Haud
procul extremo calta ad pomeria vallo Mersa
latebrosis crypta latet foveis. Hujus
in occultum gradibus via prona reflexis Ire
per anfractus lute latente docet. Primas
namque fores summo tenus intrat hiatu Illustratque
dies limina vestibuli : Inde
ubi progressu facili nigrescere visa est Nox
obscura loci per specus ambiguum, Occurrunt
cæsis immissa foramina tectis, Quæ
jaciunt claros antra super radios. Quamlibet
ancipites texant binc inde recessus Arta
sub umbrosis stria porticibus, Attamen
excisi subter cava viscera montis Crebra
terebrato fornice lux penetrat. Sic
datur absentis per subterranea solis Cernere fulgorem luminibusque frui[1]. Non loin des murs de Rome et de la zone cultivée qui les entoure, une crypte cachée ouvre ses fosses profondes. La pente étroite d’un sentier qui replie sur lui-même ses degrés conduit dans les anfractuosités de cette retraite, d’où la lumière est absente. Car le jour atteint à peine la première ouverture des portes, et n’éclaire que le seuil du vestibule. A mesure que l’on avance dans les dédales de la caverne, la nuit devient plus épaisse, quoique, de temps en temps, les ouvertures pratiquées dans la voûte y fassent pénétrer un brillant rayon de soleil. Au milieu des obscurs détours formés par les chambres étroites et les noires galeries qui se croisent, un peu de jour tombe ainsi, d’en haut, dans les entrailles de la colline. Dans le fond de la crypte souterraine il est encore possible de deviner l’éclat et de suivre la lumière du soleil absent. Certes, voici de beaux vers, qui, en quelques traits, donnent l’image et comme la sensation des lieux qu’ils peignent : en les lisant on croit visiter les catacombes, en descendre les étroits escaliers, y perdre, puis y retrouver la lumière, cheminer à travers les ténèbres rendues visibles par un continuel crépuscule. Mais dans ce passage Prudence n’exprime pas seulement l’impression générale produite sur un esprit cultivé par la vue des cimetières souterrains : il décrit une crypte particulière, celle où reposait le célèbre martyr Hippolyte, telle que la virent les pèlerins du quatrième siècle. Voilà ce qui, indépendamment de toute valeur poétique ou pittoresque, donne aux vers que nous avons cités comme à ceux qu’il nous reste à reproduire une grande valeur aux yeux de l’historien et de l’archéologue. La colline où s’ouvraient les profondes cavernes dont parle le poète se dresse à gauche de la voie Tiburtine : elle portait encore au seizième siècle le nom de monte di S. Ippolito[2]. A travers les chambres et les galeries qui se croisent, Prudence parvient enfin au but de son pèlerinage[3] : il arrive à la chapelle funéraire d’Hippolyte : invenio Hippolytum, s’écrie-t-il. Les vers suivants décrivent l’autel et le tombeau du martyr : Talibus
Hippolyti corpus mandatur opertis, Propter
ubi adposita est ara dicata Deo. Illa
sacramenti donatrix mensa eademque Custos
fida sui martyris adposita Servat
ad æterni spem vindicis ossa sepulcro, Pascit item sanctis Tibricolas dapibus[4]. Dans le secret de cette retraite repose le corps d’Hippolyte, à la place où s’élève l’autel consacré à Dieu. La même table donne la nourriture sacramentelle et recouvre les os du martyr ; elle garde les saintes reliques dans l’attente du juge souverain, et nourrit de la viande céleste les habitants des bords du Tibre. Il résulte de ce passage qu’Hippolyte était déposé sous l’autel même du cubiculum. Presque toujours, dans les cryptes ou dans les basiliques qui possédaient les reliques d’un martyr, le prêtre célébrait le saint sacrifice à l’autel construit pour l’honneur et le culte de Dieu au-dessus du corps saint[5]. C’est ainsi qu’à Rome le sacrifice de la messe s’offre sur les tombeaux de saint Pierre, de saint Paul[6], à Milan sur celui de saint Gervais et de saint Protais[7], à Hippone au-dessus des reliques de saint Étienne[8]. A Barcelone, écrit Prudence, l’autel est posé sur les ossements de sainte Eulalie : elle dort sous les pieds de Dieu, et de là elle voit et protège son peuple[9]. A Valence, un autel assure aux bienheureux ossements de saint Vincent le repos auquel ils ont droit : placés sous le lieu saint, enfermés dans la base de l’autel, ils sont baignés par les effluves des dons célestes[10]. Si l’on en croit le Liber Pontificalis, un Pape avait, entre 269 et 274, transformé en loi cet usage de la primitive Église[11], auquel font aujourd’hui encore allusion les prières et les cérémonies liturgiques pour la consécration des autels[12]. Le cubiculum vu par
Prudence a été reconnu en 1882 par Prudence ne parle pas seulement de l’autel : il peint avec l’admiration que devaient ressentir les pèlerins du quatrième siècle la décoration brillante dont la piété publique avait orné le sanctuaire du martyr : Ipsa,
illas animæ exuvias quæ continet intus, Aedicula
argento fulgurat ex solido. Præfixit
tabulas dives manus æquore levi Candentes,
recavum quale nitet speculum : Nec
Pariis contenta aditus obducere saxis, Addidit ornando clara talenta operi[15]. Cette petite chapelle, qui contient le vêtement périssable qu’a rejeté son âme, resplendit d’argent massif. Des mains riches et généreuses ont revêtu ses murs d’une surface brillante comme un miroir. Non contentes d’en avoir garni l’entrée de marbres de Paros, elles ont dépensé des sommes considérables pour les orner. On aimerait à connaître les noms des donateurs qui prodiguèrent au sanctuaire d’Hippolyte l’argent[16] et le marbre, et revêtirent ses murs d’une platoma[17] : peut-être ces travaux sont-ils l’œuvre d’un Pape, car nous voyons Libère, au milieu du quatrième siècle, orner de platomis marmoreis la tombe de sainte Agnès[18], et Damase, à l’époque même de Prudence, construire une platoma au lieu de la sépulture temporaire de saint Pierre et de saint Paul[19], comme au siècle suivant saint Sixte devait décorer de même, fecit platomam, la chambre funéraire des Papes au cimetière de Calliste[20]. Il est certain que le grand restaurateur des catacombes, le pape saint Damase, fit faire des travaux dans celle de saint Hippolyte, puisque l’éloge métrique du martyr, composé par ce Pape et gravé par Furius Dionysius Philocalus, a été conservé par un manuscrit[21] : peut-être ne se tromperait-on pas en lui attribuant toute la décoration de la crypte. L’inscription damasienne fut vraisemblablement gravée sur un de ces marbres polis comme des miroirs, sur une de ces tabulæ candentes qu’admire Prudence. Il ne reste rien de cette brillante décoration. Les Goths saccagèrent la crypte au sixième siècle. Le pape Vigile, dont nous avons déjà reconnu ailleurs les restaurations, essaya de lui rendre quelque chose de son ancien éclat ; mais les ressources d’une Église appauvrie ne lui permirent pas de remplacer l’argent et les marbres enlevés par les Barbares. On couvrit les murailles de stuc blanc, orné de bandes coloriées, dont il reste encore des vestiges : sur cet enduit se reconnaissent des graphites en grec et en latin, tracés par des visiteurs en caractères des sixième et septième siècles[22]. Pour les travaux de reconstruction de l’abside, et en particulier pour la réfection des degrés, on employa des marbres de l’époque précédente, que les Barbares avaient probablement arrachés de leur place primitive : ainsi, dans les fondations de l’hémicycle se trouvent des fragments de pierres tombales appartenant à la fin du quatrième siècle ou au commencement du suivant, et l’une des marches de la tribune porte encastrée l’épitaphe d’un prêtre, en caractères damasiens[23]. Ces réparations et reconstructions, quelque peu hâtives et grossières, sont célébrées dans une inscription qui rappelle, avec le nom du pape Vigile, celui du prêtre qui les dirigea. De nombreux fragments de ce titulus ont été trouvés en 1882, lors du déblaiement de la crypte : d’autres morceaux du même marbre faisaient partie du pavage de l’église des SS. Quattro Coronati, sur le Celius : en les rapprochant, on a pu reconstituer l’inscription : les restitutions proposées par M. de Rossi pour suppléer aux lacunes encore existantes sont commandées par le sens, et conséquemment exactes, sinon pour les mots mêmes, au moins pour les idées : Devastata iTERVM SVMMOTa plebe precantum Priscum PERDIDERANT ANTRA sacrata
decus. Nec tua iam maRTYR POTERANT venerande sepulcra Huic mundo LVCEM MITTERE qua frueris. Lux tamen ista iVA EST QVAE
NESCIT fuNEra sed quo PerpetVO CRESCAT NEC
MINVAtur haBET. Nam nigra nox tRINVM STVPVIT
PER speCVLA LVMEN Admittunt QVE NOVVM CONCavA SARA DIEM. Frustra baRBARICIS frenmerunt AVSIBVS HOSTES Fadarunique SACRVM tela crVENTA LOCVM. lnclyta SED MELIVS splendescit
MARTYRIS
AVLA AVCTOREMQVE gravant impIA FACTA SVVM. PRAESVLE VIGILIO SVMPserunt ANTRA DECOREM PRESBYTERI ANDREAE CVRa PEREGIT OPVS[24]. Dévastés, privés de la foule qui venait y prier, les autres saints avaient perdu leur ancien honneur. Ton sépulcre, vénérable martyr, ne pouvait plus envoyer au monde la lumière dont tu jouis. Cependant, ta lumière est de celles qui ne connaissent point le deuil, et croissent toujours sans pouvoir diminuer jamais. Car la nuit noire a vu avec stupeur une triple lumière pénétrer par des vitres transparentes[25], et les pierres creusées laissent passer un jour nouveau. En vain les ennemis ont frémi d’une rage barbare, et de leurs traits sanglants ont souillé le saint lieu. L’illustre chambre du martyr n’en brille que mieux, et ces actes impies se retournent contre leur auteur. Sous le pontificat de Vigile, les souterrains ont repris leur beauté : les soins du prêtre André accomplirent ce travail. On a remarqué deux vers de cette inscription, qui sont en un complet accord avec la description de Prudence. Vigile, ou le poète du sixième siècle qui composa pour lui les distiques gravés dans la crypte, célèbre le triple luminaire, trinum lumen, et parle de la roche entaillée, concava saxa, qui laisse entrer le jour dans les profondeurs de la caverne. Le grand poète du quatrième siècle avait, en termes meilleurs, mais dans le même sens, dépeint les ouvertures immenses percées dans le toit, qui jettent de clairs rayons, la lumière fréquente qui pénètre par les voûtes creuses, le soleil absent qui se fait sentir ainsi jusqu’au fond du souterrain. Après tant de ruines et de restaurations, on ne peut espérer que le progrès des fouilles rende jamais une suite de peintures que Prudence a longuement et curieusement décrites. Elles représentaient le martyre de saint Hippolyte. Les représentations de cette nature ne paraissent pas avant la fin des persécutions. Une seule allusion à une scène de martyre peut être montrée dans la seconde moitié du troisième siècle : c’est une petite fresque, tracée à la voûte d’un arcosolium du cimetière de Calliste, qui a paru représenter un chrétien comparaissant devant un magistrat ou peut-être un empereur[26]. Mais personne n’aurait encore osé peindre près du tombeau d’un martyr les détails horribles de son supplice. Après la paix de l’Église seulement on commence à figurer par le pinceau ou le ciseau ces scènes sanglantes : ainsi, dès le règne de Constantin le pape saint Sylvestre fait placer dans la basilique semi souterraine de saint Laurent, sur la voie Tiburtine, un bas-relief en argent représentant la passion de l’héroïque diacre[27] ; à la fin du quatrième siècle, on sculpta sur des chapiteaux de la basilique cémétériale de sainte Pétronille la décapitation des martyrs Nérée et Achillée, et l’on peignit une autre scène de décapitation dans un corridor de la maison des saints Jean et Paul, au Celius[28]. Voici les vers de Prudence : l’importance du sujet m’oblige à les citer malgré leur longueur : Exemplar
sceleris paries habet illitus, in quo Multicolor
fucus digerit omne nefas. Picta
super tumulum species liquidis viget umbris Effigians
tracti membra cruenta viri. Rorantes
saxorum apices vidi, optime papa, Purpureasque
notas vepribus impositas. Docta
manus virides imitando effingere dumos Luserat
et miniolo russeolam saniem. Cernere
erat ruptis compagibus ordine nullo Membra
per incertos sparsa jacere situs. Addiderat
taros gressu lacrymisque sequentes, Devia
quo fratrum semita monstrat iter. Mœrore
attoniti atque oculis rimantibus ibant Implebantque
sinus visceribus laceris. Ille
caput niveum complectitur ac reverendam Canitiem
molli comfovet in gremio ; Me
humeros truncasque manus et brachia et ulnas Et
genua et crurum fragmina nuda legit. Palliolis
etiam bibulæ siccantur arenæ, Ne
quis in infecto pulvere ros maneat. Si
quis et in sudibus recalenti adspergine sanguin Insidet,
hune omnem spongia pressa rapit, Nec
jam densa sacro quidquam de corpore sylva Obtinet
aut plenis fraudat ab exequiis. Cumque
recensitis constaret partibus ille Corporis
integri, qui fuerat, numerus, Nec
purgata aliquid deberent avia toto Ex
homine, extersis frondibus et scopulis : Metando eligitur tumulo locus ............... Roma placet, sanctos quæ teneat cineres[29]. La muraille peinte nous offre, retracé par des couleurs, le tableau de ce forfait. On le voit représenté au-dessus du tombeau : ses ombres transparentes donnent une apparente de vie à l’image de cet homme entraîné, les membres déchirés. J’ai vu les pointes ruisselantes des rochers, et les broussailles teintes de pourpre. Une main savante, en peignant les verts buissons, y avait figuré avec de la couleur rouge des taches de sang. On pouvait voir, dispersés çà et là, les membres rompus du martyr. Le peintre avait représenté ses amis qui suivaient en pleurant les sentiers tortueux tracés par une course désordonnée. Désolés et surpris, ils allaient, les regards attentifs, et recueillaient dans les plis de leurs vêtements les entrailles déchirées. Celui-ci embrasse la tête blanchie du vénérable vieillard et l’emporte dans son sein ; celui-là ramasse ses mains coupées, ses bras, ses genoux, les fragments dépouillés de ses jambes. On étanche avec des linges le sang que les sables ont bu, afin que cette rosée ne demeure pas dans l’impure poussière ; si quelques gouttes ont rejailli sur les broussailles, une éponge pressée les recueille toutes. L’épaisse forêt ne garde plus rien du corps sacré, que l’on a pu enterrer tout entier. On a retrouvé chacune des parties qui le composaient : toutes les feuilles des buissons, toutes les pointes des rochers ont rendu ce qu’elles avaient reçu des dépouilles du martyr : on choisit, après l’avoir mesuré[30], l’emplacement du tombeau : c’est Rome qui va posséder les cendres sacrées. Une traduction si détaillée d’un tableau ou d’une fresque a causé quelque surprise. Plusieurs critiques se sont demandé si Prudence avait réellement vu la peinture qu’il décrit, ou si cette description ne serait pas soit un jeu de son imagination poétique, soit le résultat d’une confusion, le poète ayant pris pour une scène de martyre une représentation de la mort d’Hippolyte, fils de Thésée. Telle est la pensée de Döllinger[31], de Kraus[32], de Müntz[33], du P. de Smedt[34]. M. de Rossi la repousse avec raison. Un homme instruit et intelligent comme Prudence n’a pu prendre une représentation du mythe d’Hippolyte pour l’image d’un martyre. Où, d’ailleurs, eût-il pu voir cette représentation dans la crypte de la voie Tiburtine ? On ne peut admettre qu’une scène empruntée à la mythologie ou à la fable ait été peinte sur la muraille du sanctuaire où se pressaient les pèlerins. Prudence l’aurait tout au plus rencontrée sur un sarcophage d’art païen, adapté à une sépulture chrétienne. Mais, fait observer M. de Rossi, les sculptures reproduisant le mythe d’Hippolyte sur les sarcophages romains ne représentaient pas ordinairement le héros traîné par ses coursiers[35]. Prudence, enfin, ne parle pas d’un bas-relief, mais d’une peinture : multicolor fucus... picta super tumulum species liquidis viget umbris. Donner un démenti à Prudence racontant et décrivant sérieusement ce qu’il vit et toucha est une témérité que rien ne justifie[36]. Les observations que l’illustre archéologue ajoute à cette déclaration générale sont trop intéressantes pour n’être pas résumées ici. Il reconnaît que la scène ou plutôt la série de scènes décrite par Prudence comme peinte en vives couleurs sur les murailles de la crypte sort du cycle ordinaire des peintures des catacombes, où les sujets sont toujours résumés en quelques traits et non développés longuement. La description du poète ferait plutôt penser à ces images des manuscrits antiques, comme les deux Virgiles et l’Homère du Vatican, dans lesquelles de nombreuses scènes, avec tous leurs détails pathétiques ou pittoresques, sont représentées par le pinceau du miniaturiste. Mais rien n’oblige à croire que la peinture vue par Prudence ait été une fresque. On a récemment trouvé dans une catacombe une plaque de verre, peinte, du genre de celles qui servaient à la décoration des murailles[37] : sur cette plaque se reconnaissent encore les traces de petites figures[38], ressemblant par le style et les dimensions aux miniatures des manuscrits. Des lettres grecques indiquent le sujet : M. de Rossi croit y avoir lu le nom de Moïse[39]. C’est probablement la reproduction d’une page de quelque Bible à figures[40]. On a pu de môme reproduire sur des plaques de bois, de verre ou de métal les miniatures de quelque passionnaire très ancien : c’est peut-être un tableau de ce genre, suspendu ou adhérent à la muraille, que vit Prudence près du tombeau de saint Hippolyte. Le 13 août, jour anniversaire du martyre, la chambre sépulcrale était trop petite pour la multitude des visiteurs. Cette multitude, qui dès l’aube se dirige vers le célèbre sanctuaire, est peinte par le poète en vers d’un grand sentiment descriptif : Urbs
augusta suos vomit effunditque Quirites, Una
et patricios ambitione pari Confondit
plebeia phalanx umbonibus æquis Discrimen
procerum præcipitante fide, Nec
minus Albanis acies se candida portis Explicat
et longis ducitur ordinibus : Exultant
fremitus variarum hinc inde viarum, Indigena
et Picens plebs et Etrusca venit, Concurrit
Samnitis atrox, habitator et altæ Campanus
Capuæ, jamque Nolanus adest. Quisque
sua lætus cum conjuge dulcibus et cum Pigneribus
rapidum carpere gestit iter. Vix
capiunt patuli populorum gaudia campi, Hæret
et in magnis densa cohors spatiis. Augustum
tantis illud specus esse catervis Haud
dubium est, ampla fauce lices pateat. Stat
sed juxta aliud, quod tanta frequentia templum. Tunc adeat cultu nobile regifico[41]. L’impériale cité vomit la foule comme un torrent, plébéiens et patriciens cheminent confondus vers le sanctuaire où leur foi les pousse. Des portes d’Albe sortent aussi de longues processions, qui se déroulent en blanches lignes dans la campagne. Toutes les routes qui avoisinent Rome retentissent de bruits confus. L’habitant des Abruzzes, le paysan de l’Étrurie viennent, le farouche Samnite, le citoyen de la superbe Capoue et celui de Nole sont là. Hommes, femmes, enfants se hâtent gaiement vers le terme. Les vastes plaines suffisent à peine à contenir ces joyeuses foules, et même là où l’espace semble sans bornes, leur marche se trouve retardée. Sans doute la caverne vers laquelle elles se dirigent, si large que soit son entrée, est trop étroite pour leur donner passage ; mais près d’elle est un autre temple, enrichi par une royale magnificence, que les pèlerins peuvent visiter. Ce temple est une basilique construite dans le voisinage du tombeau. Le sépulcre d’un martyr, dit M. de Rossi, était ordinairement placé sous terre, dans un lieu plus ou moins caché, que l’on agrandissait peu à peu, aux dépens même des sépultures environnantes, afin d’en faciliter l’accès aux fidèles accourus ad locum orationis ; mais on construisait aussi de grandes basiliques au-dessus ou à côté de l’hypogée ou oratoire ad corpus, destinées à la célébration plus solennelle des divins mystères. De là vient la distinction entre la missa ad corpus et celle qui était appelée publica in basilica majore[42]. Ces paroles forment un excellent commentaire des vers de Prudence. Il a décrit le tombeau de saint Hippolyte, chambre souterraine transformée en oratoire, mais trop petite pour contenir la foule des pèlerins : il montre ensuite celle-ci refluant un peu plus loin, pour se répandre dans la basilica major consacrée au même saint, où se célébrait l’office solennel le jour anniversaire de son martyre. L’emplacement de cette basilique a très probablement été retrouvé, tout près de la chambre funéraire (juxta, dit Prudence), à un niveau un peu supérieur, sans être cependant égal à celui du sol antique[43] : édifice semi souterrain, comme les basiliques de sainte Pétronille, de saint Alexandre, de sainte Agnès, de saint Laurent. Il n’en reste malheureusement que la place, aisément reconnaissable[44] : mais une inscription découverte dans le court escalier qui sépare le vestibule de la crypte de l’aire de la basilique[45] parait faire allusion à cette dernière. En voici les vers, avec les suppléments proposés par M. de Rossi[46] : LAETA DEO PLUS SANCTA CANAT QVOD MOENIA CRESCUNT ET RENOVATA
DOMVS MARTYRIS HippOLITI ORNAMENTA OPERIS SVRGVNT auctore DaMASO[47] NATVS QVI ANTISTES SEDIS Apostolicæ[48] INCLITA PACIFICIS FACTA EST hæc
aula triumphis SERVATVRA DEUS PERPETVamque
fidem. HAEC OMNIA QVAEQVE VIDES LEO presbyTER HORNAT[49]. Que le peuple saint de Dieu chante joyeusement, car les murs grandissent, et la maison du martyr Hippolyte est renouvelée. Les ornements apparaissent, sous le pontificat de Damase, destiné dès sa naissance à occuper le siège apostolique. Cette noble salle a été construite pour de pacifiques triomphes : elle gardera l’honneur et l’éternelle foi. Tous les ornements que tu vois ont été faits par le prêtre Léon. Ces vers appelleraient un commentaire : je renvoie à celui qu’en a donné M. de Rossi. Mais je n’hésite pas à leur reconnaître pour sujet la construction de la basilique[50], sous Damase, par les soins d’un prêtre inconnu, Léon, préposé à la direction du travail. L’auteur de l’inscription voit les murs grandir sous ses yeux, et la brillante décoration sortir en quelque sorte de terre. Cette décoration a été décrite par Prudence, avec son enthousiasme accoutumé : Parietibus
celsum sublimibus atque superba Majestate
potens muneribusque opulens. Ordo
columnarum geminus laquearia tecti Sustinet
auratis suppositus trabibus. Adduntur
graciles tecto breviore recessus, Qui
laterum seriem jugiter exsinuent. At
medios aperit tractus via latior alti Culminis
exsurgens editiore apice. Fronde
sub adverso gradibus sublime tribunal Tollitur, autistes prædicat unde Deum[51]. Les murs du temple sont hauts, sa majesté superbe : il a reçu les dons les plus opulents. Deux rangs de colonnes soutiennent la charpente du toit, posées sous ses poutres dorées. De chaque côté s’allongent d’étroits enfoncements, couverts d’un toit surbaissé. Mais au milieu s’ouvre une allée plus large, que couronne un comble élevé. En face un tribunal est supporté par de nombreux degrés : de là le pontife prêche Dieu. Il est facile de reconnaître ici une basilique surmontée de combles aux charpentes dorées, et présentant aux regards deux étroites et basses allées latérales, entre lesquelles s’élève une nef majestueuse, qui conduit à la chaire de l’évêque. Ce sont bien les caractères d’un édifice construit dans la seconde moitié du quatrième siècle[52], auctore ou sedente Damaso, comme dit l’inscription commémorative. A ce pontife peuvent être attribuées avec vraisemblance et la décoration intérieure de la crypte, et la construction de la basilique. Dans celle-ci avait été transportée, peut-être d’une ancienne bibliothèque chrétienne, la célèbre statue de saint Hippolyte, œuvre du troisième siècle, aujourd’hui au musée de Latran : elle fut trouvée en 1551, entre la voie Nomentane et celle de Tivoli, hors des murs de Rome, à peu de distance du camp des prétoriens, dans certaines ruines, dit un antiquaire du seizième siècle[53] : cette désignation s’applique exactement au cimetière de Saint-Hippolyte, et les certaines ruines ne peuvent être que celles de la basilique. Aujourd’hui, ces ruines ont disparu. |
[1] Prudence, Peri Stephanon, XI, 155-168.
[2] Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 42. Bosio parcourant ces souterrains, au dix-septième siècle, y lut une antique invocation à saint Hippolyte : REFRIGERI TIBI DOMNVS IPPOLITVS. Ibid., p. 45.
[3] Sur le stuc de l’ambulacre conduisant à la chapelle souterraine du martyr, on lit gravé par la main d’antiques visiteurs : HIPPOLYTE IN MENTE HABE... IPPOLITE IN MENTE (habe) PETRA PECCATORE. Ibid., p. 176 ; Armellini, Antichi cimiteri cristiani di Roma, p. 280.
[4] Peri Stephanôn, XI, 169-174.
[5] Stantem sacerdotem ad altare super sanctum corpus martyris ad Dei honorera cultumque constructum. Saint Augustin, De civitate Dei, VIII, 27.
[6] Saint Jérôme, Adv. Vigilantium.
[7] Saint Ambroise, Ép. 22.
[8] Saint Augustin, Sermo 318. 1.
[9] Peri Stephanôn, III, 113-117.
Sic
venerarier ossa libet,
Ossibus
altar et impositum :
Illa
Dei sita sub pedibus
Prospicit
hæc, populosque suos
Carmine
propitiata fovet.
[10] Ibid., V, 514-519.
Altar
quietem debitam
Præstat
beatis ossibus.
Sujecta
nam sacrario,
Imamque
ad aram condita,
Perfusa
subter hauriunt.
[11] Hic constituit supra memorias martyrum missas celebrare. Liber Pontificalis, Felix ; éd. Duchesne, t. I, p. 158. Voir, sur ce passage, De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 489 et suiv. ; Duchesne, l. c., note 2.
[12] Voir Rome souterraine, p. 555.
[13] Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 66, 67, 70, et pl. I-II.
[14] Ibid., p. 176.
[15] Peri Stephanôn, XI, 183-188.
[16] Les décorations d’orfèvrerie n’étaient pas sans exemple dans les cryptes des martyrs et dans les basiliques : Hic ornavit de argento confessionem beaii Petri apostoli, qui habet libras ecce, dit de Sixte III le Liber Pontificalis, éd. Duchesne, t. I, p. 233.
[17] Plaque de marbre. Ce mot paraît n’être que la transcription d’un nom grec, on le rencontre avec la même orthographe dans Cassiodore, Var., III, 9, et dans Épiphane le scolastique, Hist. trip., II, 18 ; un des textes insérés dans les Gromatici veteres de Lachmann fournit la forme platuma, identique en somme à platoma. Quant à l’orthographe platonia, communément admise, elle n’a pas de documents autorisés. Duchesne, ibid., p. 209, note 16.
[18] Ibid., Liberius, p. 208.
[19] Ibid., Damasus, p. 212.
[20] Platoma in cymiterio Callisti ubi commemorans nomina episcoporum. Ibid., Xystus III, p. 234. Cf. p. 236, note 16 ; De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 33-48 ; Rome souterraine, p. 220-223.
[21] Le texte et le
commentaire de cette inscription seront donnés à l’Appendice E, sur les sources
de
[22] Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 71.
[23] Ibid., p. 67-68 et pl. I-II.
[24] Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 59-66.
[25] Per specula, c’est-à-dire specularia : plaques diaphanes de verre ou de lapis specularis, appliquées sur la bouche des lucernaires ou dans les interstices de leurs grilles. Sur ces specularia, voir Kraus, Real-Encyklopadie der christl. Alterthümer, t. I, p. 606, 607, art. Glasfenster ; cf. Roma sotterranea, t. III, p. 464, où une inscription fait mention des speclara. Dans les ruines de la basilique de Saint-Étienne sur la voie Latine, j’ai vu un fragment antique de plaque de verre, certainement provenant des fenêtres. Juvénal, dans une satire, appelle la litière et ses portières diaphanes clausum lacis specularibus antrum (IV, 21). J’avoue ne pas connaître d’autre exemple de specula au lieu de specularia : mais spicula (rayons) conviendrait peu au précédent adverbe per, indiquant le passage de la lumière, lumen, par les trois bouches des lucernaires, que Prudence appelle inimensa foramina. De Rossi, dans le Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 62.
[26] De Rossi, Roma sotterranea, t. II, pl. XIX, 2 ; XX, 2 ; XXI ; Garrucci, Storia Bell’ arte cristiana, pl. XVI, 2-5 ; Northcote et Brownlow, Roma sotterranea (anglaise), t. I, p. 345 ; Roller, Catacombes de Rome, pl. XXVII. — Le sens de cette fresque est aujourd’hui contesté ; voir Nuovo Bullettino di archeologia cristiana, 1897, p. 138.
[27] Ante corpus beati Laurenti martyris argentoclusas sigillis passionem ipsius... Liber Pontificalis, Silvester, 24 ; Duchesne, t. I, p. 181 ; cf., p. 197, note 84. La médaille du quatrième ou du cinquième siècle, représentant saint Laurent sur le gril, que reproduit M. de Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1869, planche hors texte, est peut-être une copie de ce bas-relief ; ibid., p. 51.
[28] Ibid.,
1875, pl. IV ; R. P. Germano,
[29] Peri Stephanôn, XI, 123-152.
[30] Voir l’explication de ce mot, Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e édit., p. 170, 469.
[31] Döllinger, Hippolytus und Callistus, p. 57.
[32] Kraus, Real-Enycklopädie der christlichen Alterthümer, art. Hippolytus, t. I, p. 659-660.
[33] Eugène Müntz, Études sur l’histoire de la peinture et de l’iconographie chrétiennes, p. 17.
[34] De Smedt, Disertationes selectæ in primam ætatem historiæ ecclesiasticæ, p. 136, note. — Je lis encore dans les Analecta Bollandiana, 1894, p. 403 : La description de Prudence est une réminiscence de la fable, inspirée par la similitude des noms.
[35] Cf. Matz et Von Duhn, Antike Bildwerke in Rom., t. II, p. 265 et suiv. ; Jahn, Archæol. Beiträge, p. 326-327.
[36] Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 72.
[37] Sur les plaques de verre incrustées dans les murailles, au temps de l’empire romain, voir Helbig, Bullettino dell’ Instituto di correspondenza archeologica, mars 1873, p. 43, 44.
[38] Elles étaient peintes simplement sur le revers de la plaque transparente, sans être ni cuites au feu, ni protégées par un double verre : aussi le contact de l’air les a-t-il presque effacées. M. de Rossi avait déjà trouvé en 1873, dans une catacombe, un grand disque de verre, fragment d’une plaque décorative, où étaient peints de la même manière des fruits et des oiseaux. Bullettino di archeologia cristiana, 1873, p. 21, et pl. III, 1.
[39] Ibid., 1882, p. 73 ; 1883, p. 72-73.
[40] Cf. entre autres exemples, les précieuses feuilles de l’évangéliaire grec de Rossano. Gebhart et Harnack, Evangeliorum codex græcus purpureus Rossanensis, Leipzig, 1880.
[41] Peri Stephanôn, XI, 199-216.
[42] Bullettino di archeologia cristiana, 1864, p. 42-43 ; 1880, p. 111 ; Roma sotterranea, t. III, p. 493. Cf. Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e édit., p. 281, note 2.
[43] Bullettino di archeologia cristiana, 1882, p. 176.
[44] Ibid.
[45] Ibid.
[46] Ibid., 1883, p. 60-65 et pl. I.
[47] Le dernier jambage de l’M du mot DAMASO est seul conservé ; mais il ne peut être ni le T d’ANASTASO, ni l’L de GELASO : la lecture DAMASO ne parait point douteuse. Ibid., p. 61.
[48] Sur ce vers, allusion à l’enfance de Damase, consacré à Dieu dès son plus jeune age, et fils d’un père qui avait parcouru les divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique, voir ibid., p. 61-63.
[49] L’inscription n’est pas gravée en lettres damasiennes ; cependant sa paléographie peut convenir au quatrième siècle. On pourrait aussi admettre qu’elle est une copie du marbre original brisé par les Barbares. Ibid.
[50] Voir les mots domus, mœnia, en opposition au mot antrum employé dans l’inscription de Vigile pour désigner la chambre souterraine.
[51] Peri Stephanôn, IX, 217-226.
[52] Cf. d’autres descriptions de basiliques, dans Prudence, Peri Stephanôn, III, 191-193, 196-200 ; XII, 49-54.
[53] Tra la via Nomentana e quella di Tivoli, fuori delle mura di Roma e poco discosto dal Castro dei pretoriani ; Pirro Ligorio, Cod. Neap. XIII B 7, p. 424. L’indication du lieu donnée avec tant de minutie et de précision par Ligorio est confirmée non seulement par les anciens documents topographiques, qu’il ne connaissait pas, mais aussi par tous les témoins qui ont assisté à la découverte de la statue d’Hippolyte prés la voie Tiburtine et l’Agro Verano ; voir Francisci Bianchini, De canone paschali S. Ippolyti episcopi et martyris, Diss. 2, cap. 1, p. 92 et suiv. ; Marini, dans Mai, Script. vet., t. V, p. 70 ; Kirchoff, Corp. inscr. græc., 8613. Note de M. de Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1881, p. 29.