Invenio
Hippolytum, qui quondam schisma Novati Presbyter
attigerat nostra sequenda negans, Usque ad martyrii provectum insigne tulisse Lucida
sanguinei praemia supplicii. Nec mirere, senem perversi dogmatis olim Munere
ditatum catholicæ fidei ; Cum
jam vesano victor raperetur ab hoste Exultante
anima carnis ad exitium, Plebis
amore suæ multis comitantibus ibat ; Consultus,
quænam secta foret melior, Respondit
: Fugite, o miseri, execranda Novati Schismata,
catholicis reddite vos populis. Una
fades vigeat, prisco quæ condita templo est, Quam
Paulus retinet quamque cathedra Petri. Quæ
docui, docuisse piget : venerabile martyr Cerno,
quod a cultu rebar abesse Dei. His
ubi detorsit lævo de tramite plebem Monstravitque
sequi, qua via dextra vocat, Seque
ducem recti spretis anfractibus idem Præbuit,
erroris qui prias auctor erat ; Sistitur
insano rectori christicolas tune Ostia
vexanti per Tiberina viros. Illo
namque die Roma secesserat, ipsos Peste
suburbanos ut quateret populos, Non
contentus humum celsa intra mcenia Romæ Tingere
justorum cædibus adsiduis, Janiculum
cum jam madidum, fora, rostra, Suburram Cerneret
eluvie sanguinis affluere. Protulerat
rabiem Tyrrheni ad littoris oram, Quæque
loea æquoreus proxima portus habet. Inter
carnifices et constipata sedebat Officia
extructo celsior in solio, Discipulos
fidei detestandique rebelles Idolii ardebat dedere perfidiæ[1]. . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Hæc
persultanti celsum subito ante tribunal Offertur
senior nexibus implicitus. Stipati
circum juvenes clamore ferebant Ipsum
christicolis esse capot populis Si
foret extinctum propere capot, omnia vulgi Pectora
Romanis sponte sacranda deis. Insolitum
lethi poscunt genus et nova poenæ Inventa,
exemplo quo trepident alii. Ille
supinata residens cervice : Quis, inquit, Dicitur
? adfirmant dicier Hippolytum. Ergo
sit Hippolytus, quatiat turbetque jugales, Intereatque
feris dilaceratus equis. Vix
hæc ille : duo cogunt animalia freni Ignara
insueto subdere colla jugo, Non
stabulis blandive manu palpata magistri Imperiumque
equitis ante subacta pati, Sed
campestre vago nuper pecus e grege captum, Quod
pavor indomito corde ferinus agit. Jamque
reluctantes sociarunt vincula bigas Oraque
discordi fœdere nexuerant. Temonis
vice funis inest, qui terga duorum Dividit
et medius tangit utrumque latus Deque jugo in longum se post vestigia retro Protendens
trahitur, transit et ima pedum. Hujus
ad extremum, sequitur qua pulvere summo Cornipedum
refugas orbita trita vias, Crura
viri innectit laqueus nodoque tenaci Adstringit
plantas cumque rudente ligat. Postquam
composito satis instruxere paratu Martyris
ad peenam verbera, vincla, feros : Instigant
subitis clamoribus atque flagellis Iliaque
infestis perfodiunt stimulis. Ultima
vox audita senis venerabilis hæc est : Hi
rapiunt artus, tu rape, Christe, animam. Prorumpunt
alacres cæco et terrore feruntur, Qua
sonus atque tremor, qua furor exagitant : Incendit
feritas, rapit impetus et fragor urget, Nec
cursus volucer mobile sentit onus. Per
sylvas, per saxa ruunt, non ripa retardat Fluminis
aut torrens oppositus cohibet. Prosternunt
sepes et cuneta obstacula rumpunt, Prona,
fragosa petunt, ardua transiliunt. Scissa
minutatim labefacto corpore frusta Carpit
spinigeris stirpibus hirtus ager. Pars
summis pendet scopulis, pars sentibus hæret, Parte rubent frondes, parte madescit humus[2]. Le prêtre Hippolyte avait
autrefois adhéré au schisme de Novat... Ne vous étonnez pas de voir ce
vieillard, jadis partisan d’un dogme pervers, enrichi du présent de la foi
catholique au moment où, vainqueur, l’âme joyeuse, il était entraîné à la
mort par un ennemi furieux. Il marchait, et le peuple qui l’aimait se
pressait en foule autour de lui. On le consulta pour savoir quel parti était
le meilleur. Fuyez, ô malheureux, s’écria-t-il, fuyez le schisme
exécrable de Novat ; réunissez-vous au peuple catholique. Vive une seule foi,
la plus ancienne, celle que professe Paul et que garde la chaire de Pierre !
Je me repens des enseignements que j’ai donnés ; martyr, je reconnais
vénérable ce que j’avais cru contraire au culte de Dieu. Par ces paroles
il détourna son peuple du sentier mauvais, lui montra la voie droite, et,
méprisant les obstacles, celui qui avait propagé l’erreur devint le guide
vers la vérité. On le fait comparaître devant
le tyran insensé qui tourmentait alors les chrétiens près de l’embouchure du
Tibre. Car, ce jour-là, il avait quitté Rome pour persécuter les peuples
suburbains, non content de teindre sans cesse de sang chrétien l’espace
compris entre les hauts murs de la ville, et de le faire ruisseler sur le
Janicule, au forum, près des rostres, dans Tout à coup, devant son tribunal est conduit le vieil-lard enchaîné. Des jeunes gens suivent celui-ci en foule, déclarant, avec de grands cris, qu’il était la tête du peuple chrétien, que, cette tête abattue, le peuple reviendrait de lui-même aux dieux de Rome. Ils demandent un supplice inouï, des peines d’invention nouvelle, dont l’exemple puisse répandre la terreur. Le juge, levant la tête : Comment s’appelle-t-il ? — Hippolyte. — Qu’il soit donc Hippolyte, que son poids excite et secoue des coursiers, et qu’il meure déchiré par les chevaux furieux. A peine a-t-il parlé ainsi, deux chevaux inaccoutumés au frein, indomptés, effarés, sont attelés ensemble : une corde est attachée en guise de timon, et traîne derrière eux. A l’extrémité de cette corde, un nœud solide lie les jambes et les pieds du martyr... Des cris soudains, des coups de fouet, d’aiguillon, excitent les chevaux, leur percent le flanc. La dernière parole qu’on entendit prononcer au vieillard est celle-ci : Ils tirent mes membres, toi, ô Christ, attire mon âme. Les chevaux s’emportent, aveuglés par la terreur, rendus furieux par le bruit : dans leur course précipitée, ils ne sentent même pas leur fardeau. A travers les forêts, les rochers, ils courent ; ni fleuve, ni torrent ne les arrête. Ils écrasent les moissons, brisent les obstacles, descendent les pentes, escaladent les hauteurs. Les épines retiennent au passage des lambeaux du corps déchiré : une partie pend aux rochers, une autre adhère aux broussailles ; le sang rougit les feuilles et coule sur le sol. Ces vers, véritable Passion poétique du martyr[3], énoncent trois faits précis : 1° Hippolyte était prêtre ; il avait adhéré au schisme de Novat ; il revint, avant de mourir, à la foi orthodoxe ; 2° Il fut jugé à l’embouchure du Tibre, près du Portus Romanus ; 3° On renouvela pour lui le supplice mythologique du fils de Thésée, et, lié à des chevaux furieux, il mourut déchiré dans leur course. Prudence n’a pas connu ces faits par des Actes antérieurs, car, s’il exista jamais des Actes originaux du saint Hippolyte enterré sur la voie Tiburtine, ces Actes (on le verra plus loin) étaient perdus au quatrième siècle. A quelles sources a-t-il donc puisé ? Il l’indique lui-même. Une partie de son récit a été empruntée à une inscription lue dans la crypte du martyr[4], une autre à une peinture qui en décorait la muraille[5]. L’inscription que vit Prudence, alors que, passant en revue les anciennes histoires gravées sur les
monuments, il trouva Hippolyte[6], a été découverte
en 1882. C’est un de ces petits poèmes, d’une assez lourde latinité, que le
pape Damase composait en l’honneur des martyrs, pour être gravés sur leurs
tombes. Il a été copié par un pèlerin, et fait partie d’un recueil
épigraphique formé en visitant les églises et les sanctuaires de Rome, comme
on en compila tant aux septième, huitième et neuvième siècles. Ce recueil,
manuscrit de la fin du huitième siècle ou du commencement du neuvième,
appartenait avant PHIPOLYTVS FERTVR PREMERENT CVM
IVSSA TYRANNI PRESBYTER IN SCISMA SEMPER
MANSISSE NOVATI TEMPORE QVO GLADIVS SECVIT PIA
VISCERA MATRIS DEVOTVS CHRISTO PETERET CVM REGNA
PIORVM QVAESISSET POPVLVS VBINAM
PROCEDERE POSSET CATHOLICAM DIXISSE FIDEM
SEQVERENTVR VT OMNES SIC NOSTER MERVIT CONFESSVS
MARTYR VT ESSET HAEC AVDITA REFERT DAMASVS PROBAT OMNIA CHRISTVS[8]. Le prêtre Hippolyte, dit-on,
quand opprimaient les ordres du tyran, persista dans le schisme de Novat. Au
temps où le glaive déchira les entrailles sacrées de Prudence lut certainement ce carmen épigraphique, car Damase le composa entre 366 et 384, et le poète ne visita pas Rome avant les dernières années du quatrième siècle[9]. L’inscription devait occuper dans la crypte de Saint-Hippolyte la place habituellement réservée aux monuments de cette nature, au fond de l’abside, derrière le tombeau et l’autel. Les fouilles modernes n’ont pas permis de reconnaître l’emplacement exact du marbre original, car, saccagée par les Goths au sixième siècle, la crypte fut ensuite remaniée et restaurée par l’ordre du pape Vigile[10]. Mais quelques fragments de l’éloge d’Hippolyte, conformes au texte du manuscrit, et gravés dans le beau caractère composé par le calligraphe Furius Dionysius Philocalus pour les poèmes épigraphiques du pape Damase, ont été retrouvés par M. de Rossi dans le pavage de la basilique de Saint-Jean de Latran, où ils avaient été transportés de la catacombe de la voie Tiburtine en 1425 [11]. Non seulement Prudence lut le petit poème de Damase, mais il n’a pu emprunter à une autre source les détails qu’il donne sur l’hérésie d’Hippolyte et sur son retour à l’orthodoxie. Il résulte, en effet, du texte même de l’inscription qu’à l’époque où elle fut composée, dans la dernière moitié du quatrième siècle, ces faits n’étaient con-signés dans aucun document écrit. Damase a soin de faire remarquer que, en racontant cette histoire, il s’appuie sur la seule tradition orale : fertur, on rapporte ; hæc audita refert Damasus, probat omnia Christus, Damase rapporte ce qu’il a entendu dire : le Christ éprouve tout. En d’autres termes, Damase ne se fait point garant des faits qui lui ont été racontés : il n’est que l’écho d’une tradition orale, dont le Christ seul peut contrôler l’exactitude. Il suffit de rapprocher des vers de Damase les passages correspondants du poème de Prudence ; pour reconnaître que celui-ci avait sous les yeux, en écrivant, le court éloge métrique composé par le Pape. Ce sont les mêmes idées, presque les mêmes expressions : Hippolytus
fertur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Presbyyter in scisma semper mansisse Novati, dit Damase ; Hippolytum,
qui quondam schisma Novati Presbyter attigerat, répète Prudence avec la fidélité d’un écho. Devotus
Christo peteret cum regna piorum Quæsisset
populus ubinam procedere posset, Catholicam dixisse fidem sequerentur ut omnes, continue Damase, et Prudence développe ces paroles dans les vers suivants : Cum
jam vesano victor raperetur ab hoste . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Plebis
amore suæ multis comitantibus ibat ; Consultus,
quænam secta foret melior, Respondit
: Fugite, o miseri, execranda Novati Schismata, catholicis reddite vos populis. Dans la suite de La troisième partie du récit poétique de Prudence est relative au supplice de saint Hippolyte, mort traîné, comme son homonyme de la tragédie grecque, par des chevaux emportés. Sur ce point encore, Damase est muet, mais nous connaissons la source suivie par Prudence : une peinture vue près du tombeau du martyr, et sur le sens de laquelle il n’a pu se tromper. J’ai combattu, à l’Appendice précédent, l’opinion de ceux qui ont pensé qu’il y avait là une fiction du poète, introduite pour animer ou varier sa narration, et que la crypte ne renfermait aucune peinture semblable à celle que décrit Prudence. Aux raisons déjà données, et sur lesquelles je ne reviens pas, j’en ajouterai une, qui est mieux à sa place ici : c’est que l’hymne composée par Prudence en l’honneur de saint Hippolyte n’était pas un poème où l’imagination pût se donner libre carrière. On y doit plutôt reconnaître une sorte de rapport adressé à Valerianus, évêque de Saragosse[12] : il se termine par le vœu de voir l’Église de cette ville célébrer le 13 août, comme celle de Rome, la fête de saint Hippolyte[13]. Dans une pièce aussi sérieuse, Prudence se fût gardé d’insérer la description d’une peinture imaginaire, et d’invoquer cette peinture à l’appui de sa narration. Il affirme à Valerianus l’avoir vue : vidi, optime papa[14]. L’analyse de l’hymne XI du Peri Stephanôn a fait
connaître les sources où recourut Prudence pour reconstituer |
[1] Prudence, Peri Stephanôn, XI, 19-52.
[2] Prudence, Peri Stephanôn, 77-122.
[3] L’hymne XI du Peri Stephanôn a pour titre : Passio Hippolyti beatissimi martyris.
[4] Peri Stephanôn, 17-20.
[5] Ibid., 123 et sq. Voir à l’Appendice précédent.
[6] Ibid., 17-19.
Hæc
dura lustro oculis, et sicubi forte latentes
Rerum
apices veterum per monumenta sequor,
Invenio
Hippolytum...
[7] Bullettino di archeologia cristiana, 1881, p. 5 et suiv. ; Inscr. christ., t. II, p. 72 et suiv.
[8] Bull., 1881, p. 26 et pl. II.
[9] Voir mon article
sur Prudence, historien, dans
[10] Bull. di arch. crist., 1882, p. 58-71. Voir à l’Appendice précédent.
[11] Ibid., 1881, p. 38 et pl. I.
[12] Peri Stephanôn, XI, 2. — Dans plusieurs manuscrits cette pièce du Peri Stephanôn est intitulée : Ad Valerianum episcopum de passione Hippolyti beatissimi martyris (éd. Dressel, p. 440).
[13] Ibid., 231-234.
Si
bene commemini, colit hune pulcherrima Roma
Idibus
Augusti mensis, ut ipsa vocat
Prisco
more diem, quem te quoque, sancte magister,
Annua
festa inter dinumerare velim.
Les Églises d’Espagne adoptèrent cette fête, mais on ne connaît pas l’époque précise où elle commença d’y être célébrée. Voir Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 30.
[14] Peri Stephanôn, XI, 27.
[15] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 2 ; Arnobe, Adv. gent., IV, 36 ; saint Augustin, Contra Cresconium, III, 29 ; Gesta purgationis Felicis ; Gesta apud Zenophilunm, à la suite des Œuvres de saint Optat, p. 253 et 261 ; Prudence, Peri Stephanôn, I, 73-78.
[16] De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 178-179.