INTRODUCTION — LES SOURCES DE L’HISTOIRE DES PERSÉCUTIONS
CHAPITRE PREMIER. — LES CHRÉTIENS SOUS DIOCLÉTIEN ET MAXIMIEN HERCULE (285-292).
I. — Persécutions partielles à Rome et en Gaule.
Dioclétien empereur - Séjour probable à Rome au commencement
de son règne - Vexations contre les chrétiens - Le pape Caïus réfugié dans le
cimetière de Calliste - Martyre du mime saint Genès - Dioclétien fixe sa
résidence à Nicomédie - Il partage l’Empire avec Maximien - Caractère de
celui-ci - Dioclétien prend le nom de Jupiter et lui donne celui d’Hercule -
Révolte de paysans dans les Gaules - Maximien quitte Nicomédie pour les
combattre - Son passage en Italie : martyrs d’Aquilée - Martyrs à Rome -
Martyre, à Agaune, de la légion Thébéenne - Martyrs dans les Gaules sous
Fescenninus et Rictiovarus - Martyrs dans la Grande-Bretagne
- Maximien à Marseille : martyre de saint Victor - Maximien s’établit à
Trèves : apaisement de la persécution en Occident..
II. — Les Églises, le néopaganisme et la philosophie.
Prospérité de l’Église en Orient - Grand nombre des chrétiens
asiatiques - Dioclétien prend des sentiments favorables aux fidèles -
Influence de sa femme Prisea et de sa fille Valeria - Serviteurs chrétiens du
palais - Tolérance pour les magistrats chrétiens - Fonctions municipales
exercées par les fidèles - Grande situation des évêques - Nombreuses
constructions d’églises - Ce mouvement est suivi avec plus de timidité à Rome
- Les papes profitent de la paix pour agrandir les cimetières - Relâchement des mœurs chrétiennes :
concile d’Illiberis - Dissensions dans les Églises d’Orient - Tentatives des
païens pour amener les fidèles aux idées syncrétistes - Efforts du
néoplatonisme contre la doctrine chrétienne - Écrits et influence de
Porphyre..
CHAPITRE II. — L’ÉTABLISSEMENT DE LA TÉTRARCHIE ET
LA
PERSÉCUTION DANS L’ARMÉE (292-302).
I. — L’établissement de la tétrarchie.
Conférence des deux Augustes à Milan - Ils décident de s’adjoindre
deux Césars - Conséquences politiques et religieuses de cette décision -
Élection de Constance Chlore et de Maximien Galère - Nouveau partage de l’Empire
- Vices et fanatisme païen de Galère - Douceur et tolérance de Constance -
Activité guerrière des quatre empereurs - Activité législative : édit sur les
mariages - Édit contre les manichéens - souffrances du peuple - Édit de
maximum - Réorganisation administrative.
II. — La persécution dans l’armée.
Grand nombre des soldats chrétiens - Répugnance de quelques
chrétiens d’Afrique pour le service militaire - Influence sur eux des idées
montanistes - Le conscrit Maximilien refuse de servir - Il est condamné à
mort - Pour quel motif il mérite le titre de martyr - Commencement des
vexations contre les soldats chrétiens - On leur donne le choix entre un
congé ignominieux et l’apostasie - Quelques-uns sont mis à mort - Soldats
martyrisés après l’expédition de Galère contre les Perses - Veturius chargé
de l’épuration de l’armée dans les États de Galère - Soldats martyrs en Mésie
: Pasicrate et Valention - Le vétéran Jules
- Nicandre et Marcien - La persécution dans les États d’Hercule :
soldats martyrisés à Rome - Les quatre cornicularii - Saint Sébastien -
Autres martyrs militaires en Italie - Le centurion Marcel à Tanger - Le greffier
militaire Cassien - Emeterius et Chelidonius en Tarraconaise - Dioclétien se
décide tardivement à molester les soldats chrétiens d’Asie - Il les met en
demeure de quitter l’armée ou de sacrifier - Mais il s’abstient encore de
verser le sang..
CHAPITRE III. — LE PREMIER ÉDIT DE PERSÉCUTION GÉNÉRALE
(303).
I. — La promulgation de l’édit et les événements de Nicomédie.
Galère à Nicomédie - Ses efforts pour décider Dioclétien à la
persécution - Conseil privé - Consultation de l’oracle de Milet - Dioclétien
se résout à persécuter - Destruction de l’église de Nicomédie - Affichage de
l’édit de persécution - Articles de l’édit ordonnant la destruction des
églises et des livres saints, interdisant les assemblées, dégradant ou
privant de liberté les chrétiens - Exemplaire de l’édit déchiré par un fidèle
- Supplice de celui-ci - Premier incendie du palais impérial - Galère en
accuse les chrétiens - Second incendie - Probablement imputable à Galère - Peur
et colère de Dioclétien - Chrétiens de Nicomédie mis en demeure de sacrifier
- Apostasie des impératrices - Martyre d’eunuques et de chambellans -
Exécution de l’évêque Anthime et de membres du clergé - Laïques mis à mort -
Sacrifice préalable exigé des plaideurs.
II. — L’exécution de l’édit.
Date de sa mise en vigueur dans les provinces orientales -
Cyrille, évêque d’Antioche, envoyé aux mines - Défections parmi les chrétiens
de cette ville - Héroïsme du diacre Romain - Églises abattues en Asie - Leur
destruction retardée en Galatie et en Thrace - Bassus, gouverneur de Thrace,
favorable aux chrétiens - Des femmes, à Thessalonique, cachent les Écritures
- Martyre d’Agathopode et de Théodule - La persécution en Occident -
Constance Chlore fait abattre quelques églises - Il n’inquiète pas autrement
les chrétiens - Piquante leçon donnée à ses courtisans - Maximien Hercule
exécute rigoureusement l’édit - Destruction des livres sacrés en Espagne -
Destruction, à Rome, de la bibliothèque et des archives pontificales -
Confiscation des biens de l’Église romaine - Efforts des chrétiens pour
sauver de la profanation les tombes des martyrs - Parties de catacombes
enterrées - Destruction d’édifices au-dessus des cimetières..
III. — Les traditeurs.
Violence de la persécution en Afrique - Profanation des areæ
sépulcrales - Les Écritures livrées par de nombreux traditeurs -
Procès-verbal de la perquisition faite dans l’église de Cirta - Faiblesse du
clergé de Cirta, mêlée de quelque courage - Stratagème de Mensurius, évêque
de Carthage, pour sauver la bibliothèque et les archives de son église -
Blâme dirigé par lui contre les exagérés qui provoquaient inutilement les
persécuteurs - Héroïsme douteux de Secundus de Tigisis - Sage prudence de
Félix d’Aptonge - Martyre de Félix de Tibiuca - Laïques martyrisés en Numidie
- Conversion du rhéteur Arnobe..
CHAPITRE IV. — LE DEUXIÈME ET LE TROISIÈME ÉDITS (303-304).
I. — Les nouveaux édits.
Conversion de Lactance à Nicomédie - Écrit contre les
chrétiens - Portrait de son auteur - Pamphlet d’Hiéroclès - Caractère de sa
polémique - Révolte de soldats à Antioche - Sympathies des fidèles de
Cappadoce pour le royaume chrétien d’Arménie - Un d’eux refuse le service
militaire - Martyre d’Hiéron et de trente et un chrétiens - Inquiétudes de
Dioclétien habilement excitées - Promulgation de deux édits contre les
ecclésiastiques.
II. — L’application des édits avant l’amnistie des vicennales (303).
Le confesseur Donat - Quelques membres du clergé font
défection en Palestine - Martyre du lecteur Procope - Courageuse résistance
de nombreux captifs absous malgré eux - Martyre d’Alphée et de Zachée - Les
chrétiens maltraités en Galatie - Datianus persécute les chrétiens de toute l’Espagne
- Osius de Cordoue confesse la foi - Arrestation de Valerius, évéque de
Saragosse, et du diacre Vincent - Ils sont transférés à Valence - Exil de
Valerius - Vincent est mis à la torture - Dioclétien célébre à Rome ses
vicennales - Amnistie - Elle est étendue aux chrétiens - Exception pour
Romain, étranglé à Antioche - Et Vincent, retenu dans la prison de Valence -
Dioclétien, malade, quitte Rome en décembre.
III. — Reprise de la persécution après l’amnistie des vicennales (304).
Dioclétien fait route lentement vers l’Asie - Martyre de
Vincent - Datianus essaie en vain d’anéantir ses reliques - Vénération pour
les instruments de son martyre - La maladie de Dioclétien laisse toute
puissance à Galère et à Hercule - Les édits continuent à étre appliqués -
Bassus, préfet de Thrace, obligé de les mettre à exécution - Fermeture de l’église
d’Héraclée - L’évêque Philippe abandonne les vases sacrés, mais non les
livres - Le diacre Hermès conduit l’assesseur du préfet au lieu où les uns et
les autres sont cachés - Différences entre les sentiments des chrétiens d’Orient
et d’Afrique - Philippe et Hermès refusent de sacrifier - Adoucissements
apportés à leur captivité - Nombreux chrétiens arrêtés à Abitène et conduits
à Carthage pour avoir tenu des assemblées - Date exacte de leur procès -
Interrogatoire et tortures - Thelica - Dativus - Le prêtre Saturnin - Le
lecteur Emeritus - Félix et plusieurs autres - Saturnin le jeune - Victoire -
Hilarien - Mort de ces chrétiens en prison - Autres fidèles d’Afrique arrêtés
pour avoir célébré le culte.
CHAPITRE V. — LE QUATRIÈME ÉDIT EN ORIENT (304).
I. — Les martyrs de la Macédoine, de la Pannonie, de la Norique et de la Mésie.
Galère, véritable auteur du quatrième édit - Texte d’Eusèbe -
Exécution de l’édit à Thessalonique - Interrogatoire d’Agathon, Agape, Irène,
Cassia et Philippa - Eutychia gardée en prison à cause de sa grossesse -
Suite de l’interrogatoire : Agape, Chionia - Agape et Chionia condamnées au
feu - Nouvel interrogatoire d’Irène - Elle est condamnée au déshonneur -
Sauvée, elle meurt sur le bûcher - Silence de l’auteur des Actes sur le sort
des autres accusés - Martyre du prêtre Montan à Sirmium - Arrestation d’Irénée,
évêque de cette ville - Vaines supplications de sa famille et de ses amis -
Son interrogatoire - Son martyre - Interrogatoire et supplice du lecteur
Pollion, à Cibalis - Martyre de l’officialis Florianus, à Lauriacum - Martyre
du soldat, Dasius, à Dorostore - Pénurie de documents sur l’exécution du
quatrième édit dans les États de Galère..
II. — Les martyrs de la
Cilicie et de la
Thrace.
Maxime, gouverneur de Cilicie - Calliope crucifié à
Pompeiopolis - Tarachus, Probus et Andronicus - Attitude nouvelle des accusés
chrétiens - Premier interrogatoire à Tarse - Second interrogatoire à
Mopsueste - Troisième interrogatoire à Anazarbe - Les trois martyrs épargnés
par les bêtes de l’amphithéâtre - Puis égorgés - Les chrétiens recueillent
leurs reliques - Reprise du procès de Philippe et d’Hermès, à Héraclée,
devant un nouveau gouverneur - Leur interrogatoire - Interrogatoire du prêtre
Sévère - Le procès est continué à Andrinople - Observations sur le langage de
l’évêque Philippe, différent de celui de Tarachus et de ses compagnons -
Philippe et Hermès brûlés vifs - Même supplice infligé à Sévère.
III. — Les martyrs de la
Galatie et de la Cappadoce.
Arrestation de Victor à Ancyre - Il est exhorté par Théodote -
il meurt en prison, laissant une mémoire douteuse - Services rendus à l’Église
par le cabaretier Théodote - Il retire de l’Halys les reliques du martyr
Valens - Rencontre de chrétiens fugitifs - Arrestation de sept vierges à
Ancyre - Elles échappent au déshonneur - Le bain de Diane et de Minerve -
Honteuse procession - Les chrétiennes noyées dans l’étang - Théodote et ses
compagnons recueillent leurs corps - Théodote arrêté et interrogé - Il meurt
décapité - Stratagème du prêtre Fronton pour enlever ses reliques - Une
chrétienne frappée de mort civile - Martyre de Julitta à Césarée de
Cappadoce.
IV. — Les martyrs de la
Syrie, de la Phénicie, de la Palestine, de l’Égypte,
de la
Thébaïde et du Pont.
Chrétiens exposés aux bêtes à Tyr - Récit d’Eusèbe, témoin
oculaire - Chrétiens immolés à Gaza - Martyre de Cyprien et de Justine - La
persécution en Égypte - Texte d’Eusèbe - Histoire de Didyme et de Théodora -
Pitié des païens - Souffrances des chrétiens en Thébaïde - Condamnations
prononcées parle gouverneur Arrien - Martyre de Timothée et Maura - Cruautés
exercées contre les fidèles du Pont - Les aïeux de saint Basile s’enfuient
dans les montagnes - Chrétiens fugitifs bien accueillis des Barbares.
CHAPITRE VI. — LE QUATRIÈME ÉDIT EN OCCIDENT (304).
I. — Les martyrs de Rome.
Manifestation populaire du 17 avril 301 - Réunion du sénat et
ordonnance de Maximien Hercule - Rescrits aux gouverneurs - Sacrifices exigés
de ceux qui fréquentaient les marchés ou les fontaines - Martyre de Marc et
Marcellien - Martyre de Castulus - Tiburtius - Gorgonius, Genuinus, trente
soldats - Pierre et Marcellin - Artemius, Candide, Pauline - Sotère - Noyades
- Simplicius et Faustinus jetés dans le Tibre - Enterrés par Viatrix dans la
catacombe de Generosa - Sépulture de Vialrix, de Rufus ou Rufinianus dans la
même catacombe - Groupe de chrétiens du Latium décapités sur la voie Salaria
- Martyre de leur prêtre Abundius et de leur diacre Abundantius - Martyre de
Basilla - Mort du pape Marcellin, sa sépulture au cimetière de Priscille -
Vacance du siège apostolique - Martyre de Cyriaque, Saturninus, Sisinnius,
Apronianus, Smaragdus, Largus, Crescentianus, Papias, Maurus, etc. - Martyre
de Timothée - Sainte Agnès - Son procès - Sa virginité miraculeusement
préservée - Martyre d’Agnès - Dévotion des Romains pour elle - Son tombeau et
son cimetière - Martyre et sépulture d’Éméreutienne - Le sceau de Turrania
Lutina - Sainte Lucine..
II. — Les martyrs de l’Italie et de la Rhétie.
Jules et Montanianus, à Piperno - Valentin et Hilaire, à
Surrena - Eutychius, confesseur, à Corneto - Secundus, Firmina, Félix,
Grégoire, Fidence, Térence, en Ombrie - Martyre de Sabin, évêque d’Assise -
Martyrs de la Campanie
et de la Lucanie
- Euplus, à Catane - Lucie, à Syracuse - Martyrs du Picenum et de l’Émilie -
Vital et Agricola, à Milan - Cassien, à Imola - Martyrs de la Vénétie et
de la Transpadane
- Martyrs de la Sardaigne
- Martyrs de Corse - La persécution en Rhétie : sainte Afra.
III. — Les martyrs de l’Afrique et de l’Espagne.
Cruauté de Florus, président de Numidie - Les dies
turificationis - Martyrs enterrés à Mastar - Cippes des martyrs Nivalis,
Matrona, Salvus, entre Kalama et Cirta - Inscription de Sétif en l’honneur
des martyrs Justus et Decurio - La martyre Digna, à Husicade - Les martyrs de
Mauritanie : le vétéran Typasius - Le porte-drapeau Fabius - Les martyrs de
la province proconsulaire : Maxima, Donatilla et Secunda, à Thuburbo -
Crispine, à Théveste - L’hymne quatrième du Peri Stephanôn - Martyrs anonymes
à Saragosse - Caius, Crementius, la vierge Encratis, confesseurs dans la même
ville - Martyrs de Girone, Barcelone, Alcala, Cordoue - Sainte Eulalie, à
Mérida.
CHAPITRE VII — LES CHRÉTIENS DEPUIS L’ADDICATION DE
DIOCLÉTIEN ET DE MAXIMIEN JUSQU’À L’USURPATION DE MAXENCE (305-306).
I. — Abdication de Dioclétien et de Maximien. Fin de la persécution en
Occident (305).
Dioclétien malade à Nicomédie - La persécution se poursuit
dans ses États - Procédés différents des gouverneurs - Incendie d’une ville
chrétienne de Phrygie - Martyre de huit chrétiens à Césarée - Galère arrive à
Nicomédie - Il obtient l’abdication de Dioclétien et de Maximien Hercule -
Formation d’une nouvelle tétrarchie - Élévation de Galère et de Constance au
rang d’Augustes - Choix de deux nouveaux Césars - Maximin Daia proclamé en
cette qualité à Nicomédie, au mépris de Constantin, fils de Constance -
Sévère proclamé en la même qualité à Milan, au mépris de Maxence, fils d’Hercule
- Nouveau partage territorial - La persécution cesse en Espagne, devenue
partie de l’apanage de Constance - Sévère la fait cesser en Italie et en
Afrique - Cependant les biens ecclésiastiques ne sont pas rendus, ni les
rapports officiels rétablis - Réflexions d’Eusèbe.
II. — Nouveaux édits de persécution en Orient (306).
Martyre de cinq sculpteurs chrétiens en Pannonie - Maximin
Daia accorde une amnistie aux chrétiens - Ses illusions sur la puissance du
paganisme - Les Églises orientales commencent à se réorganiser - Canons
pénitentiaux de Pierre d’Alexandrie - Prompte fin de l’amnistie - Nouveaux
édits de persécution - Leur promulgation dans les États de Maximin et dans
ceux de Galère - Martyre d’Hadrien et de Natalie, à Nicomédie - Martyre de
Théodore, à Amasée - Autres soldats martyrisés dans la même ville - Martyre
de sainte Julitla et de saint Cyr, à Tarse - Martyre d’Aphien, à Césarée -
Prodige attesté par Eusèbe - Martyre d’Ulpien à Tyr - Martyre d’Edesius, à
Alexandrie - Pierre, évêque de cette ville, se tient caché - Origine du
schisme de Mélèce - Lettre écrite contre Mélèce par quatre évêques
captifs - Philéas, évêque de Thmuis,
et le haut magistrat Philorome, dans la prison d’Alexandrie - Souffrances des
prisonniers chrétiens décrites par Philéas - Martyrs de la Thébaïde
– Apollonius - Le joueur de flûte Polémon - Conversion du gouverneur Arrien -
Les convertis de la
Thébaïde amenés à Alexandrie et noyés par l’ordre d’Hiéroclès.
III. — Avènement de Constantin et de Maxence (306).
Constantin à la cour de Galère - Il est rappelé en Gaule par
Constance - Ruse employée pour déjouer les poursuites - Son voyage - Il
accompagne Constance en Bretagne - Mort de Constance à York - Constantin
proclamé Auguste par les soldats - Il envoie son portrait aux autres
empereurs Galère se décide avec peine
à reconnaître son élection, mais le fait descendre au rang de César -
Exaspération de Galère - Les païens traités aussi cruellement que les
chrétiens - Nouveau supplice du feu, inventé pour ces derniers - Martyre de
Claude, Astère, Néon, Domnina et Theonilla, en Cilicie - Martyre d’Agapius, à
Césarée - Débauches de Maximin - Chrétiennes sauvant leur vertu par une mort
volontaire - Sainte Pélagie, à Antioche - Autres martyres de cette ville -
Domnina, Bernice et Prosdosces se noient pour échapper aux persécuteurs -
Maximin confisque les biens d’une chrétienne d’Alexandrie, qui a résisté à sa
passion - Chrétiennes punies par le martyre de leur résistance aux
propositions infâmes des gouverneurs - Réflexions de saint Augustin sur celles
qui ont été outragées par violence - Ambition de Maxence - Mécontentement du
peuple de Rome et des prétoriens - Maxence proclamé par eux empereur - Extinction
de la seconde tétrarchie - Six empereurs en présence.
CHAPITRE VIII. — LES CHRÉTIENS DEPUIS L’USURPATION DE
MAXENCE JUSQU’À LA MORT DE
MAXIMIN HERCULE (306-310).
I. — La persécution en 307.
Confusion politique - Mort de Sévère - Échec de Galère en Italie
- Rupture entre Hercule et Maxence - Hercule se réfugie en Gaule - Congrès de
souverains en Pannonie - Licinius proclamé Auguste - Maxence, à Rome,
favorable aux chrétiens - La persécution continue en Orient - Martyre du
jardinier Serenus, à Sirmium - Martyre d’Euphémie, à Chalcédoine - Martyre de
Théodosie, à Césarée - Mutilation des confesseurs envoyés aux mines - Trois
chrétiens condamnés à être gladiateurs - Le docteur Pamphile - Ses travaux
exégétiques - Il les continue en prison - Disgrâce et mort d’Urbain,
gouverneur de Palestine - Phileas et Philorome comparaissent à Alexandrie
devant Culcien - Intervention des avocats en faveur de Phileas - Son
interrogatoire - Condamnation de Phileas et de Philorome - Phileas refuse de
faire appel - Leur supplice.
II. — La persécution en 308.
Nouvelles intrigues politiques - Maximin oblige Galère à le
faire Auguste - Souffrances des chrétiens condamnés aux mines - Des frères
les secourent au péril de leurs vies - Martyre de deux chrétiennes à Gaza - Martyre
de Paul et de ses compagnons - Nouvel édit de Maximin forçant les chrétiens à
sacrifier - Martyre, à Césarée, d’Antonin, Zebinas et Germain - Martyre de la
vierge Eunathas - Cadavres de chrétiens laissés sans sépulture - Lacrymæ
rerum - Tranquillité de l’église romaine - Élection du pape Marcel - Réorganisation
paroissiale - Dissensions au sujet des tombés - Marcel meurt en exil.
III. — La persécution en 309 et 310.
Élection du pape Eusèbe - Heraclius suscite de nouveaux
troubles au sujet des tombés - Maxence exile Heraclius et Eusèbe - Eusèbe
meurt en Sicile – Suite de la persécution en Orient - Martyre de Pierre
Abselamus - Cinq pèlerins d’Égypte arrêtés à Césarée - Leurs réponses au
gouverneur Firmilien - Ils sont mis à mort - Martyre du docteur Pamphile, de
Valens et de Paul - Protestation du jeune Porphyre - Son martyre - Martyre du
vétéran Seleucus - Martyre de l’esclave Théodule - Martyre du voyageur Julien
- Les animaux refusent de toucher aux cadavres des saints - Martyre d’Hadrien
et d’Eubulus - Le gouverneur Firmilien meurt disgracié - Désordres
subsistant, malgré la persécution, dans les Églises orientales - Martyre d’Hermyle
et de Stratonique en Mésie - Martyre de Quirinus, évêque de Siscia, en
Pannonie - Adoucissement du sort des chrétiens condamnés aux mines - Leurs
réunions pieuses - Nouvelles sévérités à leur égard - Martyre de Nil, Pélée
et Patermuthius - Martyre de trente-neuf forçats chrétiens - Mort de Maximien
Hercule - Douleur de Dioclétien.
CHAPITRE IX — LES CHRÉTIENS DEPUIS L’ÉDIT DE TOLÉRANCE DE
GALÈRE JUSQU’À LA GUERRE DE
MAXIMIN CONTRE L’ARMÉNIE (311-312).
I. — L’édit de tolérance et la mort de Galère.
Galère tombe malade - La maladie des persécuteurs - Parole d’un
de ses médecins - Tardif repentir de Galère - Singulier édit de tolérance - Caractère
de cet édit - On le publié dans les États de Galère, de Licinius et de
Constantin - Maximin ne le promulgua pas, mais ordonne verbalement de cesser
la persécution - Circulaire du préfet du prétoire Sabinus - Vraie portée de
cette circulaire - Joie des chrétiens - Retour des confesseurs - Reprise de
la vie religieuse - Mort de Galère.
II. — Attaques insidieuses de Maximin contre le christianisme.
Partage des États de Galère entre Maximin et Licinius - Écroulement
de l’œuvre politique de Dioclétien - Sa fille Valérie, veuve de Galère,
persécutée par Maximin - Maximin prohibe de nouveau les assemblées
chrétiennes - Voyage de Maximin dans les provinces - Théotecne, curateur d’Antioche, organise un pétitionnement
des villes contre les chrétiens -Complicité de Maximin dans ce mouvement - Texte
de la pétition de la ville d’Aricanda - Réponse de Maximin à la ville de
Nicomédie - Réponse de Maximin à la ville d’Aricanda - Son message aux
habitants de Tyr - Véritable sermon païen - Texte du message - Théotecne
institue le culte et l’oracle de Jupiter l’Ami - L’oracle demande l’expulsion
des chrétiens - Elle est ordonnée par de nombreux arrêtés municipaux - Persécution
hypocrite et non sanglante - Maximin précurseur de Julien - Il cherche à
créer un clergé païen - Organisation de ce clergé - On lui donne des pouvoirs
de police contre les chrétiens.
III. — Dernières calomnies et persécution ouverte.
Maximin essaie de noircir les chrétiens - Publication de faux
Actes de Pilate - Ils sont partout affichés ou lus publiquement - On les rend
obligatoires dans les écoles - Des femmes de mauvaise vie sont contraintes
par la menace à calomnier les mœurs chrétiennes - Maximin recommence
ouvertement la persécution - Il attaque surtout les évêques et les docteurs -
Martyre de Pierre d’Alexandrie, de Faustus et d’Ankmonius, des évêques
égyptiens Hesychius, Pachumius et Théodore, de Méthode, évêque de Tyr ou de
Patare, de Lucien, prêtre d’Antioche, de Basilisque, évêque de Comane, de
Silvain, évêque d’Éphèse, de Cyr, Jean et plusieurs femmes - Saint Antoine
encourage les fidèles d’Alexandrie - L’empire de Maximin est ravagé par la
famine et dévasté par la peste - Charité des chrétiens - Changement de l’opinion
en leur faveur - Guerre de Maximin contre l’Arménie chrétienne - Défaite du
persécuteur.
CHAPITRE X. — LA BATAILLE DU PONT MILVIUS ET L’ÉDIT DE MILAN
(312-313).
I. — La bataille du pont Milvius (312).
Rapports de Maxence avec les chrétiens d’Afrique - Les
propriétés de l’Église romaine sont restituées au pape Miltiade - Le corps du
pape Eusèbe est rapporté de l’exil - Sa crypte au cimetière de Calliste - Autre
martyr transporté dans ce cimetière – Cependant des chrétiens souffrent des
grossières passions de Maxence - Mort héroïque de Sophronie - Maxence jaloux
de son beau-frère Constantin - Il lui déclare la guerre, sous prétexte de
venger Hercule - Constantin s’allie à Licinius - Superstitieuses terreurs de
ses soldats au moment de marcher contre Rome - Idées religieuses de
Constantin - Réflexions plus profondes - Prière au vrai Dieu - Sincérité du
récit d’Eusèbe - Vision de Constantin - Version païenne de cet événement, qui
en confirme la réalité - Le labarum - Cet étendard peut être accepté de tous
- Campagne de Constantin en Italie - Mauvaise manœuvre de Maxence - Bataille
du pont Milvius - Défaite et mort de Maxence - Entrée triomphale de
Constantin dans Rome - Modération de sa conduite - Faveur montrée aux
chrétiens - Réjouissances officielles - L’arc de triomphe et son inscription
- Enthousiasme des particuliers et des provinces - Joie des Africains - Constantin
se fait représenter tenant la croix - Hommages discrets des chrétiens de Rome
- Le monogramme constantinien dans les catacombes.
II. — L’édit de Milan (313).
Constantin oblige Maximin à cesser la persécution - Maussade
rescrit de Maximin - il ne trompe ni les chrétiens ni Constantin - Rencontre de
Constantin et de Licinius à Milan - Mariage de la sœur de Constantin avec
Licinius - Dioclétien refuse d’y assister - Lettre menaçante de Constantin - Mort
de Dioclétien - Constantin et Licinius s’occupent d’établir la paix
religieuse - Raisons de substituer un nouvel édit à celui de Galère - La
première partie de l’édit de Milan - Liberté de conscience accordée à tous, mais
profitable surtout aux chrétiens - La seconde partie de l’édit de Milan - Restitution
des biens ecclésiastiques, mêmes aliénés - L’Église reconnue par l’État comme
société indépendante.
III. — La fin de Maximin.
Maximin menace les États de Licinius - Il se fait le champion
du polythéisme - Prière monothéiste dictée par Licinius à ses soldats - Défaite
de Maximin près d’Héraclée - Licinius affiche à Nicomédie l’édit de Milan - Maximin,
réfugié en Cilicie, se décide à faire un édit en faveur des chrétiens - Texte
de l’édit - Réflexions d’Eusèbe - Marche de Licinius vers Tarse - Maximin s’empoisonne
- Cruelles représailles de Licinius - Exécution de la femme, des enfants, des
principaux officiers de Maximin.
CHAPITRE XI. — CONSTANTIN ET LICINIUS (313-323).
I. — La politique religieuse de Constantin.
Renaissance chrétienne - Basiliques nouvelles - Nécessité de
poser des règles pour la rentrée des tombés dans l’Église - Canons du concile
d’Ancyre - État des esprits en Afrique - Cécilien succède à Mensurius sur le
siège de Carthage - Félix, son consécrateur, accusé d’avoir été traditeur –
Schisme des donatistes - Faveurs accordées par Constantin au clergé
catholique - Ses lettres reconnaissent la légitimité de Cécilien - Cette
légitimité proclamée par le concile de Rome - L’innocence de Félix prouvée
par une enquête judiciaire - Nouvelles protestations des donatistes - Impatience
de Constantin - Il convoque le concile d’Arles - Jugement d’Arles conforme à
celui de Rome - Canons transmis au pape Silvestre pour être promulgués - Questions
d’ordre civil et social résolues par les canons - Suite de l’histoire des
donatistes - Les évêques catholiques ne demandent pas le châtiment de leurs
adversaires - Même douceur des évêques pour les païens - Progrès de la
législation romaine sous l’influence des conseillers ecclésiastiques de
Constantin - Plaintes des païens - Rien n’est changé cependant à la situation
légale du paganisme - Constantin garde le titre de Pontifex Maximus - Ses
motifs - Ce titre lui permet de faire la police du culte païen - Lois en
interdisant l’exercice secret, en autorisant l’exercice public - Destruction
d’un petit nombre de temples, où la morale était outragée. - Suppression des
sacrifices offerts officiellement par les magistrats et les généraux - La politique
de Constantin à l’égard du culte païen peut se résumer par ces mots :
tolérance et publicité - Les païens et les chrétiens : martyre de sainte
Salsa.
II. — La persécution de Licinius.
Courte rupture et réconciliation des deux empereurs - Leur
accord jusqu’en 324 - Changement dans la politique religieuse de Licinius - Conduite
tortueuse à l’égard des chrétiens - Interdiction aux évêques de sortir de
leurs diocèses et de se réunir - Interdiction aux hommes et aux femmes de se
trouver en même temps dans les églises - Interdiction aux évêques et aux prêtres
de donner l’enseignement religieux aux femmes - Défense aux chrétiens de
célébrer leur culte autrement qu’en plein air - Expulsion des chrétiens du
palais - Épuration de la magistrature - Tous les employés des tribunaux et
des préfectures obligés de sacrifier sous peine de révocation - Nouvelle
confiscation du patrimoine ecclésiastique - Chrétiens condamnés à l’exil à la
relégation aux mines, à la servitude pénale, au soin des ménageries impériales
- Confiscation de leurs biens - Chrétiens inscrits parmi les curiales - Les
évêques soupçonnés d’être favorables à Constantin - Horrible supplice infligé
à plusieurs prélats - Martyre de Basile, évêque d’Amasée - Les confesseurs
Paul, évêque de Néocésarée, et Théodote, évêque de Ceraunia - Martyre des
diacres Ammon et Abibe - L’idolâtrie imposée aux soldats - Réponse d’Hadrien
- Martyre de Théogène - Martyre de Sévérien, Eudoxe, Agape - Les quarante
martyrs de Sébaste - Dureté envers les prisonniers – Apostasies - Martyre de
saint Gordius - Guerre entre Constantin et Licinius - Contraste des deux
armées - Discours païen de Licinius - Il est défait à Andrinople - Tentative
de réconciliation, puis reprise d’hostilités - Nouvelle défaite à Chrysopolis
- Mort de Licinius.
III. — Les derniers édits de paix religieuse.
Édit de 323, effaçant les traces de la persécution de Licinius
- Lettre de Constantin accordant des subsides aux évêques - inquiétudes des
païens - Proclamation de Constantin à ses sujets - Récit autobiographique –
Prière - Tolérance promise aux païens - Second passage répétant cette
promesse – Conclusion.
APPENDICE — Le martyre de la Légion Thébéenne
INTRODUCTION — LES SOURCES DE L’HISTOIRE DES PERSÉCUTIONS.
Ces deux volumes terminent la série des études que j’ai
consacrées aux persécutions souffertes par là primitive Église. lis vont de l’année
285, date de l’avènement de Dioclétien, jusqu’à l’année 323, où, après avoir
consommé par la défaite du persécuteur Licinius la victoire politique du christianisme,
Constantin commença de régner seul.
Plus que toute autre période de, l’histoire des
persécutions, ces quarante années sont remplies d’événements. C’est la crise
suprême, pendant laquelle l’Empire païen, ennemi séculaire de l’Église,
semble avoir réuni toutes ses forces pour l’accabler. Celle-ci n’a pas à
faire face à un empereur seulement, mais à quatre empereurs, unis pour
légiférer contre elle, séparés ensuite afin de la mieux envelopper et de l’attaquer
de toutes parts. Telle est du moins la conséquence naturelle du système
politique fondé par Dioclétien. Mais, comme on le verra, par une disposition
miséricordieuse de la
Providence, cette conséquence ne se produisit pas tout
entière. Bien que les édits de persécution fussent publiés au nom de là
tétrarchie, les empereurs ne se montrèrent pas unanimes à les exécuter.
Pendant que deux au moins dirigeaient la persécution avec le plus cruel
fanatisme, un autre, tout en suivant leur exemple, laissait voir quelque
lenteur ou quelque regret dans l’exécution, un quatrième enfin se tenait à l’écart,
et, dans la mesure du possible, épargnait le sang de ses sujets chrétiens.
Bientôt la tétrarchie elle-même tombe en ruines ; l’abdication volontaire ou
forcée des uns, l’avènement de nouveaux souverains, les rivalités, les
alliances et les guerres intestines, les tragédies domestiques, renversent l’édifice
laborieusement élevé par Dioclétien. Tantôt six empereurs sont en présence,
tantôt trois, ou deux seulement. Dès lors, la lutte contre l’Église échappe à
toute direction. De générale, la persécution devient locale. Les fidèles sont
en paix dans l’Occident, tandis que les souffrances de leurs frères se
prolongent en Orient. Cependant, la fin de la crise s’annonce à des signes
certains. Frappés, par la maladie ou contraints par des nécessités
politiques, les persécuteurs signent de premiers édits de tolérance. Un acte
de réparation plus solennel et plus complet marque la victoire de Constantin
en Italie, et fait sentir ses effets jusqu’aux extrémités de l’Orient. Dès
lors la guerre est finie : le christianisme l’emporte. L’édit de Milan
devient la charte de ses libertés futures. Lorsque, quelques années après y
avoir concouru, Licinius tentera de le déchirer, Constantin châtiera comme un
rebelle ce dernier ennemi de l’Église, et promulguera un nouvel édit de
tolérance, non plus en faveur de celle-ci, mais en faveur des païens vaincus.
Il ne pouvait proclamer plus clairement le triomphe du christianisme, ni
mieux s’inspirer de son esprit.
Telle est, résumée dans ses grandes lignes, la période que
j’entreprends de raconter. A travers ces indications générales, on aperçoit
sans peine la multitude des détails. A aucune époque de l’Empire romain, pas
même à ce moment du troisième siècle auquel reste attaché le nom des trente tyrans, les mouvements politiques ne
furent aussi nombreux, aussi rapides, aussi fertiles en péripéties imprévues.
J’ajoute qu’à aucune époque de la vie de l’Église primitive le contrecoup de
ces mouvements ne se fit autant sentir. Ainsi s’expliquera la grande place
que l’histoire politique va tenir dans nos récits. Elle n’y sera nulle part
un hors-d’œuvre, parce que les incidents qui la composent ont sans cesse
influé sur le sort des chrétiens, sur la vivacité ou le ralentissement de la
dernière guerre entreprise contre eux. Plus encore qu’aux époques
précédentes, l’histoire de l’Église se confond avec l’histoire de l’Empire romain
: elle en est inséparable pendant la lutte, et ne s’en distinguera plus après
la victoire ; car les rôles alors se trouveront renversés, et le souverain
qui aura été si étroitement associé au triomphe du christianisme ne pourra
plus être qu’un empereur chrétien.
Cette nécessité d’une allusion continuelle aux événements
politiques fait comprendre l’étendue que j’ai dû donner à la dernière partie
de mes études sur les persécutions. Tant que l’Église vécut à demi ignorée de
l’État, comme aux deux premiers siècles, son histoire particulière, peu mêlée
(en apparence)
aux mouvements de l’histoire générale, a pu être racontée brièvement. Au
troisième siècle, déjà, il n’en est plus de même : sur la scène où s’agitent
les destinées du monde, l’Église est passée au premier plan ; la conduite à
tenir vis-à-vis d’elle est devenue l’une des plus graves et des plus actives
préoccupations des souverains, et chacun des incidents de la vie politique, si
troublée à cette époque, a eu de l’influence sur les alternatives de paix et
de persécution entre lesquelles ont été ballottés les chrétiens. A plus forte
raison en est-il ainsi dans la période où nous entrons. Pendant les premières
années du quatrième siècle la question religieuse n’est pas seulement la plus
importante, elle est presque la seule. Il semble que, sur la scène devenue
vide de tous autres acteurs, il n’y ait plus en présence que l’Empire païen,
et l’Église. L’Empire a pris celle-ci corps à corps, comme dans un duel : dès
lors aucun de ses mouvements n’est indifférent ; chacun peut infliger une
blessure ou révéler une faiblesse. Ainsi s’expliquera l’attention de l’historien
à ne négliger aucun détail, à s’étendre longuement sur le caractère des
princes, à noter les variations les plus fugitives de leur politique, et
jusqu’aux accidents de leur santé : rien de tout cela, dans ce combat
suprême, ne fut sans effet sur le sort des chrétiens.
Mais je n’ai donné qu’une des raisons du développement qu’a
dû recevoir cette étude, ou plutôt du défaut de proportion qu’elle offrira si
l’on compare ces deux volumes, destinés à raconter à peine un demi-siècle,
avec les trois volumes dans lesquels ont été déjà retracées les épreuves de l’Église
chrétienne pendant deux siècles et demi. La principale cause - et sans doute
la meilleure excuse - de ce péché contre le bon équilibre de la composition
historique est l’abondance des sources qui s’offrent maintenant à nous.
On me permettra de parler de celles-ci avec quelque détail,
et de faire de leur examen l’introduction de ce livre. Peut-être même l’indulgence
du lecteur m’autorisera-t-elle à donner plus d’ampleur à ce travail
préalable, en rappelant d’abord le nombre et la nature des documents qui
aidèrent à retracer l’histoire des persécutions précédentes. Le rapide résumé
de notions déjà en partie connues lui rendra plus aisé de comprendre,
ensuite, le caractère propre et la richesse exceptionnelle des matériaux qui
nous restent à mettre en œuvre. J’ai même l’illusion de penser que plusieurs
de ceux qui ont bien voulu m’accepter jusqu’ici pour guide retrouveront avec
quelque intérêt les principaux jalons qui marquèrent d’abord notre route et
nous aidèrent à nous diriger, à travers une multitude de noms et au milieu de
traditions souvent confuses, jusqu’à ce seuil de la dernière persécution, où
nous sommes arrivés aujourd’hui.
— I —
Si l’on n’a pas tout à fait oublié le récit des
persécutions qui sévirent aux deux premiers siècles, on se rappellera que les
sources de leur histoire sont relativement peu nombreuses. En dehors des
livres inspirés du Nouveau Testament, et de quelques écrits exceptionnels,
comme la Didaché
récemment découverte, ou le Pasteur, la littérature ecclésiastique
était à peine née : l’effort de la pensée chrétienne se portait surtout vers
l’enseignement oral, par la prédication ou la catéchèse ; quand ses
représentants les plus illustres prenaient la plume, c’était pour composer
des ouvrages de circonstance, comme les épîtres de Clément, d’Ignace, de
Polycarpe, ou les mémoires adressés aux empereurs par les apologistes. Ces
derniers écrits ne prouvent pas seulement la persécution, contre laquelle ils
élèvent une plainte éloquente : ils font plus, ils en donnent la vive image,
l’impression douloureuse ; leurs pages semblent parfois mouillées de sang.
Mais (à part un
passage de la seconde Apologie de saint Justin) ils ne s’arrêtent
point aux incidents particuliers, et ne nomment aucun des héros chrétiens
qui, payèrent leur foi de leur .vie. Cette discrétion des persécutés se
retrouve plus grande encore, et pour des motifs assurément moins louables,
chez les persécuteurs. Même dans les deus lettres célèbres échangées entre
Pline et Trajan au sujet des chrétiens, et qui supposent l’existence de
nombreux martyrs, aucun nom n’est relaté. Le reste de la littérature profane
ne supplée pas au silence de ce document capital : un alinéa de Tacite,
quelques mots obscurs de Dion Cassius et de Suétone, une allusion railleuse
du satirique Lucien, laissent seuls voir que les grands écrivains de l’antiquité
romaine ont entendu parler des souffrances des fidèles.
Si l’on veut obtenir sur ceux-ci des renseignements
détaillés, il faut ouvrir les Actes ou Passions des martyrs. Mais, aux deux
premiers siècles, ceux de ces documents, qui paraissent authentiques et
contemporains sont bien rares : à peine en pourrait-on compter cinq ou six.
Pour le plus grand nombre des chrétiens dont’ les martyrologes ont enregistré
les noms entre les règnes de Néron et de Commode, on est, semble-t-il, réduit
aux renseignements tirés d’Actes de foi douteuse dans les détails ou de
rédaction vague dans l’ensemble. Heureusement ces sources troublées
elles-mêmes, charrient un peu d’or sous une multitude de scories. Les
diverses sciences auxiliaires de l’histoire, et en particulier l’archéologie,
servent de pierre de touche pour le reconnaître.
J’ai exposé dans l’introduction d’un des précédents
volumes[1], à la suite de M.
de Rossi et de M. Le Blant, le parti très fécond et très sûr que l’on peut
tirer. de ces sciences dans le but soit de justifier des traditions
contestées à tort, soit de dégager d’Actes suspects ou de documents mal
compris les éléments anciens et les faits exacts. Pour ne rappeler qu’un
petit nombre d’exemples, les données plus ou moins confuses relatives aux
Flaviens chrétiens, au martyre de leurs serviteurs Nérée et Achillée, d’Hermès,
d’Alexandre, de Quirinus, n’ont-elles pas été vérifiées par la reconnaissance
de leurs cimetières ou de leurs sépultures ? l’histoire de sainte Symphorose
n’est-elle pas appuyée par les monuments ? celle de sainte Félicité et de ses
fils, de sainte Cécile et de ses compagnons, ne sont-elles pas écrites en
caractères visibles dans le sol romain ? Si cette méthode avait encore besoin
d’être justifiée, elle aurait reçu dans ces derniers temps une confirmation
éclatante, par une découverte qui vient ajouter une nouvelle page à l’histoire
des persécutions du premier siècle. En déblayant, dans la catacombe de
Priscille, une crypte restée ensevelie, d’heureux coups de pioche ont mis en
même temps en lumière le sens obscur de deux phrases de Dion Cassius et de
Suétone, et révélé, avec une évidence presque complète, non seulement le
christianisme d’une famille patricienne au temps de Domitien, mais le martyre
de son chef, le célèbre consul Acilius Glabrio[2].
On le voit, même pour cette période, la pauvreté des
documents n’est que relative : l’expérience du passé permet de croire que les
entrailles de la terre contiennent encore des trésors enfouis. Cependant,
quand l’historien des persécutions, après avoir étudié les rapports de l’Église
et de l’État pendant l’époque des Césars, des Flaviens et des Antonins,
touche enfin au troisième siècle, son impression est, à bien des égards,
semblable à celle du voyageur qui, d’une plaine déserte, arriverait presque
sans transition aux portes d’une grande cité, pleine d’hommes et de
monuments. C’est que maintenant la littérature chrétienne est née : elle a
appris à parler latin ; elle s’exprime, avec une égale aisance, dans la
langue du peuple-roi et dans celle des Églises orientales. Ses écrits ne sont
plus de courts opuscules composés pour des initiés, ou des mémoires
apologétiques destinés aux seuls empereurs ; mais des ouvrages étendus, dans
lesquels se reflètent, avec la doctrine chrétienne, les idées et les
événements du temps. Moins contemplative en Occident que dans les pays de
civilisation grecque, cette littérature est toute pratique avec Tertullien et
saint Cyprien. L’œuvre apologétique tient encore une grande place dans les travaux
du premier, de même que les épîtres, pastorales ou autres, dans ceux du
second ; mais, sous la main du puissant polémiste, l’apologie a brisé son
cadre étroit, et porte hardiment devant la foule les débats autrefois
réservés aux oreilles des souverains, tandis que les lettres de saint
Cyprien, si nombreuses, si variées, parlant de tant d’hommes et touchant à
tant d’intérêts, semblent un miroir animé du temps où il a vécu. Les seuls
écrits de ces deux docteurs latins sont, pour l’histoire des persécutions du
troisième siècle en Occident, une source tellement abondante, qu’on pourrait
presque écrire cette histoire sans l’aide d’autres documents. Les ouvrages
des docteurs orientaux ne paraissent pas, à première vue, aussi mêlés aux
affaires du monde, et se tiennent plus renfermés dans les hautes spéculations
du sanctuaire et de l’école ; cependant, la présence de la persécution se
fait sentir aussi dans leurs pages sereines, comme l’ombre de hideux reptiles
se dessine quelquefois sous le cristal d’une eau limpide. Il est question de
la conduite à tenir pendant la persécution, des souffrances des chrétiens, de
la destruction des églises, dans les Stromates de Clément d’Alexandrie,
dans le livre d’Origène contre Celse, et jusque dans son traité des
Principes : ce dernier docteur a même écrit, à propos de l’arrestation d’un
de ses amis, une Exhortation aux martyrs. Tous les ouvrages de saint
Denys d’Alexandrie ont péri, ou ne sont plus représentés que par des
fragments ; mais on sait qu’il avait composé, lui aussi, un traité du
Martyre ; et les lettres de ce disciple d’Origène, conservées par Eusèbe
avec tant de morceaux précieux du troisième siècle, donnent des épreuves des
fidèles, pour l’Orient, une image presque aussi complète que les épîtres de
saint Cyprien pour l’Afrique et l’Italie.
Ajoutons que l’histoire de ces grands hommes se confond
avec celle des persécutions elles-mêmes. A peu d’exceptions près, nous ne
connaissons guère des martyrs les plus incontestables du premier ou du second
siècle que leur mort héroïque ; au contraire, nous pouvons faire la
biographie des principaux docteurs du troisième. Clément d’Alexandrie émigre
pendant la persécution de Septime Sévère ; fils et instituteur de martyrs,
Origène souffre de la même persécution, assiste à celle de Maximin, et
confesse la foi pendant celle de Dèce ; Denys voit l’émeute dirigée contre
les chrétiens d’Alexandrie sous Philippe, est arrêté une première fois sous
Dèce, jugé et envoyé en exil sous Valérien ; Cyprien, du fond de sa retraite,
gouverne son Église persécutée par Dèce, soutient le courage des fidèles de
Carthage pendant la courte tempête qui éclate sous Gallus, est arrêté et condamné
à l’exil en vertu du premier édit de Valérien, arrêté de nouveau et mis à
mort en vertu du second édit du môme persécuteur. J’ai dit que les écrits des
docteurs du troisième siècle suffiraient à faire connaître les persécutions
de cette époque ; mais la plupart de ces témoins furent aussi des acteurs, et
leur biographie seule fournirait, si tout, le reste avait péri, les traits
essentiels du tableau.
D’autres renseignements encore viennent le compléter.
Comme pour les deux premiers siècles, l’histoire profane est à peu près
muette : je n’y vois guère à noter qu’une phrase de Spartien sur l’édit par lequel
Sévère prohiba la propagande chrétienne. Mais, comme ces deux siècles encore,
le troisième a quelques bons Actes de martyrs : on en peut citer de tout à
fait sûrs pour l’Espagne, l’Asie et l’Afrique. Ce dernier pays, en
particulier ; en offre d’excellents. L’Afrique n’ayant
point eu d’écrivains ecclésiastiques au moyen âge, on n’y saurait rencontrer,
dit un savant que nous aurons l’occasion de citer souvent dans cette étude
préliminaire, ces élucubrations amplifiées, embellies, pour ne rien dire de
plus, dont abonde, en nos pays, la littérature hagiographique. De plus, les
usages de la liturgie, dans l’Église africaine, autorisaient la lecture
publique des Actes des martyrs, le jour de leur fête, à la messe solennelle.
Cette circonstance ne put manquer d’appeler l’attention des autorités
ecclésiastiques sur des pièces auxquelles on attribuait dans la liturgie une
place réservée ailleurs, à Rome par exemple, aux seuls livres de l’Écriture
sainte. Placés ainsi sous un régime spécial de surveillance, défendus contre
l’imagination et la rhétorique des amplificateurs du moyen âge, les Actes des
martyrs africains nous sont parvenus en meilleur état que les autres[3]. Si peu
nombreuses qu’elles soient, ces pièces excellentes forment comme le type
duquel se rapprochent ou s’écartent des Actes moins bons, et qui aide, par la
comparaison, à démêler en ceux-ci les qualités et les défauts, à séparer des
éléments parasites les parties vraisemblables, à faire le départ entre la
tradition et la légende.
D’ailleurs, pour le troisième siècle comme pour les deux
premiers, les pièces les plus gâtées ont bien souvent sur quelque point l’appui
des monuments, soit qu’ils subsistent encore, soit qu’ils aient été vus par
les pèlerins qui visitèrent les catacombes alors que les tombeaux des martyrs
étaient encore intacts. Les itinéraires rédigés à l’usage de ces pèlerins[4] et les recueils
épigraphiques compilés par eux[5] ont été révélés
au monde savant par les lumineux travaux de M. de Rossi : Rome, à partir du
troisième siècle la plus dénuée d’Actes authentiques, nous apparaît
cependant, grâce à ces documents, la ville la plus riche en saints tombeaux :
selon l’expression du poète Prudence, qui, pour l’intelligence comme pour la
date, mérite le premier rang parmi les visiteurs des antiques cimetières, on
y voyait ces tombeaux partout sortir de terre., fleurs germées des ossements
des martyrs :
Vix
fama nota est, abditis
Quam
plena sanctis Roma sit,
Quam
dives urbanum solum
Sacris
sepulcris floreat[6].
Beaucoup de ces tombes donnaient seulement à lire le nom
de glorieux témoins du Christ : jusqu’à nous sont venues de courtes
inscriptions, contemporaines de l’inhumation du martyr et lui attribuant ce
titre, comme celles du pape Corneille, du pape Fabien, des saints Protus et
Hyacinthe, Calocerus et Partenius. D’autres tombes portaient une épitaphe
plus développée : aut nomen, aut epigramma aliquid,
dit encore Prudence[7]. On n’a presque
pas d’exemples d’éloges funèbres rédigés au temps même de la
persécution : cependant, après l’inscription en prose relative à des
martyrs de Marseille certainement antérieurs au troisième siècle, qui vim ignis passi sunt, on pourrait citer,
pour cette dernière époque, le petit poème gravé sur le marbre sépulcral de
la chrétienne Zosime, à Porto, œuvre émue d’un contemporain, peut-être d’un
témoin de son martyre[8]. Toutes les
autres epigrammata un peu détaillées (je parle seulement ici de
celles qui ont trait aux martyrs) sont postérieures à la paix de l’Église.
Les plus connues ont pour auteur saint Damase, né en 305, avant la fin de la dernière
persécution, et qui, devenu pape, consacra ses efforts à honorer la mémoire
des martyrs et des confesseurs romains, soit en recherchant leurs tombes,
soit en agrandissant les voies souterraines qui y menaient, soit en composant
des vers à leur louange. Quelquefois ces vers ont pour sujet des personnages
des deux premiers siècles, comme l’éloge des saints Nérée et Achillée : dans
ce cas, Damase ne saurait être considéré comme l’écho d’une tradition orale
et encore vivante ; il a pu cependant recueillir des documents écrits que
nous n’avons plus, ou s’inspirer de quelque ancien monument. Mais le plus
souvent les martyrs célébrés par Damase appartiennent à une époque moins éloignée
de son propre temps. Un grand nombre de ses compositions épigraphiques sont
consacrées à des victimes de Dèce ou de Valérien, antérieures d’un demi-siècle
seulement à la naissance du poète. On accordera qu’il a dû être ordinairement
bien renseigné, si l’on se souvient du soin, quelquefois attesté dans ses
vers mêmes, avec lequel il recueillait les traditions chrétiennes de Rome, et
si l’on songe que les marbres sur lesquels un ciseau d’une rare élégance
grava les poèmes un peu lourds de Damase ont souvent remplacé la décoration
plus simple de tombeaux primitifs, au sujet desquels ni l’oubli n’avait eu le
temps de se faire ni la légende n’avait eu le temps de naître.
La valeur historique des poèmes de Damase en l’honneur des
martyrs augmente naturellement à mesure que ceux-ci se rapprochent du temps
où il a vécu, et appartiennent à des persécutions dont il put dans son
enfance connaître les survivants. On verra, à propos de deux martyrs du
commencement du quatrième siècle, Damase mettre en vers le récit de leur
supplice, tel qu’il le recueillit, enfant, de la bouche du bourreau : percussor retulit mihi Damaso cum puer essem.
Une attestation de ce genre a sous sa plume d’autant plus de force, qu’avec une
sincérité bien remarquable il emploie, dans un petit nombre de ses poèmes,
des formules dubitatives, et nous avertit qu’il ne se porte pas garant
personnellement des faits. Mais le plus souvent,
remarque M. de Rossi, il raconte sans hésiter,
ou, pour mieux dire, fait allusion à des événements de notoriété publique.
Dans ses compositions, rien qui sente la légende ; les Actes des martyrs
écrits aux siècles suivants, dans leurs parties suspectes ou manifestement
fausses, n’ont rien de commun avec les notices recueillies ou attestées par
Damase. Si l’on compare, par exemple, son éloge de Nérée et Achillée avec
leurs Actes apocryphes ; l’éloge de Saturnin avec ce que racontent de ce
martyr les Actes de saint Cyriaque et du pape Marcel ; l’éloge de ce dernier
avec ses Actes ; l’éloge du pape Eusèbe avec les détails légendaires donnés
sur lui au Liber Pontificalis : on verra clairement que les poèmes
épigraphiques de Damase sont absolument distincts des récits apocryphes qui
eurent cours à Rome vers la fin du cinquième siècle et les premières années
du sixième[9].
Les épigraphes damasiennes et les autres inscriptions de
même famille peuvent être comptées parmi les documents archéologiques ; car
si elles nous ont été transmises dans les nombreux sylloges épigraphiques
compilés par les pèlerins, les voyageurs et les érudits du septième au
quinzième siècle, elles ne sont pas connues, cependant, grâce aux seuls
manuscrits : les originaux ou au moins d’importants fragments de beaucoup d’entre
elles ont été découverts de nos jours soit dans les cryptes qu’elles ornaient
primitivement, soit dans les églises où elles avaient été transportées après
l’abandon des cimetières souterrains. Mais une autre classe de documents, qui
n’appartient plus à l’archéologie monumentale, vient aussi nous renseigner
sur les persécutions, en éclairant, complétant ou suppléant les Actes des
martyrs, parfois en montrant la trame primitive sur laquelle leur légende a
été brodée : ce sont les écrits en forme de catalogues, de chroniques et
de calendriers.
Ils remontent jusqu’aux origines de l’Église, comme en
témoignent par exemple, pour Rome, les listes épiscopales conservées par divers
auteurs du second siècle[10]. Dès la fin de
ce même siècle ou le commencement du troisième, Tertullien fait, dans un fier
langage, allusion aux fastes chrétiens,
c’est-à-dire aux catalogues de pontifes ou de martyrs établis de manière à
fournir des repères chronologiques[11]. Personne n’ignore
l’importance attachée par l’Église primitive à la célébration des
anniversaires des martyrs : la trace s’en retrouve jusque dans la très
ancienne, relation des chrétiens de Smyrne sur le martyre de saint Polycarpe.
Une épître de saint Cyprien montre que le calendrier de son Église, tenu pour
ainsi dire au jour le jour, existait depuis longtemps : parlant du lecteur
Celerinus, qui s’illustra dans la persécution de Dèce, il rappelle que son
aïeule Celerina, ses oncles Laurent et Ignace, sont déjà l’objet d’une
commémoration publique au jour anniversaire de leur martyre. S’ils n’avaient
été cités par saint Cyprien, ces noms de trois martyrs antérieurs à son temps
seraient demeurés inconnus, car ils ne sont donnés par aucun document
indépendant de sa lettre[12]. C’est donc un
lambeau du primitif martyrologe de Carthage que l’évêque du troisième siècle
fait passer sous nos yeux. Mais une autre lettre le montre occupé lui-même de
continuer ce martyrologe, en enregistrant, à leur date, les noms des membres
de son Église qui mouraient de son temps pour le Christ. Écrivant, pendant la
persécution de Dèce, aux dignitaires de son clergé, il leur recommande de noter les jours où périssent les prisonniers chrétiens,
afin que leur commémoration puisse être célébrée parmi les mémoires des
martyrs. Les laïques eux-mêmes s’associaient, dans cette œuvre, à
l’évêque et aux clercs : saint Cyprien nous apprend qu’un pieux fidèle l’informait,
pendant son absence, de la date où mourait chacun des confesseurs détenus
dans les prisons de Carthage (Ep. 37).
A peu près vers le même temps où nous assistons, pour
ainsi dire, à la rédaction des fastes martyrologiques, on voit naître en
Occident une autre branche de la littérature chrétienne, qui poussera des
rameaux jusqu’à une époque avancée du moyen age, et deviendra une des formes,
à la fois ambitieuse et naïve, de l’histoire, en attendant de fournir à Bossuet
l’occasion d’un chef-d’œuvre. Dès la première moitié du troisième siècle,
Jules Africain, dans une Chronique dont il subsiste à peine quelques
fragments, tenta de tracer le tableau parallèle des annales sacrées et
profanes du monde, en indiquant la date des principaux événements. A la même
époque un autre docteur, célèbre par sa science, sa grande activité
intellectuelle, peut-être ses erreurs de doctrine ou de conduite réparées par
l’exil et par le martyre, entreprit aussi une vaste compilation d’histoire et
de chronologie. Sur le siège de la statue de saint Hippolyte (aujourd’hui au musée de
Latran) se lit, parmi les titres de ses compositions, celui d’une Chronique
dont le texte a été en partie conservé, et qui se termine au règne d’Alexandre
Sévère. La Chronique
d’Hippolyte contenait une liste des papes, et fut continuée, pendant vingt
ans, par de petites notices d’un auteur inconnu, qui donnent quelques
renseignements précieux sur les persécutions du troisième siècle, et forment,
de 235 à 254, comme un Liber Pontificalis anticipé[13].
— II —
Après les premières années troublées du quatrième siècle,
une ère nouvelle s’ouvre, dans laquelle le travail d’histoire chrétienne
ainsi poursuivi avec une héroïque ténacité sous le feu même de l’ennemi, va
recevoir, à la faveur de la paix, sa forme définitive.
Cependant, même à cette époque, la mise en œuvre des
documents rassemblés par les contemporains des persécutions sera moins facile
qu’on ne serait tenté de le croire. Comme on le verra dans les premiers chapitres
de ce livre, celle de Dioclétien commença par une mesure que n’avaient pas
connue les persécutions précédentes, c’est-à-dire la destruction des églises
et la confiscation de leurs manuscrits. Non seulement beaucoup de relations
authentiques de la Passion
des anciens martyrs, mais encore beaucoup de listes et de calendriers durent
périr dans l’incendie des édifices chrétiens ou dans les bûchers allumés pour
les livres sur les places publiques. Quant aux pièces relatives aux victimes
que firent bientôt les nouveaux édits, il fut probablement, dans bien des
cas, difficile de les recueillir ou de les conserver, car la plupart des
membres du clergé étaient en prison ou en fuite et les dépôts d’archives
ecclésiastiques avaient été anéantis. Telle est certainement une des causes
des lacunes que présentent, pour les persécutions antérieures et même pour la
dernière persécution, les documents rédigés après la paix. Ces omissions, qu’une
étude attentive permet de relever çà et là, doivent être beaucoup plus nombreuses
qu’il n’est possible aujourd’hui de le constater : sans tomber dans aucune
exagération, on peut évaluer à un chiffre considérable la foule anonyme des
martyrs inconnus et oubliés. Sur ce point, les efforts des conseillers de
Dioclétien ne demeurèrent pas vains : impuissant à arracher des apostasies,
il ne réussit que trop bien à abolir des mémoires : pour plus d’une des
victimes des persécutions on peut répéter avec le poète Prudence : fama et ipsa extinguitur[14], ou plutôt
redire la vieille formule inscrite sur les marbres et dans les calendriers : quorum nomina Deus scit.
Cependant la destruction des monuments chrétiens ne fut
pas partout poussée avec une égale rigueur elle semble avoir été moins
complète en Orient, où nous voyons à Césarée la bibliothèque fondée par
Origène et accrue par Pamphile, à Jérusalem la bibliothèque, instituée par l’évêque
Alexandre, survivre à la persécution. Dans les villes mêmes où la police fut
impitoyable, comme à Rome, quelques pièces purent certainement échapper au
naufrage. Nulle part la pénurie d’Actes authentiques n’est aussi grande que
dans cette capitale du monde chrétien, ce qui suppose, pour une Église d’une
telle importance et où les persécuteurs firent tant de victimes, l’anéantissement
presque complet de ses collections anciennes, en même temps qu’une brusque
interruption de sa vie régulière, empêchant de recueillir ou de classer de
nouvelles relations. Cependant, dès que la paix fut revenue, l’autorité
ecclésiastique put travailler avec succès à rassembler, en vue de la
renaissance du culte public, les renseignements sur les martyrs romains tant
de la dernière persécution que des persécutions précédentes. De nombreux
indices font reporter à l’épiscopat de Miltiade et à l’année 342, c’est-à-dire
au lendemain môme de la persécution de Dioclétien, la composition d’un
calendrier romain, aussi précis pour les indications topographiques que les
deux tables des Depositiones episcoporum et
martyrum publiées au milieu du quatrième siècle, mais beaucoup
plus riche en noms de martyrs : on reconnaît aisément les membra disjecta de ce calendrier dans la vaste
et confuse compilation du cinquième siècle connue sous le nom de martyrologe
hiéronymien[15].
Si bien enracinées pourtant que fussent à Rome les traditions locales, et si
fortement lié que le souvenir des martyrs demeurât aux cimetières où
reposaient leurs corps, le calendrier des premiers jours de la paix contient
bien des lacunes. Plusieurs portent sur des noms que leur illustration eût
dû, semble-t-il, sauver de l’oubli : par exemple Flavius Clemens, les
Domitilles, Acilius Glabrio, Liberalis, autre noble témoin du Christ, de date
inconnue, factus de consule martyr,
selon l’expression employée dans un des poèmes gravés sur sa tombe. Même le
pape Télesphore, dont saint Irénée célèbre le
glorieux martyre, saint Justin, dont on possède des Actes
authentiques, sont passés sous silence. Quand,
après la persécution de Dioclétien, furent rétablis le férial et le
calendrier de l’Église romaine, les pontifes et les martyrs du siècle précédent,
dont le souvenir était resté plus vivant, furent préférés à la plupart de
ceux qui appartenaient aux âges lointains, aux époques voisines des origines
apostoliques[16]. A plus forte
raison des oublis peuvent être signalés pour l’Italie centrale, où l’épigraphie
nous a révélé des noms omis par les fastes martyrologiques.
On doit attribuer à la période qui suivit immédiatement la
fin des persécutions (mais
en la plaçant dans des limites chronologiques moins précises et plus larges)
la formation, à Carthage, d’une liste de martyrs africains, qui se retrouve
aussi dispersée dans le martyrologe hiéronymien, dont elle forme un des
principaux affluents[17]. Son rédacteur
dut se trouver dans une situation relativement facile, car les archives de l’Église
de Carthage, très riches en mémoires détaillés sur les martyrs du troisième
siècle[18], avaient été,
sous Dioclétien, sauvées par une habile manœuvre de l’évêque qui occupait
alors le siège de saint Cyprien. Mais d’autres parties de l’Afrique
proconsulaire et des provinces voisines avaient vu de grandes destructions,
favorisées par la faiblesse d’évêques, de clercs et de laïques que l’histoire
a flétris du nom de traditeurs.
Ainsi s’explique en partie, peut-être, le vague des indications
topographiques conservées par le calendrier africain. Nous ajouterons que s’il
fut, comme tout porte à le croire, compilé à Carthage, les souvenirs ou les
documents de localités d’Afrique éloignées de cette métropole durent souvent
parvenir au rédacteur sous une forme confuse et incomplète : et telle est,
apparemment, une autre cause des lacunes que nous constatons dans le
calendrier en lisant, sur des marbres de Numidie ou de Mauritanie, des noms
de martyrs inconnus. Mais il faut, de plus, dire que la multitude des martyrs africains a nui, en ce
qui les concerne, à la précision des souvenirs. Dans le martyrologe
hiéronymien on en trouve presque à chaque page, débordant,
selon l’expression de M. Duchesne, sur ceux des autres pays, et créant
parfois des confusions difficiles à éclaircir. Tel était leur grand nombre,
qu’en beaucoup de villes d’Afrique un seul jour semble avoir été assigné à
une commémoration générale des martyrs de la localité[19].
Ces explications nécessairement très abrégées suffisent à
montrer l’antiquité et la pureté des sources primitives qui sont venues se
verser, comme autant d’affluents, dans les divers recueils martyrologiques
des siècles suivants, et d’abord dans le martyrologe hiéronymien ; où il est
possible de distinguer chacune d’elles et de reconnaître, pour ainsi dire, la
cou-leur de ses eaux. Pour l’Occident on y peut suivre, comme deux courants
distincts, le calendrier romain formé sûrement au commencement du quatrième
siècle et le calendrier africain dont la composition paraît flotter entre le
règne de Constantin et la première moitié du cinquième. Si la trace de fastes
recueillis ou reconstitués dès le lendemain de la dernière persécution dans
les autres contrées occidentales, comme l’Italie en dehors de Rome et de sa
banlieue, la Bretagne,
la Gaule, l’Espagne,
se laisse moins aisément démêler à travers les compilations postérieures[20], en revanche, le
martyrologe de l’Empire oriental du quatrième siècle y paraît avec beaucoup
de clarté et de relief. Ce document, dispersé (comme le calendrier romain et le calendrier
africain) dans le martyrologe hiéronymien, fut définitivement
constitué entre 363 (car
il nomme des victimes de la persécution de Julien) et 412, l’époque où
on l’abrégea en syriaque[21]. Mais, fait
remarquer M. l’abbé Duchesne, les dénominations
de provinces qui y sont employées correspondent plutôt à l’usage de la
première moitié du quatrième siècle qu’à celui de la fin ; entre les deux
dates extrêmes, de 363 à 412, nous devons songer beaucoup plus au voisinage
de la première qu’à celui dè la seconde. Il serait même possible de remonter
au delà de 363 ; car si le martyrologe oriental contient des victimes de la
persécution de Julien, on ne peut oublier que les martyrologes et les
calendriers sont des documents que l’on complète sans cesse ; il est donc
très possible que ces noms aient été ajoutés à une première rédaction[22]. Le savant
auquel j’emprunte ces lignes pense que le document oriental a été rédigé à
Nicomédie, considère comme certain qu’il a été
extrait en partie des œuvres martyrologiques d’Eusèbe, c’est-à-dire de son
recueil d’anciens martyria pour les temps antérieurs à Dioclétien, et
de son De martyribus Palestinæ pour les victimes de la persécution dé
Dioclétien dans la province de Palestine[23]. Cette
conclusion nous mène naturellement à l’homme qui, au quatrième siècle, a le
plus fait pour conserver’ le souvenir des martyrs, soit qu’il recueille l’écho
des anciennes traditions, soit qu’il fasse entendre la voix émue d’un témoin.
Arrêtons-nous un instant devant cette rare figure d’historien.
— III —
Eusèbe, né vers 260 en Palestine, passa toute sa jeunesse
et une partie de son âge mûr durant cette longue période de paix religieuse,
à peine agitée de troubles passagers, qui s’étend depuis la chute de Valérien
jusqu’à la dernière persécution, et dont il a peint avec des couleurs
peut-être trop chargées l’influence amollissante sur les mœurs des chrétiens
orientaux. Il était parvenu au milieu du chemin
de la vie, quand ce périlleux repos fut interrompu par une
soudaine tempête, destinée à être plus terrible et à durer plus longtemps en
Orient qu’en Occident. Il y assista, non en spectateur indifférent, mais en
témoin passionné. Dans cette Palestine où la persécution met tout en feu, où
le sang coule de toutes parts, ceux qui périssent ne sont pas seulement pour
lui des coreligionnaires, mais bien souvent des compagnons d’études, les plus
chers et les plus intimes amis. C’est dans sa maison qu’étudiait Aphien,
quand, entendant publier l’édit de persécution, cet angélique jeune homme se
leva indigné, et courut jusque dans le palais du gouverneur porter, au prix
de sa vie, la protestation de l’innocence chrétienne. Eusèbe était présent
quand la mer se souleva pour rejeter sur le rivage le corps du jeune martyr.
C’était encore un compagnon de ses travaux intellectuels, cet Edesius, frère
d’Aphien, qui, une première fois libéré des mines, reprit à Alexandrie la vie
d’étudiant, puis s’y arracha de nouveau pour reprocher à Hiéroclès les
outrages dont cet infâme magistrat accablait les vierges et les épouses chrétiennes.
Eusèbe était assis, frémissant, sur les gradins de l’amphithéâtre de Tyr,
quand des bêtes fauves se couchèrent dans l’arène aux pieds de condamnés
chrétiens, qu’il fallut achever par le glaive. Il visita les confesseurs aux
mines de Phænos, et nous a raconté l’impression que lui fit le lecteur
aveugle Jean. Il était dans la prison de Césarée avec le grand docteur, le
grand exégète, le père de son esprit et de son cœur, celui qu’il appelle mon maître Pamphile et dont il voulut joindre
le nom au sien : il aidait cet admirable prisonnier à copier, jusque dans les
fers, les manuscrits de l’Écriture sainte ou à écrire la Défense d’Origène
: il assistait probablement à son supplice, à celui du jeune Porphyre, d’esclave
devenu disciple et brûlé en habit de philosophe, au martyre de cette troupe d’hommes
de tout pays, de tout rang et de tout âge auxquels
la confession de Pamphile ouvrit toute grande la porte du ciel. De
la Palestine
il parait être allé en Égypte, terre cruelle où la persécution avait pris des
formes plus barbares encore et plus raffinées, qu’ailleurs ; il y fut témoin
de supplices épouvantables. C’est pendant ce séjour en Égypte qu’il fut, à
son tour, jeté en prison pour la foi : il en sortit à la suite d’un acte de
faiblesse, si l’on en croit ses adversaires. La conduite équivoque que
tiendra plus tard Eusèbe dans les affaires de l’arianisme ne suffit pas,
selon moi, à autoriser ce soupçon[24]. Il me paraît
beaucoup plus probable que le futur historien de l’Église recouvra sa
liberté, avec les autres confesseurs, quand l’édit de Galère les fit tous
sortir des cachots.
S’il en était autrement, on ne s’expliquerait pas que dans
sa ville de Césarée, où il était si connu, Eusèbe ait été élu évêque presque
au lendemain de son retour, ou du moins peu de temps après la paix. On s’expliquerait
moins encore l’ardeur avec laquelle il voulut rechercher les souvenirs et
honorer la mémoire des martyrs. Un renégat n’eût pas mis une telle passion,
une si vivante et si cordiale éloquence, à célébrer des hommes dont il n’avait
point osé imiter l’héroïsme, et dont la conduite était pour la sienne un
sanglant reproche ! Tel semble, cependant, avoir été l’un des premiers
travaux accomplis par Eusèbe, dès que le repos rendu à l’Église lui eut
permis de reprendre ses occupations littéraires. La Vie du martyr
Pamphile, malheureusement perdue, mais à laquelle il renvoie dans son livre
sur les Martyrs de la
Palestine, doit avoir suivi de bien près la fin de la
persécution. De sérieux indices portent à croire que les neuf premiers livres
de l’Histoire ecclésiastique furent écrits peu de temps après l’édit de
Milan, en 313, pour n’être complétés par un dixième et dernier qu’entre 323
et 325, après la rupture de Constantin avec Licinius : le récit de la
dernière persécution, qui remplit les livres huit et neuf, est plein d’une
émotion trop sensible et trop personnelle pour ne pas indiquer une conscience
libre de tout remords. Le caractère de mémoires personnels est plus sensible
encore dans l’opuscule sur les Martyrs de la Palestine, qui dut
être composé aussitôt après la première partie de l’Histoire ecclésiastique,
car dans le huitième livre de cette Histoire (ch. XIII). Eusèbe en annonce
le projet : il ne tarda sans doute pas à réaliser celui-ci, dans la double
forme où nous avons aujourd’hui son écrit, une rédaction plus étendue, connue
par des versions syriaques et par un petit nombre de fragments grecs, et l’abrégé,
conservé en grec, qui figure ordinairement dans les manuscrits entre les
huitième et neuvième livres de l’Histoire ecclésiastique[25].
Ces deux livres, joints à l’ouvrage sur les Martyrs de la Palestine, forment une
des sources les plus précieuses que nous possédions sur la persécution de Dioclétien
en Orient. Grâce à eux, nous pouvons en dessiner largement le cadre, et en
suivre le développement chronologique avec une suffisante précision :
spécialement pour la
Palestine, la marche de la persécution est indiquée année
par année. Sur l’histoire de l’Occident à la même époque, Eusèbe est à peu
près muet : il parle quelquefois des événements politiques qui agitèrent
cette moitié de l’Empire, mais il touche à peine aux événements religieux qui
s’y passèrent pendant les premières années du quatrième siècle. Il semble
que, comprenant toute la grandeur de la lutte suprême à laquelle il assista,
l’évêque de Césarée ne veuille plus parler que de ce qu’il a vu ou de ce qu’il
sait de première main, et craigne d’affaiblir sa déposition par le récit ou
le tableau de faits qui se passèrent loin des contrées où il habitait. Cette réserve,
qui nuit sans doute, au point de vue littéraire, à la composition souvent mal
équilibrée de son Histoire, en lui ôtant le caractère universel qu’elle
avait eu pour les temps antérieurs, ne peut, en revanche, que fortifier la
valeur documentaire de celle-ci : arrivé à son propre temps, l’historien s’efface
devant le témoin.
Pour les siècles, au contraire, qui ont précédé le sien,
Eusèbe se montre curieux et suffisamment informé des choses de l’Occident.
Les sept premiers livres de l’Histoire ecclésiastique ne contiennent
sans doute pas le tableau complet des persécutions qui, à diverses reprises,
affligèrent les fidèles, de Néron jusqu’à Dioclétien ; mais, l’auteur donne
souvent sur elles de précieux détails, qu’on chercherait vainement ailleurs,
et, surtout dans le récit des deux premiers siècles, apporte une attention
particulière aux faits et aux personnages de l’Église romaine ou même de
divers pays occidentaux. On sent, en le lisant, l’homme d’une érudition
universelle, bien que parfois mal digérée, qui eut à sa disposition, à
Jérusalem et à Césarée, les deux plus riches bibliothèques de l’antiquité
chrétienne. Lui-même reproduit plusieurs fois dans son Histoire des
fragments d’un grand recueil des anciennes Passions des martyrs (Συναγωγή
τών άρχαίων
μαρτυρίων) qu’il
avait formé et dont le texte intégral est malheureusement perdu. Cette
collection devait avoir une assez grande étendue, car elle contenait dans son
entier la lettre des chrétiens de Lyon et de Vienne sur les martyrs de la
persécution de Marc-Aurèle, avec divers documents relatifs au montanisme ; la Passion fort longue de
saint Pionius de Smyrne ; celle du martyr Apollonius de Rome, dans laquelle
figurait ira extenso, outre l’interrogatoire, tout un discours apologétique
prononcé devant le sénat ; apparemment la lettre de l’Église de Smyrne sur le
martyre de saint Polycarpe ; probablement aussi la Passion des saints
Carpos, Papylos, Agathonicé, découverte il y a quelques années par M. Aubé ;
et certainement beaucoup d’autres pièces originales. Par les traces que l’on
rencontre du recueil d’Eusèbe non seulement dans son Histoire ecclésiastique,
mais encore dans le martyrologe oriental du quatrième siècle[26], il est facile
de constater que l’attention de l’écrivain ne s’était pas exclusivement
portée sur les martyrs de l’Orient, et que des documents de premier ordre,
relatifs à ceux de l’Occident, avaient été rassemblés par ses soins.
En ce qui concerne l’histoire des persécutions, l’œuvre d’Eusèbe
se divise donc en deux parties nettement tranchées : pour les siècles qui ont
précédé son propre temps, il s’est efforcé de recueillir des renseignements (perdus malheureusement en
grande partie) sur les martyrs de l’Église universelle ; pour la
persécution à laquelle il assista (ό
xαθ’ ήμάς
διωγμός) il s’est borné
à noter les incidents ou les noms qui lui furent personnellement connus.
Cette observation, le soin avec lequel Eusèbe, dans tout
le cours de l’Histoire ecclésiastique, indique et distingue ses
sources, les nombreuses citations par lesquelles il nous a conservé tant de
fragments d’auteurs perdus, et qui font de certains livres de cet ouvrage
comme une continuelle mosaïque, suffiraient, s’il en était besoin, à garantir
la sincérité critique de l’écrivain. Le reproche contraire de Gibbon porte
vraiment à faux, car c’est précisément à propos de passages dans lesquels
Eusèbe déplore avec une grande véhémence les divisions et les chutes des
chrétiens que l’historien rationaliste l’accuse de jeter sur elles un voile
complaisant. Si quelquefois, pour les temps qui précèdent le sien, Eusèbe a
pu, comme Tertullien et d’autres écrivains des premiers siècles, accepter un
petit nombre de documents apocryphes, attribuer par exemple à des empereurs
-des pièces fausses qui couraient sous leur nom, on doit reconnaître que ces
erreurs sont, chez lui, extrêmement rares, et que, pour les événements qui
lui sont contemporains, il ne cite que des textes puisés aux sources
officielles. Au lieu d’en donner seulement la
substance, ou de les refaire entièrement, selon l’usage des autres historiens
de l’antiquité, il les transcrit tout entières, il prend plaisir à les
reproduire comme il les a trouvées. C’est ce qui rend si importante pour nous
son Histoire de l’Église, où il a
réuni tant de documents précieux ; sa Vie de Constantin est faite dans
le même esprit, et elle a pour nous le même genre d’intérêt. Plusieurs des
documents dont elle est pleine se retrouvent analysés ou reproduits dans
Lactance, dans saint Augustin, dans Optat de Milève, qui les ont empruntés
aux archives de l’État, et ils sont au-dessus de tous les soupçons. Il y en a
d’autres qui atténuent ou qui contredisent les affirmations d’Eusèbe, ce qui
montre bien qu’ils ne sont pas son ouvrage, car il n’aurait pas pris la peine
de les fabriquer pour se donner à lui-même un démenti[27].
Dans le livre dont on a lu tout à l’heure le nom, et qui a
Constantin pour héros, l’évidente partialité de l’historien pour le grand
empereur qui l’avait admis dans son intimité ne donne ouverture à aucun
soupçon de supercherie ou de mensonge. La Vie de Constantin, où nous aurons
à puiser bien des renseignements utiles, a été écrite après la mort de ce
souverain, ce qui est une première garantie de sincérité ; on doit même
remarquer, à l’honneur d’Eusèbe, que si les louanges qu’il donne à l’empereur
mort paraissent souvent excessives, elles sont beaucoup plus grandes dans ce
livre que dans ceux qu’il composa durant la vie de son maître et de son ami.
Eusèbe pèche souvent par prétérition : il n’invente pas le bien qu’il, met en
lumière, mais il cache les ombres et passe les fautes sous silence. Cependant
le caractère de Constantin ; tel qu’il se dégage de ce tableau, demeure vrai
dans les grandes lignes c’est ce qu’ont très bien établi M. Boissier dans les
articles dont j’ai cité plus haut un fragment, M. le duc de Broglie dans son
grand ouvrage sur l’Église et l’Empire romain au quatrième siècle et
dans une étude plus récente[28] ; c’est ce
que j’espère montrer moi-même dans les derniers chapitres de ce livre.
— IV —
Eusèbe n’est pas le seul écrivain dont le récit, plus ou
moins empreint du caractère de mémoires personnels, nous renseigne sur la
dernière persécution, les incidents politiques qui en accélérèrent ou en
retardèrent le cours, le caractère de ses auteurs et les souffrances
héroïquement supportées de ses victimes. Le livre de Lactance sur les Morts
des persécuteurs nous ouvre avec autant d’abondance et je ne sais quoi de
plus bouillonnant et de plus impétueux, une source de valeur égale sur la
suprême crise religieuse qui remplit les premières années du quatrième
siècle.
Bien que cet ouvrage décrive successivement la fin
tragique de tous les persécuteurs depuis Néron, il est cependant consacré
pour la plus grande partie à l’histoire de la persécution de Dioclétien :
celle-ci commence à être racontée au chapitre septième, et le livre en a
cinquante-deux. La véracité de Lactance a été contestée plus encore que celle
d’Eusèbe : avec raison, si l’on admet a priori que tout écrivain
passionné est nécessairement inexact ; à tort, si l’on croit que les haines
vigoureuses et les vigoureuses amours peuvent se concilier avec la ferme résolution
de rester vrai. Je ne prétends pas que, dans l’expression surtout, Lactance n’ait
jamais excédé, et que l’ardente invective ne rappelle souvent, chez lui, le
compatriote de Tertullien ; mais si l’on regarde l’un après l’autre ses
jugements sur les principaux acteurs de la dernière persécution, on s’étonnera
de reconnaître qu’ils sont le plus souvent conformes, dans l’ensemble ; avec celui
que portent des mêmes hommes les écrivains païens du quatrième siècle.
Parle-t-il de l’excessive timidité de Dioclétien, de sa peur de l’avenir, de
son avarice, de son commerce peu sûr, de sa cruauté, Lactance s’exprime comme
les Aurelius Victor et Eutrope. L’inquiète ambition de Maximien Hercule, son
influence mauvaise sur Dioclétien, son emportement, sa férocité, ses
exactions fiscales, sont appréciés par les mêmes auteurs aussi sévèrement que
par Lactance. Ce qu’il dit de la folie du premier, des débauches du second,
est confirmé par le témoignage non suspect de l’empereur Julien. Aurelius
Victor parle comme Lactance de l’ignorance et de l’orgueil de Galère. Les
qualités morales de Constance Chlore sont admirées par Eutrope autant que par
lui. L’insolence de Maxence envers son père, la haine dont il était l’objet
de la part de celui-ci et de Galère, sont rapportées par Aurelius Victor
presque dans les mêmes termes que par le rhéteur chrétien. Sur les faits, l’accord
est souvent aussi marqué que dans la peinture des caractères ; ainsi l’historien
le plus passionné dans le sens païen, Zosime, raconte d’une manière toute
semblable divers incidents de la lutte entre Maxence et Constantin : comme
Lactance, il attribue, avec Aurelius Victor et Ammien Marcellin, la mort de
Galère à un ulcère horrible ; la part prise par Maximien Hercule à l’élection
de Licinius, les démêlés de Maxence avec son père Hercule, et d’Hercule avec
son gendre Constantin, sont l’objet de récits équivalents, qu’on lise
Lactance ou Zosime, Eutrope, Victor.
La seule critique sérieuse, à mon sens, contre laquelle on
ait à défendre l’auteur du traité des Morts des persécuteurs est
celle-ci : comment peut-il avoir été aussi bien renseigné qu’il le prétend
sur les délibérations secrètes des souverains, sur tel conseil privé, tel
colloque entre Dioclétien et Galère, dont il parle avec les détails les plus
précis, reproduisant non seulement les paroles, mais jusqu’aux gestes ou aux
larmes des interlocuteurs ? On pourrait sans doute répondre qu’en mettant en
scène sous une forme aussi dramatique des délibérations qui certainement
eurent lieu, Lactance n’a pas plus outrepassé le droit de l’historien que
Tite-Live ou Tacite en prêtant aux héros de leurs Annales des discours qui
sont vraiment des documents historiques et, à défaut des paroles textuelles,
reproduisent les sentiments qui vraisemblablement les animaient. Cette
réponse ne serait pas suffisante : car, au moment où avaient lieu, dans le
palais de Nicomédie, les délibérations qu’il rapporte, Lactance habitait
cette ville, y occupait dans l’instruction publique d’importantes fonctions
auxquelles Dioclétien lui-même l’avait appelé, et fut en situation de
recueillir les échos les plus intérieurs de ce palais impérial plein d’officiers
et de serviteurs, où les murs gardaient sans doute mal les secrets. La
réponse sera plus forte encore, si l’on fait réflexion que Lactance devint le
précepteur du fils de Constantin et put recevoir de ce souverain, qui avait
passé sa jeunesse à la cour de Nicomédie, les confidences qu’il nous
transmet. Rien n’oblige à admettre que le traité sur les Morts des persécuteurs fut composé tout de suite après l’édit de
Milan, et avant que Lactance ait eu le temps d’entrer dans l’intimité de
Constantin ; le silence gardé par l’auteur sur les démêlés de Constantin et
de Licinius, la manière respectueuse dont il parle de ce dernier, indiquent
seulement qu’il écrivit avant que la rupture entre les deux empereurs fût
définitive, c’est-à-dire avant 322 ou 323.
Quand j’examine attentivement les écrivains qui rejettent
l’autorité historique de Lactance, je n’ai pas de peine à reconnaître qu’il
leur est surtout suspect pour n’être point demeuré indifférent aux faits et
aux personnes, avoir considéré les persécutions comme des crimes, les
persécuteurs comme des criminels, et l’avoir dit sans aucun ménagement. Mais
lin défaut de ce genre (si c’est là un défaut)
obligerait à effacer bien d’autres que lui de la liste des témoins qu’on peut
croire. N’en faudrait-il pas ôter aussi Tacite, pour avoir jugé Tibère ou
Néron non moins durement que Lactance a jugé Galère ou Maximin, avoir peint
des plus noires couleurs un temps fertile en
catastrophes, ensanglanté par les combats, agité par la discorde, cruel même
dans la paix[29], et s’être plu à
montrer, lui aussi, dans d’affreux désastres la
main d’une Providence vengeresse ?[30] Peut-être cette
extrémité n’effraierait-elle pas tous les censeurs : j’ose croire, cependant,
que les vrais amis de l’histoire ne se consoleraient pas d’une telle perte,
et que, même en lisant l’un et l’autre avec quelque précaution, ils
continueront à demander à l’éloquent ami de Pline le Jeune le tableau du
premier siècle, au précepteur de Crispus une image vivante et, dans le fond,
exacte des premières années du quatrième.
Le complément naturel de cette image se trouvera dans les
quelques Passions vraiment originales ou voisines des faits, qui, malgré les
difficultés que j’ai indiquées plus haut, ont pu être écrites par des
contemporains de la dernière persécution : documents bien peu nombreux, si on
les compare à la multitude de ses victimes, mais souvent très précieux par la
sincérité de la rédaction, la précision des détails, les interrogations
authentiques qu’on y rencontre. A côté de ces Passions, et suppléant à leur
rareté, doivent être cités d’assez nombreux panégyriques prononcés par les
plus célèbres orateurs sacrés du quatrième et du cinquième siècle, comme les
Basile, les Grégoire de Nysse, les Chrysostome, les Asterius, les Maxime de
Turin ; à travers le vague de la forme oratoire, l’histoire d’illustres
martyrs y apparaît au moins dans ses grandes lignes. On trouve aussi des
allusions intéressantes aux victimes de la dernière persécution dans
plusieurs écrits de religion et de morale du même temps, ceux de saint Ambroise,
par exemple. Enfin, je dois signaler une dernière source, originale et
précieuse entre toutes : c’est celle qui ressort de procès-verbaux officiels,
rédigés à la suite des enquêtes que Constantin fit faire en Afrique sur des
faits de la dernière persécution. Les donatistes ayant contesté l’élection de
Cécilien au siège épiscopal de Carthage, sous prétexte que son consécrateur,
Félix, évêque d’Aptonge, avait jadis livré aux persécuteurs des meubles
liturgiques et des livres, Constantin commanda, en 314, au proconsul d’Afrique
Ælianus d’entendre des témoins sur ce fait : l’enquête a été conservée, et
son procès-verbal offre le tableau le plus curieux des incidents de la
persécution dans une ville africaine, racontés par les magistrats mêmes qui
avaient été chargés d’exécuter l’édit. Six ans plus tard, en 320, la conduite
du diacre Silvain, devenu évêque de Cirta et très mêlé aux affaires des
donatistes, fut l’objet d’une semblable information le procès-verbal existe
aussi, et a ceci de particulier qu’on y trouve, intercalé, le texte d’un
autre procès-verbal, daté de 304, et relatant la perquisition faite par le
curateur dans la maison où s’assemblaient le clergé et les fidèles de Cirta,
ainsi que dans la demeure des principaux dépositaires des livres saints. Par
ces diverses pièces, de source tout à fait officielle, on assiste vraiment
aux événements qui marquèrent on Afrique la première phase de la persécution
de Dioclétien ; elles s’éclairent mieux encore si on les rapproche des
orageux débats du synode tenu à Cirta peu après 305, et dont les Actes ont
été en partie publiés par saint Augustin.
J’ai tâché de donner dans ces pages une idée claire des
documents qui m’ont servi à écrire l’histoire des persécutions. On a pu voir
que cette histoire repose sur des fondements solides, et que ses matériaux
sont bons et nombreux. Quant au parti que j’aurai su tirer de ceux-ci, le
lecteur en jugera mieux que moi : lui seul pourra dire si l’ouvrage commencé
depuis de longues années, et que j’achève aujourd’hui, ne demeure pas trop
loin du but vers lequel je devais tendre.
Ce que j’aurais voulu surtout marquer en traits
suffisamment nets pour ne pas disparaître au milieu des détails, c’est le
caractère de la lutte, pacifique d’un côté, violente et sanguinaire de l’autre,
qui pendant près de trois siècles mit aux prises une société petite au début,
nombreuse et puissante à la fin, volontairement désarmée toujours, et l’Empire
romain, ou plutôt la civilisation païenne elle-même, avec ses immenses
ressources religieuses, intellectuelles, matérielles, ses princes, ses
philosophes, ses prêtres, ses magistrats, ses soldats et ses bourreaux. Il me
semble qu’on ne fera jamais assez ressortir la grandeur imprévue du résultat
final, qui non seulement acquit à l’idée chrétienne, toujours émergeant du
sang dans lequel on essayait de la noyer, le droit de se produire librement,
mais finit par lui soumettre les pouvoirs publics et faire d’elle la
directrice de la civilisation renouvelée.
Vainement essaierait-on d’expliquer un changement si
extraordinaire en disant que tôt ou tard les idées triomphent toujours de la
force : cette explication, bien que passée en lieu commun, est démentie par l’histoire,
qui montre souvent les idées, vraies ou fausses, étouffées par la force, ou
ne triomphant d’elle qu’après avoir recouru, à leur tour, à la violence et
être devenues matériellement les plus fortes. Les chrétiens, au contraire, n’ont
répandu que leur propre sang. Ils se sont soumis aux lois qui les
condamnaient. Ce n’est pas par le nombre des soldats ou des insurgés, mais
par le nombre et la constance des martyrs qu’ils ont vaincu. Comme l’a dit un
écrivain dont l’impartialité ne sera contestée par personne, c’est la victoire la plus éclatante que la conscience
humaine ait jamais remportée dans le monde[31]. L’écrivain que
je cite ajoute, avec la loyauté habituelle de sa pensée : Pourquoi s’acharne-t-on à en diminuer l’importance ?[32]
Je n’essaierai pas de répondre à cette question, que
plusieurs peut-être trouveront indiscrète : mais je crois avoir le droit de
conclure que le triomphe du christianisme, dans les conditions où il s’est
produit, est un fait unique, dont l’originalité n’est partagée par aucun
autre. Cette originalité paraît dans son jour le plus éclatant et le plus
aimable si l’on fait attention à la multitude de vertus de toute sorte,
fleurs superbes ou exquises qui, pendant trois siècles, sortirent des âmes
chrétiennes labourées et arrosées par la persécution. On vit des prodiges de
courage, de persévérance, de dévouement fraternel, de désintéressement, d’humilité,
de chasteté ; il y eut un essor et comme un épanouissement de vie morale,
uniques aussi dans l’histoire du monde.
Je prie Dieu qu’un peu de cette sève et de ce parfum se
reconnaisse dans mon livre. Puisse-t-il, selon le mot de Bossuet, pauvre canal où les eaux du ciel passent, en
avoir au moins retenu quelques gouttes !
Mai 1890.
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