PARIS - FIRMIN-DIDOT ET Cie - 1894
LES SOURCES.CHAPITRE PREMIER. - Les données de l'épopée. — CHAPITRE II. - L'industrie d'art phénicienne. — CHAPITRE III. - L'art archaïque de le Grèce et de l'Italie. — CHAPITRE IV. - L'industrie du Nord. — CHAPITRE V. - Les principaux groupes d'objets trouvés dans l'Est. — CHAPITRE VI. - Les principales fouilles de l'Ouest. L'ÉPOQUE HOMÉRIQUE.I. L'ARCHITECTURE ET LE MOBILIER.CHAPITRE VII. - Les murs de défense. — CHAPITRE VIII. - Les maisons d'habitation. CHAPITRE IX. - Les chars. — CHAPITRE X. - Les vaisseaux. II. LE COSTUME.CHAPITRE XI. - Les étoffes de vêtements. — CHAPITRE XII. - Le costume des hommes. — CHAPITRE XIII. - Les vêtements de femmes. — CHAPITRE XIV. - La coiffure d'Andromaque. — CHAPITRE XV. - Des relations du costume homérique avec le costume classique. — CHAPITRE XVI. - Les objets de toilette. III. LES PARURES.CHAPITRE XVII. - Le hormos et l'isthmion. — CHAPITRE XVIII. - Les boucles d'oreilles. — CHAPITRE XIX. - Les agrafes. — CHAPITRE XX. - Les hélikès et les kalykès. IV. L'ARMEMENTCHAPITRE XXI. - Les jambières et les cuirasses. — CHAPITRE XXII. - Le casque. — CHAPITRE XXIII. - Le bouclier. — CHAPITRE XXIV. - Les armes offensives. — CHAPITRE XXV. - Rapports entre l'armement homérique et les armes de guerre orientales et classiques. V. USTENSILES ET VASES.CHAPITRE XXVI. - Les haches dans le tir à l'arc. — CHAPITRE XXVII. - Le pempobolon. — CHAPITRE XXVIII. - Les vases à boire. — CHAPITRE XXIX. - La coupe de Nestor. VI. L'ART.CHAPITRE XXX. - La décoration. — CHAPITRE XXXI. - Le bouclier d'Achille. — CHAPITRE XXXII. - Les images des dieux. — CHAPITRE XXXIII. - Conclusions. SUPPLÉMENTS.I. Sur l'époque de la fondation de Cumes. — II. Du revêtement métallique des murs. INTRODUCTIONEn me confiant le soin de présenter au public français,
sous sa nouvelle forme, l'ouvrage de M. Helbig, l'auteur de cette traduction
a bien voulu se souvenir que j'avais été des premiers à lui conseiller de
l'entreprendre. Je tiens à le remercier tout d'abord d'avoir mené à bonne fin
une tâche qui n'était pas sans difficultés, en raison de l'extrême précision
du texte allemand, et de l'appareil de notes qui l'accompagne. M. Trawinski
n'en était pas d'ailleurs à son coup d'essai ; on lui doit déjà une bonne
traduction de L'éloge de ce livre n'est plus à faire. La première
édition date de 1884 ; une seconde l'a bientôt suivie en 1887. Dès son
apparition, il a été accueilli avec reconnaissance par tous ceux
qu'intéressent l'histoire et les antiquités de Le titre de cet ouvrage en indique nettement la nature et la portée. Considérer l'Épopée homérique comme une véritable encyclopédie de la vie grecque, au neuvième et au huitième siècle avant notre ère, telle est l'idée dont s'est inspiré M. Helbig. Elle est depuis longtemps familière à tous les critiques, car il est impossible de lire l'Iliade et l'Odyssée sans être frappé de l'abondance des notions que nous livrent les deux poèmes sur la société grecque primitive. On l'a dit très justement : Homère sait à peu près tout ce qu'on peut savoir de son temps, et il le sait bien ; les détails, même techniques, lui sont familiers ; il a une idée précise de chaque métier : labour, chasse, pêche, fabrication des armes, tissage des étoffes, construction, stratégie et technique, médecine, rien des choses contemporaines ne lui est inconnu[5]. Aussi l'attention des érudits a-t-elle été souvent éveillée sur ce fond de réalité que recouvre l'éclat des images poétiques. Réalités homériques, tel est le titre des deux volumes où Buchholz a réuni et groupé tous les renseignements épars dans l'Épopée, pour reconstituer la vie, les mœurs, les habitudes sociales des contemporains d'Homère[6]. Mais ces tableaux, dont les traits sont empruntés exclusivement aux textes, ont le défaut de rester trop abstraits. Quelque effort de pensée que l'on puisse faire, on ne saurait leur donner leur couleur vraie, si l'esprit n'évoque pas en même temps la vision des formes matérielles, si le texte ne s'éclaire pas par le commentaire si prompt et si direct que fournit le monument. Commenter par des monuments contemporains, ou peu s'en
faut, l'Iliade et l'Odyssée, ce rêve eût paru chimérique il y a trente ans,
avant les découvertes auxquelles reste attaché le nom de Schliemann. Imaginez
un dévot d'Homère, curieux de se figurer le décor où se meuvent les héros de
l'Épopée, leurs armes, leur costume, tous ces détails de la vie extérieure
que le poète décrit le plus souvent sans y insister, parce qu'ils sont
familiers à ses auditeurs. Où les chercher ? Est-ce dans les œuvres de la
belle époque grecque, dans les sculptures ou les peintures de vases qui
relèvent de la tradition classique ? C'était autrefois l'unique ressource.
Mais on sait aujourd'hui ce qu'il faut penser de la valeur de ces
témoignages. Depuis une vingtaine d'années les découvertes
archéologiques nous ont ouvert sur l'antiquité homérique des perspectives
toutes nouvelles. On peut le dire sans paradoxe : nous sommes aujourd'hui
mieux renseignés sur la civilisation des Achéens de l'Épopée que ne pouvaient
l'être les Grecs du quatrième siècle ou de l'époque alexandrine. Tout ce
passé lointain est sorti de la légende. On est revenu de la première surprise
qu'avait provoqué le caractère étrange et si nouveau pour nous des objets
exhumés par Schliemann dans les tombes royales de Mycènes. Le scepticisme de
la première heure n'a pu tenir devant des concordances trop souvent répétées
pour être fortuites ; les régions où se rencontraient les traces d'une
civilisation très ancienne et offrant néanmoins un remarquable caractère
d'unité étaient celles-là même où l'Épopée place la résidence des principaux
chefs achéens : l'Argolide, Parmi ces ouvrages, un de ceux qui se rapprochent le plus,
pour le plan, du livre de M. Helbig, est celui de M. Tsountas. Le jeune
archéologue qui a pris aux fouilles récentes de Mycènes et de Vaphio une part
si active, a tenté de restituer la vie mycénienne, en étudiant, à peu près
dans le même ordre, le palais, la maison, les armes, le costume, la tombe, et
même le culte religieux. Ce livre est comme la préface de l'ouvrage de M.
Helbig ; mais il n'en est que la préface. La tâche que s'est proposée le
savant allemand est toute différente. Entre la période florissante de la
civilisation mycénienne et celle où les chants de l'Épopée prennent leur
forme et se coordonnent, il s'est écoulé plusieurs siècles. Des différences aussi profondes entre la civilisation achéenne et celle de l'Épopée imposaient à M. Helbig des recherches plus étendues que n'en comporte l'étude de la période mycénienne. Sa critique devait porter à la fois sur les monuments antérieurs à l'Épopée, et sur ceux d'une époque immédiatement postérieure. Ces derniers, il fallait les chercher partout où ils se trouvent, non seulement en Grèce, mais encore dans les pays italiens où le commerce a commencé de bonne heure à répandre les produits de l'industrie naissante des Hellènes ; il fallait enfin prendre une idée exacte de cette industrie phénicienne, dont les œuvres provoquent l'admiration des contemporains d'Homère. Le lecteur jugera avec quelle sûreté M. Helbig a pour ainsi dire établi ces travaux d'approche, qui cernent le problème de toutes parts, et avec quelle connaissance du monde grec primitif il a conduit cette difficile enquête. Une des questions sur lesquelles la critique s'est le plus exercée, est celle de la date relative des différentes parties de l'Épopée. On a souvent remarqué que certains passages accusent le souvenir d'une civilisation plus ancienne, tandis que d'autres font allusion à un état social un peu différent. Les fouilles les plus récentes paraissent prouver que les poètes de l'Épopée ont parfois conservé, avec une singulière précision, des réminiscences de la civilisation achéenne. Nous ne saurions entrer ici dans un examen détaillé des faits ; il nous suffira de citer quelques exemples. Réunissez les indications éparses dans l'Odyssée sur la maison d'Ulysse ou celle de Nestor ; les termes dont se sert le poète deviennent fort clairs si l'on se reporte aux maisons royales de Tirynthe ou de Mycènes. On a retrouvé à Mycènes, à l'entrée du palais, les bancs de pierre dont parle Homère : c'est bien ainsi qu'on imagine les pierres polies où, devant la maison de Nestor, plusieurs générations d'ancêtres s'étaient assises. La demeure d'Ulysse est celle d'un riche propriétaire campagnard ; pourtant elle offre bien des dispositions communes avec c elles du palais de Tirynthe : la cour, entourée de portiques ; le portail qui y donne accès ; au milieu de la cour, l'autel ; plus loin, la grande salle, le mégaron, avec son foyer, ses colonnes, où sont accrochées les armes d'Ulysse, ternies par la fumée qui monte du foyer, et noircit les murailles ; dans la partie la plus reculée, les chambres, éloignées du bruit et du mouvement qui remplissent la partie de la demeure ouverte aux visiteurs. Sans doute le poète connaît, au moins par tradition, des palais analogues à ceux dont le plan se déchiffre aujourd'hui si nettement sur le sol rocheux de l'Acropole de Tirynthe[10]. Les souvenirs d'une époque de prospérité et de richesse ne
se manifestent pas avec moins d'évidence, si l'on considère les objets d'art
et d'industrie décrits dans l'Épopée. Sans doute, pour les Grecs d'Homère, Plus nos connaissances s'étendent et se précisent, plus
les poèmes homériques prennent pour nous comme un accent de vérité et de vie.
Les fouilles récentes ne font que confirmer, par des révélations inattendues,
les témoignages de l'Épopée. En voici un dernier exemple. On connaît le
curieux épisode de l'Odyssée où Ulysse se présente à Eumée comme un
chef crétois qui a accompagné Idoménée à Troie. Il a fait bien d'autres
campagnes, et guerroyé jusqu'en Égypte. Un jour, il arme neuf vaisseaux,
rassemble des équipages, et, après une traversée de cinq jours, parvient
jusqu'au beau fleuve Égyptos. Il pille, tue,
enlève des femmes et des enfants, si bien qu'une armée royale survient, et
met en déroute les pirates grecs. C'est un roman, sans aucun doute, mais un roman
dont les détails n'ont rien que de vraisemblable. Les documents égyptiens
nous ont appris que, dès le quinzième siècle avant notre ère, les peuples
marins épars sur le littoral de la mer Égée ou dans les îles grecques
connaissent le chemin de l'Égypte ; leurs barques de guerre se sont lancées
sur la mer que les textes égyptiens appellent Nous ignorons encore comment s'est fait le passage de la
civilisation mycénienne à celle de l'Épopée. S'est-il produit une brusque rupture,
ou bien, dans la période troublée qui coïncide avec les invasions doriennes,
la prospérité des États achéens a-t-elle décliné lentement, pour se
rapprocher par degrés d'un état social analogue à celui des contemporains
d'Homère ? Il semble que les découvertes les plus récentes tendent à fortifier
cette seconde hypothèse[12]. Entre la
brillante période de Mycènes et l'Épopée, la tradition a pu servir
d'intermédiaire. Les poèmes homériques semblent garder plus d'un souvenir de
l'époque où, derrière les murs de pierre de leur acropole, les dynastes
mycéniens menaient la vie luxueuse et brillante de chefs enrichis par la
piraterie et par des coups de main heureux. Au moment où prennent forme les
chants homériques, c'est-à-dire vers le début du premier millénium avant
notre ère, tout ce passé de richesse et de gloire vit encore dans la mémoire
des Grecs. On peut même se demander si, dans ses parties les plus anciennes,
l'Épopée n'a pas été ébauchée dans Paris, 15 mai 1894. Maxime COLLIGNON. |
[1]
Il a fait l'objet d'un article de M. G. Perrot dans
[2] Wandgemaelde der rom Vesuv
verschülleten Städte Campaniens, 1868. — Untersuchungen
über die Companische Wandmalerei, 1873.
[3] Guide dans les musées d'archéologie classique de Rome, par W. Helbig, traduction française par J. Toutain, membre de l'École française de Rome, Leipzig, 1893.
[4] Die Italiker in der
Poebene. Beitrüge zur altitalischen Kultur und Kunstgeschichte,
[5] Alfred et Maurice Croiset, Histoire de la littérature grecque, I, p. 231.
[6] Buchholz, Homerische Realien, 2 vol. 1873-1881.
[7] Voir les planches de l'atlas qui accompagne l'ouvrage de MM. Benndorf et Niemann, Das Herôon von Gjoelbaschi-Trysa, Vienne, 1889.
[8] Voir Otto Jahn, Griechische
Bilderchroniken,
[9] Schuchhardt, Schliemann's Ausgrabungen
in Troja,
[10] Voir Tsountas, Μυκήναι, p. 40 et suivantes, et le chapitre de M. Percy Gardner, Recent discoveries and the Homeric poem, dans son ouvrage intitulé New chapters in Greek history, Londres, 1892.
[11]
Sur cette question des rapports de
[12] Voir en particulier l'intéressant résumé de la question mycénienne, Die Mykenische Frage, par M. Emil Reisch, dans les Verhandlungen der 42 Philologen-Versammlung, p. 97-122, et les conclusions de l'ouvrage de M. G. Perrot.