LA GRÈCE APRÈS
LES GUERRES MÉDIQUES.
Les temps qui suivirent les guerres médiques présentent un
même caractère ; il est souvent fort difficile de distinguer la piraterie de
l’état de guerre. Le peuple athénien qui avait triomphé à Marathon, à
Salamine, à Mycale, et qui devait à sa flotte la conservation de la patrie,
résolut de conquérir l’empire de la mer. Athènes fut relevée et entourée de
murs ; sur l’avis de Thémistocle, on bâtit le Pirée, le plus beau port de la Grèce, et on prit la résolution
de construire vingt et un navires tous les ans. On accorda des immunités et
des privilèges à tous les habitants qui voudraient travailler dans l’arsenal
; on attira aussi une infinité d’ouvriers habiles en leur promettant des récompenses.
Enfin Thémistocle fit élever une muraille qui, dans un circuit de 60 stades,
embrassait les ports du Pirée, de Phalère et de Munychie, les mettant ainsi à
l’abri d’un coup de main.
C’était la jeunesse d’Athènes qui gardait le Pirée pour le
préserver des attaques des ennemis et des pirates. Athènes remit le
commandement de ses flottes à Cimon, fils de Miltiade, qui entreprit une
expédition contre les pirates de l’île de Scyros, au nord de l’Eubée. Cette île,
à l’aspect sauvage et âpre, et dont les côtes sont fort découpées, était
habitée par les Dolopes, gens peu entendus dans la culture de la terre et qui
de tout temps exerçaient la piraterie. Ils dépouillaient même ceux qui
abordaient chez eux pour y trafiquer. Des marchands thessaliens qui étaient à
l’ancre à Ctésium, un des ports de Scyros, furent pillés et jetés en prison.
Les captifs étant parvenus à rompre leurs chaînes et à s’évader allèrent
dénoncer cette violation du droit des gens aux Amphictyons. La ville fut
condamnée à dédommager les marchands des pertes qu’ils avaient subies. Le
peuple refusa de contribuer sous prétexte que l’indemnité devait être payée
par ceux qui avaient pillé les marchands. Les corsaires qui craignaient d’être
forcés à s’exécuter avertirent Cimon et le pressèrent de venir avec sa flotte
prendre possession de la ville qu’ils promettaient de lui remettre entre les
mains. Cimon accourut, s’empara de l’île et en chassa les Dolopes. Pendant
son séjour à Scyros, Cimon rechercha et découvrit les restes de Thésée qui furent
rapportés en grande pompe à Athènes et placés dans l’admirable temple
funéraire, en marbre pentélique, qui est le monument de l’ordre dorique le
plus pur et sans contredit le mieux conservé non seulement de tous les
temples d’Athènes et de la
Grèce, mais encore de tous ceux de la Sicile et d’Italie.
Les Athéniens, se sentant fortement organisés, se
livrèrent à l’ambition la plus effrénée. Après la défaite des Perses,
Aristide avait été chargé de rédiger les stipulations d’alliance et de régler
les obligations entre tous les Grecs du continent et des îles. Il reçut le
serment des Grecs, et il jura lui-même, au nom des Athéniens, en prononçant
les malédictions contre les infracteurs du serment, il jeta dans la mer des
masses de fer ardentes[1]. Mais, malgré de
si solennels engagements, les Athéniens furent les premiers qui se rendirent
coupables d’infractions manifestement contraires au traité.
Sous prétexte d’exercer l’empire de la mer, Athènes commit
des actes de piraterie et de brigandage vraiment odieux dans les entreprises
contre les Carystiens de l’Eubée et surtout contre l’île de Naxos. En parlant
de cette dernière, Thucydide s’exprime ainsi : C’est la première ville alliée qui, au
mépris du droit public, ait été subjuguée[2]. Après une longue
résistance, les Naxiens furent vaincus, perdirent leur marine et virent raser
leurs murs. Pendant le siège de Naxos, arriva dans le port le vaisseau qui
portait en Asie Thémistocle proscrit. Le vent était violent ; le pilote
voulait jeter l’ancre pour attendre que la mer se calmât. Thémistocle se
découvrit alors aux matelots, leur montra le danger qu’il courait si les
Athéniens s’apercevaient de sa présence et les décida à remettre à la voile.
Le grand roi fut plus généreux pour le vainqueur de Salamine que l’ingrate
patrie que Thémistocle avait sauvée ! Athènes envoya dans l’île de Naxos des
colons qui reçurent des terres en partage et qui furent chargés de maintenir
les habitants dans l’obéissance.
Cimon engagea les Athéniens à s’illustrer par des exploits
plus dignes de leurs armes. Avec trois cents vaisseaux, il cingla du côté de la Carie et de la Lycie, et fit soulever ces
provinces contre les Perses qui en furent chassés. Après ce premier succès,
il grossit son armée navale de nouveaux renforts, bat complètement la flotte
persane à l’embouchure de l’Eurymédon, débarque et remporte une grande victoire
sur terre. Double triomphe dans la même journée (466 av. J.-C.) ! Il remet à la mer,
rencontre quatre-vingts vaisseaux phéniciens venant au secours des Perses
dont ils ignorent la défaite ; il les attaque et les prend. Poursuivant sa
course, Cimon chasse les Perses de la Chersonèse de Thrace, delà, tourne vers l’île
de Thasos, attaque les habitants qui voulaient conserver leur indépendance,
leur prend trente vaisseaux, emporte d’assaut leur ville, acquiert aux
Athéniens les mines d’or du continent voisin et s’empare de tous les pays qui
étaient sous la puissance de Thasos[3]. Athènes eut
alors l’empire de la mer. De grandes expéditions furent encore entreprises
contre les Perses, Cimon fut toujours vainqueur, et mourut plein de gloire au
siège de Citium, dans l’île de Chypre (449 av. J.-C.). Personne autant que Cimon,
dit Plutarque, ne rabaissa et ne réprima la fierté du grand roi. Un traité de
paix fut conclu aux conditions suivantes : Les
colonies grecques d’Asie seront indépendantes de la Perse. Les armées du
grand roi n’approcheront pas à la distance d’au moins trois journées de
marche de la côte occidentale. Aucun navire de guerre persan ne se montrera
entre les îles Khélidoniennes et les roches Cyanées, c’est-à-dire depuis la
pointe est de la Lycie
jusqu’à l’entrée du Bosphore de Thrace.
Depuis longtemps déjà, les confédérés s’étaient déclarés
fatigués de tant d’expéditions, ils jugeaient la guerre inutile depuis que
les Perses s’étaient retirés et ne venaient plus les inquiéter ; ils n’avaient
d’autre désir que de cultiver leur terre et de vivre en repos ; ils n’équipaient
plus de navires et n’envoyaient plus de soldats. Les Athéniens les
contraignirent à exécuter les traités : ils traînaient devant les tribunaux
ceux qui n’obéissaient pas à leurs injonctions, les faisaient condamner à des
amendes et rendaient odieuse et insupportable l’autorité de la république.
Les entreprises d’Athènes contre Naxos et contre Thasos avaient soulevé
contre elle la colère de Sparte ; un tremblement de terre qui détruisit cette
ville (465 av. J.-C.)
empêcha la guerre du Péloponnèse d’éclater à cette époque. La ruine d’Égine, la paille de l’œil du Pirée, l’incendie de
Gythion, le port de Sparte, la conquête de Naupacte et de Mégare, celle de
Samos, la répression de l’Eubée, la guerre de Corcyre, l’envahissement enfin
toujours croissant des Athéniens, armèrent contre eux tout le Péloponnèse, et
alors commença la cruelle guerre de vingt-sept ans entre les Grecs (431-404 av. J.-C.).
Dans cette lutte si sanglante, si implacable, la guerre régulière remplaça la
piraterie ; ce fut un progrès au point de vue du droit public, mais la
civilisation n’y eut rien à gagner. Incendies, pillages, révoltes des
esclaves, trahisons, séditions fratricides et impitoyables entre le parti
démocratique et le parti aristocratique, massacres, et, pour comble de
malheur, comme si la nature elle-même eût voulu concourir au bouleversement
et à la ruine de la Grèce,
des tremblements de terre et la peste, voilà le tableau horrible que présente
cette guerre. Certains récits de Thucydide soulèvent le cœur, et nulle page d’histoire
n’est peut-être plus terrible à lire que celle dans laquelle ce grand
écrivain raconte le sort des prisonniers Corcyréens que l’on sortait vingt
par vingt de leur prison, comme pour les mener devant des juges, et que la
populace massacrait après leur avoir fait sabir mille tortures. Ceux qui
étaient restés dans la prison, instruits du sort qui les attendait,
refusèrent de sortir quand leur tour fut venu ; alors le toit fut enlevé et
les malheureux furent accablés de flèches et de tuiles. Comme la mort était
trop lente à venir, ils se tuaient eux-mêmes avec les traits qu’on leur lançait
et s’étranglaient avec des cordes ou avec leurs manteaux déchirés[4].
Profitant de la guerre civile, les Perses intervinrent
dans les affaires de la
Grèce. Le traité de 449, resplendissant de la gloire
grecque, fut rompu dès que l’on apprit en Orient le désastre des Athéniens en
Sicile (413 av. J.-C.). Les satrapes de
Mysie et de Lydie reçurent l’ordre de réclamer le tribut aux villes grecques
de la côte et de traiter à tout prix avec les Lacédémoniens. Sparte accepta l’alliance
qui s’offrait à elle, et dès lors, les différents États de la Grèce ne furent plus que
des jouets dans la main du grand roi et de ses agents. L’intervention du
jeune Cyrus donna à Sparte un appui si efficace qu’en deux ans la guerre fut
terminée à l’avantage des Péloponnésiens par la bataille décisive d’Ægos-Potamos
(405 av. J.-C.).
L’île d’Égine, enlevée aux Athéniens, devint un centre d’opérations maritimes
contre l’Attique. Protégés par la puissance de Sparte, les corsaires de cette
île firent la course contre les navires d’Athènes, et allèrent enlever jusque
dans le Pirée les trirèmes, les vaisseaux de commerce et les barques des
pêcheurs.
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