MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHAPITRE VIII. — 9 THERMIDOR.

 

 

DEPUIS quelque temps on voyait des nuages qui annonçaient une tempête ; nous éprouvions ce malaise et cet accablement que l'on sent à l'approche d'un orage. Mais, le 9 thermidor, la grande majorité de la Convention ne s'attendait point à ce qui arriva. Ce fut comme un coup de tonnerre. Il n'y 'avait pas plus de raison ce jour-là qu'un autre pour attaquer Robespierre, ni par conséquent pour espérer la fin de sa tyrannie. Depuis quelque temps il menaçait Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois, Tallien, etc., ses émules et ses complices. La Convention était aussi indifférente à leurs dangers qu'elle l'avait été à la mort de Danton et il est probable qu'ils eussent succombé, si Robespierre eût proposé leur proscription. Mais le sentiment de leurs propres périls leur donna l'audace de le prévenir, et, comme je l'ai déjà dit, la victoire était toujours du côté de l'attaque. Tallien se lança le premier, les autres le suivirent, et la Convention se souleva tout entière. Ce fut une commotion électrique. Robespierre pâle, défait, veut parler ; il menace, il conjure, il supplie. Son frère et Saint-Just essaient en vain de le défendre et de se justifier eux-mêmes. Un cri unanime, un seul cri, à bas le tyran ! se fait entendre et couvre leur voix. Et le tyran, qui la veille encore répandait l'effroi et l'épouvante, est enchaîné et conduit dans une de ces prisons remplies de ses propres victimes. Ô quelles douces émotions, quelles sensations délicieuses éprouvèrent alors nos antes si longtemps oppressées !

Dans l'ivresse de la victoire, la Convention leva sa séance pour la reprendre le soir. Mais l'ennemi battu dans son sein ne l'était pas au dehors. Tandis que les représentants du peuple se livraient à la joie, Robespierre était arraché de sa prison, conduit en triomphe à l'Hôtel-de-Ville où il préparait sa vengeance. La Convention avait fait une grande faute ; il ne sut pas en profiter. Un homme de résolution se fût emparé du lieu des séances, eût fait tomber une douzaine de têtes, et eût de nouveau régné plus puissant que jamais. Robespierre n'avait point cette audace qui suppose une sorte de grandeur dans le crime ; il délibéra au lieu d'agir. Lorsque la Convention se rassembla le soir, la plupart de ses membres ignoraient .ce qui s'était passé. En l'apprenant, la stupeur et la consternation succédèrent à l'allégresse. Ce qu'un homme seul n'osait entreprendre une assemblée en était moins capable encore ; on y parlait, il y régnait la plus grande indécision, et l'on ne parvenait à aucun résultat.-Ainsi les deux armées en présence, au lieu de s'attaquer, perdaient leur temps en vains discours. La partie ne paraissait pas égale. Les autorités et les chefs de la garde nationale étaient pour Robespierre ; ils avaient entraîné une grande partie du peuple sous son drapeau ; il pouvait disposer d'une force considérable. La Convention était isolée, réduite à quelques bons citoyens auxquels le succès du matin avait rendu le courage ; d'autres attendaient en silence le dénouement de cette tragédie, et le plus grand nombre ignorait les évènements. Les ténèbres de la nuit ajoutaient à l'horreur de cette situation. On entendait le tocsin et là générale ; on appelait les uns à la Convention, les autres à l'Hôtel-de-Ville ; le citoyen ne savait à qui répondre, à qui obéir, redoutant de marcher dans l'obscurité contre un parent ou un ami. Quelques membres de la Convention s'étaient réunis en comité pour prendre les mesures qu'exigeaient les circonstances ; les représentants attendaient dans la plus vive agitation ; les rapports qui se succédaient n'étaient pas propres à la calmer. Il était minuit, on ne prévoyait pas l'issue de cette lutte, lorsque Collot-d'Herbois qui présidait fit entendre la sonnette et dit de sa voix sépulcrale : Citoyens représentants, le moment est venu de mourir à votre poste ; j'apprends que Henriot investit la Convention nationale. A cette apostrophe effrayante, tout ce qu'il y avait de curieux dans les tribunes se précipita par les portes ; il n'y resta qu'un gros nuage de poussière et la plus morne solitude. Tous les membres de la Convention, répandus dans la salle, reprirent leur place avec calme et dignité, pour attendre la mort sur leurs sièges. Ce mouvement fut imposant et sublime ; car pour mon compte je ne doutais pas que notre dernier moment ne fût arrivé.

En effet Henriot, avec une troupe de sicaires qui formaient son état-major, s'était avancé jusque dans la cour des Tuileries ; mais il s'était retiré presque aussitôt, après avoir débauché des canonniers et enlevé quelques canons. Cependant, le premier mouvement de cet effroi passé, les membres de la Convention reprirent courage, et soit que la crise fût parvenue au point où elle devait éclater, ou que le défaut de forces réelles inspirât l'audace et le désespoir, on proposa enfin de terminer cette lutte scandaleuse en mettant hors la loi Robespierre et ses complices. Le décret fut rendu aux cris de vive la république ! et des commissaires de la Convention allèrent le proclamer aux flambeaux. A mesure qu'ils s'avançaient et que la nouvelle du décret se répandait de proche en proche, ceux qui étaient incertains se prononçaient pour la Convention, et ceux qui ne s'étaient réunis que par peur au parti de Robespierre, s'en détachaient. Lorsque le décret fut connu sur la place de l'Hôtel-de-Ville, les bataillons de garde nationale qui s'y trouvaient se débandèrent, les citoyens se retirèrent chez eux ou allèrent au-devant des commissaires de la Convention, et dans l'Hôtel-de-Ville même les complices de Robespierre l'abandonnèrent.

Les commissaires de la Convention y entrèrent avec une force armée et dispersèrent et firent prisonnier ce qui y était resté. Robespierre qui s'était tiré un coup de pistolet fut trouvé baigné dans son sang. Le matin il fut apporté au comité de salut public, étendu sur une grande table et exposé aux regards et aux insultes d'une foule de curieux[1]. Il avait toute sa présence d'esprit ; le coup de pistolet lui avait seulement fracassé une partie de la mâchoire, sa joue gauche était très-enflée, du reste il n'était pas trop défiguré. Il restait immobile. Cependant on voyait dans ses yeux plus de dépit que d'insensibilité ou de honte. Il refusa d'abord de se laisser panser, et lorsque le chirurgien voulut lui desserrer les dents avec un morceau de fer, il se releva, descendit seul de la table sur laquelle il était couché et alla se placer sur un siège. On lui mit un appareil et il fut conduit à l'échafaud. Ce même peuple qui l'avait, pour ainsi dire, divinisé, l'y accompagna de ses imprécations.

Le 9 thermidor fut donc l'effet du hasard, comme la plupart des grands événements dans l'histoire. Sont-ils funestes, l'homme ne manque pas d'en accuser le sort : sont-ils heureux, il les attribue à sa prévoyante et à sa sagesse. Après la victoire chacun se disputait l'honneur d'y avoir plus ou moins concouru. On s'était bien. aperçu d'une division entre les membres du comité de sûreté générale et ceux du comité de salut public même entre les membres de ce dernier comité. Il circulait dans la Convention que Robespierre avait proscrit in petto des députés montagnards ; c'étaient d'abord les amis de Danton, Legendre, Tallien, Fréron, Panis, Lecointre de Versailles, et en seconde ligne Fouché Nantes, Thuriot, Bourdon de l'Oise, etc. A cette procession dont j'ai parlé, qui eut lieu pour la fête de l'Être-Suprême, tous ces députés, marchant en arrière de Robespierre, lui prodiguaient entre eux des sarcasmes ; Lecointre de Versailles l'apostropha vigoureusement en face. Dans le discours que Robespierre prononça, le 8 thermidor, on vit clairement qu'il ne se dissimulait pas le danger qui le menaçait. La majorité de la Convention, étrangère à ces dissensions, ne faisait que les observer ; et, quoiqu'elle considérât Robespierre comme le plus puissant dans le gouvernement, les autres membres ne lui en étaient pas moins odieux. Y eut-il une conjuration réelle de ses ennemis, contre lui ? Quels furent les conjurés ? c'est ce qu'on n'a jamais bien su. Comment, au premier soupçon ne prévint-il pas les conspirateurs ? On ne peut l'expliquer que par l'aveuglement qui accompagne ordinairement l'ivresse du pouvoir. Mais l'issue d'une attaque Contre lui parut à certaines gens, tellement douteuse, que, dans le moment même où elle commença, Barrère se tenait près de la tribune, ayant, dit-on, dans sa poche deux discours préparés d'un pour, l'autre contre Robespierre.

La joie publique éclata dans tous les départements comme à Paris. Cependant son explosion fut contenue par la plupart des autorités qui étaient dévouées à Robespierre et, qui ne pouvaient croire à sa chute.

Le 10 thermidor je fis imprimer une relation de ce grand événement en forme d'adresse à mes concitoyens, et je l'envoyai dans mon département. Les autorités terroristes en arrêtèrent la circulation.

Il y eut à Paris des exécutions révolutionnaires, même après la mort de Robespierre, comme si ses mâles eussent conservé encore du pouvoir et exigé ces atroces sacrifices.

Le chef des terroristes avait disparu, mais le parti existait encore. Le comité de salut public s'était délivré de Robespierre, la Convention n'était point délivrée du comité de. salut public. Si on l'avait laissé faire il n'aurait point changé de système, et le résultat du 9 thermidor n'eût été que quelques hommes de moins. Les Collot-d'Herbois et les Billaud-Varennes s'étaient emparés du sceptre sanglant de Robespierre. Ils le regardaient comme leur légitime héritage. Ils n'avaient renversé le tyran que pour se sauver et régner à sa place ; ils n'avaient pas pensé un seul instant à détruire la tyrannie. Car, avant le 9 thermidor, les factions de Danton et de Robespierre s'accusaient réciproquement de vouloir détruire le gouvernement révolutionnaire et établir l'indulgence ; et Barrère, dans son rapport, au nom des deux comités de sûreté générale et de salut public, au moment même où Robespierre venait d'être vaincu, ne lui imputait pas d'autre crime. Billaud-Varennes, sombre et atrabilaire comme lui, se rendait justice en se croyant très-propre à le remplacer. — Interrompu un jour par quelques signes d'improbation ; il jeta un coup-d'œil menaçant sur la Convention et dit : Je crois qu'on murmure. Ce trait d'éloquence a manqué à Néron.

Ces menaces insolentes n'imposaient plus à la Convention. Le 9 thermidor lui avait rendu toute sa force. Le souvenir de son oppression était trop récent, pour qu'elle ne fût pas extrêmement jalouse de l'indépendance qu'elle venait de recouvrer. Elle ne pouvait d'ailleurs se laver des horreurs commises en son nom, qu'en y mettant un terme en les désavouant, et en punissant même leurs auteurs.

D'un autre côté, les complices de Robespierre et les suppôts de la terreur, dès qu'il fut mort, sentirent l'embarras dans lequel ils s'étaient jetés. En le laissant vivre, ils se seraient perdus ; et en le frappant ils avaient prononcé leur propre condamnation. lis auraient bien voulu en faire leur bouc émissaire, et pouvoir rejeter tout le passé sur lui. Mais il ne s'agissait pas d'actes -secrets dont on pût impunément charger sa mémoire sans craindre d'être démenti. Les faits étaient publics et patents. C'étaient des proclamations, des discours et des arrêtés plus on moins furibonds, des listes de proscription signées en commun avec lui, des mitraillades et des noyades dont on s'était vanté et honoré. Les auteurs de ces forfaits voulaient en vain, comme ce personnage tragique, effacer la trace du sang dont leurs mains étaient couvertes ; elle y demeurait toujours. Ils s'étaient trop avancés pour pouvoir recaler ; les crimes qu'ils avaient commis leur imposaient l'horrible nécessité d'en commettre de nouveaux. Ils n'avaient pas d'autre espoir de salut.

Des républicains très-purs, étrangers aux crimes de la terreur, auraient bien voulu, qu'après la mort de Robespierre, la Convention eût jeté un voile épais sur le passé, interdit même d'en parler, et accordé une amnistie tacite ?

Quand Robespierre eût été seul coupable de la tyrannie qui avait pesé sur la France, comment aurait-on pu étouffer les plaintes des victimes qui lui avaient survécu, imposer silence aux parents et aux amis de icelles qui avaient péri et faire taire la conscience publique ? La Convention, lorsqu'elle venait de recouvrer la liberté et la parole, pouvait-elle bâillonner une nation tout entière ? Pouvait-elle, sans en assumer sur elle l'odieuse responsabilité, refuser de réparer, autant qu'il dépendait d'elle, des maux qu'elle n'avait pas été. en état d'empêcher ? Et s'il y avait pour elle de l'inconvénient à ce qu'elle avouât son oppression, n'y en avait-il pas encore plus à ce qu'elle parût vouloir approuver les horreurs qui en avaient été la suite ? Dans cette alternative, son choix pouvait-il être douteux ?

Mais Robespierre, comme je l'ai déjà dit avait eu des complices. Même plusieurs semaines avant sa mort, il n'allait que très-rarement au comité de salut public, et les listes de proscription n'en continuaient pas moins, et la terreur ne souffrait point de son absence. Après sa mort, ces complices n'étaient point rentrés dans le néant, ils étaient loin de s'être convertis, ou de vouloir se faire oublier. Ils avaient le pouvoir, ils le conservaient, ils parlaient en maîtres, fiers d'un triomphe auquel ils ne voulaient faire participer ni la république, ni ses représentants. La Convention devait donc briser un joug auquel elle eût été inexcusable de se soumettre. De-là vinrent sans doute les combats violents et les scènes tragiques qui déchirèrent encore son propre sein, et ensanglantèrent de nouveau la république. Car la Convention se trouva placée entre les royalistes qui, voulant faire la contre-révolution, trouvaient que la réaction n'allait jamais assez vite, et les terroristes qui lorsqu'on les attaquait, criaient qu'on persécutait les patriotes, et des républicains très-probes qui craignaient qu'un retour à un système modéré de gouvernement ne devint funeste à la liberté. Il fallait donc marcher entre plusieurs-écueils. Cette situation était difficile, mais on ne pouvait l'éviter.

Après m'être livré tout entier à la joie et â l'enthousiasme qu'inspira le 9 thermidor, je demandai et j'obtins la liberté de mes parents et de mes amis. Ma femme fut l'ange libérateur qui se rendit à Poitiers pour briser leurs fers. Le sort nous avait favorisés ; le 9 thermidor trouva encore nos parents dans les prisons ; mais quatre de mes amis, parmi lesquels étaient deux jeunes gens de la plus belle espérance, avaient payé de leurs têtes leur amour pur et désintéressé de la liberté et de la patrie.

Dès ce moment, il s'opéra en moi-même une révolution subite. On pouvait, avec honneur, paraître dans la carrière, je m'y élançai avec ardeur, et je commençai réellement à y jouer un rôle actif. Mais, fidèle à mes principes et au plan de, conduite que je m'étais tracé je me tins constamment éloigné de ces réunions où, quelqu'inflexible que l'on soit, on sacrifie toujours à l'opinion des autres quelque chose de la sienne. Je marchai seul avec ma conscience ; et le peu de succès que j'obtins, je le dus à la certitude où l'on était que je n'étais l'homme d'aucun parti. On ne se fait pas une juste idée de la force et de l'influence que donne une telle situation. On croit généralement acquérir de l'importance en s'associant à un club, ou à une coterie ; la médiocrité s'y enhardit, et le talent se persuade qu'il y trouvera de l'appui. C'est une erreur : on n'y gagne jamais autant qu'on y perd. Rien ne peut remplacer l'ascendant de l'indépendance. Dès que l'orateur qu'on soupçonne de n'avoir pas conservé la sienne se présente à la tribune, tout le monde est, en garde contre lui. On se dit : Ce n'est pas lui qui va parler, c'est son parti. Au contraire, quand l'orateur, reconnu pour indépendant, ouvre la bouche, on l'écoute sans défiance. Il ne suffit pas, pour faire effet dans une grande assemblée, d'être éloquent et de dire de bonnes choses, il faut encore qu'elle soit disposée à les entendre.

Depuis le 9 thermidor jusqu'au 18 fructidor an V, c'est-à-dire pendant trois ans, je parus souvent à la tribune, tantôt avec des discours écrits, tantôt improvisant et l'on peut vérifier dans le Moniteur que le plus souvent et surtout dans le dernier cas, mes opinions ont prévalu. Je connaissais assez mon assemblée pour parler, si je l'eusse voulu, dans le sens présumé de la majorité ; mais je ne faisais point ce calcul, et surtout dans les, discussions imprévues et presque toujours les plus animées, je prenais la parole, entraîné par la chaleur des débats et par la seule impulsion que la circonstance et l'objet donnaient à mon âme ou à mon esprit. Ce n'était ni le résultat de l'adresse, ni l'effet d'une éloquence extraordinaire. Cela prouve seulement qu'il existe toujours une certaine harmonie entre la conscience d'un honnête homme et celle d'une masse d'hommes réunis.

Je pouvais, comme beaucoup d'autres, dans le silence du cabinet, écrire sur une matière et la discuter méthodiquement ; mais je n'ai jamais eu ce talent à la tribune. Je n'avais ni assez de sang-froid ni assez de patience. Incapable de m'astreindre aux détails et de me soumettre aux règles de l'art, j'entrais de suite, et comme par irruption, au fond du sujet, tel qu'un assiégeant qui dédaigne les ouvrages avancés, marche droit au cœur de la place, saisit son ennemi corps à corps, et décide dans un instant la défaite ou la victoire. J'avais fait mes premières armes au barreau ; mais je n'y avais pas plaidé assez longtemps pour me gâter ou me perfectionner, comme l'on voudra ; c'est-à-dire pour contracter l'habitude de délayer nies paroles et d'arrondir mes périodes. Je suis souvent monté à la tribune sans savoir ce que j'y allais dire, poussé par une force irrésistible qui m'y attirait malgré moi. Lorsque j'y étais, le spectacle d'une grande assemblée attentive, l'idée que la France entière allait recueillir mes paroles et me juger, exaltaient mon âme et inspiraient mes discours. J'obéissais au devoir, je ne pensais pas même à la gloire ; et si quelquefois l'étais sensible à ses séductions, car quel homme pourrait la mépriser, ce n'était jamais que par réflexion. Mon premier sentiment était toujours celui qu'on éprouve lorsqu'on a acquitté sa dette envers la patrie. Je ne pouvais pas tenir longtemps à la tribune, parce que je n'étais pas capable d'y être calme. On a dit : Fiunt oratores, nascuntur poetœ. Cela n'est point exact, c'est dans l'âme qu'est la véritable éloquence ; l'art la perfectionne sans doute, mais sans ce foyer dont la chaleur se communique aux auditeurs et les embrase, on n'est point orateur, on n'est tout au plus qu'un beau parleur ou un rhéteur. L'art oratoire n'est que la nature perfectionnée ; elle m'avait donné un organe mâle et sonore, et ce degré d'assurance nécessaire pour n'être point intimidé par le nombre ni troublé par les interruptions. Lorsque je jugeais que ma voix ne pourrait les couvrir, j'attendais en silence qu'elles eussent fini ; et loin de me décourager, je continuais comme si je me fusse interrompu moi-même pour prendre du repos et éclater avec plus de forée. La confiance de l'orateur, en lui-même, suppose un génie supérieur ou une extrême présomption, ou une bonne conscience. J'étais dans ce dernier cas.

Je suis entré dans ces détails, parce qu'on ne connaît que très-imparfaitement un orateur d'après ses discours imprimés ou rapportés dans les journaux. On y prend bien une idée de ses principes et de sa manière ; mais on ne peut le juger que lorsqu'on l'a  vu et entendu parler. D'ailleurs, sans vouloir donner de préceptes, me comparer à personne, ni me citer en exemple, le résultat de ma propre expérience peut n'être pas tout-à-fait inutile..

Après le 9 thermidor, je restai dans le comité d'instruction publique ; mais peu à peu je n'en pris-pas moins part aux autres travaux de l'Assemblée.

 

 

 



[1] Il essuyait la salive ensanglantée qui sortait de sa bouche avec l'étui d'un pistolet sur lequel était cette adresse : Au grand monarque.