Dès que Henri de Navarre eut quitté la cour des Valois, il
reprit son caractère d'aventure, sa vie vagabonde et hardie ; vaillant et
batailleur, il parcourut le Poitou, Le consistoire du Poitou et de Jamais vie plus alerte, plus brave, que celle de Henri de
Béarn, pauvre, sans autres soldats que les reîtres, les lansquenets et les
montagnards huguenots ; toujours aux expédients, le roi de Navarre vivait au
jour le jour, galant, sensuel, sans un pauvre denier à son service. Ce fut
dans ces courses de châteaux en châteaux qu'il s éprit d'une noble dame, la
comtesse de Guiche ; Diane de Louvigny était la fille unique de Paul
d'Audoins, vicomte de Louvigny, elle avait épousé à seize ans Philibert de
Gramont, brave soldat, gouverneur de Bayonne, qui avait eu le bras emporté
d'un coup de canon au siège de Diane de Guiche, que dans ses témoignages amoureux Henri
de Navarre appelait la belle Corisandre,
appartenait à cette fraction tiède et mixte du parti catholique que le roi de
Navarre avait tout intérêt à ménager. Aussi dans sa correspondance conservée
par les soins du marquis Paulmy d'Argenson[3], on voit que
Henri de Navarre lui rendait compte de toutes ses opérations de guerre, de
chaque sueur, de chaque fatigue ; il lui envoyait les étendards de bataille
pris à l'ennemi ; il lui faisait hommage des dépouilles des camps ; et à son
tour la belle Corisandre lui donnait
de l'argent, des hommes d'armes ; elle engageait ses terres, ses fiefs, ses
châteaux ; elle s'était fait comme le lien de Henri de Navarre avec le tiers
parti catholique des provinces du midi et de Henri de Béarn, ainsi qu'il était alors appelé dans les
dépêches espagnoles, en était aux expédients pour continuer la guerre ;
jamais le roi de Navarre n'eut obtenu de succès sérieux contre les armes des
Valois, s'il n'avait appelé à son aide l'étranger. Ce fut une des tristes
pages dans l'histoire du parti huguenot que cet appel constant à leur aide
des reîtres allemands qui envahissaient Cette situation exceptionnelle qu'avait prise Henri de Navarre, au milieu du parti huguenot, son abjuration de la foi catholique lui méritèrent la bulle d'excommunication lancée par Sixte-Quint. C'était un grand Pape avec toute la puissance d'énergie et d'organisation sortie du moyen-âge, et la même main qui relevait les monuments de la vieille Rome, les cirques, les obélisques, les théâtres, les statues antiques ; ce pape qui réprimait fièrement les brigandages des environs de Rome, la féodalité turbulente des princes et vassaux du Saint-Siège, déclarait Henri de Béarn excommunié comme hérétique relaps. Henri de Béarn ne venait-il pas de donner un triste exemple de parjure ? n'avait-il pas autant qu'il était en lui démoli l'édifice catholique ? Le pape devait l'excommunier et comme conséquence de la loi du temps, le souverain pontife le déclarait indigne de la couronne[7]. Ce droit public qui parait extrême aux époques civiles, au milieu des sociétés modernes, était la conséquence de l'état politique et social au XVIe siècle, lorsque le principe religieux était la règle des souverainetés : Quel droit motivait l'exclusion de Marie Stuart du trône d'Angleterre ? quel principe armait Elisabeth contre sa sœur ? qui pouvait expliquer les persécutions contre les catholiques d'Angleterre ? Chaque temps a ses proscrits et ses excommuniés politiques, civils ou religieux ! Il était dans le droit et le devoir du pape de réprimer par la déchéance de la couronne, le crime de parjure ; est-ce que les peuples n'acceptaient pas cette sentence ? est-ce que les puritains hésitaient à détrôner les rois d'Ecosse et d'Angleterre pour cause religieuse ? Quand un principe est profond et tenace, le méconnaître c'est abdiquer son droit de gouvernement Au reste, Henri de Béarn tenant peu de compte des sentences de Sixte-Quint, continuait sa vie rude, et aventureuse ; il ne cessait pas d'aimer la comtesse de Guiche qui relevait son âme dans ses heures de dégoût et de désespoir. A ce métier des batailles, Henri de Navarre usait son activité sa jeunesse ; il allait nuit et jour de châteaux en châteaux pour s'abriter, revenant chaque fois auprès de la comtesse de Guiche ; les hommes d'action du parti huguenot poussaient toujours leur chef à un nouveau mariage après le divorce avec Marguerite de Valois ; les puritains n'hésitaient pas à déclarer que le premier mariage avec une fille de Valois devait être annulé ; les habiles qui savaient encore toutes la puissance du roi de France, la nécessité de ménager son alliance n'allaient pas jusqu'à la rupture du lien, et surtout au mariage[8] avec la belle Corisondre de Guiche : ils lui disaient : si vous devenez son mari, craignez que vous ne perdiez la couronne de France ; ne vous servez de vos passions que comme moyen d'aider votre triomphe ; la dynastie des Valois a des racines profondes ; le roi Henri III est le chef aimé d'un grand parti de noblesse et de peuple : il ne faut pas le heurter. |
[1]
Le secrétaire du roi de Navarre, du nom de Dupin, caractère fanatique se
faisait l'instrument des ministres calvinistes. Voyez les Mémoires de la
reine Marguerite, publiés par Mauleon de Comier, Paris 1658-
[2] On trouve recueillis avec beaucoup de soin tous les renseignements sur la vie de Marguerite de Navarre, dans le livre que publia l'abbé Mongèz, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, qui fut ensuite M. Mongèz de l'Académie des inscriptions. (Vie de la reine Marguerite de Valois, femme de Henri IV, Paris 1773.)
[3]
Les lettres de Henri IV à Corisandre de Guiche, passèrent de
[4] On lit dans les brillants Mémoires de Gramont un renseignement très-curieux. Dans une conversation avec Matta le chevalier de Gramont s'écrie : Il n'a tenu qu'à mon père d'être le fils de Henri IV : le Roi voulait à toute force le reconnaître et ce diable d'homme ne le voulut pas ; vois donc ce que seraient les Gramonts sans ce beau travers, ils auraient le pas sur les César de Vendôme. (Mémoire de Gramont, chap. III.)
[5] La correspondance de Henri de Navarre et de la reine d'Angleterre, a été conservée en original dans la collection Béthune. (Biblioth. Impér).
[6]
Le discours d'Elisabeth au parlement (1584), est la théorie la plus absolue sur
la suprématie ecclésiastique : trouver quelque chose à
blâmer dans le gouvernement ecclésiastique de
[7] Cette bulle de Sixte-Quint est du 10 septembre 1585 : elle frappait Henri de Béarn et le prince de Condé, tous deux hérétiques, relaps selon la loi de l'Église.
[8] Le grand moyen proposé par le tiers parti, était le retour de Henri de Béarn au catholicisme. (Voyez les Mémoires du duc de Nevers, chap. III.)