S'il faut en croire les Mémoires de Sully, toujours un peu médisant sur tout ce qui n'est pas lui-même et son parti, le royal ménage de Henri IV et de Marie de Médicis, n'était ni uni, ni heureux. Sur certains mots de jalousie qu'il avait d'elle, la reine devint si outrée qu'elle leva le bras pour le frapper (le roi) ; M. de Sully, l'arrêta si rudement que le bras de la reine en demeura meurtri, et jurant de toutes ses forces : Êtes-vous folle. Madame, il peut vous faire trancher la tête en une demi-heure. Il les appaisa ensuite, et la reine s'est plainte depuis que le duc de Sully l'avait frappée. Au premier jour de Tan, le duc portait au roi les jetons d'or, selon la coutume et les lui donna, étant encore dans le lit avec la reine, et après avoir un peu parlé, il lui dit : Madame en voici aussi pour votre Majesté, à quoiel le ne répondit mot, ayant le dos tourné, et le roi dit : donnez-les moi, elle ne dort pas ; mais c'est qu'elle est furieuse, toute la nuit elle n'a fait que me tourmenter, inutilement je vous l'assure.... Cette princesse avait certaine paillasse à terre ou elle se couchait l'été durant les chaleurs des après-dîner[1] avec des habits légers et beaux, et étant ainsi étendue elle se complaignait d'être souvent délaissée pour des laides qui n'avaient pas ses avantages de nature. Aussi s'enflammait elle d'amour ou de haine toute la journée et quand le roi retournait, elle ne le voulait pas regarder et toute la nuit ne fesait que gronder[2]. Malgré les dédains et les petites querelles de ménage,
l'influence de Marie de Médicis devenait considérable sur la marche générale
des affaires. Cette puissance résultait non seulement de la faiblesse extrême
du caractère d'Henri IV, mais encore de l'esprit politique qui avait dominé
ce mariage, accompli sous l'influence de la papauté. La cour pontificale, en
effet, avait dominée toutes les transactions politiques, depuis le traité de
Vervins, conclu sous la médiation du légat. C'était encore par le légat que
venait de se conclure la paix avec le duc de Savoie, traité glorieux et
profitable pour la couronne de France, qui acquérait Henri IV avait compris tout ce qu'il y avait de puissant
dans la papauté ; seul, le catholicisme pouvait assurer l'hérédité à la
maison de Bourbon. On peut voir dans les dépêches des ambassadeurs d'Espagne
que Henri IV voulait même effacer les anciens différents entre les deux couronnes
naguère si divisées : Sire, écrit
l'ambassadeur d'Espagne à son maître, j'ai félicité
S. M. T. C. de la naissance de son fils ; son accueil a été des plus aimable
; il s'est écrié qu'il remerciait en effet le ciel de lui avoir donné un fils
; les deux couronnes, a ajouté le roi (en faisant allusion à la fille qui vient de naître à Votre
Majesté), les deux couronnes de France et
d'Espagne viennent de recevoir deux héritiers des mains de Ainsi tendaient à s'effacer les anciennes et profondes
inimitiés entre l'Espagne et A cette époque, le triomphe de Marie de Médicis
s'accomplit par la disgrâce absolue de la marquise de Verneuil : quelle en
fut la cause réelle ? Une trahison intime, une infidélité ou bien un complot
politique ? La marquise de Verneuil, depuis sa réconciliation avec Henri IV,
était venue habiter le Louvre, sous le même toit que Marie de Médicis triomphante, soutenue par le parti
catholique, put inspirer au roi une politique nouvelle et un de ses actes le
plus important fut le rappel des jésuites dans le royaume. Dans le temps de
réaction qui suivit l'avènement de Henri IV et à la suite de l'attentat de
Jean Chatel, les jésuites avaient été expulsés de France. On ne pouvait trop
justifier cette rigueur : était-il possible de faire peser la complicité d'un
attentat personnel sur l'institution des jésuites ? Mais aux époques émotionnées,
on ne raisonne pas ; quand l'opinion se prononce on agit ; on ne discuta pas
l'arrêt du parlement qui condamnant Jean Chatel, avait préparé l'autre arrêt
qui prononçait l'expulsion des jésuites. Ce fut sur la demande du pape et par
l'intermédiaire de Marie de Médicis que Henri IV porta à son conseil la
demande du rappel de l'institution de Saint-Ignace. Ce qu'il y avait de plus
injurieux pour l'ordre tout entier, c'est que sur la place de la maison où
était né Jean Chatel, on avait élevé par l'arrêt du parlement, une pyramide
avec une inscription qui unissait à l'attentat justement flétri de Jean
Chatel le nom des jésuites odieusement accusés. Le roi voulut que la pyramide
fut détruite, en même temps que les jésuites étaient rappelés dans leur
collège désert ; vide immense rempli. Plein de reconnaissance les jésuites
firent peindre en un tableau Marie de Médicis et le roi accédant à la demande
du pape, et que Mais la puissance delà reine Marie de Médicis s'étendit surtout à l'accroissement des bâtiments royaux, à l'éclat des beaux arts, tradition de son origine florentine. Henri IV avait déjà lui-même cette tendance et Sully l'en avait accusé dans sa parcimonie extrême. Marie de Médicis, loin de contrarier ces goûts les avait aidé, favorisé de son imagination et de son propre talent ; née dans le palais Pitti, élève de Rubens, la reine dessinait, peignait, gravait avec une grande habileté. ; elle avait surtout ces goûts artistiques qui sont supérieurs au talent même. Comme Catherine de Médicis, elle avait fait venir de Florence les artistes les plus distingués et parmi eux l'architecte dessinateur [...]cini. Dès son arrivée à Paris, Henri IV avait emmené la reine visiter Fontainebleau, alors le château de sa prédilection ; le roi l'appelait dans les lettres ses délices, ses beaux déserts, et rien en effet n'était plus splendide : la forêt profonde et séculaire peuplée de rochers, de grottes et d'hermitages, avec leurs traditions druidiques ; la légende du chasseur noir qui sonnait de son cor fantastique pour appeler la meute de ses chiens molosses, maigres, et étranges[8]. Le château n'était pas tout d'une main ; depuis la chapelle Crypte du XIIe siècle, jusqu'au salon de François Ier, décoré par le Primatice[9], enrichi des statues de Benevenuto Cellini jusqu'à l'escalier de la cour du Cheval Blanc, œuvre de Philibert de Lorme. Henri IV, grandit considérablement le château. Tout ce qu'il y ajouta fut marqué de l'inspiration florentine de Marie de Médicis, cachet indélébile que l'on retrouve partout à la place Royale de Paris, à la place Dauphine, aux quais de Tournelle (imitation des rives de l'Arno) au palais du Luxembourg : bâtiments, jardins, ornementation, tout rappelle les souvenirs du palais Pitti. Henri IV, grand chasseur comme tous les rois de France, voulut que Fontainebleau se ressentit de cette distinction princière. Dans les vastes galeries qu'il fit construire pour entourer la cour du Cheval Blanc et l'escalier de Philibert de Lorme, on trouvait un chenil de 170 toises, presqu'un palais, pour sa meute avec ses capitaines et 160 valets de chiens ; troupe alerte, disposée et armée toujours contre les loups et les sangliers. Il y avait aussi la galerie des Cerfs, où le roi faisait garder les plus belles bêtes avec les faucons, les éperviers, les gerfauts. Tous les murs étaient décorés de sauvages dépouilles des grandes chasses : aigles, loups et quelques unes de bêtes fauves dont la race a disparue. Il y avait aussi une volière de quelques mille oiseaux de chasse et de proie, séparée des oiselets à mille couleurs. Le Roi faisait construire aussi un jeu de paume de 160 toises, presqu'un palais ; admirable jeu aimé du roi, qui développait les forces du corps, la grâce et la souplesse des membres ; puis un pale mail de 130 toises. Henri IV, était un des forts joueurs et Ton remarquait qu'il y mettait un sans gêne, un déshabillé peu royal. Il y venait souvent avec son juste-au-corps, percé au coude, sa fraise fort sale, et le jeu du mail l'entrenait fort tard dans la soirée ; c'était le moment des sarcasmes, des grosses plaisanteries, quelque fois un peu paillardes ou blessantes pour l'honneur des dames. Dans tous les palais royaux, il y avait toujours réservé
un appartement pour Zamet, le financier, l'homme politique plus encore que le
prêteur de denier ; on pouvait dire que Zamet avait fini Si le journal du parlementaire dit vrai il était impossible de porter plus loin le scandale. De là bien des haines amoncelées : tous les pères, tous les maris, n'étaient pas aussi complaisants que le jeune Chevallon ; ils cherchaient à venger leur honneur et la politique générale de Henri IV souffrit de ses passions personnelles. Il y eut peut-être dans la mort de Henri IV plus d'une de ces haines mises en jeu par les partis : on n'insulte pas impunément à la morale publique. Marie de Médicis se consolait dans l'amour des arts, et
l'un des plus admirables produits de l'imagination italienne ce fut le
château de Saint-Germain ; non pas ce lourd bâtiment de moellons rouges qui
date des bastilles de Charles VII, mais cet admirable château dont il ne
reste plus aujourd'hui aucun débris[12]. Qu'on s'imagine
sur le flanc de la colline, avec l'admirable perspective de |
[1] La sieste italienne et florentine.
[2] Mss. Béthune, vol. 8944, fol. 39. Biblioth. imp.
[3] La dépêche de l'ambassadeur d'Espagne : J. B. de Taxis remarque que le roi Henri IV prononça ces paroles avec effusion et vérité : Todo esto dicho difusamente y con maniera aviertas (Arch. de Simancas, cote 53, 87).
[4] Gaston Henri, d'abord évêque de Metz puis duc de Verneuil ; il ne mourut qu'en 1682.
[5] Elle fut mariée au duc d'Épernon.
[6] La gravure de ce tableau est au cabinet des estampes (Biblioth. imp. 1603). L'édit du roi qui rappelle les jésuites est du mois de septembre 1603.
[7] Louis-Gaston, duc d'Orléans ; Elisabeth, mariée au roi d'Espagne Philippe IV ; Christine, mariée au duc de Savoie ; Henriette, femme de Charles Ier, roi d'Angleterre.
[8] Dans le Journal de Henri IV, on lit que le chasseur noir dont le cor retentissait au loin, parut un peu ayant la mort du roi (1609).
[9] Il reste bien peu de choses aujourd'hui à Fontainebleau ; on restaure, en les altérant, les quelques peintures du Primatice ; dans une récente visite que j'ai faite au château, il ne m'a pas été possible de voir les fresques fermées pour cause de réparation, comme s'il s'agissait d'un café ou d'un théâtre.
[10] Dans le plan de Fontainebleau (1601) l'appartement de Zamet est à l'extrémité de gauche du côté des jardins.
[11] Journal de Henri IV, octobre 1604.
[12] La destruction du château de Saint-Germain a été aussi absolue que celle de Marly ; il ne reste plus que le pavillon restaurant de Henri IV, où l'on montre encore la chambre où naquit Louis XIV ; j'y ai trouvé encore quelques grottes ménagées sur le flanc de la colline ; le terrain est maintenant divisé en petites maisonnettes avec jardinets prétentieux.