Il serait difficile de rattacher à une seule idée, la
politique générale du règne de Henri IV ; elle varia constamment selon sa situation
et ses besoins. Roi de Navarre, chef en quelque sorte du parti huguenot, ses
alliances se ressentirent de cette position personnelle. Il s'agissait avant
tout de triompher : Henri eut alors la politique du but, c'est-à-dire celle
qui se sert de tous les moyens ; il se tourna vers Elisabeth d'Angleterre,
les Pays-Bas insurgés, les princes luthériens d'Allemagne, les cantons
suisses calvinistes ; ses plus fermes appuis à l'intérieur furent Sully,
d'Aubigné, Duplessis Mornay, Gaumont La seconde période de Henri de Béarn vit modifier sa
politique, ce fut lorsque Henri III déchu par Mais par cette situation nouvelle et nécessaire ses vieilles alliances et ses vieux amis furent également compromis : il faut voir toute la peine, tout les soucis que prend Henri IV pour se justifier auprès de la reine d'Angleterre, auprès des cantons suisses, auprès du prince d'Orange et des Électeurs luthériens, pour expliquer les causes de sa politique nouvelle. Ces concessions, dit-il dans ses lettres, il les a faits à la nécessité : la reconnaissance profonde envers eux reste la même ; jamais il ne sera tiré une seule arquebusade contre ses alliés naturels. Quant au parti huguenot, en France, il cherchait à le satisfaire par la concession de l'édit de Nantes, mesure capitale et décisive ; ses amitiés restaient là, et il avait pour les représenter Madame Catherine sa sœur, et plus d'une fois il assistait au prêche, en chantant les psaumes de Marot de sa voix gasconne et nasillarde. L'opinion la plus justement irritée, ce fut le tiers parti
militaire, représenté et conduit par le maréchal Biron ; on pouvait dire
qu'après la mort de Henri III, c'était cette armée royaliste qui avait assuré
la victoire à Henri de Navarre, et en saluant le roi elle avait complètement
décidé la question de la couronne. Maître de Paris, Henri IV avait peu fait
pour ce parti qui pouvait beaucoup exiger, car il avait bien servi[2]. Il est dans la
condition de ceux qui ont fait un pouvoir de chercher à le dominer, et par
contraire, il est dans la nécessité de ce pouvoir, une fois fait, de briser
ou au moins d'assouplir le parti qui Ta créé ; lutte nécessaire, mais
ingrate. Le maréchal de Biron croyait Henri IV trop oublieux de ses services
; de là ses mécontentements, ses conjurations avec l'Espagne, avec le duc de
Savoie, le plus ambitieux, le plus intempérant des princes. Quand on lit attentivement
le procès du maréchal de Biron on ne peut se défendre d'un bien triste
sentiment ; Henri IV paraît impitoyable envers son vieil ami ; il fallait
bien qu'il y eût une raison générale, dominante, pour que le roi repoussa la
prière du maréchal de Biron formulée d'une manière suppliante : Ne souffrez pas. Sire, que je meure en une occasion si
misérable et laissez moi vivre pour mourir au milieu de vos armées, servant
d'exemple d'homme de guerre qui combat pour son prince et non d'un
gentilhomme malheureux que le supplice defaict au milieu d'un peuple ardent à
la curiosité des spectacles et impatient en l'attente de la mort des
criminels. Que ma vie finisse, Sire, au même lieu où j'ai accoutumé de verser
mon sang pour votre service et permettez que celui qui m'est resté de trente
deux playes que j'ai reçues en vous suivant et imitant votre courage, soit
encore respandu pour la conservation et accroissement de votre empire[3]. — Digne et
touchante lettre ! comment se fit-il qu'elle ne fut pas écoutée ? L’arrêt de
mort fut inflexiblement exécuté : l'épée du bourreau frappa le maréchal de
Biron dans les murs de Le grand duc de Biron invincible aux alarmes. Qui ne pouvait périr par la force des armes, Et de fait redouté par sa propre valeur. Ce lui fut un péril d'avoir trop de courage, Car l'objet de sa gloire enfantant son malheur. L'on voit que son honneur a produit son dommage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Consulte des démons les perfides oracles, Et s'accorde à leur voix pour me faire mourir. Je lui donnai mon sang pour lui sauver la vie ; Mais puisqu'elle le veut pour me faire périr, Je le lui donnes tout pour plaire à son envie[4]. Mille vers avec ces mêmes nobles pensées furent publiés à cet époque, car le parti des politiques avait profondément senti le coup qui lui était porté. Le but de Henri IV était d'empêcher les complots, les mécontentements, d'arrêter les tendances impératives de ses amis, les exigences de ceux qui l'avaient servi ; il fut impitoyable, cruel, pour donner un exemple et imposer un frein. Le maréchal de Biron était un caractère de fermeté hors ligne ; quand le bourreau voulut lui bander les yeux, il lui dit : Frappe, si tu ne peux en un coup, mets en trente, je ne bougerai non plus qu'un hibou. Ces sortes de caractères de fer font peur à tous les pouvoirs victorieux qui n'ont qu'une pensée à leur égard : s'en débarrasser au plus vite comme un empêchement à leur destinée, un obstacle à leur avenir. Ce fat après cette forte répression du parti gentilhomme à
l'intérieur, que Henri IV, maître de la position, put songer au développement
d'une politique européenne et il le fit dans des proportions très-larges[5] et qu'on croirait
presqu'une utopie comme celle de Thomas Morus. Il y perce d'abord cette idée
qui devint fondamentale sous le cardinal de Richelieu, à savoir que toutes
les forces de La république chrétienne de Henri IV devait se composer de
quinze dominations : la papauté, l'empire d'Allemagne, Henri IV voulait donner au Pape le royaume de Naples, et
la suprématie sur Cette fédération devait former une nationalité
indépendante toujours avec l'hommage au saint-siège ; le duc de Savoie devait
recevoir le Milanais dont le Crémonais était distrait au profit de la
république de Venise, et désormais les ducs de Savoie prendrait le titre de rois de Lombardie ; on donnait à Les dix-sept provinces actuelles des Pays-Bas libres,
recevaient à leur tour les duchés de Clèves, de Juliers, de Berghes, de Pour réaliser ce grand concert d'État, trop vaste pour
être jamais accompli, le projet créait un congrès européen composé de
soixante députés, quatre nommés par chacune des fédérations ou domination
particulière qui aurait son siège permanent en une ville centrale telle que
Trêves, Nancy ou Cologne, conseil appelé Sénat de
la république chrétienne, chargé de tout régler entre les
souverains et les sujets d'une part, pour empêcher l'oppression des peuples
par les princes, et la révolte des peuples contre les États. Ce sénat aurait
voté un fond d'argent et d'hommes pour secourir immédiatement La maison d'Autriche aurait beaucoup souffert pour sa
grandeur, pour son unité de cet immense remaniement de l'Europe ; elle se
serait défendue avec son énergie et sa patience accoutumée. L'auteur du projet continue : Premièrement
il faut supposer que du côté d'Italie, le Pape, les Vénitiens et le duc de
Savoie, étaient bien informés du dessein du roi et qu'ils devaient l'y
assister de toutes leurs forces ; le Savoyard surtout y était extrêmement
animé parce que le roi lui donnait sa fille aînée en mariage pour son fils
Victor Amédée ; du côté d'Allemagne, trois électeurs palatins, Magdebourg,
Cologne et Mayence, le savaient aussi et ils devaient le favoriser ; le duc
de Bavière avait leur parole et celle du roi qu'on relèverait à l'empire et
plusieurs des villes impériales s'étaient déjà adressés à Henri IV pour le
supplier de les honorer de sa protection. Enfin, du côté de Bohème et de
Hongrie, le roi avait des intelligences avec les seigneurs et la noblesse ;
les peuples y étaient désespérés de la pesanteur du joug, tous étaient prêts
à le secouer et à se donner au premier qui leur tendrait les bras. Que faut-il croire de ce projet écrit ? était-il une
fantaisie royale, le rêve d'une puissance qui veut éclater parce qu'elle se
sent forte : Henri IV appelait-il de ses vœux un remaniement de l'Europe ?
l'aurait-il pu mener à bonne fin ? pouvait-il compter sur le concours de F
Angleterre et de l'Allemagne dans le projet d'une confédération ? Ce qu'on
peut croire c'est que dans la situation irritée des esprits, il fallait une
distraction à |
[1]
Voyez les lettres originales de Henri IV, dans mon travail sur
[2]
Consultez pour toutes les pièces originales sur le jugement et la condamnation
du maréchal de Biron, un recueil très-curieux : La conspiration, prison,
jugement et mort du duc de Biron exécuté à Paris, dans
[3] La mère du maréchal Biron écrivit une lettre touchante au roi ; elle est autographe. Mss. Béthune, vol. cot. 8476, p. 101.
[4] Il fut aussi fait des quatrains et sonnets sur la mort du maréchal de Biron. (Voyez le recueil de son procès).
[5] Sur ce projet, consultez Collect. Fontanieu, année 1608. Péréfixe l'a analysé avec soin dans sa Vie de Henri IV.
[6]
[7] Les tribus de cosaques faisaient alors des invasions en Pologne.
[8] Je crois même que ce ne fut jamais qu'un de ces projets jetés sur le papier. La seule pensée du roi, la seule sérieuse fut la guerre contre la maison d'Autriche qu'il aurait vigoureusement poursuivie.