LES PIRATES GRECS
Les premiers Grecs,
dit Montesquieu[1],
étaient tous
pirates. Rien n’est plus exact. La situation physique de la Grèce, sa configuration,
se prêtaient admirablement à la piraterie : Placée
au centre de l’ancien continent, baignée de trois côtés par la mer, bordée de
rivages découpés par des golfes profonds, abondants en havres abrités[2], riche en bois,
en promontoires, en caps, environnée d’îles, elle constituait un véritable
empire de pirates. Nulle part la nature, si ce n’est dans les mers de Chine,
n’était plus favorable à l’exercice de la piraterie. Les côtes, au tracé si
capricieux, cachaient mille embuscades ; poursuivait-on les pirates, ils
fuyaient autour des îles, échappant à leurs adversaires comme dans un dédale
sans fin.
Nous avons vu que les héros grecs de l’époque fabuleuse
exerçaient tous la piraterie. Si nous rentrons dans l’histoire avec Hérodote,
Hésiode, Thucydide, nous allons constater que la mer était couverte de
malfaiteurs. Les habitants de la
Grèce et des îles de la mer Égée ne regardaient pas la
navigation comme un lien propre à unir les peuples par le commerce, mais
comme un moyen de s’enrichir par le pillage. Le métier de corsaire était une
profession nullement déshonorante, il donnait beaucoup de gloire, de
réputation, de richesse et de puissance à ceux qui l’exerçaient avec audace,
intelligence et courage.
Anciennement, dit
le grand historien de la guerre du Péloponnèse, ceux
des Hellènes ou des barbares qui étaient répandus sur les côtes, ou qui
habitaient les îles, surent à peine communiquer par mer, qu’ils se livraient
à la piraterie, sous le commandement d’hommes puissants, autant pour leur
propre intérêt, que pour procurer de la nourriture aux faibles. Ils
attaquaient de petites républiques non fortifiées de murs et dont les
citoyens étaient dispersés par bourgades ; les saccageaient, et de là
tiraient presque tout ce qui était nécessaire à la vie. Cette profession,
loin d’avilir, conduisait plutôt à la gloire. C’est ce dont nous offrent encore
aujourd’hui la preuve et des peuples continentaux chez qui c’est un honneur
de l’exercer, en se conformant à certaines lois, et les anciens poètes, qui,
dans leurs œuvre, font demander aux navigateurs qui se rencontrent s’ils ne
sont pas des pirates ; ce qui suppose que ceux qu’on interroge ne désavouent
par leur profession, et que ceux qui questionnent ne prétendent pas insulter
même par terre, on se pillait les uns les autres... De cette antique piraterie est resté chez ces peuples continentaux
l’usage d’être toujours armés... Les
cités fondées plus récemment à l’époque d’une navigation plus libre, se
voyant plus riches, s’établirent sur les rivages mêmes, s’environnèrent de murs,
et interceptèrent les isthmes, autant pour l’avantage du commerce que pour se
fortifier contre les voisins. Mais comme la piraterie fut longtemps en
vigueur, les anciennes cités, tant dans les îles que sur le continent, furent
bâties loin de la mer, car les pirates se pillaient entre eux, n’épargnant
pas ceux qui, sans être marins ou pirates, habitaient les côtes. Jusqu’à ce
jour, ces anciennes cités ont conservé, reculées dans les terres, leur
habitation primitive. Les insulaires surtout se livraient à la piraterie[3].
Tel est l’incomparable tableau que Thucydide nous a légué
des commencements de la race hellénique, tableau aussi vrai au point de vue
historique qu’en tous points conforme à une profonde connaissance de la
condition primitive de la société humaine et des différentes phases du développement
de la civilisation.
Minos, roi de Crète, comme il a été dit plus haut,
assembla le premier toutes ses forces maritimes, battit les corsaires, purgea
les mers voisines, imposa un tribut à Athènes, et fit renaître la tranquillité
en déportant les pirates, en fondant des colonies et en dictant aux peuples
qu’il avait soumis un code qu’il prétendait émané des dieux et qu’il avait,
par leur commandement, gravé sur des tables de bronze. Après la guerre de
Troie, les Grecs, au dire de Thucydide (I, 13),
songèrent encore plus qu’auparavant à s’enrichir. Ils prirent du goût pour la
navigation, construisirent des flottes et envoyèrent des colonies dans une
grande partie des îles, en Sicile et en Italie. Dès le sixième siècle avant
Jésus-Christ, Corinthe était devenue la ville la plus commerçante et la plus
riche de la Grèce. Sa
position lui valut ce haut degré de prospérité. Séparée de deux mers par l’isthme
que Pindare compare à un pont destiné à lier le midi et le nord de la Grèce, Corinthe avait deux ports : celui de
Léchée, sur la mer de Crissa (golfe de Lépante), relie à la ville par une double muraille,
longue d’environ douze stades (une demi-lieue), c’était là qu’abordaient les navigateurs de la Sicile, de l’Italie et de
l’Ouest ; et le port de Cenchrée, éloigné de soixante-dix stades (trois lieues), sur
la mer Saronique (golfe
d’Egine), où venaient mouiller les vaisseaux des peuples des îles de
la mer des côtes de l’Asie-Mineure et de la Phénicie. Toutes
les marchandises étaient transportées à Corinthe d’où elles étaient embarquées
sur d’autres bâtiments, mais dans la suite, on inventa des machines pour
traîner les navires tout chargés d’une mer à l’autre. Corinthe était le
comptoir principal et surtout le lieu de transit du commerce de l’Orient et
de l’Occident. Elle recevait en entrepôt le papyrus et les voiles des
vaisseaux des manufactures d’Égypte, l’ivoire de la Libye, les cuirs de Cyrène,
les verreries, les métaux de la
Phénicie, les tapis de Carthage, le blé et les fromages de
Syracuse, les vins de l’Italie et des îles, les poires et les pommes de
l’Eubée, des esclaves de la
Phrygie et de la Thessalie. Elle créa une puissante marine pour
protéger son commerce et couvrit la mer de ses vaisseaux. Les Corinthiens se
rendirent habiles dans l’architecture navale, ils furent les premiers qui
changèrent la forme des vaisseaux, qui auparavant n’avaient qu’un rang de
cinquante rameurs, et ils en construisirent à trois ordres de rames qui
furent appelés trirèmes[4]. Aussi Eusèbe
cite-t-il, dans sa chronique, les Corinthiens parmi les peuples qui eurent l’empire
de la mer, c’est-à-dire, qui furent assez forts pour éloigner les pirates et
attirer les marchands dans leurs ports. Corinthe envoya des colonies à
Syracuse et à Corcyre (Corfou),
(l’an 753 avant J.-C.)
à Apollonie, à Anactorium, à Leucade et à Ambracie, entre 660 et 663. Les
démêles entre Corinthe et Corcyre furent l’origine de la guerre du
Péloponnèse. Corinthe reprochait à Corcyre d’être un repaire de bandits. La
lutte s’engagea à l’occasion de la colonie d’Épidamne[5] que les
Corinthiens prétendaient posséder, et le premier combat naval entre les Grecs
dont l’histoire fasse mention a été livré entre ces deux peuples[6]. Corcyre devint
plus tard une fidèle alliée de Rome dont elle implora le secours contre les
incursions des pirates illyriens qui avaient alors pour reine la célèbre et
cruelle Teuta.
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