MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

OPINION SUR LE JURY CONSTITUTIONNAIRE.

24 THERMIDOR AN III.

 

TÉMOINS des maux sans nombre qu'a versés sur la France la confusion de tous les pouvoirs, nous cherchons les moyens les plus capables de les maintenir tous dans les bornes qui leur sont prescrites. C'est dans cette intention qu'on vous a prescrit le jury constitutionnaire. On ne lui déléguait d'abord que la mission spéciale de prononcer sur les plaintes en violation de la constitution, qui seraient portées contre les décrets de la législature. Cette institution faisait partie d'un plan que vous n'avez pas cru devoir adopter ; son auteur a depuis essayé de rendre le jury applicable à la nouvelle constitution ; et il propose de lui attribuer deux autres fonctions extrêmement importantes : le droit d'indiquer les réformes constitutionnelles qu'il jugera utiles, et celui de faire grâce.

C'est dans cet état que le travail présenté par Sieyès à la Convention, avait été communiqué à la commission des onze, qui, après l'avoir examiné, a adopté le jury constitutionnaire et ne lui attribue cependant que la fonction de statuer sur les actes contraires à la constitution.

Comme cette institution, malgré les suffrages qu'elle a réunis en sa faveur, me paraît contraire au but que l'on se propose et nuisible aux intérêts de mon pays, je crois devoir vous soumettre mes réflexions.

Il n'y a que la séparation des pouvoirs et leur indépendance qui constituent la liberté. Cette vérité est trop généralement reconnue pour avoir besoin d'être démontrée ici.

Il n'y a rien de plus aisé que de jeter sur le papier de brillantes conceptions sur cette partie importante de l'organisation sociale et de tracer de beaux plans en théorie. Mais comme il est de la nature des pouvoirs, puisque ce sont des hommes qui les exercent, de tendre sans cesse à passer leurs limites et à s'agrandir, on voit presque toujours dans la pratique les garanties, en apparence les plus fortes devenir impuissantes, et les corps institués garants acquérir une influence prépondérante sur ceux qu'ils sont chargés de défendre.

Tous les publicistes ont bien senti que c'était là le problème le plus difficile à résoudre en politique. Si on examine le résultat de leurs recherches, on verra qu'ils ont trouvé deux sortes de moyens de contenir les pouvoirs, les uns qui leur sont extérieurs, les autres qui leur sont inhérents. Parmi les premiers on peut classer rappel au peuple, des censeurs ou tout autre corps établi pour juger les infractions à la constitution. Le peuple étant la seule source de toute autorité légitime, et sa volonté seule pouvant établir la charte constitutionnelle, il paraîtrait plus conforme aux principes de recourir à lui pour juger les usurpations réciproques des pouvoirs, et les atteintes portées à la constitution.

Mais on sait combien il serait dangereux, ou au moins illusoire, de soumettre des questions constitutionnelles à la décision d'une grande nation ; ce sont des épreuves qu'on ne tente pas souvent sans compromettre l'ordre social et la tranquillité publique. Les discussions politiques font naître les diversités d'opinions, ouvrent la plus vaste carrière à toutes les passions, et dans cet état de choses le meilleur gouvernement ne peut jamais acquérir ce degré de stabilité et ce caractère imposant et respectable que le temps seul peut lui imprimer ; et je ne conseillerai de recourir cette mesure que lorsqu'il y aura une nation de philosophes, aussi impossible, dit un auteur, que la race philosophique des rois de Platon.

Voyons maintenant â 'un corps institué au-dessus des pouvoirs publics, pour examiner leurs actes comme on le propose, est capable de garantir leur indépendance et l'intégrité de la constitution, et je me fais sur-le-champ cette question : si le jury constitutionnaire dont les fonctions seront déterminées par la constitution, en passe les limites, qui est-ce qui réprimera sou usurpation ? Je vous avoue que j'ai beau chercher une réponse, je n'en trouve point de satisfaisante.

Si on ne peut pas contester, comme je le crois, la possibilité de cette usurpation, l'institution de vient au moins inutile ; la constitution reste encore sans garantie ; on résout la difficulté quant aux deux conseils qui forment le corps législatif ; mais elle reste tout entière pour le jury constitutionnaire, ou, pour mieux dire, on ne fait que reculer la difficulté d'un degré de plus.

Si on trouvait ; pour former le jury, des hommes sans passions, sans préjugés et étrangers à tous les partis, je rejetterais encore cette institution ; car dans ce cas-là même on pourrait s'en passer ; il n'y aurait qu'à charger ces hommes de l'exercice des pouvoirs qui n'auraient plus besoin alors de surveillance.

Si, comme on y est forcé par la nécessité, on ne peut composer le jury que d'hommes aussi susceptibles de toutes les passions que les membres des deux conseils et du Directoire, je serai fondé à demander qu'on donne aussi des surveillants à ce jury, et cette surveillance graduelle s'étendrait à l'infini.

Ainsi, chez un peuple des Indes, la croyance vulgaire est, dit-on, que le monde est porté sur un éléphant, et cet éléphant par une tortue ; mais quand on vient à demander sur quoi repose la tortue, adieu l'érudition.

Cette image est parfaitement applicable à l'objet que nous traitons. La garantie de la république est dans la division des pouvoirs et dans une bonne organisation, la garantie des pouvoirs est dans le jury constitutionnaire. Mais quand on demande où est la garantie du jury pour lui-même, et celle des pouvoirs contre ses usurpations, on ne sait plus que répondre.

La bonté des résultats, en politique comme en mécanique, est en raison inverse de la multiplicité des ressorts qu'on emploie ; car plus il y a de corps opposés ou d'agents entassés les uns sur les autres, plus il y a de chances pour l'usurpation, la confusion des pouvoirs, les partis et les déchirements.

Examinons en effet le jeu de ce jury constitutionnaire, autant qu'il est possible toutefois de le présumer.

Le conseil des cinq cents a seul le droit de proposer les lois, c'est dans ce corps que réside exclusivement le principe du mouvement et de Faction du corps législatif. S'il fait une proposition attentatoire à la constitution, le conseil des anciens est là pour la rejeter. Le jury constitutionnaire est donc inutile.

Le conseil des anciens ne peut délibérer que sur une proposition du conseil des cinq cents, il ne peut que l'adopter ou la rejeter, dire oui ou non ; on ne voit point encore ici l'utilité du jury constitutionnaire.

Dans cette action des deux conseils, qui peut se plaindre devant le jury ? le conseil des cinq cents. Mais il ne peut jamais en avoir de prétexte, encore moins de motif, puisque le conseil des anciens a un veto absolu.

Le conseil des anciens pourrait-il se plaindre en inconstitution d'une proposition du conseil des anciens ? Non, puisqu'il a le droit de la rejeter.

Ainsi les deux conseils ont en eux-mêmes, dans leurs attributs, les moyens de prévenir les tentatives lentes et progressives qu'ils pourraient faire pour étendre leur pouvoir, et par conséquent pour attenter à la constitution, et ce sont les seules qu'on puisse penser à prévenir ; car si l'on suppose que les conseils feront des entreprises ouvertes contre la constitution, que l'un d'eux, par exemple, s'attribuera seul le pouvoir législatif, je n'ai plus rien à répondre, parce qu'alors l'État est nécessairement dans une convulsion, et que les pouvoirs sont dans un état de guerre dont .le jury constitutionnaire ou tout autre moyen moral et conciliateur ne pourrait arrêter le cours et prévenir les violences.

Les physiciens sont bien parvenus à fixer la foudre, mais les politiques cherchent encore et chercheront longtemps sans doute à diriger et à fixer les orages qui se forment au sein des sociétés, et y portent le trouble et la destruction. La raison en est que la nature a des règles invariables ; qu'elle ne trompe jamais celui qui a surpris son secret ; mais les passions des hommes, Modifiée& à l'infini, ne fournissent jamais à l'observateur le plus constant que des conjectures incertaines.

Dans le plan de Sieyès, le Directoire exécutif peut réclamer en inconstitution ; mais que fera-t-il de ce droit ? Il ne l'exercera que dans le cas où les deux conseils se seraient accordés pour violer un article de la constitution. Mais outre que je regarde cette connivence comme presque impossible dans l'organisation que vous avez adoptée pour le corps législatif, comme je le démontrerai, croirait-on que dans ce cas le jury constitutionnaire ; réduit à un rôle très-passif, aurait assez de puissance pour réprimer cette violation, et assez de force pour donner gain de cause au Directoire ? Croit-on que les deux conseils réunis par le même intérêt ne l'emporteraient pas dans là balance ? Ils persévéreraient avec d'autant plus d'opiniâtreté dans leur résolution, que leur amour-propre et leur orgueil seraient irrités par la résistance du jury et par le triomphe du Directoire ; et comme le corps législatif sera toujours la première et la plus puissante des autorités, il aurait pour lui l'opinion publique ; ou, si elle lui paraissait contraire, il la corromprait, s'il n'osait pas encore s'élever au-dessus d'elle ; il la corromprait par ces grands mots ; qui, prononcés dans les deux conseil& par des orateurs véhéments, produiraient un effet magique sur la multitude, la nécessité des circonstances, les trahisons, le salut du peuple et sa volonté.

Alors, au lieu d'une garantie, vous auriez institué un ordre de choses perpétuellement convulsif, et la liberté périrait dans des agitations sans cesse renaissantes.

Espère-t-on d'ailleurs que le jury resterait impartial dans ces luttes des pouvoirs ? Ne serait-il pas naturellement entraîné vers l'un d'eux par la corruption, par les intrigues et la séduction dont il serait environné, ou par ses propres passions ?

Comme il ne pourrait agir spontanément, n'aurait-il pas un intérêt- puissant à avoir cette intelligence avec un des pouvoirs, pour s'assurer toujours une partie plaignante, un plaideur, et augmenter sa puissance en entretenant ainsi son autorité ? Alors ne pourrait-il pas affaiblir l'autorité des autres et modifier à son gré la constitution ? Car, saisissez, je vous prie, cette observation, il n'y a point de loi qui, de près ou de loin, ne tienne à la constitution.

Les juges s'ennuient de ne pas juger, et l'établissement d'un tribunal permanent entretient l'envie de plaider, et le nombre des procès augmente.

Ce plaideur est d'ailleurs tout trouvé dans le plan de la commission, c'est le Directoire à qui on donne un délai de cinq jours pour réclamer contre les actes du corps législatif ; n'est-ce pas là évidemment un droit suspensif qu'on accorde au pouvoir exécutif ? Si c'est là l'intention des auteurs de ce plan, il vaut mieux le dire franchement, et discuter ce point important. N'est-ce pas aussi un droit de sanction qu'on attribue au jury constitutionnaire ? N'est-ce pas dénaturer toute votre constitution, et transporter par le fait dans ce jury les fonctions que vous avez voulu attribuer au conseil des anciens, qui, dès-lors, devient inutile ou plutôt une entrave ?

Dans le système de Sieyès, c'est bien pis encore ; chaque citoyen pouvant se pourvoir en in constitution, le jury constitutionnaire pourra très-facilement connaître de tous les actes du corps législatif, et ainsi s'évanouit cette faible barrière qu'on avait cru mettre à son ambition, en lui interdisant de prononcer spontanément.

Sieyès introduit encore une sorte de pétitionnaires qui m'effraie bien plus que tous les autres ; c'est la minorité des conseils qu'il admet à se plaindre devant le jury des actes de la majorité, c'est la première fois que l'on propose d'établir une institution aussi contraire aux principes, aussi favorable aux factions, aussi destructive de l'ordre social ; elle ne pourrait convenir qu'à un peuple chez lequel il serait convenu que c'est la minorité qui a toujours raison et qui doit faire la loi.

Je ne suivrai point dans tous ses détails les diverses organisations du jury constitutionnaire qui vous sont proposées par Sieyès et par la commission ; il ne s'agit ici que du principe ; car, s'il était question lie discuter les attributions du jury, je démontrerais facilement, je crois, que ce pouvoir monstrueux serait tout dans l'État, et qu'en voulant donner un gardien aux pouvoirs publics, on leur donnerait un maître qui les enchaînerait pour les garder plus facilement.

Je ferai observer cependant que, lors même qu'on semble tant redouter, et avec raison, la permanence du pouvoir constituant qui serait la permanence de l'anarchie, on l'établit dans le fait car le jury constitutionnaire doit s'occuper habituellement des vues qui lui paraîtront propres à perfectionner la constitution. Il doit présenter tous les dix ans au corps législatif le résultat de ses travaux sur cet objet ; on l'envoie ensuite à l'examen des assemblées primaires, et auxquelles, par respect pour la souveraineté du peuple, on ne laisse que le droit de délibérer par oui ou par non. Si la majorité des assemblées primaires dit oui, le pouvoir constitutionnel est délégué par ce seul fait au conseil des anciens, qui doit statuer sur les propositions du jury sans pouvoir les amender. Outre les semences de troubles, de division et de désorganisation que renferme tout système qui met chaque jour la constitution en révision provisoire, celui-ci fait réellement du jury constitutionnaire le pouvoir constituant ; et l'intervention des assemblées primaires bien circonscrites est illusoire, et celle du conseil des anciens une formalité dérisoire, puisqu'il ne peut pas discuter.

On trouve dans la constitution de Pennsylvanie une institution qui a beaucoup de ressemblance avec le jury constitutionnaire qui vous est proposé.

Le peuple nomme tous les ans un conseil de censeurs. Le devoir de ce conseil est d'examiner si la constitution a été conservée dans toutes ses parties, sans la moindre atteinte, et si les corps chargés de la puissance législatrice et exécutrice ont rempli leurs fonctions comme gardiens du peuple, ou s'ils ont exercé d'autres ou plus grands droits que ceux qui leur sont donnés par la constitution ; il recommande au corps législatif l'abrogation des lois qui paraissent avoir été faites dans des principes opposés à la constitution. La session du conseil des censeurs dure un an.

Ce conseil fut convoqué en 1783, et il résulta de son examen que la constitution avait été violée assez souvent par le pouvoir législatif et par le pouvoir exécutif. Ainsi l'expectative d'une censure publique exercée par un corps aussi puissant, aussi respectable en apparence, ne peut prévenir ces violations. On dira que cette censure était placée à une trop grande distance.

Mais si le jury est permanent comme dans les projets soumis à la discussion, l'acte du corps législatif, contre lequel il y aurait réclamation, sera environné des circonstances et des passions qui l'auront produit, et la décision du jury sera nécessairement influencée par ces circonstances et par lés mêmes passions.

On a remarqué que plusieurs de ceux qui avaient le plus d'influence dans le conseil des censeurs de Pennsylvanie, avaient été à la tête des partis antérieurement existants dans l'État.

Pendant toute sa session, le conseil fut divisé, et l'esprit de parti présida plus à ses décisions que le respect pour la constitution, surtout lorsqu'il eut à prononcer sur 'les bornes respectives des pouvoirs. Ses décisions ne changèrent rien aux usages fondés sur les interprétations législatives, et la législature alors existante refusa de les reconnaître.

Cet exemple prouve, à la vérité, l'existence du mal qu'on veut prévenir dans notre constitution, mais celle de Pennsylvanie qui avait consacré l'unité du corps législatif, n'avait pas les mêmes garanties intérieures, et cet exemple prouve aussi l'impuissance du remède qu'on vous propose.

C'est donc courir après une perfection chimérique, que de vouloir donner des gardiens à une constitution, et des surveillants aux pouvoirs constitués supérieurs.

Les gardiens les plus sûrs et les plus naturels de toute constitution sont les corps dépositaires des pouvoirs, ensuite tous les citoyens.

Les corps défendent la constitution en défendant les prérogatives et les droits qu'elle leur attribue.

Ainsi pour prévenir la confusion ou l'usurpation des pouvoirs, il faut donner à ceux qui les exercent des moyens tellement suffisants pour résister aux tentatives dirigées contre eux, qu'ils soient forcés à se respecter mutuellement par le sentiment de leur force et de leur dignité. Il faut que dans l'organisation du gouvernement chacune de ses parties soit établie et posée de manière à retenir toutes les autres dans leur place ; il faut, pour ainsi dire, opposer l'ambition à l'ambition, et que l'intérêt personnel des fonctionnaires les attache au maintien des droits constitutionnels de leurs places ; la corruption des hommes en fait malheureusement une nécessité.

On appellera cela, si l'on veut, de l'équilibre, et par conséquent la pierre philosophale en politique. Mais ce système du concours des pouvoirs, présenté par Sieyès comme une nouveauté, n'est pas autre chose, quoi qu'il en dise, et ce n'est pas la peine de discuter pour des mots : car si le concours résulte de la bonne volonté de ceux qui gouvernent, comme le mot pris dans son acception ordinaire semble l'indiquer, ce concours n'est qu'une illusion ; car, suivant Sieyès lui-même, une loi dont l'exécution ou l'observance n'est fondée que sur la bonne volonté, est comme une maison dont le toit repose sur les épaules de ceux qui l'habitent ; Il est inutile de dire ce qui doit arriver tôt ou tard.

Si le concours résulte au contraire de l'organisation matérielle du gouvernement et des qualités qui lui sont inhérentes, comme je soutiens que cela doit être dans une bonne constitution, nous sommes d'accord ; alors peu m'importe qu'on l'appelle équilibre ou concours, puisque, quelque nom qu'on lui donne, la chose est la même.

Le grand problème est donc de mettre le gouvernement en état de régler la conduite des gouvernés, et de le forcer à régler la sienne par lui-même et sans ces agents extérieurs qui ne sont qu'une preuve de l'impuissance des hommes pour atteindre à la perfection.

Il y a plusieurs moyens d'y parvenir :

1° La division du corps législatif en deux parties qui aient des qualités et des principes d'action différents ;

2° L'établissement de certains rapports entre le pouvoir exécutif et la portion du corps législatif, présumée la plus intéressée au maintien de l'ordre, qui la disposeraient à soutenir les droits du premier sans abandonner la défense des droits dont elle fait partie ;

3° La participation du pouvoir exécutif dans la formation de la loi ;

4° Le vœu national et l'opinion publique.

La constitution que vous avez décrétée, contient les plus sûrs et les moins dangereux de ces moyens.

On attache aujourd'hui trop peu d'importance à la division du corps législatif. Ceux qui, dans l'Assemblée constituante, voulaient affermir la monarchie, pensaient qu'il n'y avait que cette division qui pût la garantir ; je la considère aussi comme la seule garantie raisonnable et possible d'une constitution républicaine, de toute constitution ; c'est elle qui empêchera les erreurs, la précipitation et l'enthousiasme auxquels une assemblée est entraînée par l'impression subite d'un discours éloquent, ou d'évènements souvent préparés ; c'est elle qui atténuera l'esprit de faction, qui préservera des effets funestes de la paresse, de l'irréflexion ou de la terreur ; c'est elle qui mettra un terme à la mobilité de la législation, cette source malheureusement trop féconde des maux qui afflige nt la patrie.

Je vois dans cette institution la sauvegarde de la liberté, l'indépendance des pouvoirs, lorsque les deux parties du corps législatif, sans avoir des intérêts opposés, sont dans une position différente qui ne leur permet pas de s'animer des mêmes passions, et qui empêche que les mêmes circonstances ne puissent les égarer toutes les deux en même temps.

Or c'est ce qui se rencontre dans le projet de la commission des onze ; les deux conseils ont bien le même intérêt ; mais ils ont des différences, telles que l'âge, le nombre, la dénomination, les fonctions ; ainsi ils ne sont pas susceptibles de recevoir constamment la même impression.

J'ai toujours pensé que le conseil des anciens serait par ses attributs le gardien, le conservateur de la constitution, le défenseur de la prérogative, du pouvoir exécutif, et cette idée a constamment dirigé la commission dans son travail. Nous avons toujours regardé le conseil des anciens comme une barrière naturelle et nécessaire pour réprimer par sa seule présence ou par le développement de sa puissance, la fougue du conseil des cinq cents, et pour garantir le Directoire exécutif des atteintes qui lui seraient portées. Et afin que le conseil des anciens, tout en garantissant le Directoire, ne pût le dominer ni l'asservir nous avons confié an conseil des cinq cents l'initiative de l'accusation. Voilà comment tout se lie, tout se tient et se balance dans le travail de la commission ; je persiste à dire que c'est dans cette organisation même que se trouve toute garantie, et il est sensible que si on veut placer un jury constitutionnaire sur cet édifice, on en détruit l'harmonie, l'intention et l'effet, et on court les risques de l'écraser sous le poids d'une machine qui ne lui a point été adaptée, d'une pièce de rapport qui ne fait point partie de son ensemble.

Quoiqu'il ne soit point dans mes principes de faire participer le pouvoir exécutif à la formation de la loi, j'aimerais beaucoup mieux lui donner une influence de cette espèce, et mettre ainsi dans lui-même sa garantie, que de la faire dépendre d'une volonté étrangère ; mais je le crois suffisamment garanti par la division du corps législatif, et par l'influence que doit lui donner cet article qui lui accorde le droit de proposer en tout temps des mesures aux deux conseils, et de les inviter à prendre un objet en considération.

On trouvera peut-être étonnant que je ne paraisse stipuler ici que pour le pouvoir exécutif ; c'est que je crains beaucoup plus pour lui que pour tout autre : car son mandat est limité à l'exécution des lois ; et comme il n'y a point dans notre code politique de définition exacte et convenue de la loi, le corps législatif a des pouvoirs illimités, et peut appeler loi toutes ses volontés.

La plus forte garantie de la constitution est, suivant moi, dans le vœu national. Malheur au peuple que ses législateurs ne regarderaient pas comme le plus solide appui de sa constitution et de ses lois ! La république et la liberté ne seraient que de vains mots dans un pays où ne compterait plus, pour contenir les ambitions individuelles, sur ce frein puissant chez les peuples libres ; l'opinion publi4 que. Si la constitution est acceptée par la nation française, si elle y trouve ce qu'elle a droit d'attendre d'un gouvernement, la paix et le bonheur, la république est à jamais fondée ; tous les bras s'armeront pour sa défense, et la constitution deviendra l'objet du respect et de l'attachement de tous les citoyens.

Je demande la question préalable sur le jury.