MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

OPINION SUR LA CONSTITUTION DE 1793.

4 GERMINAL AN III.

 

LES législateurs du peuple français ne doivent pas ressembler à ces prêtres de l'antiquité qui avaient deux manières de parler, l'une secrète et l'autre ostensible. Forts de la conscience du peuple, nous devons exprimer sans crainte tout ce que nous pensons. Je vais le faire : Quand même la constitution de 1793 serait aujourd'hui pour moi ce qu'elle a été l'année dernière pour un grand nombre de bons citoyens, quand elle frapperait aujourd'hui de mort, comme elle l'a fait l'année dernière, ceux qui, dans les assemblées du peuple, ont eu le courage de faire quelques observations ; dussé-je mourir, je vais parler. (On applaudit.)

Je pense que ce serait une grande imprudence de donner de la publicité à la constitution avant qu'elle soit mise en activité ; je dis qu'il y a plus que de l'imprudence à vouloir faire graver aujourd'hui sur des tables et exposer dans les lieux publics, une constitution qui, j'en suis sûr, n'est pas connue de la majorité des citoyens qui réclament sa publicité. (Vifs applaudissements.) Je ne sais ce qu'on veut dire en parlant chaque jour d'une constitution démocratique ; entendez-vous par constitution démocratique un gouvernement où le peuple exerce lui-même tous ses droits ? (Tous les membres : Non, non.)

Je ne connais qu'une constitution démocratique, c'est celle qui offrirait au peuple la liberté, l'égalité, et la jouissance paisible de ses droits. (Vifs applaudissements.) Dans ce sens, la constitution actuellement existante n'est point démocratique ; car la représentation nationale serait encore au pouvoir d'une commune conspiratrice qui plusieurs fois a tenté de l'anéantir et de tuer la liberté. (Nouveaux applaudissements.) Du moment où votre constitution sera mise en activité, vous ne pourrez vous empêcher de donner une municipalité à Paris et — un grand nombre de membres — des jacobins. (On applaudit.)

Je déclare que je ne consentirai jamais à l'exécution prompte et subite de la constitution ; exécution qui résulterait nécessairement de la publicité que l'on veut lui donner ; car je ne veux pas voir dans trois mois les jacobins rétablis et la représentation nationale dissoute. (Vifs et nombreux applaudissements. — Un grand nombre de membres se lèvent en signe d'adhésion.) J'aurais encore un autre amendement à faire à la constitution ; je veux que le corps législatif ait la police immédiate, et la direction de la force armée de la commune dans laquelle elle tiendra ses séances.

Il faut encore savoir si vous voulez et s'il n'est pas contraire aux intérêts du peuple de laisser aux factions qui naissent dans les républiques le droit d'insurrection partielle. (Vifs applaudissements.) Il faut savoir si le peuple français peut être engagé par une révolution combinée par des scélérats qui disent avoir l'initiative de l'insurrection. Il faut savoir aussi si c'est le peuple qui est en insurrection à la porte des boulangers, des bouchers, etc. (Nouveaux applaudissements.)

On dit qu'une loi organique peut faire disparaître toutes ces craintes ; mais, citoyens, faites attention que toute loi qui n'est pas constitutionnelle peut être 'abrogée par le corps législatif. (On applaudit.)

Une loi qui sert de garantie à la liberté du peuple et à celle de ses représentants doit être immuable comme la constitution ; si donc vous décrétez aujourd'hui que la constitution de 1793, sera gravée et publiée sur-le-champ, vous vous ôtez, par cela seul, la faculté de prévenir peut-être de grands maux. La constitution ne doit sortir de cette arche qu'après que des lois organiques auront facilité sa marche, qu'après que la Convention aura pris des mesures pour que le vaisseau politique ne soit pas lancé avant de s'être assuré qu'il arrivera au port sans danger.

Je m'oppose également à la proposition de Tallien. On ne fait pas dans quinze jours, dans un mois, des lois organiques d'une constitution ; il faut donc, en attendant cette époque, donner au gouvernement actuel assez de force pour comprimer les ennemis du peuple, et en adoptant la proposition de Tallien, on donnerait aux malveillants le prétexte de dire qu'on veut changer la forme du gouvernement. Je demande que la commission des seize fasse le rapport dont elle est chargée ; je m'oppose à ce que la constitution soit actuellement exposée dans les places publiques, et je demande que, dans le cas où les circonstances l'exigeraient, le comité de salut public puisse recevoir de nouvelles attributions.