PARIS — LIBRAIRIE PLON — 1906
CHAPITRE I. — LA PREMIÈRE ERREUR ET LE PREMIER SUCCÈS DE CÉSAR EN GAULE. CHAPITRE II. — L'ANNEXION DE LA GAULE. CHAPITRE III. — LA GRANDE POLITIQUE DE CÉSAR. CHAPITRE IV. — LE SECOND CONSULAT DE CRASSUS ET DE POMPÉE. CHAPITRE V. — LA PREMIÈRE DÉCEPTION DE LA POLITIQUE CÉSARIENNE : LA CONQUÊTE DE LA BRETAGNE. CHAPITRE VI. — LA GRANDE CATASTROPHE DE LA POLITIQUE CÉSARIENNE : L'INVASION DE LA PERSE. CHAPITRE VII. — LA CRISE SUPRÊME DE LA POLITIQUE DE CÉSAR : LA RÉVOLTE DE LA GAULE. CHAPITRE VIII. — LES DÉSORDRES ET LES PROGRÈS DE L'ITALIE. CHAPITRE IX. — LE « DE BELLO GALLICO ». CHAPITRE X. — LES SOUCIS D'UN GOUVERNEUR ROMAIN. CHAPITRE XI. — « INITIUM TUMULTUS ». CHAPITRE XII. — « BELLUM CIVILE ». CHAPITRE XIII. — LA GUERRE D'ESPAGNE. CHAPITRE XIV. — PHARSALE. CHAPITRE XV. — CLÉOPÂTRE. CHAPITRE XVI. — LES TRIOMPHES DE CÉSAR. CHAPITRE XVII. — LE DERNIER RÊVE DE CÉSAR : LA CONQUÊTE DE LA PERSE. CHAPITRE XVIII. — LES IDES DE MARS. APPENDICE. La guerre contre les Helvètes et contre les Suèves.PRÉFACE.Ce volume contient l'histoire de la conquête de la Gaule et de la guerre civile, qui aboutit à la dictature et à l'assassinat de César. C'est un sujet qui a été traité par beaucoup d'écrivains, et je ne l'aurais pas repris, après tant d'autres, si je n'avais eu l'espoir d'éclaircir un peu ce qu'il y a de plus obscur dans cette histoire, en me plaçant à un point de vue nouveau pour observer les événements. Tous les écrivains qui ont étudié la conquête de la Gaule ont, selon moi, commis une erreur : celle de concentrer leur attention sur la Gaule et sur les phases de la lutte que s'y déroulait, en isolant César sur le théâtre de la guerre et en le détachant de Rome. La conquête de la Gaule, ainsi étudiée, ne paraît plus tenir qu'à des plans personnels de César ; des plans sans doute très profonds, mais aussi très mystérieux, qu'il n'est pas possible de déterminer à l'aide des sources historiques dont nous disposons. J'ai donc préféré étudier ce grand événement en me plaçant, pour ainsi dire, au centre de Rome et de ses intérêts politiques et financiers, en cherchant à découvrir les rapports existant entre les opérations militaires accomplies par César et les événements intérieurs de la politique romaine. Je crois qu'envisagée à ce point de vue, celte conquête devient beaucoup plus claire et compréhensible. Nous la voyons s'accomplir sous l'action de forces sociales qui sont à l'œuvre même aujourd'hui et par des procédés qui ressemblent plus ou moins à ceux qu'on emploie de nos jours. La conquête de la Gaule devient une guerre coloniale, commencée et menée par le chef d'un parti, dans le but de s'en servir comme instrument d'action sur la politique de l'Italie. Cependant si cette guerre ressemble à tant d'autres par son but et par ses procédés, elle a eu des développements si immenses et si imprévus, que son étude est une source presque inépuisable pour l'historien philosophe. Il n'y a peut-être pas de guerre dans laquelle on puisse mieux sonder certaines de ces lois encore si mystérieuses qui régissent la destinée des nations et des États. On a beaucoup discuté, dans les derniers temps, sur le rôle historique de la guerre ; on a cherché à démontrer tantôt qu'elle est un bienfait divin, tantôt qu'elle est le plus horrible fléau du monde. Ces discussions, comme toutes celles qui cherchent à fixer le caractère moral des actions et des rapports humains, peuvent servir aux luttes des forces sociales qui se disputent la domination des États ; mais elles dépassent trop la puissance intellectuelle des hommes, pour qu'on puisse jamais y trouver une solution définitive. Un historien philosophe se contente, plus modestement, d'envisager la guerre comme une force qui, à un certain moment, précipite vers leur solution les crises sociales préparées lentement par l'usure et le relâchement naturel des institutions sociales et politiques. Tout système de traditions, d'intérêts et de forces morales constituant une société, se désorganise peu à peu par l'action continuelle de forces cachées dont peu de personnes s'aperçoivent ; mais l'esprit de conservation, les intérêts constitués, la crainte qu'inspire l'avenir empêchent toujours de remplacer par un nouveau système l'ancien, même longtemps après que celui-ci est devenu intolérable. De là ces époques de crise où les esprits et les institutions, les mœurs et les fortunes sont perpétuellement en proie à des troubles bizarres et douloureux, dont on cherche en vain la guérison ou l'apaisement par les efforts les plus compliqués. La guerre, bien souvent, brisant tout à coup l'équilibre psychologique conservé à grand'peine , hâte, dans ces sociétés en proie à une crise, la fin de tout ce qui n'a plus d'énergie vitale, pousse à la lutte décisive les forces contradictoires, provoque la détente des forces cachées, qui peuvent rétablir un équilibre nouveau. J'ai eu beaucoup de plaisir à écrire l'histoire des quatorze ans qui vont du commencement de la guerre de Gaule à l'affreux assassinat des ides de mars (58-44 a. C.), et cela surtout parce que les événements de cette époque sont une des plus lumineuses démonstrations de cette vérité essentielle, dont ce qui se passe actuellement en Mandchourie et en Russie nous offre peut-être, après tant d'autres, une dernière preuve. Aucune guerre, les guerres de la Révolution et de l'Empire exceptées, n'a exercé une si grande influence sur l'histoire du monde. La guerre de Gaule a régénéré le monde ancien, surtout parce qu'elle a précipité deux grandes crises, qui traînaient depuis un siècle, troublant l'un affreux malaise tous les pays qui étaient entrés dans la civilisation gréco-latine : d'un côté la crise politique de l'Italie, qui devait en un siècle transformer l'essence même de l'État et de la société latine ; de l'autre la crise du monde celtique vieillissant. Je crois avoir démontré que la guerre civile entre César et Pompée, qui inaugura la crise politique de l'Italie, fut en partie l'effet de la lassitude, des préoccupations, des déceptions engendrées par la guerre de la Gaule, dont la longueur et l'acharnement finirent par troubler l'Italie, trop habituée aux guerres faciles de l'Orient, et par faire éclater toutes les haines civiles accumulées depuis un demi-siècle dans les classes, les partis, les coteries et les familles. En même temps la conquête détruisit la Gaule celtique, qui depuis plus d'un siècle se débattait dans les convulsions d'une lente agonie, et par là rendit possible la latinisation de la Gaule, où fut le véritable commencement de la civilisation européenne. J'ai étudié dans ce volume la conquête de la Gaule et sa répercussion immédiate sur le monde latin, c'est-à-dire la guerre civile et la dictature de César. En étudiant dans la suite l'autre grand effet de la conquête, je montrerai comment la Gaule nouvelle, la Gaule romaine, surgit sur les ruines de la Gaule celtique, détruite par cette guerre coloniale que des intérêts politiques et financiers avaient créée, sans que personne ait pu en prévoir les formidables conséquences. GUGLIELMO FERRERO. Turin, le 1er avril 1905. |