LA PIRATERIE DANS L’ANTIQUITÉ

 

CHAPITRE XIX

 

 

EXPÉDITION DE PUBLIUS SERVILIUS ISAURICUS CONTRE LES PIRATES

Le Sénat comprit enfin qu’il fallait agir et briser le blocus qui anéantissait l’Italie.

Murena et C. Dolabella essayèrent de réunir dans les ports de l’Asie-Mineure une flotte de combat contre les pirates, mais ils ne firent rien de mémorable.

Publius Servilius fut alors désigné pour diriger une nouvelle expédition.

A la tète d’une escadre, composée de gros vaisseaux de guerre, il dissipa les brigantins légers et les barques-souris des pirates, après un combat sanglant. Non content de cette victoire, il aborde en Asie-Mineure et se met à raser successivement toutes les villes devant lesquelles les pirates allaient d’ordinaire jeter l’ancre et où ils déposaient leur butin. Ainsi tombent les citadelles de Zénicétus, puissant roi de mer, Corycus, Olympus, Phasélis, en Lycie orientale, Attalia, en Pamphylie. A l’attaque de Phasélis, Zénicétus, voyant l’armée romaine maîtresse des abords de la ville, fait mettre le feu aux principaux édifices et se précipite dans les flammes avec tous ses compagnons.

Encouragé par ses succès, Servilius franchit le Taurus et marche contre les Isauriens qui étaient cantonnés dans un labyrinthe de montagnes escarpées, de rochers suspendus et de vallées profondes. Là étaient les repaires des pirates, là les brigands se sont toujours maintenus, et, de nos jours encore, cette région, l’ancienne Cilicie Trachée, n’a pas changé d’aspect, et le voyageur ne peut la parcourir en sécurité.

Servilius s’empare des forteresses de l’ennemi, d’Oroanda, d’Isaura même, le boulevard de la Cilicie, l’idéal d’un nid de brigands, comme dit Mommsen[1], juchée au sommet d’une montagne presque impraticable, et planant au loin sur la plaine d’Iconium qu’elle commandait. Cette rude campagne de trois années (78-76) valut à Servilius le surnom d’Isauricus. Le vainqueur transporta dans Rome les statues et les trésors qu’il avait enlevés aux pirates et en orna son char de triomphe. Cicéron a rendu hommage à l’intégrité de Servilius qui enregistra arec soin, pour les donner au trésor public, les riches dépouilles des Isauriens[2].

Appien est injuste envers Servilius Isauricus en se bornant à dire de lui qu’il ne fit rien de mémorable[3] ; grand nombre de corsaires avec leurs vaisseaux étaient tombés au pouvoir des Romains ; Servilius avait dévasté la Lycie, la Pamphylie, la Cilicie, l’Isaurie, pris plusieurs forteresses, annexé les territoires des villes détruites et agrandi la province de Cilicie. Sans doute la piraterie n’était pas anéantie ; écrasée sur un point, cette puissance insaisissable renaissait sur mille autres. C’était une hydre dont les mille têtes, comme le dit L. Lacroix[4], couvraient la Méditerranée. Tant de pertes ne domptèrent pas les pirates qui ne purent vivre sur le continent. Semblables à certains animaux qui ont le double avantage d’habiter l’eau et la terre, à peine l’ennemi se fut-il retiré, qu’impatients du sol, ils s’élancèrent de nouveau sur leur élément et poussèrent leurs courses encore- plus loin qu’auparavant[5]. La piraterie changea donc de domicile et gagna l’antique refuge des corsaires de la Méditerranée, l’île de Crète.

 

 

 



[1] Histoire romaine, V, 2.

[2] Florus, III, 7 ; Cicéron, In Verrem, II, liv. I, 31, liv. IV, 10 ; Strabon, liv. XIV ; Eutrope, VI, 3 ; Rufus, XII.

[3] Guerre contre Mithridate, XCIII.

[4] Histoire ancienne de l’Italie (Univers pittoresque), p. 357.

[5] Florus, III, 7.