Les dernières persécutions du troisième siècle

Paul Allard 1903

 

 

AVERTISSEMENT ET INTRODUCTION

 

CHAPITRE PREMIER — LES CHRÉTIENS SOUS GALLUS.

I. — La peste et l’attente de la persécution.

L’armée de Mésie élit Gallus après la mort de Dèce - Les Goths se retirent, emmenant leurs prisonniers - Faveur montrée par eux aux prisonniers chrétiens - Situation de l’Église au lendemain de la persécution de Dèce - Schisme de Novatien - Ferme attitude du pape saint Corneille - Échec des novations à Rome - Leur propagande dans les provinces - Épreuve salutaire : la peste - Lâcheté des populations païennes - Charité des chrétiens, à Carthage, à Alexandrie - Effet de ce spectacle sur les païens - Conversions à Néocésarée - Ailleurs, l’opinion publique rend les chrétiens responsables du fléau - Saint Cyprien prépare son troupeau à la persécution - Il l’habitue à considérer la maladie comme exerçant au martyre - Il travaille à la réconciliation des tombés - L’Église est prête à de nouveaux combats.

II. — La persécution de Gallus.

Édit de Gallus, ordonnant des sacrifices publics pour obtenir la fin de la peste - Cris de mort contre les chrétiens - Gallus commence la persécution - Saint Corneille exilé à Civita Vecchia - Courage des chrétiens de Rome - Des tombés réconciliés versent leur sang pour le Christ - Violences à Alexandrie, à Carthage - Lettre de saint Cyprien à Demetrianus - Saint Corneille meurt en exil - Sa sépulture dans la crypte de Lucine - Son successeur Lucius exilé comme lui - Invasion barbare en Numidie - Captifs rachetés par l’Église de Carthage - Mort tragique de Gallus - Émilien - Avènement de Valérien - Il se montre d’abord favorable aux chrétiens - Lucius rentre triomphalement à Rome - Lettre de saint Cyprien - Mort de Lucius - Sa sépulture dans le cimetière de Calliste.

 

CHAPITRE II — LE PREMIER ÉDIT DE VALÉRIEN.

I. — L’édit de 257.

Caractère de Valérien - Chrétiens nombreux dans sa maison - Situation de l’Église, rassurante pour le pouvoir civil - Difficultés intérieures - Affaire de Marcien d’Arles - Les évêques libellatiques de Léon et de Mérida - Controverse sur le baptême des hérétiques - Tolérance des évêques pour les coutumes profanes - Cependant, défiances semées dans l’esprit de Valérien - Prospérité temporelle de l’Église - Sa charité pour toutes les misères - Comparaison avec la détresse financière de l’Empire - Idées fausses des païens sur la puissance et les richesses de l’Église - Rôle de la question d’argent dans les dernières persécutions du troisième siècle - Premières violences - Voyage d’une famille grecque à Rome - Ses grandes aumônes - Valérien interroge Hadrias sur ses richesses - Martyre d’Hadrias, de Pauline, de Néon, de Marie, de Maxime et d’Hippolyte - Chrysanthe et Daria enterrés vivants - Traité de saint Cyprien sur l’exhortation au martyre - Nouveaux efforts des conseillers de Valérien pour le tourner contre l’Église - Macrien et la magie - Valérien promulgue un édit contre les chrétiens - Première disposition de l’édit, exigeant un acte d’adhésion au culte officiel - Deuxième disposition, défendant l’entrée des cimetières de la communauté chrétienne - La première disposition s’applique aux seuls membres du clergé - La seconde regarde tous les fidèles - Le refus d’obéir à la première disposition est puni de l’exil - La contravention à la seconde est punie de mort - L’Église assimilée à une association illicite.

II. — L’exécution de l’édit.

Date de l’édit, indiquée par un texte de saint Denys d’Alexandrie - Relation du procès de saint Cyprien - Son exil à Curube - Vision annonçant son prochain martyre - Arrestation d’évêques, de prêtres, de diacres, de laïques, coupables de réunion dans les cimetières - Quelques-uns sont condamnés à mort, les autres envoyés aux mines - Leur correspondance avec saint Cyprien - Leurs souffrances dans les mines de Sigus - Comparution de saint Denys d’Alexandrie et de ses compagnons devant le préfet d’Égypte - Leur exil à Kephro - Saint Denys évangélise les habitants - Translation dans la Maréole - Réponse de saint Denys aux calomnies de Germanus - La persécution à Rome - Mort du pape saint Étienne - Travaux dans le cimetière de Calliste, pour en faciliter la fréquentation secrète - Martyre de l’acolyte Tarsicius - Chrétiens enterrés vivants dans l’arénaire de la voie Salaria - Une messe interrompue par le martyre.

 

CHAPITRE III — LE DEUXIÈME ÉDIT DE VALÉRIEN.

I. — L’édit de 258. - Le martyre de saint Sixte.

Saint Cyprien est rappelé à Carthage - Bruit du martyre du pape saint Sixte II - Messager envoyé à Rome - Lettre de saint Cyprien à Successus, annonçant un nouvel édit - Peine de mort contre les évêques, prêtres, diacres - Confiscation des biens, dégradation et peine de mort, pour les sénateurs, nobles, chevaliers - Confiscation des biens et attache à la glèbe, pour les Césariens - Le premier édit continue d’être en vigueur pour le reste des fidèles - Saint Sixte II transporte dans une crypte de la voie Appienne les corps de saint Pierre et de saint Paul - Il est arrêté dans le cimetière de Prétextat - Et décapité sur la chaire épiscopale - Martyre de six diacres.

II. — La persécution à Rome et en Occident.

Le pouvoir civil veut s’emparer du patrimoine mobilier de l’Église - Illégalité de la mesure - Le premier diacre saint Laurent, administrateur de la communauté, est épargné à dessein - On lui ordonne de livrer le trésor - Il montre les pauvres, trésor de l’Église - Il est brûlé vif - Martyre de Sévère, Claude, Crescent et Romain - Martyre du docteur saint Hippolyte - Martyre des saints Protus et Hyacinthe - Martyre des saintes Eugénie, Basilla, Rufine et Seconde - Martyre de sainte Sotère et de saint Pancrace - Martyrs en Gaule : saint Pontius, à Cimiez, saint Patrocle, à Troyes - Martyrs en Espagne : saint Fructueux, évêque de Tarragone, et ses diacres Augure et Euloge - Attachement de Tarragone au culte officiel - Cependant, bienveillance des habitants pour les chrétiens - Arrestation de Fructueux et des diacres - Leur procès - Fructueux, marchant au supplice, refuse de boire du vin aromatique - Les trois martyrs sont brûlés vifs - Les fidèles recueillent leurs cendres.

III. — La persécution en Afrique.

Martyrs à Utique - La Masse blanche - Le proconsul fait chercher saint Cyprien - Retraite de celui-ci - Sa dernière lettre - Son arrestation - Interrogatoire et sentence - Il est décapité - Sa sépulture - Martyre de Paul et de Successus - Arrestation de Lucius, Montan, Flavien, Julien, Victorie, Renus, Primolus et Donatien - Leur captivité - Donatien, Primolus et Renus meurent en prison  Martyre de Quartillosa, de son mari et de son fils - Martyre de Lucius, Montan, Julien et Victorie - Flavien est ramené en prison - I1 est enfin condamné - Conversation en marchant au supplice - Son martyre - Cruautés du légat de Numidie - Arrestation de Jacques et Marien, près de Cirta - Marien est mis à la torture - On l’envoie avec Jacques à Lambèse - Massacres de chrétiens - Jacques, Marien et leurs compagnons sont conduits au supplice   - Dernière vision des martyrs.

IV. — La persécution en Asie.

La présence de Valérien excite le zèle des magistrats - Chrétiens poursuivis en Palestine - Prisque, Malchus et Alexandre se dénoncent, et sont brûlés vifs à Césarée - Sapricius confesse la foi à Antioche, nais refuse de se réconcilier avec Nicéphore - Il faiblit au dernier moment - Nicéphore est martyrisé à sa place - Martyre de Paregorius, à Patare, en Lycie - L’ermite Léon proteste, dans la même ville, contre les fêtes païennes - Son martyre - Martyre de saint Cyrille, en Cappadoce - Les martyres d’enfants.

 

CHAPITRE IVLA CHUTE DE VALÉRIEN ET LE PREMIER ÉDIT DE TOLÉRANCE.

I. — La chute de Valérien.

Les chrétiens soutenus par la pensée de la justice divine - Fléaux prédits par les martyrs de Lambèse - Invasion des Kabyles en Numidie - Invasion des Alemans en Gaule - Destruction par Chrocus du temple de Mercure Dumias - Chrétiens massacrés par les Barbares - Martyre de Victorin, Cassius, Antolianus, Liminius - de Privat, évêque de Javoulx - L’Espagne ravagée par les Francs - Incursions des Goths et des Borans en Asie Mineure - Faiblesse de quelques chrétiens du Pont - Lettre canonique de saint Grégoire le Thaumaturge - Évangélisation des Goths par les captifs chrétiens - Le roi de Perse, Sapor, s’avance en Mésopotamie - Défaite de l’armée romaine - Trahison de Macrien - Prise de Valérien - Sapor entre dans Antioche - Il donne la pourpre au traître Cyriadès - Pillage de l’Asie romaine - Captifs rachetés parle pape saint Denys - Humiliation de Valérien - Jugement des écrivains chrétiens - Mort de Valérien.

II. — L’édit de Gallien.

La leçon n’est pas perdue pour Gallien - Caractère de l’impératrice Salonine - Ses rapports avec les philosophes néoplatoniciens - Sa conversion probable au christianisme - Son influence favorable à l’Église - Gallien rend un édit mettant fin à la persécution - Et restituant aux évêques les lieux religieux et les cimetières - Restitution aux particuliers chrétiens de leurs biens confisqués - Saint Félix de Nole refuse de revendiquer son patrimoine - Le pape saint Denys recouvre les immeubles de l’Église romaine - Il en réorganise l’administration - La mollesse de Gallien empêche l’édit de porter tous ses fruits - Fautes de sa politique extérieure - L’édit est appliqué seulement dans une partie de l’Empire.

III. - Les chrétiens sous les trente tyrans.

Posthume élu en Gaule - Caractère tout romain de son gouvernement - La Bretagne et l’Espagne le reconnaissent - Aucun acte de persécution sous Posthume et ses successeurs - Persistance en Gaule des cultes locaux - Absence de fanatisme pour le culte officiel - Efforts des empereurs gallo-romains pour se faire accepter de Gallien comme collègues - Ils imitent sa politique religieuse - Aureolus proclamé dans les provinces danubiennes - Il s’allie à Gallien, et applique l’édit de tolérance - Les Perses battus par Odenath, prince de Palmyre - Macrien usurpe l’empire en Orient - Rentrée de saint Denys dans Alexandrie livrée à la guerre civile - La persécution continue dans les États de Macrien - Martyre de Marinus à Césarée de Palestine - Courage du sénateur chrétien Asterius - Mort de Macrien et de ses fils - Joie des chrétiens - Paroles de saint Denys d’Alexandrie - Dévouement des chrétiens pour Gallien - Les évêques orientaux reprennent possession des lieux religieux - Usurpation d’Émilien en Égypte - Deux lettrés chrétiens, Anatole et Eusèbe, se font médiateurs entre la population d’Alexandrie et l’armée romaine - Défaite d’Émilien - Importance commerciale et militaire de Palmyre - Odenath reconnu empereur par Gallien - Tolérance religieuse dans ses États - Portrait de Zénobie - Sa sympathie pour les chrétiens - Faveur dont jouit près d’elle Paul de Samosate, évêque d’Antioche - Succès apparent et fragilité réelle de l’œuvre de Gallien.

 

CHAPITRE V — LES PERSÉCUTIONS DE CLAUDE ET D’AURÉLIEN.

I. — Les chrétiens sous Claude le Gothique.

Élection de Claude - Apothéose de Gallien - Effet légal de cet acte - Politique prudente de Claude - Il s’abstient d’intervenir en faute et en Orient - Invasion des Goths - Message de Claude au sénat - Son départ - Péril de l’Empire - La superstition publique cherche des victimes - Le sénat persécute les chrétiens - Martyrs attribués au règne de Claude - La persécution est bornée à Rome et à l’Italie - Elle n’a point été inventée par les hagiographes - Exact synchronisme de la Passion des martyrs grecs - Probablement il n’y eut point d’édit spécial - Mais des violences accidentelles et locales - Tranquillité de l’Église en Orient - Caractère de Paul de Samosate - Ses erreurs - Zénobie laisse au concile d’Antioche la liberté de le déposer - Mais il demeure en possession de la maison épiscopale - Victoire de Claude sur les Goths - Sa mort.

II. — La religion d’Aurélien.

Caractère d’Aurélien - Il veut rétablir l’unité politique et religieuse - Victoire des Marcomans en Italie - Aurélien contraint le sénat à ouvrir les livres sibyllins - Cérémonies expiatoires - Sacrifices humains - Religion particulière d’Aurélien - Sa mère desservait à Sirmium un temple du Soleil ou de Mithra - Le culte mithriaque - Popularité de ce culte dans les camps du Danube - Aurélien y est initié dès l’enfance - Dévotion pour le culte solaire à toutes les époques de sa vie - Guerre contre Zénobie- Aurélien visite le temple solaire d’Émèse - Défaite de Zénobie - Destruction du temple du Soleil à Palmyre - Aurélien le fait rebâtir avec magnificence - Défaite de Tetricus - Fin de l’empire des Gaules - Inauguration du temple du Soleil à Rome - Création des pontifes du Soleil - Le Soleil, seigneur de l’Empire romain - Aurélien rend officielle la tendance de ses contemporains vers le monothéisme solaire - Tous les cultes païens s’y s6nt absorbés l’un après l’autre - Vains efforts tentés depuis un demi-siècle pour y absorber aussi le culte chrétien - Aurélien se fait persécuteur.

III. — La persécution d’Aurélien.

Aurélien ne persécuta pas dès le commencement de son règne - Restitution à l’Église de la maison épiscopale d’Antioche - Soulèvements en Gaule - Aurélien les réprime - Chrétiens martyrisés lors de son voyage en ce pays - Rédaction tardive de leurs Actes - Passions de saint Révérien, de saint Priscus, de sainte Colombe, de sainte Julie - Aurélien se rend en Dacie - Abandon de la Dacie Trajane - Démenti donné à la superstition romaine - Aurélien rend générale la persécution - Édit de 274 - Mort d’Aurélien - Le trône reste vacant pendant sept mois - Gouvernement intérimaire du sénat - Exécution de l’édit dans quelques provinces - Mort du pape saint Félix - Martyrs d’Italie - Saint Agapit - Saint Félix, saint Irénée, sainte Mustiola - Saint Eutrope, saintes Zosime et Bonosa - Éloge contemporain de sainte Zosime - Martyrs en Orient - Saint Conon - Saint Paul et sainte Julienne - Saint Mamas - Élection de l’empereur Tacite - Fin de la persécution.

 

CHAPITRE VI — LES CHRÉTIENS SOUS LES SUCCESSEURS D’AURÉLIEN.

I. — Probus. - Naissance du manichéisme.

Illusions des sénateurs à l’avènement de Tacite - Sa mort - Élection de Probus - Ses victoires sur les Barbares - Armée romaine assemblée vers la frontière de la Perse - Fidèles de l’Osrhoène attaqués pendant une procession par les soldats - Beaucoup de chrétiens sont tués - Un plus grand nombre est amené à Carrhes - Le chrétien Marcel les rachète et les nourrit - Il enterre les morts - Situation des chrétiens dans l’extrême Orient - L’hérésiarque persan Manès écrit à Marcel - Archélaüs, évêque de Carrhes, invite Manès à une conférence puBlique - Un médecin, un philosophe, un grammairien et un sophiste sont choisis pour arbitres par Archélaüs - Situation officielle de ces personnages - Paganisme professé par eux - Noble confiance des chrétiens - Les arbitres se prononcent contre Manès - Les manichéens déjà maltraités en Perse - Les chrétiens, au contraire, y furent tolérés tant que Rome les persécuta - Manès fugitif tombe aux mains des Perses - Son supplice - Fortune de sa doctrine.

II. — Les martyrs de Phrygie.

Prospérité de l’Empire sous Probus - Trophime et Sabbazius à Antioche de Pisidie - Ils déplorent tout haut l’aveuglement des païens - Ceux-ci les traduisent devant le magistrat municipal - Interrogatoire de Trophime - Il est mis à la torture - Interrogatoire de Sabbazius - Il meurt aussitôt après la torture - Le magistral envoie Trophime à Synnade devant le préfet de la Phrygie Salutaire - Nouvel interrogatoire et torture - Dorymédon, chef du sénat de Synnade, visite Trophime dans la prison- Interrogé, Dorymédon se déclare chrétien - Le préfet efface son nom de l’album du sénat - Dorymédon devient simple plébéien - Importance juridique de cette dégradation - Trophime et Dorymédon sont exposés aux bêtes - Puis décapités - L’épisode de Dorymédon fait comprendre la situation toujours menacée des décurions chrétiens - Cependant il n’y a pas de persécution générale sous Probus - Indifférence religieuse de ce prince - Sa mort.

III. — Carus, Carinus et Numérien.

Carus, élu par les soldats, nomme Césars ses fils Carinus et Numérien - Victoires de Carus - Il meurt en Perse - Caractère de ses fils - Tyrannie de Carinus à Rome - Chrétiens persécutés - Zèle de saint Sébastien - Conversion de Chromatius - Chromatius affranchit tous ses esclaves - Martyrs dans la Gaule Cisalpine - Et en Istrie - Numérien en Orient - A-t-il persécuté ? - Sa mort - Élection de Dioclétien - Défaite et mort de Carinus - Dioclétien seul empereur

 

APPENDICE A — Le tombeau de saint Corneille

APPENDICE B — Les inscriptions de la crypte des saints Chrysanthe et Daria, dans le cimetière de Thrason

APPENDICE C — Que saint Sixte n’a pas été crucifié

APPENDICE D — La crypte de saint Hippolyte

APPENDICE E — Sur les sources de la Passion de saint Hippolyte

APPENDICE F — De l’identité du docteur Hippolyte avec le martyr de ce nom enterré sur la voie Tiburtine

APPENDICE G — Découverte des reliques de saint Hyacinthe

APPENDICE H — Note sur l’empire gallo-romain

APPENDICE I — Sur le passage des Actes des martyrs grecs relatif à la persécution de Claude le Gothique

 

 

AVERTISSEMENT

Cette édition nouvelle du troisième volume de l’Histoire des persécutions contient de nombreuses additions, qui le mettent au courant des études faites sur le sujet dans ces dernières années. Quelques erreurs ont été corrigées. Divers points ont été particulièrement revus. A propos des victimes chrétiennes de l’invasion de Chrocus, j’ai tenu compte des travaux récents qui rendent impossible de compter parmi elles certains évêques de date évidemment postérieure. Pour d’autres points contestés, comme la persécution sous Claude le Gothique, j’ai maintenu mes conclusions, appuyées d’arguments nouveaux. Les appendices relatifs au martyr Hippolyte ont été revus avec soin, en notant les opinions diverses, mais en gardant les solutions précédemment adoptées. Un appendice de la première édition a disparu : c’est celui qui avait trait aux martyrs de Capoue, Augustin et Félicité. J’avais parlé d’eux sur la demande de M. de Rossi, qui désirait voir résumer l’étude qu’il venait d’écrire pour prouver que leur mort eut lieu sous Dèce et non sous Valérien. Mais, depuis lors, publiant une nouvelle édition du second volume de l’Histoire des persécutions, j’ai mis ces saints à leur place dans le récit de celle de Dèce : il n’y avait donc plus à s’occuper d’eux dans ce troisième volume.

 

INTRODUCTION

Dans les deux volumes que j’ai déjà consacrés à l’étude des persécutions, je me suis efforcé d’éclairer les obscurités du sujet par les renseignements que l’archéologie fournit à l’histoire. Je suivrai dans ce livre la même méthode, afin de ne pas laisser un seul détail sans explication, et de placer autant que possible chaque événement ou chaque personnage dans le cadre qui en fait le mieux ressortir le relief et la réalité. Je chercherai en même temps à conserver, au récit ses allures narratives. Les notes et les appendices suffiront, je l’espère, à le décharger de toute discussion et de toute controverse. Pour atteindre plus complètement ce but, j’exposerai dès à présent, dans une courte introduction, quelques idées générales dont la discussion me paraît nécessaire à l’intelligence des dernières persécutions du troisième siècle.

La première moitié de ce siècle agité avait vu celles de Septime Sévère, de Maximin et de Dèce. La mort de ce prince interrompit à peine les hostilités. Il avait péri depuis peu de mois sous les coups des Barbares, et déjà Gallus renouvelait la persécution. La guerre déclarée par Gallus à la société chrétienne a vainement été niée par Dodwell, et après lui par quelques modernes ; elle est prouvée par des documents contemporains, lettres ou traités de saint Cyprien, de saint Denys d’Alexandrie, textes empruntés au continuateur de la Chronique d’Hippolyte, et même aux inscriptions des catacombes. Sans doute le sang coula moins abondamment et moins universellement alors qu’à d’autres époques ; mais on vit des pontifes partir en exil, mourir loin de leurs sièges ; de nombreux chrétiens furent jetés en prison ; il y eut des martyrs. La persécution de Gallus forme comme le trait d’union entre celle de Dèce et celle de Valérien : on la pourrait prendre indifféremment pour le prolongement de la première ou le prélude de la seconde.

Le chapitre consacré à la raconter servira donc de transition entre le sujet traité dans le précédent volume et celui- que j’étudie dans le volume actuel, c’est-à-dire entre les deux moitiés du troisième siècle, si différentes par certains côtés, si semblables par d’autres. Ces similitudes et ces différences se montreront dans le récit de la persécution de Valérien. Quand on lui accorde seulement un regard superficiel, cette persécution paraît ne se distinguer de celle de Dèce que par la date : c’est la même hostilité systématique, réfléchie, tendant moins à l’immolation des chrétiens qu’à la destruction du christianisme, dont la puissance désormais bien établie inquiète le despotisme impérial. Les Passions composées à une date tardive, loin des faits, laissent quelquefois apercevoir de la manière la plus naïve cette ressemblance apparente dans la politique religieuse des deux empereurs. Cela se passait pendant les persécutions de Dèce et de Valérien, disent de nombreux auteurs, oubliant qu’entre la mort du premier et l’avènement du second deux ans se sont écoulés, et rendant fort perplexe l’historien moderne qui cherche à déterminer exactement l’époque d’un martyre. Moins d’un siècle et demi après Dèce, au temps de saint Optat et de saint Jérôme, on parlait déjà ainsi. Mais, pour ancienne qu’elle soit, cette confusion singulière ne doit pas nous tromper : rien, si l’on va au fond des choses, ne se ressemble moins que les persécutions de Dèce et de Valérien.

Le contraste est d’abord dans le caractère des deux princes. Si j’ai su tracer naguère le portrait moral de Dèce, cet empereur se montre à nous avec le visage dur, le regard étroit et tenace du vieux Romain, poursuivant dès les premiers jours de son règne un idéal de réforme ou plutôt de réaction sociale et religieuse dont il ne s’écarta jamais. Tout autre, va paraître Valérien ; ondoyant et divers, il sera d’abord ami des chrétiens au point d’en remplir sa maison, puis se tournera contre eux pour obéir à des influences étrangères, contre lesquelles sa volonté mal assurée le laisse sans défense. Autant que le caractère des persécuteurs, le mobile des persécutions diffère : ce que Valérien poursuivra dans l’Église chrétienne, ce sera surtout l’association qu’il croit riche et redoutable, et dont il médite de confisquer les biens ; à ce motif de cupidité, que nous expliquerons par la situation économique de l’Empire, se joindront les terreurs superstitieuses d’un esprit affaibli, auxquelles resta toujours étrangère la froide intelligence de Dèce. Celui-ci était allé droit au but, par un édit net et tranchant comme le glaive ; Valérien, cauteleux, hésitant, embarrassé aussi de quelques scrupules d’humanité, s’y : prendra à plusieurs fois, fera des catégories de victimes, paraîtra tantôt plus occupé de punir, tantôt plus pressé de confisquer, et n’aura pas trop de deux édits pour développer sa pensée. Enfin, contraste consolant, s’il doit y avoir sous Valérien des défaillances et des apostasies, elles seront rares, individuelles : on ne verra pas se reproduire ces désertions en masse qui firent tant pleurer l’Église pendant le règne de Dèce. En 250, la persécution avait surpris les chrétiens au sortir d’une longue paix, pareils à des soldats endormis dans un camp mal gardé : en 257, elle va les trouver debout, instruits par de récentes défaites, et prêts à combattre de nouveau.

Est-ce à dire, cependant, que ces deux persécutions n’offrent que des contrastes ? Ce serait mal comprendre la continuité de l’histoire. Sous Valérien comme sous Dèce, on remarquera le refroidissement, chaque jour plus sensible, des passions populaires, que nous avons vues, dans les deux premiers siècles, si ardentes contre les fidèles. A l’époque des Antonins, quand les procès criminels des chrétiens n’étaient possibles que s’il se rencontrait des délateurs, ces procès furent cependant nombreux, tant’ la haine publique s’attachait aux adorateurs du Christ. Souvent même ce n’était pas devant une accusation régulière, mais devant l’émeute, devant le soulèvement de tout un peuple, que tombaient les martyrs. Aussi, bien que partageant les préjugés de la foule, les empereurs du second siècle furent-ils plus d’une fois obligés de modérer ses fureurs, qui troublaient l’ordre légal. Au troisième siècle, la situation n’est plus la même. Un changement radical s’est fait dans la jurisprudence relative aux chrétiens. Désormais chaque persécution s’ouvre officiellement par un édit impérial, qui les déclare ennemis de l’État : les magistrats poursuivent alors d’office, sans attendre les délateurs. Cette transformation de la jurisprudence correspond à une modification de l’esprit public. Dans le courant du troisième siècle, beaucoup d’accusateurs ne se seraient plus rencontrés pour déférer les chrétiens aux tribunaux sous leur responsabilité personnelle. Excepté dans quelques rares cités, où un culte local entretenait le fanatisme, le peuple, en général, est devenu indifférent aux poursuites exercées contre les fidèles. Le vieux cri, si fréquent au second siècle : Les chrétiens au lion ! ne retentit plus qu’en certains jours de calamités publiques où la foule, égarée par la souffrance, cherche des victimes expiatoires. Mais, en temps normal, elle ne manifeste plus d’hostilité. Parfois même elle laisse voir sa sympathie, sa pitié ou son respect. Les Juifs insultent encore les martyrs ; le vrai peuple romain proteste par son silence. La persécution n’est plus une lutte entre toutes les forces intellectuelles, morales, sociales de l’ancien monde et la sainte obstination des chrétiens. Le peuple a quitté le champ de bataille, laissant les membres de l’Église aux prises avec les seules autorités officielles, assistées de quelques philosophes. Au milieu du troisième siècle, et surtout dans ses dernières années, la persécution ne traduit plus les sentiments sincères et spontanés de la foule : elle cesse d’être religieuse et populaire, pour devenir toute politique.

C’est par là que les persécutions de Dèce et de Valérien, si différentes dans les détails, présentent cependant un caractère commun : On en peut noter un second : la fin tragique des persécuteurs. Mais le résultat de la catastrophe qui termina la vie de l’un et de l’autre fut bien différent pour l’Église. Gallus, successeur immédiat de Dèce, ne l’avait laissée respirer qu’un instant. Au contraire, Gallien, épouvanté du sort de son père, promulgua, dès qu’il fut seul empereur, le premier édit de pacification religieuse.

Sur cet édit, dont on n’a pas le texte, mais qu’il est facile de reconstituer d’après Eusèbe, une controverse assez subtile s’est élevée.

Dans l’opinion commune des ‘historiens, le fils de Valérien, en rendant aux membres de l’Église la liberté de leur culte, et en adressant aux évêques des rescrits pour les remettre en possession des lieux d’assemblée et de sépulture, avait voulu faire du christianisme une religion licite, religio licita. Quelques érudits, cependant, accordent à l’acte de Gallien une bien moindre portée[1]. Selon eux, l’empereur, mettant fin à la persécution, se serait proposé seulement de rendre à l’Église les immeubles qu’elle avait possédés en vertu du droit commun des associations, mais n’aurait point prétendu la faire jouir par là d’une reconnaissance officielle, et lui conférer le caractère dé religion licite. Valérien avait suspendu son existence corporative, Gallien, disent-ils, la lui restitua, mais en lui rendant le droit de posséder comme association, il ne lui accorda pas celui de subsister comme religion, et se contenta de remettre lés choses dans l’état vague, confus et précaire où elles étaient avant Valérien.

Une courte digression est nécessaire pour expliquer la différence des deux points de vue.

J’ai montré ailleurs[2] comment, à la fin du second siècle ou au début du troisième, l’Église semble avoir pris en beaucoup de lieux la forme des collèges funéraires autorisés par les lois, et s’être ainsi assuré le moyen de posséder les immeubles nécessaires au culte ou à la sépulture. Malgré des objections dont je suis loin de me dissimuler la valeur[3], cette théorie est généralement adoptée, comme l’explication la plus naturelle d’un grand nombre de faits et de textes. Elle laisse encore subsister, cependant, de nombreuses obscurités. Diverses circonstances, également certaines, semblent difficiles à concilier. L’Église était avant tout une société religieuse ; or, il ne pouvait exister dans l’Empire romain d’autres religions que celles qui avaient été autorisées par l’État. Le christianisme ; au commencement du troisième siècle, ne faisait pas partie de celles-ci. N’étant pas autorisé, il se trouvait de plein droit proscrit[4] : il était, selon l’expression d’un ancien document, une religion défendue, religio vetita[5]. Aussi voyons-nous les assemblées des chrétiens considérées par les païens et quelquefois par eux-mêmes comme contraires aux lois. En nous associant, dit Tertullien, nous contrevenons sans doute aux sénatus-consultes et aux décisions des princes[6]. Celse fait ressortir la différence qui existe entre les réunions des chrétiens et celles des collèges légitimes. Les collèges autorisés, dit-il, se réunissent ouvertement et au grand jour ; les affiliés chrétiens ont des réunions clandestines et illicites[7]. Les lois romaines, si tolérantes pour les associations funéraires, veillaient précisément à ce que celles-ci ne déviassent pas de leur but apparent : Il ne faut pas, écrit un jurisconsulte, que sous le couvert d’un collège de ce genre s’abritent des réunions illicites[8]. N’y a-t-il pas dans ces paroles une allusion ou une menace à l’Église chrétienne ?

On voit combien la question est complexe et, en apparence, contradictoire. Elle présente deux faces d’un côté, nous apercevons le corps des chrétiens, comme on l’appellera bientôt, vivant au grand jour, s’administrant, possédant ; de l’autre, nous entendons des voix qui dénoncent ou confessent l’illégalité de ses réunions. Il semble que la solution de ce difficile problème ait embarrassé les Romains du troisième siècle autant qu’elle embarrasse aujourd’hui l’histoire. Dissoudre, à Rome ou en d’autres grandes villes, un collège funéraire aussi vaste que celui des chrétiens, possesseur de propriétés aussi considérables que les catacombes, était une mesure grave, qui ne pouvait manquer de produire une vive émotion. Or, l’autorité romaine répugnait, en temps ordinaire, aux mesures qui agitent inutilement les esprits. De là, toutes les fois que la lutte n’est pas à l’état aigu, pendant les intervalles de temps où l’Empire permet à l’Église de respirer, une tolérance volontaire, une sorte d’entente tacite de là part du pouvoir. Alors, dans le corps des chrétiens il consent à ne voir autre chose que le collège funéraire : il ferme les yeux sur tout le reste et, selon l’expression d’un poète, tient caché son glaive[9]. A-t-il à traiter avec les chrétiens, à juger leurs procès, à correspondre avec leurs chefs, il envisage en eux la corporation, non la religion. C’est, comme le dit M. de Rossi, un modus vivendi pratique[10], une transaction réservant de part et d’autre les principes, maintenant dans les faits un accord provisoire. La politique a souvent commandé de ces demi solutions. Aussi longtemps que la trêve dure et que la fiction légale est respectée, elles maintiennent une paix illogique, mais bienfaisante. La science du gouvernement consiste quelquefois à vouloir ne voir que la moitié des choses. Puisque les empereurs refusaient d’abandonner le principe de l’intolérance païenne, au moins étaient-ils sages d’arrêter leurs regards à l’apparence et de permettre à la corporation de leur cacher l’Église.

Il en fut ainsi dans les longs intervalles de paix relative dont jouit l’Église au troisième siècle. Malheureusement de telles conditions ne peuvent toujours durer : il suffisait d’un changement dans les dispositions du souverain pour déchirer le voile et faire évanouir la fiction. Alors les politiques feignaient de s’apercevoir que les chrétiens formaient autre chose que des sociétés de secours mutuels. Que préparez-vous contre les princes sous prétexte de religion ? leur demandaient-ils. L’inoffensif collège funéraire, jusque-là toléré, se transformait en une machine de guerre dressée contre l’État. De pauvres gens, qui ne demandaient au prince que la liberté d’adorer leur Dieu et de répandre l’aumône autour d’eux, devenaient subitement, dans le langage officiel, des ennemis de la société civile, des ennemis de la patrie, des ennemis du genre humain, étaient accusés de pousser au renversement de l’ordre de choses établi, et leurs associations pieuses passaient pour des foyers de conspiration. On a vu, sous Dèce, tous les chrétiens mis en demeure d’apostasier ou de mourir. Sous Valérien, la corporation chrétienne est directement visée, les Églises sont assimilées à des collèges illicites, leurs membres et leurs biens placés immédiatement sous le coup de lois terribles. Après Valérien va paraître pour la première fois un édit solennel mettant fin à la persécution. Il s’agit de savoir si par cet acte, que couvrirent de louanges toutes les voix chrétiennes, le fils de Valérien n’a fait rien de plus que de rétablir entre l’Église et l’État un modus vivendi toujours précaire et provisoire, ou s’il voulut résolument dissiper l’équivoque en accordant dès lors au christianisme tous les droits des cultes reconnus.

Du chapitre que je consacrerai à l’édit de Gallien ressortira, je pense, cette dernière solution. A mes yeux, l’acte par lequel cet empereur termina la persécution fut un véritable traité de paix, un accord formel entre l’État et l’Église. Sans doute, et pour des causes que j’expliquerai, cet acte ne survécut pas à son auteur : c’est le sort de plus d’un traité. Mais il montra au moins la route de l’avenir, et orienta la politique romaine dans une direction nouvelle. Au siècle suivant, Maxence puis Galère promulgueront des actes semblables, et enfin l’édit de Milan assurera la paix religieuse. Gallien aura eu le mérite d’ouvrir la Voie et d’y marcher le premier.

Cependant, s’il paraît contraire à la vérité historique de diminuer la portée de l’édit de Gallien, d’autre part il y aurait péril à l’exagérer en sens opposé. C’est ce qu’on fait quand, attribuant à cet édit une efficacité que malheureusement il n’eut pas, on s’en autorise pour nier toutes les traditions relatives aux persécutions partielles qui éclatèrent entre sa promulgation et la fin du troisième siècle[11].

D’après l’opinion généralement admise, entre 268, date de la mort de Gallien, et 286, date de l’avènement de Dioclétien, les chrétiens auraient été persécutés sous Claude le Gothique et à la fin du règne d’Aurélien ; il y aurait eu, ensuite, des martyrs isolés sous Probus, et peut-être sous les deux fils de Carus, les empereurs Carinus et Numérien. Je crois cette opinion fondée, et j’espère la démontrer dans les deux derniers chapitres de ce livre. Mais, avant même de l’examiner en fait, il m’est impossible de comprendre comment les violences plus ou moins générales exercées contre les chrétiens bien des années après l’édit de Gallien seraient, à priori, inconciliables avec la reconnaissance officielle dont, pendant un instant trop court, cet acte les avait fait jouir.

La première des persécutions postérieures à Gallien est celle que la tradition attribue à Claude le Gothique. Selon certaines Passions, de peu d’autorité dans les détails, cet empereur aurait, par une loi nouvelle, déclaré la guerre au christianisme. Si cette assertion doit être admise, elle n’est nullement en contradiction avec ce qui a été dit de l’acte de Gallien ; mais elle montre l’édit d’un empereur détruit par un édit contraire de son successeur. L’un avait reconnu au christianisme le caractère de religion licite, l’autre abroge cette reconnaissance. C’est une véritable rescissio legum, selon le terme juridique. Cependant je montrerai que la persécution contemporaine de Claude n’eut probablement pas lieu en vertu de l’initiative impériale : elle fut tout accidentelle et locale, et se déchaîna surtout à Rome et aux environs, dans les lieux soumis à l’influence immédiate du sénat, alors que l’empereur était aux frontières repoussant une invasion. Dans de telles circonstances, cette persécution s’explique sans que l’édit de Gallien ait été formellement rapporté : elle en est une violation, due au fanatisme païen du sénat et à l’émotion causée par un grand danger public.

Le successeur de Claude, le vaillant Aurélien, s’était d’abord montré favorable aux fidèles, et, jugeant un procès relatif à des biens ecclésiastiques, avait décidé par des motifs tout à fait en harmonie avec l’édit de Gallien. Vers la fin de sa vie ses dispositions changèrent. Il résolut de persécuter. J’expliquerai les motifs de sa persécution, où la politique entra pour une moindre part qu’un fanatisme très particulier et très personnel, indice d’une profonde transformation dans les idées religieuses du monde païen. La mort d’Aurélien arrivée peu de temps après la promulgation de l’édit par lequel il déclarait la guerre au christianisme, laissa presque aussitôt la persécution sans chef ; mais celle-ci continua dans quelques provinces, pendant le long intérim géré par le sénat en attendant l’élection d’un nouvel empereur. Nier qu’il y eut des martyrs à la suite de l’édit d’Aurélien n’est pas possible : on peut discuter ; les Passions, dont beaucoup ne ressemblent guère à des relations originales ; mais de ces textes, si mauvais qu’ils soient, il est facile de tirer des renseignements historiques. Je renvoie aux règles de critique exposées dans l’Introduction de mon premier volume. Un point demeure certain : Aurélien, au témoignage d’Eusèbe et de Lactance, promulgua un édit de persécution. Si l’édit de paix de Gallien avait subsisté jusque-là, il fut cette fois abrogé formellement. Des martyrs après cette époque se comprennent donc fort bien, et ne supposent aucune contradiction avec un état de tolérance légale qui n’existait plus.

Le même raisonnement s’applique aux années qui suivront. L’élection du vieux patricien Tacite mit fin à la persécution décrétée par Aurélien. C’est alors que l’Église rentra dans la situation équivoque et précaire d’où l’édit de Gallien l’avait un instant tirée. La fiction légale reparut : la corporation chrétienne recommença d’être traitée comme toutes les corporations de droit commun, mais en demeurant exposée sans cesse à être dissoute comme abritant sous le couvert d’une association licite une religion redevenue illicite. Entre Aurélien et Dioclétien il n’y eut pas de persécution formelle : cependant les chrétiens purent encore être l’objet de violences isolées, pareilles à ces coups de feu que l’on entend, le soir, sur la lisière d’un camp, après que la bataille a cessé. Rien n’était plus facile que d’appliquer aux fidèles soit d’anciennes lois, soit même l’édit d’Aurélien, qui n’avait pas été l’objet d’une abrogation expresse. Ainsi s’explique le martyre de Trophime, Sabbatius et Dorymédon, sous Probus : les Actes qui le racontent sont, comme nous le montrerons, remplis de renseignements trop abondants et trop exacts pour n’avoir pas au moins un fondement historique. On attribue également des martyrs au court règne des deux fils de Carus, soit en Occident, soit en Orient ; nous examinerons ce qu’il faut retenir de ces épisodes, mais, qu’ils soient ou non établis en fait, nous ne songerons pas à les rejeter en principe comme incompatibles avec l’éphémère situation juridique instituée par Gallien.

Tout se tient dans l’histoire d’une époque : aussi, en exposant la controverse à laquelle a donné lieu l’édit de Gallien, je me suis trouvé résumer d’avance l’histoire des persécutions pendant la dernière moitié du troisième siècle, et tracer dans ses lignes générales le plan de ce livre. Le récit qu’on va lire s’arrête à l’avènement de Dioclétien. La victoire de l’Église n’est pas encore gagnée, mais la solution qui s’imposera tôt ou tard a déjà été entrevue.

 

Août 1887.

 

 

 



[1] Keim, Aus Glas Urchristenthum, p. 130 ; Harnack, art. Gallien, dans Real-Encykl. für prot. Theol., t. IV, p. 735-738 ; Kraus, observations sur l’article Christenversfolgungen de Görres, dans Real Encykl. der christl. Alterthümer, t. I, p. 265.

[2] Rome souterraine, p. 68-83 ; Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, ch. I.

[3] Voir Duchesne, les Origines chrétiennes (leçons d’histoire ecclésiastique professées à l’École supérieure de théologie de Paris 1878-1881), p. 386-396 ; et Compte rendu du 3e congrès scientifique international des catholiques, Bruxelles, 1895, Sciences historiques, p. 88. J’ai résumé ces objections dans le Christianisme et l’Empire romain, p. 85-88.

[4] Non licet esse vos. Tertullien, Apologétique, 4.

[5] Ruinart, Acta Martyrum sincera, p. 64.

[6] Tertullien, Adv. Psychichos, 14.

[7] Origène, Contra Celsum, I, 1.

[8] Marcien, au Digeste, XLVIII, XXII, 1.

[9] Saint Paulin de Nole, XVI, 215.

[10] De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 511.

[11] Voir Görres, art. Christenverfolgungen, dans Kraus, Real Encyklopädie der christlichen Alterthümer, t. I, p. 242.