Le roi dans cette conversation avec l'ambassadeur d'Espagne,
n'avait gardé, ni son calme ni son sang froid ; il ne négociait plus, il
menaçait ; et il faisait suivre ses menaces d'armements considérables et de
traités d'alliance qui pouvaient lui assurer la bonne et ferme conduite de la
guerre. Il avait une opulente réserve de finances à l'arsenal, assez ronde
pour payer la solde des régiments auxiliaires, levés partout sur les bords du
Rhin, en Hollande, dans En Suisse, la levée se fit si promptement qu'il y eût même de la dispute entre eux à qui s'enrôlerait. Six milles Suissesse rendirent en France, sur la fin du mois d'avril ; le maréchal de Lesdiguières fut envoyé en Dauphiné, pour traiter avec le duc de Savoie ; on fit en même temps sortir cinquante canons de l'arsenal de Paris, avec poudre, boulets et toutes sortes d'ustensiles nécessaires pour un si grand attirail ; le tout fut conduit par eau jusqu'à Châlons-sur-Marne ; par toutes les provinces le tambour battait ; on ne parlait que de commission pour lever de l'infanterie et de la cavalerie. Enfin tout s'acheminait au rendez-vous donné sur la frontière de Champagne, tellement qu'en peu de jours toute cette province fut remplie de gendarmerie. Le but de la guerre n'était pas encore annoncé et connu du public[1], mais dans le conseil secret il en avait été question ; il s'agissait d'une guerre contre la maison d'Autriche et subsidiairement d'une campagne en Italie ou dans les Pays-Bas espagnols. Le roi paraissait fatigué, irrité des intrigues de l'Espagne avec ses villes, ses armées, ses officiers et l'asile donné au prince de Condé avait mis le comble à ce mécontentement. La passion se mêlait ici à l'esprit de vengeance ; il se présenta bientôt une circonstance capitale dans l'histoire de l'Europe. L'empire était vacant, il paraissait important, décisif, d'enlever la couronne impériale à la maison d'Autriche, pour la mettre en d'autres mains, et Henri IV conçut l'ambition de la placer sur sa tête. Tout le parti huguenot l'y poussait, car le roi de France était le protecteur né des libertés germaniques. La question était tellement avancée qu'elle fut soumise à un conseil privé réuni à l'arsenal. Les actes secrets de ce conseil existent encore[2] et furent recueillis avec soin. Le conseil se composait seulement de trois personnes : Sully, Villeroi et Bellièvre. Sully, expression du parti calviniste, fut d'avis que le roi ne devait pas hésiter à revendiquer la couronne impériale : Sire, je ne craindrai point de soutenir qu'en l'affaire qui se présente, se rencontrent l'honneur et la réputation, elles y conduisent là également l'utilité par la main, en sorte quelles se trouveront toujours inséparables. Villeroi ne partagea pas l'opinion de Sully sur la nécessité de l'élection de Henri IV. Les fondements de la paix qu'il a plu à Dieu par le ministère de V. M., donner à cet Etat, ne sont pas encore si fermes, qu'ils ne puissent à l'aventure avoir souvent besoin de votre présence pour les soutenir. L'autorité presque royale de tant de personnes qui s'étaient élevées durant nos derniers malheurs[3], n'est pas encore éteinte, que quelques factions ne la fassent aisément revivre, s'ils y trouvaient tant soit peu de jour par l'absence de V. M. M. de Bellièvre, exprima une opinion sage, modérée : Le roi ne devait pas solliciter cette couronne impériale,
mais simplement se borner à empêcher l'élection d'un partisan de l'Espagne,
l'archiduc Albert, et pousser l'archiduc Mathias de Hongrie. Quant à lui-même,
il n'y aurait aucun avantage. Ce récit ajoute une circonstance qui
révèle la pensée et le caractère de Henri IV. Le roi
qui avait attentivement prêté l'oreille, se leva et ayant ouvert une fenêtre
pour prendre l'air, tenant la vue et les mains vers le ciel, dit : Dieu
formera et fera naître en mon cœur, s'il lui plait, la résolution que je dois
prendre, plus que vos discours, et les hommes l'exécuteront. Adieu,
messieurs, il faut que j'aille me promener[4]. C'était assez dire que le roi voulait garder sa volonté
libre, absolue, et que son parti de guerre était arrêté. Quelques jours après
et pour donner plus de force, plus d'unité à son gouvernement, il résolut de
le placer dans les mains de sa femme, Marie de Médicis, en la faisant
couronner à la basilique de Saint-Denis. Ce n'était pas encore la régence,
mais un acheminement vers cette dignité et ce pouvoir que la mort du roi
pouvait tout à coup faire surgir. Le gouvernement de Marie de Médicis était
une concession nouvelle faite aux catholiques, une force opposée aux
intrigues des chefs de parti, à cette famille d'enfants naturels qui pouvait
en appeler à la guerre civile ; on en était encore à discuter la validité du
mariage de Marie de Médicis, et son couronnement dans la vieille basilique[5] n'était qu'une
consécration nécessaire du mariage. Le roi écrivit aussi son testament et par
une clause spéciale, il légua son cœur aux jésuites de La guerre était décidée contre l'Espagne : et sur un rapport qui fut fait au roi que Spinola, lieutenant de l'archiduc, se vantait de lui empêcher le passage à la tête de trente mille hommes et de lui donner bataille, il essaya sa cotte d'armes de velours, toute semée de petites fleurs de lys en broderie d'or de la grandeur d'un sol, qu'il avait fait faire exprès pour s'en parer le jour d'une bataille ; nous verrons dit-il, s'il sera homme de parole. Sur ce un seigneur lui dit que Spinola était génois ; il est vrai, répliqua-t-il, mais il est soldat et brave. Chaque jour, pour délibérer sur la guerre, Henri IV se
rendait à l'arsenal, chez le duc de Sully, présidant par lui-même au départ
dès munitions et poudres. Le 14 mai 1610, le roi
sauta en son carosse à l'entré de la cour du Louvre et se mit au fond ; il
fait entrer dedans les ducs d'Epernon, de Montbason, Roquelaure, défendant à
ses gardes de le suivre. Quel malheur ! car un maudit français du nom de
Ravaillac, le regardant sauter dans le carosse, le suivit jusqu'en la rue de On ne peut dire l'impression profonde que produisit à Paris l'assassinat du roi Henri IV. Elle fut d'abord cachée au peuple ; on fit même courir le bruit que le roi n'était que blessé ; tel était l'état des esprits, le mécontentement des partis, que l'on craignait un mouvement et sans la fermeté et la résolution énergique du duc d'Epernon, qui fit proclamer la régence de Marie de Médicis par le parlement de Paris, on ne peut deviner ce qui serait advenu dans cette agitation de toutes les âmes : Ô diable d'homme sorti du profond de l'enfer Esprit des noirs esprits, cœur et âme de fer, Oprobre des Français et monstre
de Hélas : qu'as tu fait parricide méchant, De ton roi, le filet de la vie tranchant. Tu coupes aux Français toutes leurs espérances, Le Jour où tu naquis, soit toujours ténébreux. Le nom de Ravaillac, soit à jamais affreux. Plus horrible aux humains que le nom de Mégère ; Maudit le ventre impur qu'au monde te porta, Maudit soit le tetin, qui premier t'allaita Et maudit le conseil qui le coup te fit faire. Le dernier vers portait en lui-même toute une accusation ;
et en effet bien des bruits furent jetés aux peuples sur les causes réelles
de l'assassinat de Henri IV. Un moment la multitude se porta sur l'hôtel de
l'ambassade d'Espagne, qui fut protégé par une gardé de mousquetaires de la
reine. L'étude profonde des dépêches les plus secrètes ne permet pas le
moindre soupçon sur l'Espagne[8]. Seulement la
mort du roi fut considérée comme un acheminement vers la paix ; le conseil de
Castille pense même : qu'il n'est plus nécessaire de
garder le prince de Condé. Une sérieuse
attention doit être donnée à Milan au prince de Condé qui y réside, dit une
de ces dépêches. C'est en ménageant le prince que l'on peut conserver les
avantages que l'on a obtenu par lui. On doit le féliciter de l'heureuse issue
de ses affaires dont il est redevable à l'intervention de Dieu, ses craintes
ont cessé en France. Il n'a plus à redouter la tyrannie de son roi, qui
voulait lui ravir son honneur et celui de sa femme[9]. — Paroles qui
faisaient allusion à l'amour insensé du roi pour la princesse de Condé. Ce fut encore sur une maîtresse que porta la plus sérieuse accusation. On trouve dans le savant recueil de Fontanieu une déposition curieuse de la demoiselle de Comman, à l'encontre de la marquise de Verneuil, qu'elle accuse de la mort du roi de concert avec le duc d'Epernon[10], accusation qui fut repoussée par le parlement, comme calomnieuse ; la demoiselle de Comman, condamnée à une prison perpétuelle, dût sa grâce à la marquise de Verneuil, qui l'obtint avec sa justification entière. Le roi par ses amours, ses passions, la tyrannie de sa personnalité vieillie, s'était attiré bien des haines privées. Le fils légitime de Henri IV, Louis XIII, fut salué roi sans aucune contestation sous la régence de sa mère, Marie de Médicis ; régence difficile, car l'état politique que laissait Henri IV était une véritable anarchie des opinions organisées. L'édit de Nantes constituait les Huguenots en état de parti armé et prêt à la guerre civile ; Henri IV avait tenté une œuvre impossible, un système de bascule et de temporisation entre deux opinions ardentes ; il avait voulu établir son gouvernement du milieu, sans remarquer qu'après les grandes commotions politiques il n'y a de pouvoir fort et durable que celui qui domine de sa hauteur et comprime les partis. Le roi périt à l'œuvre, après une vie de secousses, de tristesse, qu'il enivrait autant que possible par la jovialité de son caractère et l'amour ardent des plaisirs. Avec le caractère le plus loyal, la parole la plus cavalière, le roi fut entraîné à la dissimulation, à la fausseté, à l'ingratitude ; il ne fut jamais franchement d'aucune opinion ; les intérêts de sa politique générale étaient dans le parti catholique, ses amitiés, ses tendances parmi les Huguenots. Son règne avec un certain caractère de grandeur fut un temps de misères et de calamités, témoin le Journal de Henri IV ; ses derniers projets de guerre étaient une nécessité pour détourner les partis qui recommençaient les complots. Souvent les plis du drapeau de la conquête enveloppent glorieusement les lambeaux sanglants de la discorde. Henri IV indépendamment de sa lignée légitime, laissait de Gabrielle d'Estrées deux fils et une fille ; César Monsieur et Alexandre, tous deux ducs de Vendôme[11]. Sa fille Catherine Henriette avait épousé le duc d'Elbœuf[12] ; César de Vendôme que son père chérissait d'une tendresse infinie et qu il avait voulu faire roi, fut un des chefs de ce parti des princes qui espérait enlever la régence à Marie de Médicis, et faire déclarer la bâtardise de Louis XIII ; affilié à presque toutes les conjurations contre le cardinal de Richelieu, il fut proscrit, exilé, rappelé, et mourut dans le château d'Anet, en plein règne de Louis XIV[13]. Le duc de Vendôme laissa deux fils : l'aîné connu d'abord sous le titre de duc de Mercœur, servit avec honneur dans la guerre de Flandres contre les Espagnols ; lié au parti des princes contre le cardinal de Richelieu, il s'exila en Angleterre et ne revint en France qu'après la mort du puissant ministre ; il fut nommé gouverneur de Provence comme dot de Laure de Mancini, la nièce du cardinal Mazarin, qu'il épousa. Marseille, Aix, Toulon, se souviennent dans leurs annales de la vie un peu étrange du duc de Vendôme, qui après son veuvage prit les ordres et devint cardinal et légat a latere en France[14]. Le frère cadet de Vendôme fut ce duc de Beaufort, le roi
des halles sous La troisième génération des Vendôme fat représentée par les deux frères : le duc et le grand prieur de Malte, ces épicuriens du Temple, si plein de bravoure et de paresse, ces héros viciés, comme les appelait Voltaire, qui préparaient la société philosophique du XVIIIe siècle ; les Vendôme n'eurent pas de descendance directe[15]. En eux s'éteignit la lignée des bâtards de Henri IV. Les d'Estrées que nous trouvons dans l'histoire, le maréchal, comte d'Estrées (le diplomate), appartenaient à la famille légitime et antique des d'Estrées sans mélange du sang des Bourbons. La marquise de Verneuil passa sa vie soit à Verneuil, soit à Paris dans son hôtel du faubourg Saint-Germain en face des Tuileries. Le fils qu'elle avait eu de Henri IV, évêque, puis duc de Verneuil, mourut sans postérité ; sa fille Henriette avait épousé le duc d'Épernon, qui joua un grand rôle politique sous la régence de Marie de Médicis. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Journal de Henri IV, 1610.
[2]
Avis donné au roi Henri IV, par trois des plus notables personnes de son
conseil et par son exprès commandement sur ses projets de parvenir à la royauté
des romains, puis à l'empire, Mss. de Béthune, vol. col.
[3]
On craignait encore les Guises et
[4] Mss. Béthune, n. 8935. Le caractère du roi était devenu violent et absolu.
[5] 5 mai 1610.
[6] Les jésuites accueillirent ce cœur en grande pompe. Voyez recueil de gravures 1611 (Biblioth. imp.).
[7] Le plus complet de ces récits se trouve Mss. Biblioth. imp., recueil de Thoisy, t. 4, p. 115.
[8] Archives de Simancas. Cependant les dépêches du 17 mai 1610 qui annoncent la mort du roi ne se trouvent pas aux archives : auraient-elles été supprimées ?
[9] La tyrenia de su rey por salbar son onor et y el de su muger.
[10]
Portefeuille Fontanieu 456, 457. Voyez pour les détails, mon Histoire de
[11] Le duché de Vendôme était un apanage de la maison de Bourbon ; César de Vendôme dut marcher après les princes du sang.
[12] La première pairie dans l'ordre des créations monarchiques.
[13] Le 22 octobre 1665.
[14] Par Clément IX, en 1657.
[15] Le duc de Vendôme, mourut en 1727.