Le caractère le plus joyeux, issu du moyen-âge, type de
courage et de hâblerie, ce fut le gascon. Il allait bien aux entreprises
impossibles, au jeu, à l'escrime, à la fortune, à la misère, à la vie
insouciante, à la mort héroïque; d'une railleuse intrépidité, aussi
désordonné que les Reîtres et les Lansquenets de Le Béarn était pure Gascogne, situé au pied et sur les Pyrénées où vivaient les traditions de la chevalerie ! En Navarre et en Gascogne était la vallée de Roncevaux, célèbre parmi les Wascones, qui brisèrent l'arrière-garde de Charlemagne, à son retour d'Espagne : Comte Rolland, Otger le danois, prudent archevêque Turpin, vous éprouvâtes alors ce qu'était la vaillance des Gascons ! Tapageur et joyeux compagnon, avec sa langue en ac, sa nourriture à l'ail, son vin de Jurançon, ses jambons de Bidache et de Hisparren, ses petits roussins de Navarre, ses juments alertes, ses mulets de Saint-Jean Pied-de-port, le gentilhomme Béarnais partait des petits villages d'Aramis, de Morlac, ou d'Arthès, le bissac peu garni[2], mais avec l'espérance au cœur d'une fortune illimitée; n'avait-il pas la finesse du coup d'œil, l'audace des projets ! Un cadet de Béarn et de Gascogne se croyait nécessairement le héros d'une légende de prouesse et d'amour. La souveraineté du Béarn avec les pays de Foix, d'Armagnac
appartenait à la maison d'Albret, bien apanagée autrefois, car elle possédait
même Henri d'Albret, roi de Navarre, avait épousé cette
gentille Marguerite d'Angoulême et de Valois, la sœur de François Ier, la pierre précieuse, Du mariage d'Henri d'Albret et de Jeanne de Valois était
née une fille qu'on nomma Jeanne, nom si cher en Navarre, en Aragon et en
Castille. Quand elle fut en âge d'être mariée, il fut question de hauts
partis pour elle; Charles-Quint l'avait demandée pour son fils aîné, don
Philippe (depuis le grand Philippe II roi des
Espagnes), mariage tout politique qui aurait donné à la monarchie
espagnole les deux versants de Pyrénées[8] ; François Ier
s'opposa de toutes ses forces à ce mariage. Il la promit un moment au duc de
Clèves[9], son allié ; mais,
cet électeur étant entré dans Cette transition subite fut elle le résultat d'un
changement de conviction et de caractère ? Ou bien était elle dans la
situation politique même de Jeanne d'Albret profondément aigrie contre le roi
catholique des Espagnes, qui avait confisqué C'est sous l'aile de Jeanne d'Albret que fût élevé Henri de Béarn ; ses premiers élans d'enthousiasme et de gaîté enfantine eussent été attiédis, étouffés sous une mère si tristement changée, sans l'éducation joyeuse et chevaleresque du roi de Navarre, calviniste, il est vrai, mais mobile et changeant comme les princes de la maison de Bourbon. L'éducation de Henri de Béarn fut toute dans les mœurs et les habitudes des enfants de la montagne ; il en prit les allures dessinées, les formes alertes, le caractère de finesse campagnarde et méridionale, à travers ses paroles franches et abandonnées : brave de sa personne, hardi, bon compagnon, mais rusé comme un gascon de source pure, en présence des situations difficiles, si le roi de Navarre son père avait peu de conviction, l'aîné de sa race prit l'esprit de la famille. A cette enfance de Henri de Navarre se rattache une première légende d'amour, un peu tragique dans sa fin, une jeune fille qui se laisse entraîner à un tendre sentiment pour Henri de Béarn, payée d'ingratitude et dont la mort arrache des larmes : qu'y a-t-il de vrai dans la légende de Fleurette ! On en cherche en vain la source : elle fut chantée en douce et plaintive romance : elle révèle ce caractère oublieux de Henri. L'histoire grave ne peut admettre les fictions : il vaut mieux croire qu'à cette époque, Henri de Béarn profitait de la sévère éducation que lui donnait sa mère ; un ministre calviniste du nom de Florent Chrétien lui inculquait les leçons des psaumes et les vies des hommes illustres par Plutarque[15], Henri de Béarn n'oublia jamais cette première éducation ; le calvinisme fut sa pensée et longtemps sa croyance. |
[1]
Ce mot a été consacré par
[2]
La belle Histoire du Languedoc par dom Vaissète est le livre des
Bénédictins, dans lequel on trouve les plus exactes notions sur
[3] Chaque fois que je parle de la réforme ou du protestantisme, je ne l'envisage que comme parti politique dans l'État au XVIe siècle et jamais comme croyance religieuse : je respecte la foi de chacun et je n'écris pas un livre de controverse.
[4] Henri d'Albret était fils de Jean d'Albret et de Catherine de Foix ; il était né en 1503 et devint roi de Navarre en 1516.
[5] Elle était fille de François duc d'Angoulême et de Louise de Savoie ; elle était née le 11 avril 1492.
[6] Imprimé en 1533.
[7] L'heptameron ou les nouvelles de la reine de Navarre, Paris 1538 : Marguerite était veuve du duc d'Alençon.
[8] La maison d'Albret possédait le Béarn, le pays d'Albret, de Foix et d'Armagnac.
[9] En 1541.
[10] Robert de France, comte de Clermont en Beauvaisis, seigneur de Bourbon, de Charolais, sixième fils de Saint-Louis.
[11] Voyez mon François Ier et la renaissance.
[12] Henri naquit à Pau, en Béarn, le 13 décembre 1553.
[13] Édit. du mois de Juillet 1567.
[14]
Jeanne d'Albret fut excommuniée par le Pape Pie V, qui conféra
[15] L'Histoire de Henri IV par Peréfixe n'est pas complète, mais elle est parfaitement exacte dans les faits qu'elle rapporte. Henri de Beaumont de Peréfixe, archevêque de Paris, fut le précepteur de Louis XIV.