PARIS - AMYOT - 1859
I. — Jeanne d'Albret et le Béarn (1500-1540). II. — Les Valois. III. — Les Huguenots (1550-1580). IV. — Mariage de Marguerite de Valois avec le prince de Béarn (1571-1572). V. — La vie aventureuse de Henri de Béarn. - Ses amours avec la belle Corisandre (1583-1586). VI. — Henri III et sa Cour (1585-1589). VII. — La famille d'Estrées. - La belle Gabrielle (1580-1590). VIII.
— IX. — Les deux rois devant Paris. - Assassinat de Henri III à Saint-Cloud (1589). X. — Henri IV à Paris. - Douleurs et misères des habitants (1594). XI.
— Gabrielle d'Estrées à
XII. — Les derniers rejetons des Valois et des Guises (1595-1598). XIII. — Vie politique de Henri IV (1595-1598). XIV. — Désolation dans Paris. - Toute-puissance de Gabrielle d'Estrées (1596-1597). XVI. — Henriette d'Entragues, marquise de Verneuil. - Fiançailles à Florence avec Marie de Médicis (1589). XVIII. — Politique générale et diplomatie du règne de Henri IV (1600-1610). XIX. — Dernières amours de Henri IV. - Mme de Montmorency, princesse de Condé (1608-1610). PRÉFACESous des titres, en apparence un peu frivoles, j'ai entrepris une œuvre très-sérieuse : la rectification de quelques idées considérables qui jusque ici ont été enseignées dans les livres classiques sur l'histoire de France. Si j'ai choisi quelques noms saisissants et légers, mon but a été de faire pénétrer et descendre mes convictions jusque dans certaines classes qui ne lisent pas les livres longs, et les œuvres d'érudition prétentieuse. J'achève dans ce petit volume, ce que pouvait avoir laissé d'incomplet mon travail sur Catherine de Médicis. Avec le nom de Gabrielle d'Estrées, j'embrasse la vie toute entière et la politique de Henri IV, ce qui nécessitera l'examen des plus graves questions que les temps historiques puissent présenter : la réforme des idées, la guerre civile des partis, la fondation ou la restauration d'une dynastie, le système politique d'un règne. Ce livre commence aux Valois et ici secouant les opinions enseignées, l'auteur présente cette dynastie avec ses caractères artistiques et brillants, ses efforts désespérés au milieu de deux partis en armes s'excitant avec violence à la guerre civile : les catholiques et les protestants, qui n'étaient d'abord que deux opinions, devinrent deux partis. Telle sera toujours la fatalité des disputes aux temps agités : au bout d'une idée est souvent la guerre civile. Henri IV, brave soldat, habile politique, un peu prometteur, expression armée du parti du milieu, fut le continuateur de la politique conciliante de Catherine de Médicis ; seulement il vint dans une meilleure époque et avec des conditions militaires que n'avait pas, que ne pouvait avoir la reine régente, la mère de François II, de Charles IX et de Henri III. Quand Henri IV prit la couronne, les âmes étaient fatiguées, le sang avait coulé à longs flots, on avait assez de ces luttes intestines qui brisent les Etats ; tous les bons esprits appelaient une transaction, et celui qui prenait les rênes du gouvernement était un rude soldat, le chef militaire d'une armée courageuse ; il devait courber sous son gantelet de fer les esprits inflexibles qui voulaient combattre et mourir pour une opinion extrême. Et encore ce serait une erreur de croire que le règne de Henri IV fut exempt de douleurs, de difficultés et de soucis ; il fut l'époque de grandes misères, de luttes sourdes, d'oppositions ardentes, de répressions inflexibles, d'attentats persévérants et horribles contre la main qui comprimait les partis en armes et à bout de compte Henri IV périt à l'œuvre. C'est un grand mystère que l'attentat de Ravaillac : cette main ! qui l'arma ? est-ce le fanatisme individuel ? est-ce l'étranger que les vastes projets de Henri IV commençaient à alarmer? La condition nécessaire de tout gouvernement nouveau trop profondément
menacé par les vieux partis, c'est de lès distraire de la guerre civile par
la conquête : Henri IV avait vaincu les opinions par la force militaire ; il
avait à cette œuvre employé une brave armée composée de ses amis, de ses
féodaux, de ses compagnons de batailles : quand C'est ce qui entraîna Henri IV dans le vaste projet d'un
remaniement de l'Europe dont le plan tout entier est écrit de sa main, sorte
de réaction contre la monarchie universelle essayée par Charles-Quint et
Philippe II : la grandeur de ce projet était bien capable de distraire les
partis des tristes et fatales préoccupations de la guerre civile,
d'enchanter, d'enthousiasmer les âmes : Henri IV semblait avoir compris qu'on
ne fonde une dynastie ou un système qu'en donnant à un pays une somme immense
de gloire et de grandeur. Chose fatale à dire 1 la paix, la tranquillité des
intérêts sont moins appréciés par les générations, que le grand bruit du
canon qui annonce les victoires, que ces mille brillants sons des cloches qui
carillonnent un Te Deum, que ces traités qui accroissent le territoire
et dotent un pays de nouvelles provinces. Les circonstances choisies par
Henri IV ne pouvaient être meilleures et l'on aurait dit qu'elles étaient
faites pour l'accomplissement de son projet. L'empire d'Allemagne était
vacant, il fallait d'abord empêcher la maison d'Autriche de s'en emparer.
Pour abaisser l'orgueil de cette maison, Henri IV appelait toute l'Italie à
son indépendance en grandissant Venise, en créant un royaume de Lombardie. Il
est curieux de voir quelle immense part il faisait aux nationalités
Polonaise, Hongroise, Bohémienne ; il appelait à son aide le protestantisme
des électeurs en même temps qu'il faisait une part considérable à la papauté
en la plaçant à la tête de la grande ligue italienne destinée à combattre la
puissance ottomane, car au fond du projet de Henri IV était une vaste
croisade contre Au milieu de ce tableau sérieux s'offre l'image gracieuse de Gabrielle d'Estrées et des amours de Henri IV, comme dans cette statue de l'art florentin où le roi est ciselé en Hercule enlacé dans des guirlandes de roses. C'est à l'époque de lutte et d'héroïques misères que commencent les deux tendres sentiments de Henri IV : le premier pour la duchesse de Guiche Gramont (la belle Corisandre) ; l'autre pour Gabrielle d'Estrées ; ces deux ardentes amitiés sont presque toutes politiques ; Henri de Béarn trouve dans la belle Corisandre et dans Gabrielle le concours de la noblesse royaliste ; elles vendent leurs coupes de bois, leurs domaines pour entretenir la petite armée qui se battait glorieusement pour le roi de Navarre. L'amour de Gabrielle d'Estrées suit la fortune du roi, et quand Henri IV entre à Paris, sa belle maîtresse l'accompagne avec éclat. Il sera constaté dans ce livre que l'intention du roi, après avoir fait rompre son mariage avec Marguerite de Valois, était d'épouser Gabrielle d'Estrées et de la couronner reine ; les obstacles vinrent de la fierté même de Marguerite de Valois qui s'indignait de se voir remplacer par une simple fille de maison noble, longtemps la maîtresse avouée de Henri de Béarn. Le caractère de Marguerite m'a toujours plu ; elle tenait bien de la fière et brillante race de Valois, ces nobles princes, braves, artistes, véritables gentilshommes qu'on me pardonnera d'exalter dans cette étude ; ils moururent si jeunes, si magnifiques ! ils tombèrent victimes des partis, et leur mémoire n'a jamais été défendue, parce qu'ils expirèrent entre une guerre civile et l'avènement d'une nouvelle dynastie, qui ne prit aucun soin de leur souvenir et de leur renommée. Pendant toute sa vie, Gabrielle d'Estrées fut très-impopulaire ; on lui reprochait son luxe au milieu des misères publiques ; elle aimait les parures, les festins somptueux, les magnificences de la vie de château ; les enfants qu'elle avait eus du Roi (les Vendômes), étaient reconnus comme les fils de France ; elle aurait été reine sans la double opposition des politiques Huguenots et Catholiques : les huguenots ne voulaient rompre le mariage de Henri IV avec Marguerite de Valois, que pour lui donner une princesse d'Allemagne de leur communion ; les catholiques préparaient son mariage avec Marie de Médicis, la propre nièce du Souverain Pontife, ce qui assurait l'unité de leur foi. Ce dernier parti triompha, parce qu'il était une solution. Ce fut au bruit de ce mariage, que mourut Gabrielle d'Estrées : les historiens avides des choses étranges et les romanciers ont supposé un empoisonnement ; ils en ont accusé le financier italien Zameti, l'homme considérable de ce temps, qui avait tant aidé la restauration de Henri IV[1] : Pourquoi ce crime ? est-ce que la douleur, le froissement de rame, ne sont pas un poison aussi brûlant que les poudres et les parfums d'Italie ? Il est temps que l'histoire relève le rôle de Zamet ; ce n'était ni un complaisant et encore moins un empoisonneur, mais un des négociateurs les plus importants, un de ces habiles et élégants financiers venus de Florence et de Venise, qui apaisèrent la guerre civile et fondèrent le crédit en France. Depuis longtemps Gabrielle d'Estrées souffrait d'une plaie profonde au cœur ; elle s'était déjà alitée à ce petit château de Charenton, dont les débris se voient encore, lorsqu'elle vint passer les jours Saints dans la brillante maison de Zamet : c'est là qu'elle mourut après un souper, quand elle sut que le mariage de Henri IV et de Marie de Médicis était conclu. Ce mariage commençait une ère nouvelle pour Henri IV ; sa famille légitime grandissait sous une reine épousée ; son règne prenait place dans l'histoire. Appuyé sur la force du droit public européen, il pouvait agir avec toute la puissance de sa politique ; il devait y avoir des résistances, des oppositions, mais pas de révolte publique : ainsi la conjuration du maréchal de Biron fut cruellement et facilement réprimée : ainsi, l'intrigue amoureuse de mademoiselle d'Entragues fût une grande ingratitude du roi, mais elle n'ébranla en rien la puissance morale, la force européenne qu'avait donné à Henri IV son mariage avec Marie de Médicis. On trouvera ce livre encore très-franc, très-osé dans ses appréciations ; l'auteur ne déviera jamais de cette ligne, qui est sa conviction. Cette tendance générale de ses travaux historiques, n'est point le résultat d'un parti pris, d'un esprit de système, mais elle lui est venue à l'aspect de ces travestissements que l'on voit partout, aussi bien dans les livres (décorés du nom de classique), que sur le théâtre. N'est-il pas triste d'assister à cette bénédiction des poignards, parade niaise des Huguenots ou quelques figurants d'opéra à travers les éclats d'une musique cuivrée, viennent mêler le nom de Dieu à de sanglantes vociférations, comme si nous qui avons vécu, au milieu des troubles civils, nous ne savions pas comment arrivent toutes seules, les mêlées de partis en armes ! Et sur une autre théâtre, au milieu d'intrigues adultères, la grande figure de Catherine de Médicis a été déguisée en bohémienne hideuse empoisonnant pour se distraire, ses fils les uns après les autres. C'est ainsi qu'on enseigne l'histoire au peuple, sans doute pour lui apprendre le respect qu'il doit aux pouvoirs établis. La génération actuelle a assisté à de vives luttes de partis, à des systèmes de révolution et de restauration ; elle a vu les peuples aux prises avec les gouvernements et les pouvoirs, en face des opinions ardentes ; le présent a été gros d'enseignement pour le passé. La révolution française a été la lumière vive ou sinistre qui désormais doit éclairer l'histoire dans la recherche des faits ; elle a tout essayé, tout mis en action. Quand la maison de Bourbon, restaurée en 1814, prenait pour exemple et pour bannière la vie de Henri IV, c'est qu'elle avait les mêmes pressentiments sur les difficultés de son règne : Henri IV périt à l'œuvre. Au milieu de grands écueils crées autour d'elle par les passions ardentes, la restauration devait avoir la même destinée. Il y a longtemps que l'auteur de ce livre l'a écrit[2], dans une œuvre qui eut le bonheur de rester calme au milieu de l'injuste esprit de parti ! Quand je parle dans ce livre de l'influence
de Marie Stuart sur les Valois, cela ne doit s'entendre que du règne de
François II : Marie quitta La même observation s'applique pour les arts à Benvenuto Cellini ; son esprit, ses œuvres, vivaient encore, mais lui mourut à Florence en 1570. |