Les dernières persécutions du troisième siècle

CHAPITRE V — LES PERSÉCUTIONS DE CLAUDE ET D’AURÉLIEN.

 

 

I. — Les chrétiens sous Claude le Gothique.

Claude était un Dalmate, que sa valeur et son honnêteté avaient élevé aux plus hauts grades. Les soldats lui donnèrent la pourpre à la mort de Gallien. Un historien nous a laissé l’étrange et naïf récit de l’effet produit à Rome par l’arrivée des lettres du nouvel empereur. Un les reçut le 24 mars, jour où le grand prêtre de Cybèle[1], chef de ces Galls jadis si méprisés des Romains, se tailladait les bras pour faire de son sang une offrande à la déesse : telle était maintenant la popularité des cultes orientaux, que ce jour comptait parmi les féries, où le sénat ne pouvait siéger régulièrement[2]. Néanmoins les sénateurs se portèrent en foule au temple d’Apollon. Lecture fut donnée des lettres impériales, puis retentirent ces acclamations rythmées[3], si imposantes dans leur solennelle monotonie, dont l’Église en certaines circonstances perpétue la tradition[4]. Soixante fois on répéta : Claude Auguste, que les dieux te conservent ! Quatre-vingts fois : Claude Auguste, tu es notre père, notre frère, noire ami, un digne sénateur, un vrai prince ! Cinq fois : Claude Auguste, délivre-nous d’Aureolus ! Sept fois : Claude Auguste, délivre-nous de Victorina et de Zénobie ! Sept fois : Claude Auguste, Tetricus n’a rien fait ![5] Le sénat ne se contenta point de cette manifestation : il crut plaire au nouvel empereur, il voulut surtout satisfaire d’anciennes rancunes, en proscrivant les amis de Gallien : un de ses officiers eut les yeux arrachés dans la curie[6]. La réaction qui commençait eût atteint lés chrétiens eux-mêmes, compromis par la faveur de Gallien, si une nouvelle lettre de Claude n’avait imposé au sénat la modération[7]. Feignant de tenir l’empire du choix de Gallien mourant, il contraignit les Pères conscrits à mettre son prédécesseur au rang des dieux[8]. Les chrétiens apprirent sans doute avec joie cette apothéose forcée, dont l’effet légal était de maintenir tous les actes du règne précédent[9]. Par une conséquence indirecte de la consécration de Gallien, l’Église demeurait en possession des biens et de la liberté que ce prince lui avait rendus. Malheureusement de graves événements, en éloignant Claude de l’Italie, vont bientôt permettre au sénat de donner cours à ses passions religieuses et de tourner contre les fidèles l’ardeur de réaction qui l’animait.

L’avant-dernière acclamation : Délivre-nous de Victorina et de Zénobie, témoigne de l’esprit étroit des sénateurs. Maudissant tout bas Gallien, ils n’entrevoyaient cependant rien, au delà de sa mesquine politique. Claude se montra plus sensé. Des vœux qui avaient salué son élection, il n’en retint qu’un : Délivre-nous d’Aureolus[10]. Mais il refusa d’intervenir en Gaule[11] et s’abstint d’attaquer la reine de Palmyre[12], qu’il considérait comme la meilleure gardienne des frontières orientales du monde romain[13]. Un historien prête à Claude ce mot : La guerre contre Tetricus me regarde seul ; la guerre contre les Barbares importe à toute la république[14]. C’était, en effet du salut de l’Empire et non d’intérêts dynastiques ou particuliers qu’il s’agissait alors. Les masses de peuples accumulées entre le Rhin et le Dniester recommençaient à s’agiter, comme si une entente secrète s’était formée entre tant de frères de même race, animés de haines et de convoitises semblables. Une première incursion d’Alemans fut repoussée en 268[15] ; dès l’année suivante les Goths de l’Euxin s’ébranlèrent en hordes innombrables. Pères conscrits, écrivit Claude, trois cent vingt mille Barbares sont sur le territoire romain. Si je peux les vaincre, j’aurai bien mérité de la patrie ; vaincu, j’aurai du moins combattu comme on peut combattre après Gallien, après Valérien, après Posthume, après mille autres qui, par mépris pour Gallien, ont fait la guerre à la république. Celle-ci est épuisée. Les boucliers, les épées, les javelots manquent. La Gaule et l’Espagne, qui seraient notre force, obéissent à Tetricus. Zénobie (j’ai honte de le dire) commande à tous nos archers[16]. Le peu que nous ferons, quel qu’il soit, sera grand[17]. En ce moment, la faute de la politique romaine, qui n’avait pas su reconnaître le fait accompli et associer les trois empires, éclata aux yeux du souverain patriote. Il était trop tard pour réparer le mal. Claude rassembla promptement les troupes qui lui restaient. Comme l’antique Decius, il allait se jeter dans le gouffre pour sauver l’État[18]. Rome le vit partir avec admiration et terreur.

C’est, croyons-nous, après le départ de Claude qu’il faut placer la persécution dont parlent plusieurs documents hagiographiques[19]. La haine qui animait le sénat contre les protégés de Gallien dut s’exercer librement, car elle se trouvait, à l’heure présente, en accord avec le sentiment public. Si Claude ne parvient pas à barrer la route aux hordes gothiques, l’invasion atteindra promptement l’Illyrie, de là l’Italie, bientôt Rome. Dans ces dangers suprêmes, le fanatisme païen se réveillait toujours. Également superstitieux, également effrayés, peuple et magistrats cherchaient des victimes expiatoires. Celles-ci étaient désignées d’avance : les chrétiens. Sous le sage et bon Marc-Aurèle il en fut ainsi, lors de la guerre des Marcomans : l’empereur, comme le dernier des prolétaires, prêta l’oreille aux devins et aux charlatans : des fidèles périrent pour apaiser la colère des dieux[20]. Les choses vraisemblablement se passèrent de même sous Claude, à son insu ou avec son approbation. Une persécution s’explique aisément dans cette décisive année 269, où se jouèrent entre le Danube et les Balkans les destinées du monde romain. Le sénat, auquel on interdisait le service militaire, n’avait que ce moyen de montrer son patriotisme, moyen commode, qui lui permettait de satisfaire en même temps d’anciennes rancunes.

La série des martyrs attribués par les passionnaires au règne de Claude commence au 1er mars 269[21] par l’immolation de deux cent cinquante chrétiens sur la voie Salaria[22] ; puis on nous dit que périrent à Rome, le 15 mars, Quirinus[23] ; à Catane, le 1er mars, Cominius[24] ; à Ferentum, en Étrurie, le 15 mai, Eutychius[25] ; à Faléries, le 12 août, Gratilianus et Felicissima[26] ; à l’embouchure du Tibre, les 21 et 22 août, Aurea, Hippolyte[27] ; à Nepi, le 24 août, Ptolémée, Romain et leurs compagnons[28] ; à Rome, le 16 septembre, le prêtre Justin[29], le 25 octobre quarante-six soldats[30], le 28 octobre Tryphonie et Cyrilla[31], le 2 décembre Martana et Valeria[32], le 18 janvier Asterius et les gens de sa maison[33], le 18 janvier encore Prisea[34], le 20 janvier le Persan Maris, sa femme Marthe, ses deux fils Audifax et Abacuc[35], le 14 janvier le prêtre Valentin[36], à cette date ou à une date indéterminée un autre Valentin, évêque de Terni[37].

Ainsi, d’après les Passions et les martyrologes, une partie de la seconde année de Claude et le commencement de la troisième ont vu de sanglantes exécutions de chrétiens. Aucun martyr n’est indiqué pour l’Illyrie, la Mésie, les provinces danubiennes, théâtre de la guerre, la Gaule, l’Espagne, la Bretagne, gouvernées par Tetricus, l’Asie où Zénobie règne : tous les fidèles immolés en haine du Christ appartiennent à l’Italie, qui reconnaissait l’autorité de Claude, à Rome surtout et aux environs, où dominait le sénat en l’absence de l’empereur.

Courte et circonscrite dans un étroit rayon, la réaction païenne que racontent les Passions, malheureusement tardives et remplies souvent des fautes les plus grossières[38], où se lit le nom de Claude, n’a point laissé de trace dans l’histoire ecclésiastique ; ni Eusèbe, ni Sulpice Sévère, ni Orose n’y font allusion aussi ne s’expliquerait-on pas que les compilateurs aient choisi ce nom de préférence à celui de Dèce, de Valérien ou de quelque autre persécuteur célèbre, si des documents anciens ou des traditions invétérées ne le leur avaient fourni. L’une de ces Passions, celle de Valentin, évêque de Terni, le fait condamner par un magistrat nommé Furiosus Placidus. Il est difficile de ne pas reconnaître sous ce nom, défiguré par la naïveté d’un copiste, Furius Placidus, qui devint consul en 273 : peut-être était-il en 269 vicaire du préfet de Rome. Un tel nom, dans une compilation de basse époque, semble trahir une source antique[39]. L’existence de documents ou de traditions[40] est mise en lumière par la dernière page d’une Passion, dont nous avons plus haut résumé le commencement en racontant la persécution de Valérien. On se rappelle qu’en 256 une famille venue de Grèce à Rome avait été condamnée à mort comme chrétienne. Quelques mois plus tard, deux parentes des martyrs, Martana et Valeria, arrivèrent à Rome, et s’enquirent du lieu où reposaient les glorieux témoins du Christ. On leur désigna l’arénaire d’Hippolyte, sur la voie Appienne. Elles s’établirent près de cette crypte, s’en firent les gardiennes volontaires, et passèrent là le reste de leurs jours. Après treize années, elles obtinrent la vie éternelle ; car une persécution sévissait alors en ce lieu[41]. La treizième année après 256 correspond à 269, c’est-à-dire au règne de Claude le Gothique. Contrairement aux autres passionnaires, l’auteur de ce récit ne le nomme pas : il semble avoir ignoré sous quel empereur fut la nouvelle persécution. Ce synchronisme si exact est donc tout à fait fortuit : l’écrivain l’a reçu d’ailleurs, et reproduit sans même en comprendre la portée. Aucun témoignage plus naïf et plus concluant ne pourrait confirmer l’assertion des hagiographes, qui mettent de nombreux martyrs à Rome et en Italie sous le règne de Claude[42].

Rien ne montre qu’un édit formel, abrogeant celui, de Gallien pour faire revivre celui de Valérien, ait été rendu par l’empereur, occupé d’autres soins. Mais le sénat put aisément trouver dans les anciennes lois tous les textes propres à justifier les excès commis contre les chrétiens. On les immolait au hasard, sans qu’un plan raisonné dirigeât les poursuites comme au temps de Dèce ou de Valérien. Il ne semble pas que les persécuteurs aient cherché à mettre de nouveau la main sur les biens de l’Église, ou à saisir ses chefs de préférence à d’autres. Le pape saint Denys ou son successeur saint Félix traversa sans être inquiété l’année 269[43]. Les chrétiens martyrisés furent ceux que désignait la clameur populaire ou que mettait en évidence quelque circonstance fortuite. La persécution assaillit l’Église comme un sanglante et rapide émeute, non comme une de ces guerres méthodiques, implacables, qu’elle eut à subir en d’autres temps.

Les communautés chrétiennes continuaient de vivre paisibles en Orient sous le sceptre de Zénobie, alors que Rome et ses environs voyaient couler le sang des martyrs. L’affaire de Paul de Samosate, qui occupa tous les évêques d’Asie dans les dernières années de Gallien et pendant le règne de Claude, montre en ce pays les chefs de la société chrétienne jouissant de la pleine liberté de leurs mouvements : les prélats écrivent, se concertent, se déplacent, tiennent des conciles : la vie publique de l’Église se déploie au grand jour, sans que nulle main maladroite ou brutale essaie de la comprimer.

Personnage moitié civil, moitié ecclésiastique, Paul de Samosate est une étrange figure, que l’on remarque avec surprise à une époque encore si éloignée du triomphe officiel du christianisme. Pauvre, il avait abusé pour s’enrichir des facilités de toute sorte que lui donnait sa double charge[44]. Quand il traverse le forum, précédé et suivi d’une nuée de courtisans, recevant des suppliques, dictant des lettres à ses secrétaires[45], est-ce l’évêque, est-ce le ministre de Zénobie qui passe ? Lui-même, peut-être, ne sait auquel des deux personnages s’adresse l’hommage de la foule, tant il les a fondus habilement. On serait tenté d’évoquer à propos de lui l’image de ces grands politiques, non exempts toujours des vanités et des faiblesses humaines, que l’Église a prêtés aux royautés modernes. Mais la ressemblance n’est qu’apparente, car Paul de Samosate ne met pas au service de la patrie ou du prince sa puissance, ses richesses, son éloquence, les ressources d’une intelligence merveilleusement souple et déliée. Ses visées sont toutes spirituelles. Il ne veut pas remuer les bornes des États, mais changer les croyances et dominer les âmes. Hérésiarque d’une espèce rare, loin d’affecter un extérieur farouche, d’excessives austérités, c’est par le luxe, parla mollesse, qu’il entend gagner des partisans. A la partie relâchée de son clergé, à de grossiers et naïfs collègues de la campagne[46], il donne l’exemple d’une grande liberté de mœurs, d’une table délicate et magnifique[47]. Au peuple avide de spectacles il offre une église transformée en théâtre : des chœurs de femmes chantent des hymnes en son honneur ; d’un trône beaucoup plus élevé que les sièges épiscopaux, au bruit des applaudissements, parmi les draperies blanches agitées avec frénésie[48], il prononce d’éloquents discours[49]. Pour lui, pour ses partisans, le Christ est un homme divin, non le Fils de Dieu : la Trinité, l’Incarnation disparaissent[50] ; mais d’habiles réticences, des mots à double sens dissimulent ces dangereuses doctrines, permettant au venin de s’insinuer dans l’esprit de la foule, et laissant à l’hérésiarque le moyen de donner à ses paroles un sens orthodoxe, si sa réputation où sa sûreté le demandent.

Longtemps ce séduisant esprit parvint à se maintenir dans cette situation équivoque. Durant cinq années[51], du Pont, de la Cappadoce, de la Palestine, de l’Égypte, évêques, prêtres, diacres se rendirent trois fois à Antioche : l’hérésiarque ne fut condamné que dans la troisième assemblée, tenue soit en 268[52], soit l’année même où Claude commençait contre les Goths la lutte tragique d’où dépendait le salut de l’Occident[53]. Zénobie, respectueuse jusqu’au bout de la liberté des prélats, ne s’opposa pas à la déposition de son favori[54]. Elle refusa seulement de mettre le bras séculier au service du concile. Paul, qui gardait dans Antioche un puissant parti, ne put être expulsé des propriétés ecclésiastiques, en particulier de la maison affectée à la résidence de l’évêque[55]. Mais Domnus, nommé par le concile en sa place, prit la direction de l’Église orthodoxe, sans être inquiété[56].

Pendant qu’une reine semi barbare donnait au fanatisme romain un grand exemple de tolérance religieuse, en laissant abattre sous ses yeux et malgré ses sympathies personnelles le plus redoutable adversaire que la foi catholique ait rencontré avant Arius, une victoire d’un autre ordre raffermissait en Occident l’Empire ébranlé. Claude culbuta les Goths à Nissa, leur tua cinquante mille hommes, et, l’année suivante, détruisit au pied de l’Hémus le reste des hordes ennemies[57]. D’innombrables prisonniers tombèrent dans ses mains : l’emploi qu’on en fit montre mieux que toutes les réflexions la’ décadence de l’Empire. Les uns devinrent gladiateurs, car il fallait d’abord penser aux plaisirs du peuple ; beaucoup furent exposés sur les marchés d’esclaves, où la denrée humaine se faisait rare ; d’autres furent enrôlés dans les légions, qui ne se recrutaient plus, ou distribués avec leurs bestiaux dans les provinces, pour remplacer sur les champs en friche les cultivateurs libres chassés vers les villes par l’insécurité, la misère et les impôts[58]. On ne peut s’empêcher de trouver étrange l’aveuglement d’une civilisation qui, manquant d’hommes à ce point pour tous les services publics ou privés, persistait cependant à faire des martyrs, et ne renonçait pas à verser le sang chrétien, alors qu’elle se voyait contrainte d’infuser du sang barbare dans toutes les veines du corps social épuisé. Claude ne survécut pas à son triomphe : la peste, qui avait décimé dans les montagnes les débris des hordes gothiques, l’atteignit à Sirmium : il mourut dans la troisième année de son règne, vers le mois d’avril 270.

 

II. — La religion d’Aurélien.

Dès que Claude eut fermé les yeux, les légions de Pannonie élevèrent en sa place Aurélien[59]. Nul mieux que ce vieux capitaine ne convenait à des jours où, même victorieux, l’Empire, réduit à la défensive et débordé de toutes parts, demandait une sentinelle vigilante. Aurélien a les rudes mœurs du paysan du Danube ; mais ce paysan tient sans cesse le fer en main[60] ; il n’a vécu jusqu’alors que pour combattre les Barbares. Ses exploits contre eux sont devenus légendaires, les soldats les chantent pour égayer les veillées des camps et alléger les fatigues de l’étape[61]. D’un tel homme, qui donna tant de marques de sa valeur. personnelle, ils acceptent tout. Ils le savent aussi dur à lui-même qu’aux autres, ennemi des voluptés[62], dédaigneux des richesses[63]. Aussi le laissent-ils rétablir. la discipline antique. L’armée romaine, dit Aurélien, est faite pour garder l’Empire, non pour le pressurer. Qu’elle n’imite pas les pillages de l’ennemi, et n’oblige pas les villageois à pleurer[64]. Le soldat, logé chez l’habitant, n’outragera plus la femme de son hôte ; les troupes en marche respecteront désormais les bestiaux et la basse-cour du paysan, ne toucheront ni à son blé, ni à son raisin, ni à son huile, ni à son bois[65]. On croirait entendre Jean-Baptiste disant aux soldats accourus près du Jourdain : Ne foulez personne, ne commettez point d’injustice, contentez-vous de votre solde[66].

Mais cette ressemblance accidentelle n’était pas pour rassurer les chrétiens. Les caractères rigides et tout d’une pièce leur furent toujours plus hostiles que des souverains à l’esprit curieux, à la volonté mobile, capables d’accepter des idées ou de subir des influences. Dès les premiers jours, Aurélien laissa voir la double pensée qui inspirera tout son règne : restaurer l’unité religieuse, en faisant cesser toute dissidence, en ne permettant même pas la tiédeur envers les dieux ; restaurer l’unité impériale, en détruisant les principautés indépendantes où la liberté de conscience avait, trouvé un refuge. Le païen et le politique marchaient ainsi d’accord, et chacun de leurs pas était une menace pour l’Église.

Un curieux incident va nous montrer tout de suite la religion impérieuse et fanatique d’Aurélien. Il avait à peine revêtu la pourpre, que déjà les Barbares recommençaient à remuer. A la nouvelle d’une victoire remportée par les Marcomans sur l’empereur lui-même en Italie, Rome trembla. De toutes parts on pressa le sénat de consulter les livres sibyllins[67] et d’ordonner les cérémonies en usage dans les calamités publiques[68]. Le sénat ne se hâta pas d’obéir ; peut-être craignait-il d’augmenter l’épouvante des esprits en recourant à des supplications trop solennelles. Les vieux patriciens ont toujours redouté les émotions religieuses, par lesquelles les âmes sont agitées. Mais l’empereur ne comprenait pas ces subtiles nuances : il vit dans les scrupules du sénat un manquement à la discipline, et peu s’en fallut qu’il n’accusât l’assemblée la moins suspecte de christianisme de faire cause commune avec les adversaires de la religion officielle. Pères conscrits, écrivit-il, j’admire que vous avez si longtemps hésité à ouvrir les livres des Sibylles. On vous croirait assemblés dans une église de chrétiens, et non dans le temple de tous les dieux. Courage donc, et, par la sainteté des pontifes, par la solennité des cérémonies, aidez le prince aux prises avec de terribles nécessités. Qu’on interroge les livres et qu’on obéisse à leur réponse. Faut-il des captifs de toute nation ? faut-il des animaux étrangers ? Je me charge de les fournir. Il n’est jamais honteux de vaincre avec le secours des immortels. C’est ainsi que nos aïeux ont entrepris et achevé tant de guerres[69]. Le débat fut ce qu’on pouvait attendre après une telle lettre[70]. Subitement persuadés, les sénateurs décidèrent de consulter les livres des Sibylles et de profiter des bienfaits d’Apollon[71]. Tous les rites furent accomplis : tirage au sort des vers fatidiques[72], procession autour de la ville[73], procession dans les champs[74]. L’historien de qui nous tenons ce récit ne donne malheureusement pas de détails sur les sacrifices. Il en parle avec une sorte de mystère. On célébra, dit-il, des sacrifices en certaines places, afin d’empêcher les Barbares de passer[75]. Aurélien avait offert au sénat des captifs de toute nation[76] pour une immense hécatombe. Probablement elle eut lieu. Les sacrifices humains ne disparurent jamais complètement du paganisme[77] : c’est sa marque infernale. Dans les grands périls nationaux, le sang des hommes paraissait seul capable d’apaiser la colère des dieux. Plus d’une fois cette conviction fit couler celui des martyrs ; mais la rigueur des rites exigeait, comme aux temps antiques, l’immolation de prisonniers empruntés aux nations ennemies de Rome.

Tel était Aurélien : il acceptait du culte romain jusqu’aux pratiques les plus superstitieuses et les plus cruelles, devant lesquelles le sénat lui-même avait reculé. Ce dur soldat, ce dévot étroit, avait bien l’étoffe d’un persécuteur. Mais, pour comprendre tout à fait le rôle qu’il prendra vis-à-vis des chrétiens, il faut descendre plus avant dans ses pensées intimes, car Aurélien joignait à la religion officielle sa religion à lui, plus personnelle et plus vivante. Elle parait à tous les moments de sa vie, dans son enfance, dans ses expéditions, dans ses triomphes.

Aurélien était fils d’une prêtresse. Sa mère desservait dans la ville pannonienne de Sirmium un temple du Soleil ou de Mithra[78]. Le mithriacisme était, au milieu du troisième siècle[79], la forme la plus répandue de ce vague monothéisme qui se substituait peu à peu dans les croyances païennes aux fables déconsidérées de la mythologie classique. Dieu du Soleil, dieu du Feu, vivificateur et purificateur, Mithra correspond à la fois au naturalisme des cultes primitifs et aux exigences croissantes des consciences. Il ne craint pas de mettre par de nombreux emprunts son culte en rapport avec les besoins nouveaux. Le baptême, la rédemption par le sang, l’onction des initiés sur le front, l’oblation du pain et du vin, les repas communs se retrouvent dans les cérémonies mithriaques[80], célébrées sous terre, au fond de grottes recueillies et mystérieuses comme des chapelles de catacombes[81]. Pour les consciences inquiètes, les âmes troublées par le remords, les natures éprises de perfection, avides d’immortalité, le mithriacisme a le sacrifice du taurobole, qui expie tout péché, lave toute tache, et fait renaître à une nouvelle vie[82]. Aux amateurs d’extraordinaire et de merveilleux il offre d’étranges cérémonies, de bizarres symboles, la série des initiations et des grades, l’attrait des mystères[83]. Mais, tout en parlant sans cesse de renaissance, d’expiation, il n’impose à ses fidèles ni austérités, ni renoncement, ni vertu[84]. Les tombes des prêtres et des initiés montrent des peintures immorales, des sentences matérialistes mêlées à des images que l’on croirait sorties d’un pinceau spiritualiste ou même chrétien[85]. Le mithriacisme résume plus complètement que tout autre culte l’état dune société partagée entre la corruption païenne et un idéal meilleur, et qui, n’osant monter jusqu’à la pureté révélée par le Christ, s’arrête à mi-chemin. Cette exacte conformité avec la situation morale du monde antique explique sa puissance sur toutes les classes de la population romaine[86]. C’est surtout dans les camps, séjour des vices grossiers et des généreuses vertus, qu’il recrutait ses adeptes[87]. Les adorateurs de Mithra paraissent particulièrement nombreux dans les légions du Danube[88]. Le temple desservi par la mère d’Aurélien fut probablement fréquenté par les soldats. Le futur empereur y grandit au bruit des armes, dans une atmosphère de divination et de prodiges[89]. Jamais l’empreinte d’une éducation religieuse, le souvenir d’une jeunesse passée à l’ombre du temple ou dé la caverne sacrée, ne s’effacèrent de son esprit. Devenu homme, général, chef d’empire, il portera ou retrouvera partout le dieu auquel l’avait initié la prêtresse de Sirmium.

Le Soleil sous toutes ses formes, Apollon, Mithra ou Baal, lui semble éclairer d’un rayon bienfaisant chaque étape de sa carrière. Ambassadeur en Perse, on lui présente une coupe ciselée, au fond de laquelle était l’image de Mithra : il y voit un présage de sa grandeur future[90]. Quand Valérien lui promet de le désigner pour le consulat : Fassent les dieux, répondit-il, fasse le Soleil, le plus certain des dieux, que le sénat porte de moi le même jugement ![91] C’est surtout dans sa campagne d’Orient, dans sa lutte impolitique contre Zénobie, qu’il laisse éclater sa dévotion.

Repoussant les avances de la reine de Palmyre[92], Aurélien avait en 272 déclaré la guerre à cette sincère amie de l’Empire romain. Après avoir pris Tyane, qu’il épargne en souvenir d’Apollonius[93], il bat une première fois Zénobie sous Antioche, une seconde fois devant Émèse[94]. Dans cette ville il visite le temple de la pierre noire, symbole solaire[95] que desservit Élagabal, et que bien des analogies rapprochent de la pierre mère du culte mithriaque[96]. En se prosternant devant l’informe idole, il croit y reconnaître le visage de la divine personne qui plusieurs fois lui apparut pendant la guerre et lui promit la victoire. Il comble de présents le riche sanctuaire, que les folies du fils de Soemias n’avaient pu déconsidérer ; dans sa reconnaissance, il élèvera en plusieurs lieux d’autres temples au bétyle sacré[97]. D’Émèse Aurélien marche vers Palmyre, la prend après un long siège, et s’empare de Zénobie au moment où la courageuse reine essayait de fuir[98]. Comme il rentrait en Europe, on lui annonça que la ville s’était révoltée : il envoie l’ordre de la détruire de fond en comble. Bientôt l’immense cité n’est plus qu’un amas de ruines sanglantes[99]. Mais les ordres d’Aurélien avaient été dépassés : le temple de Bel ou du Soleil avait péri avec les autres monuments. L’empereur fut consterné. Faites-le rebâtir tel qu’il était avant sa ruine, écrivit-il aussitôt à son lieutenant ; les coffres de Zénobie contiennent trois cents livres pesant d’or ; dix-huit cents d’argent proviennent du butin conquis sur les Palmyréniens ; enfin, vous avez les pierreries de la reine. Employez toutes ces richesses à l’ornement du temple, vous ferez une chose agréable aux dieux et à moi. J’écrirai au sénat d’envoyer un pontife pour le dédier[100].

Ayant abattu l’empire d’Orient, Aurélien se tourna vers celui des Gaules, appelé secrètement par l’indigne successeur de Posthume, l’ancien sénateur Tetricus[101]. Quelques mois plus tard, Tetricus ornait avec Zénobie le triomphe du vainqueur[102], puis reprenait sans rougir sa place au sénat[103], pendant que la reine de Palmyre acceptait de vivre obscurément à Tibur[104]. Les deux souverains détrônés purent assister à l’inauguration du superbe monument élevé par Aurélien en souvenir de ses victoires. Le fils de la prêtresse de Sirmium construisit sur le Quirinal un temple du Soleil, qui devait dépasser tous les sanctuaires en richesse et en magnificence[105]. Ses murailles, chargées des dépouilles de Palmyre, disparurent sous les tentures de pourpre semées de perles, les tiares étincelantes de pierreries, les enseignes aux figures étranges, les étendards flottants. Le trésor reçut d’innombrables pierres précieuses et quinze mille livres d’or. Dans la cella se dressèrent deux images du Soleil, l’une à la manière romaine, en Apollon, l’autre sous la forme syrienne et sémitique, en Baal[106]. Comme jadis Élagabal[107], Aurélien eut la pensée de grouper les emblèmes des autres cultes autour de son dieu, pour en marquer la prééminence : c’est ainsi que de Padoue il voulut porter au Quirinal les sortes Aponins avec Jupiter consultant[108]. Un second collège de pontifes fut créé tout exprès pour le nouveau sanctuaire[109], et des jeux annuels institués en souvenir de sa dédicace[110]. Le culte du Soleil prenait vraiment possession de Rome. Aurélien lui avait même consacré l’Empire, dont il croyait avoir pour toujours, par l’aide de son dieu, rétabli l’unité : ses monnaies portent l’image du Soleil avec le titre de pacificateur du monde, de restaurateur de l’Orient[111], ou avec l’épithète essentiellement mithriaque d’invaincu[112] ; sur deux d’entre elles on lit cette légende : Le Soleil, seigneur de l’Empire romain[113].

Dominé par ses souvenirs d’enfance, Aurélien essayait d’accomplir dans le culte une révolution comparable à celle que tenta naguère Élagabal, ou plutôt il rendait officiel et consacrait par sa double autorité de souverain pontife et d’empereur un mouvement religieux chaque jour plus puissant dans le monde romain. Le monothéisme solaire, expression dernière du syncrétisme païen, serait devenu prépondérant, si le christianisme avait consenti à se laisser absorber ou dominer par lui comme tous les autres cultes. Nais l’expérience du passé ne permettait pas d’attendre cette faiblesse. Tous les efforts tentés depuis un demi-siècle pour séduire l’incorruptible Église venaient d’échouer l’un après l’autre. Vainement Élagabal avait essayé de faire entrer dans son temple la religion des chrétiens[114]. Vainement Alexandre Sévère avait donné au Christ une place parmi les dieux de son laraire[115]. Vainement on s’efforçait de reproduire dans les mystères de Mithra les rites et les sacrements du christianisme, au point que les prêtres du dieu pouvaient s’écrier : Mithra est vraiment chrétien ![116] Vainement encore, pendant une des dernières persécutions, un magistrat imbu de l’esprit nouveau avait dit à un martyr qu’il voulait sauver : Tu regardes le ciel ? sacrifie-lui[117]. Les fidèles étaient restés sourds à ces appels. Ils écoutaient la vois de leurs chefs les suppliant de repousser toutes les avances, et d’adorer Dieu sous les seuls noms que lui donnent Moïse, le Christ et les prophètes[118]. Il n’y eut que des sectes gnostiques pour suivre le mouvement, dont elles avaient, en quelque sorte, donné le signal[119] ; mais, en dehors de ces petites sociétés, qui n’appartenaient pas à l’Église, tout le christianisme était réfractaire, et montrait par sa ferme attitude que les plus séduisantes transformations du paganisme seraient sans force sur ses doctrines immuables.

L’empereur qui venait de proclamer le Soleil seigneur et maître de l’Empire ne pouvait accepter un tel échec. La ferveur d’une foi reçue dès l’enfance et grandie au milieu de tous les succès faisait d’Aurélien l’ennemi de quiconque refusait de plier le genou devant Baal. Quand Élagabal avait essayé de substituer son dieu à tous les autres, sa haine du paganisme romain le rendit indulgent aux chrétiens[120]. Mais Aurélien observait scrupuleusement les formes de la religion romaine, où se complaisait son esprit autoritaire, en même temps qu’il ouvrait son âme à tous les souffles du mysticisme oriental. Il eût fallu un miracle pour qu’un tel homme ne persécutât pas, tant au nom des dieux de l’Empire, symboles de l’unité politique du inonde romain, qu’au nom du dieu de sa mère, symbole des nouvelles aspirations du monde païen vers l’unité religieuse.

 

III. — La persécution d’Aurélien.

Cependant Aurélien ne déclara pas dès le commencement de son règne la guerre aux chrétiens. Comme beaucoup de persécuteurs, il se tournera contre eux dans les dernières années, quand se dissipera l’ivresse heureuse de la toute-puissance, quand aux victoires auront succédé les difficultés et les revers, et que la superstition sera devenue tout à fait maîtresse d’une âme aigrie. Pendant la période glorieuse de son règne, il était encore pour l’Église tolérant et juste. Ces sentiments parurent lors de son entrée à Antioche, en 272, après les premières défaites de Zénobie. Malgré la sentence du concile tenu trois ou quatre ans auparavant, Paul de Samosate, encouragé par la faveur de la reine, persistait à occuper la maison de l’église, c’est-à-dire l’église et ses dépendances[121]. L’évêque orthodoxe se présenta devant l’empereur, demandant, à titre de légitime propriétaire, la restitution des édifices détenus illégalement. Aurélien fit droit à la demande. Le bien en litige doit appartenir, déclara-t-il, à ceux qui sont en communion avec les évêques d’Italie et l’évêque de Rome[122]. — Le bon sens de ce païen, a très bien dit un historien moderne, lui faisait mettre le doigt sur la solution décisive de toutes les questions d’orthodoxie[123]. La sentence d’Aurélien est remarquable à bien des points de vue. Elle montre avec quelle précision l’autorité romaine connaissait, au troisième siècle, l’organisation de l’Église universelle et ses règles de foi. Les temps sont loin où les meilleurs écrivains trouvaient de bon goût d’ignorer les chrétiens, ne se donnaient point la peine de parler d’eux exactement, estropiaient jusqu’à leur nom. L’Église a maintenant sa place au soleil : elle vit au grand jour. Les païens savent distinguer entre les orthodoxes et les hérétiques[124] ; cette distinction est poussée si loin par Aurélien, qu’il reconnaît aux premiers seuls le droit à la propriété corporative. Aussi donne-t-il à son jugement la force exécutoire : en vertu de la sentence impériale, Paul de Samosate fut expulsé de l’église par la puissance séculière[125].

Les anciens ont admiré les promptes conquêtes d’Aurélien. Alexandre, dit l’un d’eux[126], eut besoin de treize ans pour aller aux Indes, César de dix ans pour soumettre la Gaule, de quatre pour terminer la guerre civile ; Aurélien en trois années reconquit tout le monde romain. Mais des victoires aussi rapides laissent après elles des ferments de révolte. On a vu Palmyre se soulever dès le départ d’Aurélien. La Gaule, en apparence pacifiée, frémit longtemps encore après la soumission de Tetricus. Restée pendant quatorze ans la tête d’un empire, auquel ne manquèrent ni la prospérité ni la gloire, elle ne redescendit point au rang de simple province avec autant de facilité que son dernier prince au rang de sénateur. Il n’y eut pas d’insurrection générale, mais des mécontentements partiels, des soulèvements locaux assez graves pour qu’Aurélien, en 274, franchit de nouveau les Alpes et vint soumettre à l’obéissance la vaste contrée conquise l’année précédente[127]. Les pauvres historiens du troisième siècle laissent ignorer les détails de la répression. Elle dut être sanglante, car on connaît le caractère d’Aurélien. Un mot jeté en passant dans la biographie de Proculus nous apprend que les Lyonnais eurent beaucoup à souffrir[128]. Plusieurs critiques attribuent à ce voyage les martyrs que la tradition rapporte avoir péri en Gaule sous Aurélien.

La conjecture est vraisemblable. Aurélien montrait alors toute sa ferveur religieuse. Il avait dédié, cette année même, le temple du Soleil. Plus que jamais, sans doute, il brûlait du désir de soumettre à son dieu les volontés réfractaires. Ce sentiment s’exaltait probablement encore par les premiers mécomptes de sa politique. Non seulement la Gaule remuait, mais encore Rome venait d’être ensanglantée par une révolte de la puissante corporation des monétaires[129], et des supplices terribles avaient puni une conspiration vraie ou fausse des sénateurs[130]. Aurélien était dans cette disposition d’esprit où l’on voit partout des ennemis, et peut-être confondait-il avec les conspirateurs, considérait-il comme rebelles à son autorité des hommes qui refusaient seulement d’adopter ses croyances ou de pratiquer son culte.

On n’a point la date exacte de l’entrée d’Aurélien dans les Gaules, et l’on connaît imparfaitement les villes où il séjourna. Il dut franchir les Alpes avant le milieu de 274. Son attention parait s’être portée vers le centre de la province, car la fondation d’Orléans et celle de Dijon lui sont attribuées[131]. En même temps il dirigeait ses lieutenants Probus et Constance vers l’est, l’un au delà du Rhin, contre les Francs, l’autre en Helvétie, contre les Alemans[132]. Les lieux où la tradition place des martyrs sont ceux où vraisemblablement Aurélien passa, dans lesquels au moins sa volonté se fit sentir. Ils se rencontrent au centre et au sud de la Lyonnaise, entre la Loire, l’Yonne, le Rhône et la Saône, s’étageant, pour ainsi dire, d’Orléans que dut visiter l’empereur, a Lyon, où certainement il s’arrêta. Saint Priscus et saint Cottus sont marqués aux environs d’Auxerre, le 16 mai[133] ; l’évêque Révérien, le prêtre Paul et ses compagnons, à Autun, le 1er juin[134] ; à Troyes, sainte Julie et ses compagnons, le 21 juillet[135], sainte Sabine, le 29 août[136], saint Vénérand, le 14 novembre[137], saint Savinien, le 2la janvier[138] ; à Sens, saint Sanctien, le 4 septembre[139], sainte Colombe, le 31 décembre[140]. Malheureusement, les Passions de ces saints manquent d’autorité. Elles furent écrites à une date souvent fort éloignée des temps où ils souffrirent. Ces documents, comme la presque totalité des pièces concernant les martyrs de la Gaule, sont postérieurs aux persécutions ; quelques-uns même peuvent avoir été compilés après les invasions barbares, et appartenir à l’époque où les Églises, sortant à demi ruinées de cette tempête, essayaient de ressaisir, au milieu d’épaisses ténèbres, le fil perdu de leurs traditions[141]. On comprend quelle part l’imagination ou la crédulité du rédacteur[142] put avoir dans la composition de tels récits. Cependant, plusieurs des Passions qui nous occupent gardent encore quelque trace soit de rédaction antique, soit au moins de traditions demeurées vives au moment où le compilateur écrivait.

Ainsi, les Actes de saint Révérien, évêque d’Autun, bien que composés longtemps après son martyre[143], sont dans leur partie substantielle simples, courts, et de plus très précis quant à la date des faits. En ce temps-là, dit l’auteur, l’impie Aurélien était passé des régions de l’Orient dans les Gaules. Ces paroles supposent une connaissance exacte de l’histoire de ce prince, qui fit ses deux expéditions successives en Gaule après la guerre d’Orient. Les Actes de saint Priscus d’Auxerre rapportent que ce martyr fut condamné par un sacri lateris protector (garde du corps, mot à mot protecteur du flanc sacré) : ce détail est curieux, et s’accorde avec la présence de l’empereur, de sa garde et de sa cour en Gaule : l’expression, si emphatique qu’elle paraisse, est bien du temps[144].

La Passion de sainte Colombe montre des vestiges plus curieux encore de rédaction antique. Elle commence comme celle de saint Révérien : En ces jours, l’empereur Aurélien arrivait d’Orient[145]. L’interrogatoire de la martyre reproduit un mot d’Aurélien, trop conforme à ce qu’on sait de la religion personnelle de ce prince pour n’avoir pas été prononcé : Par mon dieu le Soleil, par tous les dieux, consens à sacrifier, dit l’empereur à Colombe[146]. Sur son refus, on l’enferma dans un mauvais lieu situé sous l’amphithéâtre, traitement ignominieux que nous avons vu infliger à d’autres martyrs[147]. Un infâme débauché, nommé Baruchas, vint à l’amphithéâtre, et pénétra dans la cellule[148] où la chrétienne était retenue. Colombe lui dit : Pourquoi entrer avec tant de violence ? ai-je la force de te résister ? Demeure en repos, si tu ne veux pas que mon Seigneur le Christ s’irrite et te frappe de mort. Effrayé de ces paroles, le jeune homme n’osa s’approcher ; et pendant que Colombe en prière demandait à Dieu de la préserver, une ourse échappée de sa cage[149] entra dans la cellule et se jeta sur lui[150]. Colombe mourut décapitée. Dans le passage que j’ai reproduit, l’hagiographe ne paraît pas avoir inventé. Sous ces lieux de carnage étaient toujours situés des lieus de débauche, comme pour mêler dans une infernale association le sang et la volupté[151]. On en a la preuve pour la Gaule[152] comme pour Rome[153] et l’Afrique[154]. Il est difficile de ne pas reconnaître un fragment des Actes primitifs dans une narration si conforme aux mœurs antiques[155] : la découverte d’un amphithéâtre dans la ville de Sens achève de la rendre vraisemblable[156].

Une esclave chrétienne se fait respecter du chef barbare dont elle est captive, le convertit par l’exemple de son courage et de ses vertus, puis, rentrée après de longues années en Gaule, meurt victime de la persécution d’Aurélien : telle est l’histoire de sainte Julie de Troyes. Bien que rédigés tardivement, ses Actes peuvent avoir un fondement historique[157]. Au milieu du troisième siècle, la Gaule eut souvent à souffrir des Barbares : nous avons déjà parlé des invasions qui la désolèrent. C’est alors que ses villes ouvertes s’entourent de remparts, construits avec une telle hâte que pour avoir des pierres on démolit des monuments antiques et jusqu’à des tombeaux[158]. Pendant son séjour en Gaule, Aurélien dut envoyer deux de ses lieutenants défendre les frontières toujours menacées. Sans doute, en ces temps troublés, bien des Gallo-Romaines tombèrent comme Julie au pouvoir de quelque chef ou de quelque petit roi germain. Pourquoi le christianisme n’aurait-il pas pénétré, par cette voie, aux bords du Rhin, comme il pénétra, grâce à d’autres captifs, sur ceux du Danube ? Au milieu de sa rudesse, l’âme du Germain recelait un coin de vague et mystérieuse poésie, avec le respect instinctif de la femme[159] : il put croire à la parole de chrétiennes lui promettant un paradis plus pur et plus doux que le Walhalla des ancêtres. Des exemples fameux nous montrent, aux siècles suivants, des filles de Dieu remportant de ces pacifiques victoires sur le paganisme barbare.

Plusieurs des martyrs que nous avons nommés périrent après qu’Aurélien eut quitté la Gaule. Il ne prolongea vraisemblablement pas son séjour jusqu’à la fin de 274. De graves préoccupations le rappelaient dans l’est, vers son pays natal envahi plus souvent encore. La Dacie de Trajan, vaste province au delà du Danube, qui avait depuis le second siècle écarté du grand fleuve le contact immédiat des Goths, n’appartenait plus que nominalement à l’empire : seules, quelques places fortes protégeaient les Romains enfermés dans leurs murs ; les plaines restaient ouvertes, et laissaient passer l’invasion. Avec l’habituelle décision de sa politique, Aurélien ramena sur la rive droite du fleuve les soldats et les colons, évacuant tout le territoire ultra-danubien[160]. Pour la première fois, les bornes de l’Empire s’ébranlaient. Où étaient les vieux oracles disant que le peuple de mars ne céderait à personne les lieux qu’il avait un jour occupés, et que le dieu Terme garderait éternellement contre les Barbares les frontières romaines ?[161] Les païens les avaient souvent cités aux chrétiens comme une preuve irrécusable de la puissance et de la faveur des dieux : aujourd’hui, la preuve échappait. Les fidèles étaient trop patriotes pour se réjouir d’un événement qui blessait cruellement l’orgueil national ; mais ils remarquèrent certainement le démenti donné par la Providence à la superstition de leurs adversaires[162]. On peut croire que le fils de la prêtresse de Sirmium était sous l’impression de cet échec, quand il résolut de rendre générale la persécution commencée. Vers la fin de 274, il prépara dans ce sens un édit, qu’un historien qualifie de sanglant[163], mais dont malheureusement le texte n’a pas été conservé. Comme toutes les pièces de ce genre, l’édit d’Aurélien fut adressé aux gouverneurs des provinces[164]. Mais les desseins de l’empereur se trouvèrent en partie déjoués. Aurélien venait de quitter la nouvelle Dacie rapidement organisée : il traversait la Thrace, se dirigeant vers Byzance avec la pensée de retourner dans cet Orient, où il avait éprouvé tant d’émotions religieuses : peut-être rêvait-il d’envahir la Perse. Une conspiration se forma : il fut assassiné à Cœnophrurium, entre Héraclée et Byzance, vers le mois de mars 275[165]. Ainsi, disent les historiens chrétiens, un coup de foudre termina la vie du persécuteur[166], avant même que l’édit de persécution arrivât aux extrémités de l’Empire[167].

Exécuté sans retard dans quelques provinces antérieurement à la mort d’Aurélien, l’édit le fut en beaucoup d’autres avant que la nouvelle de l’assassinat y fût parvenue, en plusieurs même après qu’elle eut été connue. Entre la fin d’Aurélien et la nomination de son successeur sept mois s’écoulèrent, durant lesquels le sénat exerça une sorte de régence. Rien ne fait penser que cette assemblée ait rapporté l’édit. Les pouvoirs intérimaires ne se permettent pas des mesures qui engageraient d’avance la politique du prince destiné à les remplacer. D’ailleurs, les sentiments du sénat n’étaient pas favorables aux chrétiens : par deux fois, au commencement[168] et à la fin de son règne[169], Aurélien l’avait décimé, sous prétexte de punir des conspirateurs : il n’y avait laissé que des hommes pensant comme lui sur les affaires et sur la religion. On doit croire que, ne voulant se compromettre dans aucun sens, la haute assemblée ne pressa ni ne retint le zèle des gouverneurs, laissés libres d’appliquer ou de mettre en oubli la volonté de l’empereur défunt. En droit, l’édit avait toujours force de loi : les magistrats dont il flattait les passions religieuses n’hésitèrent pas à s’en servir. D’autres, plus éclairés, plus humains, peut-être plus prudents ou plus sceptiques, furent heureux de n’avoir point à l’exécuter.

Si le pape saint Félix, enterré dans le cimetière de Calliste le 3 des calendes de janvier (30 décembre 274), mourut martyr, il fut probablement l’une des premières victimes de l’édit promulgué à Rome quelques mois avant la mort de l’empereur. Mais il est douteux que ce Pape ait péri de mort violente[170]. Les autres martyrs d’Italie dont le souvenir a été conservé appartiennent, si la date de leur supplice est exactement rapportée, au régime intérimaire pendant lequel l’édit de l’empereur défunt continuait à s’exécuter. Ainsi, sainte Restituta, jeune Romaine immolée avec le prêtre Cyrille et deux autres compagnons, le 27 mai, à Sora, en Campanie[171] ; saints Basilidès, Tripos, Mandalis et leurs compagnons, à Rome, le 8 juin[172] ; saint Félix, saint Irénée et sainte Mustiola, à Sutri et à Chiusi, en Toscane, le 23 juin et le 3 juillet[173] ; saint Eutrope, saint Zosime et sainte Bonosa, à Ostie, le 15 juillet[174] ; saint Agapit, à Préneste (Palestrina), le 18 août[175].

Les Actes de ces divers martyrs sont de valeur inégale. Ceux de sainte Restituta ont été rédigés à une époque trop tardive pour qu’on puisse s’appuyer sur leur témoignage[176]. Bien que la Passion de saint Agapit ne se présente pas d’abord sous des apparences meilleures[177], certains passages de l’interrogatoire ont de la vraisemblance. Seigneur, dit au président un employé de l’officium, si tu écoutes les discours de ce sacrilège obstiné, tu ne pourras jamais le vaincre par des paroles. Interroge-le sur les richesses patrimoniales qu’il a portées de Rome en venant ici, de peur que ce qui devait servir à la république ne lui fasse défaut. Le magistrat suivit ce conseil ; et, après qu’Agapit eut courageusement confessé devant lui le Christ mort sur la croix, il lui dit brusquement : Tous ces blasphèmes seront punis des supplices les plus cruels ; mais, auparavant, dis-moi où sont les trésors que tu as apportés ici après avoir vendu ton patrimoine. Agapit répondit : Les richesses que j’ai retirées de mon patrimoine et que tu me demandes avec tant d’avidité, sont déposées et conservées dans le trésor de mon Christ, d’où les voleurs ne peuvent approcher. Pas plus que le juge de saint Laurent, le président qui interrogeait Agapit n’entendit les obscurités volontaires de ce langage mystique, et ne comprit que tout le bien du martyr avait été dépensé en aumônes : aussi, usant peut-être de la liberté laissée aux magistrats dans les procès des chrétiens par l’indifférence du gouvernement provisoire, proposa-t-il à Agapit une sorte de marché : Il y a longtemps, dit-il, que je souffre patiemment tes propos insensés. Je t’avertis donc que tu as un choix à faire : vois ce que tu préféreras, ou de nous montrer les trésors cachés dans ta maison, et de te retirer en paix, ou de sacrifier aux dieux immortels. Car j’ai compassion de ton jeune âge, et j’admire comment un enfant de quinze ans à peine ne craint pas de mourir de l’horrible mort des chrétiens. Cette préoccupation des richesses du martyr, ces pressantes questions pour découvrir le lieu où se cachent de prétendus trésors, sont un des traits caractéristiques de la dernière moitié du troisième siècle[178]. Le jeune martyr protesta que tous ses biens avaient été irrévocablement déposés dans le trésor du Christ, et refusa de sacrifier : d’après ses Actes dégagés de ce qui sent l’amplification et la légende, il fut d’abord exposé aux bêtes dans l’amphithéâtre de Préneste, où deux lions se couchèrent à ses pieds ; conduit ensuite hors des murs, il fut décapité : les chrétiens déposèrent son corps dans un sarcophage neuf[179] et l’enterrèrent[180] à un mille de la cité[181].

Sans être originaux[182], les Actes des saints Félix, Irénée, Mustiola procèdent Vraisemblablement soit d’une tradition demeurée très précise, soit d’un document plus ancien. A l’annonce de la persécution, Félix, prêtre de Sutrium, exhortait les fidèles à ne point se troubler de ce nuage passager. Dénoncé au correcteur de Toscane, Turcius (nom porté dans l’aristocratie romaine à cette époque), Félix fut traduit devant ce magistrat. Quel est ton nom ?Je me nomme Félix. — Dans quelle milice es-tu enrôlé ?Quoique pécheur, je suis prêtre du Christ. — Pourquoi tiens-tu des réunions en divers lieux, séduisant le peuple, l’empêchant de croire aux dieux, de sacrifier suivant l’ancienne discipline et le commandement des princes[183] ?A quoi servirait notre vie, si nous ne l’employions à prêcher Notre-Seigneur Jésus-Christ et à retirer le peuple du culte immonde des idoles, afin que tous puissent jouir de la vie éternelle ?Qu’est-ce que la vie éternelle ?Pour la gagner, il faut craindre et respecter Dieu le Père, et Jésus-Christ, et l’Esprit-Saint. Turcius ordonna de briser avec une pierre la mâchoire de Félix, qui mourut dans cet horrible supplice. Le diacre Irénée l’enterra près des murs de Clusium (Chiusi), le neuf des calendes de juillet (23 juin). Turcius fit arrêter le diacre, et quand, poursuivant sa tournée, il se rendit de Sutri à Chiusi, Irénée, chargé de chaînes, dut marcher pieds nus devant son char[184].

Dans cette dernière ville, les prisons contenaient de nombreux fidèles. Une chrétienne dont on ne nous fait connaître que le cognomen, Mustiola[185], avait acheté du geôlier la permission de les visiter : elle portait aux captifs de la nourriture et des vêtements, lavait, oignait d’huile leurs pieds meurtris par les fers. Sa naissance lion moins que sa beauté la mettait en évidence : elle était parente du prédécesseur d’Aurélien, Claude le Gothique[186]. Turcius se la fit amener, puis, se rendant lui-même chez elle, l’interrogea. La première question fut, comme toujours[187], relative à l’origine de l’accusée. La noblesse que nous estimons, dit Mustiola, ne vient pas de l’illustration des ancêtres[188], mais de l’humilité chrétienne. — Et pourquoi ne suis-tu pas les exemples de tes pères ?Parce que tous, obéissant au démon, périrent dans leur ignorance ; malgré mon indignité, j’ai été appelée par Notre-Seigneur Jésus-Christ au céleste royaume, avec tous ceux qui espèrent en lui. — Suis mon conseil, et ne déroge pas à la noblesse de ton origine. — Si tu connaissais le don du Seigneur Jésus-Christ, tu ne perdrais pas la lumière éternelle. — Quelle démence te porte a. visiter si fréquemment et avec tant d’affection les prisonniers ?Je le fais pour l’amour de Jésus-Christ ; pour le même amour ils supportent la prison et les chaînes. — Laisse cette folie, écoute-moi. Ne néglige pas les ordres des princes, et ne les tourne pas en dérision. — Quels sont les ordres de tes princes ?Que tu sacrifies, et que tu vives pour jouir de tes richesses. — Tu dis là un blasphème insensé.

Turcius revint à son tribunal, et fit trancher la tête à tous les chrétiens détenus dans les prisons. L’exécution d’Irénée fut différée. Le magistrat espérait le vaincre par la torture, et peut-être se servir de cet exemple pour persuader Mustiola. On suspendit le diacre au chevalet ; pendant la question, le héraut criait[189] : Sacrifie aux dieux. S’adressant au gouverneur : Es-tu devenu insensé, pour donner un ordre si déraisonnable ? s’écria le martyr. Bientôt ses membres furent déchirés par les ongles de fer, on mit le feu dans les blessures ; au milieu des souffrances, Irénée disait : Je vous rends grâces, ô Seigneur Jésus, de ce que j’aurai le bonheur de paraître devant votre face. Parlant de la sorte, il rendit l’âme. Mustiola reprocha au juge sa barbarie, et le menaça des flammes éternelles. Turcius prononça contre la noble femme la peine capitale. Elle périt sous les fouets garnis de balles de plomb. Le chrétien Marcus l’enterra, le 3 juillet, près des murs de Clusium : Là, jusqu’à ce jour, dit l’auteur des Actes, on éprouve la puissance de son intercession, et des miracles s’opèrent par Jésus-Christ, notre Seigneur[190].

Cinq jours après (8 juillet), furent martyrisés à Porto cinquante soldats convertis par saint Eutrope et ses deux sœurs, Zosime[191] et Bonosa ; le 15 juillet, dans la même ville, ces trois saints périrent à leur tour pour le Christ. Nous n’osons nous servir de leur Passion pour raconter les détails du martyre[192], mais nous apprenons d’un document contemporain l’impression qu’en ressentirent les fidèles. Eutrope, Zosime et Bonosa avaient été enterrés dans le voisinage de l’île sacrée du Tibre[193] : dès qu’un moment. de tranquillité permit d’orner leurs tombeaux, on les décora de marbres et d’inscriptions métriques. Quelques vers de l’éloge de Zosime existent encore[194] : un témoin du supplice rapporte les dernières paroles de la sainte : Reçois-moi dans ta demeure, ô Christ ! puis, suivant par la foi celle qu’il vient de voir glorieusement mourir, il s’écrie : Exaucée, la sainte sœur Zosime jouit aussitôt de la lumière céleste. Pleine de joie, elle est entourée des compagnons de son saint combat ; les pères admirent la vaillante fille qu’ils désiraient avoir près d’eux, et, triomphants, l’embrassent tour à tour. Déjà elle voit, elle goûte la beauté du grand royaume, et se réjouit de la récompense donnée à ses mérites, tenant avec toi, ô Paul, la couronne, après avoir foulé au. pieds la mort, car elle a gardé la foi et en paix accompli sa course[195]. Avec cette sérénité parlent les contemporains des martyrs ! Détournant promptement leurs regards du supplice, ils les élèvent aussitôt vers le ciel, et contemplent dans la gloire les frères, les sœurs dont ils ont ramassé sur le champ de bataille les corps mutilés. Ainsi chantait le poète inconnu, qui demain peut-être sera martyr à son cour ; ainsi peignent les peintres anonymes des catacombes : leurs calmes et joyeuses compositions sont le meilleur commentaire de cet héroïque fragment de l’épopée chrétienne.

On a peu de renseignements sur le sort des chrétiens orientaux. Cependant, il résulte de rares documents que, sans avoir été générale, la persécution se fit sentir dans les provinces asiatiques, soit avant, soit après que l’on eut appris la mort de l’empereur.

Les Actes de saint Conon[196], martyrisé le 29 mai à Iconium, colonie romaine située sur la limite de l’Isaurie et de la Lycaonie, révèlent une situation singulière, qui dut se présenter ailleurs. L’édit de persécution arriva dans cette lointaine contrée peu de temps après qu’on eut appris une victoire remportée par Aurélien en Vindélicie vers l’automne de 274 [197] : selon toutes les apparences, à cette victoire, la dernière d’Aurélien, précédant immédiatement l’abandon de la Dacie, fait allusion le fonctionnaire impérial lorsqu’il dit au martyr Conon : En ce moment, l’empereur et tous les bons citoyens sont dans la joie. Au moment même où le magistrat parlait de la sorte, et pressait cruellement l’exécution de l’édit, Aurélien était déjà mort, car le procès de Conon se passe dans les derniers jours de mai (275). Tout ceci est parfaitement conforme à Lactance, disant qu’Aurélien mourut avant que l’édit de persécution atteignît les extrémités de l’empire : mais l’édit était déjà en route, porté par les courriers officiels, et comme, à ces extrémités de l’empire, son arrivée précéda d’un ou deux mois la nouvelle de la mort de l’empereur, on eut encore le temps de l’exécuter en croyant agir au nom d’Aurélien vivant. Les communications, si rapides par mer[198], l’étaient beaucoup moins quand il fallait prendre la voie de terre ; dans des régions désolées par les brigands et perdues dans un coin de la péninsule asiatique, comme les montagnes de l’Isaurie ou les steppes de la Lycaonie[199], les dépêches devaient se faire longtemps attendre : au moment où on les recevait, les faits annoncés par elles étaient déjà anciens, et souvent ne correspondaient plus à la réalité.

Les Actes donnent ait fonctionnaire romain chargé, en Isaurie, de la recherche des chrétiens le nom de Domitien, fréquent dans la dernière moitié du troisième siècle[200]. Un vieillard nommé Conon, lui fut dénoncé. Veuf depuis longtemps, Conon menait dans le désert, au bord d’un torrent, la vie d’ascète, comme, quelques années auparavant, saint Léon, en Lycie ; son fils, promu dès l’âge de douze ans aux fonctions de lecteur[201] et plus tard au diaconat, partageait sa solitude. Tous deux, arrachés de leurs montagnes et menés à Iconium, confessèrent intrépidement le Christ. Domitien les fit passer par une longue suite de supplices, le gril ardent, la chaudière brûlante : on leur coupa où on leur broya les mains : avec leurs moignons sanglants ils firent le signe de la croix, et moururent.

Si l’on en croit leurs Actes[202], saint Paul et sainte Julienne, martyrisés le 17 août, auraient souffert aussi en Isaurie, dans la ville de Ptolémaïs ; mais on n’y trouve aucune cité de ce nom, et, s’ils moururent vraiment dans la persécution d’Aurélien[203], leur martyre eut probablement pour théâtre Ptolémaïs de Palestine[204]. Les Actes, du reste, bien que mêlés de détails curieux qui peuvent provenir d’anciennes traditions[205], sont trop peu historiques dans l’ensemble pour qu’on puisse avec quelque assurance invoquer leur témoignage[206]. Plus mauvais encore paraissent les Actes de saint Magnus[207], martyrisé le 19 août à Césarée de Cappadoce. J’y relève, cependant, un trait de l’interrogatoire, recueilli peut-être dans un document meilleur. Sacrifie aux dieux, dit le président à Magnus. — Je te l’ai déclaré déjà, et je te le répète, je suis chrétien, et je ne sacrifierai pas aux démons. — Tu as peut-être assez de confiance en ton art magique pour espérer par sa vertu surmonter l’ardeur du feu[208]. Sacrifie donc aux dieux. — A quels dieux veux-tu que je sacrifie ?Au Soleil, à Mercure et à Apollon[209]. Ce mot semble bien d’un magistrat imbu de l’esprit d’Aurélien, et mettant, comme lui, le soleil avant tous les dieux : on comprend que, même la mort de l’empereur étant connue, comme elle l’était certainement en Cappadoce au mois d’août, un aussi fidèle interprète de sa pensée continuât sans hésitation d’appliquer l’édit. Magnus, racontent ses Actes, périt dans l’amphithéâtre de Césarée, lapidé par le peuple, après qu’un lion eut refusé de le toucher.

Vers le même temps, — le 17 août selon les uns, le 2 septembre selon les autres, — mourut à Césarée un martyr encore moins connu et beaucoup plus célèbre, saint Mamas. Dans l’état où nous les possédons, ses Actes sont une longue et fabuleuse amplification[210]. Un seul trait doit en être retenu, parce que saint Grégoire de Nazianze raconte le même épisode, l’ayant sans doute pris, comme le rédacteur des Actes, à une source plus ancienne. Mamas était berger, et, n’ayant pour fortune que la pannetière suspendue à son côté, pour arme que sa houlette, pour toit que le ciel étoilé[211], il menait dans les montagnes de la Cappadoce cette vie pastorale qu’une âme religieuse transforme facilement en une vie d’ermite. On lui attribue ce pouvoir sur les animaux sauvages, qui semble le privilège de quelques natures exquises, ramenées par la pénitence à l’innocence primitive. Sa douceur attirait les biches de la forêt, qui venaient d’elles-mêmes à sa cabane ; elles présentaient leurs mamelles gonflées, et semblaient prendre plaisir à nourrir le saint homme de leur lait[212]. Ni saint Grégoire de Nazianze, ni saint Basile, qui ont parlé magnifiquement de lui[213], ne donnent de détails sur sa confession et son supplice, placés par les martyrologes dans la persécution d’Aurélien. Mais ces grands et saints orateurs montrent les peuples se pressant à Césarée près du sépulcre de l’humble berger, et rappellent, avec l’autorité de témoins, les prières exaucées, les malades guéris, les morts même ressuscités sur ce glorieux tombeau.

Si l’on place, avec les hagiologues grecs, au commencement de septembre le martyre de saint Mamas, ce fut, sans doute, un des derniers actes de la persécution posthume déchaînée par l’édit d’Aurélien. L’interrègne touchait à sa fin. Il avait été rempli en Italie et dans plusieurs provinces d’Orient par la persécution ; en Gaule, par une nouvelle invasion de Francs, d’Alemans, de Bourguignons et de Vandales[214]. La nécessité d’avoir un chef à opposer aux Barbares, la crainte de voir en Asie, en Afrique, en Égypte, en Illyrie, recommencer l’ère des trente tyrans, décidèrent enfin le sénat[215] : il consentit à choisir lui-même un empereur, comme l’armée, lasse de créer des Césars, le lui demandait depuis plusieurs mois[216]. Le 25 septembre, après une solennelle délibération, un vieux consulaire, M. Claudius Tacitus, qui se glorifiait de descendre du grand historien, fut fait Auguste[217]. Son élection devint le signal de la pacification religieuse. Les gouverneurs, à qui le prince ne donnait pas d’ordres, n’osèrent continuer la persécution. L’édit d’Aurélien avait pu survivre à son auteur ; mais il devint caduc sous un successeur qui ne paraissait point s’en soucier. Les portes des prisons s’ouvrirent pour les chrétiens. C’est ainsi que saint Chariton, emprisonné à Iconium, devint libre dès qu’on y eut appris l’avènement de Tacite[218] : si suspects, si pleins de confusion[219] que paraissent ses Actes, un détail d’une telle précision historique ne peut avoir été inventé.

 

 

 



[1] La seconde quinzaine de mars était consacrée à Cybèle : le 15 mars, procession des roseaux ; le 22, procession du pin sacré ; le 14, jeûnes et mutilations des Galls ; le 25, réjouissances grossières ; le 29, bain de la déesse. Outre les Galls et leur chef, le culte de Cybèle était célébré à Rome par les confréries des cannophores et des dendrophores, sous la direction du collège des quindécemvirs. Voir Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. III, p. 355-357 ; J. Réville, la Religion à Rome sous les Sévères, p. 65 ; Bouché-Leclerq, Histoire de la divination dans l’antiquité, t. IV, p. 309, 313.

[2] Nam quum esset nuntiatum IX Kal. Apr. ipso in sacrario Matris sanguinis die Claudium imperatorem factum, neque cogi senatus sacrorum celebrandorum posset... Trebellius Pollion, Claudius, 4. — Sur le sanguinis dies et sur les mutilations des Galls, voir Tertullien, Apologétique, 25 ; Minucius Felix, Octavius, 24 ; Martial, Épigrammes, XI, 84, 3 ; Stace, Thébaïde, X, 170 ; le poème faussement attribué à Tertullien, Ad senatorem christiana religione ad idola conversum, 19 ; Prudence, Peri Stephanôn, X, 1061. Dans le calendrier philocalien, le 24 mars est désigné par le mot Sanguem.

[3] Voir Saglio, art. Acclamatio, dans le Dictionnaire des antiquités, t. I, p. 18-20.

[4] Voir Du Cange, Gloss. lat., v° Laudes ; Gloss. græc., v° εύρημεϊν.

[5] Tetricus nihil fecit. Trebellius Pollion, Claudius, 4. — Phrase équivoque, semblant à la fois railler l’inertie de Tetricus et proclamer son innocence. Tetricus, quatrième successeur de Posthume, avait été sénateur : ses anciens collègues intercédaient pour lui, rejetant sur Victorina la responsabilité de son usurpation.

[6] Aurelius Victor, De Cæsaribus, 33.

[7] Ibid.

[8] Subacti à Claudio patres, quod ejus arbitrio imperium accepisset, divum dixere. Ibid. Cf. Eckhel, Doctr. numm. vet., t. VII, p. 416.

[9] Cf. Willems, le Droit public romain, p. 428.

[10] Voir Trebellius Pollion, Triginta tyranni, 10 ; Zosime, I, 41.

[11] Voir Appendice H.

[12] Il essaya seulement de lui reprendre l’Égypte, jadis reconquise par Théodote sur l’usurpateur Émilien (voir le chapitre précédent), et par conséquent faisant légitimement partie des États laissés par Gallien ; Zosime, I, 43 ; Trebellius Pollion, Claudius, 11. Dans cette expédition infructueuse fut détruit le Bruchium d’Alexandrie ; saint Jérôme, Chron.

[13] Claude souffrit que la vaillante femme conservât la puissance suprême, et la laissa maintenir en Orient les anciennes limites de l’empire, afin de pouvoir achever librement ses desseins contre les Goths. Lettre d’Aurélien au sénat et au peuple ; Trebellius Pollion, Triginta tyranni, 29.

[14] Zonare, XII, 16. — Le texte porte Posthume au lieu de Tetricus erreur évidente.

[15] Aurelius Victor, De Cæsaribus, 33.

[16] Les archers palmyréniens servirent comme auxiliaires dans l’armée romaine dès la fin du premier siècle ; Titus les emploie dans la guerre contre les Juifs. Cf. Duruy, Histoire des Romains, t. V, p. 30.

[17] Trebellius Pollion, Claudius, 7.

[18] Aurelius Victor, De Cæsaribus, 33.

[19] Ces pièces citent le nom de Claude sans y joindre aucune épithète. Mais on ne peut admettre que des compilateurs, même de basse époque, aient été assez ignorants des traditions ecclésiastiques pour attribuer des martyrs au règne du premier Claude. Aucun document, aucune légende, n’a pu leur donner l’idée d’une persécution antérieure à celle, de Néron. — Je ne rappellerai que pour mémoire l’opinion de ceux (Fiorentini, Andreucci) qui ont entendu de Néron lui-même le Claude nommé par les hagiographes, sous prétexte que Néron, entré par adoption dans la gens Claudia, s’appelait Nero Claudius. C’est sous le nom de Néron que le premier des persécuteurs est célèbre dans l’antiquité, et jamais les historiens soit sacrés soit profanes ne le désignent autrement. — Reste Claude le Gothique. Un grand nombre de critiques, frappés soit du caractère équitable et doux de cet empereur (Trebellius Pollion, Claudius, 2 ; Zonare, XII, 26), soit de l’imperfection des documents hagiographiques, ont contesté cette persécution. Pagi, Critica in Ami. eccles. Baronii, ad ann. 269, n° VII, t. III, p. 165, la nie absolument ; Ruinart, Acta martyrum sincera, préface, p. LVI, n’en fait pas mention. Elle est de même passée sous silence par F. Görres, art. Christenverfolgungen, dans Kraus, Real-Encyklopädie der christlichen Alterthümer, t. I, p. 241, et Bickersteth Birks, art. Martyrs, dans Smith, Dictionary of christian antiquities, p. 1124. M. Aubé, l’Église et l’État dans la seconde moitié du troisième siècle, p. 444-451, conclut comme Pagi à l’absence de persécution. Tillemont, au contraire, s’exprime ainsi : Claude fut un cruel persécuteur, selon les martyrologes et quelques Actes que nous en avons. Et il n’est pas difficile de croire que ce prince, qui vouloit paraître fort différent de son prédécesseur, ait persécuté ceux que Gallien avait laissez en paix. Il vouloit être estimé du sénat, et passa pour aimer les loix romaines : et l’on voit que les empereurs qui ont eu ces vuës ont cru la plupart devoir témoigner du zèle contre les chrétiens. Que si on trouve peu de monuments de ce que Claude a fait contre eux, il faut considérer qu’il n’a régné que deux ans, et qu’il n’a jamais possédé ni l’Orient, où étoit Eusèbe, ni plusieurs autres parties de l’empire. Tillemont, Mémoires, t. IV, art. sur saint Denys pape. J’admets comme Tillemont la réalité de la persécution, et je crois pouvoir la démontrer ; mais les vraisemblances historiques nie conduisent à placer les poursuites exercées contre les chrétiens à une époque où Claude n’était plus à Rome.

[20] Cf. Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e édit., p. 345 et suiv.

[21] Le 1er mars 268, Claude n’était pas encore empereur.

[22] Acta SS., janvier, t. II, p. 214 et suiv.

[23] Enterré sur la voie de Porto. Acta SS., mars, t. I, p. 24.

[24] Ibid., mai, t. I, p. 40.

[25] Acta SS., t. III, p. 458-464. Cf. Bullettino di archeologia cristiana, 1874, p. 110, et surtout le P. Germano di S. Stanislao, Memorie archeologiche e critiche sopra gli Alti e il cimitero di S. Eutizio di Ferento, Rome, 1886, p. 146-299. Les pages 311-387 et les pl. VI-XI sont consacrées au cimetière et à la basilique du martyr.

[26] Voir leurs Actes dans Germano di S. Stanislao, l. c., p. 224-260. Ces Actes mêlent leur histoire à celle de saint Eutychius, et font mourir celui-ci après eux, ce qui obligerait à reporter son martyre à l’année suivante. Mais il y a peu de fond à faire pour les détails sur une pièce rédigée ou interpolée à une époque tardive. De même le passage de la Passion de saint Eutychius qui montre celui-ci survivant à Gratilianus et à Felicissima paraît gauchement rattaché au récit principal, et d’un autre style.

[27] Acta SS., août, t. IV, p. 504 et suiv. ; septembre, t. II, p. 520 ; De magistris, Acta martyrum ad ostia tiberina sub Claudio Gothico, Rome, 1795. — Il ne faut pas confondre cet Hippolyte avec le docteur de ce nom dont le martyre sous Valérien est raconté plut haut. Sur ces divers Hippolytes, voir Appendice F.

[28] Assemani, De sanctis Ferentinis in Tuscia, p. 123.

[29] Enterré sur la voie Tiburtine. Acta SS., septembre, t. V, p. 471.

[30] Enterrés sur la voie Salaria. Acta SS., octobre, t. VIII, p. 319 ; t. XII, p. 468.

[31] Acta SS., octobre, t. VIII, p. 319 ; t. XII, p. 468. Les Actes de saint Laurent, les martyrologes de Bède, d’Adon et ceux qui en dépendent, disent que Tryphonie et Cyrille étaient l’une épouse, l’autre fille de Dèce César : uxoris Decii Cæsaris, filix Decii junioris Cæsaris, et mettent leur martyre sous Claude. Les topographes du septième siècle reproduisent cette assertion (De Rossi, Routa sotterranea, t. I, p. 178, col. III, IV, V), et disent que la mère et la fille furent enterrées dans le cimetière d’Hippolyte, sur la voie Tiburtine. Un d’eux, l’auteur de l’itinéraire de Salzbourg, emploie une expression remarquable : Altero cubiculo S. Tryphonia regina et martyr, et Cyrilla filia ejus et martyr, quos meditus Decius interfecit uxorem et filiam. Le topographe se trompe en attribuant à Dèce le martyre des deux saintes, que tous les documents mettent sous Claude, mais il donne une preuve d’exactitude en rappelant le gentilitium des Dèces, Messius (écrit meditus par erreur de copiste) : dans la longue nomenclature que ces empereurs avaient, selon l’usage du troisième siècle, les deux derniers noms étaient pour le père Trajonus Decius Augustus, et pour les fils Messius Decius Cæsar et Messius Quintus Cæsar (De Rossi, Bullettino dell’ Instituto di correspondenza archeologica, 1852, p. 15 et suiv. ; Corpus inscr. lat., t. VI, 1099-1102) ; probablement le voyageur du septième siècle, visitant le cimetière d’Hippolyte, eut sous les yeux une inscription antique, où la relation de Tryphonie et de Cyrille entre elles et avec l’un des fils de Dèce était marquée. La seule question vraiment douteuse nous parait celle qu’a soulevée le P. Oderici (Dissertationes et adnotationes in aliquot ineditas velerunt inscriptiones et numismata, Rome, 1765, p. 212-213). Tryphonia, Tryphæna, et autres cognomina grecs de même forme, sont du type propre à la nomenclature servile, et se comprendraient difficilement d’une impératrice. Ne faut-il pas sous-entendre, selon le style fréquemment usité dans les inscriptions, ancillæ ou libertæ avant uxoris Decii Cæsaris, et admettre que Tryphonie aurait appartenu à la maison de l’un des jeunes Dèces ? L’hypothèse n’est pas sans vraisemblance ; cependant ni les auteurs des Actes ni les rédacteurs des martyrologes ne l’ont soupçonnée : pour eux Tryphonie est la femme et Cyrille la fille de Dèce César. M. de Witte, considérant les lacunes que présente l’histoire. des femmes de la famille impériale au troisième siècle, ne voudrait pas repousser sans preuves l’affirmation de ces documents (du Christianisme de quelques impératrices romaines, dans Cahier et Martin, Mélanges d’archéologie, t. III, p. 170). M. de Rossi propose un moyen terme. Tryphonie fut peut-être d’origine servile, attachée en qualité d’esclave ou d’affranchie à la maison impériale, ainsi que son cognomen semble l’indiquer : elle serait devenue la concubine du prince comme Marcia, cette protectrice déclarée des chrétiens, le fut de Commode (Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 27 ; cf. Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e édit., p. 454). Je me borne à rapporter ces hypothèses diverses, souhaitant avec M. de Rossi (l. c., p. 28) que le progrès des fouilles permette un jour de recueillir des données plus certaines sur les martyrs illustres enterrés dans le cimetière d’Hippolyte.

[32] De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 207.

[33] Acta SS., janvier, t. II, p. 218. Rien ne montre que ce saint doive être identifié avec le clarissime Asterius, dont nous parlons plus haut ; mais il peut avoir appartenu comme lui à la gens Asteria.

[34] Acta SS., janvier, t. II, p. 183. — Sur la sépulture de Prisea au cimetière de Priscille, sur la voie Salaria, voir De Rossi, Bull. di arch. crist., 1888-1889, p. 116-118. L’indication contraire donnée par ses Actes est sans valeur ; ibid., p. 116, note 5.

[35] Enterrés sur la voie Cornelia, au treizième mille de Rome, dit la Passion (Acta SS., janvier, t. II, p. 216). Le martyrologe hiéronymien, au 20 janvier, dit : Via Cornelia milia(rio) ab Urbe XII.

[36] Enterré sur la voie Flaminienne. Acta SS., janvier, t. II, p. 207. Cf. Bull. di arch. crist., 1878, p. 58. Sur le cimetière de saint Valentin, voir Marucchi, la Cripta sepulcrale di S. Valentino nella via Flaminia, Rome, 1878, et le Recenti scoperte presso il cimitero di S. Valentino nella via Flaminia, dans Bull. della commissione archeologica comunale di Roma, 1888, p. 240-256. — Les Actes de saint Valentin ne sont pas contemporains : ils ont d’étroites relations avec ceux des martyrs persans Maris, Marthe, Audifax et Abacuc, dont ils ne sont, à vrai dire, qu’un extrait. La Passion de saint Valentin correspond aux n° 6-11, plus le commencement du n° 15, de ces Actes (voir Acta SS., janvier, t. II, p. 216-219).

[37] Enterré à Terni, dans le cimetière auquel il a donné son nom. Voir De Rossi, Bull. di arch. crist., 1871, p. 99-101. — Sa Passion ressemble beaucoup à celle du prêtre Valentin (Acta SS., février, t. Il, p. 752-754 et 756-757). Cela n’étonnera personne, étant donnée la manière des hagiographes du moyen âge. Mais on ne doit pas croire, avec Tillemont, à l’identité des deux Valentin. Les martyrologes les distinguent, et l’archéologie a confirmé cette distinction par la découverte de leurs cimetières différents. On se demandera comment l’évêque de Terni peut avoir été martyrisé à Rome. Le fait n’est pas sans précédents : il est possible ou que quelque affaire l’ait conduit à Rome au moment où y sévissait la persécution, ou même qu’il ait espéré mieux échapper à celle-ci en quittant sa petite ville et en cherchant un refuge dans une cité plus populeuse, où il était moins connu. — Faut-il cependant admettre que les deux-Valentin aient été exécutés le même jour ? Le fait n’est pas matériellement impossible ; mais on peut expliquer autrement leur commémoration simultanée. Il est naturel de penser que le 14 février est le jour du martyre du prêtre romain ; les fidèles de Rome durent en garder un souvenir précis. L’évêque de Terni mourut loin de son siège ; il ne serait pas étonnant que son peuple eût ignoré la date exacte de sa mort, et que plus tard on eût choisi, pour en faire mémoire, le jour de son homonyme, victime de la même persécution. Voir Analecta Bollandiana, 1892, p. 472.

[38] Voir la critique des Actes de saint Laurent, de saint Hippolyte, de sainte Aurea, de saint Maris, de sainte Prisca, dans les Acta SS., octobre, t. XII, p. 468, observations du P. de Buck ; De Smedt, Dissertationes selectæ in primam ætatent historiæ ecclesiasticæ, p. 140, et appendices, p. 30-31 ; De Rossi, Bull. di arch. crist., 1888, p. 62 ; 1881, p. 30 ; 1888-1889, p. 116, note 5 ; Aubé, l’Église et l’État dans la seconde moitié du troisième siècle, p. 446.447 ; Tillemont, Mémoires, t. IV, note IV sur saint Denys pape. Tous ces Actes renferment une commune erreur : ils supposent Claude présent à Rome en 269 et 270, alors qu’il était loin de l’Italie, aux prises avec les Goths.

[39] Marucchi, Il cimitero di S. Valentino ; cf. Analecta Bollandiana, 1892, p. 47.

[40] Les indications de sépulture données dans les Passions que nous avons citées sont toutes exactes ; comparez les itinéraires de pèlerins publiés par M. de Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 175-183. D’autres détails de topographie ont été vérifiés ; on lit dans les Actes de saint Maris que deux cent soixante chrétiens furent enfermés dans les briqueteries situées hors des murs de la porte Salaria, tenuit CCLX christianos via Salaria, quos jussit ut in figlinas foras muros portæ ; Salariæ includerentur ; Acta SS., janvier, t. II, p. 216. Ces briqueteries sont nommées dans d’autres documents (Acta SS., août, t. 11, p. 632 ; Liber Pontificalis, Silvester, éd. Duchesne, t. I, p. 197, note 82), et l’on a trouvé un grand nombre de briques qui en proviennent (Marini, Iscrizioni antiche doliari, Rome, 1884, nO’ 308, 323, 337, 345, 381, 405, 437, 457, 478, 554, 555, 947, 948, 1228, 1257 ; De Rossi, Bull. di arch. crist., 1887, p. 22).

[41] Roma sotterranea, t. III, p. 207.

[42] Voir l’Appendice I.

[43] Denys mourut le 26 ou 27 décembre. M. l’abbé Duchesne (le Liber Pontificalis, t. I, p. CCXLVIII) pense que dans la notice du Liber sur le pape Denys la note consulaire correspondant à l’année 269, indiquée comme date de sa mort, doit avoir été mise par erreur, et qu’il faut ramener la durée du pontificat de Denys à neuf années, chiffre donné par Eusèbe (Hist. Ecclés., VII, 30) et saint Jérôme. Le catalogue libérien porte VIIII, ce qui peut avoir été une erreur de copiste pour VIII, chiffre selon toute apparence marqué primitivement. S’il en est ainsi, le troisième concile d’Antioche contre Paul de Samosate, ordinairement placé en 269, devra être reporté d’une année en arrière, car la lettre synodale qui rend compte de ses décisions est adressée à Denys. En adoptant la correction proposée par M. Duchesne, et déjà indiquée par Lipsius (Chronologie der römischen Bischofe), on place aux premiers jours de 269 l’élection de Félix, successeur de Denys. On ne pourra, par conséquent, comme le fait M. Aubé (l’Église et l’Étal dans la seconde moitié du troisième siècle, p. 447), tirer contre la réalité de la persécution argument de ce que le siège de Rome n’eut pas de vacance, et de ce que l’élection de Félix ne fut pas entravée ; nous avons montré que les violences contre les chrétiens n’ont dû commencer que dans le courant de 269.

[44] Lettre du concile d’Antioche, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 7.

[45] Lettre du concile d’Antioche, dans Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 8.

[46] Έπισxόπους τών όμόρων άγρών τε xαί πόλεων xαί πρεσβυτέρους. Ibid., 10. Ces επισπόποι τών άγρών sont probablement des chorévèques ; cf. la note d’Henri Valois sur ce passage, et le P. de Smedt dans Revue des questions historiques, octobre 1891, p. 417. — Comme les chorévèques sont rarement nommés dans les textes anciens, et particulièrement dans les Actes des martyrs, il est à propos de noter que dans le martyrologe syriaque publié par M. Wright deux martyrs, Antogonios au 14 juillet, et Maxime au 19 novembre, sont qualifiés de chorévèques : ces qualifications ne sont pas reproduites aux jours correspondants du martyrologe hiéronymien, où le nom des deux saints est seulement donné. Voir De Rossi-Duchesne, Mart. hiéronym., p. LVIII et LXIII.

[47] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 13, 14.

[48] Sur l’habitude d’agiter des draperies en signe d’applaudissement, cf. Dion Cassius, LXI, in fine ; Philostrate, Vita Apollonius, V, 1 ; Vopiscus, Aurelianus, 48.

[49] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 9, 10.

[50] Eusèbe, ibid., 27 ; 30, 11 ; cf. saint Épiphane, Hæres., LXV, 1.

[51] Le premier concile eut lieu en 264 ; parmi ses assistants on cite Firmilien de Césarée, Grégoire le Thaumaturge, son frère Athénodore, Helenus de Tarse, Hyménée de Jérusalem, et le diacre Eusèbe, dont nous avons dit le rôle è Alexandrie lors de la rébellion d’Émilien.

[52] Quatre-vingts évêques s’y rendirent. Les arguties de Paul furent confondues par la dialectique de Marcion, ancien professeur de philosophie ou de rhétorique, devenu prêtre. Eusèbe, VII, 29 ; saint Jérôme, Ép. 84, et De Viris illustribus, 71.

[53] La date de 269 est préférée par Tillemont, Mémoires, t. IV, art. IV et note IV sur Paul de Samosate, et les Bollandistes, octobre, t. XII, p. 507-509.

[54] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 17, 18.

[55] Ibid., 19. Voir Tillemont, Mémoires, t. IV, art. VI sur Paul de Samosate.

[56] Ibid., 18.

[57] Trebellius Pollion, Claudius, 6-9 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus ; Zosime, I, 42, 43 ; Ammien Marcellin, XXXI, 7 ; Zonare, XII, 26.

[58] Trebellius Pollion, Claudius, 8, 9 ; Zosime, I, 43. — Tel était, à cette époque, l’abandon des campagnes, que le successeur de Claude, Aurélien, rendit les décurions responsables de l’impôt des terres délaissées : on les offrait en vain au premier occupant. Code Justinien, XI, LVIII, 1.

[59] Le frère de Claude, Marcus Aurelius Quintillus, avait été proclamé en Italie ; mais, à la nouvelle de l’élection d’Aurélien, il s’ouvrit les veines. Il avait régné dix-sept jours, selon la plupart des historiens. Zosime, cependant, lui attribue plusieurs mois de règne ; le nombre et la variété des pièces frappées à son nom porteraient Eckhel à se rallier à cette opinion ; Doctr. numm., t. VII, p. 478. On a trouvé en Afrique une borne miliaire au nom de Quintillus. Académie des Inscriptions, 17 juin 1887.

[60] Manu ad ferrum. C’était son surnom dans l’armée. Vopiscus, Aurelianus, 6.

[61] Ibid., 6, 7.

[62] Ibid., 6.

[63] Ibid., 11, 12, 15.

[64] Vopiscus, Aurelianus, 6.

[65] Ibid.

[66] Saint Luc, III, 15.

[67] Dans la croyance des Romains, les livres sibyllins, révisés sous Auguste (Suétone, Octavius, 31), avaient moins pour objet de prédire l’avenir comme des oracles que d’apporter secours et conseil dans les calamités publiques, quand les pratiques ordinaires du culte paraissaient insuffisantes à désarmer la colère des dieux (Tite-Live, XXII, 9 ; XLII, 2 ; Denys d’Halicarnasse, Ant., IV, 62 ; Varron, De re rust., I, 1). Ils ne pouvaient être ouverts que sur le commandement du sénat, par le collège des quindecemviri sacris faciundis, composé de consulaires, d’anciens préteurs, de personnages d’un rang élevé. Cf. Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. III, p. 42, 336 et suiv., 367 ; Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l’antiquité, t. IV, p. 307 et suiv. ; Henzen, dans les Ann. Bell’ Instituto di correspondenza archeologica, 1863, p. 278.

[68] Vopiscus, Aurelianus, 18.

[69] Vopiscus, Aurelianus, 20.

[70] Le procès-verbal en a été, conservé par Vopiscus, l. c., 19, 20. On y trouve deux curieux discours, celui du préteur urbain, remplaçant les consuls, qui s’exprime en commissaire du gouvernement ; celui dû premier des sénateurs, Ulpius Syllanus, moitié solennel, moitié railleur, qui commence par une épigramme contre ses collègues et s’achève comme un écho du Carmen seculare d’Horace.

[71] Les livres sibyllins étaient considérés comme un don d’Apollon (Tibulle, II, V, 15). Les Sibylles sont toujours associées à ce dieu. Elles passent tantôt pour sa sœur, tantôt pour sa femme, son amante, sa fille, sa prêtresse (Pausanias, X, 12, 1 ; Clément d’Alexandrie, Strom., I, 108 ; Virgile, Énéide, VI, 36 ; Servius, sur Énéide, III, 332 ; VI, 321). Tous les lieux où se font entendre des oracles sibyllins sont consacrés an culte d’Apollon. La Sibylle de l’Hellespont a son tombeau dans le temple d’Apollon, à Gergis (Étienne de Byzance, v° Γέργις) ; celle de Cumes a son antre près d’un temple d’Apollon, et son tombeau dans ce temple (Lycophron, Cass., 1278, et le scholiaste sur ce vers ; Pausanias, X, 12, 8). Cf. Marquardt, Römische Staatsverwaltunq, t. III, p. 344-345.

[72] Les livres sibyllins étaient, depuis Auguste, déposés dans le temple d’Apollon Palatin, dans deux coffrets dorés placés sous la base de la statue du dieu (Suétone, Octavius, 31). Les quindécemvirs s’asseyaient, pour les consulter, sur des sièges ornés de laurier, et ne les touchaient qu’avec des mains voilées (Vopiscus, Aurelianus, 19). On ignore la façon précise d’interroger ces livres. Le plus simple est d’admettre un procédé identique à l’usage si répandu des sorts tirés d’un livre quelconque, et qui consistait à ouvrir au hasard le livre, en prenant pour une réponse divine le passage ainsi amené sous les yeux du consultant. Ce genre de divination était fort commun en Italie, et il est probable que les auteurs qui parlent des sorts sibyllins (Tibulle, II, V, 69 ; Lactance, Div. Inst., 1, 6, 12) prennent le mot dans son acception propre. Comme nous ne possédons pas un seul vers authentique des livres sibyllins de Rome, et que le libellé de consultations décemvirales, enregistré çà et là par les historiens, ne donne que les conclusions adoptées par le collège, il est impossible de confirmer l’hypothèse par des preuves de fait. Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l’antiquité, t. IV, p. 294-295.

[73] Amburbium ou lustratio urbis, qui n’avait pas de jour fixe, et se faisait dans les moments de nécessité publique. Cf. Tite-Live, XXI, 62 ; XXXV, 9 ; XLII, 20 ; Lucain, I, 592. Dans le cortège marchaient les pontifes, les vestales, les quindécemvirs, les augures, les septemvirs, les sodales Titii, les saliens, les flamines et des chœurs d’enfants patrimes et matrimes, c’est-à-dire dont les père et mère étaient vivants, qui chantaient des hymnes. Après Aurélien, il n’y eut plus d’amburbium, si ce n’est cent vingt-cinq ans plus tard, en 394, quand le parti païen tenta contre Théodose la lutte décisive qui se termina par la ruine officielle de l’idolâtrie. Voir Bullettino di archeologia cristiana, 1868, p. 54, et mon livre sur l’Art païen sous les empereurs chrétiens, p. 139.

[74] Ambarvalia. Cette procession avait lieu régulièrement le 29 mai ; mais elle pouvait être répétée dans les circonstances extraordinaires.

[75] In certis lotis sacrificia fierent, quæ Barbari transire non possent. Vopiscus, Aurelianus, 18.

[76] Cujuslibet gentis captos. Ibid., 30.

[77] Enfants immolés par Vatinius, an 55 avant J.-C. ; Cicéron, In Vatinium, 6 ; — vases en terre remplis de chair humaine, trouvés dans le temple de Bellone, an 49 avant J.-C. ; Dion Cassius, XLII, 26 ; — hommes immolés au Champ de Mars par les flamines et le pontife de Mars, an 45 avant J.-C. ; ibid., XLIII, 24 ; — trois cents hommes, selon Suétone, quatre cents, selon Dion, immolés aux ides de mars sur l’autel de Jules César, an 39 avant J.-C. ; Suétone, Octavius, 15 ; Dion, XLVIII, 14 ; Sénèque, de Clementia, I, 11 ; — captifs et captives enterrés vivants au forum, sous Néron ou Vespasien, comme d’autres l’avaient été au Champ de Mars après Cannes ; Pline, Nat. Hist., XXVIII, 3 ; Plutarque, Quæst. Rom. ; cf. Tite-Live, XXII, 57 ; =textes sur les sacrifices humains à toutes les époques du paganisme ; Lactance, Div. Inst., I, 21 ; Eusèbe, Præparatio evangelica, IV, 16, 17 ; — efforts pour abolir les sacrifices humains, an 97 avant J.-C. , Pline, Nat. Hist., XXX, 12 ; sous Hadrien, Eusèbe, l. c. ; — sacrifices humains continués jusqu’au temps de Constantin et peut-être de Gratien ; Tillemont, Histoire des Empereurs, t. II, p. 283.

[78] Vopiscus, Aurelianus, 4. — Il n’est point resté de ruines ni d’inscriptions du temple de Sirmium ; mais le culte de Mithra a laissé se trace dans le nom moderne de la ville, Mitrovic. Dans un grand nombre d’autres villes de Pannonie on a trouvé des monuments mithriaques, temples, cavernes, bas-reliefs, statues, inscriptions votives à Cusum (Peterwardein), Corpus inscriptionum latinarum, t. III, 3260 ; à Ofen (Buda-Pesth), 3283, 3284 ; à Aquineum (Ait-Ofen), 3475, 3476, 3478, 3479, 3480, 3481, 3483 ; à Pœtovio (Pettau), 4039, 4040, 4041, 4042 ; à Scarbantia (Œdenburg), 4236, 4237, 4248, 4340 ; à Brigetio (O-Szoni), 4301 ; à Carnuntum (Petronell, Altenburg), 4417, 4418, 4419, 4420, 4421, 4424 ; à Aquinoctum (Fischamer), 4537, 4538, 4539, 45410, 4541, 4542, 4543. On a trouvé également dans la ville pannonienne de Brigetio une inscription en l’honneur du dieu solaire Élagabal, DEO SOLI ALAGABA ; ibid., 4300.

[79] Le culte de Mithra fut introduit avant le premier siècle de notre ère dans le monde romain (Plutarque, Pompée, 24 ; Quinte-Curce, IV, 13 : Stace, Thébaïde, I, 719-720 ; Mommsen, Inscr. Neap., 6864 ; Orelli-Henzen, 5744). Il était déjà populaire au second (Lampride, Commode, 9 ; Origène, Contra Celsum, VI, 22 ; Porphyre, De abstinentia, II 56 ; Eusèbe, Præparatio evangelica, IV, 16 ; Corpus inscriptionum latinarum, t. VI, 725, 727, 740, 745 ; Visconti, Del mitreo annesso alle terme ostiensi di Antonino Pio, dans les Annali dell’ Instituto di correspondenza archeologica, 1846, p. 147 ; Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. III, p. 83, note 3 ; Jean Réville, la Religion à Rome sous les Sévères, p. 84). — Groupe d’édifices consacrés à Bel, au Soleil, à Mithra, au pied des Horti cæsariani, entre le Janicule et la voie de Porto (Bull. della comm. archeol. comunale, 1887, p. 90-95). — Sur le rôle prépondérant du mithriacisme à partir du troisième siècle, voir les observations de M. de Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1870, p. 166.

[80] Saint Justin, Apologie, I, 66 : Dialog. cum Tryph., 70 ; Tertullien, De præscr., 11 ; De baptisme, 5 ; De corons militis, 15 ; saint Augustin , Tract. V in Joannem ; Orelli-Henzen, 6041 , 6012. Les sectateurs de Mithra se donnent mutuellement, comme les chrétiens, les noms de frères, de sœurs ; Wilmanns, Exempta inscr. lat., 57 ; Corpus inscr. lat., t. III, 3415 ; De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 513. De même, dans une inscription dédiée à un autre dieu solaire, Jovi Beelefaro, par des equites singulares d’origine probablement orientale, les adorateurs du dieu prennent le titre de fratres ; Bull. della comm. archeol. com., 1886, p. 143.

[81] Voir la description du mithracum découvert sous la basilique de Saint-Clément, dans Roller, Saint-Clément de Rome, 1873 ; De Rossi, Bull. di archeol. crist., 1870, p. t25-127, 153-168, et pl. X, XI ; Rome souterraine, p. 569-575. Voir le grand mithracum découvert en 1885 dans les fouilles d’Ostie.

[82] TAVROBOLIO CRIOBOLIOQVE IN AETERNVM RENATVS. Corpus inscript. lat., t. VI, 510. — QVI ET ARCANIS PROFVSIONIBVS IN ETERNVM RENATVS TAVROBOLIVM CRIOBOLIVMQVE FECIT. Corpus inscript. lat., t. VI, 736. — Vivere cum speras viginti mundus in annos. Invective contre Nicomaque Flavien, poème anonyme du quatrième siècle, à la suite du ms. de Prudence, Bibl. nat., fonds latin, 8084.

[83] Saint Justin, Tertullien, Porphyre, l. c. ; saint Jérôme, Ép. 107, ad Lætam ; saint Grégoire de Nazianze, Orat. I in Julianum ; Orat. XXXIX ; bas-reliefs de l’Esquilin, de Mauls en Tyrol, de Neuenheim, de Heddernheim, d’Ostenburken ; Bullettino della commission archeologica comunale, Rome, 1874, p. 234-237 ; Lajard, Recherches sur le culte public et les mystères de Mithra, Atlas, pl. XC, XCIV ; Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. III, p. 86 ; Jean Réville, la Religion sous les Sévères, p. 100.

[84] Absorption par le mithriacisme de la plupart des cultes orgiastiques de l’orient, identification de Mithra avec Attis et Bacchus Sabazius. Dans le poème cité plus haut, contre Nicomaque Flavien, Mithra est dit : Deum comitem Bacchique magistrum. — Le grand bas-relief mithriaque du Capitole, aujourd’hui au musée du Louvre, porte gravés sur le cou du taureau les mots Nama Sebezio. — Certaines statues de Mithra sont ornées des attributs de Bacchus. Cf. Lajard, Atlas, pl. CIII ; Alfred Maury, Histoire des religions de la Grèce antique, t. III, p. 131 ; F. Lenormant, art. Sabazius, dans la Revue archéologique, janvier 1875, p. 48 et suiv. ; Jean Réville, p. 81 ; Marucchi, dans Bull. della comm. arch. com., 1886, p. 141-143 ; Gatti, ibid., 1889, p. 439. La cruauté même pouvait trouver place dans les mystères mithriaques ; Lampride, Commode, 9. Les sacrifices humains n’y furent point sans exemple ; Photius, Biblioth., 258 ; Socrate, Hist. Ecclés., III, 2 ; Eusèbe, Præp. evang., IV, 16 ; Porphyre, De abstinentia, II, 56.

[85] Garrucci, les Mystères du syncrétisme phrygien, dans Cahier et Martin, Mélanges d’archéologie, t. IV, p. 1-54 ; Palmer, Early christian symbolism, éd. Northcote et Brownlow, 1884, pl. Y, Z, et p. 59 ; Edmond Le Blant, Revue archéologique, juin 1875, p. 358-368 ; Corpus inscriptionum latinarum, t. VI, 142.

[86] Nombreuses chapelles mithriaques dans les demeures privées ; Visconti, dans le Bullettino della comm. arch. com., 1885, p. 36-28 ; Cappanari, ibid., 1886, p. 17-26 ; Edmond Le Blant, dans les Comptes rendus de l’Académie des inscriptions, 1885, p. 144 et suiv. ; De Rossi, dans le Bullettino di archeologia cristiana, 1884-1885, p. 139. Le petit mithracum d’Ostie faisait partie de la maison improprement appelée palais impérial.

[87] Sur les soldats initiés au culte de Mithra, voir Tertullien, De corona militis, 15.

[88] Un grand nombre des monuments mithriaques de Pannonie portent des noms de soldats. M. Franz Cumont a donné dans la Revue archéologique, 1892 et 1893, la liste des monuments mithriaques aujourd’hui connus : il en compte 385. Les antres de Mithra se rencontrent surtout dans les provinces danubiennes et en Germanie.

[89] Vopiscus, Aurelianus, 4.

[90] Vopiscus, Aurelianus, 5.

[91] Vopiscus, Aurelianus, 14.

[92] Zénobie avait fait frapper des monnaies portant l’image d’Aurélien à côté de celle de son fils Vaballath, sous le nom de qui elle régnait. Eckhel, Doctr. numm., t. VII, p. 492, 496. L’effigie de Vaballath porte sur ces monnaies les titres V. C. B. IM. D. B. (vir consularis Romanorum imperator dux Romanorum) ou Υ. ΑΥΤ. Σ. ΡΩ (Ύπατιxός αύτοxράτωρ στρατηγός ‘Ρωμαιών) ; celle d’Aurélien porte le titre d’Auguste. Ce titre n’est donné à Vaballath qu’après la rupture : il est alors représenté seul, avec la légende IM. C. VHABALATHVS AVG (imperator Cæsar Vhabalathus Auqustus) ou ΑΥΤ. Κ. ΟΥΑΒΑΛΛΑΘΟΣ ΑΘΗΝΟ. ΣΕΒ. (αύτοxράτωρ Καϊσαρ Ουαβαλλαθος Άθηνοδορος Σεβαστός). Cf. Lenormant, la Monnaie dans l’antiquité, t. II, p. 379.

[93] Apollonius avait été un fervent adorateur du Soleil ; voir Philostrate, Vita Apollonius, I, 16 ; II, 38 ; VI, 10 ; VII, 10 ; VIII, 13.

[94] Vopiscus, Aurelianus, 22-25 ; Zosime, I, 50.55. La composition de l’armée romaine, formée de troupes régulières et de contingents levés à la hâte dans les provinces que l’on traversait, marque bien la décadence de l’Empire : Zosime nomme des Dalmates, des Mésiens, des Pannoniens, des Rhétiens, des cavaliers maures, des gens de Tyane, de Mésopotamie, de Syrie, de Phénicie, de Palestine, armés de bâtons et de massues.

[95] Hérodien, V, 3 ; Capitolin, Macrin, 9 ; Lampride, Héliogabale, 1 ; Eckhel, Doctr. numm., t. III, Émèse ; t. VII, p. 249-252 ; Cohen, Monnaies des empereurs romains, t. III, Élagabal, n° 9, 81, 89-91, 116-119, 126, 222 ; Corp. inscr. lat., t. III, 4300 ; t. VI, 708.

[96] Plusieurs des inscriptions pannoniennes indiquées, plus haut en note, sont dédiées PETRAE GENETRICI. Une statuette trouvée dans le speleum mithriaque situé sous la basilique de Saint-Clément de Rome représente Mithra sortant de la pierre ; Revue archéologique, juillet-août 1872, p. 71.

[97] Vopiscus, Aurelianus, 25.

[98] Zosime, I, 25 ; Vopiscus, Aurelianus, 28 ; Trebellius Pollion, Triginta tyranni, 29.

[99] Vopiscus, Aurelianus, 31 ; Zosime, I, 60.

[100] Vopiscus, l. c. — Inscription à Rome en l’honneur de Malakbelus, le seigneur Bel, dieu solaire de Palmyre ; Corpus inscriptionum latinarum, t. VI, 51, 711 ; Annal. Bell’ Instit. archeol., 1860, p. 428 ; Bull. della comm. arch. com., 1887, p. 91.

[101] Trebellius Pollion, Trig. tyr., 23 ; Vopiscus, Aurelianus, 31 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus ; 35 ; Eutrope, Brev., IX, 13 ; Eumène, Panég. ad Const., 4 ; Orose, VII, 23.

[102] Trebellius Pollion, Trig. tyr., 29 ; Vopiscus, Aurelianus, 34.

[103] Trebellius Pollion, l. c., 23, 24. Voir Appendice H.

[104] Trebellius Pollion, l. c., 20. Les filles de Zénobie épousèrent des nobles romains ; Zonare, XII, 27. Sa postérité n’était pas éteinte au quatrième siècle ; Trebellius Pollion, Trig. tyr., 26 ; Claudius, 1 ; Eusèbe, Chron., ad Olymp. 264 ; Eutrope, Brev., IX, 13. On dit qu’un saint, Zénobius, sortit de ce sang à demi chrétien ; Baronius, Ann. Ecclés., ad ann. 274, § 2 ; Tillemont, Histoire des Empereurs, t. III, p. 533.

[105] A partir de sa construction furent peu à peu abandonnés les édifices solaires des jardins de César. Bull. della comm. arch. com., 1887, p. 95.

[106] Vopiscus, Aurelianus, 25, 35 ; Zosime, I, 60 ; Aurelius Victor, De Cæsaribus ; Eutrope, Brev., IX, 13.

[107] Cf. Hist. des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e édit., p. 186.

[108] Vopiscus, Firmus, 3. CF. Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l’antiquité, t. IV, p. 157.

[109] Templum Solis fundavit et pontifice roboravit ; Vopiscus, Aurelianus, 35 Sur les pontifices Solis, voir Borghesi, Œuvres, t. VII, p. 379 et suiv. C’est à partir de ce moment que les membres du premier et plus ancien collège pontifical prirent le titre de pontifices maiores ou pontifices Vestæ ; Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. III, p. 82, 236. La même personne put appartenir aux deux collèges ; Corpus inscriptionum latinarum, t. VI, 501, 1739.1742, 1779. Voir la liste des pontifices Solis actuellement connus, dans Marquardt, l. c., p. 236, note 4, en y ajoutant Bull. della comm. arch. com., 1887, n° 1933, p. 225.

[110] Saint Jérôme, Chron.

[111] Eckhel, Doctr. numm., t. VII, p. 483.

[112] Ibid. — Invictus est l’épithète ordinairement donnée à Mithra de très nombreuses inscriptions sont dédiées Deo Soli invicto Mithræ, Numini invicto Soli Mithræ, ou simplement, comme la monnaie d’Aurélien, Soli invicto.

[113] SOL DOMINVS IMPERI ROMANI. Ibid. — Le restaurateur du paganisme, Julien, fera, au siècle suivant, écho à ces paroles en se proclamant le serviteur du roi Soleil.

[114] Lampride, Héliogabale, 3. — Cf. Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e édit., p. 186.

[115] Lampride, Alex. Sévère, 29. — Cf. ibid., p. 190.

[116] Mithra christianus est. Saint Augustin, Tract. V in Joannem.

[117] Passio S. Pionii. — Cf. Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, p. 408.

[118] Origène, Exhort. ad mart., 47. — Cf. ibid., p. 221-222.

[119] Origène, Contra Celsum, VI, 22 ; saint Jérôme, Comm. in Amos, 2 ; Montfaucon, Antiquité expliquée, t. II, 1ère partie, p. 356 et suiv.

[120] Cf. Histoire des persécutions pendait la première moitié du troisième siècle, 2e édit., p. 186, 187.

[121] La maison de l’église, expression employée fréquemment par Eusèbe pour désigner l’église elle-même. Comparez, à Cirta, domus in qua christiani conveniebant ; Gesta purgationis Cæciliani, dans Baluze, Miscellanea, t. I, p. 22.

[122] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 19. Remarquez avec quel soin l’évêque de Rome est nommé seul, à part des évêques d’Italie désignés en bloc.

[123] De Champagny, les Césars du troisième siècle, t. III, p. 140.

[124] Cf. Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, p. 402.

[125] Eusèbe, l. c.

[126] Aurelius Victor, Épitomé.

[127] Zonare, XII, 27.

[128] Vopiscus, Proculus, 2.

[129] Aurelius Victor, De Cæsaribus, 35 ; Vopiscus, Aurelianus, 38.

[130] Peut-être des sénateurs furent-ils impliqués par Aurélien dans l’affaire des monetarii, car, à partir de 274, le sénat perdit le droit d’émettre de la monnaie de bronze, et les ateliers sénatoriaux furent réunis à ceux du prince.

[131] Adrien Valois, Notitia Galliarum, p. 226.

[132] Vopiscus, Probus, 12 ; Eumène, Panég. ad Constant., 4, 6.

[133] Acta Sanctorum, mai, t. II, p. 365 ; cf. Tillemont, Mémoires, t. IV, note IV sur la persécution d’Aurélien.

[134] Acta SS., juin, t. I, p. 39 ; cf. Baronius, Ann., ad ann. 273, § 10. -Autun, où se trouvaient d’immenses ateliers militaires, fabrique de cuirasses (loricaria), de cuirasses de fer (clibanaria), de boucliers (scutaria), de balistes (balistaria), dut attirer l’attention d’un empereur guerrier comme Aurélien. Cf. Notitia dignit. Occ., Böcking, t. II, p. 43.

[135] Acta SS., juillet, t. V, p. 132.

[136] Acta SS., janvier, t. II, p. 937, 938.

[137] Baronius, Martyrol., 14 nov.

[138] Acta SS., janvier, t. II, p. 937.

[139] Acta SS., septembre, t. II, p. 668.

[140] Vincent de Beauvais, Speculum historiale, XII, 104. — Une chronique de l’abbaye de Sainte-Colombe, près de Sens, place en 287 le martyre de la sainte : Anno 1087. Hic complentur anni 800 a quo beata Columba martyrio coronala est. Pertz, Monum. Germ., t. I, p. 102. D’après cette indication, Colombe aurait été immolée au commencement du règne de Dioclétien, pendant le séjour de Maximien Hercule dans les Gaules. L’année 287 vit en effet dans ce pays de nombreux martyrs. Cependant les Actes nomment Aurélien. Avec eux s’accorde une note ajoutée, probablement au dixième siècle, à un ms. du martyrologe hiéronymien possédé par l’Église de Sens : in eamdem urbeni (Senones), in villa quæ vocatur Erdona, sanctæ Columbæ præclaræ virginis et magnæ constantiæ martyris, quæ magni immensique superata valitudine rogi, mucrone cæsa et capite truncata quæ Aureliani spurcissimi imperatoris implever jussa. Voir De Rossi-Duchesne, Mart. hiéron., p. XIV.

[141] Ainsi, les Actes de saint Sanctien de Sens, donné comme frère de sainte Colombe et d’une certaine sainte Beata, qui n’est peut-être qu’un dédoublement de celle-ci, disent que le saint et ses compagnons furent enterrés en un lieu appelé depuis Ad martyres, où s’éleva plus tard une église qui fut détruite par une invasion de Sarrasins ; après cette destruction, ajoutent-ils, eut lien une nouvelle translation de leurs reliques. Ces détails reportent la rédaction des Actes à une date postérieure à 732.

[142] On peut juger de cette crédulité par une des rédactions des Actes de saint Savinien de Troyes, où il est dit qu’Aurélien, avant de prononcer la sentence, alla consulter les soixante-douze démons qui étaient ses conseillers habituels.

[143] Ils parlent de la découverte de ses reliques par des moines venus de Rome, et des nombreux pèlerins guéris à son tombeau.

[144] L’expression sacrum latus se trouve déjà dans Martial, VI, 76. Une inscription de Nicomédie nomme un protector divini lateris sous Aurélien ; Corpus inscriptionum latinarum, t. III, 327 ; une autre en Italie, sous Magnence ; Orelli, 1689 ; Henzen, p. 162. Cette expression ne permet pas de faire descendre une des rédactions ou déjà l’un des remaniements de ces Actes plus bas que le quatrième ou le cinquième siècle. Cf. Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 228.

[145] In diebus illis adveniens Aurelianus imperator de partibus Orientis... Bibliothèque de Sens, ms. n° 193 (onzième siècle), cité par M. l’abbé Hénault, Recherches historiques sur la fondation de l’Église de Chartres et des Églises de Sens, de Troyes et d’Orléans, p. 401.

[146] Dans la même phrase se trouve l’offre absolument invraisemblable d’épouser le fils de l’empereur. On peut voir par cet exemple comment procédaient les passionnaires de basse époque, copiant dans un document ancien un mot authentique, le plus souvent sans en comprendre la portée, puis le noyant dans quelque invention fabuleuse.

[147] Cf. Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e édit., p. 225 ; pendant la première moitié du troisième siècle, 2e édit., p. 53, 402.

[148] Cella. Sur la cella meretricia, voir Quintilien, Declam., IX, 8 ; Juvénal, VI, 122, 128 ; Sénèque, Controv., 11 ; Martial, XI, 45, 1.

[149] Cavea. Ce mot a deux sens, et signifie soit la partie de l’amphithéâtre où s’asseyaient les spectateurs, soit la cage des bêtes féroces. Horace l’emploie dans ce sens, et semble raconter un épisode analogue à celui des Actes :

. . . . . velut ursus

Objectos caveæ valuit si frangere clathros.

Ars poetica, 472, 473.

Cf. Suétone, Caligula, 27 ; Pline, Nat. Hist., VIII, 17 ; Martial, IX, 58, 10 ; 89, 4 ; Claudien, Cons. Stilich., II, 322 Symmaque, Ép., II, 76.

[150] Vincent de Beauvais, Speculum historiale, XII, 104. Cf. Biblioth. nat., fonds latin, ms. 5265, f° 61 , v° 5269, f° 31, r° 5280 , f° 31 r°, etc. ; cités par Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 194, note 2.

[151] Isidore de Séville, Orig., XVIII, 43.

[152] Vie de saint Romain, dans les Acta SS., octobre, t. X, p. 95 et 97 ; cf. Coche, la Normandie souterraine, 2e éd., p. 159 ; la Seine-Inférieure historique et archéologique, p. 512, 513.

[153] Plaute, Casina, prol., v. 84.

[154] Tertullien, De Spectaculis, 17.

[155] Edmond Le Blant, l. c., p. 194.

[156] En 1849, au lieu dit le Clos des Arènes ou le Champ des chrétiens. Voir Bulletin de la Société archéologique de Sens, 1851, p. 70. — L’amphithéâtre de Sens doit être ajouté à la liste des amphithéâtres de la Gaule donnée par Friedlænder, Mœurs romaines d’Auguste aux Antonins, trad. Vogel, t. II, p. 307-310.

[157] Voir les observations du P. du Sollier, Acta SS. , juillet, t. V, p. 133, § 5.

[158] Voir Appendice H.

[159] Inesse quin etiam sanctum aliquid et providum putant, nec aut consilia earum aspernantur aut responsa negligunt. Tacite, De mor. Germ., 8. — La Passion de sainte Julie montre le chef barbare dont elle est captive lui demandant le secours de ses prières toutes les fois qu’il part pour le combat, et, au retour, lui faisant honneur du triomphe : dans ce détail plus ou moins légendaire, n’y a-t-il pas un souvenir des mœurs germaniques ?

[160] Vopiscus, Aurelianus, 39 ; S. Rufus, Brev., 8 ; Jornandès, De regn. succ., 21 ; Malalas, Chron., éd. Bonn, n° 301. Par une vaine subtilité, une partie de la Mésie reçut le nom de la province perdue : on en fit même deux Dacies, Dacia ripensis, au bord du fleuve, et Dacia mediterranea. Voir Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 312. A cette nouvelle Dacie se rapporte une médaille d’Aurélien, portant la légende assez inattendue DACIA FELIX ; Eckhel, Doctr. numm., t. VII, p. 481 ; Corpus. inscr. lat., t. III, p. 161.

[161] Martiam gentem, id est Romanam, nemini locum quem teneret daturam, Romanos quoque terminos propter deum Terminum neminem commoturum. Saint Augustin, De civitate Dei, IV, 29.

[162] Saint Augustin, De civitate Dei, IV, 29.

[163] Lactance, De mort. pers., 6.

[164] Lactance, De mort. pers., 6. Cf. saint Cyprien, Ép. 85.

[165] Vopiscus, Aurelianus, 41, dit que la lettre annonçant la mort d’Aurélien fut lue au sénat le 3 février, III nonas febr. Ce chiffre doit probablement être corrigé en III nonas martias, le 5 mars. En effet, les historiens, Aurelius Victor aussi bien que Vopiscus lui-même, comptent six ou sept mois d’interrègne entre la mort d’Aurélien et l’élection de son successeur Tacite, lequel devint empereur le 7 des calendes d’octobre, 25 septembre. De plus, le consul Aurelius Gordianus, qui présenta au sénat la lettre de l’armée, ne figure pas dans les fastes : il était donc suffect ; or, les consuls suffects étaient rarement en fonctions dès les premiers jours de février. Voir Tillemont, Histoire des empereurs, t. III, p. 716, note XII sur Aurélien.

[166] Eusèbe, Chron. Tillemont, Mémoires, t. IV, note I sur la persécution d’Aurélien, a pris à la lettre ce coup de foudre, qui aurait une première fois effrayé Aurélien sur le point de signer un édit de persécution. M. de Champagny, les Césars du troisième siècle, suit la même opinion, t. III, p. 145. Nous voyons là plutôt une métaphore, et nous l’entendons de la mort tragique qui empêcha Aurélien de donner suite à ses desseins en faisant exécuter l’édit. Ce sens est plus naturel, et peut s’accorder avec Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 30, 21, ainsi qu’avec la phrase très claire de Lactance.

[167] Verum illi ne perficere quidem quai cogitaverat licuit, sed protinus inter initia sui furoris exstinctus est. Nondum ad provincias ulteriores cruenta ejus scripta pervenerant, et jaco Cœnofrurio, qui est locus Thraciœ, cruentus ipse humi jacebat. Lactance, De mortibus pers., 6.

[168] Vopiscus, Aurelianus, 21 ; Zosime, I, 49.

[169] Vopiscus, l. c., 39 ; Eutrope, Brev., IX ; Aurelius Victor, Épitomé.

[170] Dans les tables philocaliennes, l’anniversaire du pape saint Félix figure parmi ceux des évêques, non parmi ceux des martyrs ; Depositio episcoporum : III kal. jan. Felicis in Callisti. Le seul texte ancien qui donne à Félix la qualité de martyr est la rubrique d’un fragment de lettre cité au concile d’Éphèse (Hardouin, Concilia ; t. I, p. 1404 ; Mansi, Conc., t. IV, p. 1188). Cette lettre est apocryphe, et de fabrication apollinariste. Le fragment est reproduit par saint Cyrille d’Alexandrie (Apol. pro XII cap. 6) et, saint Vincent de Lérins (Commonit., II, 30). Cette reproduction ne peut donner de valeur à un document qui en manque par lui-même. L’auteur du Liber Pontificalis emploie à propos de saint Félix sa formule habituelle : martyrio coronatur ; mais il place le tombeau du Pape sur la voie Aurelia, ce qui montre qu’il le confond avec un martyr homonyme enterré sur cette voie. Cf. les notes de Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 158.

[171] Acta SS., mai, t. VI, p. 661.

[172] Acta SS., juin, t. II, p. 507. Certains Actes de ces martyrs les placent sous Valérien. Cf. Baronius, Ann., ad ann. 275, § 4, et Tillemont, Mémoires, t. IV, art. sur saint Félix.

[173] Acta SS., juillet, t. I, p. 638.

[174] Ibid., t. IV, p. 21.

[175] Ibid., août, t. III, p. 524.

[176] On les attribue à Grégoire, moine du Mont-Cassin, plus tard évêque de Terracine. Baronius, Ann., ad ann. 275, § 5 ; Papebroch, dans les Acta SS., mai, t. VI, p. 663 ; Tillemont, Mémoires, t. Iv, art. IV sur la persécution d’Aurélien.

[177] L’une des recensions de la Passion de saint Agapit (Acta SS., août, t. III, p. 523-524) place son martyre sub rege Antiocho, ce qui n’a pas de sens ; l’autre (ibid., p. 537.539) le met sous Aurélien. Je nie suis autorisé de cette indication ; mais je dois noter ici qu’au jugement d’un des rédacteurs des Analecta Bollandiana, 1897, p. 491, l’empereur Aurélien paraît n’avoir été introduit que plus tard, en même temps qu’Antiochus était transformé en préfet pour écarter l’Antiochus rex, qui semblait par trop choquant.

[178] On retrouve ce trait même dans les pièces les plus suspectes, mais où cependant tout souvenir de l’époque n’est pas effacé, comme les Actes si justement critiqués de saint Étienne, pape.

[179] Sur ce détail, voir Edmond Le Blant, Les Actes des martyrs, 3 84, p. 214. Plus tard, quand vint la décadence de l’art, l’usage s’établit, au contraire, de déposer les morts illustres, et particulièrement les saints, dans des sarcophages anciens, que l’on choisissait à cause de leurs belles sculptures ; voir, du même auteur, les Sarcophages chrétiens de la Gaule, 1886, p. 11. Le détail du sépulcre neuf, se rapportant plus aux mœurs des premiers siècles qu’à celles du commencement du moyen âge, peut être considéré comme un indice d’antiquité relative pour les Passions où il se rencontre.

[180] Le calendrier romain du commencement du quatrième siècle, conservé dans le martyrologe hiéronymien, marque déjà sa fête au 13 août : In civitate Penestrina, miliario XXIII, Agapiti. Sur son tombeau s’éleva de bonne heure une église, dont les ruines ont été retrouvées en 1863-1864, dans un terrain appelé Campo di Quadrelle (voir Marucchi, Guida archeologica Bell’ antica Preneste, p. 140 et suiv.). Une inscription relative à cette basilique paraît être du quatrième siècle (Corpus inscript. lat., t. XIV, 3415) ; l’avant-dernier vers porte : accepTVM HABEAS AGAPITE SANCTE ROGAMVS. Cf. Duchesne, le Liber Pontificalis, t. II, p. 40, note 59.

[181] La Passion ajoute qu’un soldat, Attale ou Anastase, fut si touché de son courage qu’il se convertit, quitta le service, et, retiré à Salone, en Dalmatie, souffrit peu après le martyre (Acta SS., t. IV, p. 407). Il paraît y avoir ici une confusion, au moins si l’on conserve le nom d’Anastase, car le martyrologe hiéronymien nomme à Salone un seul Anastase martyr, avec (dans deux manuscrits) cette mention : hic fulto fuit. Voir les Analecta Bollandiana, 1897, p. 487-500, combattant l’opinion de l’archéologue salonitain M. Jelic, qui distingue à Salone un Anastase fulto et un Anastase cornicularius.

[182] Au début des Actes, Turcius est qualifié de vicarius, titre qui n’était point encore en usage sous Aurélien ; à la fin, l’écrivain parle des miracles opérés jusqu’à ce jour au tombeau de sainte Mustiola.

[183] Principum jussionem. Ce mot semble mal s’appliquer à la persécution d’Aurélien, qui régna seul ; mais on peut l’entendre d’une façon générale, comme une manière habituelle de parler plutôt qu’une allusion précise à l’empereur régnant. Cette expression vague a pu d’autant mieux s’appliquer ici, qu’Aurélien, croyons-nous, était déjà mort lors du procès de Félix.

[184] Sur les tournées administratives et judiciaires des gouverneurs, et la coutume de mener avec eux les prisonniers, voir Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, § 10 et 40, p. 50, 108. La Passion que nous étudions doit être ajoutée aux pièces énumérées par le savant critique, p. 109.

[185] Les appellations dérivées de noms d’animaux sont fréquentes chez les Romains. Mustiola est probablement un diminutif de mus, souris, comme Capriola de capra, chèvre : une inscription chrétienne porte : SPIRITVS CARRIOLES IN PACE (Marangoni, Acta S. Victorini, p. 102) et est suivie de l’image d’une chèvre. Les noms ou surnoms dérivés de mus se rencontrent assez souvent (Duruy, Histoire des Romains, t. I, p. 67 ; Perret, Catacombes de Rome, t. V, pl. XXXIII, LXXI ; De Rossi, Bull. di archeologia cristiana, 1873, p. 71 ; Brizio, Pitture e sculpture scoperti sull’ Esquilino nell. 1875, p. 25 ; Northcote, Epitaphs of the Catacombes, p. 175 ; Bulletin archéologique de la commission des Travaux historiques et scientifiques, 1889, p. 219, 229, 222, 252), quelquefois accompagnés sur le marbre de la représentation d’une souris. Les anciens n’attachaient à ces dénominations non plus qu’à ces armes parlantes aucun sentiment de ridicule : saint Jérôme loue dans ses épîtres (24 et 45) la vierge Asella, et les plus grandes familles de Rome ont pris quelquefois pour symbole l’animal qui avait de l’analogie avec leur nom (Duruy, l. c. ; Schill, Namen, dans Kraus, Real-Encykl. der christl. Alterth., t. TI, p. 477).

[186] On admettra difficilement que ce détail ait été inventé par le passionnaire. Il aide à dater les Actes. Aussi ne puis-je accepter l’hypothèse de M. Aubé (l’Église et l’État dans la seconde moitié du troisième siècle, p. 478), les reportant au règne de Valérien et Gallien à cause du pluriel principes, répété dans l’interrogatoire de Félix et dans celui de Mustiola.

[187] Voir les exemples de début d’interrogatoire dans Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 155-159.

[188] On ne connaît pas les ancêtres de Claude, et probablement il était d’obscure extraction. Mais les flatteurs lui avaient fabriqué une généalogie, d’après laquelle il descendait d’Ilus et de Dardanus, princes des Troyens (Trebellius Pollion, Claudius, 11) ; d’autres le prétendaient fils de Gordien (Aurelius Victor, Épitomé). Après lui, sa famille demeura illustre ; son petit-neveu, Constance, père de l’empereur Constantin, était l’un des meilleurs lieutenants d’Aurélien, et venait de remporter la victoire de Vindisch. Mason (The persecution of Diocletian, 1876, p. 29, note 2) pense que la parenté de Constantin avec Claude le Gothique est le motif qui empêcha les historiens ecclésiastiques de rappeler la persécution de cet empereur.

[189] Sur les cris du præco pendant la torture ou le supplice, voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e édit., p. 311.

[190] Sur la catacombe de sainte Mustiola, à Chiusi, découverte en 1634, voir Ughelli, Italia sacra, t. III, p. 336 ; Boldetti, Osservasioni sopra i cimiteri, p. 595 ; Bartolini et Cavedoni, Cim. Chius., dans Opusc. relig. e litt. di Modena, 1865 ; Liverani, Li catacombe e antichita di Chiusi, Sienne, 1872 ; Kraus, Augsburg Allëm. Zeitung, 1874, n° 137 B. On a trouvé dans ce cimetière une inscription datée de 290. Près de la martyre fut enterrée la matrone Julia Asinia Felicissima, qui était DE GENERE MVSTIOLAE SANCTAE, dit son épitaphe ; Lupi, Epitaph. Severae, p. 102 ; Murattiri, Thes. inscr., p. 1891, 6 ; De Rossi, Bull. di arch. crist., 1870, p. 90 ; Roma sotterranea, t. III, p. 21.

[191] Baronius, Ann., ad ann. 275, § 4, écrit Zosimus. Tillemont, Mémoires, t. IV, art. sur saint Félix, dit que plusieurs font de Zosime un saint au lieu d’une sainte. Le martyrologe romain porte : Natalis Eutropii, Zosimæ et Bonosæ sororum, et son témoignage est confirmé par les vers que nous citons plus loin.

[192] Sur la valeur de cette Passion, voir les Acta SS., juillet, t. IV, p. 21. Elle fait baptiser les cinquante soldats par le pape Félix, mort l’année précédente.

[193] In hisela, c’est-à-dire in insula ou prope insulam. Ms. du martyrologe hiéronymien. Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 45.

[194] Il a été retrouvé à Porto, divisé en un grand nombre de fragments, par M. Guidi, en 1858. M. de Rossi a pu reconstituer douze hexamètres, dont trois intacts, et les neuf autres d’une restitution facile. La paléographie n’appartient pas à l’age de la paix, mais a les caractères du troisième siècle, tels que les montrent particulièrement les monuments d’Ostie et de Porto remontant à cette époque. Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 47.

[195] A peu de distance de l’île du Tibre, à un mille environ des murs de Porto, a été retrouvée une autre inscription, du quatrième ou cinquième siècle, commémorant la restauration, par l’évêque Donat, du tombeau des saints martyrs Eutrope, Bonosa et Zosime, et la construction d’une basilique jointe à ce tombeau :

SANCTIS MARTIRIBVS ET BEATIssimis

EVTROPIO BONOSAE ET ZOSIMae

DONATYS EPISC. TVMulVM ADOrnavit

SED ET BASILICAM CONTuncTAM tumulo

A FVNDAMENTIS SANCTAE pleBI Dei construxit.

Bullettino di arch. crist., 1866, p. 46, 47. — Les reliques des saints Eutrope, Zosime et Bonosa furent transportées de Porto à Clairvaux, en 1227 ; voir la relation écrite en 1256 par Geoffroy, moine de Clair-vaux. Ibid., 1870, p. 38.41. — Sur l’expression basilica conjuncta tumulo, voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e édit., p. 288. — Il a existé à Rome, dans le Transtevère, une église récemment démolie, qui était dédiée à sainte Bonosa. Mais la titulaire de cette église est probablement distincte de la Bonosa de Porto. Une inscription votive du cinquième siècle, mise par un AMATOR LOCI SANCTI, semble indiquer que l’édifice religieux fut élevé sur l’habitation de la sainte, qui par conséquent serait romaine, et n’aurait de commun que le nom avec son homonyme de Porto. Sur la découverte de débris présumés de cette habitation, voir Armellini, le Chiese di Roma, p. 171, et Bull. della comm. arch. cons. di Roma, 1888, p. 163.

[196] Acta SS., mai, t. VI, p. 4. Ces Actes ne sont point contemporains, et portent, en plusieurs endroits, des traces d’amplification. C’est une pièce composée, après la paix de l’Église, par un narrateur qui eut sous les yeux des documents anciens pour certaines parties du récit, et pour d’autres suppléa par l’imagination aux renseignements qui lui manquaient.

[197] Vopiscus, Aurelianus, 35.

[198] Cf. Trêve, une Traversée de Césarée de Palestine à Putéoles au temps de saint Paul, dans la Controverse et le Contemporain, mai 1887, p. 22.

[199] Trebellius Pollion, Triginta tyranni, 25 ; Vopiscus, Probus, 16 ; Zosime, I, 69 ; 1V, 20. Cf. Mommsen, Römische Geschichte, t. V, p. 507-511 ; Perrot, De Galatia provincia romana, p. 166 ; Radet dans Revue archéologique, sept.-oct. 1890, p. 223. Les brigands isauriens étaient encore redoutés au quatrième siècle ; voir S. Silviæ peregrinatio, dans Studi e Documenti di Storia e Diritto, 1888, p. 139, et Tillemont, Hist. des empereurs, t. V, p. 90, 105, 475.

[200] Domitien, contemporain de Gallien, et général renommé, prétendait être descendant de Flavius Clemens et de Flavia Domitilla ; Trebellius Pollion, Triginta tyranni, 25. Un autre Domitien fut au nombre des sénateurs mis à mort par Aurélien en 271 ; Zosime, I, 49. Cf. Tillemont, Histoire des empereurs, t. III, p. 509 et 713.

[201] Sur l’usage de conférer à des enfants la charge de lecteur, voir Bullettino di archeologia cristiana, 1883, p. 16-22.

[202] Martyrium Pauli et Julianæ, dans les Acta SS., août, t. III, p. 416.

[203] Les Actes, suivis par Baronius, Ann., ad ann. 275, § 11, les mettent sous Aurélien ; le martyrologe romain les met sous Valérien.

[204] Tillemont, Mémoires, t. IV, art. VI sur la persécution d’Aurélien.

[205] L’internement de Julienne dans un mauvais lieu, et sa miraculeuse délivrance, rappellent des épisodes semblables, rapportés par des documents beaucoup plus sûrs. Un autre détail peut avoir été conservé par la tradition : attribuant aux arts magiques l’impassibilité des martyrs, le juge ordonna de rompre le charme en les frottant de graisse de porc. Cet usage est cité dans d’autres Passions, et subsistait encore au douzième siècle ; Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, § 38, p. 103. Le même fait, dit M. Le Blant (p. 104, note 3), se trouve de nos jours dans l’histoire de ces persécutions de ]’extrême Orient, qui rappellent par tant d’antres points celles que souffrit l’Église primitive. En 1856, dans la province de Kouang-Si, un missionnaire français, M. Chapdelaine, était soumis à d’effroyables tortures. Pendant ces tortures, lisons-nous dans la relation de son martyre, il ne lui arriva pas de pousser un soupir ni de proférer la moindre plainte. Le mandarin, attribuant un silence si extraordinaire à quelque art magique, fit alors, pour éloigner le charme, égorger un chien et ordonna que de son sang on aspergeât le corps du martyr ; puis on continua de le frapper sans compter désormais les coups, jusqu’à ce qu’on le vit incapable de se remuer. La Salle des martyrs du séminaire des Missions étrangères, 1866, p. 367. En 1840, à Ou-Tchang-Fou, dans le Hou-Pé, les bourreaux firent avaler plusieurs fois du sang de chien, tout chaud, au bienheureux Perboyre, martyrisé le 19 septembre ; ils voulaient par là neutraliser son pouvoir magique. Voir Annales de la propagation de la Foi, 1889, p. 9.

[206] Ainsi, les Actes font séjourner Aurélien à Ptolémaïs au mois d’août, ce qui est impossible, car en août 274 il n’était pas en Asie, et en août 275 il était mort depuis près de cinq mois.

[207] Acta SS., août, t. III, p. 717.

[208] Sur l’imputation de magie, voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e édit., p. 226.

[209] Les Actes prêtent à Magnus une repartie qui, à première vue, semblerait suspecte : Selon toi, dit-il au magistrat, il est juste de sacrifier à Apollon, parce que ceux qui lui offrent des sacrifices perdront leurs âmes ; car Apollon signifie perdition. Ce jeu de mot intraduisible, fondé sur la ressemblance du nom avec le verbe Άπόλλων, est plus qu’il ne paraît dans le goût antique. Les anciens, même les chrétiens et les martyrs, ne reculent pas devant de semblables concetti ; cf. Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e édit., p. 113, 117. M. Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, § 75, p. 201, 202, cite plusieurs réponses où des martyrs jouent comme Magnus sur le mot Apollon ; saint Pierre Chrysologue, Sermo 128, emploie un trait pareil.

[210] Sur les deux versions de ces Actes (Acta SS., août, t. III, p. 173), voir Tillemont, Mémoires, t. IV, note 1 sur saint Manias.

[211] Saint Basile, Homil. 23, In sanctum martyrem Mamantem, 3.

[212] Saint Grégoire de Nazianze, orat. 44, In novam dominicam, 12.

[213] Saint Grégoire de Nazianze, discours cité ; saint Basile, Homil. 23. — L’église et le tombeau de saint Manias étaient près de Nazianze.

[214] Vopiscus, Tacitus, 3 ; Probus, 13.

[215] Id., Tacitus, 3.

[216] Id., Aurelianus, 41 ; Tacitus, 2 ; Aurelius Victor, Épitomé.

[217] Vopiscus, Tacitus, 3-10.

[218] Acta S.S., janvier, t. II, p. 298. — II ne faut évidemment point prendre à la lettre l’expression des Actes disant que Tacite fit, par édit, cesser la persécution ; aucun document historique ne parle d’un édit rendu à cet effet. La persécution cessa par la force des choses, sans édit.

[219] Cf. Tillemont, Mémoires, t. IV, art. IV et note V sur la persécution d’Aurélien.