LA PIRATERIE DANS L’ANTIQUITÉ

 

par J. M. Sestier - 1880

 

 

INTRODUCTION

CHAPITRE I

I - Considérations générales sur la piraterie dans l’antiquité - Civilisation primitive - Origine de la navigation — II - État social primitif. - Les enlèvements et le mariage

CHAPITRE II

I - La légende de Bacchus — II - Les Argonautes — III - Les héros d’Homère

CHAPITRE III

Les Cariens et les Phéniciens

CHAPITRE IV

Première répression de la piraterie - L’île de Crète - Minos - Rhodes

CHAPITRE V

Les pirates grecs

CHAPITRE VI

L’île de Samos. - Le tyran Polycrate - Le marchand Colæos

CHAPITRE VII

La piraterie grecque - Salamine - Égine

CHAPITRE VIII

Le monde oriental à l’époque des guerres médiques

CHAPITRE IX

La Grèce après les guerres médiques

CHAPITRE X

I - De l’empire de la mer exercé par Athènes — II – Organisation de la marine athénienne

CHAPITRE XI

La piraterie à l’époque de Philippe II et d’Alexandre le Grand

CHAPITRE XII

Les Carthaginois - Traités d’alliance avec les Romains - La Sicile - Les Mamertins

CHAPITRE XIII

Les Étrusques - Les Ligures

CHAPITRE XIV

Rome et la piraterie

CHAPITRE XV

Guerres de Rome contre la piraterie - L’Illyrie. La reine Teuta - Démétrius de Pharos - Genthius

CHAPITRE XVI

I - Les Étoliens et les Klephtes — II - Conquête des îles Baléares

CHAPITRE XVII

Mithridate et les pirates

CHAPITRE XVIII

Puissance des pirates - Captivité de César

CHAPITRE XIX

Expédition de Publius Servilius Isauricus contre les pirates

CHAPITRE XX

Les pirates crétois - Expéditions d’Antonius et de Metellus

CHAPITRE XXI

Exploits des pirates - Leur luxe et leur insolence

CHAPITRE XXII

La loi Gabinia - Pompée - La Cilicie

CHAPITRE XXIII

Conquête de l’île de Chypre et de l’Égypte

CHAPITRE XXIV

Sextus Pompée et la piraterie - Auguste

CHAPITRE XXV

La piraterie sous l’empire romain

CHAPITRE XXVI

La piraterie et les invasions des Barbares

CHAPITRE XXVII

La piraterie et la législation maritime dans l’antiquité

CHAPITRE XXVIII

La piraterie et la traite des esclaves

CHAPITRE XXIX

La piraterie et la littérature - Le théâtre et les écoles de déclamation

 

INTRODUCTION

Tous les peuples primitifs établis dans les pays méditerranéens ont exercé la piraterie dans l’antiquité. Il me faudra donc entrer dans l’histoire même des nations maritimes depuis leurs origines, et suivre parfois pas à pas leur sort et leurs destinées, parce que, de cette manière seulement, il me semble possible de reconstituer avec intérêt les divers caractères de la piraterie, d’en rechercher les causes, et d’expliquer les transformations qu’elle a subies avec la marche des siècles, avec les progrès de l’humanité et sous l’influence d’événements considérables auxquels elle ne fut jamais étrangère.

La piraterie se révèle, au début, comme une condition inhérente à l’état social. J’insisterai sur ce point, et j’établirai, à l’aide d’une étude sur la civilisation primitive, que la piraterie fut pour les antiques peuplades maritimes une nécessité qui naquit de la difficulté de se procurer les premiers besoins de l’existence. Les tribus primitives entreprirent la piraterie sur la mer, comme la guerre sur le continent, afin de se procurer des vivres. Dans une époque où toute notion du droit des gens était inconnue, où chaque petite nation vivait dans un exclusivisme étroit, le voisin, ses propriétés et ses biens étaient considérés comme autant de proies qu’il était licite de saisir et glorieux même de conquérir par la force ou par la ruse.

Pendant toute cette période préhistorique, la piraterie fut une profession parfaitement avouable.

Les légendes les plus accréditées des temps mythologiques et héroïques, nous fourniront la preuve que la piraterie fit son apparition sur la Méditerranée avec les premiers navigateurs. L’histoire confirmera ce fait, car c’est par des récits d’enlèvements, de violences, de pillage, que les plus grands écrivains de l’antiquité ont commence leurs œuvres.

Tous les peuples des côtes de la Méditerranée ont pratiqué la piraterie au début de leur histoire, soit d’une manière générale dans leurs incursions, soit d’une façon plus restreinte dans des expéditions aventureuses. Celles-ci étaient néanmoins profitables au progrès de l’humanité, puisque ces aventuriers, transformés en personnages héroïques par les écrivains, agrandirent les bornes du monde connu, et furent, en même temps, des négociants, échangeant les produits des divers pays et répandant, dans tout le bassin méditerranéen, l’usage de l’écriture, les cultes et les arts orientaux.

Quand les différentes races se furent assises autour de la Méditerranée et constituées en nations distinctes, elles luttèrent entre elles pour conquérir la suprématie maritime appelée l’Empire de la mer. Presque tous les peuples le possédèrent successivement, et toits en firent le même usage. En plein épanouissement de la civilisation grecque, l’Empire ale la mer était défini par un écrivain politique athénien l’avantage de pouvoir faire des courses et de ravager les États étrangers sans crainte de représailles.

Cette piraterie de peuple à peuple fut la cause des plus grandes guerres de l’antiquité.

L’histoire nous montrera certaines nations, contractant des alliances pour exercer, d’un commun accord, la piraterie contre des États plus faibles ou contre des races ennemies vouées à une haine nationale, séculaire et farouche.

Lorsque Rome aura vaincu Carthage et détruit la plus grande puissance maritime de l’antiquité, saris avoir eu le soin de la remplacer, la piraterie changera de caractère. Elle cessera d’être le produit et la manifestation violente d’une rivalité maritime ; elle ne sera plus une course considérée comme légitime et pratiquée par des États qui ne sont liés par aucun pacte d’alliance ni d’amitié : elle deviendra un véritable brigandage. Dans cette période la piraterie n’a pas de nation. C’est comme une revanche de tous les ennemis insoumis contre le vainqueur, revanche exercée avec succès et profits sur une mer saur police devenue leur domaine, et sur laquelle ils règnent en maître.

Les richesses des pirates étaient incalculables et leur puissance était si grande à cette époque, qu’ils étaient parvenus à organiser une espèce de république de bandits, avec son territoire, ses villes, ses forteresses et ses arsenaux.

Pendant un certain temps, à Rome, la piraterie préoccupait le peuple plus vivement même que les guerres civiles et étrangères. En effet, chaque famille était victime de ce fléau, et les plus grands citoyens tombaient honteusement entre les mains des pirates. Ces exploits avaient leur retentissement jusque sur le théâtre et dans les écoles de déclamation. Le monde ancien était dans un tel affaissement moral, la république romaine était si ruinée que la piraterie et les exactions des gouverneurs se pratiquaient en même temps et de concert dans tout le bassin de la Méditerranée. Cependant lorsqu’un blocus étroit se fit autour de l’Italie, force fut au gouvernement de prendre enfin d’énergiques mesures pour rompre la coalition des bandits contre Rome affamée. Pompée et ses lieutenants triomphèrent de la piraterie, et leur habile politique fit plus que leurs victoires mêmes pour réprimer pendant quelques années ce fléau redoutable.

La piraterie reparaîtra dans les désordres qui suivront l’assassinat de César. Le fils de Pompée la réorganisera et la fera servir à ses desseins, comme jadis Mithridate. A aucune autre époque elle ne fut constituée en force utilitaire plus puissante. Auguste, aidé par le célèbre Agrippa, parviendra, après une lutte acharnée et pleine de périls, à la dompter complètement.

Sous l’Empire, la bonne administration des provinces, la prospérité des peuples, les bienfaits et la munificence des empereurs, empêcheront le retour des brigandages qui avaient infesté la Méditerranée pendant tous les temps anciens. C’est à peine, en effet, si l’histoire mentionne, sur les confins de l’Empire, quelques actes isolés de piraterie, promptement étouffés du reste, et nullement inquiétants pour la sûreté et la liberté de la navigation.

Au moment des invasions, la piraterie renaîtra avec le caractère qu’elle avait eu dans les temps primitifs. Les Barbares procèderont comme les Phéniciens, les Grecs et les Carthaginois à leur arrivée en Europe. Profitant des troubles résultant de l’anarchie qui ébranlait alors la puissance romaine dans toute l’étendue de son immense empire, ils commettront de grands ravages. Mais, quand le pouvoir retournera en de fortes mains, les Barbares n’osèrent plus s’aventurer sur la mer. Constantin le Grand, en transportant le siège de l’Empire à l’entrée même de la mer menacée par les envahisseurs, leur barrera le passage, et ses successeurs sauront les contenir pendant des siècles par la force de leurs flottes et de leurs armées et par celle de leur politique et de leurs lois.

Au christianisme, en fin, il sera donné de transformer, de civiliser par sa divine morale, par l’enseignement du respect des biens et de la liberté d’autrui, ces Barbares accoutumés jusqu’alors à ne vivre que de pillage, de violence et de brigandage.

Je termine au règne de Constantin l’histoire de la piraterie dans les pays méditerranéens, estimant que si elle devait être continuée au delà, elle n’offrirait un réel intérêt qu’à partir de l’époque où les Sarrasins et les Musulmans, de race nouvelle, fanatiques et implacables envers les chrétiens, firent apparition en Europe, semant sur leur passage la terreur et la ruine. Et cette histoire se terminerait au jour où le glorieux drapeau de la Fiance fut victorieusement planté sur les murailles d’Alger, le repaire suprême de la piraterie sur les bords de la Méditerranée.