6 octobre 1789 - 20 juin 1791.
Mot du Dauphin en entrant aux Tuileries. — Réveil de la famille royale. — La foule sous les fenêtres du château. — Cocarde nationale. — Sacs de farine soi-disant avariée jetés dans la Seine. — Rassemblement de femmes réclamant le rachat des effets mis par elles au mont-de-piété. — Appartements de la famille royale aux Tuileries. — Efforts et illusions du Roi. — Menaces et outrages. — Progrès de la révolution. — Caractère du Dauphin. — Scène avec sa gouvernante. — Paroles au régiment de Flandre. — Étrennes à sa mère. — Première communion de sa sœur. — Le jardin de la terrasse du bord de l'eau. — Quatre destinées d'enfants. — Le Royal-Dauphin. — Domino de marbre noir provenant des débris de la Bastille, offert au jeune Prince — La Fête-Dieu. — La Cour à Saint-Cloud mesdames de Tarente et de Tourzel ; tendres épanchements de la Reine. — Le Dauphin-Dragon. — Anecdotes. — Charité du Dauphin. — La Fédération. — Les Fédérés. — Départ de Mesdames. — Mort de Mirabeau. — Constitution civile du clergé. — Intolérance révolutionnaire. — Violences faites au Roi. — Jour de Pâques.Louis XVI vint occuper le château des Tuileries, qui, inhabité presque sans interruption depuis 1655, était dépourvu des objets les plus nécessaires : les meubles en étaient délabrés, les tapisseries vieillies et fanées ; les appartements étaient tristes, mal éclairés. Tout est bien laid ici, maman, dit le Dauphin en y entrant. Mon fils, lui répondit la Reine, Louis XIV y logeait et s'y trouvait bien ; nous ne devons pas être plus difficiles que lui. M. le Dauphin, dit madame de Tourzel, passa la nuit sans gardes, dans un appartement ouvert de tous côtés, et dont les portes pouvaient à peine se fermer. Je les barricadai avec le peu de meubles que, je trouvai, et je passai la nuit, assise auprès de son lit, plongée dans la douleur et les plus tristes réflexions... Le lendemain matin, dès le réveil de la famille royale, continue madame de Tourzel, les cours et les terrasses des Tuileries étaient encombrées d'une foule de peuple qui demandait à grands cris à la voir, les uns pour le plaisir de jouir du fruit de leur victoire, le plus grand nombre par curiosité, et quelques-uns par un sentiment d'intérêt et d'attachement. Toutes les personnes de la famille royale, même les princesses, furent obligées de prendre la cocarde nationale et de se montrer au peuple à plusieurs reprises, dans un appartement au rez-de-chaussée, qui donnait sur la cour et qui était occupé par Madame Elisabeth. Chaque fois qu'elles paraissaient on criait : Vivent le Roi et la famille royale ! La journée se passa ainsi ; la foule, qui se renouvelait sans cesse, ne quitta le château qu'à la nuit, et revint encore le lendemain. On illumina dans Paris les premières journées de l'arrivée du Roi, pour surveiller plus facilement les mauvais desseins que l'on redoutait. Les factieux, dans l'espoir d'émouvoir la populace, envoyèrent sur le pont Royal, vis-à-vis des fenêtres de M. le Dauphin, des charrettes remplies de sacs de farine soi-disant avariée, que des forts de la Halle jetaient dans la rivière : ce spectacle ne produisant pas la plus légère impression, les charrettes s'en retournèrent et ne revinrent plus. Ils imaginèrent un autre moyen pour indisposer le peuple contre la Reine. Deux jours après l'arrivée de cette princesse, ils insinuèrent dans la classe malheureuse l'idée d'aller lui demander de retirer du mont-de-piété tous les effets que la pauvreté avait forcé d'y mettre en gage. La terrasse des Tuileries était couverte de femmes qui s'étouffaient à force d'être pressées, et qui demandaient à parler à la Reine ; les personnes qui entouraient cette princesse en ce moment l'engagèrent à acquiescer à leur désir. Je l'en dissuadai, en lui représentant le danger de. compromettre sa dignité en se prêtant aux caprices de cette multitude, et je lui conseillai seulement de lui faire dire qu'elle s'occuperait des moyens de lui être utile. Tout le monde était si effrayé que personne n'osait se charger de la commission ; j'offris à la Reine de parler moi-même à ces femmes, avec madame la princesse de Chimay, sa dame d'honneur. Elle y consentit, et, de l'appartement de cette dernière, qui donnait sur la terrasse des Tuileries, nous haranguâmes cette multitude, nous lui dîmes que, quoique les malheureux eussent de grands droits sur le cœur de la Reine, elle ne pouvait prendre d'engagements sans en connaître l'étendue, mais qu'on pouvait se reposer sur sa bienfaisance et sur sa bonté. Cette démarche la satisfit, le rassemblement se dissipa, et chacun s'en retourna tranquillement. Peu de jours après, le Roi autorisa la Reine à retirer du mont-de-piété les effets qui n'excédaient pas la valeur d'un louis. La même foule et le même empressement pour voir la famille royale continuèrent plusieurs jours avec la même indiscrétion, et poussée à un tel point que plusieurs poissardes sautèrent dans l'appartement de Madame Elisabeth, qui supplia le Roi de la loger ailleurs, et qui a toujours conservé depuis pour ce logement une grande répugnance[1]. M. le Dauphin n'occupa que deux ou trois jours l'appartement si mal clos où nous l'avons laissé, et dont les fenêtres, comme on l'a vu par le récit que nous venons de reproduire, donnaient sur le pont Royal. Voici les renseignements que nous fournit madame de Tourzel sur l'installation de la famille royale aux Tuileries : Le Roi, qui voulait rapprocher de lui ses enfants, partagea son appartement avec M. le Dauphin, et prit pour lui les cabinets qui étaient à la suite de l'appartement de la Reine. Cette princesse occupa le rez-de-chaussée donnant sur la terrasse des Tuileries, et ayant donné à Madame, sa fille, les petits entresols au-dessus de la chambre du Roi, qui faisaient ses petits appartements, elle en fit accommoder .d'autres au-dessus de ses cabinets et de l'appartement du premier gentilhomme de la chambre, et on pratiqua de petits escaliers particuliers pour que le Roi et la Reine pussent communiquer librement dans l'intérieur de leurs appartements, et dans celui de M le Dauphin et de Madame. Madame Elisabeth occupa le pavillon de Flore, et Monsieur et Madame allèrent occuper le Luxembourg. Ils venaient tous les jours souper avec le Roi, qui ne dînait plus en public, mais en particulier avec la famille royale, excepté M. le Dauphin, qui, trop jeune encore, dînait chez lui à midi[2]. La présence de la famille royale semble un instant ramener le calme dans Paris. Louis XVI mande près de lui le comité des subsistances, qui s'étonne de trouver dans le Roi, jointes à la sollicitude d'un père, les connaissances d'un sage administrateur ; des mesures sont prises pour l'approvisionnement de la capitale et pour le retour de l'ordre public. Louis XVI croit n'avoir à combattre qu'un égarement passager ; il s'efforce de regagner le cœur du peuple ; il visite les établissements de charité, parcourt les faubourgs à pied, annonce à la classe indigente le dégagement gratuit des vêtements déposés au mont-de-piété. Ces espérances durèrent peu. Il y avait des haines systématiques qui travaillaient dans l'ombre et attisaient les passions et les préventions contre la famille royale ; en outre, les masses étaient à la fois animées par cet esprit de révolte qui les faisait fermenter, et par la colère qui naissait du sentiment de leurs souffrances. Elles regardaient le Roi comme la cause de leurs maux et comme l'obstacle à la réalisation de leurs espérances, par suite de l'ancienne idée qu'on avait de la puissance royale en France : le Roi avait ainsi encore la responsabilité de l'autorité qu'il n'avait plus. Sa vie, comme celle de la Reine, était fort triste. La Reine déjeunait seule tous les jours, voyait ensuite ses enfants, et, pendant ce temps, le Roi venait lui faire une visite. Elle allait à la messe, et s'enfermait ensuite dans ses cabinets. Elle dînait à une heure avec le Roi, Madame sa fille et Madame Elisabeth. Après dîner, elle faisait une partie de billard avec le Roi, pour lui faire faire un peu d'exercice, travaillait à la tapisserie, et rentrait ensuite dans ses cabinets jusqu'à huit heures et demie, heure à laquelle Monsieur et Madame arrivaient pour souper, et à onze heures, chacun se retirait. Il y avait cour le dimanche et jeu le soir, et cour encore le jeudi matin seulement. La Reine était trop affectée pour penser à aller au spectacle, et son cœur trop affligé pour se livrer à aucune dissipation extérieure[3]. On le conçoit, des calomnies odieuses circulaient plus que jamais contre le Roi et surtout contre la Reine ; les factieux agitaient, soudoyaient, déchaînaient une populace qui venait d'heure en heure vomir sous les fenêtres du château les injures et les propos les plus obscènes. Ils osaient plus : ils faisaient arriver jusqu'au trône, sous le titre de députés, des gens de la dernière lie du peuple. Les ministres proposaient de leur refuser l'entrée, mais le Roi et la Reine voulaient que l'accès du palais restât ouvert à tous. Le digne orateur de cette troupe se permit un jour d'inculper, dans les termes les plus outrageants, la Reine, qui était présente avec son fils : Vous vous trompez, dit le Roi, la Reine et moi nous n'avons pas les intentions que l'on nous prête ; nous agissons de concert et dans la seule vue du bien public. La députation sortie, la Reine fondit en larmes : une mère est deux fois outragée quand elle est outragée devant son enfant. A ces insultes de tous les jours se joignait la gène d'une véritable captivité : la famille royale ne sortait plus de Paris et ne se promenait qu'à certaines heures dans le jardin des Tuileries ; le public en étant exclu pendant ce temps, des gens du peuple et même des soldats de l'armée disaient grossièrement : Le Roi est lâché. Quelques nobles cœurs s'indignèrent de cet état de contrainte et de cet avilissement de la royauté : on sait avec quelle rapidité le peuple passe de la haine à la pitié. Une députation de la municipalité, conduite par le maire de Paris, vint même proposer au Roi de reprendre l'exercice de la chasse, dont une longue habitude avait dû lui faire comme un besoin. C'était pour moi, répondit Louis XVI, moins un plaisir qu'un régime dont l'effet, m'était salutaire. Aujourd'hui la gravité des affaires publiques ne m'en laisse pas même la pensée et ne m'en permet pas le regret. Quoique les moteurs des événements des 5 et 6 octobre soient à peu près connus, et que leur impunité soit certaine, la commune de Paris fait des recherches sur les coupables, et envoie une députation près de la Reine pour solliciter des renseignements. Non, jamais, répond-elle, je ne serai la délatrice de sujets du Roi. — Le Châtelet, de son côté, instruit l'affaire, et nomme des commissaires pour informer. Ceux-ci se présentent chez la Reine pour recevoir sa déposition sur les attentats commis dans la matinée du 6. La Reine leur répond : J'ai tout vu, j'ai tout su, et j'ai tout oublié. Il fallait un nouvel aliment aux agitations des esprits. Le livre rouge est découvert et exploité. Ce fameux registre des dépenses secrètes — qui était entre les mains du contrôleur général des finances — est livré par sa nature même au vague indéfini des suppositions mensongères et à l'imagination satirique des pamphlétaires, qui supposent tout ce qu'ils ne savent pas, et disent tout ce qu'ils supposent. L'Assemblée nationale demande à grands cris l'examen de ce livre ; elle en ordonne l'impression. Le public lit avidement, mais il ne reconnaît plus guère cet abîme où les trésors de la France allaient, s'engloutir. Cependant l'anarchie parcourait les provinces ; les propriétés étaient dévastées, les châteaux brûlés ; les lois étaient sans force, les magistrats sans autorité. A Paris, les approvisionnements étaient arrêtés par les factieux ; le pain ne suffisait plus au besoin journalier. Une insurrection générale est projetée pour le 19 octobre ; séduits ou intimidés, la plupart des boulangers - se soumettent aux manœuvres des agitateurs, et ne font point cuire de pain dans la nuit précédente. Quelques-uns désobéissent à l'ordre : leur boutique est assaillie et pillée. Un d'entre eux, nommé François, est flétri du nom d'aristocrate et pendu à un réverbère par la populace, qui, quelques jours après, exige la condamnation et le supplice du marquis de Favras, accusé de connivences contre-révolutionnaires avec Monsieur, comte de Provence. Les désordres de cette journée révèlent à tous les
pouvoirs les dangers des fureurs anarchiques. L'Assemblée nationale propose
la loi martiale : malgré une vive opposition, la mesure est adoptée.
L'effervescence populaire s'apaise encore un instant. Le retour des
subsistances, des actes réitérés de la bienveillance royale, semblent ramener
le peuple à de meilleurs sentiments. L'Assemblée nationale, cédant elle-même
à l'opinion du moment, croit devoir. offrir au Roi et à la Reine un
témoignage public de respect. Sans être conviée ni attendue, elle paraît
spontanément au château des Tuileries, conduite par M. Freteau, son
président. Le Roi, qui n'est point averti de cette démarche, s'y montre
extrêmement sensible. De l'appartement du Roi, l'Assemblée passe dans celui
de la Reine. Madame, lui dit le président, le premier désir de l'Assemblée nationale, à son arrivée
dans la capitale, a été de présenter au Roi le tribut de son respect et de
son amour ; elle n'a pu résister à l'occasion si naturelle de vous offrir ses
sentiments et ses vœux. Recevez-les, Madame, tels que nous les formons, vifs,
empressés et sincères. Ce serait avec une véritable satisfaction que
l'Assemblée nationale contemplerait dans vos bras cet illustre enfant, le
rejeton de tant de Rois tendrement chéris de leurs peuples, l'héritier de
Louis IX, de Henri IV,-de celui dont les vertus sont l'espoir de la France.
Jamais ni lui ni les auteurs de ses jours ne jouiront d'autant de prospérités
que nous leur en souhaitons. — Je suis touchée, comme je dois l'être, répond Marie-Antoinette, des sentiments que m'exprime l'Assemblée nationale. Si j'avais été prévenue de ses intentions, je l'aurais reçue d'une manière plus digne d'elle. Alors prenant dans ses bras l'héritier du trône, elle le présente à l'Assemblée. Les cris de Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive M. le Dauphin ! répétés avec enthousiasme, arrachent un instant la Reine au sentiment de ses malheurs. Cependant l'Assemblée nationale n'interrompt pas le travail de la Constitution. Le 4 février 1790, le Roi, d'après le conseil de M. Necker, se rend à l'Assemblée, et, dans un discours remarquable, il réclame son concours, afin d'éclairer la nation sur ses véritables intérêts. Voici quelques points de ce discours qui se rattachent au moins indirectement à notre sujet : J'aurais bien aussi des pertes à compter, si, au milieu des plus grands intérêts de l'État, je m'arrêtais à des calculs personnels ; mais je trouve une compensation qui me suffit, une compensation pleine et entière dans l'accroissement du bonheur de la nation, et c'est du fond de mon cœur que j'exprime ce sentiment. Je défendrai donc, je maintiendrai la liberté constitutionnelle, dont le vœu général, d'accord avec le mien, a consacré les principes. Je ferai davantage ; et de concert avec la Reine, qui partage tous mes sentiments, je préparerai de bonne heure l'esprit et le cœur de mon fils au nouvel ordre de choses que les circonstances ont amené ; je l'habituerai, dès ses premiers ans, à être heureux du bonheur des Français, et à reconnaître toujours, malgré le langage des flatteurs, qu'une sage constitution le préservera des dangers de l'inexpérience, et qu'une juste liberté ajoute un nouveau prix aux sentiments d'amour et de fidélité dont la nation, depuis tant de siècles, donne à ses rois des preuves si touchantes... Par quelle fatalité, lorsque le calme commençait à renaître, de nouvelles inquiétudes se sont-elles répandues dans les provinces ? par quelle fatalité s'y livre-t-on à de nouveaux excès ? Joignez-vous à moi pour les arrêter, et empêchons de tous nos efforts que des violences criminelles ne viennent souiller ces jours où le bonheur de la nation se prépare. Vous, qui pouvez influer par tant de moyens sur la puissance publique, éclairez sur ses véritables intérêts le peuple qu'on égare, ce bon peuple qui m'est si cher, et dont on m'assure que je suis aimé quand on veut me consoler de mes peines. Ici, l'émotion de l'Assemblée interrompit Louis XVI. L'attitude, le langage, l'accent si paternels du Roi remuèrent un instant tous les cœurs. Après une courte réponse du président — M. Bureau de Puzy —, il sortit de la salle au milieu des applaudissements, et fut reconduit aux Tuileries par une députation de l'Assemblée. La Reine, tenant le Dauphin par la main, vint au-devant de lui. Je partage, dit-elle en s'adressant à la députation, tous les sentiments du Roi ; je m'unis de cœur et d'esprit à tout ce que lui dicte son amour pour ses peuples. Voici mon fils : je l'entretiendrai sans cesse des vertus du meilleur des pères ; je lui apprendrai de bonne heure à respecter la liberté publique et à maintenir les lois. J'espère qu'un jour il en sera le plus ferme appui. Hélas ! ces mouvements d'enthousiasme et d'effusion n'étaient que de courtes haltes entre les étapes révolutionnaires. L'anarchie reprenait bientôt sa marche et regagnait le temps perdu en s'avançant à pas de géant. L'Assemblée décrète la vente de tous les biens du clergé, la suppression des ordres religieux, la spoliation des églises ; elle décrète cette constitution civile du clergé, qui bientôt amène la persécution des prêtres fidèles, et devient la première cause du soulèvement qui devait plus tard éclater dans la Vendée ; elle décrète l'abolition de la noblesse, la suppression des titres, des armoiries et des livrées. L'esprit de révolte franchit les mers, il bouleverse nos colonies, il arme les noirs contre les blancs, les esclaves contre les maîtres ; les plantations sont la proie des flammes : le sang coule à flots. La révolution, à Paris, n'est pas calmée par son triomphe. La cherté des grains, la rareté des denrées se traduisent en haines contre la royauté, dont l'impuissance demeure responsable de tout. Les rigueurs d'un hiver désastreux deviennent une accusation contre elle : un Roi honnête homme et bienfaisant est rendu justiciable des intempéries de la nature. Les marchands de blé sont désignés à l'indignation publique sous le titre d'accapareurs : toute spéculation de commerce s'arrête devant la peur d'être accusé d'affamer le peuple. La peur du mal aggrave le mal. Presque constamment renfermé dans les appartements du château, on juge combien le Dauphin devait regretter Versailles. Cependant il se promenait quelquefois en voiture avec sa gouvernante. Le jeudi on l'amenait habituellement chez madame la marquise de Lède — ancienne dame d'honneur de Madame Infante, duchesse de Parme —, qui possédait au faubourg Saint-Germain un bel hôtel avec un vaste jardin. Là il retrouvait des fleurs, l'air et la liberté, et aussi un ou deux enfants de son âge qui couraient et s'amusaient avec lui. Un jour, en jouant à la cachette, le Prince s'imagina de grimper par une échelle dans un grenier situé au fond du jardin ; l'échelle mal assujettie glissa, et ne fut arrêtée que par une petite barrière de buis qui entourait la plate-bande. L'officier chargé de ne point perdre de vue le royal enfant était à deux pas ; mais ayant un seul instant détourné la tête, il ne s'était pas douté des projets du jeune espiègle, lorsque tout à coup levant les yeux, il l'aperçut sur le haut de l'échelle au moment même où elle penchait. Il fut d'abord fort ému du danger que l'enfant paraissait courir ; mais il se rassura bientôt en voyant le Dauphin sortir tranquillement de la position périlleuse où il se trouvait, et compter d'un air victorieux chaque échelon qu'il descendait. La vivacité d'esprit n'excluait pas chez lui la réflexion. Souvent, rapporte madame de Tourzel, il me demandait la raison de son changement de situation, et me disait : Je vois bien qu'il y a des méchants qui font de la peine à papa, et je regrette nos bons gardes du corps, que j'aimais bien mieux que ces gens-là, dont je ne me soucie pas du tout. Je lui répondis que le Roi et la Reine seraient très-fâchés s'il n'était pas honnête vis-à-vis de la garde nationale, et s'il parlait devant elle de son désir de revoir les gardes du corps ; qu'il fallait toujours les aimer, mais n'en parler qu'entre nous, et espérer que des temps plus heureux permettraient au Roi de les rappeler auprès de sa personne. Vous avez raison, dit-il ; et, de ce moment, il cessa d'en parler publiquement. Sa mémoire était admirable, et il avait une pénétration d'esprit si singulière, qu'il faisait dès l'âge de quatre ans les réflexions les plus justes sur ce qu'il voyait et ce qu'il entendait. L'abbé d'Avaux l'avait avancé à un point incroyable, trouvant toujours le moyen de lui apprendre dans ses jeux quelque chose d'utile et d'agréable. Ce jeune Prince était extrêmement curieux, faisant des questions sur tout ce qu'il voyait ; il s'apercevait très-bien si les réponses qu'on lui faisait étaient justes ou non, et avait même alors des reparties assez plaisantes. Un jour que je le reprenais sur quelque chose qu'il avait dit mal à propos, une personne qui était chez moi lui dit en badinant : Je parie que madame de Tourzel a tort, et que Monsieur le Dauphin a toujours raison. — Monsieur, lui dit-il en riant, vous êtes un flatteur, car je me suis mis en colère ce matin. Il voulut faire l'essai de ce qu'il avait à attendre de moi, et voir si je saurais lui résister ; il se refusa en conséquence à quelque chose que je lui demandais, et me dit du plus grand sang-froid : Si vous ne faites pas ce que je veux, je crierai, on m'entendra de la terrasse, et qu'est-ce que l'on dira ? — Que vous êtes un méchant enfant. — Mais si mes cris me font mal ? — Je vous ferai coucher et je vous mettrai au régime d'un malade. Alors, il se mit à crier, à taper des pieds et à faire un tapage affreux. Je ne lui dis pas une parole, je fis faire son lit, et je demandai un bouillon pour son souper. Alors il me regarda fièrement, cessa ses cris et me dit : J'ai voulu voir de quelle manière je pourrais vous prendre, je vois que je n'ai d'autre moyen que de vous obéir. Pardonnez-moi, et je vous promets que cela ne m'arrivera plus. Le lendemain, il dit à la Reine : Savez-vous qui vous m'avez donné pour gouvernante ? C'est madame Sévère. Comme je ne le tourmentais jamais sans raison, et qu'il aimait à venir chez moi et à voir du monde, il prit bientôt pour moi et pour ma fille Pauline une véritable affection, et nous disait souvent de la manière la plus aimable : Mon Dieu, que je me trouve heureux avec vous et ma Pauline ! Il l'aimait au point d'en être jaloux, et c'était la chose la plus plaisante que de voir son petit dépit, s'il croyait qu'elle aimait mieux une autre personne que lui. Le régiment de Flandre était venu me faire une visite en corps en arrivant à Versailles ; on parla de cette visite devant M. le Dauphin, qui témoigna à la Reine le plus grand désir d'en être témoin. Mais vous ne sauriez que dire à ces messieurs, lui dit cette princesse. — Ne soyez pas en peine, maman ; je ne serai pas embarrassé. A peine tous les officiers furent-ils entrés que le jeune Prince dit à ceux qui étaient au premier rang : Je suis, messieurs, ravi de vous voir, mais bien fâché d'être trop petit pour vous apercevoir tous. Puis, remarquant un officier qui était très-grand : Monsieur, lui dit-il, portez-moi dans vos bras, pour que je voie tous ces messieurs ; et alors il dit avec une gaieté charmante : Je suis bien aise, messieurs, d'être au milieu de vous tous. Quoiqu'il eût la plus grande facilité pour apprendre tout ce qu'il voulait, il trouvait si ennuyeux d'apprendre à lire qu'il ne se donnait aucune peine pour y parvenir. Et comme la Reine lui disait qu'il était honteux de ne pas savoir lire à quatre ans : Eh bien, maman, je le saurai pour vos étrennes. A la fin de novembre, il dit à l'abbé d'Avaux : Il faut cependant que je sache combien j'ai de temps jusqu'au jour de l'an, puisque j'ai promis à maman de savoir lire pour ce jour-là. Et apprenant qu'il n'avait plus qu'un mois, il regarda l'abbé d'Avaux, et lui dit avec un sang-froid inconcevable : Donnez-moi, je vous prie, mon bon abbé, deux leçons par jour, et je m'appliquerai tout de bon. Il tint parole et entra triomphant chez la Reine, tenant un livre à la main, et se jetant à son cou : Voilà vos étrennes, lui dit cet aimable enfant ; j'ai tenu ma promesse, et je sais lire à présent. On cherchait continuellement à inquiéter le Roi et la Reine, et on avait répandu les bruits les plus sinistres sur un complot qui devait avoir lieu pendant la messe de minuit. Plusieurs personnes tentèrent d'empêcher Leurs Majestés d'y aller, quoiqu'elle dût se dire à la chapelle ; mais elles s'y refusèrent, trouvant que cet air d'inquiétude ne pouvait que produire un mauvais effet. Ne pouvant cependant me défendre de celle qui m'avait été donnée, je refusai d'y aller et je passai tout ce temps-là auprès de M. le Dauphin, résolue de ne me coucher que lorsque je saurais Leurs Majestés retirées tranquillement dans leur appartement. La Reine, qui le sut, eut la bonté de monter chez M. le Dauphin en sortant de la messe, de me plaisanter sur ma pusillanimité, en y ajoutant les choses les plus aimables sur mon attachement[4]. Les distractions étaient devenues de plus en plus rares
pour Louis-Charles, mais il ne se plaignait pas. Cependant, le 7 avril 1790,
il dit à madame de Tourzel : Je suis bien fâché
aujourd'hui de n'avoir plus mon jardin. J'aurais fait pour demain deux bien
beaux bouquets, l'un pour maman, l'autre pour ma sœur. C'était le
lendemain que Madame Royale faisait sa première communion. Le matin de ce
jour, la Reine la conduisit dans la chambre du Roi : Ma
fille, jetez-vous aux pieds de votre père ; demandez-lui sa bénédiction.
Madame se prosterna : son père la releva et lui dit : C'est du fond de mon cœur, ma fille, que je vous bénis, en demandant au
ciel qu'il vous fasse la grâce de bien apprécier la grande action que vous
allez faire. Votre cœur est innocent et pur aux yeux de Dieu ; vos vœux
doivent lui être agréables. Offrez-les-lui pour votre mère et pour moi.
Demandez-lui qu'il me donne les grâces nécessaires pour faire le bonheur de
ceux sur lesquels il m'a donné l'empire, et que je dois considérer comme mes
enfants. Demandez-lui qu'il daigne conserver dans ce royaume la pureté de la
religion ; et souvenez-vous bien, ma fille, que cette sainte religion est la
source du bonheur et notre soutien dans les adversités de la vie. Ne croyez
pas que vous en soyez à l'abri. Vous êtes bien jeune ; mais vous avez déjà vu
votre père affligé plus d'une fois. Vous ne savez pas, ma fille, à quoi la
Providence vous destine ; si vous resterez dans ce royaume, ou si vous irez
en habiter un autre. Dans quelque lieu que la main de Dieu vous pose,
souvenez-vous que vous devez édifier par vos exemples, faire le bien toutes
les fois que vous en trouverez l'occasion. Mais surtout, mon enfant, soulagez
les malheureux de tout votre pouvoir ; Dieu ne nous a fait naître dans le
rang où nous sommes que pour travailler à leur bonheur et les consoler dans
leurs peines. Allez aux autels où vous êtes attendue, et conjurez le Dieu de
miséricorde de ne vous laisser oublier jamais les avis d'un père tendre[5]. Le Roi alors serra avec émotion sa fille entre ses bras, et ajouta : Priez, mon enfant, pour la France et pour nous. Les prières de l'innocence peuvent fléchir la colère céleste. On me pardonnera d'avoir cédé à la pieuse tentation de transcrire ces touchantes paroles : narrateur de la vie du Dauphin de France, je ne serai point appelé à redire les exhortations que son père lui eût adressées dans ce jour solennel de la vie des chrétiens ; je me suis consolé en redisant celles qui retentirent si profondément dans le cœur de Madame Royale, sa sœur. La jeune princesse n'y put répondre que par ses larmes ; accompagnée de madame de Tourzel, de la duchesse de Charost, sa fille, et de madame la baronne de Mackau, elle monta en voiture pour se rendre à l'église Saint-Germain l'Auxerrois, paroisse des Tuileries : elle arriva à l'autel avec le maintien le plus recueilli, et approcha de la sainte table avec les marques de la dévotion la plus sincère. La Reine assista incognito à cette religieuse cérémonie, qui fut de la plus grande simplicité, et qui causa de douces émotions à la famille royale. Le Roi fit, à cette occasion, distribuer d'abondantes aumônes dans les diverses paroisses de Paris. Quelques jours après (le 13 avril), d'effrayantes rumeurs circulent : on parle d'un complot formé pour emporter le château de vive force. Dans la nuit, quelques coups de fusil sont tirés. Le Roi se lève et court chez la Reine ; il ne la trouve point dans son appartement ; il entre chez le Dauphin, et là, il la voit tenant ce cher enfant pressé contre son sein. Madame, je vous cherchais, et vous m'avez bien inquiété. — Sire, répondit la Reine, j'étais à mon poste[6]. Ces agitations incessantes n'apportaient aucun préjudice à l'instruction régulière, à l'éducation normale du Dauphin. On lui enseignait la religion, l'écriture, l'histoire, l'arithmétique, la géographie, la botanique. M. de la Borde, ancien premier valet de chambre de Louis XV, avait préparé, pour l'étude de cette dernière science, un herbier qui excitait l'intérêt particulier du jeune Prince. On le formait en même temps aux exercices du corps, à la danse et à la paume. Aucun enfant ne se faisait remarquer dans ses jeux par plus de grâce, d'adresse et d'agilité. Il y avait dans l'enceinte des Tuileries, à l'extrémité de la terrasse du bord de l'eau, un petit jardin entouré d'une clairevoie, qui touchait à un pavillon habité par l'abbé d'Avaux. On pensa que le jeune Prince pourrait retrouver là ce qu'il avait laissé à Versailles, et reprendre un exercice conforme à ses goûts et utile à sa santé. On lui donna donc ce petit parterre ; dont il s'empara avec avidité. Il y éleva des lapins, il y cultiva des fleurs. Ce terrain a été depuis exhaussé au niveau de la terrasse de l'eau ; mais c'est ce même jardin, ainsi changé, renouvelé, agrandi, que plus tard Napoléon consacra au roi de Rome, Charles X au duc de Bordeaux, et Louis-Philippe au comte de Paris ! Que d'enseignements semés sur ce petit coin de terre, si vite abandonné par ses jeunes propriétaires ! L'un est mort dans une prison à dix ans ; l'autre, encore au berceau, a été emporté par l'orage, et n'a vécu que pour apprendre le nom de son père et regarder, avant de mourir, son épée ; le troisième et le quatrième, disparus comme les deux autres dans la tempête, traînent encore aujourd'hui leur manteau d'exilés sur les chemins de l'Allemagne ou de l'Angleterre. Et combien ces enfants, qui ont tant de droits à notre pitié, eurent aussi de larmes à répandre sur leurs pères ! L'un mort sur l'échafaud, un autre sous le couteau d'un assassin, un autre foudroyé par une chute sur le pavé d'une route ; et, enfin, le plus grand par le génie, attaché comme Prométhée sur un rocher et dévoré lentement par ses souvenirs ! Lorsqu'il se rendait à son nouveau jardin, le Prince royal était ordinairement accompagné d'un commandant de bataillon et d'un détachement de gardes nationaux de service aux Tuileries. Depuis quelques jours il apprenait le maniement des armes, et il portait lui-même le plus habituellement l'uniforme de garde national. Il était fier de son escorte, et son visage franc et ouvert disait naïvement son bonheur. Quand son cortège était peu nombreux, le Prince l'invitait à entrer avec lui dans son parterre. Un jour qu'un grand nombre l'avait suivi et était obligé de rester en dehors : Excusez-moi, messieurs, leur dit-il ; je suis bien fâché que mon jardin soit si petit, puisque cela me prive du plaisir de vous recevoir tous[7]. Puis il s'empressa d'offrir des fleurs à quiconque s'approchait de la palissade et semblait s'intéresser à ses amusements. Un autre jour, — et ce trait montrera qu'à la grâce de ses manières et à la bienveillance de son naturel se joignait une certaine vivacité chevaleresque qui semblait justifier cette très-vieille devise de la maison de Bourbon, bonté et valeur, — avant de sortir du château pour se rendre à son petit jardin, il s'exerçait au maniement d'un fusil. Au moment du départ, l'officier de la garde nationale de service lui dit : Monseigneur, puisque vous allez sortir, rendez-moi votre fusil. Le Dauphin le refusa brusquement. Madame de Tourzel l'ayant repris de cette vivacité : Si monsieur m'eût dit de lui donner mon fusil, à la bonne heure, madame, mais le lui rendre ![8]... En apprenant la réponse de son fils, le Roi s'écria : Toujours vif et brusque ! Mais je vois avec plaisir qu'il sait la valeur des mots et sent la propriété des termes[9]. Il s'était formé dans Paris une compagnie de tout jeunes gens, sous le nom de régiment du Dauphin. C'était M. l'abbé Antheaume, prêtre habitué de l'église Saint-Eustache, qui en avait conçu l'idée et qui en avait proposé au Roi la formation. La bourgeoisie en avait fait presque tous les frais, et avait fourni à ce régiment presque tous ses hommes, qui étaient des enfants. Écoutons M. Antoine[10] : Je fis partie de cette petite troupe, qui fut admise plusieurs fois à manœuvrer devant le jeune Prince. Lors de notre première visite, nous le trouvâmes à son jardin, où plusieurs seigneurs l'entouraient. Voulez-vous bien être le colonel de ce régiment ? lui dit l'un d'eux. — Oui, répondit le Dauphin ; j'aime beaucoup les grenadiers de mon jardin ; mais j'aimerais encore mieux me voir à la tête de ceux-ci. — Alors, adieu les fleurs et les bouquets pour votre maman. — Oh ! cela ne m'empêchera pas d'avoir soin de mes fleurs. Beaucoup de ces messieurs m'ont dit aussi qu'ils ont de petits jardins ; eh bien, ils aimeront la Reine à l'exemple de leur colonel, et maman aura tous les jours des régiments de bouquets. Nos acclamations lui prouvaient en effet l'amour que nous portions à ses augustes parents. La plupart des enfants qui composaient ce petit bataillon étaient des enfants d'élite. Il y avait naturellement de leur part quelque déférence envers le fils du Roi ; mais le précepteur n'eût rien permis de plus, et il leur était formellement interdit de céder en rien à leur camarade. Le Roi avait dit : Je veux bien qu'il ait des compagnons pour exciter son émulation, mais non de petits flatteurs pour lui complaire en toute chose. Cependant cette petite troupe, qui ne formait à son origine qu'un noyau de cent cinquante à deux cents hommes, augmentait de jour en jour. Depuis que M. Antheaume avait donné avis aux journaux de l'autorisation royale dont il était muni, beaucoup de familles s'étaient empressées de faire inscrire leurs enfants sur les contrôles du régiment imberbe, et de faire pour eux les frais de l'équipement. La tenue était en miniature l'uniforme des gardes françaises, y compris les guêtres blanches, et le chapeau à trois cornes. Il fallut discipliner cette petite armée, devenue fort nombreuse, et qui avait pris avec orgueil le nom de Royal-Dauphin. On lui donna des chefs, désignés généralement au choix par l'âge et par l'instruction militaire. Le commandant officiel — car le Dauphin n'en avait guère que le titre — était un charmant jeune homme de dix-sept ans, dont le père était marchand de draps près de Saint-Eustache. Nous avons retrouvé la liste des principaux officiers : Pesme, commandant en chef, pointe Saint-Eustache, n° 14. Demont, commandant en second, à l'Institution. L'abbé Antheaume, instituteur. Vial, capitaine de grenadiers. Blanchet, id. Marcille, id. Bougron, id. Serin, id. Une grande émulation s'empara des nouvelles recrues, et c'était à qui ferait le mieux l'exercice. Deux fois par semaine, le Royal-Dauphin se réunissait chez l'abbé Antheaume, demeurant dans la petite rue étroite, élargie depuis, qui joignait la rue Montmartre à la cour des messageries royales ; et, de là, tambour battant, ce qui attirait tout& l'attention du voisinage, il se rendait au clos Saint-Lazare, au haut du faubourg Saint-Denis, l'abbé Antheaume en tête, et il y manœuvrait sous le commandement d'un véritable officier instructeur. Après deux heures d'exercice, ces troupes revenaient en ordre chez M. Antheaume ; là, elles rompaient les rangs et rentraient dans leurs quartiers, je veux dire chez leurs parents. Le 21 mai 1791, les élèves militaires qui composaient ce petit régiment, s'étant réunis à celui des vieillards, arrivèrent pour la parade au château. Le Roi était absent, et M. le Dauphin s'était rendu à son jardin avec son escorte accoutumée, à la tête de laquelle figurait ce jour-là, comme chef de bataillon de la garde nationale, Étienne Lasne, qui devait être quatre ans plus tard son gardien à la tour du Temple. Les enfants entrèrent en corps aux Tuileries, et après avoir défilé devant la Reine, ils lui firent demander la permission de présenter au Dauphin un jeu de dominos, fabriqué par les soins de M. Palloy[11], avec un marbre noir provenant des débris de la Bastille. C'était un chef-d'œuvre de l'art ; la boite était d'une seule pièce, et les dés étaient faits, disait-on, avec le marbre des chambranles qui avaient orné la cheminée de De Launey9[12]. Sur le revers de chaque domino on lisait une lettre d'or, et toutes ces lettres assemblées formaient l'inscription suivante : Vivent le Roi, la Reine, et M. le Dauphin ! La Reine leur fit dire que s'ils voulaient aller trouver le Dauphin dans son jardin, il recevrait leur présent. Les enfants se rendirent auprès de leur jeune colonel, et firent devant lui plusieurs manœuvres avec une précision remarquable. Puis, le fils de M. Palloy, à la tête de la députation des élèves, présenta au petit Prince le jeu de dominos en récitant ce quatrain, qui était écrit en lettres d'or sur la boîte : De ces affreux cachots, la terreur des Français, Vous voyez les débris transformas en hochets ; Puissent-ils, en servant aux jeux de votre enfance, Du peuple vous prouver l'amour et la puissance ! Ensuite, le jeune Joly, organe des enfants, lui adressa un
compliment : Des jeunes Français, lui dit-il,
soutiens futurs du trône qui vous est destiné et que
la sagesse de votre père a placé sous l'empire immuable des lois, se font une
jouissance bien douce de vous présenter en corps leurs respects, leur amour
et leur hommage. L'offrande qu'ils vous font est bien peu de chose, mais
chacun d'eux y joint celle de son cœur. Madame de Soucy la
belle-fille, qui, en l'absence de madame de Tourzel, malade en ce moment,
accompagnait le jeune Prince, crut devoir faire l'éloge du présent offert à
M. le Dauphin, et assura la députation qu'il ne le verrait jamais sans
éprouver un sentiment de reconnaissance. Oh ! c'est
bien vrai, s'écria-t-il. Lasne lui fit remarquer un petit accident qui
était arrivé au domino : C'est égal,
répondit-il, il ne m'en sera pas moins précieux.
On lui montra alors le portrait de Louis XVI, gravé sur la pierre sacrée de
l'autel de la Bastille, et aussitôt cette exclamation sortit de sa bouche : Ah ! voilà papa-Roi ! — Chacun
de nous le porte en son cœur, dit M. Joly ; comme
lui, vous vivez pour le bonheur de tous, et comme lui vous deviendrez l'idole
de tous les Français. Le jeune Prince s'approcha alors de M. Joly, et
lui dit : Monsieur, je vous prie de bien remercier
pour moi ces messieurs, et surtout d'avoir bien fait l'exercice. La
députation se retira et les bataillons défilèrent[13]. Du reste,
l'enfant royal n'eut aucun goût pour ce jeu de dominos, et ne le réclama
point à l'avenir. Le 23 mai, jour de la Fête-Dieu, le Roi et la Reine suivirent à pied, selon l'usage, la procession du Saint-Sacrement de Saint-Germain l'Auxerrois : l'Assemblée, qui y avait été invitée, la suivit aussi, le président à la droite du Roi, Madame, trop jeune encore et trop délicate pour en supporter la fatigue, resta aux Tuileries, et se rendit avec le Dauphin dans la galerie du Louvre, pour voir passer la procession. Le lendemain toute la famille royale alla s'établir pour quelque temps à Saint-Cloud. M. de la Fayette et même l'Assemblée voyaient avec plaisir le Roi quitter Paris, afin d'ôter aux provinces l'idée de sa captivité à l'époque de la fédération. Le Roi, dit madame de Tourzel, se plaisait plus à Saint-Cloud qu'à Paris, ainsi que la Reine, qui y trouvait plus de liberté et pouvait y voir plus facilement les personnes qui lui étaient agréables. Madame la duchesse de Fitz-James et la princesse de Tarente, qu'elle aimait beaucoup, y venaient fréquemment, M. le Dauphin s'y amusait infiniment. Il était continuellement dans le jardin, et allait tous les soirs se promener dans le parc de Meudon. La Reine le menait quelquefois à la promenade, surtout quand madame de Tarente était de service. Elle connaissait sa discrétion, la noblesse de ses sentiments et son extrême attachement pour elle, qui était tel qu'elle eût sans balancer sacrifié sa vie si elle avait pu, à ce prix, tirer la Reine de la cruelle situation où elle se trouvait. Cette princesse épanchait souvent son cœur dans celui d'une personne si sûre ; et, étant un jour avec nous à la promenade, et se voyant entourée de gardes nationaux dont une partie était composée de gardes françaises qui avaient déserté leurs drapeaux, elle nous dit, les larmes aux yeux : Que ma mère serait étonnée si elle voyait sa fille, fille, femme et mère de rois, ou du moins d'un enfant destiné à le devenir, entourée d'une pareille garde ! Il semblait que mon père eût un esprit prophétique le jour où je le vis pour la dernière fois. — Et elle nous raconta que l'empereur François Ier, partant pour l'Italie, d'où il ne devait jamais revenir, rassembla ses enfants pour leur dire adieu. J'étais la plus jeune de mes sœurs, dit la Reine ; mon père me prit sur ses genoux, m'embrassa à plusieurs reprises, et toujours les larmes aux yeux, paraissant avoir une peine extrême à me quitter. Cela parut singulier à tous ceux qui étaient présents, et moi-même ne m'en serais peut-être plus souvenue, si ma position actuelle, en me rappelant cette circonstance, ne me faisait voir pour le reste de ma vie une suite de malheurs qui n'est que trop facile à prévoir. L'impression que nous firent éprouver ces dernières paroles fut si vive que nous fondîmes en larmes. Alors la Reine nous dit avec sa grâce et sa bonté ordinaires : Je me reproche de vous avoir attristées, remettez-vous avant d'arriver au château, ranimons nos courages : la Providence nous rendra peut-être moins malheureux que nous ne le craignons. Il était impossible à la Reine de ne pas comparer les jours heureux qu'elle avait passés à Saint-Cloud, avec ceux de ce voyage. Elle en faisait souvent la réflexion ; et, un jour que nous étions ensemble au bout de la galerie, dont Paris fait un des principaux points de vue, elle me dit en soupirant : Cette vue de Paris faisait jadis mon bonheur, j'aspirais à l'habiter souvent. Qui m'aurait dit alors que ce désir ne serait accompli que pour y être abreuvée d'amertume et voir le Roi et sa famille captifs d'un peuple révolté ! La famille royale voyait approcher avec peine le moment du retour à Paris. Elle avait il Saint-Cloud l'avantage d'être éloignée de cette populace qui, payée pour occasionner des troubles, garnissait journellement les Tuileries, et augmentait le désagrément de cette habitation. Le Dauphin se plaisait extrêmement à Saint-Cloud ; sa santé s'y fortifiait, et son esprit se développait chaque jour d'une manière surprenante. Il avait dès lors, quoiqu'il n'eût encore que cinq ans, un goût naturel pour l'étude, une belle mémoire, et se plaisait extrêmement à ses leçons. On l'accoutumait à répondre de lui-même aux compliments qui lui étaient adressés, et on préférait de le voir rester court, plutôt que de lui suggérer des idées qui n'auraient pas été les siennes. On se contentait seulement de les rectifier quand elles n'étaient pas justes. Cela le mettait quelquefois en colère ; mais il finissait par trouver le moyen de répondre, et il s'était accoutumé par là à dire de lui-même des choses aimables et obligeantes. Il nous fit bien rire un jour à Saint-Cloud, au sujet du régiment Dauphin-Dragon. Ce régiment passant par Paris, le comte de Choiseul d'Aillecourt, qui en était colonel, m'écrivit ses regrets de ne pouvoir présenter à M. le Dauphin un régiment digne de ses bontés par son attachement et sa fidélité, et qu'il me priait d'être auprès du jeune Prince l'interprète des sentiments du régiment et des siens. Mon Dieu, qu'il est joli d'avoir un régiment à mon âge, dit M. le Dauphin, et que je voudrais le voir ! — Que voulez-vous, Monsieur, que je réponde de votre part ? — Cela m'embarrasse ; répondez, je vous prie, pour moi. —Je vais donc répondre que M. le Dauphin ne sachant que dire à son âge, répondra quand il sera plus grand. — Que vous êtes méchante ! me dit-il, et qu'est-ce que mon régiment dira de moi ? Il entra dans une colère affreuse, battant des pieds et des mains. Comme il vit qu'on n'en faisait que rire : Eh bien, dit-il en me regardant d'un air sévère, je répondrai tout seul, puisque vous ne voulez pas m'aider. Dites à M. de Choiseul que j'aurais bien voulu voir mon régiment et me mettre à sa tête ; qu'il le lui dise de ma part ; et en même temps remerciez-le de tout ce qu'il me fait dire de la sienne et de celle de mon régiment. Je l'embrassai, et il finit par me remercier quand il vit que chacun approuvait sa réponse. Ce jeune Prince, qui avait une grâce charmante dans tout ce qu'il disait, annonçait déjà de la fermeté, en y joignant cette bonté naturelle à tous les Bourbons ; aussi était-il adoré de tous ceux qui l'approchaient et qui étaient à portée de le connaître[14]. A peine la famille royale fut-elle de retour à Paris, que les motions incendiaires des journaux recommencèrent plus ardentes que jamais. De jour en jour, les idées d'ambition et d'importance personnelle germaient même dans le cerveau des enfants. Le Royal-Dauphin avait eu tout d'abord sa place dans les cérémonies où paraissait le fils du Roi. Ses prétentions augmentèrent, et il demanda à être traité militairement comme la garde nationale. Il n'y a plus d'enfants, disait la Fayette ; eh bien, soit, nous avons vu tant de vieillards avoir les vices des jeunes gens, qu'il est bon de voir les enfants avoir les vertus des hommes. Le Royal-Dauphin prit dès lors une attitude presque sérieuse. On lui permit de fournir trois postes d'honneur : le château, l'hôtel du maire de Paris, rue des Capucines[15], et l'hôtel du commandant en chef des gardes nationales, rue de Bourbon. Quand la garde montante défilait sur la place des Tuileries, le jeune régiment recevait toujours des témoignages de satisfaction de la part de la famille royale, placée sur le balcon du pavillon de l'Horloge. Le Roi saluait le drapeau de l'air le plus affectueux, et le Dauphin envoyait mille signes de joie et de sympathie à ses camarades. Mais il n'y a pas de succès sans critique. Si le Royal-Dauphin avait ses partisans, il eut aussi ses détracteurs. Aucune popularité ne peut durer à Paris, pas même celle de l'enfance ! La malice publique y trouve vite à chaque chose son côté plaisant ou ridicule : le petit régiment reçut le sobriquet de Royal-Bonbon. Vous ne mangez pas à la gamelle, criaient les uns. — Non, vous mangez à la becquée, petits canards du Mein2[16], disaient les autres. A ces mauvaises plaisanteries le sang adolescent s'échauffait. Toutes les idées se tournaient vers la guerre, et, d'étage en étage, l'esprit militaire, si puissant en France, avait envahi jusqu'à des cerveaux de dix ans. Il ne suffisait plus au Royal-Dauphin de parader avec la troupe de ligne et la garde nationale, de voir sa petite guérite placée côte à côte de la grande guérite, aux trois postes qu'elle occupait militairement la nuit comme le jour. Elle voulait avoir droit au respect public, et pensait que le meilleur moyen de l'obtenir était d'avoir, comme les grands, une consigne et le mot d'ordre. Cela, comme on le pense bien, ne fut pas possible. De plus, il y eut un homme[17] qui, à l'instar de M. Antheaume, forma un régiment d'enfants que l'on désigna sous le nom des Epaulettes blanches ou de Henri IV : cette seconde dénomination lui venait de ce qu'il se réunissait au pont Neuf. Cette concurrence amena de vives altercations, d'où résultèrent plusieurs duels ; trois enfants furent blessés à la baïonnette, un quatrième reçut un coup de sabre fort dangereux. Il n'en fallut pas davantage, non pour calmer les mauvaises têtes des apprentis soldats, mais pour refroidir le zèle effarouché des parents, qui tous, sans se consulter, pensèrent unanimement que c'était à eux qu'il appartenait de donner cette fois la consigne et le mot d'ordre, et de leur autorité ils prononcèrent la dissolution du Royal-Dauphin. Les funérailles de Mirabeau furent une des plus imposantes cérémonies publiques dans lesquelles figura la milice enfantine. Deux mois plus tard nous la retrouvons mêlée à l'effervescence que la fuite du Roi pour Montmédy avait excitée ; la générale battit dans tout Paris, et les petits tambours en faisaient partie[18]. C'est peu de jours après qu'eut lieu le licenciement, ou plutôt la transformation du Royal-Dauphin, qui prit le nom de Bataillon des élèves défenseurs de l'autel de la patrie. Les adolescents y restèrent, mais les tragédies de la rue devenaient trop sérieuses pour qu'on pût y laisser un rôle aux enfants. De son côté, le régiment des Épaulettes blanches s'intitula Bataillon des élèves de l'espérance de la patrie. L'année suivante, ces deux bataillons se fondirent ensemble sous la dénomination de Légion des élèves défenseurs de la patrie[19]. Mais n'anticipons point sur les faits. Le Dauphin ne se rendait plus à son petit jardin sans trouver sur son passage bien des mères et bien des enfants ; il saluait les unes avec prévenance, les autres avec cordialité. Les enfants qui désiraient lui parler arrivaient à lui comme à un camarade, il les écoutait, car il savait écouter, et plus d'une fois (car il savait aussi se souvenir) il fit donner de l'argent à ceux qui lui avaient dit que leurs familles étaient dans le besoin. Une pauvre mère vint un jour le trouver au milieu de ses fleurs, et le pria de solliciter une grâce pour elle : Ah ! Monseigneur, lui disait-elle, si j'obtenais cette faveur, je serais heureuse comme une reine. Le Prince, qui s'était baissé pour cueillir des reines-marguerites, se relève, la regarde, et lui dit d'un air pénétré : Heureuse comme une reine !... Moi, j'en connais une qui ne fait que pleurer[20]. Il se chargea du placet de la pauvre femme, qui retint, impatiente, le trouver le lendemain à son petit jardin. J'ai une réponse, lui dit l'enfant plein de joie ; et tout radieux, il tira de sa poche une pièce d'or enveloppée dans un papier : Cela est de la part de ma mère, et voici de la mienne, lui dit-il encore en lui remettant un gros bouquet. Cette précieuse disposition à faire le bien était tendrement entretenue chez lui, et par son père, qui regardait la bienfaisance comme l'une des bases de l'éducation, et par sa mère, qui ne manquait jamais l'occasion de lui enseigner que les princes étaient les protecteurs-nés des malheureux et la providence terrestre des indigents. Et ce n'était pas à de sonores paroles et à de belles théories que Marie-Antoinette bornait les leçons de la charité. Toujours prête à mettre l'exemple à l'appui du précepte, une misère, une infortune ne lui était point signalée sans qu'elle envoyât un secours, une consolation. Elle faisait participer son fils à ses bonnes œuvres, et près des pauvres des hôpitaux et près des pauvres bien plus misérables encore dont les larmes discrètes coulent dans la froide solitude des mansardes. Suivi de deux valets de pied qui tenaient de grandes bourses ouvertes, le petit Prince prenait lui-même des pièces d'argent qu'il donnait à chaque orphelin. Il semblait joyeux jusqu'au fond de l'âme du bonheur que sa présence et sa libéralité faisaient éclore dans l'hospice, et non moins ému des bénédictions qui pleuvaient sur son passage et qui remontaient jusqu'à sa mère. Une particularité digne de remarque, c'est qu'il se montrait, en toute circonstance, surtout sensible à la misère des enfants qui étaient à peu près de son âge.. Lorsqu'il se rendait à son jardin, il priait toujours les gardes de leur laisser un libre accès auprès de lui, afin qu'il pût causer avec eux et distribuer des pièces d'argent à ceux qui étaient bien pauvres et des fleurs à ceux qui l'étaient moins. Et toujours, en sortant de l'asile des Enfants trouvés, il manifestait le regret de le quitter sitôt : Maman, maman, quand donc y reviendrons-nous ? s'écriait-il un jour en remontant dans la voiture qui le ramenait au château des Tuileries. Ne dirait-on pas, en lui voyant tant de sympathie pour les enfants malheureux, qu'il y avait dans sa commisération comme une sorte de pressentiment, et que quelque chose lui révélait qu'il serait lui-même un jour pauvre, misérable et abandonné ? Il n'est rien de plus persuasif que l'exemple de la famille, rien de plus heureusement contagieux qu'un sentiment d'amour, d'honneur, de bienfaisance, respiré dès les premiers ans dans l'atmosphère maternelle. Le jeune héritier du trône mettait de côté la plus grande partie de ses menus plaisirs, qu'il serrait dans un joli petit coffret que lui avait donné sa tante Elisabeth, pourvoyeuse habituelle de son humble trésor et complice ardente de sa charité. Louis XVI, qui n'était pas dans le secret, vit un jour son fils sérieusement occupé à compter des écus qu'il rangeait ensuite avec soin par piles dans son coffret : Comment donc, Charles, dit le Roi, vous thésaurisez comme les avares ? Déconcerté à ce nom d'avare, l'enfant se prit à rougir ; mais il se remit promptement, et d'un air joyeux et d'une voix perlée : Oui, mon père, je suis avare, mais c'est pour les pauvres enfants trouvés. Ah ! si vous les voyiez ! Ils sont bien nommés ; ils font vraiment pitié ! Le Roi prit dans ses bras le jeune aumônier, qu'il embrassa avec effusion : En ce cas, mon enfant, je t'aiderai à remplir ton coffret. Le temps marche, et les événements plus vite encore que le temps. Le 14 juillet 1790, jour anniversaire de la prise de la Bastille, a lieu au Champ de Mars la fête civique de la fédération générale de la France. La génération de 89 aimait ces grandes fêtes. Le côté théâtral de la révolution enivrait les âmes de tout ce peuple à la fois acteur et spectateur dans ces cérémonies. La France attendait ces nouvelles tables de la loi, sur lesquelles la philosophie du dix-huitième siècle avait écrit son décalogue, avec autant d'impatience que les Hébreux attendirent, dans le désert, la loi sainte que Dieu leur donna sur le Sinaï. Il semblait que l'ordre, la paix, la liberté, le progrès, la prospérité, que tout enfin fût dans la constitution ; et la France, oubliant qu'elle avait vécu quatorze siècles, croyait qu'à partir seulement du 14 juillet 1790 elle allait vivre. Toutes les provinces sont là. Le Roi prête serment à la nouvelle constitution ; d'innombrables mains se lèvent après la sienne, en témoignage de fidélité ; le canon gronde, les fanfares retentissent, les acclamations se font entendre de toutes parts ; la Reine, qui était placée dans la tribune au-dessus du trône, prend le Dauphin dans ses bras, et semble le présenter au peuple, à l'armée, à la nation tout entière ; l'enfant aussi lève ses innocentes mains, comme pour appeler les bénédictions de Dieu sur la France. Malgré la pluie qui ne cesse de tomber, l'enthousiasme est à son comble ; et certes bien fou eût paru le prophète qui, aux spectateurs de cette fête, à laquelle il ne manquait que le soleil, eût annoncé les calamités prêtes à fondre sur tout l'empire. Pendant le séjour des fédérés à Paris, le jardin et les cours des Tuileries retentissaient de vivat et de bénédictions ; les arbres du jardin, les murs du palais étaient couverts de fidèles emblèmes et de sympathiques devises. Madame de Tourzel raconte dans ses Mémoires le plaisir que ces représentants des provinces avaient à voir M. le Dauphin. Il descendait, dit-elle, à trois heures dans mon appartement, on ouvrait les fenêtres du salon qui donnaient sur la galerie, et il se présentait fréquemment au petit balcon qui était sur le perron de l'escalier par lequel on y descendait ; il disait en passant un petit mot à l'un et à l'autre, et retournait ensuite jouer dans le salon, où on pouvait facilement l'apercevoir. Comme il s'amusait un jour à arracher quelques feuilles d'un lilas qui était sur le balcon, un fédéré lui demanda de les lui donner pour garder toute sa vie quelque chose qu'il tiendrait de sa main. Cette demande eut l'effet de l'électricité. Chaque fédéré voulut avoir une feuille de cet arbuste, qui, en un instant, fut dépouillé aux cris de Vivent le Roi, la Reine et le Dauphin ! La gaieté du jeune Prince, sa beauté, sa grâce, lui gagnaient tous les cœurs. Il allait tous les jours à cinq heures à son jardin ; les fédérés demandèrent avec instance qu'il leur fût permis d'y entrer. On le leur accorda sous la condition qu'ils ne le visiteraient qu'un certain nombre à la fois, afin de ne pas le gêner dans un si petit espace, et qu'ils se renouvelleraient successivement tant que durerait sa promenade. Il leur parlait souvent, et toujours avec une naïveté si aimable qu'ils se retiraient tous enchantés. On ne se fait pas d'idée des sentiments qu'ils témoignaient pour la personne du Roi et des vœux qu'ils formaient pour la conservation de cet aimable enfant. Chaque députation témoignait le plus vif désir de voir le Roi parcourir ses provinces. — Venez, disaient au jeune Prince les fédérés dauphinois, venez dans votre province du Dauphiné : votre nom vous rend notre possession, et nous saurons bien vous défendre contre vos ennemis. — N'oubliez jamais, lui disaient les Normands, que vous avez porté le nom de notre province, et que les Normands ont été et seront toujours fidèles. Chaque fédération s'empressait de témoigner son attachement, et il était impossible de ne pas être touché de l'expression de leurs sentiments, et de l'attendrissement qu'ils éprouvaient en présence de ce jeune Prince qu'ils ne pouvaient se lasser de regarder[21]. Le Roi passa en revue, à la barrière de l'Etoile, les députations de l'armée et les fédérés eux-mêmes avant leur départ pour leurs provinces. La Reine était en calèche découverte avec le Dauphin, Madame et Madame Elisabeth : elle parlait à ceux qui l'approchaient avec une affabilité qui lui gagna tous les cœurs. Malgré les bonnes dispositions manifestées par ces représentants nouveaux de la France, l'anarchie se répandait dans le royaume. Les pouvoirs publics étaient en butte aux continuelles dénonciations des journaux ; forcé de se résigner aux outrages ou à la retraite, M. Necker s'éloigna des affaires pour ne plus y revenir. L'Assemblée nationale applaudit à la chute de cette idole renversée de son piédestal ; les provinces regardèrent avec indifférence. Mesdames, tantes du Roi, décidèrent aussi à partir et à se retirer à Rome ; elles furent arrêtées pendant plusieurs jours à Arnay-le-Duc, faute d'un passeport de l'Assemblée : la révolution s'exerçait à mettre la main sur les personnes royales. L'autorité du Roi était chaque jour plus contestée et sa liberté plus restreinte. Mirabeau mourut, emportant avec lui, comme il le dit lui-même, les lambeaux de la monarchie. Dans cet ancien ennemi le Roi perdit un auxiliaire ; mais n'eût-il pas été impuissant pour le bien, après avoir été si puissant dans le mal ? C'était le sentiment de Madame Elisabeth : Je ne crois pas, écrivait-elle à madame de Raigecourt, son amie, que ce soit par des gens sans principes et sans mœurs que Dieu veuille nous sauver. La semaine sainte approchait. Craignant de ne pouvoir remplir à Paris les exercices de religion auxquels ces jours sont consacrés, Louis XVI manifesta l'intention de passer la quinzaine de Pâques à Saint-Cloud, alléguant le besoin de respirer l'air de la campagne, après une douloureuse indisposition dont il avait peine à se remettre. Les meneurs publiaient, dans tous les quartiers de la ville, que sous le prétexte de ce voyage étaient cachés des projets d'évasion : ils répétaient que le Roi avait quitté son confesseur ordinaire parce qu'il avait prêté serment. Ils remuaient ainsi cette populace de Paris si peu croyante et si crédule, et celle-ci demanda à la fois que le Roi ne partit pas, que le Roi fréquentât sa paroisse et reçut la communion des mains du curé constitutionnel. — On veut, écrit Madame Elisabeth à son amie, forcer le Roi à renvoyer les prêtres de sa chapelle, ou à leur faire prêter le serment, et à faire ses pâques à la paroisse. Voilà la raison de l'insurrection d'hier : le voyage de Saint-Cloud en a été à peu près le prétexte. La garde a parfaitement désobéi à M. de la Fayette et à tous ses officiers ; heureusement il n'y a point eu de malheur. Le Roi a parlé avec force et bonté, et s'est parfaitement montré. Voici comment s'étaient passés ces événements. Le Roi, devant la rumeur publique, avait renoncé à son projet ; les instances de Bailly et de la Fayette l'y avaient ramené : à onze heures du matin le Roi et la Reine montèrent en carrosse à l'issue de la messe, avec le Dauphin, Madame, Madame Élisabeth et madame de Tourzel. Les grenadiers de la garde nationale, parmi lesquels on avait jeté l'alarme sur le départ du Roi, se précipitèrent sur la voiture, criant, menaçant, portant la baïonnette sous le poitrail des chevaux, et déclarant qu'ils ne sortiraient pas de la cour des Tuileries. C'est en vain que Bailly et la Fayette tentèrent de leur faire sentir que leur résistance, très-répréhensible en elle-même, était de plus inconstitutionnelle. Il serait étonnant, dit le Roi lui-même en mettant la tête à la portière, qu'après avoir donné la liberté à la nation, je ne fusse pas libre moi-même. Mais les cris du peuple qui entourait le Carrousel affermirent les gardes nationaux dans leur résolution, et rien ne put les ébranler. Ils ne s'en tinrent pas là, et ils se permirent d'insulter les personnes qui environnaient la voiture du Roi, les forcèrent à s'écarter, et usèrent d'une telle violence envers M. de Duras, premier gentilhomme de la chambre, que Louis XVI fut obligé de commander à deux grenadiers fidèles de le tirer de leurs mains, en leur disant qu'ils lui en répondaient. Le Dauphin, qui jusque-là n'avait montré aucune frayeur, se mit à pleurer en voyant maltraiter M. de Duras, et à crier de toutes ses forces : Qu'on le sauve, qu'on le sauve donc ! MM. Gougenot et Massilier, officiers de la bouche, furent aussi insultés : les gardes nationaux éloignèrent d'autorité toutes les personnes de la suite du Roi, et s'emparèrent des abords de la voiture. Voyant sa démarche infructueuse, la Fayette proposa au Roi d'employer la force pour faire sortir son carrosse, et le pria de lui donner des ordres en conséquence. C'est à vous, monsieur, lui dit vivement Louis XVI, de voir ce que vous devez faire pour faire exécuter votre constitution. Après de nouveaux efforts aussi vains que les premiers, la Fayette vint dire au Roi que sa sortie ne serait pas sans danger. Il faut que je rentre, dit le prince. Et, en effet, après deux heures passées dans une lutte continuelle, au milieu des plus grossières inj ures, ne voulant pas mettre aux prises une partie de la garde nationale avec l'autre, Louis XVI renonça décidément au voyage, et rentra dans ses appartements ou plutôt dans sa prison. Les suites de cette journée furent ce qu'elles devaient être : la porte des concessions une fois ouverte ne se referme pas. Dès le soir, le département présenta au Roi une adresse pour lui exposer l'inquiétude du peuple de le voir entouré de prêtres réfractaires, et la crainte qu'il éprouvait que la protection qu'il leur accordait ne fût l'indice des véritables sentiments de son cœur ; il pria le Roi de rassurer la nation par une démarche franche et positive, en écartant de sa personne et de M. !e Dauphin tous ceux que le peuple regardait comme les ennemis de la constitution. Le Roi, pour ne point exposer des existences qui lui sont chères, invita à s'éloigner le cardinal de Montmorency, son grand aumônier, M. de Roquelaure, évêque de Senlis, son premier aumônier, et M. de Sabran, évêque de Laon, premier aumônier de la Reine : il donna le même ordre à MAI. de Villequier et de Sabran, ses premiers gentilshommes. Mesdames de Chimay et de Duras, l'une dame d'honneur et l'autre dame du palais de la Reine, craignant d'être entraînées à des démarches qui répugnaient à leurs principes, donnèrent leur démission. La journée se passa en préparatifs de départ. Le pauvre petit Dauphin, qui, comme tous les enfants, aimait le changement et s'était fait de beaux projets d'amusement pour le temps de son séjour à Saint-Cloud, maintenant triste de la tristesse de chacun, se voyant seul avec madame de Tourzel et l'abbé d'Avaux, dit en soupirant : Qu'ils sont donc méchants tous ces gens-là, de faire tant de peine à papa qui est si bon ! Je ne le dis qu'à vous, ma bonne madame de Tourzel, que j'aime de tout mon cœur, car je sais qu'il faut se taire. Et, serrant sa gouvernante dans ses petits bras, il l'embrassa tendrement. Puis, allant se jeter sur un canapé, il prit pour se distraire un volume de l'Ami des enfants, de Berquin. Il l'ouvrit au hasard, et, tout étonné, il se leva précipitamment, et porta son livre à l'abbé d'Avaux, en lui disant les larmes aux yeux : Voyez, mon bon abbé, l'histoire qui me tombe aujourd'hui sous la main ! Le petit Prisonnier ! M. de la Fayette cette fois remplit dignement son devoir : dès le lendemain de cette triste journée, il donna sa démission de commandant général de la garde nationale ; et, sur les instances réitérées qui lui furent faites pour reprendre cette place, il se rendit à la commune, blâma ouvertement les excès commis la veille, et déclara qu'il maintiendrait sa démission tant que les soldats qui s'étaient rendus coupables ne seraient pas licenciés. La compagnie soldée de l'Oratoire fut en conséquence dissoute et désarmée. Le même jour le Roi se rendit dans le sein de l'Assemblée nationale. Messieurs, dit-il, je viens au milieu de vous avec la confiance que je vous ai toujours témoignée. Vous êtes instruits de la résistance qu'on a apportée hier à mon départ pour Saint-Cloud. Je n'ai pas voulu qu'on la fit cesser par la force, parce que j'ai craint de provoquer des actes de rigueur contre une multitude trompée, et qui croit agir en faveur des lois lorsqu'elle les enfreint ; mais il importe à la nation de prouver que je suis libre : rien n'est si essentiel pour l'autorité des sanctions et des acceptations que j'ai données à vos décrets. Je persiste donc, par ce puissant motif, dans mon projet de voyage à Saint-Cloud, et l'Assemblée nationale en sentira la nécessité. Cette démarche, qui pouvait accréditer au dedans et au dehors du royaume l'opinion trop fondée de la captivité du Roi, avait été conseillée par la plupart des ministres ; elle était d'autant plus imprudente qu'on en devait prévoir le résultat ; elle était d'autant plus impolitique qu'elle était gratuitement très-embarrassante pour l'Assemblée nationale ; aussi son président, Chabroud, se borna-t-il à répondre que l'agitation était inséparable des progrès de la liberté ; mais que tous les cœurs étaient au Roi, et que comme le Roi voulait le bonheur du peuple, le peuple demandait le bonheur de son Roi. Le Roi n'alla pas à Saint-Cloud ; il fit plus : voyant de jour en jour croître l'animosité contre les prêtres catholiques non assermentés, il invita les ecclésiastiques qui composaient sa chapelle à s'éloigner de sa personne. Ces concessions ne suffirent point à l'intolérance des factieux. La semaine sainte fut pour Louis XVI et sa famille une semaine d'angoisses, de douleur et de sacrifices : leur demeure, devenue déserte par le départ de tous les officiers de la couronne, était comme assiégée par la populace ameutée dans le jardin, et dont les cris et les outrages poursuivaient la famille royale jusque dans les exercices de la piété. Les offices de l'Église auxquels elle assistait régulièrement, le tombeau du jeudi saint, espèce de cénotaphe entouré de cyprès et sur lequel était placée une couronne d'épines, ces tristes solennités, analogues à sa situation, tout respirait autour d'elle le deuil dont elle était pénétrée, et qu'elle renfermait en elle-même pour ne pas le faire partager au petit Dauphin. On exigea que le 24 avril, jour de Pâques, le Roi et la Reine allassent à Saint-Germain l'Auxerrois, paroisse de leur palais, entendre la messe du pasteur constitutionnel, qui avait dépossédé l'ancien curé resté fidèlement attaché aux principes exposés par le corps épiscopal, et que le Pape avait solennellement proclamés dans son bref du 10 juillet 1790. N'étant point forcée à de pareils ménagements, Madame Elisabeth déclara que, le jour de Pâques, elle entendrait la messe de son aumônier à la chapelle du château. Par des placards abominables, affichés sur les murs mêmes d'une galerie voisine de son appartement, elle était vouée aux derniers outrages si elle n'accompagnait le Roi à sa paroisse. Elle ne tint aucun compte de ces menaces, et resta constante dans sa résolution. Cependant elle ne communia point. Je comptais, écrit-elle, avoir le bonheur de communier le jeudi saint et le jour de Pâques ; mais les circonstances m'en ont privée : j'ai craint d'être cause d'un mouvement dans le château. Le Dauphin était resté aux Tuileries avec un très-petit nombre de gardes nationaux, la plus grande partie ayant accompagné le Roi. Le jeune Prince, dit madame de Tourzel, avait ce jour-là pour commandant de bataillon un M. de Luigné, qui, quoique bon gentilhomme et possesseur de quatre-vingt mille francs de rente, avait donné à corps perdu dans la révolution. Il inspirait une telle méfiance que M. de Gouvion vint lui-même m'assurer qu'il avait pris ses précautions pour que ce mauvais sujet ne pût causer aucune inquiétude ; que M. d'Arblay, officier de la garde nationale, que je savais très-attaché au Roi, avait l'ordre de ne le pas perdre de vue un instant, et même de le suivre dans l'appartement de M. le Dauphin, si son service le mettait dans le cas d'y entrer. Tout fut fort paisible pendant l'absence du Roi ; le ciel seul fut en courroux, car il y eut un violent orage et de grands coups de tonnerre pendant que Leurs Majestés furent à la paroisse. Elles en revinrent profondément tristes[22]. C'est en vain qu'aux dépens de son autorité et même des justes scrupules de sa conscience, Louis XVI essayait de rétablir la paix et la tranquillité dans le royaume : sa patience, sa bonté, et, il faut le dire, sa faiblesse, loin de ranimer dans le cœur du peuple cet amour dont le sien était si jaloux, ne faisaient que multiplier les récriminations et les calomnies. L'égarement devenait de jour en jour plus aveugle, les défections plus audacieuses, les exigences plus intolérables. La Reine ne mettait plus la tête à la fenêtre sans provoquer une insulte, sans recevoir un outrage. Le joug devenait si lourd, qu'il ne restait plus qu'à s'y soustraire ou à le briser. D'ailleurs la révolution, qui n'avait jusque-là attaqué Louis XVI que dans ses droits de monarque, sa dignité de prince et sa liberté d'homme, venait de diriger contre lui une attaque bien plus sensible : par la constitution civile du clergé et par l'intolérance fanatique de l'Assemblée, qui mettait la main à l'encensoir comme au sceptre, elle l'avait attaqué dans ses devoirs de chrétien. Dans sa lettre du 10 juillet 1790, dont nous avons parlé, le Pape disait au Roi : S'il était en votre disposition de renoncer même à des droits inhérents à la prérogative royale, vous n'avez pas le droit d'aliéner en rien ni d'abandonner ce qui est dû à Dieu et à l'Eglise, dont vous êtes le fils ainé. — Le 13 septembre de la même année, le Pape avait averti Louis XVI, par une nouvelle lettre, que la constitution civile du clergé était contraire aux fondements de la religion catholique. Enfin, dans un dernier bref adressé aux cardinaux, à la date du 13 avril 1791, le Pape avait qualifié de schisme le serment prêté à la constitution civile du clergé. Il n'y eut plus dès lors de doute possible pour les catholiques fidèles. La révolution venait de toucher, dans Louis XVI, à une force qu'elle ne connaissait pas. Le Roi avait fait tous les sacrifices, le prince avait accepté toutes les épreuves, l'homme avait souffert patiemment toutes les injures : le chrétien, blessé dans sa foi et éclairé sur son devoir, se redressa[23]. |
[1] Mémoires inédits de madame de Tourzel.
[2] Mémoires inédits de madame de Tourzel.
[3] Mémoires inédits de madame de Tourzel.
[4] Mémoires inédits de madame de Tourzel.
[5] Dernières années du règne de Louis XVI ; 2e édit., page 148.
[6] Eckard, Mémoires historiques ; 2e édit., page 19.
[7] Eckard, Mémoires historiques ; 2e édit., page 20.
[8] Eckard, Mémoires historiques ; 2e édit., page 22.
[9] Observation entendue par Madame Royale, et racontée plus tard par elle à la duchesse de Damas-Crux.
[10] Vie du jeune Louis XIII, 1 vol. in-18 ; Blanchard, 1815.
[11] Le maître maçon Palloy avait obtenu de la ville de Paris l'entreprise de la démolition de la Bastille.
[12] Gorsas, Courrier des 83 départements, n° XVI.
[13] Madame Campan, dans ses Mémoires, t. II, p. 127, a rapporté cette anecdote d'une manière très-incomplète et fort peu exacte. Le récit que Lasnem'en a fait est entièrement conforme à celui qu'en a donné A. J. Gorsas, dans le Courrier des 83 départements du 22 mai 1791, et d'après lequel Henin, dans son Histoire numismatique de la révolution française, p. 20, a rectifié la version de madame Campan.
[14] Mémoires inédits de madame de Tourzel,
[15] L'hôtel de la mairie de Paris, habité par Bailly, était situé rue des Capucines, à droite en allant de la place Vendôme au boulevard. Cette maison porte aujourd'hui le n° 12.
[16] Nom que l'on donnait par dérision aux gardes françaises, qui, dans une des dernières guerres, avaient été contraints de passer le Mein à la nage.
[17] M. Prudon, capitaine des volontaires, place Dauphine, était l’instituteur de ce régiment, dont l'état-major était ainsi composé :
Nilot, lieutenant-colonel, en face de Henri IV.
Marillier, id., commandant en second, rue du Harlay.
Masson, capitaine.
Gros-Jean, id.
Chazeray, id.
Renault, id.
[18] Alexandre Piccini, compositeur de musique (né à Paris le 17 septembre 1779, mort à Baden-Baden le 30 mars 1850), m'a raconté que, caporal dans le Royal-Dauphin, il était précisément de garde au poste du maire de Paris dans la nuit du 20 au 21 juin 1791 ; qu'il avait vu, à une heure du matin, une dame, entièrement vêtue de blanc, sortir du fond de l'hôtel, traverser la cour et gagner la rue ; que six à sept heures plus tard il apprit, comme tout le monde, la nouvelle du départ de la famille royale, mais qu'il n'avait jamais pu s'expliquer la mystérieuse apparition dont il avait été témoin dans la cour de l'hôtel de M. Bailly.
[19] L'almanach de 1793, an II de la République, donne le personnel de l'état-major :
Louis-Denis-Gabriel Antheaume, colonel, instituteur en chef. Hugues-Simon Vial, adjudant général.
Joseph Serin, adjudant général en second.
François-René Vallet de Villeneuve, lieutenant-colonel.
Jean-Claude Blanchet, lieutenant-colonel en second.
Etc., etc., etc.
Le 10 septembre 1793, un arrêté de la commune destitua le citoyen Antheaume. Les mères de ses élèves réclamèrent : le conseil général nomma deux commissaires (Arnaud et Lelièvre) pour examiner sa conduite ; l'un d'eux présenta au conseil les faits en sa faveur et à sa charge : Le citoyen Antheaume, présent, dit le registre de la commune, prend la parole pour se disculper ; il entre dans le détail des inculpations lancées contre lui ; il se justifie d'avoir été l'agent de la Fayette ; d'être l'ennemi des sociétés populaires ; il dit avoir toujours inculqué à ses élèves les principes républicains ; il proteste de son civisme, et termine en attribuant à l'intrigue de ses ennemis les dénonciations contre lesquelles il est obligé de se défendre, et en demandant le rapport de l'arrêté du conseil qui le concerne et qui l'accuse d'incivisme. Un membre réfute le citoyen Antheaume. et annonce qu'il est un de ceux qui ont soulevé les aristocrates et les modérés de la section du Mail contre les patriotes de cette section ; il demande l'ordre du jour. Le conseil passe à l'ordre du jour, en confirmant l'arrêté qui concerne le citoyen Antheaume.
[20] Eckard, Mémoires historiques ; 2e édit., page 22 à 23.
[21] Mémoires inédits de madame de Tourzel.
[22] Mémoires inédits.
[23] Voir la déclaration du Roi, adressée à tous les Français le 20 juin 1791.