PARIS - HENRI PLON - 1871.
INTRODUCTIONLIVRE PREMIER. — VERSAILLES (27 mars 1785 - 6 octobre 1789).LIVRE II. — LES TUILERIES (6 octobre 1789 - 20 JUIN 1791).LIVRE III. — VOYAGE DE VARENNES (20-26 juin 1791).LIVRE IV. — JOURNÉE DU 20 JUIN (26 juin 1791 - 20 juin 1792).LIVRE V. — JOURNÉE DU 10 AOÛT (21 juin - 13 août 1792).LIVRE VI. — LE TEMPLE (13 août - 3 septembre 1792).LIVRE VII. — LA RÉPUBLIQUE PROCLAMÉE DEVANT LE TEMPLE (4 septembre - 27 octobre 1792).LIVRE VIII. — LA GROSSE TOUR DU TEMPLE (27 octobre - 2 décembre 1792).LIVRE IX. — PROCÈS DU ROI (2 décembre 1792 - 20 janvier 1793).LIVRE X. — LE RÉGICIDE.DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVESI. Naissance de Louis XVII. — II. Acte du baptême de Louis XVII. — III. Déposition de Balthazar Sapel. — IV. Lettre de Mlle Pauline de Tourzel. — V. Procès-verbal du Conseil général de la Commune de Paris (3 septembre 1792). — VI. Rapport de la commission nommée par le Comité de sûreté générale (1er septembre 1792). — VII. Délibération du Conseil général du 23 novembre 1792. — VIII. État des instruments tranchants et armes offensives et défensives remise, par les citoyens Cléry et Tison, étant auprès des prisonniers du Temple. — IX. Inhumation de Louis XVI.INTRODUCTIONI La bienveillance de l'Académie française et du public pour ce livre m'obligeait, en le réimprimant, à n'épargner aucun effort pour le rendre digne de l'accueil qu'il a reçu. Je devais vérifier rigoureusement, une fois de plus, chacun des faits historiques qui en forment la base ; j'avais à donner tous mes soins à sa rédaction, en la laissant dans sa franche simplicité. Je me suis résolument imposé cette tâche, comme un devoir vis-à-vis de mes lecteurs, et comme un nouvel hommage à la royale infortune que j'ai à raconter. Les recherches que je n'ai cessé de faire depuis les premières éditions m'ont mis à même d'ajouter à celle-ci des détails qui étaient jusqu'à ce jour restés inconnus. J'espère avoir exploité à fond et d'une manière définitive les divers dépôts de nos Archives nationales[1]. De plus, grâce à la parfaite obligeance de madame la duchesse Des Cars, j'ai pu réunir dans cette nouvelle édition de nombreux détails empruntés aux Mémoires de madame la duchesse de Tourzel, sa grand'mère. On comprend l'intérêt que doivent ajouter à mon ouvrage les récits d'un témoin aussi important. II Louis de France, dix-septième du nom, n'a vécu que dix ans deux mois et douze jours. On ne lui a donné le nom de Roi que sous le chaume de la Vendée ou sous les tentes de l'exil. Ainsi, peu de paroles sembleraient devoir suffire au récit de sa vie. Mais sa vie, si brève par les jours, est si longue par les tourments, qu'il nous a fallu quelque temps et beaucoup de courage pour la retracer. Si ce n'est point là une de ces existences de rois ou de héros qui ont conduit les destinées de leur siècle et pesé puissamment dans la balance du monde, c'est là du moins une des existences de martyrs les plus dignes d'une respectueuse pitié par leurs misères, et les plus curieuses par les mystères mêmes de leur mort. Aussi nous ne saurions dire le charme triste et douloureux que nous avons trouvé à parcourir ce labyrinthe où la vérité était près de l'erreur, et d'où nous n'avons pu sortir qu'en rattachant avec soin les fils à demi brisés de mille souvenirs, et en recourant à toutes les lumières qui pouvaient y descendre encore pour nous éclairer. Nous avons compris, au commencement de nos recherches, comment il se faisait que l'opinion publique n'eût jamais été bien définitivement fixée sur ce fait obscur, secondaire en apparence, et pourtant considérable : la mort d'un enfant. La France et l'Europe n'ont assisté que de loin au drame de la tour du Temple ; elles n'en ont point vu toutes les scènes ; elles n'en ont appris le lamentable dénouement que de manière à pouvoir presque en douter encore. Devant. ce voile qui a enveloppé la fin tragique du fils de Louis XVI, on ne s'étonne plus d'entendre dire avec la chaleur d'une profonde conviction que la jeune victime est sortie vivante de sa prison ; on accorde bien qu'un enfant est réellement mort au Temple ; mais on ajoute que nul ne saurait affirmer que ce fût le rejeton de nos rois ; on prétend que si les médecins ont constaté la mort, ils n'ont point constaté l'identité ; qu'on n'a jamais su comment l'homme au masque de fer est arrivé sur la terre, qu'on ne saura jamais comment l'enfant du Temple en est parti, et que la tombe de l'un restera aussi mystérieuse que le berceau de l'autre. III Il était naturel après cela que des imposteurs se crussent autorisés à se poser comme les héritiers d'un nom saint et glorieux. Indépendamment de quelques prétentions éphémères dont les tribunaux n'ont pas eu à s'occuper, nous avons vu depuis le commencement de ce siècle apparaitre quatre candidatures sérieuses qui, tour à tour, ont vivement excité l'attention publique : Hergavault. Mathurin Bruneau, Naundorf, Richemont, ont successivement joué le même rôle avec tant de constance, de candeur apparente, de fermeté et d'audace, qu'ils sont parvenus à s'emparer de quelques consciences et à en troubler un grand nombre. Ce qui est incroyable est toujours ce qui séduit le plus la crédulité. La vraisemblance est peu de chose pour les hommes, et l'imagination excitée par l'extraordinaire a besoin d'être étonnée pour croire. Pour nous, il nous a fallu aussi nous mettre en garde contre nos propres désirs, contre l'instinct de notre nature qui nous entraîne vers les régions du merveilleux. Quelques esprits pourront regretter le poétique mystère qui planait jusqu'ici sur les débris du Temple ; mais nous avons examiné de trop près toutes les circonstances de cet effroyable épisode, pour que la poésie ne dût pas céder le pas à la réalité. Je n'ai épargné ni soins ni recherches pour arriver à la vérité. J'ai remonté à la source de tous les faits déjà connus ; je me suis mis en relation avec les personnes encore vivantes auxquelles le hasard de leur position ou les devoirs de leur charge avaient ouvert les portes du Temple ; j'ai eu beaucoup de renseignements à recueillir, beaucoup d'erreurs à rectifier. J'ai particulièrement connu Lasne et Gomin, ces deux derniers gardiens de la tour, entre les bras desquels Louis XVII est mort. Ce ne sont donc pas les traditions recueillies par les enfants de la bouche de leurs pères que j'ai consultées, mais bien les souvenirs mêmes des témoins oculaires, souvenirs religieusement conservés, malgré les années, dans leur mémoire et dans leur cœur. Pendant vingt ans j'ai remué les décombres du Temple pour y découvrir quelques débris de souffrances inconnues, pour y ramasser quelques parcelles d'infortunes ignorées. Pendant vingt ans j'ai relevé pierre à pierre cette tour du sacrifice et de l'expiation, d'où le Roi et la Reine sont partis pour aller à un autre supplice et à une autre couronne. Pendant vingt ans je me suis, par la pensée, enfermé dans cette tour, j'y ai vécu, j'en ai parcouru les escaliers, les chambres, tous les recoins, j'ai tout repeuplé, j'ai écouté tous les soupirs, tous les sanglots, j'ai lu sur les murs les tortures écrites, les pardons laissés pour adieux ; j'ai entendu tous les échos qui les répètent, et du haut de cette tour comme du haut d'un rocher, j'ai aperçu les crimes qui s'amoncelaient semblables à des vagues, et bruissaient tout alentour. IV Je me trouve donc en position d'exposer, après une enquête personnelle et avec certitude, la moindre circonstance des événements que je raconte. J'apporterai dans mon récit la plus exacte impartialité, m'abstenant de rien hasarder de douteux, mais résolu à dire ce que je crois vrai. Si parmi les détails nouveaux que ces Mémoires renferment, il s'en trouvait d'invraisemblables par l'excès même de leur atrocité, qu'on n'oublie pas que je les tiens de la bouche même des acteurs et des témoins, et que je manquerais à mon devoir si je cherchais à les atténuer pour leur donner plus de crédit. N'ayant pas l'ambition de l'historien, je dois avoir au moins la fidélité du narrateur. J'ai vécu pendant de longues années avec la préoccupation constante de mon sujet. J'ai eu pour la mémoire de ce malheureux prince le culte que j'aurais eu pour celle de mon enfant. Sans demeurer insensible au mouvement des peuples et aux transformations de la société, je ne demandais à cette terrible époque de la révolution que ce qui avait rapport à cette jeune tête sur laquelle j'avais concentré mes plus vives et mes plus tendres facultés. Je ne saurais dire la pieuse avidité, la patience infinie que j'ai mises à saisir à travers le bruit des vagues révolutionnaires le faible murmure de cette vie si courte, de ces joies si rapides, de ces misères si lentes, de cette mort si cruelle. Aussi j'ai eu besoin d'entrer dans les développements les plus minutieux sur tout ce qui les concerne, ne me faisant aucun scrupule de déroger à la gravité historique, et me persuadant au contraire que dans la vie d'un enfant où l'on ne peut avoir de grandes actions à raconter, les détails les plus circonstanciés ne sauraient être négligés, et que le drame même qui les enveloppe leur donnait de l'intérêt. Je ne sais quel savant botaniste a consacré tout un livre à raconter la vie, les mœurs, les habitudes d'une toute petite fleur, au milieu des grands phénomènes que lui présentait le spectacle de la nature. Le Dauphin de France a été pour moi cette petite fleur au milieu des immenses événements de la révolution. Obligé souvent de retracer les événements du règne de son père auxquels sa frêle enfance se trouvait mêlée, j'ai taché de le faire aussi succinctement que je l'ai pu, et seulement pour ne pas perdre de vue des intrigues qui se croisent, des péripéties qui se compliquent, et des catastrophes qui s'enchaînent. On m'excusera donc si je passe avec légèreté sur des actes importants, pour m'arrêter gravement sur des actes légers et éphémères. Simple narrateur de ce que j'ai recueilli, je n'ai point cherché le mouvement dramatique et les effets pittoresques. Je me suis mis également en garde contre la crédulité complaisante, qui admet tout sans preuve, et l'incrédulité prévenue, qui rejette tout sans examen. J'ai désiré d'atteindre aux limites du vrai, mais j'ai craint de les dépasser. J'ai retenu même, autant que je l'ai pu, les expressions d'un sentiment qui toujours se nourrira en moi de souvenirs et de regrets, mon but n'étant pas de dire combien j'aimais cet enfant, mais de montrer combien il était digne d'être aimé. Plusieurs passages exigeant des notes, je n'ai pas cru devoir faire entrer ces notes dans la narration, dont elles eussent entravé la marche. J'en ai placé quelques-unes au bas des pages ; j'en ai rejeté quelques autres à la fin de chaque volume ; mes mains restent pleines de documents officiels, presque tous inédits, et qui viendraient au besoin confirmer la scrupuleuse exactitude de mon récit. Ceux que je reproduis suffiront, je l'espère, au lecteur ; guidé par sa conscience, il trouvera, tout aussi bien que nous, des inductions infaillibles, des témoignages positifs, des garanties irrécusables. Il verra de quel poids peuvent peser quelques erreurs grossières et inexpliquées, auprès des documents irréfragables que nous leur opposons ; et il pensera, je l'espère aussi, que nous apportons à l'histoire non-seulement la certitude, mais encore la preuve matérielle, authentique, que le Dauphin de France, fils de Louis XVI, est bien réellement mort au Temple. Il est assez de têtes royales livrées à l'orage sur les grands chemins de l'Europe, laissons à celles que Dieu a soustraites par la mort à l'exil, la paix de leur tombeau. On comprend toutefois que je n'ai point fouillé dans ces ruines ni relevé cet édifice pour chercher des aliments aux passions du jour ; j'ai encore moins la prétention de plaider une cause. L'esprit de parti doit se taire en approchant de la tombe des rois, il doit s'éteindre sur le berceau d'un enfant : j'espère que les penchants de mon cœur n'auront point aveuglé ma raison. Je me suis souvenu que les coupables sont morts et qu'ils ont comparu devant la justice de Dieu ; je me suis souvenu aussi du pardon descendu de l'échafaud d'un Roi et de celui d'une Reine, et de l'oubli magnanime de l'orpheline du Temple. Autant que je l'ai pu, j'ai raconté les faits sans les juger, j'ai refoulé en moi-même toutes les indignations qui s'amas- : sent dans le cœur à l'aspect de tant de cruauté contre l'innocence, de tant de violence contre la faiblesse. Je laisserai parler les faits, les faits parlent trop haut pour que j'y puisse rien ajouter avec le vain murmure de mon opinion ; je n'ai point à accuser, je n'ai point à maudire ; je raconterai les choses et je montrerai les hommes. V Il nous reste peu de mots à dire sur le plan et l'ordonnance de cet ouvrage. La vie du Dauphin de France, plus tard Louis XVII, en est le centre et l'unité. Le récit commence et finit avec elle. Autour de la vie et des souffrances de ce jeune et malheureux Prince se développent, comme une première et vivante enceinte, les épreuves, la chute, les malheurs, la captivité et la fin douloureuse des autres membres de la famille royale. Les événements généraux de la révolution se pressent alentour de cette enceinte ; le théâtre change plusieurs fois ; le drame s'ouvre à Versailles, se transporte aux Tuileries après les journées des 5 et 6 octobre, en sort pour aller à Varcnnrs, revient aux Tuileries pour les terribles journées du 20 juin et du 10 août, traverse un instant la salle de l'Assemblée nationale pour arriver au Temple, où le dénouement doit s'accomplir. Le premier volume contient les faits représentés par ces deux mots extrêmes qui résument une longue histoire : Versailles et le Temple. Il commence avec le récit des derniers temps passés par la famille royale à Versailles ; il se ferme sur la première période du séjour de la famille royale à la prison du Temple, en conduisant le lecteur jusqu'au pied de l'échafaud de Louis XVI. Le second volume s'ouvre après la mort du Roi, c'est-à-dire avec le règne de Louis XVII, triste règne qui eut pour trône un grabat, pour palais une prison, et ne connut d'autre couronne que celle du martyre. Le vide se fait peu à peu autour de lui : il a perdu d'abord le Roi son père. Bientôt vient le supplice de la Reine. Alors commencent ces jours inénarrables et que nous avons cependant entrepris de redire, dans lesquels le saint Roi Louis XVI, qui avait été jusqu'à la fin de sa vie le précepteur de son fils, a pour successeur, dans la conduite de cette éducation, le savetier Simon, comme il avait eu pour héritiers dans le gouvernement de la France, Marat, Danton et Robespierre. Puis les chapitres se divisent par les noms des gardiens qui se. passèrent de main en main cette pauvre vie, étiolée loin de l'air pur et des rayons du soleil, dans la lourde atmosphère des prisons ; Simon, du 3 juillet 1793 au 30 nivôse an II (19 janvier 1794) ; Après Simon, un interrègne dans la geôle, et du 19 janvier au 27 juillet 1794, plus de six mois d'une lugubre solitude et du plus cruel abandon ; Puis Laurent, au 10 thermidor an II (28 juillet 1794) ; Gomin adjoint à Laurent, du18 brumaire an III (8 novembre 1794) au 9 germinal an III (29 mars 1795) ; Lasne adjoint à Gomin, du 11 germinal an III (31 mars 1795) jusqu'à la fin. Puis viennent la dernière maladie, l'agonie et la mort. Le premier volume pourrait, nous l'avons dit, se résumer par deux mots : De Versailles au Temple. Deux mots suffisent encore pour résumer le second volume : Du Temple au cimetière. Cependant, après avoir dit par quelle porte, à la fois triste et sainte, sortirent du Temple tous ceux qui y étaient entrés, nous croirions manquer à notre mission et à la juste attente du lecteur si, dans une dernière partie, nous n'exposions, d'après des documents nouveaux et particuliers, comment Marie-Thérèse de France, la seule de toutes ses proies que le Temple ait rendue vivante, en sortit, laissant derrière elle tant de chers et funèbres souvenirs. Puis, comme l'intérêt rejaillit du drame sur le théâtre, parlons plus juste, comme le sacrifice consacre l'autel, après avoir dit comment finit la captivité de tous les prisonniers du Temple, il nous restera à dire, en bien peu de mots, comment finit la prison elle-même ; car la ruine du Temple se rattache à l'histoire de la captivité royale. Il y avait des hommes de la révolution sur lesquels l'ombre de cet édifice descendait comme un reproche, et qui poussaient à sa destruction. Comme cela arrive quelquefois à la fin des grands procès, on voulut se débarrasser d'un témoin qui avait vu trop de choses. La fin du Temple, après la fin de Louis XVII, fermera le récit de cette légende, où tout périt, jusqu'au monument qui avait offert pour théâtre ses salles et ses tours à ce terrible drame. B. |