LOUIS XVII, SA VIE, SON AGONIE, SA MORT

CAPTIVITÉ DE LA FAMILLE ROYALE AU TEMPLE

TOME PREMIER

 

LIVRE DIXIÈME. — LE RÉGICIDE.

 

 

Notification des décrets de la Convention. — Lettre du Roi. — Récit d'Hébert. — L'abbé Edgeworth au Temple. — Dernière entrevue du Roi et de sa famille. — Serment demandé par le Roi à son fils. — L'abbé Edgeworth obtient l'autorisation de célébrer la messe le lendemain matin. — Dernière nuit. — La messe au Temple. — Matinée du 21 janvier. — Départ du Temple. — Aspect de Paris. — La place de la Révolution. — L'échafaud — Dernières paroles du Roi. — Sa tête montrée au peuple. — Lettre de l'exécuteur Sanson. — Paris après l'exécution. — Réflexions. — L'abbé Le Duc réclame le corps de Louis XVI. — Inhumation.

 

Le dimanche 20 janvier, Louis XVI, dès son lever, demanda aux municipaux s'ils avaient fait part de sa réclamation au conseil général de la Commune : ils l'assurèrent qu'elle avait été portée sur-le-champ.

Vers les dix heures, il dit à Cléry qui revenait près de lui : Je ne vois point arriver M. de Malesherbes. — Sire, répondit Cléry, je viens d'apprendre et je venais vous informer qu'il s'est présenté plusieurs fois, mais l'entrée de la tour lui a toujours été refusée. — Je vais savoir le motif de ce refus, répondit le Roi. La Commune aura sans doute prononcé sur ma lettre. Hélas ! il y avait trois jours que la Commune avait fermé les portes du Temple ; et, pour légaliser cette rigoureuse mesure, elle en avait demandé la sanction à l'Assemblée nationale[1].

On pouvait encore tromper Louis XVI, on ne pouvait plus l'aigrir. Malheureux, mais calme, il se promena quelques instants dans sa chambre, se remit à la lecture de Charles [er, écrivit, et s'occupa ainsi toute la matinée.

Deux heures venaient de sonner, on ouvre tout à coup la porte : c'était le Conseil exécutif. Douze ou quinze personnes se présentent à la fois : Garat, ministre de la justice ; Lebrun, ministre des affaires étrangères ; Grouvelle, secrétaire du Conseil ; le président et le procureur général syndic du département ; le maire et le substitut du procureur de la Commune ; le président et l'accusateur public du tribunal criminel. Santerre, qui les précédait, dit à Cléry : Annoncez le Conseil exécutif.

Le Roi, qui avait entendu beaucoup de mouvement, s'était levé .et avait fait quelques pas ; mais, à la vue de ce cortège, il resta entre la porte de sa chambre et celle de l'antichambre, dans l'attitude la plus imposante. Garat, le chapeau sur la tête, porta la parole : Louis, la Convention nationale a chargé le Conseil exécutif provisoire de vous signifier ses décrets des 15, 16, 17, 19 et 20 janvier ; le secrétaire du Conseil va vous en faire la lecture[2].

Alors Grouvelle déploya un papier et lut d'une voix faible et tremblante :

DÉCRETS DE LA CONVENTION NATIONALE

DES 15, 16, 17, 19 ET 20 JANVIER.

ARTICLE PREMIER.

La Convention nationale déclare Louis Capet, dernier roi des Français, coupable de conspiration centre la liberté de la nation et d'attentat contre la sûreté générale de l'État.

ARTICLE DEUXIÈME.

La Convention nationale décrète que Louis Capet subira la peine de mort.

ARTICLE TROISIÈME.

La Convention nationale déclare nul l'acte de Louis Capet apporté à la barre par ses conseils, qualifié d'appel à la nation du jugement contre lui rendu par la Convention ; défend à qui que ce soit d'y donner aucune suite, à peine d'être poursuivi et puni comme coupable d'attentat contre la sûreté générale de la République.

ARTICLE QUATRIÈME.

Le Conseil exécutif provisoire notifiera le présent décret dans le jour à Louis Capet, et prendra les mesures de police et de sûreté nécessaires pour en assurer l'exécution dans les vingt-quatre heures[3] à compter de sa notification, et rendra compte du tout à la Convention nationale immédiatement après qu'il aura été exécuté.

 

Pendant cette lecture, aucune altération ne parut sur le visage du Roi. Je remarquai seulement, dit Cléry, qu'au premier article, lorsqu'on prononça le mot conspiration, un sourire d'indignation parut sur le bord de ses lèvres ; mais aux mots subira la peine de mort, un regard céleste, qu'il porta sur tous ceux qui l'environnaient, leur annonça que la mort était sans terreur pour l'innocence. Le Roi fit un pas vers Grouvelle, secrétaire du Conseil, prit le décret de ses mains, le plia, tira de sa poche un portefeuille et l'y plaça ; puis, retirant un autre papier de ce portefeuille, il dit à Garat : Monsieur le ministre de la justice, je vous prie de remettre sur-le-champ celle lettre à la Convention nationale. Le ministre paraissant hésiter, le Roi ajouta : Je vais vous en faire lecture. Et il lut, sans aucune altération dans la voix, ce qui suit :

Je demande un délai de trois jours pour pouvoir me préparer à paraître devant Dieu ; je demande pour cela de pouvoir voir librement la personne que j'indiquerai aux commissaires de la Commune, et que cette personne soit à l'abri de toute crainte et de toute inquiétude pour cet acte de charité qu'elle remplira auprès de moi.

Je demande d'être délivré de la surveillance perpétuelle que le conseil général a établie depuis quelques jours.

Je demande, dans cet intervalle, de pouvoir voir ma famille quand je le demanderai, et sans témoins. Je désirerais bien que la Convention nationale s'occupât tout de suite du sort de ma famille, et qu'elle lui permit de se retirer librement où elle le jugerait à propos.

Je recommande à la bienfaisance de la nation toutes les personnes qui m'étaient attachées : il y en a beaucoup qui avaient mis toute leur fortune dans leurs charges, et qui, n'ayant plus d'appointements, doivent être dans le besoin, ainsi que d'autres qui ne vivaient que de leurs appointements. Dans les pensionnaires, il y a beaucoup de vieillards, de femmes et d'enfants qui n'avaient que cela pour vivre.

Fait à la tour du Temple, le vingt janvier mil sept cent quatre-vingt-treize.

LOUIS.

 

Garat prit la lettre du Roi, et assura qu'il allait la porter à la Convention. Comme il sortait, Louis XVI lui dit : Monsieur, si la Convention accorde ma demande pour la personne que je désire, voici son adresse. Puis, ayant ouvert de nouveau son portefeuille, il en tira un papier sur lequel étaient écrits ces mots : M. Edgeworth de Firmont, rue du Bac, n° 483. Le Roi remit cette adresse à un municipal, et fit quelques pas en arrière ; le ministre et ceux qui l'accompagnaient sortirent[4].

Pour faire connaitre dans toute sa grandeur la scène à laquelle le lecteur vient d'assister, nous recourrons à un témoignage qui ne sera pas suspect, celui des ennemis mêmes de Louis XVI. Il est à remarquer que presque tous les pamphlétaires et les journalistes, malgré certaines assertions accumulées pour essayer de fermer les cœurs à la pitié, ont rendu justice à la force d'âme avec, laquelle ce prince a supporté les dernières et terribles épreuves de cette longue carrière d'infortunes. Voici le récit d'Hébert, substitut du procureur de la Commune :

Je voulus être du nombre de ceux qui devaient être présents à la lecture de l'arrêt de mort de Louis. Il écouta avec un sang-froid rare la lecture de ce jugement. Lorsqu'elle fut achevée, il demanda sa famille, un confesseur, enfin tout ce qui pouvait lui être de quelque soulagement à son heure dernière. Il mit tant d'onction, de dignité, de noblesse, de grandeur dans son maintien et dans ses paroles, que je ne pus y tenir. Des pleurs de rage vinrent mouiller mes paupières. Il avait dans ses regards et dans ses manières quelque chose de visiblement surnaturel à l'homme. Je me retirai en voulant retenir des larmes qui coulaient malgré moi, et bien résolu de finir là mon ministère. Je m'en ouvris à un de mes collègues, qui n'avait pas plus de fermeté que moi pour le continuer, et je lui dis avec ma franchise ordinaire : Mon ami, les prêtres membres de la Convention, en votant pour la mort, quoique la sainteté de leur caractère le leur défendît, ont formé la majorité qui nous délivre du tyran ! Eh bien ! que ce soient aussi des prêtres constitutionnels qui le conduisent à l'échafaud ; des prêtres constitutionnels ont seuls assez de férocité pour remplir un tel emploi. Nous finies en effet décider, mon collègue et moi, que ce seraient les deux prêtres municipaux Jacques Roux et Jacques-Claude Bernard qui conduiraient Louis à la mort[5].

 

Quel aveu et quelle page d'histoire que ce témoignage du Père Duchêne !

Eh bien ! nous croyons à ce mouvement de pitié exprimé par Hébert ; la nature humaine est ainsi faite : alors même qu'elle est descendue aux derniers degrés de perversité, elle se sent parfois saisie d'une invincible admiration en présence da spectacle sublime de cette vertu pour laquelle Dieu l'avait créée. Nous croyons à la résolution d'Hébert de finir là son ministère ; mais les révolutions ne rendent pas ainsi les hommes qui se donnent à elles. Ceux qui ne veulent point se retirer quand ils le devraient, ne le peuvent plus quand ils le veulent. Lorsque la révolution a mis la main sur l'épaule d'un homme et l'a marqué de son sceau, elle ne lâche plus sa proie.

Le Roi demanda à être seul. Il se promena pensif quelques instants dans sa chambre, entra ensuite dans celle des commissaires, dont la porte était restée ouverte, et, sans donner à ses pas une direction suivie, il alla et vint en divers sens. Ses regards s'étant arrêtés sur le tableau de la Déclaration des droits de l'homme, il dit à Mercereau en indiquant du doigt l'article 8 : Si l'on avait tenu compte de cet article, on aurait évité bien du désordre. — Il est vrai, répondit le tailleur de pierres. — Monsieur, dit Louis XVI, en attendant le retour du ministre de la justice, je désire qu'il me soit permis de monter auprès de ma famille. — Nous n'avons pas d'ordre, répondit Mercereau. — Il me semble, monsieur, reprit le Roi, que la loi permet ce qu'elle ne défend pas : si j'ai le droit de voir ma femme et mes enfants, comment prenez-vous celui de m'empêcher de les voir ? En disant ces mots, il rentra dans sa chambre. Cléry était resté contre la porte, debout, les bras croisés, et comme privé de tout sentiment. Louis XVI s'approcha de lui. Cléry, lui dit-il, demandez mon dîner. Cléry obéit : quelques instants après, deux municipaux l'appelèrent dans la salle à manger, et lui lurent un arrêté qui portait en substance : que Louis ne se servirait ni de couteau ni de fourchette à ses repas ; qu'il serait confié un couteau à son valet de chambre pour lui couper son pain et sa viande en présence de deux commissaires, et qu'ensuite le couteau serait retiré. Les deux municipaux chargèrent Cléry d'en prévenir le Roi, il s'y refusa.

En entrant dans la salle à manger, Louis XVI vit le panier dans lequel était le dîner de la Reine. Pourquoi donc, demanda-t-il, a-t-on fait attendre ma famille une heure de plus ? ce retard peut l'inquiéter. Il se mit à table. Je n'ai pas de couteau, dit-il en regardant Cléry. Un municipal — du nom de Minier[6] — lui fit part alors de l'arrêté de la Commune. Me croit-on assez lâche, dit alors le Roi, pour que j'attente à ma vie ? On m'impute des crimes, mais j'en suis innocent, et je mourrai sans crainte ; je voudrais que ma mort fit le bonheur des Français et pût écarter les malheurs que je prévois.

Toujours la même prévision prophétique que l'événement devait si terriblement justifier ! — Il régna un grand silence. Louis XVI mangea peu ; il rompit son pain avec les doigts, coupa du bœuf avec la cuiller ; son dîner ne dura que quelques minutes.

Cependant Garat n'avait pas perdu un instant ; il avait communiqué à ses collègues les dernières demandes de Louis-XVI ; il avait appelé sur elles les décisions de la Convention, et il avait envoyé chercher le prêtre que réclamait le condamné. Quelques jours s'étaient passés depuis l'entrevue de Malesherbes avec l'abbé Edgeworth. Celui-ci n'avait point quitté Paris un seul jour, mais, ne recevant aucun nouvel avis, déjà il s'était livré à l'espoir que la Convention prononcerait seulement la peine de la déportation, ou que, tout au moins, elle accorderait un sursis, lorsque le 20 janvier, vers les quatre heures du soir, un inconnu se présenta chez lui et lui remit ce billet : Le Conseil exécutif ayant une affaire de la plus haute importance à communiquer au citoyen Edgeworth de Firmont, l'invite à passer, sans perdre un instant, au lieu de ses séances.

L'inconnu ajouta qu'il avait ordre de l'accompagner, et qu'une voiture les attendait dans la rue ; ils descendirent et partirent ensemble. Arrivés aux Tuileries, où le Conseil tenait ses séances, l'abbé Edgeworth trouva tous les ministres réunis ; la consternation était sur leurs visages. Dès qu'il parut, ils se levèrent et l'entourèrent avec une sorte d'empressement. Le ministre de la justice prenant la parole : Vous êtes, lui dit-il, le citoyen Edgeworth de Firmont ?Oui, monsieur. — Louis Capet nous ayant témoigné le désir de vous avoir auprès de lui dans ses derniers moments, nous vous avons mandé pour savoir si vous consentez à lui rendre le service qu'il attend de vous. — Louis XVI ayant témoigné ce désir et m'ayant désigné par mon nom, me rendre auprès de lui est un devoir. — En ce cas, vous allez venir avec moi au Temple, car je m'y rends de ce pas.

Le prêtre était en habit laïque, comme l'était à cette époque tout le clergé catholique de Paris. Mais songeant en ce moment à ce qu'il devait, d'une part, au Roi, qui n'était pas familiarisé avec l'idée de voir un ministre de Jésus-Christ se présenter sous un pareil costume pour remplir une fonction de son ministère, — et, de l'autre part, à la religion elle-même, qui recevait pour la première fois une sorte d'hommage du nouveau gouvernement, il crut qu'il avait le droit, et que ce droit était un devoir, de reprendre en cette occasion solennelle les marques extérieures du sacerdoce. C'est fort inutile, répondit Garat à cette observation, ce serait vous exposer à une attention toute particulière, et d'ailleurs le temps nous presse. En disant ces mots, il prenait une liasse de papiers sur le bureau. Il conféra un instant à voix basse avec les autres ministres, et, sortant brusquement, il dit au prêtre de le suivre. Une escorte de gardes à cheval attendait à la porte avec la voiture du ministre. Le prêtre monte le premier dans cette voiture, et Garat y prend place auprès de lui.

Le trajet des Tuileries au Temple se fit dans le plus morne silence. Deux ou trois fois, cependant, le ministre essaya de le rompre. Grand Dieu ! s'écria-t-il après avoir levé les glaces de la portière, de quelle affreuse commission je me vois chargé ! Quelques instants après il ajouta : Quel homme ! quelle résignation ! quel courage ! Non, la nature toute seule ne saurait donner tant de force. Il y a là quelque chose de surhumain. De pareils aveux offraient au prêtre une occasion bien naturelle d'entrer en conversation. Il hésita un moment ; puis, réfléchissant que son premier devoir était de procurer au Roi les secours de la religion qu'il lui demandait avec tant d'instance ; pensant aussi qu'une conversation dans laquelle il aurait été nécessairement amené à juger sévèrement la conduite des chefs de la révolution, pouvait, en irritant le ministre, mettre obstacle à l'accomplissement de ce devoir, il prit le parti de garder le silence le plus absolu. Le ministre parut comprendre tout ce que ce silence lui disait, et il n'ouvrit plus la bouche durant le reste du chemin.

Arrivés au Temple, vers cinq heures et demie, la première porte leur fut ouverte ; mais les formalités d'usage les retinrent un quart d'heure dans le bâtiment du château, où les commissaires tardèrent à venir les recevoir. Enfin leur mission constatée, ils traversèrent le jardin avec les municipaux, et montèrent avec eux dans la salle du conseil, où étaient rassemblés les autres commissaires de la Commune. L'abbé Edgeworth ne remarqua point, à beaucoup près, sur leur physionomie cette consternation et cet embarras qui l'avaient frappé chez les ministres. Ils étaient à peu près douze, presque tous en costume jacobin. Parmi eux se trouvait Mercereau, qui avait dit en arrivant la veille pour prendre son service : Tout le monde refusait de venir ; je ne donnerais pas cette journée pour beaucoup d'argent ; et un jeune homme, du nom de Bodson[7], âgé de vingt-sept ans, mais à qui on en eût donné à peine vingt, tant sa figure imberbe était douce et féminine : Et moi aussi, avait dit ce jeune homme, j'ai demandé à venir au Temple pour voir la grimace qu'il fera demain. M. de Firmont n'avait point entendu ces paroles ; mais les manières, la physionomie, le sang-froid des municipaux, appartenant presque tous, ce jour-là, à l'élite haineuse des révolutionnaires les plus exaltés, laissèrent dans son esprit un souvenir qui, longtemps après, le glaçait encore.

Dans un coin de cette grande salle, ils se réunirent tous autour du ministre, qui leur lut à voix basse les papiers qu'il avait apportés des Tuileries. Cette lecture faite, Garat se retourna brusquement et dit au prêtre de le suivre. Cette invitation souleva l'opposition du conseil ; les municipaux se groupèrent de nouveau, délibérèrent quelques instants, en se parlant à l'oreille, et le résultat fut qu'une moitié du conseil accompagnerait le ministre qui montait chez le Roi, et que l'autre resterait près de l'ecclésiastique. La séparation ainsi faite, les portes de la salle furent fermées. Alors, le plus ancien des commissaires s'approcha de M. de Firmont d'un air poli, mais embarrassé ; il lui parla de la responsabilité terrible qui pesait sur sa tête, lui demanda mille excuses de la liberté qu'il était forcé de prendre, etc. L'abbé Edgeworth comprit que ce préambule allait aboutir à le fouiller, et il prévint son interlocuteur en lui disant que, la réputation de M. de Malesherbes ne l'ayant pas exempté.de cette formalité, il ne s'était pas flatté, en venant au Temple, qu'on ferait une exception pour lui ; que, du reste, il n'avait dans ses poches rien de suspect, et qu'il ne tenait qu'aux municipaux de s'en assurer. Malgré cette déclaration, La fouille se fit avec assez de rigueur ; les papiers que le prêtre avait sur lui ne donnèrent lieu à aucune réflexion, mais sa tabatière fut ouverte et le tabac fut éprouvé ; un petit crayon d'acier qui se trouvait par hasard dans sa poche fut examiné scrupuleusement, de peur qu'il ne renfermât un poignard. Cela fait, on lui renouvela les excuses par lesquelles on avait débuté, et on l'invita à s'asseoir.

Pendant que cette scène se passait dans la salle du conseil, Garat était entré au second étage de la tour. Cléry, livré à la douleur et retiré dans sa chambre, vint au bruit qu'il entendit, et annonça à Louis XVI le retour du ministre de la justice. Santerre, qui précédait Garat, s'approcha du Roi, et lui dit à demi-voix : Voici le Conseil exécutif. Le ministre, s'étant avancé, dit au Roi qu'il avait porté sa lettre à la Convention, et qu'elle l'avait chargé de lui notifier la réponse suivante :

Qu'il était libre à Louis d'appeler tel ministre du culte qu'il jugerait à propos, et de voir sa famille librement et sans témoins ; que la nation, toujours grande et toujours juste, s'occuperait du sort de sa famille ; qu'il serait accordé aux créanciers de sa maison de justes indemnités ; que la Convention nationale avait passé à l'ordre du jour sur le sursis de trois jours.

 

Le Roi entendit cette lecture sans faire aucune observation ; il entra dans sa chambre et dit à Cléry : Je croyais, à l'air de Santerre, qu'on allait m'annoncer que le sursis était accordé. Voyant Louis XVI parler à Cléry, Bodson s'approcha. Vous avez paru sensible à ce qui m'arrive, lui dit le Roi, recevez-en mes remercîments. Le jeune municipal, interdit, ne sut que répondre ; il dut prendre pour une ironie la parole de gratitude qui lui était adressée, et qu'il avait si peu méritée. Ce n'était point cependant une ironie. Le malheureux Prince, à la vue de cette figure si jeune et si douce, avait cru à un sentiment généreux ; la cruauté avec laquelle agissaient envers lui quelques hommes, dans un pareil moment, était si invraisemblable, que, bien qu'elle fût vraie, il n'y croyait pas.

Après la lecture de la réponse de la Convention, les municipaux tirèrent le ministre de la justice à l'écart, et lui demandèrent comment Louis verrait sa famille : En particulier, répondit Garat, c'est l'intention de la Convention. Les commissaires lui communiquèrent alors l'arrêté de la Commune qui leur enjoignait de ne perdre le Roi de vue ni le jour ni la nuit. Il fut convenu entre les municipaux et le ministre que, pour concilier ces deux décisions, opposées l'une à l'autre, Louis XVI recevrait sa famille dans la salle à manger, de manière à être vu par le vitrage de la cloison, mais qu'on fermerait la porte pour qu'il ne fût pas entendu.

Le Roi rappela le ministre de la justice, pour lui demander s'il avait fait prévenir M. de Firmont. Garat[8] répondit qu'il l'avait amené dans sa voiture, qu'il était au conseil et qu'il allait monter. Deux municipaux descendirent aussitôt pour l'amener au Roi.

Louis XVI prit dans son secrétaire- les trois rouleaux qu'il y avait enfermés, et les remettant à un municipal nommé Baudrais, qui causait avec le ministre, il lui dit : Voici, monsieur, trois mille livres en or qui appartiennent à M. de Malesherbes ; je vous prie de les lui remettre. Le commissaire le lui promit : mais la précaution prise par le Prince honnête homme fut inutile. La somme fut sur-le-champ portée par Baudrais au conseil, qui s'empressa de l'envoyer à la municipalité[9] ; elle ne parvint pas à M. de Malesherbes.

En ce moment parut l'abbé Edgeworth.

Arrivé à l'appartement du Roi, dont toutes les portes étaient ouvertes, a-t-il écrit lui-même, j'aperçus ce Prince au milieu d'un groupe de huit ou dix personnes : c'était le ministre de la justice accompagné de quelques membres de la Commune, qui venait de lui lire le fatal décret qui fixait irrévocablement sa mort au lendemain.

Il était au milieu d'eux, calme, tranquille, gracieux même ; et pas un seul de ceux qui l'environnaient n'avait l'air aussi assuré que lui. Dès que je parus, il leur fit signe de la main de se retirer ; ils obéirent ; lui-même ferma la porte après eux, et je restai seul dans la chambre avec lui.

Jusqu'ici j'avais assez bien réussi à concentrer les différents mouvements qui agitaient mon âme ; mais à la vue de ce Prince, autrefois si grand et alors si malheureux, je ne fus plus maître de moi-même ; mes larmes s'échappèrent malgré moi, et je tombai à ses pieds sans pouvoir lui faire entendre d'autre langage que celui de ma douleur ; cette vue l'attendrit mille fois plus que le décret qu'on venait de lui lire. Il ne répondit d'abord à mes larmes que par les siennes ; mais bientôt reprenant son courage : Pardonnez, me dit-il, monsieur, pardonnez à ce moment de faiblesse, si toutefois on peut le nommer ainsi. Depuis longtemps je vis au milieu de mes ennemis, et l'habitude m'a, en quelque sorte, familiarisé avec eux ; mais la vue d'un sujet fidèle parle tout autrement à mon cœur : c'est un spectacle auquel mes yeux ne sont plus accoutumés, et il m'attendrit malgré moi.

En disant ces paroles, il me releva avec bonté et me fit passer dans son cabinet, afin de m'entretenir plus à l'aise, car, dans sa chambre, tout était entendu. Là, me faisant asseoir auprès de lui : C'est donc à présent, me dit-il, monsieur, la grande affaire qui doit m'occuper tout entier ! hélas ! la seule affaire ; car que sont toutes les autres auprès de celle-là ? Cependant je vous demande quelques moments de-répit, car voilà que ma famille va descendre. En attendant, voici un écrit que je suis bien aise de vous communiquer.

Il tira de sa poche un papier cacheté et en brisa le sceau : c'était son testament qu'il avait fait depuis le mois de décembre, c'est-à-dire à une époque où il doutait encore si on lui permettrait d'avoir un prêtre catholique pour l'assister dans son dernier combat. Tous ceux qui ont lu cette pièce si intéressante et si digne d'un Roi chrétien jugeront aisément de l'impression profonde qu'elle dut faire sur moi. Mais ce qui les étonnera sans doute, c'est que ce Prince eût la force de la lire lui-même, et de la lire jusqu'à deux fois. Sa voix était ferme, et il ne paraissait d'altération sur son visage que lorsqu'il rencontrait des noms qui lui étaient chers. Alors, toute sa tendresse se réveillait ; il était obligé de s'arrêter un moment, et ses larmes coulaient malgré lui. Mais lorsqu'il n'était question que de lui-même et de ses malheurs, il ne paraissait pas plus ému que ne le sont communément les autres hommes lorsqu'ils entendent le récit des maux d'autrui.

Cette lecture étant finie, et la famille royale ne descendant pas, le Roi se hâta de me demander des nouvelles du clergé, et de la situation de l'Église en France. Malgré la rigueur de sa prison, il en avait appris quelque chose. Il savait que les ecclésiastiques fidèles, obligés de s'expatrier, avaient été accueillis à Londres ; mais il ignorait tous les détails. Le peu que je me fis un devoir de lui en dire parut faire sur lui la plus profonde impression, et en gémissant sur les maux du clergé de France, il ne se lassait pas de rendre hommage à la générosité du peuple anglais, qui travaillait à les adoucir.

Mais il ne s'en tint pas à ces questions générales, et, venant bientôt à des détails qui m'étonnèrent moi-même, il voulut savoir ce qu'étaient devenus plusieurs ecclésiastiques auxquels il semblait prendre un intérêt plus particulier, le cardinal de la Rochefoucauld, l'évêque de Clermont, l'abbé de Floirac, etc. Mais son intérêt redoubla au seul nom de M. l'archevêque de Paris. Il me demanda où il était, ce qu'il faisait, et si j'avais des moyens de correspondre avec lui. Marquez-lui, me dit-il, que je meurs dans sa communion, et que je n'ai jamais reconnu d'autre pasteur que lui. Hélas ! je crains qu'il ne m'en veuille un peu de ce que je n'ai point fait réponse à sa dernière lettre. J'étais encore aux Tuileries ; mais en vérité, les événements se pressaient tellement autour de moi à cette époque, que je n'en trouvai pas le temps. Au surplus, il me le pardonnera, j'en suis bien sûr, car il est bon !

Je ne sais par quel hasard la conversation tomba sur M. le duc d'Orléans. Le Roi me parut très-instruit de ses menées et du rôle affreux qu'il jouait à la Convention ; mais il en parlait sans ombre d'amertume, et avec plus de pitié que de courroux : Qu'ai-je donc fait à mon cousin, me dit-il, pour qu'il me poursuive ainsi ?... Mais pourquoi lui en vouloir ? Ah ! il est plus à plaindre que moi. Ma position est triste, sans doute ; mais le fût-elle encore davantage, non, très-certainement je ne voudrais pas changer avec lui.

 

A huit heures, la conversation fut interrompue par un municipal qui vint annoncer au Roi que sa famille allait descendre. Louis XVI parut très-ému : Si l'on ne m'a point permis de monter chez elle, dit-il aux commissaires, je pourrai du moins la voir seule dans ma chambre ?Non, répondit l'un d'eux, nous avons arrêté avec le ministre de la justice que ce sera dans la salle à manger. — Vous avez entendu, répliqua le Roi, que le décret de la Convention me permet de la voir sans témoins. — Cela est vrai, dirent les municipaux, vous serez en particulier ; on fermera la porte ; mais par le vitrage nous aurons les yeux sur vous. — Faites descendre ma famille.

Pendant cet intervalle, Louis XVI était entré dans la salle à manger ; Cléry l'y suivit ; il rangea la table de côté et plaça des chaises dans le fond, afin de donner plus d'espace. Il faudrait, lui dit le Roi, apporter un peu d'eau et un verre. Il y avait sur une table une carafe d'eau à la glace ; Cléry n'apporta qu'un verre et le plaça près de cette carafe. Apportez de l'eau qui ne soit pas à la glace, lui dit le Roi, car si la Reine buvait de celle-là, elle pourrait en être incommodée. Vous direz à M. de Firmont qu'il ne sorte pas de mon cabinet ; je craindrais que sa vue ne fit trop de mal à ma famille.

Plus d'un quart d'heure s'était écoulé depuis qu'un commissaire était allé chercher la famille royale. Louis XVI allait et venait, s'arrêtant à chaque instant à la porte d'entrée avec les marques de la plus vive émotion. Enfin, à huit heures et demie, la porte s'ouvre : la Reine parait la première tenant son fils par la main, ensuite Marie-Thérèse et Madame Elisabeth. Tous se précipitent dans les bras du Roi. Un morne silence règne pendant quelques minutes et n'est interrompu que par des sanglots. Marie-Antoinette fait un mouvement pour entraîner le Roi vers sa chambre : Non, dit Louis XVI, passons dans cette salle, je ne puis vous voir que là. Ils entrent dans la salle à manger ; les municipaux en ferment la porte, qui, ainsi que la cloison, était en vitrage. Le Roi s'assied, la Reine se place à sa gauche, Madame Élisabeth à sa droite, Marie-Thérèse presque en face, et le jeune Prince reste debout entre les jambes de son père. Tous se penchent vers lui et le tiennent souvent embrassé. Louis XVI raconte son procès en excusant les hommes qui l'ont condamné. Il donne des instructions religieuses à ses enfants, il leur recommande de pardonner sa mort, et il les bénit. La Reine désire ardemment que toute la famille royale passe la nuit avec lui ; il refuse en répétant qu'il a besoin de tranquillité et de recueillement. Cette scène de douleur dure sept quarts d'heure. Quand elle arriva à sa fin, le Roi voulant inculquer profondément dans le cœur de son fils le pardon qu'il avait écrit dans son testament, employa un moyen touchant que Madame Royale, témoin oculaire de cette scène, a transmis à la postérité. Mon père, au moment de se séparer de nous pour jamais, dit-elle, nous fit promettre à tous de ne jamais songer à venger sa mort. Il était bien assuré que nous regardions comme sàcré l'accomplissement de sa dernière volonté ; mais la grande jeunesse de mon frère lui fit désirer de produire sur lui une impression encore plus forte. Il le prit sur ses genoux et lui dit : Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de dire ; mais comme le serment a encore quelque chose de plus sacré que les paroles, jurez en levant la main que vous accomplirez la dernière volonté de votre père. Mon frère lui obéit en fondant en larmes, et cette bonté si touchante fit encore redoubler les nôtres[10].

Quoique enfermé dans le cabinet de la tourelle où le Roi l'avait laissé, l'abbé Edgeworth distinguait facilement les voix, et malgré lui il assistait à cette scène, la plus déchirante dont il eût jamais été témoin. Pendant près d'un quart d'heure, dit-il dans sa relation des derniers moments de Louis XVI, on n'articula pas une seule parole : ce n'étaient ni des larmes ni des sanglots, c'étaient des cris perçants qui devaient être entendus hors de l'enceinte de la tour. Le Roi, la Reine, le Dauphin, Madame Elisabeth, Madame Royale, tous se lamentaient à la fois, et les voix semblaient se confondre. Enfin, les larmes cessent, parce qu'on n'a plus la force d'en répandre. A dix heures un quart, Louis se lève le premier et tous le suivent. Cléry ouvre la porte ; la Reine tient le Roi par le bras droit ; l'un et l'autre donnent une main au Dauphin : Madame Royale à gauche tient son père embrassé par le milieu du corps ; Madame Élisabeth du même côté, mais un peu plus en arrière, a saisi le bras gauche de son frère : ils font quelques pas vers la porte d'entrée en poussant les gémissements les plus douloureux. Je vous assure, leur dit Louis XVI, que je vous verrai demain matin à huit heures. — Vous nous le promettez ? répètent-ils tous ensemble. — Oui, je vous le promets. — Pourquoi pas à sept heures ? dit la Reine. — Eh bien, oui ! à sept heures, répond le Roi : adieu !... Il prononce cet adieu d'une manière si expressive que les sanglots redoublent : Madame Royale tombe évanouie aux pieds du Roi, qu'elle tient encore embrassé ; Cléry la relève et aide Madame Élisabeth à la soutenir. Le Roi, voulant mettre fin à cette scène déchirante, leur donne les plus tendres embrassements et a la force de s'arracher de leurs bras. Adieu !... adieu !... dit-il, et il rentre dans sa chambre.

Les princesses remontent chez elles avec le Dauphin. Cléry veut continuer à soutenir Madame Royale ; les municipaux l'arrêtent à la seconde marche et le forcent de rentrer. Les deux portes se ferment, mais on continue d'entendre les cris et les gémissements des Princesses dans l'escalier, et cette exclamation : Les bourreaux ! qui échappe à la douloureuse exaltation de la Reine.

Le Roi a rejoint son confesseur dans son cabinet de la tourelle, et, se jetant sur une chaise : Ah ! monsieur, s'écrie-t-il, ne pouvant cacher l'agitation d'une âme profondément émue, quelle entrevue ! quelle séparation ! Faut-il donc que j'aime si tendrement et que je sois si tendrement aimé !... Le cruel sacrifice est fait, aidez-moi maintenant, monsieur, à oublier tout pour ne penser qu'au salut. Voilà ce qui doit concentrer désormais toutes mes affections et toutes mes pensées. Il continua à s'exprimer ainsi en paroles entrecoupées, où se révélaient également sa sensibilité et son courage. Une demi-heure s'écoula. Cléry vint proposer le souper. Le Roi hésita un moment ; mais, par réflexion, il accepta l'offre. Il mangea peu, mais avec appétit. Les municipaux étaient, ce soir-là, plus nombreux que de coutume dans l'antichambre. Bien qu'ils s'entretinssent à voix basse, cette phrase arriva à l'oreille du Roi : Il est temps que le peuple se venge. — Le peuple, dit Louis XVI avec calme sans regarder les deux commissaires qui étaient debout près de sa table, le peuple rendra justice à ma mémoire quand il saura la vérité, quand il aura recouvré la liberté de se montrer juste ; mais, hélas ! jusqu'à ce temps, il sera bien malheureux !

Le souper avait duré cinq minutes. Le Roi rentra aussitôt dans son cabinet, et proposa à M. de Firmont de prendre quelque nourriture. Après un moment d'hésitation, celui-ci accepta.

Une pensée préoccupait l'esprit de l'abbé Edgeworth, c'était de procurer la communion à Louis XVI. Il avait d'abord songé à lui apporter le saint viatique en secret, comme on était obligé de faire alors ; mais la fouille rigoureuse qu'il allait subir en entrant au Temple et la profanation qui en eût été la suite l'avaient empêché de s'arrêter à cette première idée. Il ne lui restait donc d'autre ressource que de dire la messe dans la chambre même du Roi, s'il en pouvait trouver les moyens ; il lui en fit la proposition. Louis XVI fut effrayé du péril auquel s'exposait l'abbé Edgeworth ; mais celui-ci le supplia à son tour de se confier à sa prudence comme à son dévouement. Ne pouvant rien tenter en cachette, il fallait se décider à une demande ouverte et formelle ; le Roi la permit enfin. Allez, dit-il, monsieur, mais je crains bien que vous ne réussissiez pas ; je connais les hommes auxquels vous allez avoir affaire, ils n'accordent que ce qu'ils ne peuvent refuser.

M. de Firmont se fait conduire à la salle du Conseil, et y forme sa demande au nom de Louis. Les commissaires, qui n'étaient point préparés à cette requête, en sont déconcertés, et ils cherchent différents prétextes pour l'éluder. — Où trouver un prêtre à l'heure qu'il est ? disent-ils ; et quand nous en trouverions un, comment faire pour lui procurer des ornements ?Le prêtre est tout trouvé, répond l'abbé Edgeworth, puisque me voici, et quant aux ornements, l'église la plus voisine en fournira ; il ne s'agit que de les envoyer chercher. Du reste, ma demande est juste, et ce serait méconnaître vos propres principes que de la refuser. Un des municipaux prend aussitôt la parole, et, quoique en termes assez mesurés, donne clairement à entendre que cette requête peut n'être qu'un piège, et que, sous prétexte de donner la communion à Louis, on peut l'empoisonner : L'histoire, ajoute-t-il, nous fournit à cet égard assez d'exemples pour nous engager à nous montrer circonspects. M. de Firmont se contente de regarder fixement cet homme et de lui dire : La fouille à laquelle je me suis soumis en entrant ici a dû vous prouver que je ne porte pas de poison sur moi ; si donc il s'en trouvait demain, c'est de vous que je l'aurais reçu, puisque tout ce que je demande pour dire la messe doit passer par vos mains. Le commissaire veut répliquer, ses collègues lui imposent silence, et disent à M. Edgeworth que, le conseil n'étant pas complet, ils ne peuvent rien prendre sur eux ; mais qu'ils vont convoquer les membres absents et qu'ils lui feront part du résultat de la délibération.

Au bout d'un quart d'heure, M. de Firmont est introduit de nouveau, et le président lui dit : Citoyen ministre du culte, le conseil a pris en considération la demande que vous lui avez faite au nom de Louis Capet ; cette demande, étant conforme aux lois qui déclarent que tous les cultes sont libres, lui est accordée. Nous y mettons cependant deux conditions : la première, que vous dresserez à l'instant une requête officielle signée de vous ; la seconde, que l'exercice de votre culte sera achevé demain à sept heures au plus tard, parce que, à huit heures précises, Louis Capet doit partir pour le lieu de son exécution.

Ces derniers mots étaient dits, comme tout le reste, avec un sang-froid qui montrait à nu le fond du cœur. L'abbé Edgeworth met sa demande par écrit sur un papier qui lui est donné par les municipaux.

COMMUNE DE PARIS.

Un crucifix.

Un missel. — Carton[11].

Un calice.

Un corporal et une pale.

Une patène.

Une pierre sacrée.

Un purificatoire.

Un amict.

Une aube.

Un cordon. — Un lavabo.

Un manipule.

Une étole.

Une chasuble.

Deux nappes d'autel.

Une grande et une petite hostie.

Je soussigné, ministre du culte catholique, agréé par le conseil de la Commune, séant au Temple, pour dire la messe demain dans l'appartement de Louis Capet, conformément à son vœu, désire qu'on me fournisse les objets détaillés dans la liste ci-dessus. Ce vingt janvier mil sept cent quatre-vingt-treize.

EDGEWORTH.

 

 

Ayant écrit ces lignes, le prêtre les laisse sur le bureau ; on le reconduit aussitôt au deuxième étage. Le conseil du Temple, rassemblé, formule au bas de la pétition son assentiment en ces termes :

Nous soussignés, commissaires de la Commune, de garde à la tour du Temple, délibérant sur la demande ci-dessus énoncée, prions le citoyen curé de la paroisse de Saint-François d'Assise de vouloir bien prêter les objets détaillés dans la demande ci-contre, et sur le désir de Louis Capet, pour lui faire entendre une messe qui doit être célébrée dans sa chambre à la tour du Temple, demain matin à six heures précises, et d'envoyer ces objets au conseil du Temple par une personne qu'il choisira à cet effet, lesquels objets lui seront rendus dans la matinée du même jour.

Nous prions, de plus, le citoyen curé de vouloir bien nous envoyer ces objets ce soir, s'il est possible, ou de nous faire assurer par le présent porteur qu'il voudra bien nous les envoyer demain, à cinq heures du matin.

Fait au conseil du Temple, ce dimanche au soir, vingt janvier mil sept cent quatre-vingt-treize.

L'an deuxième de la République française.

DOUCE[12], BAUDRAIS[13], PASTÉ[14], TEURLOT[15], DESTOURNELLES[16], BODSON[17], JON[18], GILLET MARIE[19], MERCEREAU[20].

 

Le Roi, qui avait attendu avec inquiétude le dénouement de cette affaire, avait paru écouter avec une sensible joie le récit que lui en avait fait, à son retour, M. Edgeworth. Il s'enferme avec son confesseur, et reste à ses pieds jusqu'à minuit et demi. L'abbé, le voyant épuisé de fatigue, l'engage à prendre quelque repos ; il y consent, invite son confesseur à en faire autant, et îe fait passer dans la chambre de Cléry.

Cléry aide le Roi à se déshabiller, et comme il se dispose à lui rouler les cheveux, le Roi lui dit : Ce n'est pas la peine. Ces simples mots redoublèrent les larmes de Cléry. Plus de courage, Cléry, lui dit Louis XVI ; ceux qui m'aiment ne doivent-ils pas souhaiter la fin d'une si longue agonie ? En se couchant, il ajoute, au moment où Cléry ferme ses rideaux : Cléry, vous m'éveillerez à cinq heures. L'abbé Edgeworth, qui s'est jeté sur le lit de Cléry, livré aux pensées les plus accablantes, entend, à travers la cloison, le Roi donner ainsi tranquillement ses ordres pour le lendemain.

A peine Louis XVI est-il couché, qu'un sommeil profond s'empare de lui.

Cléry passe la nuit sur une chaise, dans la chambre de son maître, priant Dieu de conserver au Roi ses forces et son courage.

Entendant sonner cinq heures, il allume le feu. A ce bruit, le Roi s'éveille, et dit, en tirant son rideau : Cinq heures sont-elles sonnées ?Sire, elles le sont à plusieurs horloges, mais pas encore à la pendule. Le Roi se lève aussitôt. J'ai bien dormi, dit-il, et sans interruption ; j'en avais grand besoin, la journée d'hier m'avait fatigué. Où est M. de Firmont ?Sur mon lit. — Et vous, où avez-vous passé la nuit ?Sur une chaise. — J'en suis fâché, dit le Roi. — Ah ! Sire, puis-je penser à moi dans ce moment ? Le Roi lui donne la main et serre la sienne avec affection.

Cléry habille le Roi et le coiffe. Pendant ce temps-là, le Prince ôte de sa montre un cachet et le met dans la poche d'un gilet blanc qu'il portait la veille ; il dépose sa montre sur la cheminée ; puis, retirant de son doigt un anneau, qu'il considère plusieurs fois, il le met dans la même poche où était le cachet ; alors il change de linge, met le gilet- dépositaire de ces deux souvenirs, et passe son habit ; il retire des poches de cet habit son portefeuille, sa lorgnette, sa boîte à tabac, sa bourse et quelques autres effets qu'il dépose sur la cheminée, à côté de sa montre ; tout cela en silence et devant plusieurs municipaux. Sa toilette achevée, il dit à Cléry de prévenir M. de Firmont. Cléry va l'avertir. M. de Firmont était levé ; il arrive et suit le Roi dans son cabinet, où il reste enfermé avec lui pendant une demi-heure.

Pendant ce temps, Cléry place une commode au milieu de la chambre et la dispose en forme d'autel ; il la revêt d'une nappe blanche, il l'orne d'un petit crucifix d'argent ; deux flambeaux ordinaires remplacent les candélabres, la bougie tient lieu de cierges ; il transfère dans sa chambre les ornements du prêtre, le calice et tous les objets nécessaires pour le service divin, que, sur la demande des municipaux, on avait apportés, à deux heures du matin, de l'ancienne église des Capucins du Marais (rue d'Orléans), devenue la paroisse de Saint-François d'Assise. Tout étant ainsi préparé, il va prévenir Louis XVI. Le Roi lui demande s'il peut servir la messe. Cléry répond affirmativement, mais qu'il ne sait pas les répons par cœur. Le Roi tenait un livre à la main : il l'ouvre à l'article de la messe et le lui remet, puis il prend pour lui un autre livre. Cléry avait placé devant l'autel un fauteuil et mis un grand coussin à terre. Le Roi lui fait ôter ce coussin et va lui-même dans son cabinet en chercher un autre plus petit et garni de crin, dont il se servait ordinairement pour dire ses prières. Le prêtre, qui pendant ce temps s'habillait, entre, portant le calice ; les municipaux se retirent dans l'antichambre, laissant ouvert un des battants de la porte. La messe commence : la pendule marquait six heures. Un grand silence règne dans toute la tour, où l'on dirait que chacun s'associe à l'auguste cérémonie. Louis XVI, constamment à genoux, entend la messe et communie avec le plus saint recueillement[21].

Le prêtre retourne dans la chambre de Cléry pour quitter ses ornements sacerdotaux ; et le Roi, ayant achevé ses actions de grâces à Dieu, entre dans son cabinet. Son valet de chambre l'y suit. Louis XVI lui prend les deux mains et lui dit avec un accent pénétrant : Cléry, je suis content de vos soins. Cléry, attendri, se jette aux pieds de son maître en lui disant d'espérer encore : Sire, ils n'oseront vous frapper. — La mort ne m'effraye point, Cléry, répondit tranquillement le Roi ; j'y suis tout préparé. Mais vous, ne vous exposez pas. Je vais demander que vous restiez près de mon fils : donnez-lui tous vos soins dans cet affreux séjour ; dites-lui bien toutes les peines que j'éprouve dès malheurs qu'il ressent. Un jour peut-être il pourra récompenser votre zèle. — La seule récompense que je désire, s'écrie Cléry, qui était toujours à genoux, c'est de recevoir la bénédiction de Votre Majesté : Sire, ne la refusez pas au dernier Français resté près de vous. Le Roi Très-Chrétien donne sa bénédiction à son fidèle serviteur, puis il le relève, et le serrant contre son sein : Faites-en part à toutes les personnes qui me sont attachées ; dites aussi à Turgy que je suis content de lui. Rentrez maintenant, ne donnez aucun soupçon contre vous. Et tout à coup le rappelant : Tenez, lui dit-il en lui donnant un papier qu'il avait déposé sur sa table, voici une lettre que Pétion m'a écrite lors de votre entrée au Temple, elle pourra vous être utile pour rester ici. Cléry saisit de nouveau la main royale, qu'il baise, et il sort. Adieu, lui dit Louis XVI.

Cléry rentre dans sa chambre et y trouve M. de Firmont en prière devant son lit. — Quel prince ! lui dit le prêtre en se relevant ; avec quelle résignation, avec quel courage il va à la mort ! Il est aussi tranquille que s'il venait d'entendre la messe dans son palais et au milieu de sa cour. — Je viens d'en recevoir, répond Cléry, les plus touchants adieux ; il a daigné me promettre de demander que je reste dans la tour auprès de son fils. Lorsqu'il sortira, monsieur, je vous prie de le lui rappeler, car je n'aurai plus le bonheur de le voir en particulier. M. de Firmont dit à Cléry : Soyez tranquille, et il rejoint Louis XVI.

Il le trouve assis près de son poêle et ayant peine à se réchauffer. Mon Dieu ! dit le Roi, que je suis heureux d'avoir mes principes ! Sans eux, où en serais-je maintenant ? Mais, avec eux, que la mort doit me paraître douce ! Oui, il existe en haut un juge incorruptible qui saura bien me rendre la justice que les hommes me refusent ici-bas ! M. Edgeworth, qui nous a légué ces détails, ajoute : Le ministère que j'ai rempli auprès de ce prince ne me permet pas de citer quelques traits épars des différentes conversations qu'il eut avec moi durant ces seize dernières heures ; mais, au peu que j'en dis, on doit juger de tout ce que je pourrais ajouter s'il m'était permis de tout dire.

Le jour commence à paraître, et déjà on bat la générale dans toutes les sections de Paris. La nuit avait été pluvieuse et froide ; les rues étaient engorgées par la fonte de la neige[22]. Le jour se leva si sombre et si voilé de brouillard qu'il semblait continuer la nuit. Une brume épaisse et glacée répandait une teinte funèbre sur la nature en deuil. Le son perçant des trompettes et le roulement des tambours éveillent la population ; tout s'agite, tout frémit, tout s'émeut dans l'intérieur des maisons. Les femmes et les enfants se retirent, la douleur au cœur et l'épouvante au front, dans les appartements les plus reculés ; les hommes et les jeunes gens s'arment, la plupart en gémissant, afin d'aller faire la haie et maintenir l'ordre matériel dans la rue, pendant que cet immense désordre moral, la mort d'un Roi tué par son peuple, s'accomplira sur la place du 21 Janvier. La révolution commande, et la peur obéit, la peur complice des crimes qu'elle déteste tout bas, et qui les commet en les détestant, car c'est elle qui les rend possibles. Tout ce qu'il y a d'hommes perdus, les pourvoyeurs de la lanterne, les aboyeurs des clubs, les égorgeurs des journées révolutionnaires, parcourent de bonne heure les rues des faubourgs la menace à la bouche et en poussant des cris de triomphe. Tout s'émeut, les bons comme les pervers, ceux-ci de joie et d'impatience, ceux-là de douleur et d'effroi ; dans tout Paris, il n'y a de calme et de serein que le front du juste qui va mourir.

Le mouvement de la ville se fait entendre très-distinctement dans la tour et glace le sang dans les veines du prêtre et du serviteur, derniers amis du dernier Roi de France. Louis XVI, prêtant un instant l'oreille, dit sans aucune émotion : C'est probablement la garde nationale qu'on commence à rassembler[23].

Elle se rassemblait en effet. Peu après, des détachements de cavalerie entrent dans la cour du Temple, et on reconnaît parfaitement la voix des officiers et les pas des chevaux. Le Roi écoute encore et dit avec le même sang-froid : Les voilà qui approchent.

Fidèle à la parole donnée et cédant au besoin de son cœur, il veut revoir une dernière fois sa famille ; l'abbé Edgeworth le supplie instamment de ne pas mettre la Reine à une épreuve qu'elle n'aurait pas la force de soutenir. Le Roi s'arrête un moment, et, avec l'expression de la douleur la plus profonde : Vous avez raison, monsieur, ce serait lui donner le coup de la mort ; il vaut mieux me priver de cette triste consolation et la laisser vivre d'espérance quelques moments de plus. Alors sortant de son cabinet, il appelle Cléry, et le tirant dans l'embrasure de la croisée, il lui dit : Vous remettrez ce cachet à mon fils, cet anneau à la Reine ; dites-lui bien que je la quitte avec peine. Ce petit paquet renferme des cheveux de toute ma famille, vous le lui remettrez aussi. Dites à la Reine, à mes chers enfants, à ma sœur, que je leur avais promis de les voir ce matin, mais que j'ai voulu leur épargner la douleur d'une séparation si cruelle ; combien il m'en coûte de partir sans recevoir leurs derniers embrassements !... Ayant essuyé quelques larmes, il ajoute avec l'accent le plus douloureux : Je vous charge de leur faire mes adieux. Puis il rentre dans son cabinet.

Les municipaux, qui s'étaient approchés, ont entendu le Roi et l'ont vu remettre à Cléry les différents objets que celui-ci tient encore dans ses mains. Ils lui ordonnent de les leur livrer ; mais un d'eux propose de l'en laisser dépositaire jusqu'à la décision du conseil, et cet avis est écouté.

Un quart d'heure après Louis XVI sort de son cabinet : Demandez, dit-il à Cléry, si je puis avoir des ciseaux, et il rentre. Cléry en fait la demande aux commissaires. Savez-vous ce qu'il en veut faire ?Je n'en sais rien. — Il faut le savoir. Cléry frappe à la porte du cabinet, et les municipaux qui l'accompagnent disent au Roi qui se présente : Vous avez désiré des ciseaux, mais, avant d'en faire la demande au conseil, il faut savoir dans quel but. — C'est pour que Cléry me coupe les cheveux, répond Louis XVI. Les commissaires se retirent, un d'eux descend à la chambre du conseil, et, après une demi-heure de délibération, on refuse les ciseaux. C'est Mercereau qui vient cette fois frapper à la porte du cabinet et qui annonce au Roi cette décision. Je ne toucherai pas aux ciseaux, dit le Prince ; je désire que Cléry me coupe les cheveux en votre présence ; voyez encore vos collègues, monsieur : ma demande ainsi faite et expliquée, on ne peut la rejeter. — Oh ! oh ! tout cela était bon lorsque vous étiez roi, mais vous ne l'êtes plus. Louis ne réplique pas un mot ; il referme la porte, et retournant à M. de Firmont, qui avait entendu les paroles de Mercereau, il se contente de lui dire : Vous voyez comme ces gens-là me traitent ; mais il faut savoir tout souffrir.

Quelques minutes se passent ; le Roi est de nouveau interrompu par un municipal qui lui annonce le refus persistant et formel du conseil. Il rentre dans son cabinet et dit en souriant à M. Edgeworth : Ces gens-là voient partout des poignards et du poison. Ils craignent que je ne me tue. Hélas ! ils me connaissent bien mal ! Me tuer serait un crime ; j'aurai la force de bien mourir.

Deux municipaux disent alors à Cléry qu'il faut se disposer à accompagner Louis XVI pour le déshabiller sur l'échafaud. A cette annonce Cléry est saisi de terreur, mais rassemblant toutes ses forces il se prépare à rendre ce dernier devoir à son maître, à qui cet office fait par le bourreau répugnait, lorsqu'un autre commissaire arrivant de la salle du conseil vient lui dire : Cléry, vous ne sortirez pas, le bourreau est assez bon pour lui !

Chaque fois qu'on était venu déranger le Roi dans son cabinet, M. Edgeworth, qui depuis sept heures y était renfermé avec lui, avait éprouvé un frisson inexprimable, tremblant à chaque fois que ce ne fût la dernière. Chaque seconde en s'écoulant autorise et augmente ses terreurs. Il est près de neuf heures ; le mouvement des armes et des chevaux, le transport des canons qu'on place et qu'on déplace sans cesse, tout ce bruit jette dans la tour un sinistre avertissement. Les grosses portes de l'appartement du Roi s'ouvrent avec fracas. M. Edgeworth frémit encore, et cette fois avec juste raison : voici Santerre.

Accompagné de Jacques-Claude Bernard[24] et de Jacques Roux[25], officiers municipaux et prêtres assermentés, que l'influence d'Hébert avait indiqués au choix de la Commune comme plus dignes de conduire le Roi à l'échafaud, le commandant général entre à la tête de dix gendarmes qui se rangent sur deux lignes. Cinq ou six municipaux se groupent aussi dans la chambre du Roi. Louis XVI ouvre la porte de son cabinet : Vous venez me chercher ? dit-il à Santerre. — Oui. — Je suis en affaire, dit le Roi avec autorité, je vous demande une minute, attendez-moi là. Il referme la porte, et se mettant à genoux devant l'abbé Edgeworth : Tout est consommé, monsieur ; donnez-moi votre bénédiction, et priez Dieu qu'il me soutienne jusqu'au bout. Il se relève promptement, et, sortant de son cabinet, il s'avance vers la troupe, qui était demeurée au milieu de la chambre à coucher. Tous avaient le chapeau sur la tête ; le Roi s'en aperçoit et demande aussitôt le sien. Tandis que Cléry, baigné de larmes, court le chercher, le Roi dit : Y a-t-il parmi vous quelques membres de la Commune ? Jacques Roux s'avançant : Je vous prie, monsieur, continue Louis XVI, de déposer cet écrit entre les mains du président du conseil général. (C'était son testament.)Je ne puis, réplique Jacques Roux, me charger d'aucun paquet ; ma mission se borne à vous conduire à l'échafaud. — Ah ! c'est juste, dit le Roi sans témoigner aucune indignation ; il adresse alors la même demande à un commissaire de garde au Temple, nommé Baudrais, qui se charge de son testament, et qui, l'ayant contre-signé, le remit au conseil général de la Commune[26]. S'adressant ensuite à un autre municipal[27] : Remettez, je vous prie, ce papier à ma femme ; vous pouvez en prendre lecture, il y a des dispositions que je désire que la Commune connaisse.

Cléry était derrière le Roi près de la cheminée, le Prince se retournant, Cléry lui présenta sa redingote : Je n'en ai pas besoin, dit Louis XVI ; donnez-moi seulement mon chapeau. Cléry le lui remet ; la main du Roi rencontre celle de son serviteur, qu'il serre pour la dernière fois : Messieurs, dit-il en s'adressant aux municipaux, je recommande aussi à la Commune Cléry, mon valet de chambre, des services duquel je n'ai qu'à me louer. On aura soin de lui donner ma montre et tous mes effets, tant ceux que j'ai ici que ceux qui ont été déposés à la Commune. Je désirerais que Cléry restât près de mon fils, qui est accoutumé à ses soins ; j'espère qu'en récompense de l'attachement qu'il m'a montré, on le laissera à la disposition de la Reine... de ma femme, ajouta-t-il avec précipitation. Je recommande aussi à la Commune mes anciens serviteurs de Versailles et des Tuileries. Personne ne répondant, le Roi regarde Santerre et dit d'un ton ferme : Partons !

A ce mot, le dernier qu'il ait prononcé dans son appartement, on se met en marche. A l'entrée de l'escalier Louis XVI rencontre Mathey et lui dit : J'ai eu un peu de vivacité avant-hier envers vous, ne m'en voulez pas. Mathey détourne la tête, ne répond rien, et affecte même de se retirer au moment où le Roi lui parle.

On descend. Santerre et les municipaux environnent le Roi ; son confesseur le suit ; les gendarmes défilent. Le roulement des tambours annonce le départ. Louis traverse à pied la première cour au milieu d'une haie épaisse de piques et de baïonnettes ; il se retourne par deux fois vers la tour pour dire adieu à tout ce qu'il laisse de cher en ce monde, et, au mouvement qu'il fait, on voit qu'il rappelle sa force et son courage.

A l'entrée de la seconde cour se trouve une voiture[28], dont deux gendarmes tiennent la portière ; à l'approche du Roi, l'un d'eux y entre le premier, et se place sur le devant. Louis XVI pensait jusqu'à ce moment que l'assistance de son confesseur se terminerait à sa sortie du Temple ; il voit avec un étonnement qui devient une consolation, qu'on ne songe pas à le lui enlever ; il monte dans la voiture et s'assied au fond avec l'abbé Edgeworth ; le second gendarme monte le dernier, prend place auprès de son camarade et ferme la portière. On a assuré que ces deux hommes avaient ordre d'assassiner le Roi, au moindre mouvement qu'ils remarqueraient dans le peuple ; on a prétendu aussi que l'un d'eux était un prêtre déguisé : c'est une version que rien n'autorise[29].

Au reste, cette crainte d'un mouvement a quelque chose de fondé. Un grand nombre de personnes dévouées ont formé le dessein d'arracher de vive force le Roi aux mains de ses bourreaux. L'âme du complot, le baron de Batz, rentré en France depuis peu de jours, ayant reconnu l'impossibilité de tenter, au Temple, la délivrance de la famille royale, a employé une incroyable activité à organiser une association de toutes les personnes prêtes à sacrifier leur vie pour sauver celle du Roi. Le descendant de ce glorieux compagnon de Henri IV, Manaud de Batz, qui sauva la vie de son maître à la prise d'Eauze, et ne le quitta dans les combats de Cahors et de Coutras que de la longueur de sa hallebarde, veut renouveler l'exemple du dévouement de son aïeul en sauvant le descendant de ce bon roi. Un appel secret a été fait dans toutes les sections de Paris aux jeunes gens ennemis de la Convention ; M. de Batz compte sur quinze cents à deux mille d'entre eux ; il pense, d'ailleurs, qu'une force bien moindre doit suffire pour entraîner, par un généreux exemple, une population facile à émouvoir, mise malgré elle sous les armes, et témoin malgré elle d'un forfait dont on veut qu'elle paraisse complice. Dans le long trajet qui sépare le Temple de la place Louis XV, désignée pour l'immolation royale, il a cherché le lieu le plus favorable à l'accomplissement de son projet. Il sait que, quelque nombreuse que soit l'escorte, les régicides redouteront le passage par les rues, et préféreront les boulevards, comme cela avait eu lieu les deux fois que Louis XVI avait été conduit à la Convention, et qu'ainsi le cortège aura à remonter de la porte Saint-Denis au boulevard Bonne-Nouvelle. Là, l'espace s'élargit tout à coup, et reçoit un grand nombre de rues par lesquelles des assaillants peuvent survenir presque clandestinement, et en un instant couronner cette hauteur. Là, encore, sera à peu près nulle contre eux l'action des bouches à feu que l'escorte traînera avec elle, et dont elle voudra faire usage de bas en haut, tandis que les rues latérales livreront aux assaillants les flancs du cortège dès qu'il s'engagera dans ce passage. Ces divers motifs ont décidé le chef de l'entreprise à choisir ce lieu, comme offrant le plus de chance pour l'attaque de l'escorte et pour le salut de la victime. Il espère, et il lui est peut-être permis d'attendre de l'exaspération et de l'horreur qu'inspire de plus en plus le crime de la Convention, que la masse des spectateurs se joindra soudainement aux agresseurs qui donneront ce courageux signal ; et même il ose présumer de l'enthousiasme qu'après avoir délivré le Roi, tous se porteront en foule au sein de cette même Convention, pour y relever le trône.

C'est là le rêve de M. de Batz ; mais les comités savent fort bien que Paris, pas plus que la France, ne veut la mort de Louis XVI ; ils sont informés que, depuis quelques jours, on répand, par tous les moyens, un grand nombre d'écrits dans lesquels on exhorte les femmes, on invite le peuple à sauver le Roi ; que des dames de distinction et de riches marchandes doivent aller chercher les femmes de la halle, devenues une puissance dans la révolution, pour crier gràce en faveur de Louis XVI.

Les conventionnels savent également que la jeunesse se soulève, et qu'il se prépare des mouvements ; aussi ont-ils pris, pour prévenir les événements qui les menacent, des mesures telles que l'audace peut en dicter à des hommes ivres de pouvoir et de fureur.

La place de Grève avait vu s'élever la potence de Favras, la place du Carrousel se dresser l'échafaud de Laporte, ancien intendant de la liste civile. Mais la Convention, voulant entourer l'exécution du Roi d'un vaste déploiement de forces, a adopté exceptionnellement la place de la Concorde, qui va devenir la place de la Révolution.

La Commune a ordonné l'appareil formidable qui enveloppera si bien la victime, que le bourreau seul pourra l'approcher. Elle a ordonné à tous les jeunes gens de se rendre au matin du jour funeste, à telle heure, en tel lieu, chacun dans son quartier, avec avertissement qu'il sera tenu deux contrôles, l'un des présents, l'autre des absents, et que ces derniers, sans autre examen, seront réputés conspirateurs ; les pères sont déclarés responsables de la conduite de leurs enfants. Tout ce qui est en état de porter les armes, excepté les fonctionnaires publics, doit, indistinctement, se trouver avant le jour au poste désigné[30] ; là, on enjoint sévèrement à chacun de garder, d'aussi loin qu'il voit venir l'escorte, le silence le plus profond, l'immobilité la plus absolue. Défense à toutes autres personnes de paraître dans les rues de Paris, et de se montrer aux portes et aux fenêtres, sur le passage du condamné ; défense à qui que ce soit de passer entre les haies et de s'avancer sur le chemin destiné au cortège, sous peine d'être traité de conspirateur, c'est-à-dire sous peine de mort ; défense à toute voiture de rouler ce jour-là ; défense à tous les corps de troupe de quitter les postes assignés avant que leurs chefs aient reçu l'ordre spécial du départ, de crainte que leur marche ne devienne un premier ébranlement favorable au mouvement médité pour sauver Louis XVI.

Comme complément de ces mesures, Santerre a envoyé à toutes les barrières une force suffisante, à pied et à cheval, pour empêcher qu'aucun rassemblement, de quelque nature qu'il soit, armé ou non armé, n'entre à Paris ou n'en sorte[31]. De plus, par arrêté de la police, il est interdit aux femmes de la halle de se rendre à leurs places dans les .marchés avant que l'exécution soit accomplie. L'action des clubs vient en aide à l'action des comités ; elle en stimule le zèle, elle en surveille les opérations[32]. Les administrateurs de la police aiguillonnent l'activité des sections[33]. Enfin, des avis perfides sont jetés en circulation : Les espions des comités sont dans tous les rangs ; d'énormes récompenses sont promises aux dénonciateurs ; il y aura peine de mort contre quiconque remuera.

Telles sont les faibles combinaisons projetées pour délivrer le Roi ; telles sont les fortes dispositions prises pour le faire périr. Si la tristesse et l'indignation empreintes sur les visages laissent à quelques-uns l'espérance d'épargner une grande honte à la révolution, des précautions combinées avec art donnent aux autres la certitude de faire du 21 janvier le jour le plus exécrable de l'histoire nationale.

Le sinistre roulement des tambours se prolonge et annonce la sortie du Temple. La rue, dans son court espace jusqu'au boulevard, est garnie de plus de dix mille hommes armés. Toutes les portes, toutes les fenêtres sont closes. Le boulevard où passe le cortège est bordé, de chaque côté et sans intervalle, d'une double haie d'hommes sur quatre rangs, serrés comme des murs et armés de fusils ou de piques. La place de la Révolution est elle-même cernée de tous côtés par un rempart de plus de vingt mille hommes. Toute la population en état de porter les armes est ainsi resserrée sur une ligne, formant un camp d'une lieue .de longueur. Tous les autres quartiers de la capitale ressemblent à de vastes solitudes dépeuplées par le courroux d'un Dieu vengeur.

Le carrosse qui traîne la victime est précédé et suivi d'un grand nombre de canons et escorté par un corps considérable de troupes à pied et à cheval, composé des fédérés dits Marseillais, d'assassins de septembre et d'autres hommes déterminés. Une multitude de tambours marchent en avant des chevaux de la voiture, afin d'étouffer par leur bruit les cris libérateurs qui pourraient se faire entendre. A des distances rapprochées, sont postés de forts détachements de toutes armes, destinés à se porter sur le point menacé en cas d'événement. Le jour est sombre et douteux. Caché sous un brouillard épais, le soleil semble refuser sa lumière au crime qui va se commettre, et auquel la nature paraît plus sensible encore que les hommes.

Louis XVI, resserré avec son confesseur dans une voiture où il ne peut ni lui parler ni l'entendre sans témoins, prend le parti du silence. M. de Firmont lui présente son bréviaire ; le Roi paraît l'accepter avec reconnaissance, il témoigne même le désir que le prêtre lui indique les psaumes qui conviennent le mieux à sa situation, et il les récite alternativement avec lui. Les deux gendarmes, sans ouvrir la bouche, paraissent extasiés et confondus tout ensemble de la piété tranquille de ce Roi qui va mourir.

Cependant deux groupes, peu nombreux, il est vrai, se sont formés, l'un à la droite et l'autre à la gauche du boulevard, derrière le quadruple rang des hommes armés. La voiture arrive à la porte Saint-Denis. Placé sur la hauteur du boulevard Bonne-Nouvelle, M. de Batz l'entrevoit au milieu du formidable cortège. Il cherche vainement dans les rues latérales, d'où doit partir l'attaque, les compagnons de son entreprise. Les rues sont désertes, les maisons fermées ; à travers un brouillard glacial, il n'aperçoit que la solitude. Désespéré de cet abandon, il craint d'être forcé de reculer à l'approche de la voiture ; mais ses espérances renaissent à la vue des deux groupes dont nous avons parlé. Tout aussitôt, deux jeunes gens se détachent de l'un de ces groupes et viennent à lui ; accompagné d'eux et de Devaux, son ami[34], il s'élance le sabre à la main, s'ouvre un passage à travers la haie, et tous quatre s'écrient avec force, à plusieurs reprises : A nous Français ! à nous ceux qui veulent sauver leur Roi !... Dans cet amalgame immense de population armée, nul ne répond à ce cri. Les soupçons et la défiance ont circulé dans tous les rangs. Chacun s'effraye de son voisin, et croit voir en lui un délateur ou un meurtrier ; la terreur glace toutes les âmes ; le silence de la mort règne partout. De Batz et ses amis, n'apercevant aucun mouvement en leur faveur, repassent au travers de cette haie d'hommes stupéfaits ; ils appellent les deux groupes, ceux-ci accourent ; mais à l'instant, averti par une vedette, un des corps de réserve fond sur cet homme intrépide et sur ses compagnons ; les deux jeunes gens veulent se jeter dans une maison, cette maison est close ; ils sont hachés à la porte, et leurs noms périssent avec eux. De Batz et Devaux disparaissent.

Cet incident ne jette aucun trouble dans le cortège ; la marche continue sans interruption. Dans la voiture, on n'a rien vu, on n'a rien entendu. M. de Firmont, cependant, quoique tout entier aux saintes pensées de son ministère, n'est pas dégagé de toute préoccupation extérieure : deux jeunes gens qui devaient être acteurs dans le complot sont venus l'en prévenir la veille ; et, sans croire absolument à la possibilité du succès, un reste d'espérance l'agite encore malgré lui. Quant à Louis XVI, il n'appartient plus. à la terre ; il ne voit rien de cette innombrable armée qui l'entraîne, il ne voit rien de ces terribles précautions qui ont été prises pour rendre toute commisération impuissante, pour arrêter tout cri de grâce sur les lèvres : il lit avec calme les prières des agonisants, et se livre tout entier aux sentiments que ces sublimes et touchantes prières font entrer dans son âme.

Depuis ce moment, il n'y a pas l'ombre d'une nouvelle manifestation sur la route ; le cortège s'avance dans le plus grand silence. Une heure s'est écoulée depuis son départ du Temple. A chaque pas, à chaque minute, l'espérance décroît, puis s'éteint dans le cœur de M. de Firmont. Enfin la fatale voiture arrive à la place de la Révolution et s'arrête au milieu d'un grand espace vide qu'on a laissé autour de l'échafaud, dressé entre le piédestal de la statue de Louis XV et l'avenue des Champs-Elysées. Il était dix heures vingt minutes[35]. Le Roi, sentant que la voiture n'avance plus, lève les yeux, ferme le bréviaire en maintenant le doigt à la page qu'il lisait, et se retournant vers l'abbé Edgeworth, il lui dit : Nous voilà arrivés, si je ne me trompe. Le prêtre se tait et s'incline. Louis XVI rouvre son livre et lit les deux derniers versets du psaume inachevé. Les bourreaux sont là ; un d'eux a ouvert la portière, et les gendarmes veulent descendre. Le Roi les arrête, et appuyant sa main sur le genou de M. Edgeworth : Messieurs, leur dit-il d'un ton de maître, je vous recommande monsieur que voilà. Je vous charge d'y veiller. Ces deux hommes ne répondant rien, le Roi veut reprendre d'un ton plus haut ; mais l'un d'eux lui coupe la parole : Oui, oui, nous en aurons soin, laissez-nous faire.

 L'accent qui accompagne cette réponse glacerait M. de Firmont, si dans un moment pareil il lui était permis de se replier sur lui-même.

Louis XVI lui rend son bréviaire, et, le premier, il descend de voiture. Il se tourne vers le château des Tuileries, promène les yeux sur la multitude armée qui l'environne, et dit d'une voix terrible aux tambours : Taisez-vous ! Les tambours s'arrêtent soudain. Santerre est à cheval à quelque distance ; il accourt, il ordonne de continuer le roulement. Les tambours reprennent. Trois bourreaux entourent le Roi et veulent lui ôter ses habits ; mais il les repousse avec force et se déshabille lui-même ; il délie ses cheveux, il ôte sa cravate, il ouvre sa chemise pour découvrir son cou et ses épaules, et se met à genoux pour recevoir la dernière bénédiction de son confesseur. Aussitôt il se relève et pose le pied sur la première marche de l'échafaud. Les exécuteurs, que sa contenance fière avait un moment déconcertés, l'arrêtent et veulent lui prendre les mains. Que prétendez-vous ? leur dit le Prince en retirant ses mains avec vivacité. — Vous lier, répond un des bourreaux. — Me lier ! dit le Roi avec indignation, je n'y consentirai jamais ; et d'ailleurs c'est inutile : je suis sûr de moi. Les exécuteurs insistent : Non, non, reprend le Roi ; faites tout ce qui vous est commandé, mais vous ne me lierez pas : renoncez à ce projet. Les bourreaux élèvent la voix et semblent déjà appeler du secours pour agir de vive force.

C'est ici peut-être le moment le plus affreux de cette lamentable matinée. Une minute de plus, et le Roi de France recevait un outrage mille fois plus insupportable que la mort. Il parait le craindre lui-même ; et, se retournant vers l'abbé Edgeworth, il le regarde fixement comme pour lui demander conseil. Hélas ! quel conseil ! Le prêtre ne lui répond d'abord que par son silence ; mais comme le Roi continue de le regarder : Sire, dit-il avec larmes, dans ce nouvel outrage, je ne vois qu'un dernier trait de ressemblance entre Votre Majesté et le Dieu qui va être sa récompense ! A ces mots Louis XVI lève les yeux au ciel avec une expression de douleur indicible. Assurément, dit-il, il ne me faut rien moins que son exemple pour que je me soumette à un pareil affront. Et, se tournant vers les bourreaux : Faites ce que vous voudrez, je boirai le calice jusqu'à la lie.

Ses mains sont aussitôt liées avec son mouchoir, et non avec une corde. Ses cheveux tombent sous les ciseaux. J'espère qu'à présent, dit-il, on me permettra de parler. Et il monte sur l'échafaud. Les marches en sont extrêmement roides. Privé de ses mains, le Roi s'appuie avec le coude sur le bras de son confesseur ; et, à la peine qu'il semble prendre, celui-ci craint un moment que son courage ne commence à fléchir. Mais quel est l'étonnement de M. de Firmont, lorsque, parvenu à la dernière marche, il le voit s'échapper pour ainsi dire de ses mains, traverser d'un pied ferme toute la largeur de l'échafaud, imposer silence d'un regard à quinze ou vingt tambours placés vis-à-vis de lui, et, d'une voix si forte qu'elle fut entendue du pont Tournant, prononcer ces paroles à jamais mémorables :

Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France ! Et vous, peuple infortuné !...

 

Ici une voix éclatante, la voix de Santerre, s'écrie : Ne le laissez donc pas parler ! Santerre ajoute : Je vous ai amené ici non pour haranguer, mais pour mourir. Un officier à cheval fond sur les tambours, l'épée en l'air, et les oblige de battre. Pendant que le saint prêtre, agenouillé, s'écrie : Fils de saint Louis, montez au ciel ! les clameurs des assassins de septembre, groupés autour de l'échafaud, se font entendre pour encourager les bourreaux. Ceux-ci paraissent s'animer eux-mêmes, et, saisissant le Roi avec effort, ils l'attachent et le poussent sous la hache, qui tombe et fait rouler sa tête.

Le plus grand silence règne d'abord parmi les spectateurs, saisis malgré eux d'une horreur invincible. Le plus jeune des bourreaux — il ne semble pas avoir plus de dix-huit ans — ramasse aussitôt cette tête sanglante qui a porté la couronne de France, il la montre au peuple en faisant le tour de l'échafaud. Placé au-dessous de lui, M. de Firmont, toujours à genoux sur un degré de la guillotine, sent des gouttes humides arroser sa tête courbée : c'est le sang du martyr qui vient de sacrer une seconde fois le front du prêtre.

Bientôt quelques cris de : Vive la nation, vive la République ! se font entendre. Peu à peu les voix se multiplient ; en quelques minutes, ce cri devient le cri de la multitude. Une agitation immense se répand sur la place. M. Edgeworth parvient à percer les mille rangs de piques et de baïonnettes qui l'entourent, et va cacher dans l'ombre une vie miraculeusement conservée, marquée d'un rayon de gloire et remplie désormais d'un souvenir impérissable[36]. Les deux commissaires du Conseil exécutif, les deux délégués du directoire du département, les deux mandataires de la municipalité, spécialement nommés et réunis à l'hôtel de la Marine pour assister, de ce lieu, au supplice de Louis Capet, dressent aussitôt le procès-verbal de son exécution[37].

Les cris de la place Louis XV retentissent jusque dans l'enceinte de la Convention. Pales sur leurs sièges, les députés de la Montagne y répondent par leurs clameurs ; et l'Assemblée impatiente, tandis que le sang de la victime coule encore, décrète une adresse aux Français pour leur porter l'apologie du crime et le panégyrique du régicide.

Voici comment Prudhomme raconte cette scène, qu'il appelle une scène digne des pinceaux de Tacite :

Un citoyen monte sur la guillotine, et, plongeant tout entier son bras nu dans le sang de Capet, qui s'était amassé en abondance, il en prit des caillots plein la main et en aspergea par trois fois la foule des assistants qui se pressaient au pied de l'échafaud pour en recevoir chacun une goutte sur le front. Frères, disait le citoyen en faisant son aspersion, frères, on nous a menacés que le sang de Louis Capet retomberait sur nos têtes, eh bien, qu'il y retombe ! Louis Capet a lavé tant de fois ses mains dans le nôtre ! Républicains, le sang d'un Roi porte bonheur ![38]

 

Le sang du roi Louis XVI ne devait point porter bonheur.

Peu à peu les rangs se débandent sur la place fatale. La lie la plus ignoble de la populace se précipite vers l'échafaud : des hommes, des enfants rougissent leurs armes du sang qui ruisselle, ceux-là y trempent leurs mains ; ceux-ci en teignent leurs vêtements ; d'autres veulent même que leur visage en soit marqué. Des cris d'une joie sauvage retentissent dans les airs, une ronde de cannibales s'exécute autour de l'autel du sacrifice ; un misérable y monte[39], met au bout d'une pique l'habit de la victime, et crie à ce peuple qui bouillonne, qui danse et qui hurle : Voilà l'habit d'un tyran !

Aussitôt cet habit est mis en pièces. Le chapeau de la victime, resté sur la première marche de l'échafaud, est également lacéré ; mille mains s'en disputent les lambeaux : chacun veut emporter un souvenir du spectacle dont il a été témoin[40].

Hélas ! de même qu'en- lisant les actes du martyre de Louis XVI on comprend que la vertu humaine peut faire descendre le ciel sur la terre, on comprend aussi que la perversité humaine peut y faire monter l'enfer, lorsqu'on lit les crimes, les fureurs et les joies hideuses de ses meurtriers.

Les témoins oculaires du sacrifice ont pu varier sur quelques détails, mais sur le fond, leur témoignage est unanime. Le descendant des Hardis, des Saints et des Forts, montra, dans cette terrible épreuve, un courage sans ostentation, une douceur sans faiblesse, et cette sérénité de visage qui vient de la sérénité de l'âme. Du reste, il faut placer sous les yeux de la postérité quelque chose de plus que les paroles d'un témoin, celles d'un acteur de ce formidable drame où il n'y a que deux acteurs, celui qui est tué et celui qui tue.

Voici la déclaration que le bourreau, provoqué par un journal du temps, adressa à ce journal[41]. Nous la donnons dans son intégrité, avec ses fautes d'orthographe. Modifier un tel document, ce serait l'altérer :

CITOYEN :

Un voyage d'un instant a été la cause que je n'aie pas eut l'honneur de répondre à l'invitation que vous me faite dans votre journal au sujet de Louis Capet. Voici suivant ma promesse l'exacte véritée de ce qui c'est passé. Descendant de la voiture pour l'exécution, on lui a dit qu'il faloit oter son habit, il fit quelques difficultécs en disant qu'on pouvoit l'exécuter comme il étoit. Sur la représentation que la chose étoit impossible, il a lui-même aidé à oter son habit. Il fit encore la même difficultée lorsqu'il cest agi de lui lier. les mains, qu'il donna lui-même lorsque la personne qui l'accompagnoit lui eut dit que c'etoit un dernier sacrifice. Alors ? il s'informa sy les tembours batleroit toujour, il lui fut repondu que l'on n'en savoit rien. Et c'etoit la véritée. Il monta l'echaffaud. Et voulu foncer sur le devant comme voulant parler. Mais ? on lui représenta que la chose etoit impossible encore, il se l'aissa alors conduire à l'endroit où on l'attachat. Et où il s'est ecrié très haut. Peuple, je meurs innocent. Ensuitte se retournant ver nous. il tous dit Messieur je suis innœgnt de tout ce dont on m'imculpe. Je souhaite que mon sang. puisse cimenter le bonheur des Français. Voilà citoyen ses dernières et ses véritables paroles.

L'espèce de petit debat qui se fit au pied de léchaffaud roulloit, sur ce qu'il ne croyait pas nécessaire qu'il otat son habit et qu'on lui liat les mains. Il fit aussi la proposition de se couper lui-même les cheveux.

Et pour rendre homage à la véritée, il a soutenu tout cela avec un sang froid et une fermetté qui nous a tous étonnés.

Je reste très convaincu qu'il avoit puisé cette fermetée dans les principes de la religion dont personne plus que lui ne paraissoit penetrée ny persuadé.

Vous pouvez être assuré, citoyen, que voila la véritée dans son plus grand jour.

J'ay l'honneur destre citoyen

Votre concitoyen

SANSON.

Paris, ce 20 février 1793, l'an II de la République française.

 

Cet hommage rendu au martyr par l'exécuteur, à Louis XVI par Charles Sanson, peu de jours après l'immolation du 21 janvier, est un des documents les plus imposants qu'on rencontre dans l'histoire. L'homme de la guillotine, habitué à tuer et à voir mourir, s'étonna devant cette mort royale ; il comprit que la force morale que déployait le Roi avait quelque chose de surhumain.

Ce ne fut pas tout : frappé lui-même du coup qu'il avait été condamné à porter, il descendit de l'échafaud plus mort que vif ; et depuis, chaque fois qu'il eut à y remonter, il se sentit en proie à un saisissement indicible. Chose nouvelle dans ses terribles fonctions, le bourreau eut des remords, et des remords si poignants qu'ils anéantirent ses forces. Sa santé l'obligea à donner sa démission le 13 fructidor an III (30 août 1795). Le repos et les soins ne devaient point calmer une néphrétique dont les attaques étaient devenues de plus en plus fréquentes. Quelques années plus tard, lorsque les églises furent rendues au culte, Charles Sanson n'oublia jamais, au retour du sanglant anniversaire, de demander à sa paroisse une messe expiatoire pour le repos de l'âme de Louis XVI. Ayant succombé à ses infirmités le 4 juillet 1806, son fils Henri Sanson, qui était devenu son successeur sur l'échafaud, accepta aussi son héritage devant l'autel, et tous les ans, le 21 janvier, il faisait dire une messe funèbre à laquelle assistait, en deuil, toute sa famille, au nombre de trente à quarante personnes ; ainsi la première expiation du meurtre du 21 janvier vint du bourreau[42].

Ne semble-t-il pas que le Ciel ait voulu qu'aucun genre de ressemblance ne manquât entre la passion royale et la passion divine ? Les vêtements du Roi sont partagés après sa mort comme ceux du Christ ; et voici que Sanson, remplissant à sa manière le rôle du centenier, se retire après le supplice en se frappant la poitrine et en répétant : Vere hic homo erat justus !

Tout est consommé. La plus grande partie de cette multitude qui encombrait la place s'est dispersée peu à peu comme poursuivie par une sombre terreur. Chacun se retire marchant la tête baissée et retourne s'enfermer dans ses foyers avec sa famille. Là on raconte ce qui s'est passé, et les ennemis eux-mêmes n'osent se réjouir. Paris reste plongé dans une morne stupeur. Il semble que la vie est éteinte dans la cité régicide, dont toutes les maisons restent silencieuses comme si elles étaient inhabitées ; mais la plus vive agitation règne dans les esprits, dont un seul objet fixe la pensée et absorbe toutes les facultés. S'il était donné à l'œil de l'homme de pénétrer dans l'asile de chaque habitant de la grande ville, quel tableau d'effroi, de douleur, de regrets, et peut-être de remords ! Que de gémissements étouffés ! que de larmes muettes ! Que de pères, que de mères de famille frappés d'un saisissement mortel[43] ! Vergniaud lui-même, agité d'une fièvre ardente, l'âme oppressée et d'une voix éteinte, raconte à un de ses amis que l'image sanglante du Roi s'est, la nuit précédente, dressée devant lui comme un affreux spectre dont la tête coupée murmurait le mot de reproche et le mot de pardon.

Deux heures. — Le brouillard s'est encore épaissi, aucun magasin ne s'est ouvert. Le silence le plus lugubre règne toujours dans les rues et sur les places publiques ; il n'est interrompu, à longs intervalles, que par le passage de quelques scélérats dont les cris sanguinaires et les danses barbares célèbrent cette journée hideuse, et poursuivent de leurs rugissements quelques rares habitants qui fuient à leur approche. Les patrouilles circulent, Paris semble mort.

Déjà se répand au dehors de la ville la nouvelle du meurtre qui enlevait tant d'honneur à la République et tant de repos peut-être aux générations futures. Le deuil s'étend comme un crêpe funèbre sur toutes les provinces ; le soldat fait éclater dans les camps son étonnement et sa douleur ; les femmes sont saisies d'un tremblement d'horreur : immobile dans son effroi et complice par son inaction, la France indignée et honteuse a compris que l'ombre sanglante de cet échafaud s'étendra pendant de longues années sur son histoire.

Mais elle n'a pas sondé encore la profondeur de l'abîme que creusait pour elle en tombant cette tête de roi. Elle n'a point compté les flots de sang humain et les innombrables cadavres qui rouleront dans cet abîme sans le combler. Le grand poète de l'Angleterre, qui a parlé ici en grand philosophe et en grand politique, l'a dit : La vie de qui dépendent tant de vies, celle du souverain, est précieuse pour tous. La royauté ne tombe pas seule. Un crime fait-il disparaître la majesté royale, à la place qu'elle occupait s'ouvre un gouffre, et tout ce qui l'environne y est entrainé[44].

La France va en faire l'épreuve. Ce n'est pas sur le Roi qu'elle devrait pleurer, c'est sur elle-même. Lorsque l'Homme-Dieu mourut, la nature sembla agoniser et se dissoudre. Ainsi la France, que la royauté a pétrie de ses fortes mains pendant de longs siècles, semblera agoniser à son tour en face de l'échafaud du Roi. Malheur aux pervers qui l'ont jugé ! ils vont bientôt s'entre-dévorer les uns les autres. Tous ceux qui ont eu la principale part à cette sanglante iniquité portent au front un signe fatal qui les marque pour le bourreau. Les girondins, ces courtisans effrayés des fureurs révolutionnaires, ces régicides de l'ambition et de la peur, n'y échapperont pas. L'heure des montagnards viendra ; et ils ne manqueront pas à l'appel. C'est en vain que l'on croit avoir renversé l'échafaud de Louis XVI, il est resté debout, il attend ses juges, et, comme un formidable aimant, il attire toute une génération à la mort. Malheur aux bras qui n'ont pas commis le crime, mais qui l'ont laissé commettre ! La mort du Roi va devenir le signal de la plus épouvantable tyrannie qui ait jamais flétri une nation et pesé sur un peuple. Le régicide a inauguré la terreur. Tout ce qui est pur, tout ce qui est honnête, tout ce qui est noble, tout ce qui est beau, tout ce qui est éloquent, tout ce qui est illustre, est dévolu à l'échafaud. Combien de pères vont pleurer leurs fils ! combien de fils vont avoir à pleurer leurs pères ! Les vieillards qui ont trop vécu, les enfants qui n'ont pas vécu encore, les femmes, jusque-là épargnées dans les révolutions, tout est bon pour la mort. Malheur à la liberté au nom de laquelle le crime a été commis ! Elle le payera chèrement dans les temps qui vont suivre et plus longtemps encore. Dans le lointain de l'avenir on continuera de lui crier : Malheur à vous, vous vous appelez la République, et vous portez au front une tache du sang du Roi Louis XVI !

La prédiction du juste immolé se replace ici malgré nous sous notre plume : Le peuple réhabilitera ma mémoire quand il saura la vérité, quand il aura recouvré la liberté de se montrer juste ; mais, hélas ! jusqu'à ce temps il sera bien malheureux !

Oui, ses malheurs ont été grands, ses épreuves longues et terribles, et elles durent encore. Le sentiment de l'assassinat juridique du 21 janvier 1793, commis en France sans que la France l'ait empêché, pèse sur sa conscience, peut-être sur sa destinée ! C'est en vain qu'elle a cherché l'oubli de cette néfaste journée dans l'agitation des affaires, dans le tumulte des armes, dans les bras de la victoire, dans les sophismes des rhéteurs, qui, oubliant cette parole d'un ancien : Il est plus difficile de justifier un parricide que de le commettre, ont plaidé la nécessité ou les circonstances atténuantes du grand attentat. En vain les historiens, prostituant le génie à la réhabilitation du crime et jetant la pourpre de leur style sur une fange mêlée de sang, ont tenté de changer en piédestal l'échafaud orgueilleux des juges de Louis XVI, qui, dénoncés par leur vie, se sont drapés devant la postérité dans le stoïcisme de leur mort. Depuis ce jour, le principe de l'autorité et l'idée de l'ordre semblent se retirer de cette nation ; la vieille Europe chancelle sur ses bases, comme si elle était travaillée par les feux d'un volcan. Hélas ! le sang révolutionnaire passe, avant de se calmer, dans les veines de plusieurs générations, et le pavé rougi du sang royal sera remué plus d'une fois, pour enseigner au monde qu'on ne substitue pas impunément les passions des hommes aux lois de Dieu.

La calomnie avait commencé le meurtre de Louis XVI, le couteau l'acheva. Le roulement des tambours n'était que le prolongement de la rumeur universelle qui, depuis longtemps, avait couvert les vertus comme les paroles du Roi. Des dévouements partiels avaient en vain protesté contre l'injustice de son échafaud ; un dévouement isolé essaya en vain d'épargner à ses restes l'outrage de la sépulture réservée aux criminels. Dès qu'il eut appris la condamnation du Roi, l'abbé Benoît Le Duc, ancien titulaire de l'abbaye de Saint-Martin de Paris[45], avait couru chez le prince de Conti, le seul des princes du sang qui fût alors à Paris, et lui avait demandé s'il ne comptait pas réclamer le corps de Louis XVI. Je le désirerais, avait répondu le prince timide, mais ils ne me l'accorderont point, et c'est s'exposer inutilement. — Me permettez-vous, avait reparti l'abbé Le Duc, de faire cette démarche ?Je ne m'y oppose nullement, et je désire qu'elle réussisse, mais je ne le crois pas.

Dès le matin de la fatale journée, l'abbé Le Duc — c'est lui-même qui a raconté ces détails[46] — endosse un vieil habit brun qui ressemble assez à la livrée des jacobins, met dans sa poche un pistolet à deux coups et sort de sa demeure. Il apprend aussitôt qu'il faut être dans les rangs de la multitude armée pour avoir le droit de paraître dans les rues. Mais il est sans armes, son pistolet caché n'étant pas une arme avouable. Il se décide tout à coup, s'élance sur un de ceux qui se rendent à l'appel et lui arrache son fusil. Tout étourdi de la vivacité de l'action, le citoyen dépouillé ne sait à quoi attribuer ce mouvement rapide comme la foudre et dont il n'a pas le temps de demander la cause. Il se voit contraint, pour sa sûreté personnelle, de cacher sa honte en fuyant ; car son agresseur, déjà loin, s'est glissé dans les rangs de la population armée. A la faveur de ce stratagème, que justifie assez à ses yeux le projet qu'il a dans le cœur, l'abbé Le Duc s'avance ainsi avec la foule jusqu'à la hauteur de la Convention. Là, il sort des rangs et essaye de pénétrer dans la salle ; mais tous les abords sont hérissés de canons[47]. Un député passe en ce moment ; l'abbé Le Duc s'attache à ses pas, lui dit qu'il a une pétition de la dernière importance à présenter à l'Assemblée. Frappé de l'accent de vérité et de la parole décidée de celui qui l'adjure, le député consent à l'introduire dans un des vestibules, il se charge de transmettre au président la pétition par laquelle Le Duc réclame le corps de Louis, au nom de la loi qui accorde cette faveur aux parents des condamnés. Inconnu de la plupart, si ce n'est de tous les représentants du peuple, ce pétitionnaire étrange fait naître, par sa prétention de parenté avec le condamné, une hilarité ironique dans l'auditoire. Cependant cette demande présentant un caractère sérieux, l'Assemblée l'écoute jusqu'au bout, et apprend ainsi que Benoît Le Duc réclame les restes de Louis pour les déposer dans l'église cathédrale de Sens, à côté de ceux du grand Dauphin son père. Tandis que deux députés prenaient la parole contre cette pétition et la faisaient rejeter, d'autres, attirés dans le vestibule par la singularité des prétentions de famille du pétitionnaire, engageaient avec lui une conversation qui se termina par une menace d'arrestation. — Ne vous en avisez pas, dit l'abbé Le Duc au député le plus hostile : j'ai là un pistolet à deux coups ; si vous dites un mot, le premier coup est pour vous, et je délivrerai la terre d'un monstre ; le second est pour moi, et ainsi j'échapperai au supplice. La confusion que produit cette scène et le trouble qui règne partout à cette heure permettent à l'abbé Le Duc de s'éloigner[48].

La République avait décidé qu'elle ferait à ses frais l'enterrement du tyran, et que la chaux vive en consumerait les dépouilles. Dès la veille, le curé de la Madeleine de la Ville-l'Evêque avait été mandé près du pouvoir exécutif, et s'était concerté avec le suppléant du procureur général syndic du département et les administrateurs délégués[49]. L'ordre était donné de creuser dans le cimetière de la Madeleine, à dix pieds du mur d'enceinte, une fosse de dix pieds de profondeur, et d'apporter aux environs de cette fosse une certaine quantité de chaux vive destinée à y être versée au moment de l'inhumation. La révolution doutait-elle d'elle-même et voulait-elle anéantir ces reliques, de crainte que la postérité ne vînt les recueillir, pour les honorer ?

Le 21 janvier, à neuf heures du matin, tandis que la victime était encore à moitié route du Temple à la place de la Révolution, les citoyens Le Blanc et Dubois, administrateurs du département de Paris, et chargés des pouvoirs du Conseil général du département en vertu des arrêtés du Conseil exécutif, se transportèrent en la demeure du citoyen Picavez, curé de Sainte-Madeleine, pour s'assurer de l'exécution des ordres signifiés la veille. De là, accompagnés des citoyens Renard et Damoureau, vicaires de cette paroisse, chargés par le curé, empêché par maladie, de procéder aux funérailles de Louis Capet, les deux administrateurs se rendirent au cimetière de la paroisse, situé rue d'Anjou, où ils reconnurent eux-mêmes que toutes les dispositions ordonnées avaient été prises exactement[50].

Vers onze heures, une voiture escortée d'un détachement de gendarmerie à pied s'arrêta rue d'Anjou. Un flot de peuple se précipita aussitôt dans le cimetière, autour d'une fosse nouvellement creusée, au bord de laquelle fut déposée par la gendarmerie, en présence des deux vicaires et des deux administrateurs, une bière découverte contenant le cadavre de Louis Capet, qu'ils reconnurent entier dans tous ses membres, la tête séparée du tronc, et placée entre ses jambes[51]. Les cheveux du derrière de cette tête étaient rasés. Le corps était vêtu d'une chemise, d'un gilet de piqué blanc, d'une culotte de soie grise, et de bas également de soie grise ; il était sans souliers. Les prêtres psalmodièrent les vêpres et récitèrent les prières usitées pour le service des morts ; et la même populace qui, un quart d'heure auparavant, saluait de ses vociférations l'échafaud de la victime, entendit dans le plus religieux silence les prières faites pour le repos de son âme[52].

Avant de descendre le corps dans la fosse, on y jeta un lit de chaux ; la bière ouverte et laissant à découvert la dépouille mortelle, fut alors descendue. Une nouvelle couche de chaux vive fut répandue sur cette bière et sur ce corps, qu'elle recouvrit entièrement. La fosse fut ensuite comblée de terre, battue à plusieurs reprises. Les délégués du pouvoir se rendirent alors à la cure, où ils dressèrent le procès-verbal, qui fut signé d'eux, du curé et de ses deux vicaires. La foule s'écoula en silence.

Ainsi finit cette vieille monarchie française qui depuis huit siècles avait servi de modèle à toutes les monarchies de l'Europe, de centre à toutes les civilisations. Depuis huit siècles le Roi de France siégeait comme un père de famille au milieu des souverains du monde ; les plus grands princes avaient été ses vassaux, les plus illustres avaient emprunté à son alliance leurs plus beaux apanages. La plupart des maisons régnantes avaient germé, avaient fleuri sur les racines de ce chêne antique ; et quand on l'eut arraché du sol, tout ce qui vivait de sa sève se prit à languir et s'étiola. Le coup qui avait frappé Louis XVI sur son échafaud avait ébranlé tous les trônes.

 

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Voici l'ordre du jour du 20 janvier, arrête par le Conseil exécutif, et envoyé, le jour même, aux sections de Paris, au département et aux districts du bourg de l'Égaillé et de Saint-Denis, par le commandant général Santerre, pour assurer, dit-il dans sa lettre d'envoi au citoyen maire de Paris, la tranquillité de Paris et de ses environs.

GARDE NATIONALE PARISIENNE.

Ordre du jour du 20 janvier 1793, etc.

ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL.

Chaque section fournira 25 hommes armés de fusils et de 16 cartouches, sachant manœuvrer, et dont les principes ne soient pas équivoques. Chacun sera muni d'une carte à la boutonnière portant son nom, celui de la section et du président. Ces 1.200 hommes se rendront au Temple à 7 heures ½ très-précises ; chaque chef commandant le détachement de 25 hommes portera la liste de ces 25 hommes, qu'il remettra à l'adjudant général de service au Temple, qui fera l'appel, et qui ainsi que le commandant général en chef de légion pourront remercier de ces hommes qui sont pour cette garde ceux qui par mégarde se seraient immiscés dans ce choix et dont on aurait à présumer que les intentions sont contrariées.

Chaque légion fournira un commandant pour cette escorte, qui partira à sept heures au plus tard du chef-lieu de chaque légion avec deux tambours, lesquels réunis seront aux ordres du tambour-major de la seconde légion.

La garde montante au Temple, ce jour 20 janvier, restera avec celle montante demain 21 jusqu'après l'exécution ; celle montante demain à sept heures ira avec deux canons et un caisson et descendra avec ses canons et caissons.

La 5e légion fournira de forts détachements depuis la rue Phelippeaux jusqu'à la porte Saint-Martin. On aura soin de ne laisser approcher les canons qu'à 25 pas au moins.

La 6e légion fournira pareillement des détachements depuis la porte Saint-Martin, le boulevard, comme la dernière fois, jusques et compris la porte Montmartre.

La 1re légion, depuis la porte Montmartre jusques à la rue Mirabeau.

La 2e légion, depuis la rue Mirabeau jusques à la porte Saint-Honoré.

La 4e légion, depuis la porte Saint-Honoré jusques à la place de la Révolution, la rue des Champs-Élisées et la place de la Révolution, depuis la rue cy-devant Royale jusques vis-à-vis le pont Tournant, et pareillement de la rue cy-devant Royale jusqu'à l'entrée de la route de Neuilly.

La 3e légion sur la place de la Révolution, depuis vis-à-vis le pont Tournant, passant vis-à-vis le pont de la Liberté, formant un cercle très-étendu jusqu'à la route de Neuilly.

La 3° légion fournira égallement un fort détachement sur le quai des Thuilleries ainsi qu'aux abords du pont de la Liberté du côté de la rue de Bourgogne.

La 1re légion fournira une réserve de cinq cents hommes sur la place des 4 Nations, et pareillement une réserve de cent hommes au pont National, cy-devant Royal, où il doit y avoir deux pièces de canon.

La 2° légion fournira une réserve de six cents hommes place des Victoires nationales.

La 3e légion fournira pareillement une réserve de six cents hommes dans les Champs-Elisées, à portée des routes de Versailles et de Neuilly.

La 4e légion une réserve de six cents hommes place des Piques.

La 5e légion une réserve de six cents hommes aux Thuilleries, près le bassin du pont Tournant.

La 6e légion une réserve de quatre cents hommes au gazon du Louvre, et une autre de deux cents hommes place de la Maison commune.

Toutes ces réserves seront commandées par un commandant en chef, un en second et un adjudant-major de section, rendues pareillement à sept heures précises.

En outre de ces réserves, chaque section aura dans le chef-lieu de — son arrondissement une réserve de deux cents hommes avec son drapeau, prête à marcher au premier ordre.

La réserve de la section de 92 se rendra au Trésor national, celle de la section du Mail à la Caisse de l'Extraordinaire et celle d'Escompte.

La section de la place des Fédérés placera sa réserve autour du parc d'artillerie.

Chaque compagnie de canonniers fournira deux canonniers, rendusà6heures précises à l'Arsenal, pour y renforcer la garde de ce poste, et un autre canonnier par compagnie se rendra au parc d'artillerie, place des Fédérés.

Chaque section aura soin d'envoyer très-exactement deux ordonnances à la Maison commune pour recevoir et porter les ordres dans leur section respective. On se servira de ces ordonnances pour donner l'ordre de la retraite. Ces ordonnances seront rendues à 7 heures du matin, et se présenteront à la salle de l'état-major pour y être inscrites.

Ordre pour les canons.

La 1re légion fournira 15 pièces, savoir : à la réserve des 4 Nations, 4 pièces ; Pont-National, ci-devant Royal, 2 pièces ; sur le boulevard porte Montmartre, 2 pièces ; pont de la Liberté, 2 pièces ; route de Versailles, 2 pièces ; à la Conciergerie, une pièce ; garde montante au Temple, 2 pièces.

La 2e légion fournira 13 pièces, savoir : au pont Tournant dans le jardin des Thuilleries, 2 pièces ; place des Victoires nationales, 4 pièces ; sur le boulevard, au bout de la rue de Richelieu, une pièce ; rue Grange-Batelière, deux pièces ; rue Saint-Florentin, deux pièces ; rue des Champs-Élisées, une pièce ; au Trésor national, une pièce.

La 3e légion fournira dix pièces, savoir : sur la route de Versailles, 2 pièces ; dans l'avenue de Neuilly, 4 pièces ; à la Conciergerie, une pièce ; à la prison de l'Abbaye, 2 pièces ; cour des Feuillants, une pièce.

La 4e légion fournira 13 pièces, savoir : rue et faubourg Saint-Honoré, 4 pièces ; place des Piques, 6 pièces ; caisse de l'Extraordinaire, une pièce ; rue Mirabeau, 2 pièces.

La 5e légion fournira 11 pièces, savoir : rue Phelipeaux, vis-à-vis le Temple, 2 pièces ; boulevard du Temple, 3 pièces ; porte Saint-Martin, 4 pièces ; rue Saint-Florentin, 2 pièces.

La 6e légion fournira 10 pièces, savoir : sur les gazons du Louvre, 6 pièces ; et à la porte Saint-Denis, 4 pièces.

Les canonniers qui ne seront point employés à leurs pièces, ou par excédant, se rendront à 6 heures très-précises à l'Arsenal pour servir à l'escorte des caissons.

Les canonniers casernés à la Sorbonne enverront à 6 heures précises à l'Arsenal 100 canonniers peur l'escorte des caissons ; tous ces canonniers et ceux des sections seront sous les ordres des adjudants de l'artillerie Berland et Robert.

Le bataillon des vétérans se rendra aux Thuilleries pour la garde du Conseil exécutif.

Le bataillon des Marseillais et celui d'Aix se rendront aux Champs-Élisées,

Le château de Bicêtre sera gardé par 200 hommes à pied et 100 à cheval de la légion Rozentalle. Il y aura 2 pièces de canon et les canonniers du bataillon de la cazerne rue de l'Oursine.

A la Conciergerie, il y aura 300 hommes de la cazerne de la Nouvelle-France aux ordres du commandant de la section du pont Neuf.

A l'Abbaye, 200 hommes de la cazerne de la rue de l'Oursine et 100 hommes de la même cazerne à la prison de Sainte-Pélagie.

A l'hôtel de la Force, la 33e division de gendarmerie et ses canons, plus 1 ;'0 hommes de la cazerne rue Quincampoix.

Au Mont de piété, 200 hommes de la cazerne de la Courtille.

A l'hôtel des Monnoyes, dans les cours, 200 hommes du bataillon ou des piquets,

Tous ces différents détachements seront aux ordres des commandants des sections.

Les sections qui avoisinent les prisons enverront dès aujourd'hui des patrouilles nombreuses et fréquentes pour la sûreté des prisonniers.

Le commandant général recommande avec instance aux citoyens des sections de surveiller sans cesse chacun dans son quartier et relativement aux propriétés nationales et individuelles, et de faire en sorte qu'il n'y ait dans les rues que des citoyens armés, et que tous ceux qui sont en état de porter les armes se rendent à leur section pour y recevoir et exécuter l'ordre nécessaire à tous.

A huit heures précises et sans retard l'on partira du Temple. Tous les citoyens doivent sentir que le moindre retard est un manque au service impardonnable.

A midi précis, chaque adjudant ira ou enverra au chef-lieu de la légion pour y recevoir l'ordre de faire retirer ou continuer la garde. Il est deffendu expressément à qui que ce soit de se retirer avant cet ordre, ny de quitter son poste sous quelque prétexte. Il est également deffendu de tirer aucune arme à feu.

Il y aura à la tête du cortège 100 hommes de gendarmes à cheval qui feront 1 avant-garde. Il y aura pour arrière-garde 100 gardes nationales à cheval de l'Ecole Militaire ; de plus, il y aura différentes réserves de cavalerie. Il en sera conservé un grand nombre pour faire des patrouilles à l'extérieur de la ville.

Le cortège, arrivant à la place de la Révolution, continuera sa marche dans le cours de l'Egalité, ci-devant la Reine, jusqu'à halte à la tête.

S'il étoit obmise quelques précautions particulières et nécessaires, le commandant général prie qu'on envoye les observations et réclamations au plutôt, afin qu'il y fasse droit sur-le-champ.

Les chasseurs du Midi cazernés rue de la Pépinière se rendront à la fabrication des assignats, maison des Capucines, à 7 heures précises.

La section de la Cité et celle du pont Neuf enverront tout de suite un détachement de 15 hommes chacune à la mairie pour renforcer ce poste.

La 5e et 6e légion feront faire dès ce moment de nombreuses et fréquentes patrouilles autour du Temple.

Les autres légions en feront de même faire autour des autres prisons et propriétés nationales.

SANTERRE.

(Archives du ministère de la guerre.)

 

FIN DU TOME PREMIER

 

 

 



[1] Rapports faits au conseil général de la Commune sur les mesures prises pour l'exécution des décrets de la Convention qui condamnent à mort Louis XVI.

[2] Compte rendu à la Convention par le ministre de la police.

[3] On lit dans le Moniteur universel du 21 janvier 1793 :

Proclamation du Conseil exécutif provisoire du 20 janvier.

Le Conseil exécutif provisoire, délibérant sur les mesures à prendre pour l'exécution des décrets de la Convention nationale des 15, 17, 19 et 20 janvier 1793, arrête les dispositions suivantes

1° L'exécution du jugement de Louis Capet se fera demain lundi 21 ;

2° Le lieu de l'exécution sera la place de la 'Révolution, ci-devant Louis XV, entre le piédestal et les Champs-Elysées ;

3° Louis Capet partira du Temple à huit heures du matin, de manière que l'exécution puisse être faite à midi ;

4° Des commissaires du département de Paris, des commissaires de la municipalité, deux membres du tribunal criminel assisteront à l'exécution. Le secrétaire-greffier de ce tribunal en dressera procès-verbal, et lesdits commissaires et membres du tribunal, aussitôt après l'exécution consommée viendront en rendre compte au Conseil, lequel restera en permanence pendant toute cette journée.

Le Consul exécutif provisoire.

[4] Compte rendu à la Convention par le ministre de la justice.

[5] Conformément aux dispositions de la proclamation du Conseil exécutif provisoire, le conseil arrête qu'on nommera deux commissaires pour assister à l'exécution de Louis Capet. On propose de les élire par la voie du sort. Cette proposition, d'abord adoptée, est ensuite rejetée, et le conseil nomme par acclamation Bernard et Jacques Roux pour remplir cette mission. (Conseil général de la Commune du dimanche 20 janvier 1793.)

[6] Minier (Alexandre), joaillier, juge, rue Saint-Louis, section Révolutionnaire, ci-devant du Pont-Neuf.

[7] Bodson (Joseph), artiste graveur, demeurait quai de l'Horloge, n° 58, section du Pont-Neuf.

[8] Député aux états généraux, sénateur, comte de l'Empire, commandeur de la Légion d'honneur, membre de l'Institut, Dominique-Joseph Garat, né à Ustaritz, dans le pays basque, vers 1760 ; sa versatilité l'a rendu célèbre. Il prononça en septembre 1800, à la place des Victoires, l'éloge de Kléber et de Desaix, et fit en 1815 celui de Moreau.

[9] Commune de Paris.

Je soussigné, secrétaire-greffier de la municipalité, reconnais que le citoyen Flechelle, cavalier d'ordonnance, m'a remis la somme de trois mille livres, en cent vingt-cinq louis en or, qui lui avait été remise par les commissaires composant le conseil du Temple.

Fait en la maison commune, ce 20 janvier 1793, l'an IIe de la République française, à dix heures moins un quart.

COULOMBEAU, secrétaire-greffier.

[10] Récit de Madame Royale.

[11] Les mots écrits en caractères italiques ont été ajoutés par le curé constitutionnel de la paroisse de Saint-François d'Assise.

[12] Ouvrier en bâtiments, trente-deux ans, rue Saint-Placide, n° 1192, section de la Croix-Rouge.

[13] Homme de lettres, quarante-trois ans, officier municipal, rue de Marivaux, n° 9, section de 1792.

[14] ...

[15] Horloger, vingt-neuf ans, rue Saint-Bernard, n° 10, section de Montreuil.

[16] Directeur de l'enregistrement, officier municipal, rue Chabannais, n° 12, section de 1792, âgé de quarante-huit ans.

[17] Graveur, vingt-sept ans, quai de l'Horloge, n° 58.

[18] Marchand épicier, trente-huit ans, rue Saint-Denis, n° 455.

[19] Paveur, rue de Bourgogne, n° 1465, section des Invalides.

[20] Tailleur de pierres, trente-quatre ans, rue des Amandiers Sainte-Geneviève, n° 4.

[21] La nappe qui servit à la communion du Roi dans cette circonstance solennelle fut remise, quelques jours après, par Cléry à Lepître, qui alla la porter à madame Cléry, retirée alors à Juvisy.

[22] Archives de l'hôtel de ville. — Commune de Paris. — Département de la police.

Le 20 janvier 1793, l'an lie de la République française une et indivisible.

Nous vous prions, citoyen président, de faire part au conseil général de l'assassinat qui vient d'être commis au jardin de l’Égalité.

Pelletier Saint-Fargeau en est la malheureuse victime ; on dit qu'un nommé Paris, ancien garde du corps, est l'assassin. Nous venons de faire partir un officier de paix pour faire perquisition de sa personne.

D'un autre côté, on nous annonce qu'il doit éclater un complot cette nuit, et qu'un fort de la halle a reçu une lettre de convocation pour se trouver demain, eu grand nombre, sur le passage de Louis Capet, et l’assassiner.

Nous avons écrit à l'inspecteur pour faire déblayer les rues engorgées par la fonte de la neige. Malgré les mesures que nous avons prises pour faire illuminer, on nous rapporte que les façades des maisons sont mal éclairées, et que l'on rencontre peu de patrouilles.

Nous vous prions de faire parvenir aux différentes sections, par les commissaires qui sont dans votre sein, l'invitation pour redoubler de zèle et d'activité, dans un moment où les ennemis de la République ont la rage du désespoir.

Nous restons en permanence pour exécuter les ordres que le conseil général nous transmettra, et répondre aux députations des sections.

Les administrateurs du département de la police,

VIGNER. — BRUSLÉ.

[23] Voyez la note en fin du chapitre.

[24] Jacques-Claude Bernard, âgé de trente-quatre ans, est mort sur l'échafaud de Robespierre le 10 thermidor an II.

[25] Jacques Roux s'est percé de cinq coups de couteau pour se soustraire au supplice qui l'attendait.

[26] Ainsi que l'établissent les registres du conseil général.

[27] Cléry lui donne le nom de Gobeau ; ce nom ne se trouve pas sur la liste des commissaires nommés pour le service du Temple les 19 et 20 janvier ; les registres de la Commune nous fournissent les indications suivantes pour le samedi 19 Pelletier, Mercereau, Minier, Baudrais, Cailleux, Turlot ; pour le dimanche 20 : Gilet Marie, Dome, Jon, Grouvelle, Bourdier, Destournelles.

Toutefois, Gobeau, venu le 19 au Temple, chargé, comme nous l'avons dit, d'une mission spéciale, s'y trouvait sans doute encore.

[28] Le bourreau qui, dès la veille, avait reçu l'ordre de se tenir prêt, n'avait point été informé de quelle manière devaient s'accomplir les préliminaires d'un meurtre si exceptionnel. Dans son trouble, il s'adressa au substitut du procureur général pour obtenir les renseignements dont il avait besoin. Voici sa lettre, que nous sommes parvenu à retrouver :

Au citoyen suplèant pour le procureur géneral sindic du département.

CITOYEN,

Je viens de recevoir les ordres que vous m'avéz adressez. Je vas prendre toutes les mesures pour qu'il n'arive aucun retards à ce quils prescrivent. Le charpentier est avertit pour la pose de la machine, laquelle sera mise en place à l'endroit indiqué.

Il est absolument nécessaire que je sache comment Louis partira du Temple. Aura-t-il une voiture ? ou sy ce sera dans la voiture ordinaire aux exécutions de ce genre ?

Après l'exécution, que deviendra le corps du justicié ?

Faut-il que, moi et mes commis, nous nous trouvions au Temple à huit heures, comme le porte l'ordre ?

Dans le cas où ce ne serois pas moi qui l'emmènerois du Temple, à quelle place et à quel endroit faut-il que je me trouve ?

Toutes ces choses n'étants pas détaillées dans l'ordre, il seroit à propos que le citoyen supléant procureur sindic du département voulu bien me faire passer le plus tôt possible ces renseignements, pendant que je suis occupé à donner tous les ordres nécessaires pour que tout soit ponctuellement exécuté.

Le citoyen SANSON,

Exécuteur des jugements criminels.

Paris, ce 20 janvier 1793, l'an IIe de la République française.

 

Le Conseil exécutif statua lui-même en ces termes sur les réponses que cette lettre réclamait :

Aux citoyens administrateurs du département de police.

Paris, le 20 janvier 1793, l'an IIe de la République française.

Citoyens,

Lecture faite de votre délibération datée de ce jour, à onze heures du soir, et de la lettre de l'exécuteur de la justice, qui s'y trouve jointe, le Conseil arrête les réponses suivantes aux observations contenues dans cette lettre :

1° La voiture du maire amènera Louis Capet du Temple au lieu de l'exécution ;

2° Sur les soins relatifs à la sépulture, le curé de la Madeleine la Ville-l'Evêque doit se concerter avec le suppléant du procureur général syndic du département, d'après la résolution du Conseil, dont il a été donné copie au curé, et dont le citoyen Lefèvre a connaissance.

3° L'exécuteur et ses commis devront se trouver seulement au lieu de l'exécution.

Il paraît que les difficultés se trouveront ainsi levées.

Le Conseil exécutif provisoire,

LE BRUN, président.

Par le Conseil, GROUVELLE.

 

Nous devons, afin de conserver aux moindres faits leur vérité tout entière, consigner ici l'infraction qui fut faite à cet ordre. Ce ne fut pas la voiture du maire qui amena Louis XVI au lieu de l'exécution ; ce ne fut pas non plus une voiture de place, comme on l'a prétendu. Des assertions positives émanées de M. Courel, conseiller référendaire à la cour des comptes, et qui était, en 1793, secrétaire de M. Clavière, ministre des finances, attestent que la Commune de Paris avait refusé le carrosse du maire ; que les membres du Conseil exécutif s'en étaient singulièrement émus, Lebrun et Clavière surtout, et que ce dernier avait prêté sa voiture.

NOTA. — L'article relatif à la voiture inspira à Prudhomme les réflexions suivantes : Capet vint à l'échafaud dans un carrosse. Avant lui les criminels y étaient conduits en charrette. Dorénavant, sans doute, on abolira tout a fait cet ancien usage, afin qu'il ne soit pas dit qu'on a marqué plus d'égards à celui qui en méritait le moins. (Révolutions de Paris, 15e trimestre, page 203.)

[29] L'autre s'appelait Jean-Maurice-François Lebrasse ; il était lieutenant de gendarmerie près les tribunaux, lorsque, le 24 germinal an II (13 avril 1794), il fut guillotiné avec Arthur Dillon, Chaumette, Gobel, Duret, Beysser, etc., etc.

[30] Extrait du registre des délibérations du conseil général du département.

[31] Extrait du registre des délibérations du conseil général du département.

[32] Société des Amis de la liberté et de l'égalité.

VIVRE LIBRE OU MOURIR.

Paris, le 20 janvier, l'an II de la République française.

La société arrête qu'une députation de douze de ses membres se transportera sur-le-champ auprès du Conseil exécutif du département et au conseil général de la Commune, pour les inviter à doubler de surveillance, et à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l'exécution des projets des ennemis de la liberté.

Arrête qu'un citoyen de chaque section s y rendra à l'instant pour inviter les comités et la garde d'exercer la surveillance la plus active, et d'être en garde contre toutes nouvelles alarmantes qui pourraient leur être portées, et que tous les membres de la société réuniront leurs efforts pour prévenir tout mouvement ;

La société arrête en outre qu'elle sera permanente jusqu'après l'exécution du décret rendu contre le tyran.

F. DESFIEUX, vice-président.

AUVREST, MITTIÉ fils, secrétaires

MONESTIER (du Puy-de-Dôme), député.

(Archives de l'hôtel de ville.)

[33] Lettre des administrateurs du département de police Vigner et Bruslé, (Archives de l'hôtel de ville.)

[34] Devaux était employé à la Trésorerie nationale. Il fut condamné à mort le 20 prairial an II (8 juin 1794), après avoir refusé de révéler à Fouquier-Tinville la retraite de M. de Batz.

[35] Procès-verbal de l'exécution. (Archives de l'Empire.)

[36] L'abbé Edgeworth est mort à Mittau (Courlande), le 22 mai 1807, d'une maladie contagieuse, pendant laquelle il reçut les soins assidus de la fille de Louis XVI, qui lui ferma les yeux.

[37] Procès-verbal.

L'an mil sept cent quatre-vingt-treize, deuxième de la République française, et le vingt et un janvier ;

Nous soussignés, Jean-Antoine Lefèvre, suppléant du procureur général syndic du département de Paris, et Antoine-François Momoro, tous deux membres du directoire dudit département, nommés aux effets ci-après par le conseil général du département ;

Et François-Pierre Sallais, et François-Germain Isabeau, tous deux commissaires nommés par le Conseil exécutif provisoire aux effets également ci-après énoncés ;

Nous sommes transportés à l'hôtel de la Marine, rue et place de la Révolution lieu à nous indiqué par nos commissions, à neuf heures du matin de ce jour, où étant, nous avons attendu jusqu'à dix heures précises les commissaires nommés par la municipalité de Paris, ainsi que les juges et le greffier du tribunal criminel du département de Paris, en l'absence desquels l'un de nous a dressé le présent procès-verbal.

Nous nous sommes rassemblés à l'effet d'assister, du lieu où nous sommes, à l'exécution du décret de la Convention nationale des quinze, dix-sept, dix-neuf et vingt janvier présent mois, et de la proclamation du Conseil exécutif dudit jour, vingt de ce mois, dont les expéditions sont jointes au présent procès-verbal.

Et à dix heures un quart précises du matin sont arrivés les citoyens Jacques-Claude Bernard et Jacques Roux, tous deux officiers municipaux et commissaires de la municipalité, munis de leurs pouvoirs, lesquels ont, conjointement avec nous, assisté aux opérations constatées par le présent procès-verbal ;

Et à la même heure est arrivé, dans la rue et place de la Révolution, le cortège commandé par Santerre, commandant général, conduisant Louis Capot dans une voiture à quatre roues, et approchant de l'échafaud dressé dans ladite place de la Révolution, entre le piédestal de la statue de ci-devant Louis XV et l'avenue des Champs-Élysées.

A dix heures vingt minutes, Louis Capet, arrivé au pied de l'échafaud, est descendu de voiture : et à dix heures vingt-deux minutes il a monté sur l'échafaud. L'exécution a été à l'instant consommée, et sa tête a été montrée au peuple.

Et avons signé :

LEFÈVRE, MOMORO, SALLAIS, ISABEAU, BERNARD, JACQUES ROUX.

(Archives de l'Empire.)

[38] Révolutions de Paris, 15e trimestre, page 205.

[39] Il s'appelait Heuzé.

[40] Rapport fait par l'administration de police au conseil général de la Commune, dans la séance du 29 avril 1793.

[41] Le Thermomètre du jour (du 13 février 1793, n° 410, p. 356) contenait l'article suivant, sous ce titre : Anecdote très-exacte sur l'exécution de Louis Capet :

Au moment où le condamné monta sur l'échafaud (c'est Sanson, l'exécuteur des hautes œuvres criminelles, qui a raconté cette circonstance, et qui s'est servi du mot condamné), je fus surpris de sou assurance et de sa fermeté ; mais au roulement des tambours qui interrompit sa harangue, et au mouvement simultané que firent mes garçons pour saisir le condamné, sur-le-champ sa figure se décomposa ; il s'écria trois fois de suite très-précipitamment : Je suis perdu ! Cette circonstance, réunie à une autre que Sanson a également racontée, savoir : que le condamné avait copieusement soupé la veille et fortement déjeuné le matin, nous apprend que Louis Capet avait été dans l'illusion jusqu'à l'instant précis de sa mort, et qu'il avait compté sur sa grâces Ceux qui l'avaient maintenu dans cette illusion avaient eu sans doute pour objet de lui donner une contenance assurée qui pourrait en imposer aux spectateurs et à la postérité ; mais le roulement des tambours a dissipé le charme de cette fausse fermeté, et les contemporains, ainsi que la postérité, sauront actuellement à quoi s'en tenir sur les derniers moments du tyran condamné.

Sanson, ayant lu cet article, réclama contre les paroles qu'on lui prêtait ; et, comme le journaliste l'invitait à rectifier un récit qu'il déclarait de toute fausseté, il écrivit la lettre que nous reproduisons, et qui parut dans le Thermomètre du jeudi 21 février 1793.

[42] Quand les services solennels institués en 1815 furent défendus après la révolution de juillet, la famille Sanson, qui apparemment ignorait cette disposition, assista, comme de coutume, à sa messe traditionnelle ; mais, après la cérémonie, quelques-uns de ses membres entrèrent à la sacristie, où ils se plaignirent amèrement de ce que leur messe n'eût point été dite en noir, et leurs réclamations ne cessèrent que sur l'exhibition qui leur fut faite des prescriptions de l'autorité.

[43] On a su qu'un militaire, anciennement décoré de la croix de Saint-Louis, est mort de douleur en apprenant le supplice de Louis ; qu'un libraire nommé Vente, ci-devant attaché aux Menus Plaisirs, en est devenu fou ; qu'un perruquier de la rue Culture-Sainte-Catherine, connu pour zélé royaliste, s'est de désespoir coupé le cou avec un rasoir. (Prudhomme, Révolutions de Paris, 15e trimestre, page 203.)

[44] Hamlet, acte III, scène III.

[45] Il était frère de l’abbé de Bourbon, et, comme lui, il descendait de Louis XV.

[46] Les Augustes Victimes du Temple, par madame Guénard de Méré, t. II, page 159.

[47] Ordres donnés par Santerre. Rapport fait au conseil général de la Commune, le 18 janvier.

[48] L'abbé Le Duc se retira dans une terre près de Château-Thierry, ou il fut arrêté et mis en prison, comme ayant réclamé le corps de Louis Capet. Transféré à Soissons, il fut enlevé par les commissaires du pouvoir exécutif, le 25 décembre 1793, et conduit dans les prisons de Paris, où il resta jusqu'à la mort de Robespierre. Il était sur la liste de ceux qui devaient périr le 10 thermidor. L'abbé Le Duc est mort en 1805.

[49] Lettre du conseil exécutif provisoire aux administrateurs du département de police. (Archives de l'hôtel de ville.)

[50] Voyez aux Documents, n° IX, le procès-verbal de l'inhumation.

[51] Déposition de M. Danjou, ancien avocat, témoin de l'inhumation.

[52] Déposition de M. Renard, vicaire de la Madeleine, qui fit l'inhumation.