement nomme lui-même tous ses agents subalternes, choisit ses moyens d'action, ou bien ils sont choisis par le peuple.

Dans ce dernier cas, il est indispensable que le gouvernement ait des agents auprès de ces administrations populaires, si l'on veut qu'il y ait unité d'action ; et j'attache une telle importance à mon opinion, que je pense que sans cette institution, vous n'aurez qu'un simulacre de république, qui périra nécessairement dans les déchirements de l'anarchie.