AVERTISSEMENT ET INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER — LES CHRÉTIENS SOUS GALLUS.
I. — La peste et l’attente de la persécution.
L’armée de Mésie élit Gallus après la mort de Dèce - Les Goths
se retirent, emmenant leurs prisonniers - Faveur montrée par eux aux
prisonniers chrétiens - Situation de l’Église au lendemain de la persécution
de Dèce - Schisme de Novatien - Ferme attitude du pape saint Corneille -
Échec des novations à Rome - Leur propagande dans les provinces - Épreuve
salutaire : la peste - Lâcheté des populations païennes - Charité des
chrétiens, à Carthage, à Alexandrie - Effet de ce spectacle sur les païens -
Conversions à Néocésarée - Ailleurs, l’opinion publique rend les chrétiens responsables
du fléau - Saint Cyprien prépare son troupeau à la persécution - Il l’habitue
à considérer la maladie comme exerçant au martyre - Il travaille à la
réconciliation des tombés - L’Église est prête à de nouveaux combats.
II. — La persécution de Gallus.
Édit de Gallus, ordonnant des sacrifices publics pour obtenir
la fin de la peste - Cris de mort contre les chrétiens - Gallus commence la
persécution - Saint Corneille exilé à Civita Vecchia - Courage des chrétiens
de Rome - Des tombés réconciliés versent leur sang pour le Christ - Violences
à Alexandrie, à Carthage - Lettre de saint Cyprien à Demetrianus - Saint
Corneille meurt en exil - Sa sépulture dans la crypte de Lucine - Son
successeur Lucius exilé comme lui - Invasion barbare en Numidie - Captifs
rachetés par l’Église de Carthage - Mort tragique de Gallus - Émilien -
Avènement de Valérien - Il se montre d’abord favorable aux chrétiens - Lucius
rentre triomphalement à Rome - Lettre de saint Cyprien - Mort de Lucius - Sa
sépulture dans le cimetière de Calliste.
CHAPITRE II — LE PREMIER ÉDIT DE VALÉRIEN.
I. — L’édit de 257.
Caractère de Valérien - Chrétiens nombreux dans sa maison -
Situation de l’Église, rassurante pour le pouvoir civil - Difficultés
intérieures - Affaire de Marcien d’Arles - Les évêques libellatiques de Léon
et de Mérida - Controverse sur le baptême des hérétiques - Tolérance des
évêques pour les coutumes profanes - Cependant, défiances semées dans
l’esprit de Valérien - Prospérité temporelle de l’Église - Sa charité pour
toutes les misères - Comparaison avec la détresse financière de l’Empire -
Idées fausses des païens sur la puissance et les richesses de l’Église - Rôle
de la question d’argent dans les dernières persécutions du troisième siècle -
Premières violences - Voyage d’une famille grecque à Rome - Ses grandes
aumônes - Valérien interroge Hadrias sur ses richesses - Martyre d’Hadrias,
de Pauline, de Néon, de Marie, de Maxime et d’Hippolyte - Chrysanthe et Daria
enterrés vivants - Traité de saint Cyprien sur l’exhortation au martyre -
Nouveaux efforts des conseillers de Valérien pour le tourner contre l’Église
- Macrien et la magie - Valérien promulgue un édit contre les chrétiens -
Première disposition de l’édit, exigeant un acte d’adhésion au culte officiel
- Deuxième disposition, défendant l’entrée des cimetières de la communauté
chrétienne - La première disposition s’applique aux seuls membres du clergé -
La seconde regarde tous les fidèles - Le refus d’obéir à la première
disposition est puni de l’exil - La contravention à la seconde est punie de
mort - L’Église assimilée à une association illicite.
II. — L’exécution de l’édit.
Date de l’édit, indiquée par un texte de saint Denys
d’Alexandrie - Relation du procès de saint Cyprien - Son exil à Curube -
Vision annonçant son prochain martyre - Arrestation d’évêques, de prêtres, de
diacres, de laïques, coupables de réunion dans les cimetières - Quelques-uns
sont condamnés à mort, les autres envoyés aux mines - Leur correspondance
avec saint Cyprien - Leurs souffrances dans les mines de Sigus - Comparution
de saint Denys d’Alexandrie et de ses compagnons devant le préfet d’Égypte -
Leur exil à Kephro - Saint Denys évangélise les habitants - Translation dans la Maréole - Réponse de
saint Denys aux calomnies de Germanus - La persécution à Rome - Mort du pape
saint Étienne - Travaux dans le cimetière de Calliste, pour en faciliter la
fréquentation secrète - Martyre de l’acolyte Tarsicius - Chrétiens enterrés
vivants dans l’arénaire de la voie Salaria - Une messe interrompue par le martyre.
CHAPITRE III — LE DEUXIÈME ÉDIT DE VALÉRIEN.
I. — L’édit de 258. - Le martyre de saint Sixte.
Saint Cyprien est rappelé à Carthage - Bruit du martyre du
pape saint Sixte II - Messager envoyé à Rome - Lettre de saint Cyprien à
Successus, annonçant un nouvel édit - Peine de mort contre les évêques,
prêtres, diacres - Confiscation des biens, dégradation et peine de mort, pour
les sénateurs, nobles, chevaliers - Confiscation des biens et attache à la
glèbe, pour les Césariens - Le premier édit continue d’être en vigueur pour
le reste des fidèles - Saint Sixte II transporte dans une crypte de la voie
Appienne les corps de saint Pierre et de saint Paul - Il est arrêté dans le
cimetière de Prétextat - Et décapité sur la chaire épiscopale - Martyre de six
diacres.
II. — La persécution à Rome et en Occident.
Le pouvoir civil veut s’emparer du patrimoine mobilier de
l’Église - Illégalité de la mesure - Le premier diacre saint Laurent,
administrateur de la communauté, est épargné à dessein - On lui ordonne de livrer
le trésor - Il montre les pauvres, trésor de l’Église - Il est brûlé vif -
Martyre de Sévère, Claude, Crescent et Romain - Martyre du docteur saint
Hippolyte - Martyre des saints Protus et Hyacinthe - Martyre des saintes
Eugénie, Basilla, Rufine et Seconde - Martyre de sainte Sotère et de saint
Pancrace - Martyrs en Gaule : saint Pontius, à Cimiez, saint Patrocle, à
Troyes - Martyrs en Espagne : saint Fructueux, évêque de Tarragone, et ses
diacres Augure et Euloge - Attachement de Tarragone au culte officiel -
Cependant, bienveillance des habitants pour les chrétiens - Arrestation de
Fructueux et des diacres - Leur procès - Fructueux, marchant au supplice,
refuse de boire du vin aromatique - Les trois martyrs sont brûlés vifs - Les
fidèles recueillent leurs cendres.
III. — La persécution en Afrique.
Martyrs à Utique - La
Masse blanche - Le proconsul fait chercher saint Cyprien -
Retraite de celui-ci - Sa dernière lettre - Son arrestation - Interrogatoire
et sentence - Il est décapité - Sa sépulture - Martyre de Paul et de
Successus - Arrestation de Lucius, Montan, Flavien, Julien, Victorie, Renus,
Primolus et Donatien - Leur captivité - Donatien, Primolus et Renus meurent
en prison Martyre de Quartillosa, de
son mari et de son fils - Martyre de Lucius, Montan, Julien et Victorie -
Flavien est ramené en prison - I1 est enfin condamné - Conversation en
marchant au supplice - Son martyre - Cruautés du légat de Numidie -
Arrestation de Jacques et Marien, près de Cirta - Marien est mis à la torture
- On l’envoie avec Jacques à Lambèse - Massacres de chrétiens - Jacques,
Marien et leurs compagnons sont conduits au supplice - Dernière vision des martyrs.
IV. — La persécution en Asie.
La présence de Valérien excite le zèle des magistrats -
Chrétiens poursuivis en Palestine - Prisque, Malchus et Alexandre se
dénoncent, et sont brûlés vifs à Césarée - Sapricius confesse la foi à
Antioche, nais refuse de se réconcilier avec Nicéphore - Il faiblit au
dernier moment - Nicéphore est martyrisé à sa place - Martyre de Paregorius,
à Patare, en Lycie - L’ermite Léon proteste, dans la même ville, contre les
fêtes païennes - Son martyre - Martyre de saint Cyrille, en Cappadoce - Les
martyres d’enfants.
CHAPITRE IV — LA CHUTE DE VALÉRIEN ET LE PREMIER ÉDIT DE
TOLÉRANCE.
I. — La chute de Valérien.
Les chrétiens soutenus par la pensée de la justice divine -
Fléaux prédits par les martyrs de Lambèse - Invasion des Kabyles en Numidie -
Invasion des Alemans en Gaule - Destruction par Chrocus du temple de Mercure
Dumias - Chrétiens massacrés par les Barbares - Martyre de Victorin, Cassius,
Antolianus, Liminius - de Privat, évêque de Javoulx - L’Espagne ravagée par
les Francs - Incursions des Goths et des Borans en Asie Mineure - Faiblesse
de quelques chrétiens du Pont - Lettre canonique de saint Grégoire le
Thaumaturge - Évangélisation des Goths par les captifs chrétiens - Le roi de
Perse, Sapor, s’avance en Mésopotamie - Défaite de l’armée romaine - Trahison
de Macrien - Prise de Valérien - Sapor entre dans Antioche - Il donne la pourpre
au traître Cyriadès - Pillage de l’Asie romaine - Captifs rachetés parle pape
saint Denys - Humiliation de Valérien - Jugement des écrivains chrétiens -
Mort de Valérien.
II. — L’édit de Gallien.
La leçon n’est pas perdue pour Gallien - Caractère de l’impératrice
Salonine - Ses rapports avec les philosophes néoplatoniciens - Sa conversion
probable au christianisme - Son influence favorable à l’Église - Gallien rend
un édit mettant fin à la persécution - Et restituant aux évêques les lieux
religieux et les cimetières - Restitution aux particuliers chrétiens de leurs
biens confisqués - Saint Félix de Nole refuse de revendiquer son patrimoine -
Le pape saint Denys recouvre les immeubles de l’Église romaine - Il en
réorganise l’administration - La mollesse de Gallien empêche l’édit de porter
tous ses fruits - Fautes de sa politique extérieure - L’édit est appliqué
seulement dans une partie de l’Empire.
III. - Les chrétiens sous les trente tyrans.
Posthume élu en Gaule - Caractère tout romain de son gouvernement
- La Bretagne
et l’Espagne le reconnaissent - Aucun acte de persécution sous Posthume et
ses successeurs - Persistance en Gaule des cultes locaux - Absence de
fanatisme pour le culte officiel - Efforts des empereurs gallo-romains pour
se faire accepter de Gallien comme collègues - Ils imitent sa politique
religieuse - Aureolus proclamé dans les provinces danubiennes - Il s’allie à
Gallien, et applique l’édit de tolérance - Les Perses battus par Odenath,
prince de Palmyre - Macrien usurpe l’empire en Orient - Rentrée de saint
Denys dans Alexandrie livrée à la guerre civile - La persécution continue
dans les États de Macrien - Martyre de Marinus à Césarée de Palestine -
Courage du sénateur chrétien Asterius - Mort de Macrien et de ses fils - Joie
des chrétiens - Paroles de saint Denys d’Alexandrie - Dévouement des
chrétiens pour Gallien - Les évêques orientaux reprennent possession des
lieux religieux - Usurpation d’Émilien en Égypte - Deux lettrés chrétiens,
Anatole et Eusèbe, se font médiateurs entre la population d’Alexandrie et
l’armée romaine - Défaite d’Émilien - Importance commerciale et militaire de
Palmyre - Odenath reconnu empereur par Gallien - Tolérance religieuse dans
ses États - Portrait de Zénobie - Sa sympathie pour les chrétiens - Faveur dont
jouit près d’elle Paul de Samosate, évêque d’Antioche - Succès apparent et
fragilité réelle de l’œuvre de Gallien.
CHAPITRE V — LES PERSÉCUTIONS DE CLAUDE ET D’AURÉLIEN.
I. — Les chrétiens sous Claude le Gothique.
Élection de Claude - Apothéose de Gallien - Effet légal de cet
acte - Politique prudente de Claude - Il s’abstient d’intervenir en faute et
en Orient - Invasion des Goths - Message de Claude au sénat - Son départ -
Péril de l’Empire - La superstition publique cherche des victimes - Le sénat persécute
les chrétiens - Martyrs attribués au règne de Claude - La persécution est
bornée à Rome et à l’Italie - Elle n’a point été inventée par les
hagiographes - Exact synchronisme de la Passion des martyrs grecs - Probablement il n’y
eut point d’édit spécial - Mais des violences accidentelles et locales -
Tranquillité de l’Église en Orient - Caractère de Paul de Samosate - Ses
erreurs - Zénobie laisse au concile d’Antioche la liberté de le déposer -
Mais il demeure en possession de la maison épiscopale - Victoire de Claude
sur les Goths - Sa mort.
II. — La religion d’Aurélien.
Caractère d’Aurélien - Il veut rétablir l’unité politique et
religieuse - Victoire des Marcomans en Italie - Aurélien contraint le sénat à
ouvrir les livres sibyllins - Cérémonies expiatoires - Sacrifices humains -
Religion particulière d’Aurélien - Sa mère desservait à Sirmium un temple du
Soleil ou de Mithra - Le culte mithriaque - Popularité de ce culte dans les
camps du Danube - Aurélien y est initié dès l’enfance - Dévotion pour le
culte solaire à toutes les époques de sa vie - Guerre contre Zénobie-
Aurélien visite le temple solaire d’Émèse - Défaite de Zénobie - Destruction
du temple du Soleil à Palmyre - Aurélien le fait rebâtir avec magnificence -
Défaite de Tetricus - Fin de l’empire des Gaules - Inauguration du temple du
Soleil à Rome - Création des pontifes du Soleil - Le Soleil, seigneur de
l’Empire romain - Aurélien rend officielle la tendance de ses contemporains
vers le monothéisme solaire - Tous les cultes païens s’y s6nt absorbés l’un
après l’autre - Vains efforts tentés depuis un demi-siècle pour y absorber
aussi le culte chrétien - Aurélien se fait persécuteur.
III. — La persécution d’Aurélien.
Aurélien ne persécuta pas dès le commencement de son règne -
Restitution à l’Église de la maison épiscopale d’Antioche - Soulèvements en
Gaule - Aurélien les réprime - Chrétiens martyrisés lors de son voyage en ce
pays - Rédaction tardive de leurs Actes - Passions de saint Révérien, de
saint Priscus, de sainte Colombe, de sainte Julie - Aurélien se rend en Dacie
- Abandon de la Dacie
Trajane - Démenti donné à la superstition romaine -
Aurélien rend générale la persécution - Édit de 274 - Mort d’Aurélien - Le
trône reste vacant pendant sept mois - Gouvernement intérimaire du sénat -
Exécution de l’édit dans quelques provinces - Mort du pape saint Félix -
Martyrs d’Italie - Saint Agapit - Saint Félix, saint Irénée, sainte Mustiola
- Saint Eutrope, saintes Zosime et Bonosa - Éloge contemporain de sainte
Zosime - Martyrs en Orient - Saint Conon - Saint Paul et sainte Julienne -
Saint Mamas - Élection de l’empereur Tacite - Fin de la persécution.
CHAPITRE VI — LES CHRÉTIENS SOUS LES SUCCESSEURS
D’AURÉLIEN.
I. — Probus. - Naissance du manichéisme.
Illusions des sénateurs à l’avènement de Tacite - Sa mort -
Élection de Probus - Ses victoires sur les Barbares - Armée romaine assemblée
vers la frontière de la Perse
- Fidèles de l’Osrhoène attaqués pendant une procession par les soldats -
Beaucoup de chrétiens sont tués - Un plus grand nombre est amené à Carrhes -
Le chrétien Marcel les rachète et les nourrit - Il enterre les morts -
Situation des chrétiens dans l’extrême Orient - L’hérésiarque persan Manès
écrit à Marcel - Archélaüs, évêque de Carrhes, invite Manès à une conférence
puBlique - Un médecin, un philosophe, un grammairien et un sophiste sont
choisis pour arbitres par Archélaüs - Situation officielle de ces personnages
- Paganisme professé par eux - Noble confiance des chrétiens - Les arbitres
se prononcent contre Manès - Les manichéens déjà maltraités en Perse - Les
chrétiens, au contraire, y furent tolérés tant que Rome les persécuta - Manès
fugitif tombe aux mains des Perses - Son supplice - Fortune de sa doctrine.
II. — Les martyrs de Phrygie.
Prospérité de l’Empire sous Probus - Trophime et Sabbazius à
Antioche de Pisidie - Ils déplorent tout haut l’aveuglement des païens -
Ceux-ci les traduisent devant le magistrat municipal - Interrogatoire de
Trophime - Il est mis à la torture - Interrogatoire de Sabbazius - Il meurt
aussitôt après la torture - Le magistral envoie Trophime à Synnade devant le
préfet de la
Phrygie Salutaire - Nouvel interrogatoire et torture -
Dorymédon, chef du sénat de Synnade, visite Trophime dans la prison-
Interrogé, Dorymédon se déclare chrétien - Le préfet efface son nom de
l’album du sénat - Dorymédon devient simple plébéien - Importance juridique
de cette dégradation - Trophime et Dorymédon sont exposés aux bêtes - Puis
décapités - L’épisode de Dorymédon fait comprendre la situation toujours
menacée des décurions chrétiens - Cependant il n’y a pas de persécution
générale sous Probus - Indifférence religieuse de ce prince - Sa mort.
III. — Carus, Carinus et Numérien.
Carus, élu par les soldats, nomme Césars ses fils Carinus et
Numérien - Victoires de Carus - Il meurt en Perse - Caractère de ses fils -
Tyrannie de Carinus à Rome - Chrétiens persécutés - Zèle de saint Sébastien -
Conversion de Chromatius - Chromatius affranchit tous ses esclaves - Martyrs
dans la Gaule
Cisalpine - Et en Istrie - Numérien en Orient - A-t-il
persécuté ? - Sa mort - Élection de Dioclétien - Défaite et mort de Carinus -
Dioclétien seul empereur
APPENDICE A — Le tombeau de saint Corneille
APPENDICE B — Les inscriptions de la crypte des saints Chrysanthe et
Daria, dans le cimetière de Thrason
APPENDICE C — Que saint Sixte n’a pas été crucifié
APPENDICE D — La crypte de saint Hippolyte
APPENDICE E — Sur les sources de la Passion de saint Hippolyte
APPENDICE F — De l’identité du docteur Hippolyte avec le martyr de ce nom
enterré sur la voie Tiburtine
APPENDICE G — Découverte des reliques de saint Hyacinthe
APPENDICE H — Note sur l’empire gallo-romain
APPENDICE I — Sur le passage des Actes des martyrs grecs relatif à la
persécution de Claude le Gothique
AVERTISSEMENT
Cette édition nouvelle du troisième volume de l’Histoire
des persécutions contient de nombreuses additions, qui le mettent au
courant des études faites sur le sujet dans ces dernières années. Quelques
erreurs ont été corrigées. Divers points ont été particulièrement revus. A
propos des victimes chrétiennes de l’invasion de Chrocus, j’ai tenu compte
des travaux récents qui rendent impossible de compter parmi elles certains
évêques de date évidemment postérieure. Pour d’autres points contestés, comme
la persécution sous Claude le Gothique, j’ai maintenu mes conclusions,
appuyées d’arguments nouveaux. Les appendices relatifs au martyr Hippolyte
ont été revus avec soin, en notant les opinions diverses, mais en gardant les
solutions précédemment adoptées. Un appendice de la première édition a
disparu : c’est celui qui avait trait aux martyrs de Capoue, Augustin et
Félicité. J’avais parlé d’eux sur la demande de M. de Rossi, qui désirait
voir résumer l’étude qu’il venait d’écrire pour prouver que leur mort eut
lieu sous Dèce et non sous Valérien. Mais, depuis lors, publiant une nouvelle
édition du second volume de l’Histoire des persécutions, j’ai mis ces
saints à leur place dans le récit de celle de Dèce : il n’y avait donc plus à
s’occuper d’eux dans ce troisième volume.
INTRODUCTION
Dans les deux volumes que j’ai déjà consacrés à l’étude
des persécutions, je me suis efforcé d’éclairer les obscurités du sujet par
les renseignements que l’archéologie fournit à l’histoire. Je suivrai dans ce
livre la même méthode, afin de ne pas laisser un seul détail sans
explication, et de placer autant que possible chaque événement ou chaque
personnage dans le cadre qui en fait le mieux ressortir le relief et la
réalité. Je chercherai en même temps à conserver, au récit ses allures narratives.
Les notes et les appendices suffiront, je l’espère, à le décharger de toute
discussion et de toute controverse. Pour atteindre plus complètement ce but,
j’exposerai dès à présent, dans une courte introduction, quelques idées
générales dont la discussion me paraît nécessaire à l’intelligence des
dernières persécutions du troisième siècle.
La première moitié de ce siècle agité avait vu celles de
Septime Sévère, de Maximin et de Dèce. La mort de ce prince interrompit à
peine les hostilités. Il avait péri depuis peu de mois sous les coups des
Barbares, et déjà Gallus renouvelait la persécution. La guerre déclarée par
Gallus à la société chrétienne a vainement été niée par Dodwell, et après lui
par quelques modernes ; elle est prouvée par des documents contemporains,
lettres ou traités de saint Cyprien, de saint Denys d’Alexandrie, textes
empruntés au continuateur de la
Chronique d’Hippolyte, et même aux inscriptions des
catacombes. Sans doute le sang coula moins abondamment et moins
universellement alors qu’à d’autres époques ; mais on vit des pontifes partir
en exil, mourir loin de leurs sièges ; de nombreux chrétiens furent jetés en
prison ; il y eut des martyrs. La persécution de Gallus forme comme le trait
d’union entre celle de Dèce et celle de Valérien : on la pourrait prendre
indifféremment pour le prolongement de la première ou le prélude de la
seconde.
Le chapitre consacré à la raconter servira donc de
transition entre le sujet traité dans le précédent volume et celui- que
j’étudie dans le volume actuel, c’est-à-dire entre les deux moitiés du
troisième siècle, si différentes par certains côtés, si semblables par
d’autres. Ces similitudes et ces différences se montreront dans le récit de
la persécution de Valérien. Quand on lui accorde seulement un regard
superficiel, cette persécution paraît ne se distinguer de celle de Dèce que
par la date : c’est la même hostilité systématique, réfléchie, tendant moins
à l’immolation des chrétiens qu’à la destruction du christianisme, dont la
puissance désormais bien établie inquiète le despotisme impérial. Les
Passions composées à une date tardive, loin des faits, laissent quelquefois
apercevoir de la manière la plus naïve cette ressemblance apparente dans la
politique religieuse des deux empereurs. Cela se
passait pendant les persécutions de Dèce et de Valérien, disent de
nombreux auteurs, oubliant qu’entre la mort du premier et l’avènement du
second deux ans se sont écoulés, et rendant fort perplexe l’historien moderne
qui cherche à déterminer exactement l’époque d’un martyre. Moins d’un siècle
et demi après Dèce, au temps de saint Optat et de saint Jérôme, on parlait
déjà ainsi. Mais, pour ancienne qu’elle soit, cette confusion singulière ne
doit pas nous tromper : rien, si l’on va au fond des choses, ne se ressemble
moins que les persécutions de Dèce et de Valérien.
Le contraste est d’abord dans le caractère des deux
princes. Si j’ai su tracer naguère le portrait moral de Dèce, cet empereur se
montre à nous avec le visage dur, le regard étroit et tenace du vieux Romain,
poursuivant dès les premiers jours de son règne un idéal de réforme ou plutôt
de réaction sociale et religieuse dont il ne s’écarta jamais. Tout autre, va
paraître Valérien ; ondoyant et divers, il sera d’abord ami des chrétiens au
point d’en remplir sa maison, puis se tournera contre eux pour obéir à des
influences étrangères, contre lesquelles sa volonté mal assurée le laisse
sans défense. Autant que le caractère des persécuteurs, le mobile des
persécutions diffère : ce que Valérien poursuivra dans l’Église chrétienne,
ce sera surtout l’association qu’il croit riche et redoutable, et dont il
médite de confisquer les biens ; à ce motif de cupidité, que nous
expliquerons par la situation économique de l’Empire, se joindront les
terreurs superstitieuses d’un esprit affaibli, auxquelles resta toujours
étrangère la froide intelligence de Dèce. Celui-ci était allé droit au but,
par un édit net et tranchant comme le glaive ; Valérien, cauteleux, hésitant,
embarrassé aussi de quelques scrupules d’humanité, s’y : prendra à plusieurs
fois, fera des catégories de victimes, paraîtra tantôt plus occupé de punir,
tantôt plus pressé de confisquer, et n’aura pas trop de deux édits pour
développer sa pensée. Enfin, contraste consolant, s’il doit y avoir sous
Valérien des défaillances et des apostasies, elles seront rares,
individuelles : on ne verra pas se reproduire ces désertions en masse qui
firent tant pleurer l’Église pendant le règne de Dèce. En 250, la persécution
avait surpris les chrétiens au sortir d’une longue paix, pareils à des
soldats endormis dans un camp mal gardé : en 257, elle va les trouver debout,
instruits par de récentes défaites, et prêts à combattre de nouveau.
Est-ce à dire, cependant, que ces deux persécutions
n’offrent que des contrastes ? Ce serait mal comprendre la continuité de
l’histoire. Sous Valérien comme sous Dèce, on remarquera le refroidissement,
chaque jour plus sensible, des passions populaires, que nous avons vues, dans
les deux premiers siècles, si ardentes contre les fidèles. A l’époque des
Antonins, quand les procès criminels des chrétiens n’étaient possibles que
s’il se rencontrait des délateurs, ces procès furent cependant nombreux,
tant’ la haine publique s’attachait aux adorateurs du Christ. Souvent même ce
n’était pas devant une accusation régulière, mais devant l’émeute, devant le soulèvement
de tout un peuple, que tombaient les martyrs. Aussi, bien que partageant les
préjugés de la foule, les empereurs du second siècle furent-ils plus d’une
fois obligés de modérer ses fureurs, qui troublaient l’ordre légal. Au
troisième siècle, la situation n’est plus la même. Un changement radical
s’est fait dans la jurisprudence relative aux chrétiens. Désormais chaque
persécution s’ouvre officiellement par un édit impérial, qui les déclare
ennemis de l’État : les magistrats poursuivent alors d’office, sans attendre
les délateurs. Cette transformation de la jurisprudence correspond à une
modification de l’esprit public. Dans le courant du troisième siècle,
beaucoup d’accusateurs ne se seraient plus rencontrés pour déférer les
chrétiens aux tribunaux sous leur responsabilité personnelle. Excepté dans
quelques rares cités, où un culte local entretenait le fanatisme, le peuple,
en général, est devenu indifférent aux poursuites exercées contre les
fidèles. Le vieux cri, si fréquent au second siècle : Les chrétiens au lion ! ne retentit plus qu’en
certains jours de calamités publiques où la foule, égarée par la souffrance,
cherche des victimes expiatoires. Mais, en temps normal, elle ne manifeste
plus d’hostilité. Parfois même elle laisse voir sa sympathie, sa pitié ou son
respect. Les Juifs insultent encore les martyrs ; le vrai peuple romain
proteste par son silence. La persécution n’est plus une lutte entre toutes
les forces intellectuelles, morales, sociales de l’ancien monde et la sainte
obstination des chrétiens. Le peuple a quitté le champ de bataille, laissant
les membres de l’Église aux prises avec les seules autorités officielles,
assistées de quelques philosophes. Au milieu du troisième siècle, et surtout
dans ses dernières années, la persécution ne traduit plus les sentiments
sincères et spontanés de la foule : elle cesse d’être religieuse et
populaire, pour devenir toute politique.
C’est par là que les persécutions de Dèce et de Valérien,
si différentes dans les détails, présentent cependant un caractère commun :
On en peut noter un second : la fin tragique des persécuteurs. Mais le
résultat de la catastrophe qui termina la vie de l’un et de l’autre fut bien
différent pour l’Église. Gallus, successeur immédiat de Dèce, ne l’avait
laissée respirer qu’un instant. Au contraire, Gallien, épouvanté du sort de
son père, promulgua, dès qu’il fut seul empereur, le premier édit de
pacification religieuse.
Sur cet édit, dont on n’a pas le texte, mais qu’il est
facile de reconstituer d’après Eusèbe, une controverse assez subtile s’est
élevée.
Dans l’opinion commune des ‘historiens, le fils de
Valérien, en rendant aux membres de l’Église la liberté de leur culte, et en
adressant aux évêques des rescrits pour les remettre en possession des lieux
d’assemblée et de sépulture, avait voulu faire du christianisme une religion
licite, religio licita. Quelques
érudits, cependant, accordent à l’acte de Gallien une bien moindre portée[1]. Selon eux,
l’empereur, mettant fin à la persécution, se serait proposé seulement de
rendre à l’Église les immeubles qu’elle avait possédés en vertu du droit
commun des associations, mais n’aurait point prétendu la faire jouir par là
d’une reconnaissance officielle, et lui conférer le caractère dé religion
licite. Valérien avait suspendu son existence corporative, Gallien,
disent-ils, la lui restitua, mais en lui rendant le droit de posséder comme
association, il ne lui accorda pas celui de subsister comme religion, et se
contenta de remettre lés choses dans l’état vague, confus et précaire où
elles étaient avant Valérien.
Une courte digression est nécessaire pour expliquer la
différence des deux points de vue.
J’ai montré ailleurs[2] comment, à la fin
du second siècle ou au début du troisième, l’Église semble avoir pris en
beaucoup de lieux la forme des collèges funéraires autorisés par les lois, et
s’être ainsi assuré le moyen de posséder les immeubles nécessaires au culte
ou à la sépulture. Malgré des objections dont je suis loin de me dissimuler
la valeur[3], cette théorie
est généralement adoptée, comme l’explication la plus naturelle d’un grand
nombre de faits et de textes. Elle laisse encore subsister, cependant, de
nombreuses obscurités. Diverses circonstances, également certaines, semblent
difficiles à concilier. L’Église était avant tout une société religieuse ;
or, il ne pouvait exister dans l’Empire romain d’autres religions que celles
qui avaient été autorisées par l’État. Le christianisme ; au commencement du
troisième siècle, ne faisait pas partie de celles-ci. N’étant pas autorisé,
il se trouvait de plein droit proscrit[4] : il était, selon
l’expression d’un ancien document, une religion défendue, religio vetita[5]. Aussi
voyons-nous les assemblées des chrétiens considérées par les païens et
quelquefois par eux-mêmes comme contraires aux lois. En nous associant, dit Tertullien, nous contrevenons sans doute aux sénatus-consultes et aux
décisions des princes[6]. Celse fait
ressortir la différence qui existe entre les réunions des chrétiens et celles
des collèges légitimes. Les collèges autorisés,
dit-il, se réunissent ouvertement et au grand
jour ; les affiliés chrétiens ont des réunions clandestines et illicites[7]. Les lois
romaines, si tolérantes pour les associations funéraires, veillaient
précisément à ce que celles-ci ne déviassent pas de leur but apparent : Il ne faut pas, écrit un jurisconsulte, que sous le couvert d’un collège de ce genre s’abritent
des réunions illicites[8]. N’y a-t-il pas
dans ces paroles une allusion ou une menace à l’Église chrétienne ?
On voit combien la question est complexe et, en apparence,
contradictoire. Elle présente deux faces d’un côté, nous apercevons le corps des chrétiens, comme on l’appellera
bientôt, vivant au grand jour, s’administrant, possédant ; de l’autre, nous
entendons des voix qui dénoncent ou confessent l’illégalité de ses réunions.
Il semble que la solution de ce difficile problème ait embarrassé les Romains
du troisième siècle autant qu’elle embarrasse aujourd’hui l’histoire.
Dissoudre, à Rome ou en d’autres grandes villes, un collège funéraire aussi
vaste que celui des chrétiens, possesseur de propriétés aussi considérables
que les catacombes, était une mesure grave, qui ne pouvait manquer de
produire une vive émotion. Or, l’autorité romaine répugnait, en temps
ordinaire, aux mesures qui agitent inutilement les esprits. De là, toutes les
fois que la lutte n’est pas à l’état aigu, pendant les intervalles de temps
où l’Empire permet à l’Église de respirer, une tolérance volontaire, une sorte
d’entente tacite de là part du pouvoir. Alors, dans le corps des chrétiens il consent à ne voir
autre chose que le collège funéraire : il ferme les yeux sur tout le reste
et, selon l’expression d’un poète, tient caché son glaive[9]. A-t-il à traiter
avec les chrétiens, à juger leurs procès, à correspondre avec leurs chefs, il
envisage en eux la corporation, non la religion. C’est, comme le dit M. de
Rossi, un modus vivendi pratique[10], une transaction
réservant de part et d’autre les principes, maintenant dans les faits un
accord provisoire. La politique a souvent commandé de ces demi solutions.
Aussi longtemps que la trêve dure et que la fiction légale est respectée,
elles maintiennent une paix illogique, mais bienfaisante. La science du
gouvernement consiste quelquefois à vouloir ne voir que la moitié des choses.
Puisque les empereurs refusaient d’abandonner le principe de l’intolérance
païenne, au moins étaient-ils sages d’arrêter leurs regards à l’apparence et
de permettre à la corporation de leur cacher l’Église.
Il en fut ainsi dans les longs intervalles de paix
relative dont jouit l’Église au troisième siècle. Malheureusement de telles
conditions ne peuvent toujours durer : il suffisait d’un changement dans les
dispositions du souverain pour déchirer le voile et faire évanouir la
fiction. Alors les politiques feignaient de s’apercevoir que les chrétiens
formaient autre chose que des sociétés de secours mutuels. Que préparez-vous contre les princes sous prétexte de
religion ? leur demandaient-ils. L’inoffensif collège funéraire,
jusque-là toléré, se transformait en une machine de guerre dressée contre
l’État. De pauvres gens, qui ne demandaient au prince que la liberté d’adorer
leur Dieu et de répandre l’aumône autour d’eux, devenaient subitement, dans
le langage officiel, des ennemis de la société
civile, des ennemis de la patrie, des ennemis du genre humain,
étaient accusés de pousser au renversement de l’ordre de choses établi, et
leurs associations pieuses passaient pour des foyers de conspiration. On a vu,
sous Dèce, tous les chrétiens mis en demeure d’apostasier ou de mourir. Sous
Valérien, la corporation chrétienne est directement visée, les Églises sont
assimilées à des collèges illicites,
leurs membres et leurs biens placés immédiatement sous le coup de lois
terribles. Après Valérien va paraître pour la première fois un édit solennel
mettant fin à la persécution. Il s’agit de savoir si par cet acte, que
couvrirent de louanges toutes les voix chrétiennes, le fils de Valérien n’a
fait rien de plus que de rétablir entre l’Église et l’État un modus
vivendi toujours précaire et provisoire, ou s’il voulut résolument
dissiper l’équivoque en accordant dès lors au christianisme tous les droits
des cultes reconnus.
Du chapitre que je consacrerai à l’édit de Gallien
ressortira, je pense, cette dernière solution. A mes yeux, l’acte par lequel
cet empereur termina la persécution fut un véritable traité de paix, un
accord formel entre l’État et l’Église. Sans doute, et pour des causes que
j’expliquerai, cet acte ne survécut pas à son auteur : c’est le sort de plus
d’un traité. Mais il montra au moins la route de l’avenir, et orienta la
politique romaine dans une direction nouvelle. Au siècle suivant, Maxence
puis Galère promulgueront des actes semblables, et enfin l’édit de Milan
assurera la paix religieuse. Gallien aura eu le mérite d’ouvrir la Voie et d’y marcher le
premier.
Cependant, s’il paraît contraire à la vérité historique de
diminuer la portée de l’édit de Gallien, d’autre part il y aurait péril à
l’exagérer en sens opposé. C’est ce qu’on fait quand, attribuant à cet édit
une efficacité que malheureusement il n’eut pas, on s’en autorise pour nier
toutes les traditions relatives aux persécutions partielles qui éclatèrent
entre sa promulgation et la fin du troisième siècle[11].
D’après l’opinion généralement admise, entre 268, date de
la mort de Gallien, et 286, date de l’avènement de Dioclétien, les chrétiens
auraient été persécutés sous Claude le Gothique et à la fin du règne
d’Aurélien ; il y aurait eu, ensuite, des martyrs isolés sous Probus, et
peut-être sous les deux fils de Carus, les empereurs Carinus et Numérien. Je
crois cette opinion fondée, et j’espère la démontrer dans les deux derniers
chapitres de ce livre. Mais, avant même de l’examiner en fait, il m’est
impossible de comprendre comment les violences plus ou moins générales
exercées contre les chrétiens bien des années après l’édit de Gallien
seraient, à priori, inconciliables avec la reconnaissance officielle
dont, pendant un instant trop court, cet acte les avait fait jouir.
La première des persécutions postérieures à Gallien est
celle que la tradition attribue à Claude le Gothique. Selon certaines
Passions, de peu d’autorité dans les détails, cet empereur aurait, par une
loi nouvelle, déclaré la guerre au christianisme. Si cette assertion doit
être admise, elle n’est nullement en contradiction avec ce qui a été dit de
l’acte de Gallien ; mais elle montre l’édit d’un empereur détruit par un édit
contraire de son successeur. L’un avait reconnu au christianisme le caractère
de religion licite, l’autre abroge cette reconnaissance. C’est une véritable rescissio legum, selon le terme juridique.
Cependant je montrerai que la persécution contemporaine de Claude n’eut
probablement pas lieu en vertu de l’initiative impériale : elle fut tout
accidentelle et locale, et se déchaîna surtout à Rome et aux environs, dans
les lieux soumis à l’influence immédiate du sénat, alors que l’empereur était
aux frontières repoussant une invasion. Dans de telles circonstances, cette
persécution s’explique sans que l’édit de Gallien ait été formellement
rapporté : elle en est une violation, due au fanatisme païen du sénat et à
l’émotion causée par un grand danger public.
Le successeur de Claude, le vaillant Aurélien, s’était
d’abord montré favorable aux fidèles, et, jugeant un procès relatif à des
biens ecclésiastiques, avait décidé par des motifs tout à fait en harmonie
avec l’édit de Gallien. Vers la fin de sa vie ses dispositions changèrent. Il
résolut de persécuter. J’expliquerai les motifs de sa persécution, où la
politique entra pour une moindre part qu’un fanatisme très particulier et
très personnel, indice d’une profonde transformation dans les idées
religieuses du monde païen. La mort d’Aurélien arrivée peu de temps après la
promulgation de l’édit par lequel il déclarait la guerre au christianisme,
laissa presque aussitôt la persécution sans chef ; mais celle-ci continua
dans quelques provinces, pendant le long intérim géré par le sénat en
attendant l’élection d’un nouvel empereur. Nier qu’il y eut des martyrs à la
suite de l’édit d’Aurélien n’est pas possible : on peut discuter ; les
Passions, dont beaucoup ne ressemblent guère à des relations originales ;
mais de ces textes, si mauvais qu’ils soient, il est facile de tirer des
renseignements historiques. Je renvoie aux règles de critique exposées dans
l’Introduction de mon premier volume. Un point demeure certain : Aurélien, au
témoignage d’Eusèbe et de Lactance, promulgua un édit de persécution. Si
l’édit de paix de Gallien avait subsisté jusque-là, il fut cette fois abrogé
formellement. Des martyrs après cette époque se comprennent donc fort bien,
et ne supposent aucune contradiction avec un état de tolérance légale qui
n’existait plus.
Le même raisonnement s’applique aux années qui suivront.
L’élection du vieux patricien Tacite mit fin à la persécution décrétée par
Aurélien. C’est alors que l’Église rentra dans la situation équivoque et
précaire d’où l’édit de Gallien l’avait un instant tirée. La fiction légale
reparut : la corporation chrétienne recommença d’être traitée comme toutes
les corporations de droit commun, mais en demeurant exposée sans cesse à être
dissoute comme abritant sous le couvert d’une association licite une religion
redevenue illicite. Entre Aurélien et Dioclétien il n’y eut pas de
persécution formelle : cependant les chrétiens purent encore être l’objet de
violences isolées, pareilles à ces coups de feu que l’on entend, le soir, sur
la lisière d’un camp, après que la bataille a cessé. Rien n’était plus facile
que d’appliquer aux fidèles soit d’anciennes lois, soit même l’édit
d’Aurélien, qui n’avait pas été l’objet d’une abrogation expresse. Ainsi
s’explique le martyre de Trophime, Sabbatius et Dorymédon, sous Probus : les
Actes qui le racontent sont, comme nous le montrerons, remplis de
renseignements trop abondants et trop exacts pour n’avoir pas au moins un
fondement historique. On attribue également des martyrs au court règne des
deux fils de Carus, soit en Occident, soit en Orient ; nous examinerons ce
qu’il faut retenir de ces épisodes, mais, qu’ils soient ou non établis en
fait, nous ne songerons pas à les rejeter en principe comme incompatibles
avec l’éphémère situation juridique instituée par Gallien.
Tout se tient dans l’histoire d’une époque : aussi, en
exposant la controverse à laquelle a donné lieu l’édit de Gallien, je me suis
trouvé résumer d’avance l’histoire des persécutions pendant la dernière
moitié du troisième siècle, et tracer dans ses lignes générales le plan de ce
livre. Le récit qu’on va lire s’arrête à l’avènement de Dioclétien. La
victoire de l’Église n’est pas encore gagnée, mais la solution qui s’imposera
tôt ou tard a déjà été entrevue.
Août 1887.
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