Avant de porter au front la couronne de France, Henri III était ce vaillant duc d'Anjou[1], si brave à la guerre, victorieux à Jarnac et à Montcontour ; les Huguenots dispersés, en fuite devant lui, se souvenaient des rudes coups qu'il avait porté dans leurs rangs de bataille[2] ; la renommée du duc d'Anjou retentissait au loin, et il lui arriva une fortune bien rare chez les princes; il fut appelé spontanément par les Polonais (ce peuple héroïque et turbulent) à recevoir la couronne de Saint-Casimir et lorsque, roi de Pologne, après la mort de Charles IX[3], il avait voulu quitter son trône électif pour prendre la couronne de France, qui lui revenait par droit d'hérédité, les palatins l'avaient poursuivi pour le retenir et le forcer à régner sur eux ; il ne leur échappa que par la rapidité de sa fuite[4] : Henri III visita à son retour. Vienne, Venise, l'Italie entière, et il ne revit les tours du Louvre qu'au milieu des plus grands débats de la guerre civile. Jeune et brillant esprit, noble cœur, Henri III avait inspiré les amitiés les plus vives et les plus tendres à la partie la plus élevée, la plus élégante de la noblesse que représentaient de braves jeunes hommes : Quélus, Maugiron, Saint-Mégrin, Saint-Luc, Joyeuse et d'Epernon, objet de la haine et de la jalousie des opinions extrêmes[5]. Les partis n'hésitèrent pas à les accuser d'un vice infâme, comme si d'héroïques gentilshommes toujours l'épée au point, amants heureux même de la duchesse de Guise, de la dame de Saulx, de Marguerite de Navarre, pouvaient servir de Mignons de couchette, au roi de France. Tout est bon aux ennemis d'une cause ; le roi aimait ces jeunes gentilshommes parce qu'il avait une faiblesse extrême pour ce qui était brave, élégant, dévoué et qu'il les préférait à ces Béarnais mal propres, montagnards sentant l'ail, parlant la langue d'oc presque inconnus au Louvre ou bien à ces ligueurs catholiques dont la foi ardente était ennemie des plaisirs et des distractions du monde : Peut-on nier, dit-on, le témoignage de De Thou le grave historien qui accuse les mœurs des mignons. De Thou a le plus souvent copié les pamphlets huguenots dans son travail historique pour mieux accuser Henri III[6] ! Parlementaire outré sans avoir le courage de se faire et de se dire Huguenot, l'historien De Thou donna une certaine authenticité à tous ces faux dires et à ces bruits de paroles qui ont été ensuite acceptés ou copiés comme la vérité même. Il n'est pas jusqu'au mot mignon qui n'ait été détourné de sa signification naturelle pour en faire une ignoble accusation : mignon n'avait jamais été pris dans le sens étrange et florentin qu'on lui a donné, mignon, mignonne, mignardise, étaient des expressions qui se conservèrent dans la langue de cour, même sous Louis XIV[7] : ne disait-on pas encore les Menins de Mgr le Dauphin pour qualifier les jeunes seigneurs plus spécialement dévoué à sa personne? Ne disait-on pas d'une femme la mignonne, comme une expression de ses grâces et de son charmant esprit ? Toute la pensée de Henri III avait été de se créer un
parti à lui, de s'entourer de dévouements personnels contre les conjurations
ennemies; et l'institution de l'ordre du Saint-Esprit, le serment particulier
imposé aux chevaliers n'avaient que ce but de créer des défenseurs personnel
à la royale couronne, de se donner des cœurs et des âmes[8]. Les pamphlets
disent que le roi passait des colliers d'or au cou de ses mignons (ce collier n'était-il pas celui de l'ordre tout
resplendissant de pierreries ?) ; ils disaient aussi qu'il les baisait
aux joues (n'était-ce pas l'accolade de
chevalerie ?) ; il avait ainsi autour de lui des bras
fidèles tout à ses volontés ! Ces jeunes hommes sortaient des grandes
races provinciales[9].
Quélus, des Quelen de Bretagne ; Maugiron, des Maugis de Lorraine;
Saint-Megrin de haute famille Bourguignonne ; Joyeuse de l'illustre maison
des vicomtes de Joyeuse en Vivarais ; il était le fils de Guillaume de
Joyeuse, lieutenant général du Languedoc, maréchal de France, frère de Henri
de Joyeuse aussi maréchal de France et d'Antoine Scipion, grand prieur de
Malthe, habile à tous les exercices, d'une belle et haute stature, il avait
eu la mâchoire fracassée au siège de Le roi Henri III était pur et franc catholique associé à
toutes les corporations pénitentes[12], mais il se
voyait débordé par les Guises si chers à Il se fit à cette époque un double mouvement en dehors des
Valois : 1° [...manque les pages 58 et 59...] vertu de leur courage, de leurs services, par la force de leur parti victorieux, mais il ne pouvaient invoquer des droits héréditaires supérieurs aux droits des Bourbons et aussi bien constatés. La situation de Henri de Béarn était tout opposée à celle des Guise; l'hérédité était pour lui incontestée tandis que le parti catholique se prononçait contre ses droits. Ce qu'il lui fallait donc, c'était rallier toutes les forces modérées éparses du parti catholique ; Henri les courtisait avec une grande habileté. Après quelques victoires obtenues, il allait de château en château, se rapprochant des familles nobles, il leur écrivait des lettres très-humbles, très-attrayantes ; il liait des intrigues avec les gentilshommes catholiques du midi, pour les rapprocher des calvinistes modérés. Ce fut en suivant ces négociations qu'il connut la famille d'Estrées et Gabrielle la fille et l'héritière de cette maison puissante. |
[1] Né à Fontainebleau le 19 septembre 1551.
[2] Le duc d'Anjou commandait les catholiques à l'âge de 18 ans.
[3] Le 31 mai 1574.
[4] Dans la nuit du 18 au 19 juin 1574.
[5] Quand l'homme vertueux est languissant de faim
Et qu'à ses seuls mignons, le Roi fait ses largesses.
[6]
De Thou avait copié spécialement la complainte de
Antraguet et ses compagnons,
Ont bien étrillé les mignons,
Chacun dict que c'est domage,
Qu'il n'y en est mort d'avantage.
[7] Madame de Maintenon ne parlait pas autrement à la duchesse de Bourgogne (1705).
[8] Statut de l'ordre du Benoict-Saint-Esprit (1570), conducteur et inspirateur des bonnes œuvres.
[9]
Henri IV fort laid ne pardonnait pas à ces nobles beaux jeunes hommes ; il
écrivait : Je sais bon gré au duc de Guise, mon
cousin, de n'avoir pas souffert qu'un mignon de couchette le fit cocu. C'est
ainsi qu'il faudrait accoustrer tous ces petits galants de
[10] La vie politique de d'Épernon fut très-longue, on le voit successivement conseiller de Henri IV, et le bras droit de Marie de Médicis durant sa régence ; il mourut à plus de 80 ans.
[12] C'est au sac du pénitent, dont se couvrait Henri III, que les vers suivants font allusion.
Après avoir pillé
Et tout son peuple dépouillé,
N'est-ce pas belle pénitence
De se couvrir d'un sac mouillé !