Ces mots qu'on ne trouve que dans un seul passage de l'Épopée[1] sont difficiles à expliquer ; seul l'hymne à Aphrodite[2] nous renseigne un peu à ce sujet. Le poète nous représente Anchise déshabillant Aphrodite pour la cérémonie du mariage. Le jeune homme ôte d'abord à la déesse les porpaï, les hélikès, les kalykès et les hormoï ; ensuite il détache sa ceinture et enlève son brillant vêtement. Les commentateurs anciens et modernes ont passé en revue toutes les parures pour les appliquer aux hélikès et aux kalykès. Les premiers seraient tantôt des bandeaux de tête, tantôt des appendices des hormoï, des boucles d'oreilles, des bracelets ou des anneaux[3]. Gerlach[4], qui a étudié cette parure tout récemment avec plus de soin que tout autre, s'appuie sur la signification primitive du mot et en conclut que c'étaient des spirales métalliques qui servaient de bracelets, d'anneaux et d'attaches-boucles ; il ajoute qu'on en a trouvé un assez grand nombre dans les fouilles de Grèce, d'Italie et du Nord. Même incertitude quant aux kalykès que l'on traduit également par anneaux, boucles d'oreilles et attache-boucles, tandis que Gerlach[5], s'en tenant à la racine du mot, les considère comme des têtes d'épingles à cheveux en forme de calice. Mais il suffit d'examiner de près ce passage pour réfuter toutes ces tentatives d'explication. Anchise pouvait bien en cette circonstance laisser à la déesse ses bracelets, ses anneaux et ses boucles d'oreilles, et il n'avait aucun motif de la décoiffer en lui enlevant ses bandeaux de tête et ses attache-boucles. Prendre les kalykès pour des épingles à cheveux comme le fait Gerlach, ce serait prendre l'ornement de la tête d'épingle pour l'épingle elle-même, c'est-à-dire la partie pour le tout, ce qui serait ici une singulière catachrèse. En second lieu, on ne comprend pas comment clans une description de ce genre le poète passerait directement des fibules du peplum à la parure de la tête pour revenir aux hormoï garnissant la poitrine. Enfin les hélikès ne peuvent pas avoir été des appendices des hormoï, puisque le poète établit entre eux une différence et sépare les deux termes par les kalykès. En tout cas, si l'on s'en rapporte à la description de l'hymne dont il s'agit, il est probable que les hélikès comme les kalykès étaient attachés au peplum et devaient en être enlevés lorsqu'on ôtait ce vêtement. Cette hypothèse doit servir de base à toute tentative d'explication. Si l'on réfléchit que helix, traduit littéralement, signifie sinuosité, méandre, on aura tout de suite présente à l'esprit une sorte de broche de bronze en spirale[6]. qu'on rencontre en Grèce[7], en Italie[8] et dans l'Europe centrale[9] et qui sont les produits les plus anciens de l'art du joaillier. L'épithète courbé (γναμπτός) ou bien recourbé (έΰγναμπτος) s'applique parfaitement à une parure où il s'agissait surtout de former deux ou plusieurs spirales en recourbant avec habileté le fil métallique. Par conséquent, les hélikès, si nous l'avons bien compris, servaient, tout comme les πόρπαι et les περόναι, à attacher les vêtements. Mais si le peplos d'Aphrodite était fermé au moyen de πόρπαι et de έλικες, il est impossible de préciser la manière dont ces deux objets étaient attachés au vêtement. Peut-être le poète voyait-il les broches-spirales fixées près des deux épaules et les fibules le long de la fente latérale. Mais la disposition contraire ne serait pas non plus impossible ; les fibules pouvaient bien être placées en haut et les broches sur le côté[10]. Quant aux kalykès, il nous parait impossible d'en déterminer exactement l'usage. Comme le mot, dans son acception primitive, signifie calice, il pourrait à la rigueur se rapporter à une parure qu'on rencontre souvent dans les tombeaux étrusques qui remontent apparemment à la fin du 6e ou aux premières années du 5e siècle[11]. C'est une tige d'or recourbée d'une manière particulière et terminée à l'une de ses extrémités en une sorte de bouton de fleur. Comme ces objets sont généralement rangés par couples à côté ou dans l'intérieur de la poitrine du squelette, nous sommes autorisés à admettre qu'ils étaient fixés d'une manière ou d'une autre sur le vêtement même, ou bien sur des parures qui dépassaient le vêtement. Mais il n'y aurait aucun avantage à les identifier avec les kalykès homériques, puisque nous ne savons rien de certain ni de leur disposition ni de l'usage auquel ils pouvaient servir. Si maintenant nous résumons ce qui a été dit dans les dix chapitres précédents, nous verrons les personnages de l'Épopée sous un aspect tout particulier qui n'a rien de commun avec les idées généralement admises. Un homme de notre temps, en lisant par exemple ce passage de l'Épopée où Hélène s'avance sous les murailles de la ville vers les vieillards troyens[12], se représentera à peu près cette scène d'après la frise du Parthénon, avec une grande liberté d'allures dans les costumes et dans les parures. Tel n'était point le tableau qui se déroulait devant l'imagination du poète, auteur de cette scène admirable : il voyait, lui, Priam et les vieillards vêtus de longs chitones de lin et de manteaux rouges ou pourpres, ornés en partie de beaux dessins et se détachant vigoureusement sur le fond blanc comme neige des vêtements de dessous. Sur le manteau du roi se développe une ornementation figurée, quelque chose comme une bataille. Nulle part on n'aperçoit les plis libres et variés des draperies classiques. Les chitones de lin sont artificiellement plissés, ou sont vers le haut collés contre le corps, tandis qu'en bas ils tombent droit. Les manteaux reposent sur le dos symétriquement ; bien tirée sur les épaules et sur la poitrine, l'étoffe n'a de jeu libre que dans la partie inférieure du vêtement. Le visage est encadré d'une barbe en pointe ; la lèvre supérieure est rasée ; de chaque côté des joues pendent des boucles de cheveux, peut-être maintenues par des spirales d'or. De même la figure d'Hélène ne correspond guère au type classique : le corps puissant est habillé d'un peplos bigarré, richement orné, parfumé d'un parfum pénétrant et bien serré à la taille ; bien tendus sur les épaules, les bords supérieurs du vêtement retombent sur le sein où ils sont attachés de chaque côté avec une agrafe d'or. Sur le buste s'étale le hormos dont l'ambre rouge sombre produit avec l'or des parties constitutives du costume un vigoureux contraste de couleurs. La chevelure est disposée en nattes artificielles. La tête est peut-être surmontée d'un bonnet haut et raide, serré au milieu dans un bourrelet de couleur, pendant que sur le devant brille l'ampyx d'or. Le voile, partant de la coiffe ou du crâne, couvre les épaules et le dos ; fait de toile d'une blancheur éclatante, il est comme une douce apparition pour les yeux au milieu du chatoiement des couleurs et du miroitement des métaux qui domine sur le devant du peplos. Partout des formes conventionnelles et une magnificence de couleurs qui rappelle l'Orient ; nulle part cet abandon plein de dignité et cette harmonie si simple qui caractérise le véritable hellénisme. Voilà, en résumé, notre conclusion sur le costume et les parures de l'époque homérique. Nous tâcherons maintenant de tracer un tableau aussi exact que possible de l'équipement de guerre pendant la même période. |
[1] Iliade, XVIII, 401. Héphaïstos forge, lorsqu'il est accueilli par Eurynome et Thétis.
[2] Hymn. hom. IV (à Aphrodite), 86 et suiv. 162 et suiv.
[3] Schol. Iliade, XVIII, 401. Comparez XVII, 52. — Eustathe, p. 1150, 21-23. Comparez p. 1394, 42. — Apoll. Lex. hom., p. 66, 17 : έλικας. — Hesychius, s. v. έλικες. — Le même au mot κάλυξ. Le même au mot κάλυκας. Ethym. magn., p. 486, 38 : κάλυξ.
[4] Philologue, XXX, p. 490.
[5] Philologue, XXX p. 490-491.
[6] Il n'en existe, à notre connaissance, qu'un seul spécimen en or ; il aurait été trouvé près de Cæré et appartenait jadis à la collection Campana. (Voyez Im neuen Reich, 1874, I, pl. correspondant à la page 721 et suiv. fig. 2.)
[7] Voyez Marchesetti, La necropoli di S. Lucia, Trieste, 1886, p. 52-51 — Voyez aussi Furtwängler, Bronzefunde aus Olympia, p. 37.
[8]
En Italie, ce type se rencontre déjà dans les couches préhelléniques : dans les
tombe a pozzo de Corneto (Bull. dell'
Inst., 1882, p. 210. — Not. di scavi com. all' acc. dei Lincei,
1882, pl. XIII
bis, 14, p. 183 ; dans la nécropole de Monteroberto (Not. d. scavi,
1880. pl. IX, 6,
13) ; dans un tombeau très ancien de Catanzaro (Bull. di palets. ital.,
VIII, pl. IV, 2,
p. 95) ; dans les tombeaux de Suessula, on trouve des broches semblables (Not.
d. scavi, 1878, pl. VI,
n° 2, 4, 5 p. 107 ; les n° 2 et 4 sont mieux représentés dans Montelius, Spännen
fran Bronzäldern, p. 192, fig. 197 et p. 191, fig. 196) à côté d'objets qui
rappellent ceux provenant de Cumes (Bull. dell' Inst., 1878, p. 152 et
suiv.). Elles sont très fréquentes dans la basse Italie, surtout en Apulie
(Angelucci, Gli ornamenti spiraliformi in Italia, Torino, 1876, p. 4 et
suiv. où sont mentionnés également des spécimens d'Ombrie, p. 9, note, et du
Picenum, p. 6, note 1). Comparez
Montelius, Spännen fritta Bronzäldern, p. 188, 189, 190, fig. 192-195.
[9] Von Sacken, Grabfeld von Hallstatt, pl. XIII, 9, 10. — Lindenschmit, Alterthümer unserer heidn. Vorzeit, vol. I, fasc. III, pl. VI, fasc. IX, pl. II, 8, 9, pl. III, 1, 2 ; vol. II, fasc. XI, pl. II, 7. — Kemble, Horae ferales, pl. XII, 1, 2. — Marchesetti, loc. cit., 52-53.
[10] Studniczka (Beiträge, p. 114, note 60) considère l'ancienne opinion, d'après laquelle les non ; en spirale auraient été des bracelets ou des boucles d'oreilles, comme plus vraisemblable que la nôtre. Il nous oppose les arguments suivants : Nous y lisons άπό χροός, ce qui serait inexact si l'on supposait tout le κόσμος sur le vêtement. Le όρμος tout au moins que la déesse porte άμφ'άπαλή δειρή (V, 88) ne servait nullement à attacher le vêtement. On s'étonnerait enfin d'y voir mentionner les έλικες s'ils ne devaient être qu'une variété spéciale des πόρπαι précédemment nommées. Nous avons déjà répondu plus haut, à l'objection concernant άπό χροός. Le hormos n'était pas placé sur la nuque seulement ; il retombait sur le buste ; il fallait donc l'enlever nécessairement quand la déesse voulait se débarrasser de son peplos. Les broches en spirale et les fibules servaient assurément au même usage ; mais elles ne se ressemblaient point ; le poète a donc bien pu les nommer les unes après les autres. Quant au dicton pythagoricien χρυσόν έχούση μή πλησίαζε έπί τεκνοποεία (Mullach, Fragm. philos. græc., I, p. 507, 37), Studniczka aurait pu s'épargner la peine de le citer ; car ce dicton n'a rien à faire avec la situation décrite dans l'hymne homérique. Il met les gens en garde contre le mariage avec une femme trop riche, dont l'arrogance serait insupportable pour le mari comme pour les enfants (Voyez Hermann-Blümner, Lehrbuch der griech. Privatalterthümer, p. 267).
[11] Les parures de ce genre n'ont pas été mises au jour dans les fouilles que nous avons eu l'occasion d'examiner nous-mêmes. Mais tous les scavatori, que nous avons interrogés, nous ont assuré qu'on en trouvait à la place ci-dessus indiquée et dans les tombeaux renfermant des vases à figures noires.
[12] Iliade, III, 145-160.