La persécution de Dioclétien et le triomphe de l’Église

CHAPITRE SIXIÈME — LE QUATRIÈME ÉDIT EN OCCIDENT (304).

 

 

I. — Les martyrs de Rome.

Au mois d’avril 304, Hercule était à Rome, où la popularité dont il jouissait près d’une foule oisive et fanatique lui faisait oublier les malédictions des provinciaux[1]. Le 17 avril[2], avant-dernier jour des jeux annuels en l’honneur de Cérès[3], une course de chars eut lieu devant lui au Grand Cirque. Après la coursé, où la faction des Bleus, contre laquelle pariait l’empereur[4], venait d’être vaincue, la joie populaire se traduisit par les acclamations rythmées dont parlent souvent les historiens antiques[5]. Ces acclamations durent plaire au maître, car la plus grande partie des assistants (le narrateur ne dit pas l’unanimité) répéta douze fois : Supprime les chrétiens, nous serons heureux ! par la tête d’Auguste, qu’il n’y ait plus de chrétiens ! puis, apercevant le préfet de Rome dans la loge impériale, le peuple reprit en chœur, dix fois de suite : Sois victorieux, Auguste ! et demande au préfet quels sont nos désirs ! Ce qu’ils désiraient, ils l’avaient dit assez haut ; Hercule n’avait pas besoin d’un grand effort pour le bien entendre[6].

Une réunion du sénat eut lieu le 22 avril au Capitole[7]. L’empereur, s’adressant aux Pères conscrits comme, en 258, l’avait fait par lettre Valérien absent, soumit à leur ratification l’ordonnance suivante : Je permets que, dans tous les lieux où seront trouvés des chrétiens, ils soient arrêtés par notre préfet de la ville ou par ses officiers, et obligés de sacrifier aux dieux[8]. Les sénateurs se séparèrent, en répétant : Sois victorieux, Auguste ! Auguste, puisses-tu vivre avec les dieux ![9] Acclamations que la foule, assemblée au dehors, reprit avec enthousiasme. Ainsi fut promulgué, à Rome, par l’autorité de l’Auguste qui régnait en Occident, l’édit imposé en Orient par Galère à la faiblesse de Dioclétien. Des rescrits le firent connaître immédiatement aux gouverneurs des provinces. On a conservé celui que reçut Vénustien, correcteur d’Étrurie et d’Ombrie[10] : Nous commandons que, dans tous les lieux où est prononcé le nom chrétien, ceux qui professent cette superstition soient contraints de sacrifier aux dieux ou soient mis d mort : on les dépouillera de leurs biens, qui seront, avec les revenus, attribués au fisc[11].

L’exécution de l’édit commença aussitôt à Rome. De cruelles ruses[12] mettaient les chrétiens dans l’alternative d’apostasier ou de se trahir. Ces inventions perfides sont fréquentes dans la dernière persécution. Déjà l’on a vu, à Nicomédie, des autels placés dans tous les prétoires ; et les plaideurs invités à sacrifier avant d’exposer leur cause. En Galatie, les denrées alimentaires n’étaient mises en vente qu’après avoir été consacrées aux idoles. A Rome, des statues, devant lesquelles on devra offrir de l’encens avant d’acheter ou de vendre, furent posées de même dans tous les marchés : il y eut des gardes postés près des innombrables fontaines publiques, avec défense d’y laisser puiser ceux qui refuseraient de rendre hommage aux dieux[13].

Dans cette crise violente périrent plusieurs des martyrs que nomme la Passion de saint, Sébastien[14]. Peut-être Marc et Marcellien, inhumés entre la voie Appienne et la voie Ardéatine, dans le cimetière de Basileus, contigu à celui de Domitille[15], avaient-ils reçu la mort dans une phase antérieure de la persécution[16] ; mais le supplice du zétaire Castulus est bien de ce temps. On raconte que, arrêté sur la voie Labicane, les bourreaux le précipitèrent à l’instant dans une fosse, et firent tomber sur lui une masse de sable[17]. Le saint se rendait à une réunion chrétienne qui se tenait dans quelque arénaire à cause de la confiscation des cimetières et des églises[18], quand il fut ainsi surpris et enterré vivant par les persécuteurs. Autour de son tombeau se creusa peu à peu une catacombe, dans la pouzzolane humide des infiltrations de l’aqueduc Claudia : la dévotion aux reliques du martyr explique seule le choix d’un terrain aussi défavorable[19]. Plus près de Rome, sur la même voie, fut décapité Tiburtius : son tombeau[20] est dans un autre cimetière de la voie Labicane ; contemporain de Dioclétien[21], et primitivement appelé, d’une dénomination locale, ad duas lauros[22].

Ce cimetière, où reposèrent entre autres martyrs Goronius, Genuinus, un groupe de trente soldats[23], reçut bientôt le nom des saints Pierre et Marcellin, en souvenir de deux des plus célèbres victimes de la persécution[24]. Le premier était prêtre, le second exorciste. Décapités dans la forêt Blanche[25], sur la voie Cornelia, ils furent transportés dans la catacombe de la voie Labicane[26] par une sainte femme nommée Lucille, parente de Tiburtius[27]. Le pape Damase a composé pour leur tombeau[28] une inscription en vers, dans laquelle il rapporte, d’après la confession du bourreau lui-même, les circonstances de leur martyre. Marcellin, Pierre, écoutez le récit de votre triomphe. Quand j’étais enfant, le bourreau m’a raconté, à moi Damase, que le persécuteur furieux avait ordonné de vous trancher la tête au milieu des broussailles, afin que personne ne pût retrouver votre sépulture. Joyeux, vous avez préparé celle-ci de vos propres mains. Après que vous eûtes pendant quelque temps reposé dans une blanche tombe[29] ; vous fîtes savoir ensuite à Lucille[30] qu’il vous plairait d’avoir vos très saints corps enterrés ici[31].

Quelques jours avant les saints Marcellin et Pierre, avaient péri trois membres d’une famille convertie par eux, Artemius, qui fut, dit-on, leur geôlier, l’épouse et la fille de celui-ci, Candide et Pauline. Arrêtés comme ils sortaient d’une crypte de la voie Aurelia[32], où Marcellin avait célébré la messe, Artemius fut frappé du glaive, Candide et Pauline précipitées par le luminaire et accablées sous les pierres[33]. Cette exécution, aussi barbare dans son genre que celle de Castulus, convient ù un moment où l’entrée des cimetières était défendue, et où ceux qui s’y aventuraient couraient risque de la vie. Mais la manière dont moururent les deux martyres, jetées de dehors dans les profondeurs de la catacombe par le puits qui y faisait pénétrer l’air et le jour, montre que, dans les temps qui précédèrent la persécution, les chrétiens avaient possédé en paix leurs cimetières, et n’avaient pas craint d’y faire des travaux extérieurs et apparents[34].

Candide et Pauline étaient de condition médiocre ; mais la persécution n’épargnait pas les plus illustres Romaines. Saint Ambroise a célébré le martyre de sa parente Sotère, descendant comme lui de la gens Aurelia[35]. C’était une belle et noble vierge : à l’illustration des aïeux, aux consulats et aux préfectures gérés par les ancêtres, elle préféra la foi : quand on la somma de sacrifier, elle répondit par un refus. Le persécuteur ordonna de souffleter la jeune fille, espérant qu’elle céderait, sinon à la douleur, au moins à la honte. Mais elle, à ces paroles, découvrit son front, et parut voilée de son seul martyre : elle alla au-devant de l’outrage, présenta ses joues, pressée de sanctifier par la souffrance des attraits qui eussent pu causer sa ruine. Elle se réjouissait de perdre une beauté périssable, afin de mettre sa pudeur à l’abri du péril. On put meurtrir son visage : la beauté intérieure demeura intacte[36]. Quelle lumière jettent ces paroles sur les dangers que la jeunesse et la beauté faisaient courir aux femmes chrétiennes, en ces jours où ni l’innocence ni la noblesse ne pouvaient plus les protéger contre de honteux caprices ! Elles en étaient réduites à bénir la main brutale qui, s’abattant sur leur visage, le défigurait jusqu’à lui faire perdre toute forme humaine. Ainsi, continue saint Ambroise, à travers les injurieux traitements réservés aux esclaves, elle atteignit le faite de sa passion, si courageuse et si douce que le bourreau se fatigua de frapper ses joues avant que la martyre fût fatiguée de souffrir ses outrages. On ne la vit ni baisser la tête, ni détourner le front ; elle ne poussa pas un gémissement, ne versa pas une larme. Enfin, après avoir épuisé tous les tourments, elle reçut du glaive le coup désiré[37]. On enterra Sotère dans la région cémétériale qui porte son nom, contiguë au cimetière de Calliste, et creusée en toute liberté pendant les premières années du règne de Dioclétien. Cette area parait avoir échappé à la confiscation, probablement parce qu’elle était restée de droit privé, n’ayant pas encore été donnée à l’Église quand la persécution éclata, bien que de longue main préparée pour l’usage de la communauté chrétienne[38].

En Occident comme en Orient le caractère dominant de la dernière persécution est l’extrême brutalité. Aux supplices légaux on substitue des expédients barbares, qui tiennent du massacre plutôt que d’exécutions régulières. La noyade, réservée par le droit pénal aux parricides, devient d’un usage fréquent : elle est considérée comme le mode le plus expéditif de se débarrasser des condamnés, sans bruit, sans exciter chez les spectateurs ces mouvements de pitié qui commencent à paraître plus souvent que ne voudraient les bourreaux. A Nicomédie, sous les yeux de Dioclétien, les noyades ont eu lieu dès 303 : nous les avons vu continuer en province. A Rome, en 304, on fait usage aussi de ce sauvage et hypocrite supplice, que renouvellera chez nous la Terreur.

C’est ainsi que du pont de pierre, pons lapideus, au-dessous de l’île du Tibre[39], Simplicius et Faustinus furent jetés dans le fleuve. Le courant les entraîna ; sainte Viatrix[40], sœur des martyrs, assistée des prêtres Crispus et Jean, put, le 29 juillet, repêcher leurs cadavres au lieu dit Sextum Philippi[41]. L’emplacement appelé de ce nom était un très vaste latifond, qui paraît s’être étendu sur la rive droite du Tibre, entre le sixième et le dixième mille, et avoir appartenu à l’administration des jeux du cirque, dépendant de la préfecture urbaine[42]. Son extrémité la plus rapprochée de Rome touchait presque au bois sacré des Arvales. Les eaux étaient basses et le courant peu rapide à cette époque de l’été : Viatrix et ses compagnons retrouvèrent aisément les restes des martyrs vers l’endroit où le fleuve, un peu avant d’arriver au Sextum Philippi, fait un demi cercle autour de la colline couverte par le bois sacré[43]. On ne pouvait songer à porter les corps dans quelqu’un des grands cimetières, tous confisqués à ce moment, et d’ailleurs trop éloignés ; mais, prenant le chemin antique qui de la voie Campanienne ou de la voie de Porto gravissait la colline le long du bois (les fouilles récentes en ont révélé la trace), le courageux groupe arriva au champ de la chrétienne Generosa, voisin du domaine arvalique[44]. Ces lieux, autrefois si animés, étaient maintenant déserts et infestés de brigands[45]. Depuis le milieu du troisième siècle, le collège des Arvales avait cessé de se réunir et d’offrir à la Dea Dia les sacrifices commandés par le rituel : les somptueux édifices qui avaient abrité ses fêtes, le Cæsareum, la salle tétrastyle, les exèdres, se dressaient abandonnés au milieu des grands arbres[46]. Profitant de cette solitude, les chrétiens pouvaient enterrer leurs morts dans les sablonnières qui s’étendaient sous la colline, et où l’on avait probablement accès par le champ de Generosa[47]. C’est ce que firent Viatrix et ses compagnons : ils déposèrent les corps des martyrs dans une chambre de l’arénaire : une sorte de sarcophage adossé à la muraille et formé de débris de marbres maçonnés à, la hâte remplaça les tombes que l’on avait coutume de creuser dans les parois des cimetières souterrains[48].

A son tour Viatrix, étranglée par les païens quelques mois après la mort de ses frères, fut enterrée dans le même arénaire par les soins de la matrone Lucine[49]. Un autre martyr eut sa sépulture dans ce cimetière improvisé, Rufus ou Rufinianus[50], qui avait appartenu à la milice palatine et rempli la charge de vicaire d’un des préfets[51] : la peinture de basse époque qui lui fut plus tard consacrée lui en donne l’uniforme, une chlamyde fixée à l’épaule par une riche agrafe[52]. C’est probablement le Rufus dont parlent les Actes de saint Chrysogone qui, ayant, en vertu de sa charge, la garde de ce prisonnier chrétien, fut converti par lui avec toute sa famille et donna sa vie pour sa nouvelle foi[53].

D’autres martyrs immolés a Rome en ces jours sanglants eurent leur tombeau plus loin encore de la Ville éternelle[54]. Vingt-trois chrétiens se tenaient cachés au vicus Canarius, dans la maison de la matrone Théodora[55], sous la conduite du prêtre Abundius et du diacre Abundantius. C’étaient probablement des habitants d’un bourg du Latium, qui, effrayés de la persécution, avaient fui à Rome dans l’espoir d’y échapper plus, facilement aux recherches. Cet espoir fut déçu : les fugitifs furent arrêtés le 5 août et menés sur l’ancienne voie Salaria, où on les décapita. Leurs corps, disent les Actes, reçurent la sépulture sur la même voie, dans un cimetière voisin de la montée du Concombre[56], au lieu dit les sept Colombes[57]. Abundius et Abundantius n’avaient pas été jugés en même temps que leurs paroissiens les persécuteurs, voulant sans doute instruire plus solennellement leur procès, les firent comparaître au forum de Nerva, où était le secretarium du préfet de Rome et où ce magistrat rendait souvent la justice[58]. Après de cruelles tortures, le prêtre et le diacre furent conduits au dixième mille de la voie Salaria, près du bourg de Rubræ[59], et décapités le 28 août. Le choit d’un lieu si éloigné de Rome semble indiquer que les persécuteurs voulurent les exécuter dans la contrée même où s’était naguère exercé leur ministère apostolique[60]. Les corps, mis en un cercueil de plomb[61], furent enterrés dans un domaine que possédait, seize milles plus loin, leur hôtesse de Rome, la chrétienne Théodora, et qui devint le noyau d’un grand cimetière[62].

Le 22 septembre eut lieu l’inhumation d’une chrétienne dont on tonnait seulement le nom et la sépulture. La liste des Dépositions des martyrs contient cette mention : Le 10 des calendes d’octobre, (mémoire) de Basilla, sur l’ancienne voie Salaria, Dioclétien étant consul pour la neuvième fois et Maximien pour la huitième[63]. On sait la valeur de cette liste, qui énumère les plus solennelles fêtes de martyrs célébrées à Rome et dans les principaux sièges suburbicaires (Ostie, Porto et Albano) avant le milieu du quatrième siècle[64]. C’est la tradition toute vivante, au sortir de la dernière persécution. Par une exception presque unique dans le catalogue des Dépositions[65], la date consulaire de la sépulture, et probablement du martyre, est marquée ici[66]. Le cimetière de la voie Salaria auquel s’attache le souvenir de Basilla est bien connu : c’est celui où reposèrent Hermès, Protus, et Hyacinthe, et dont nous avons plusieurs fois parlé au cours de ces études : de touchantes preuves s’y rencontrent de la dévotion des fidèles pour la sainte, à laquelle ils recommandent l’innocence de leurs enfants[67].

En calculant d’après les chiffres d’un antre document du même temps, le catalogue des papes compris dans la collection philocalienne, on fixe au 24 octobre 304 la mort du pape saint Marcellin. Mais si cette date (quant au jour et au mois) n’est pas assurée[68], plus obscure encore est l’histoire des derniers moments du pontife. Il est impossible que le chef de l’Église de Rome ait passé inaperçu pendant la persécution. Tous les écrits qui ont conservé son souvenir le mettent en rapport avec celle-ci. Le catalogue philocalien dit qu’il mourut pendant le neuvième consulat de Dioclétien et le huitième de Maximien, à l’époque où la persécution sévissait[69]. D’après Eusèbe, il fut enveloppé par elle[70]. Théodoret, plus explicite, ajoute qu’il s’y distingua[71]. La tradition de son martyre nous est parvenue par des récits suspects, qui le montrent cédant d’abord aux ordres des persécuteurs, puis se relevant pour attester son repentir et mourir en confessant le Christ[72]. J’ai déjà dit comment l’imputation des donatistes, qui l’accusaient d’avoir livré les saintes Écritures, est invraisemblable ; mais d’autres, documents, dont la trace se retrouve dans sa notice au Liber Pontificalis, prétendent qu’il consentit à offrir de l’encens aux dieux, à thurifier, selon le langage du temps[73]. Quand on sait à quelles sources troublées puisa quelquefois le rédacteur des biographies pontificales, on n’attache qu’une médiocre importance à ce renseignement[74]. Il montre cependant qu’au cinquième siècle plusieurs croyaient à une faiblesse passagère du pape. Ce préjugé défavorable est peut-être plus ancien encore, car le nom de Marcellin manque au catalogue romain de la Déposition des évêques, ce qui semble un blâme indirect de sa conduite[75]. Il ne se lit pas non plus dans celui de la Déposition des martyrs ; mais on sait qu’un petit nombre de saints y figurent, ceux-là seulement qui étaient l’occasion de fêtes solennelles[76]. Cette dernière omission ne va pas contre l’opinion de son martyre : ce qui, indépendamment de récits plus ou moins sûrs, paraît la confirmer, et faire croire que saint Marcellin mourut sous les coups des bourreaux ou dans les souffrances de la prison, c’est la vénération dont fut entouré son tombeau. Celui-ci avait été choisi par lui-même[77] à l’étage intermédiaire de la catacombe de Priscille, nécropole restée de droit privé, où avaient été faits de grands travaux afin de suppléer aux cimetières communs confisqués par le premier édit. Marcellin y reposa dans une crypte bien éclairée[78], près du martyr Crescentio[79], et les pèlerins du septième siècle, suivant les pas de leurs devanciers, y venaient encore prier devant ses reliques[80].

Après la mort de Marcellin, la persécution continua de désoler l’Église de Rome, destinée à demeurer pendant quatre ans sans pasteur. Aux derniers mois de 304 et aux premiers de 305 doivent probablement être rapportés les martyres de Cyriaque, Saturninus, Sisinnius, Apronianus, Smaragdus, Largus, Crescentianus, Papias, Maurus et plusieurs autres. Malheureusement les récits dont ils sont l’objet[81] sont mêlés d’anachronismes et de fables[82] : on leur peut demander cependant quelques circonstances générales, d’une suffisante vraisemblance, et surtout des indications topographiques, signe de ces vigoureuses traditions locales qui, à Rome, ont souvent survécu ou suppléé aux documents écrits.

Maximien Hercule avait, dit-on, condamné des fidèles à travailler à la construction des thermes immenses que Dioclétien faisait bâtir sur le Viminal, présent dédaigneux du vieil Auguste à la populace frondeuse de Rome[83]. Par l’intermédiaire du diacre Cyriaque et de Sisinnius, Smaragdus et Largus, le chrétien Thrason leur envoyait des secours et des vivres[84]. Arrêtés dans l’exercice de leur charitable mission, le diacre et ses auxiliaires furent eux-mêmes obligés à porter du sable pour les maçons des thermes. Tout en travaillant, ils trouvaient moyen d’assister encore leurs compagnons d’infortune. Parmi ceux qu’ils aidaient ainsi était un vieillard nommé Saturninus, d’origine carthaginoise[85]. On les jeta avec lui en prison[86], où Sisinnius, se faisant apôtre, put gagner à la foi le geôlier Apronianus[87].

Le procès de Sisinnius et Saturninus eut lieu, à part de celui des autres, devant le préfet de Rome siégeant à Tellus[88], c’est-à-dire au forum de Nerva. Un document étranger aux Actes que nous résumons, et d’origine meilleure, raconte que, mis à la torture, Sisinnius montra une telle fermeté, qu’il contraignit Gratien (soit le bourreau, soit un assesseur du préfet) à reconnaître la divinité de Jésus-Christ[89]. Ces conversions subites sont racontées si souvent pour le temps qui nous occupe, qu’on ne peut toutes les mettre en doute : il faut vraisemblablement reconnaître en d’aussi soudaines victoires de la grâce un indice et un résultat du travail intérieur chaque jour plus puissant qui alors se faisait dans les âmes. Condamnés par le préfet à .être décapités sur la voie Nomentane, Sisinnius et Saturninus furent ensevelis le 28 novembre par le prêtre Jean et le chrétien Thrason dans le domaine que ce dernier possédait sur la voie Salaria[90].

Pendant la comparution de ces martyrs devant le préfet, deux soldats, Papias et Maurus (ou Mauroleo) s’étaient spontanément déclarés chrétiens[91]. Ils furent, dit-on, jugés au cirque de Flaminius, puis assommés à coups de plumbatæ. Le prêtre Jean, qu’un grand nombre de Passions nous montrent voué à l’ensevelissement des martyrs, et que nous avons déjà rencontré plusieurs fois accomplissant cet acte de miséricorde, enleva de nuit leurs corps : il les transporta, le 29 janvier, au nymphée de saint Pierre, là où l’apôtre baptisait, c’est-à-dire au cimetière Ostrien, sur la voie Nomentane[92]. Trois jours après, le greffier Apronianus était décapité sur la voie Salaria.

Au milieu de ces sanglantes scènes, le procès de Cyriaque, de ses compagnons et de vingt et un fidèles était instruit par un vicaire du préfet, en ce lieu de Tellus[93] qui vit passer tant de martyrs. Lors d’une première audience, Crescentianus mourut pendant la torture[94]. Son cadavre fut jeté au pied de la montée de l’Ours, sur la place, devant le temple de Pallas[95]. Le prêtre Jean put lui donner la sépulture, le 24 novembre, au cimetière de Priscille[96]. Le, procès semble avoir été interrompu pour ne reprendre qu’au commencement de 305. Après une seconde audience, sur laquelle le vicaire fit, dit-on, un rapport à Maximien Hercule, celui-ci commanda de décapiter Cyriaque et les autres accusés. L’exécution eut lieu le 16 mars, sur la voie Salaria, dans une dépendance des immenses jardins de Salluste[97], où résidaient pendant l’été les empereurs[98], et où plus d’une fois coula le sang des martyrs[99]. Les condamnés paraissent avoir reçu sur cette voie une sépulture provisoire[100] ; mais plus tard la matrone Lucine transporta leurs corps entre le septième et le huitième mille de la voie d’Ostie[101], au lieu qui prit depuis le nom de cimetière de Cyriaque[102].

C’est encore sur la voie d’Ostie, dans un jardin peu éloigné de la sépulture de saint Paul, que fut enterrée une autre victime de la persécution, le chrétien Timothée, originaire, dit-on, d’Antioche, dont l’anniversaire est marqué au 22 août par le férial philocalien[103].

L’opinion commune attribue à l’hiver de 304-305 (21 janvier) la mort de sainte Agnès.

Agnès[104] est une des plus gracieuses et des plus populaires figures du martyrologe chrétien. Mais c’est une de celles sur lesquelles on possède le moins de documents certains. Cependant, même en négligeant tout à fait ses Actes, qui sont postérieurs au quatrième siècle[105], et en combinant seulement les renseignements puisés dans la tradition orale[106] par saint Ambroise, par saint. Damase et par Prudence, on arrive à se faire, croyons-nous, une idée assez nette de son histoire.

Agnès était toute jeune, presque une enfant, quand elle fut arrêtée. Elle avait douze[107] ou treize ans[108], ce qui faisait déjà, à Rome, l’âge nubile[109] : comme les jeunes filles romaines, elle vivait encore sous la garde de sa nourrice[110], qui ne quittait point avant le mariage l’enfant élevée par ses soins[111]. Le dépit d’un prétendant évincé contribua-t-il à son arrestation[112] ? On peut l’induire du récit de saint Ambroise. Quelles douceurs employa le persécuteur pour la séduire ! que de vœux pour obtenir qu’elle se donnât en mariage ! Mais elle : Espérer me fléchir serait faire injure à mon divin époux. Celui qui le premier m’a choisie recevra ma foi. Bourreau, pourquoi tardes-tu ? Périsse ce corps qui peut, malgré moi, être aimé par des yeux charnels ![113] Le juge irrité changea de ton. A quelles menaces il eut recours pour la faire trembler ![114] Il parla de la condamner au bûcher. Mais elle foula aux pieds spontanément les menaces et la rage du tyran, lorsqu’il voulut livrer aux flammes son noble corps, et surpassa avec de faibles forces une immense terreur (Saint Damase). En vain essaya-t-on de la torture : Elle se tenait debout, intrépide dans son fier courage, et offrait volontairement ses membres aux durs tourments, ne refusant pas de mourir[115].

Alors un supplice plus horrible lui fut proposé. S’il est facile, dit le juge, de vaincre la douleur et de mépriser la vie comme une chose de peu de prix, la pudeur au moins est chère à une vierge. J’exposerai celle-ci dans un lupanar public, si elle ne se réfugié près de l’autel et ne demande protection à Minerve[116], cette vierge qu’elle, vierge aussi, persiste à mépriser. Toute la jeunesse va accourir, et réclamer la nouvelle esclave de ses caprices[117]. Agnès ne se troubla point : Le Christ, dit-elle, n’est pas tellement oublieux des siens, qu’il perde notre précieuse pudeur et nous laisse sans secours : il est avec celles qui sont pures, et ne souffre pas que le trésor de leur sainte intégrité soit profané. Tu plongeras dans mon sein un fer impie, si tu le veux ; mais tu ne souilleras pas mes membres par le péché[118].

Dieu fit le miracle attendu par l’ardente foi de sa servante. On l’avait conduite dans la courbe de la place, flexu in plateæ[119], c’est-à-dire, selon la tradition locale, dans l’un des mauvais lieux situés sous les arcades du stade d’Alexandre Sévère, là où s’élève aujourd’hui son église de la place Navone[120]. Saint Damase rapporte que ses cheveux répandus autour d’elle couvrirent comme un manteau les membres nus de la vierge[121]. Prudence raconte le fait suivant : Un seul osa arrêter ses regards sur la jeune fille, et ne craignit pas de porter un œil impur sur son corps sacré. Voici qu’un oiseau de feu fond sur lui comme la foudre et lui crève les yeux ; aveuglé par l’éclatante lumière, il tombe palpitant dans la poussière, et ses compagnons l’enlèvent demi-mort[122]. » Le poète ajoute : Il y en a qui disent (sunt qui rettulerint) qu’Agnès voulut bien prier le Christ de rendre la lumière à celui qui gisait terrassé : alors le souffle de la vie revint au jeune homme, et ses yeux reprirent leur vigueur première[123].

Le merveilleux qui éclate dans cette histoire n’était pas pour étonner les païens. Eux-mêmes avaient eu quelquefois le pressentiment de ces miraculeuses délivrances accordées par le ciel à la faiblesse et à la pureté. Sénèque a résumé une controverse d’école sur le cas imaginaire d’une jeune fille enlevée par des pirates, vendue à un entrepreneur de débauche publique, exposée dans un mauvais lieu, et sauvant sa vertu par le meurtre d’un gladiateur qui essayait de lui faire violence[124]. Jusque-là, tous ceux qui s’étaient approchés d’elle comme d’une prostituée s’étaient retirés avec le respect qu’inspire une prêtresse[125]. Un seul avait persisté dans son mauvais dessein ; alors s’était montré le pouvoir des immortels. J’ai vu, faisait-on dire à la jeune fille, j’ai vu planer au-dessus de ma tête une colossale figure ; mes faibles membres ont senti tout à coup une force surhumaine : qui que vous soyez, ô dieux qui avez voulu tirer par un miracle l’innocence de ce lieu infâme, vous n’aurez point secouru une ingrate : je voue à votre service la virginité que vous avez sauvée[126]. Ce touchant rêve de l’imagination païenne se réalisait maintenant sous les yeux des persécuteurs.

Mais, chez les anciens, l’attendrissement et la surprise duraient peu. Les rhéteurs qui prirent part à la controverse résumée par Sénèque persistent à déclarer infâme la jeune fille dont ils ont raconté la miraculeuse délivrance. De même les juges du quatrième siècle ne font pas grâce à la vierge sortie intacte d’une aussi terrible épreuve[127]. Agnès fut condamnée à la décapitation[128]. Elle se tient debout, elle prie, elle baisse la tête. La main du bourreau tremble, son visage pâlit, tandis que la vierge demeure intrépide[129]. Enfin il frappe : un seul coup suffit à détacher la tête, et la mort vint avant la douleur[130].

Ainsi finit cette jeune fille, dont on sait au moins deus choses certaines : elle vécut pure et mourut martyre. Elle avait sans cloute ravi ses contemporains par l’élan de son sacrifice, une généreuse protestation en faveur du Christ et de l’Église, une parole pleine d’énergie et de grâce, un cri, un geste, découvrant une âme exquise. L’admiration populaire s’est attachée à son nom, et lui a créé une poétique légende, dans laquelle l’histoire peut démêler aujourd’hui encore quelques traits vraisemblables. D’ailleurs, que l’on réduise tant que l’on voudra dans les traditions dont elle est l’objet la part de l’histoire, Agnès est une de ces personnes saintes dont l’importance et la grandeur se révèlent surtout à l’auréole dont elles paraissent entourées. N’en est-il pas ainsi de Marie elle-même, que toutes les générations proclament bienheureuse, et sur laquelle l’Évangile est si sobre de détails ? Les chrétiens du quatrième siècle aimaient à rapprocher de la sainte Vierge la figure virginale de la jeune Romaine. Dans un brillant tableau, Prudence la montre montant au ciel, entourée d’anges : on croirait voir une Assomption de Murillo[131]. Il va jusqu’à représenter Agnès écrasant la tête du serpent, qui se roule, vaincu, sous le talon d’une vierge[132]. L’enthousiasme excessif du poète transporte à la jeune martyre le rôle même prédit depuis le commencement du monde à Marie[133]. Agnès est quelquefois dessinée sur les verres chrétiens[134] à côté de la sainte Vierge. Le patriotisme des Romains semble avoir voulu faire de ce rapprochement un nouveau titre de gloire pour la jeune fille qui porte le double diadème de la virginité et du martyre[135].

Je ne veux me servir de ses Actes que pour leur demander un renseignement topographique, dont l’exactitude est attestée par les monuments. Les parents d’Agnès[136], disent-ils, enlevèrent son corps avec une sainte joie et le déposèrent dans un petit domaine (prædiolum) qu’ils possédaient à peu de distance de la ville, sur la voie Nomentane[137]. Des cimetières chrétiens existaient déjà sur cette voie : le cimetière Ostrien, appelé aussi le grand cimetière, cœmeterium majus, à cause des souvenirs que saint Pierre y laissa[138] ; une petite nécropole, voisine mais distincte, et fort ancienne[139]. A ce second hypogée touchait le prædiolum des parents d’Agnès, qui, soit avant, soit après la sépulture de la martyre, s’y trouva annexé, et sur lequel, à l’époque constantinienne, s’éleva la gracieuse basilique semi-souterraine qui semble encore toute parfumée de son souvenir[140]. Les Actes ajoutent qu’à l’occasion des funérailles d’Agnès il y eut une émeute des païens et que sa sœur de lait Émérentienne, encore catéchumène, y périt. Les parents d’Agnès veillèrent à la sépulture de l’amie de leur fille, et la déposèrent à la limite du petit champ de celle-ci, in confinio agelli beatissimæ virginis Agnetis[141]. La tombe d’Émérentienne sera, en effet, vénérée dans le cimetière Ostrien, contigu à celui qui prit le nom de sainte Agnès, dont il n’est séparé que par un arénaire à travers lequel on pouvait passer de l’un à l’autre[142].

Dans les galeries souterraines qui se développèrent promptement autour du tombeau de sainte Agnès, comme dans celles du cimetière Ostrien, a été rencontré le souvenir d’une femme chrétienne célèbre par son dévouement pendant la persécution. Le sceau de Turrania Lucina s’y reconnaît encore imprimé sur le mortier de deux tombes[143]. Lucine parait souvent dans les récits de cette sanglante époque. Elle joue un rôle dans les Actes de saint Sébastien, dans ceux de sainte Viatrix, de saint Anthime[144], de saint Cyriaque, de saint Marcel, dans la notice de ce pape au Liber Pontificalis. Si confus que soient ces divers documents, il en ressort au moins l’importance du personnage, qui ne peut être imaginaire. Lucine se montre à nous comme une grande clame, qui mettrait ses richesses, son zèle, son influence, au service de l’Église affligée. On la dit petite-fille par sa mère de l’empereur Gallien, fille de Sergius Terentianus, préfet de Rome, et veuve d’un ancien proconsul d’Asie, Faltonius Pinianus, converti à la foi chrétienne[145] ; à elle-même un martyrologe donne le nom d’Anicia Lutina[146]. Les Piniani sont bien connus au quatrième siècle[147], et, à cette époque, existent entre les Anicii, les Faltonii, les Turranii des rapports de parenté ou d’alliance[148]. Le sceau imprimé dans le cimetière de sainte Agnès appartient donc, vraisemblablement, à une chrétienne qui joignait au cognomen (baptismal) Lucina le gentilitium Turrania, et, par elle comme par son mari, tenait aux plus grandes maisons de Rome. Cette situation de famille explique l’impunité dont elle put jouir et la liberté relative de ses mouvements au milieu de la terreur universelle. Pendant qu’ils immolaient les prêtres Crispus et Jean, souvent associés à Lucine dans l’œuvre de miséricorde envers les martyrs, et ensevelis à la hâte dans le cimetière improvisé sous le bois des Arvales[149], les magistrats, n’osant ou ne voulant toucher à une personne apparentée à ce que le sénat comptait de plus illustre, préféraient fermer les yeux sur ses actions. Cependant, si l’on en croit une tradition curieuse, Lucine commençait à s’inquiéter pour elle-même et songeait à prendre la fuite, quand une des martyres qu’elle avait ensevelies, Viatrix, lui apparut, l’exhorta à demeurer, et lui annonça que, ce mois-là même, Dieu allait rendre la paixà l’Église[150]. Cette légende a au moins le mérite d’expliquer poétiquement que Lucine survécut à la période sanglante de la persécution en Occident ; ce que montrent, d’ailleurs, les sceaux appliqués par elle ou par son ordre sur des tombes probablement postérieures à cette époque. Le moment où la persécution, destinée à continuer pendant plusieurs années encore en Orient, commença de s’amortir à Rome, coïncide avec le printemps e 305. Avant de raconter les événements politiques qui amenèrent l’accomplissement de la prédiction attribuée à Viatrix, il nous reste à montrer hors de Rome, en Italie, en Espagne, en Afrique, la, répétition des tragiques épisodes auxquels on vient d’assister dans la ville éternelle.

 

II. — Les martyrs de l’Italie et de la Sicile.

L’Italie entière, du Pô  la Sicile, eut des martyrs.

On en rencontre sans surprise dans le Latium, l’Étrurie, l’Ombrie, où rayonna de bonne heure le foyer de christianisme allumé à Rome par la main des apôtres. Ces contrées, depuis longtemps interrogées et fouillées de toutes parts, ont encore vu sortir de terre, en ce siècle, des noms inconnus de glorieux témoins du Christ. A Piperno (Privernum), dans le Latium, le marbre brisé qui porte l’épitaphe de deux époux chrétiens du quatrième siècle, Lucretius Asi (nianus) et Quintiana, ne rappelle pas seulement leur piété, leur amour des pauvres, leur hospitalité, mais raconte qu’ils eurent pour enfants trois saints, c’est-à-dire, dans le langage du temps, trois martyrs[151]. Le nom de l’un a péri, sauf la dernière syllabe : les deux autres s’appelaient Jules et Montanianus. Étaient-ce des habitants de la vieille cité latine ? étaient-ce, comme certains indices semblent le faire croire, des Romains de grande famille[152], que l’on peut supposer s’être, à l’exemple de beaucoup d’autres, réfugiés pendant la persécution dans leurs terres du Latium[153], où ils furent saisis et martyrisés[154] ? Nous n’essaierons pas de reconstituer par conjecture un épisode ignoré, dont quelques lignes retrouvées sur un débris d’épitaphe révèlent seules l’existence : nous en conclurons seulement que les calendriers particuliers des cités du Latium ne furent pas intégralement insérés dans l’antique martyrologe romain conservé par la compilation hiéronymienne[155], et que des noms de martyrs, même honorés d’un culte public du mentionnés par les monuments, ne paraissent pas dans les fastes ecclésiastiques. L’expérience nous montrera plus d’une fois encore des exemples de ces lacunes, que les découvertes archéologiques viennent combler.

L’Étrurie, où le christianisme avait, au troisième siècle, des adhérents dans l’aristocratie[156], vit des martyrs durant la dernière persécution. A Surrena, près de Viterbe, furent exécutés, le 3 novembre, le prêtre Valentin et le diacre Hilaire[157]. Un manuscrit de leurs Actes nomme un autre prêtre, Eutychius, qui exerçait dans la contrée le ministère apostolique, et auquel est attribuée la conversion des bourreaux et du juge lui-même[158]. On ne dit pas qu’il ait à son tour été mis à mort. Si ce personnage est réel, et n’a pas été introduit dans un récit de basse époque par une confusion avec saint Eutychius de Ferento, martyrisé trente-cinq ans plus tôt sous Claude le Gothique, on sera tenté de le reconnaître dans l’Eutychius confesseur dont le nom se lit sur une dalle tumulaire de Corneto, l’antique Tarquinies[159]. Mais, que cette identification soit ou non admise ; un fait subsiste : l’existence, à Tarquinies, d’un Eutychius, qu’une épitaphe portant les caractères de l’époque de Constantin dit avoir confessé la foi et être mort dans la paix du Christ[160].

On cite pour l’Ombrie de nombreux martyrs : saint Secundus, à Amelia[161] ; sainte Firmina, près de la même ville[162] ; saint Félix, évêque, à Spello[163] ; saint Grégoire, prêtre, à Spolète[164] ; saint Fidence et saint Térence, à Martane, près de Todi[165] ; malheureusement les Actes de ces divers martyrs sont trop peu sûrs pour qu’on leur puisse demander plus de détails[166]. Bien meilleurs, malgré leurs défauts, paraissent ceux de saint Sabin, évêque d’Assise[167], emprisonné dans cette ville avec ses, diacres Exsuperantius et Marcel, et beaucoup d’autres clercs, par ordre de Vénustien, correcteur d’Étrurie et d’Ombrie. Ayant refusé de sacrifier, les deux diacres furent mis sur le chevalet, fouettés, déchirés avec les ongles de fer, et périrent dans la torture., Un peu plus tard, l’évêque, après avoir eu les deux mains coupées, fut transféré à Spolète, où il mourut sous les verges. Mais un autre que Vénustien commanda son supplice : ce gouverneur s’était converti avec sa femme et ses enfants pendant le procès, et avait été mis à mort sans jugement[168].

Les traditions relatives aux martyrs de l’Italie méridionale sont assez confuses ; cependant on doit retenir les noms de saint Érasme, martyrisé en Campanie[169] ;-du célèbre saint Janvier, troisième évêque de Bénévent, décapité dans la même province, à Pouzzoles, avec ses compagnons Sosie[170], Festus, Didier, Proculus, Eutychius, Acucius[171] ; de saint Vit, enfant de douze ans, dit-on, immolé pour le Christ avec saint Modeste et saint Crescence dans la Lucanie[172]. La confession de saint Euplus ou Euplius, diacre de Catane en Sicile, est célèbre, et ses Actes, dont on possède plusieurs versions un peu différentes, mais paraissant provenir d’un même original, méritent de faire foi dans l’ensemble[173].

Le 12 août[174] 304[175], Euplus fut arrêté pendant qu’il lisait l’Évangile aux fidèles. On le conduisit à Calvisianus, correcteur de Sicile[176]. Celui-ci était dans son cabinet, séparé de la salle d’audience par un voile[177]. Entrant dans la salle, Euplus cria d’une voix forte : Je suis chrétien, je désire mourir pour le nom du Christ. Calvisianus ordonna d’introduire dans le cabinet l’homme qui criait ainsi. Euplus portait encore le livre des Évangiles, dont il donnait lecture au moment de son arrestation. Un sénateur, Maxime[178], qui se trouvait dans l’appartement du correcteur, dit en le voyant ainsi chargé. Il ne t’est pas permis de porter de tels livres contre l’ordre des empereurs. Calvisianus commença l’interrogatoire : D’où te viennent ces Écritures ? les as-tu apportées de ta maison ?Je n’ai pas de maison, mon Seigneur Jésus-Christ le sait, répondit Euplus, qui probablement vivait caché loin de sa demeure habituelle, comme beaucoup de chrétiens pendant la persécution. Calvisianus continua : Est-ce toi qui as porté ici ces livres ?C’est moi qui les ai portés ; car je les avais quand on m’arrêta. — Lis-les. Euplus ouvrit le volume et lut, entre autres passages, ces deux sentences de l’Évangile qu’il avait sans doute l’habitude de commenter aux fidèles pour les préparer aux épreuves de l’heure présente : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux, et : Celui qui veut venir après moi, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Qu’est-ce que cela ? dit le correcteur. C’est la loi de mon Seigneur, qui m’a été confiée. — Par qui ?Par Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant. Calvisianus, l’interrompant, dit que, puisque ses sentiments étaient suffisamment connus, il serait maintenant interrogé en public, avec l’appareil de la torture.

On passa dans la salle d’audience, où le correcteur lui demanda : Persistes-tu dans ta première confession ? D’une main qui restait libre Euplus fit le signe de la croix, en disant : Ce que j’ai déclaré une première fois, je le répète ; je suis chrétien, et je lis les divines Écritures. — Pourquoi les as-tu gardées en ta possession, et ne les as-tu pas livrées quand les empereurs les ont interdites ?Parce que je suis chrétien, et qu’il ne m’était pas permis de les livrer. Mieux vaut mourir. Elles contiennent la vie éternelle, que perd celui qui les livre. Pour ne pas la perdre, j’abandonne ma vie. — Qu’Euplus, qui a contrevenu à l’édit impérial en ne livrant pas les Écritures, et qui persiste à les lire au peuple, soit appliqué à la torture. Pendant qu’on le tourmentait, le martyr faisait tout haut ces courtes et ardentes prières, que nous avons tant de fois entendues sortir de la bouche d’héroïques patients : Je te rends grâces, Christ. Garde-moi, puisque c’est pour toi que je souffre. Le correcteur l’exhortait cependant : Euplus, renonce à ta folie. Adore les dieux, et tu seras délivré. — J’adore le Christ, je déteste les démons. Fais ce que tu voudras, je suis chrétien. J’ai depuis longtemps désiré ce qui m’arrive. Fais ce que tu voudras. Ajoute d’autres tourments. Je suis chrétien. Quand les bourreaux eurent reçu l’ordre de s’arrêter, Calvisianus reprit : Malheureux, adore les dieux ; rends hommage à Mars, à Apollon et à Esculape. — J’adore le Père, le Fils et le Saint-Esprit, la Trinité sainte, hors laquelle il n’y a pas de Dieu. Périssent des dieux qui n’ont pas fait le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent ! Je suis chrétien. — Sacrifie, si tu veux être délivré. — Je m’offre moi-même en sacrifice au Christ Dieu. Je ne puis faire plus. Tes efforts sont vains : je suis chrétien. Calvisianus commanda de le torturer plus cruellement. Christ, je te rends grâces, s’écriait le martyr. Christ, secours-moi. Ô Christ, je souffre tout cela pour toi. Il prononça souvent ces invocations ; puis la force lui manqua au milieu de ses souffrances, on vit ses lèvres pâles s’agiter, priant encore ; mais la voix ne sortait plus de sa poitrine épuisée.

Calvisianus rentra dans son cabinet pour rédiger la sentence ; paraissant de nouveau hors du voile, il lut sur ses tablettes : J’ordonne que le chrétien Euplus, qui méprise les édits des princes, blasphème les dieux et refuse de se repentir, soit décapité. Emmenez-le. On suspendit à son cou l’exemplaire des Évangiles avec lequel il avait été surpris, et l’on marcha vers le lieu du supplice ; le héraut précédait en criant : Le chrétien Euplus, ennemi des dieux et des empereurs ! Euplus ne cessait de répéter : Grâces au Christ Dieu ! Parvenu là où il devait mourir, il s’agenouilla et pria longuement ; puis, disant une dernière fois : Grâces à Dieu ! il tendit le cou au glaive du bourreau. Les chrétiens parvinrent à enlever son corps et l’ensevelirent pieusement, embaumé dans les parfums[179].

On voudrait rencontrer le même naturel et la même vraisemblance dans les Actes de la célèbre martyre de Syracuse, sainte Lucie[180]. Malheureusement, il est impossible d’y méconnaître un récit romanesque, où l’imagination du narrateur joue le plus grand rôle. L’existence historique de la sainte n’est pas douteuse

la vénération dont elle fut de bonne heure l’objet dans toute l’Église en est la preuve. Son histoire, en ce qu’elle a de probable, tient cependant en quelques lignes : Lucie, qui avait voué à Dieu sa virginité, et s’était dépouillée volontairement de ses biens, comparut devant le correcteur[181], qui la menaça de l’enfermer, comme tant d’autres vierges chrétiennes, dans un lieu de débauche, et la fit enfin mourir par le glaive, le 13 décembre[182].

Remontant vers le nord de l’Italie, on trouve des martyrs dans le Picenum, saint Emygdius, évêque, à Ascoli[183], saint Peregrinus, diacre, à Ancône[184] ; dans l’Émilie, saint Domninus, près de Parme[185], saint Proculus, saint Vital et saint Agricola, à Bologne[186]. Vital était l’esclave d’Agricola. Tous deux confessèrent le Christ et furent condamnés à mort. Les persécuteurs hésitaient à faire périr Agricola, dont la douceur avait gagné l’amitié des païens. Aussi essayèrent-ils de l’épouvanter par le supplice de son esclave. On soumit Vital aux plus cruelles tortures, Celui-ci, dont le corps n’était plus qu’une plaie, s’écria d’une voix mourante : Seigneur Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu, ordonne que mon âme soit enfin accueillie dans ton, paradis, car je désire recevoir la couronne que ton saint Ange m’a montrée. Puis il expira. Agricola, persistant dans sa foi, fut crucifié. Les corps des deux martyrs furent, parait-il ; enterrés dans le cimetière des Juifs : c’est là que les trouva saint Ambroise, en 392 ; près du corps d’Agricola étaient déposés la croix, les clous et les marques triomphales de son sang[187], c’est-à-dire soit les linges ou la terre qui en avaient été imbibés, soit l’éponge ou le vase où on l’avait recueilli[188].

L’atrocité du supplice, l’irrégularité d’une exécution capitale confiée à des mains autres que celles du bourreau, les haines dont elle témoigne, me font attribuer à la dernière persécution le martyre de saint Cassien d’Imola. Le fanatisme de Maximien Hercule, qui résidait habituellement à Milan, quelquefois à Ravenne, à Aquilée, à Vérone[189], encourageait dans toutes les provinces du nord de l’Italie celui du peuple et des magistrats, et amnistiait d’avance les illégalités dont les chrétiens seraient l’objet. Voici ce que l’on sait de saint Cassien. Le poète Prudence, allant à Rome, traversait la ville d’Imola, appelée alors Forum Cornelii, du nom de Sylla, son fondateur[190]. Dans la basilique il aperçut, au-dessus du tombeau du martyr, une peinture représentant un homme couvert de plaies, les membres déchirés, entouré d’enfants qui piquaient son corps avec des styles à écrire[191]. Ce que vous voyez, lui dit le gardien du temple, n’est pas une tradition vaine, un conte de bonne femme ; l’artiste a pris dans les livres le sujet de son tableau, qui montre quelle était la foi de l’ancien temps[192]. Expliquant au poète la peinture qu’ils avaient sous les yeux, l’ædituus lui raconta que Cassien était un maître d’école exact, sévère, peu aimé de ses élèves à cause de la stricte discipline qu’il leur imposait. Il fut traduit en justice, parce qu’il refusait de sacrifier aux dieux[193]. Ayant appris la profession de ce chrétien, le juge le condamna à un supplice d’un genre nouveau. En souvenir peut-être du châtiment inventé par Camille pour le précepteur qui avait voulu lui livrer les enfants de Faléries[194], il abandonna Cassien à ses écoliers, nu, les mains liées, les autorisant à le tourmenter jusqu’à la mort. Chacun épuisa sur lui sa rancune et sa méchanceté, les uns brisant leurs tablettes sur le front du vieux maître, les autres lui enfonçant des styles dans les entrailles ou lui en sillonnant la peau. Après un long supplice, rendu plus atroce par les railleries de ses jeunes bourreaux, Cassien finit par mourir, ayant perdu tout son sang[195].

Les villes de la Vénétie et de la Transpadane eurent aussi leurs martyrs, dont quelques-uns paraissent avoir appartenu à la cour ou à l’armée de Maximien Hercule, ou avoir été jugés directement par lui : saint Victor, soldat maure, à Milan[196] ; saint Nabor et saint Félix, également soldats, dont le procès s’instruit dans cette ville et dont l’exécution se fait à Lodi[197] ; saint Fidèle, saint Exanthius, saint Carpophore et plusieurs autres, immolés à Côme[198] ; sainte Justine, à Padoue[199] ; saint Firmus et saint Rusticus, arrêtés à Bergame, interrogés à Milan, décapités hors des murs de Vérone[200]. Mais les Actes de ces divers martyrs sont de basse époque ; les noms, quelques indications de lieu, peuvent seuls être acceptés avec confiance. La Passion de Firmus et de Rusticus raconte qu’après leur supplice le magistrat qui les avait condamnés fit apporter les notes rédigées par les chrétiens et commanda de les brûler, en même temps qu’il ordonnait de laisser sans sépulture les corps des martyrs[201]. Abolir de toutes les manières la mémoire de ceux qui étaient morts pour le Christ, faire que nul écrit et nul tombeau ne parlât d’eux à la postérité fut, pendant cette persécution, la pensée des païens. Elle put être en partie déjouée, car presque partout les reliques des martyrs reçurent les honneurs qu’on leur avait enviés[202]. Mais le récit de beaucoup de trépas glorieux ne fut pas écrit, ou se perdit faute de pouvoir être recueilli dans les archives dispersées des Églises : quand on voulut le rédiger plus tard, les sources étaient confuses, les traditions brouillées. C’est ainsi que les Actes des saints Firmus et Rusticus ressemblent en beaucoup de points à ceux de saint Victor[203] ; que dans un grand nombre de Passions du nord de l’Italie parait un même juge, Anulinus, dont le nom est peut-être emprunté au proconsul d’Afrique célèbre à la même époque par ses rigueurs envers les chrétiens[204].

La même confusion se rencontre dans les Passions des martyrs de Sardaigne. Celle de saint Ephysius, immolé pour le Christ à Cagliari, semble copiée sur les Actes de saint Procope[205]. Celle de saint Saturnin, dans la même ville, rappelle les Actes de son homonyme de Toulouse[206]. Cependant, à, défaut de pièces authentiques, la Sardaigne a gardé le souvenir de plusieurs victimes de la dernière persécution. Outre les noms que nous venons de citer, elle honore Simplicius à Terra Nova[207], Cisellus et Camerinus à Cagliari[208] ; le soldat Gavinus, le prêtre Protus et le diacre Janvier, à Torre[209]. La Corse vit aussi couler le sang chrétien. Les Actes de sainte Devota[210] disent que cette pieuse vierge y souffrit par l’ordre du gouverneur Barbarus[211]. Au même magistrat est attribuée la mort de la plupart des martyrs de Sardaigne. La Passion de saint Saturnin dit expressément que Barbarus gouvernait les deux îles. Ce détail me semble un de ces traits historiques comme il s’en rencontre dans les pièces hagiographiques même les plus défectueuses. Il provient apparemment soit d’un document original, soit d’une tradition plus ancienne que l’époque où la Passion fut rédigée ; car, dans le courant du quatrième siècle, la Corse et la, Sardaigne étaient des provinces séparées, pourvues chacune d’un gouverneur différent[212] ; tandis qu’au temps de la division administrative opérée par Dioclétien en 297 elles ne formaient peut-être encore qu’un seul gouvernement[213].

La persécution s’étendit dans la seule province que Maximien Hercule possédât au nord des Alpes. La Rhétie faisait partie de ses États et du diocèse d’Italie. Là nous apparaît pour la première fois la touchante figure de la pénitente, digne, par son héroïsme et son repentir, de se placer à côté de tant de vierges immolées pour le Christ.

Dans Augusta Vindelicorum (Augsbourg) vivait Afra, courtisane récemment convertie[214]. Quand on exécuta l’édit ordonnant de contraindre tous les chrétiens au sacrifice, elle fut arrêtée, et conduite au juge Caius, c’est-à-dire probablement au président de la province[215]. Sacrifie aux dieux, lui dit-il, car il t’est plus avantageux de vivre que de périr dans les tourments. — Les péchés que j’ai commis pendant que j’ignorais Dieu me suffisent, répondit Afra ; ce que tu commandes, je ne le ferai jamais. — Monte au Capitole, et sacrifie[216]. — Le Christ est mon Capitole, sans cesse présent devant mes yeux[217] : je lui confesse chaque jour mes fautés. Et puisque je suis indigne de lui offrir un sacrifice, je désire me sacrifier moi-même pour son nom, afin que le corps par lequel j’ai péché soit purifié dans les supplices. — J’apprends que tu es une courtisane, dit le juge ; sacrifie donc, car tu ne peux appartenir au Dieu des chrétiens.

Cette naïve parole éclaire d’un jour singulier les pensées des païens : elle montre l’idée qu’ils se faisaient de leurs propres dieux, dont on pouvait approcher avec un cœur impur et un corps souillé ; mais elle révèle en même temps le sentiment instinctif’ qu’ils avaient des exigences morales de la religion chrétienne. Pendant le curieux dialogue entre Afra et Gains, cet inconscient aveu sortira de chaque parole de celui-ci, auquel la pénitente, dans un langage à la fois humble et fier, essaiera en vain de faire comprendre les merveilles de la grâce divine et la vertu purifiante du repentir.

Mon Seigneur Jésus-Christ, répondit-elle, a dit qu’il était descendu du ciel pour les pécheurs. Les Évangiles racontent qu’une courtisane arrosa ses pieds de larmes et fut pardonnée, et qu’il n’a pas accablé de ses mépris les courtisanes et les publicains, auxquels il a permis de manger avec lui. Le juge ne comprit pas : Sacrifie, afin d’être chérie de tes amants comme autrefois, et de recevoir d’eux beaucoup d’argent. — Je ne recevrai plus jamais cet argent exécrable : celui que je possédais, je l’ai rejeté comme une ordure, car il provenait de mon inconduite. Mes frères les pauvres refusaient de l’accepter : j’ai dû les supplier de daigner le recevoir et de prier pour mes péchés. Puisque j’ai rejeté tout ce que j’avais, comment chercherais-je à gagner de nouveau ce que j’ai rejeté loin de moi comme de l’ordure ?Le Christ ne te considère pas comme digne de lui. Tu n’as pas de raison de l’appeler ton Dieu, car il ne te reconnaît pas pour sienne. Une courtisane ne peut porter le nom de chrétienne. — Je ne mérite pas, en effet, d’être appelée d’un tel nom ; mais la miséricorde de Dieu, qui juge selon sa propre bonté, et non d’après nos mérites, a daigné m’y admettre. — D’où sais-tu que Dieu t’a admise à ce nom ?Je sais que Dieu ne m’a pas rejetée, puisqu’il m’a permis de prendre part à la confession de son saint nom, par laquelle j’ai foi que tous mes péchés me seront remis. — Fables que tout cela ! Sacrifie aux dieux, c’est par eux seuls que tu seras sauvée. — Mon salut est le Christ, qui, pendu à la croix, promit le paradis au larron pénitent. — Sacrifie, pour que je ne te fasse pas donner les étrivières à la vue des amants qui vécurent honteusement avec toi. — Mes péchés seuls peuvent me donner de la confusion. — Enfin sacrifie aux dieux : discuter plus longtemps avec toi n’est pas digne de moi : si tu refuses, tu mourras. — Je n’ai pas d’autre désir que de mériter, par cette confession, le repos éternel. — Sacrifie, sinon je te ferai mettre à la torture, puis brûler vive. — Que le corps par lequel j’ai péché souffre tous les tourments ; mais je ne souillerai pas mon âme en sacrifiant aux démons.

Le juge prononça la sentence : Nous ordonnons qu’Afra, courtisane publique, qui s’est proclamée chrétienne, et a refusé de prendre part aux sacrifices, soit brûlée vive. » On la mena dans une île du Lech, et, la dépouillant, on l’attacha à un poteau. Afra, les yeux levés au ciel, priait en ces termes : Seigneur Jésus-Christ, Dieu tout-puissant, qui n’es pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence, et qui as daigné promettre que, du jour où le pécheur se sera converti de ses iniquités, tu ne te souviendras plus de celles-ci : reçois à cette heure mon supplice comme une expiation, et, par ce feu temporel préparé pour mon corps, délivre-moi du feu éternel, qui brûle l’âme et le corps ensemble. Les bourreaux l’entourèrent de sarments, auxquels ils mirent le feu : du milieu des flammes la voix de la martyre se faisait encore entendre : Je te rends grâces, Seigneur Jésus, qui as daigné me recevoir comme victime pour ton nom, toi qui t’es offert sur la croix en victime pour le inonde entier, juste pour les injustes, bon pour les méchants, béni pour les maudits, pur et sans péché pour tous les pécheurs : Je t’offre mon sacrifice, ô Dieu qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vis et règnes aux siècles des siècles. Amen.

On raconte[218] que, du bord de l’eau, plusieurs personnes assistaient au supplice : c’étaient les trois servantes d’Afra, Digna, Eunomia et Eutropia, jadis pécheresses comme elle, et avec elle converties, dit-on, par l’évêque Narcisse[219]. Ayant obtenu la permission de traverser la rivière dans une barque, elles trouvèrent intact le corps de leur maîtresse,’ que les flammes avaient seulement étouffée. Un serviteur qui les accompagnait repassa la rivière pour l’annoncer à Hilaria, mère de la martyre. Celle-ci vint pendant la nuit, avec des prêtres, enleva le corps et le transporta à deux milles de la cité, dans un tombeau de famille. Mais, à cette époque, donner sans permission la sépulture aux martyrs était considéré comme un crime. Quand Gaius eut appris ce qui se passait, il envoya au tombeau, avec ordre d’arrêter la mère et les servantes d’Afra, de les contraindre à sacrifier, et, en cas de refus, de les enfermer dans la chambre funéraire, après l’avoir remplie de bois sec auquel on mettrait le feu[220]. Ces ordres cruels s’accomplirent : sur le refus des courageuses femmes, elles furent brûlées dans le tombeau même qui venait de recevoir la dépouille mortelle d’Afra[221].

 

III. — Les martyrs de l’Afrique et de l’Espagne.

L’Afrique, où la première phase de la persécution avait fait couler tant de sang, paraître tant d’héroïsme et de défaillances, fut plus agitée encore par l’exécution de l’édit concernant tous les chrétiens. Aux jours de la tradition succédaient les jours de la thurification : le gouverneur de Numidie et le proconsul d’Afrique rivalisèrent d’efforts pour contraindre les fidèles à l’apostasie.

La Numidie était alors administrée par le président Florus, un des plus ardents ennemis que l’Église ait eus. Son souvenir durait encore soixante ans plus tard, quand écrivait saint Optat. Parlant de lui et des autres agents de la persécution, tout le monde sait, dit l’évêque de Milève, quelles étaient leur ruse et leur cruauté. Ils faisaient vraiment la guerre aux chrétiens. Une impure fumée s’élevait sans cesse des autels : ceux qui ne pouvaient se rendre aux sacrifices étaient partout forcés à brûler au moins de l’encens[222]. Sous Florus, on contraignait les chrétiens à venir dans les temples ; sous Florus on leur ordonnait de renier le Christ[223]. Ceux mêmes qui avaient faibli une première fois n’étaient pas exempts de cette seconde épreuve. Vous savez, dit plus tard un prélat numide, qui avait été traditeur, vous savez combien m’a cherché Florus afin de me contraindre à thurifier ; mais Dieu m’a sauvé de ses mains[224]. Cependant aucun document écrit n’a conservé les noms des chrétiens qui souffrirent en Numidie pendant la terrible année 304. Heureusement., ici encore, l’archéologie supplée à ce silence et lève un coin du voile qui couvre, sur tous les points de l’Empire romain, tant de martyrs ignorés.

De l’ancien cimetière chrétien de Mastar, en Numidie[225], à moitié route entre Milève et Cirta, provient l’inscription suivante, qui paraît avoir été mise sur une tombe, peu d’années après la persécution : Le trois des ides de juin a été déposé ici le sang des saints martyrs qui ont souffert sous le président Florus, dans la cité de Milève, aux jours de la thurification ; parmi lesquels Innocent..., dans la paix[226]. » Un autre nom suit Innocent, peut-être Thecla ; mais la lecture en est incertaine[227]. Cette inscription montre, par un exemple ajouté à beaucoup d’autres, la vénération des fidèles pour le sang répandu parleurs frères pendant le supplice. Mais pourquoi n’avoir déposé dans le cimetière de Mastar que le sang et non les corps des chrétiens martyrisés à Milève par Florus pour refus de thurifier ? La réponse parait facile quand on se rappelle le soin avec lequel, dans la dernière persécution, les bourreaux veillaient à ce que les martyrs demeurassent sans sépulture. Probablement les cadavres, trop bien gardés, ne purent être ensevelis, et l’on dut se contenter du sang recueilli dans des linges, des éponges ou des vases.

Plus loin, dans la même province, sur la voie de Cirta à Kalama, furent rencontrés[228] deux cippes surmontés du monogramme constantinien et portant une inscription en caractères cursifs. Sur l’un, on lit : Noms des martyrs Nivalis, Alatrona, Salvus : anniversaire le neuf des ides de novembre[229] ; sur l’autre : Noms des martyrs Nivalis, Matrona, Salvus. Fortunatus a fait ce qu’il avait promis[230]. Ces inscriptions paraissent sépulcrales, et semblent avoir été gravées aussitôt que la paix eut donné le loisir et la liberté d’honorer les tombes des victimes de la dernière persécution. Fortunatus est vraisemblablement un contemporain des trois martyrs, qui leur avait promis d’avoir soin de leur sépulture et a tenu sa promesse. Quand les temps devinrent propices, il écrivit d’une main inhabile leurs noms et la date de leur anniversaire sur des cippes désignant le lieu où ils reposaient. Inscrire les épitaphes sur des cippes était d’un usage très fréquent dans les cimetières à ciel ouvert de l’Afrique[231].

Une autre inscription conserve la mémoire de martyrs inconnus de la Mauritanie Sitifienne. Elle provient d’un monument votif, cella ou basilique élevée en leur honneur par Colonicus et sa femme dans le cimetière chrétien de Sétif : les ruines de l’oratoire et les vestiges du cimetière se voient encore[232]. Colonicus et son épouse chérie remplissent avec joie le vœu fait aux saints martyrs. Ici repose Justus, ici repose avec lui Decurius, qui l’un et l’autre par une courageuse confession surmontèrent les armes ennemies et, victorieux, méritèrent en récompense les couronnes que donne le Christ[233].

Enfin, en Numidie ; sur le bord de la mer, h Philippeville, l’antique Rusicade, ont été découverts les restes d’un grand édifice chrétien dont l’inscription, dit M. de Rossi, parle d’une martyre appelée Digna, à laquelle fut consacrée une basilique construite par un évêque du lieu, nommé Navigius[234] ; divers indices portent à croire que cette martyre fut immolée dans la persécution de Dioclétien, mais l’histoire et les martyrologes n’en parlent pas[235]. Sous une dalle ornée de mosaïques était placé un sarcophage contenant les ossements d’une jeune fille et quatre grands clous. Serait-ce la vénérable dépouille de la martyre Digna ? Les clous trouvés dans le sarcophage n’appartiennent pas à un cercueil de bois, dont il n’y avait nul vestige : peut-être étaient-ils déposés dans la tombe comme instruments et preuves du martyre[236].

Obligés de nous contenter de ces vestiges presque effacés de la persécution, recueillis çà et là par les archéologues dans les ruines romaines de la Numidie, nous sommes un peu mieux renseignés sur ses rigueurs en d’autres parties de l’Afrique. Deux textes récemment découverts[237] nous la montrent sévissant en Mauritanie.

L’une de ces pièces a pour héros un martyr jusque-là inconnu, le vétéran Typasius[238]. Voici, en peu de mots, le résumé de la narration. Lorsque Maximien Hercule vint en Afrique, en 297, pour combattre les Quinquegentans révoltés, un chrétien, Typasius, vivait dans la Mauritanie Tingitane. Il avait accompli ses années de service militaire, et était maintenant enrôlé dans une compagnie (vexillatio) de vétérans, sorte de réserve obligée de seconder l’armée active en temps de guerre[239]. Il se rendit avec ses camarades à l’appel de Maximien. Mais quand celui-ci, à la veille du combat, fit une distribution aux soldats, Typasius refusa d’y prendre part, et se déclara soldat du Christ[240]. Cependant, comme il prédit en même temps la victoire, et que la prédiction se réalisa, Maximien lui accorda le congé honorable, l’honesta missio[241].

Quelques années plus tard commença la persécution générale : édits commandant la destruction des églises, l’incendie des livres, et enjoignant à tous de thurifier. Un ordre impérial rappela en même temps tous les vétérans sous les drapeaux. Cette mesure, rapportée par le passionnaire, n’est pas sans exemple dans l’histoire romaine : même après avoir reçu leur congé définitif, les vétérans pouvaient, en certaines circonstances, être rappelés au service, revocati[242] ; mais cet appel n’a probablement, ici, aucune relation avec les édits de persécution. C’est lui, cependant, qui fut l’occasion du martyre de Typasius. Celui-ci, qui s’était retiré dans la Mauritanie Césarienne, et y menait la vie d’ermite, refusa de reprendre les armes. Parmi ceux qui le dénoncèrent, les Actes nomment un præpositus saltus, c’est-à-dire un de ces régisseurs des domaines impériaux, comme l’Afrique en comptait en grand nombre[243]. Typasius fut traité de déserteur, bien qu’il invoquât le congé régulier de Maximien. L’accusation n’était pas tout à fait injuste puisque le congé n’exemptait pas des appels extraordinaires auxquels les anciens soldats restaient toujours exposés. Mais Typasius, tout entier maintenant au service de Dieu, persista dans son refus. Un miracle qu’il fit pour guérir l’écuyer du gouverneur lui attira l’indulgence de celui-ci. Mais bientôt les soldats réclamèrent tumultueusement, disant que Typasius était le seul qui n’eût pas offert de l’encens aux dieux. La question était posée maintenant sur un autre terrain : le gouverneur dut prononcer la sentence capitale. Typasius fut décapité, le 18 janvier.

Les Actes ajoutent un trait, qui semble annoncer les temps chevaleresques. Sur la tombe du vieux soldat, les fidèles déposèrent son bouclier : leur foi en arrachait souvent de petits morceaux, que l’on gardait comme reliques, ou que l’on portait aux malades, dans l’espoir de leur guérison.

Le martyr dont il est question dans le second texte appartient aussi à la Mauritanie Césarienne. Fabius[244] était porte-drapeau dans la cohorte des officiales du gouverneur. Après la publication de l’édit de Dioclétien, commandant à tous les chrétiens de sacrifier, il refusa de remplir sa charge. Ce refus eut lieu lors de l’assemblée des délégués de la province : indication précieuse pour l’histoire des institutions romaines de l’Afrique, car c’est la seule mention que l’on ait encore rencontrée du concilium officiel de la Mauritanie Césarienne. Traduit devant le gouverneur, Fabius confessa, intrépidement sa foi. Le gouverneur le fit décapiter ; puis, suivant l’exemple de beaucoup de magistrats dans la dernière persécution, il refusa la sépulture au condamné ; mais, comme les bêtes fauves et les oiseaux de proie épargnaient ses restes, il fit mettre dans deux sacs et jeter à la mer la tête et le corps de Fabius. Il espérait ainsi dérober aux chrétiens les reliques d’un martyr. Mais le mauvais dessein du persécuteur fut déjoué : les flots déposèrent la tête et le corps de Fabius assez loin de Césarée, sur le rivage de Cartenne[245].

La province proconsulaire eut aussi des martyrs. Anulinus, que nous avons vu, au commencement de l’année, juger en vertu des premiers édits Saturnin, Dativus et leurs compagnons, préside maintenant à l’application du quatrième édit.

C’est encore une pièce récemment découverte qui nous fait connaître un des épisodes les plus intéressants de cette phase de la persécution[246]. Il se passe à Thuburbo[247]. Des chrétiens d’un domaine, peut-être impérial, situé près de la ville, et désigné sous le nom de possessio Cephalitana[248], avaient été convoqués devant le proconsul. Êtes-vous chrétiens ? leur demanda-t-il. Nous le sommes, fut la réponse. Les pieux et augustes empereurs[249], déclara le proconsul, ont daigné me donner l’ordre d’assembler tous les chrétiens et de les mettre en demeure de sacrifier ; ceux qui auront refusé et désobéi seront punis par divers supplices. Toute la population du domaine, même les prêtres, les diacres et les clercs qui y résidaient[250], cédèrent aux menaces, et sacrifièrent.

Deux jeunes filles, de vie pieuse et retirée, n’avaient pas paru. Une paysanne[251] éleva la voix, et les dénonça. L’une, Maxima, avait quatorze ans ; on ne’ nous dit pas l’âge de l’autre, Donatilla. Toutes deux répondirent avec fermeté, et même avec une sainte arrogance, aux questions et aux menaces du juge. Comme on les conduisait à la ville, une autre jeune fille, Secunda, qui à douze ans (on sait quelle était la précocité des mariages romains) avait déjà refusé plusieurs partis, attirés par la richesse de ses parents, les vit du haut de sa maison. Elle descendit en courant, et leur cria : Ne m’abandonnez pas, mes sœurs ! Les deux autres essayèrent de la renvoyer : Tu es la fille unique de ton père : pense à son âge. A qui le confieras-tu ?... Pense aussi à la fragilité de ta chair. Songe à la sentence qui nous attend. Mais elle, intrépide, mettait sa confiance dans l’Époux qui console et réconforte les plus petits. Les captives se laissèrent fléchir : Eh bien ! allons, enfant ! s’écria Donatilla ; voici que le jour de la passion approche, et que l’ange qui bénit vient au-devant de nous.

Le soleil était couché, quand la petite troupe se mit en marche. Le lendemain, à Thuburbo, le proconsul les fit comparaître, et leur demanda encore une fois de sacrifier. Sur leur refus, il remit au jour suivant le nouvel interrogatoire. Celui-ci eut lieu, comme il arrivait quelquefois[252], dès le point du jour. A toutes les menaces, Maxima et Donatilla répondirent avec hauteur. On ne cite point de réponse de Secunda. Enfin Anulinus, lassé, selon son expression, de ses inutiles efforts, se décida à prononcer la sentence : Nous ordonnons que Maxima, Donatilla et Secunda soient mises à la torture. Nous commandons de les faire combattre avec les bêtes dans l’amphithéâtre. Un ours, lancé contre elles, se coucha à leurs pieds. Anulinus commua alors la peine en celle de la décapitation. Les vierges dirent, selon l’usage africain : Grâces à Dieu ! et furent exécutées.

Ainsi périrent les trois saintes, Maxima, Donatilla et Secunda la bonne enfant, comme parle une inscription d’Afrique[253]. Elles ne furent pas seules à confesser le Christ : à Theveste Anulinus jugea, peu de temps après elles, une autre femme,’ qui montra le même courage.

Crispine, riche et noble matrone de Tagare[254], élevée jusque-là dans tous les raffinements du luxe romain, fut introduite, les mains liées, devant le tribunal[255]. Connais-tu la teneur du précepte sacré ? lui demanda le proconsul[256]. J’ignore ce précepte, répondit Crispine. Il t’ordonne, reprit Anulinus, de sacrifier à nos dieux pour le salut des princes, conformément à la loi donnée par les pieux Augustes Dioclétien et Maximien, et Constance très noble César[257]. — Je n’ai jamais sacrifié et je ne sacrifierai qu’à un seul Dieu et à son Fils Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est mort pour nous. — Abandonne cette superstition et courbe la tête devant nos dieux. — Je vénère tous les jours mon Dieu et n’en connais pas d’autres. — Tu es bien dure et bien dédaigneuse ; mais tu commenceras malgré toi à connaître la force de nos lois. — Quoi qu’il m’arrive, je le souffrirai volontiers pour ma foi. — Es-tu si vaine que tu te refuses à quitter ta superstition pour vénérer nos saintes divinités ?Je vénère tous les jours, mais mon Dieu, et je n’en connais pas d’autre. — Je te contraindrai à obéir au précepte sacré. — J’observe le précepte de mon Seigneur Jésus-Christ. — On te tranchera la tête si tu n’obéis pas aux ordres de nos seigneurs les empereurs, auxquels tu dois te soumettre comme fait toute l’Afrique, tu le sais toi-même. — Malheur à eux s’ils veulent me faire sacrifier aux démons ! mais je sacrifie au Seigneur qui a créé le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment. — En vain tu méconnais les dieux ; nous te forcerons à les adorer, afin de te sauver et de te rendre vraiment pieuse. — Il n’y a pas de piété dans les hommages extorqués par la violence. — Puisses-tu donc obéir de bon gré, et, soumise, venir dans nos temples offrir de l’encens aux dieux des Romains !Je ne l’ai point fait depuis ma naissance et ne le ferai pas tant que je vivrai. — Fais-le cependant, si tu veux échapper a la sévérité des lois. — Je ne crains point tes menaces, elles ne me sont rien ; mais si je méprise le Dieu qui est dans le ciel, je serai sacrilège, et il me perdra au jour du jugement futur. — Tu ne seras pas sacrilège si tu obéis aux ordres sacrés. — Que veux-tu ? que je sois sacrilège devant Dieu pour ne pas l’être aux yeux de tes empereurs ? Non ! Il y a un grand et tout-puissant Dieu, qui a fait la mer et les herbes verdoyantes, et le sable aride ; mais les hommes, ses créatures, que peuvent-ils pour moi ?Observe la religion romaine, comme font nos invincibles Césars, et nous-mêmes. — Je ne connais que Dieu : les vôtres sont des dieux de pierre, couvres de la main des hommes. — Tu blasphèmes, et tu ne suis pas la route qui te mènerait au salut. Anulinus commanda de lui raser la chevelure, espérant l’intimider par ce traitement ignominieux[258]. Mais Crispine reprit de la même voix tranquille et ferme : Que tes dieux parlent, et je croirai. Si je ne cherchais pas mon salut, je ne serais pas devant ton tribunal. — Désires-tu vivre longtemps, ou veux-tu mourir dans les supplices comme tes complices Maxima, Donatilla et Secunda ?Si je voulais mourir, c’est-à-dire perdre mon âme et la vouer au feu éternel, je céderais à tes démons. — Je te couperai la tête si tu refuses avec mépris d’adorer nos dieux. — Je rendrai grâces à Dieu si j’obtiens un tel sort. Mais je me perdrai vraiment si je thurifie aux idoles[259]. — Tu persistes dans ce sentiment insensé ?Mon Dieu, qui est et a toujours été, m’a fait venir à la vie, il m’a donné le salut par l’eau du saint baptême, il est en moi pour empêcher mon âme de se souiller comme tu le veux par un sacrilège. — Pourquoi, dit Anulinus, supporterions-nous plus longtemps l’impie Crispine ? Qu’on relise les Actes sur le registre. Après lecture de l’interrogatoire, le proconsul prononça la sentence : Crispine, qui persiste dans son indigne superstition et qui a refusé de sacrifier à nos dieux selon les lois des Augustes, sera décapitée. — Je rends grâces au Christ, s’écria la martyre, je bénis le Seigneur qui a daigné me délivrer ainsi de tes mains. Elle marcha joyeusement[260] au supplice, le 5 décembre.

Ces épisodes, échappés à l’oubli où tant d’autres ont disparu, ne sauraient donner l’idée de ce que fut en Afrique une persécution qui, selon le mot d’un écrivain du quatrième siècle, fit les uns confesseurs, les autres martyrs, plusieurs renégats, et n’épargna que ceux qui avaient pu se cacher[261]. Mais ils découvrent une fois de plus l’acharnement de magistrats qui épuisaient toutes les ressources de la dialectique, toutes les rigueurs de la torture, pour contraindre de pauvres femmes au sacrifice. Les rares documents par lesquels a été conservé le souvenir de la persécution en Espagne montrent aussi des femmes aux prises avec les juges et les bourreaux ; en même temps que les noms de ces héroïnes ceux de plusieurs martyrs et confesseurs sont heureusement venus jusqu’à nous.

Presque tous sont rappelés dans l’hymne quatrième du Peri Stephanôn — où cependant Prudence oublie sainte Léocadie, morte sous Datianus dans la prison de Tolède[262], saints Servand et Germain, martyrisés à Cadix[263], saints Oronce et Victor à Girone[264] —. Il faut lire cette hymne pour comprendre le sentiment à la fois religieux et patriotique avec lequel étaient honorés, au quatrième siècle, les héros espagnols de la dernière persécution. Le poète, qui fut rarement mieux inspiré, peint, au jour du jugement, quand le Christ viendra sur les nuées enflammées peser dans une juste balance les actions des hommes, chacune des villes de son pays se mettant en marche pour présenter, dans une corbeille, les reliques de ses martyrs[265]. Cette procession des villes, qui s’avancent dans des attitudes variées, l’une pressant son trésor contre son sein[266], l’autre apportant son offrande sous la forme de couronnes éclatantes de pierreries[267], celle-ci décorant son front d’olivier jaunissant, symbole de paix[268], celle-là jetant, d’un geste confiant, sur l’autel les cendres d’une jeune martyre[269], est une des plus grandioses conceptions de la poésie chrétienne. On croirait voir ces longues théories de saints, portant dans leurs mains ou dans un pli de vêtement quelque objet précieux, livre, couronne, simulacre d’édifice, qui, dans les frises des basiliques, dessinent sur un champ d’or leurs lignes élégantes, et semblent s’avancer d’un même pas vers le trône du Christ rayonnant au fond de l’abside.

Saragosse, qui sera déjà presque entièrement convertie à la fia du quatrième siècle[270], marche au premier rang, fière de la gloire acquise dans les précédentes persécutions, plus fière encore de ses récentes victoires. Parmi ses nouveaux martyrs, elle montre, après Vincent, une foule de chrétiens anonymes[271], enveloppés vraisemblablement dans quelqu’une de ces tueries en masse qui furent caractéristiques de la dernière persécution[272]. Elle ne se glorifie pas moins de plusieurs confesseurs : Caius et Crementius, qui eurent le mérite du martyre sans en éprouver les dernières souffrances, et en goûtèrent légèrement la saveur[273] ; la vierge Encratis, qui lutta d’une âme intrépide, violenta virgo, et affronta d’horribles supplices[274]. Après avoir eu les membres déchirés, les seins coupés, être demeurée longtemps malade à la suite de ces mutilations[275], Encratis ne fut point achevée par le glaive du persécuteur[276] : probablement se vit-elle, avec Caius et Crementius, sauvée par la révolution politique de l’année suivante, comme tant de captifs de la Terreur durent la vie au 9 thermidor. Caius et Crementius n’étaient point sans doute des habitants de Saragosse, car après leur délivrance ils ne restèrent pas dans cette ville, où cependant ils avaient souffert : Prudence dit expressément que la vierge Encratis fut le seul témoin du Christ qui, ayant survécu au martyre, ait continué d’y résider[277]. Au temps du poète on montrait encore une partie de son foie, arrachée par le bourreau avec des ongles de fer[278].

Une autre ville de la Tarraconaise, la petite Girone, s’avance à son tour, offrant les reliques de saint Félix[279], que les divers martyrologes disent victime de Datianus[280]. Prudence montre encore, au nord, une cité dont l’importance n’a cessé de grandir a partir du second siècle, Barcino (Barcelone), se glorifiant du martyre de saint Cucufas[281] ; au centre, Complutus (Alcala), avec les sacrées dépouilles de Just et de Pastor, immolés par ordre de Datianus[282] ; au sud, en Bétique, la riche Cordoue présentant Acisclus, Zoellus et trois autres couronnes[283], c’est-à-dire trois martyrs : Faust, Janvier et Martial, connus sous le nom des tres domini[284] ; enfin en Lusitanie, Mérida portant les cendres de sainte Eulalie[285].

Si l’Espagne eut dans saint Vincent son Laurent, elle eut dans sainte Eulalie son Agnès. Les Actes de cette jeune sainte ont peu d’autorité : ce que nous possédons sur elle de meilleur est l’hymne troisième du Peri Stephanôn. Prudence vivait dans le pays et dans le siècle même où mourut Eulalie : les traditions qu’il recueillit doivent être exactes, au moins dans les grandes lignes.

Elle naquit et fut martyrisée dans la puissante et populeuse métropole de la Lusitanie, Mérida. Noble comme Agnès[286], Eulalie avait comme elle douze ans au moment où sévissait le plus cruellement la persécution[287]. Toute enfant, elle avait laissé voir ce qu’elle serait un jour. Elle n’aimait ni le jeu ni la parure ; son visage austère, sa démarche modeste, la sagesse précoce empreinte sur toute sa personne inspiraient déjà le respect[288]. La vue des supplices soufferts par les chrétiens transporta d’indignation cette jeune âme : une sainte colère la saisit, et elle n’eut bientôt qu’une pensée, rendre elle-même témoignage de sa foi, combattre à son tour les combats du Seigneur[289]. Cette ardeur prématurée fit trembler ses parents : ils l’emmenèrent è la campagne, afin d’écarter d’elle l’héroïque tentation. Mais l’enfant parvint à tromper leur surveillance, ouvrit pendant la nuit la porte de la maison, franchit la haie qui bordait le jardin, et seule, à travers les broussailles, parmi les ténèbres, s’achemina vers la ville Mes anges, dit le poète, lui faisaient cortège[290]. Un matin, on la vit paraître fièrement devant le tribunal, au milieu des faisceaux[291]. Elle se déclara chrétienne : Prudence met maladroitement dans sa bouche un discours long et déclamatoire, qui gâte la simplicité de son action. Le juge essaya vainement de la persuader ; lui parlant de sa jeunesse, de sa noble maison, du brillant avenir auquel elle renonçait, du présent terrible dont elle affrontait les menaces. Que faut-il faire pour leur échapper ? prendre du bout des doigts un peu de sel, quelques grains d’encens. La martyre ne répondit rien : crachant au visage du magistrat stupéfait, elle renversa l’idole et foula aux pieds l’encens[292]. Cet acte était de ceux qu’en principe l’Église réprouvait : il faut cependant remarquer que le concile d’Illiberis[293] refuse le titre de martyrs à ceux-là seulement qui ont été mis à mort pour avoir provoqué les païens en brisant des idoles, non à ceux qui ont brisé l’idole devant laquelle on voulait les contraindre à sacrifier. N’y a-t-il pas dans ce récit quelque exagération poétique ? Je ne sçay, écrit Tillemont, si l’autorité de Prudence suffira pour faire croire cecy à tout le monde : et néanmoins l’esprit de Dieu inspire quelquefois à ses saints des mouvements qui sont au-dessus des règles communes, parce qu’il est le maistre absolu de toutes choses[294]. J’ajoute que ce qui eût pu être zèle téméraire, excès blâmable chez un adulte, devenait facilement digne de louanges chez une enfant, emportée par un élan de générosité supérieur à son âge, et incapable de maîtriser les mouvements tumultueux de son âme.

Dieu montra bientôt que l’acte d’Eulalie était méritoire à ses yeux. L’intrépide enfant, déchirée par les ongles de fer, que maniaient deux bourreaux, comptait elle-même les blessures et chantait au milieu des supplices. On approcha d’elle des lampes ou des torches ardentes, dont la flamme fut promenée sur tout son corps, voltigeant sur son visage, courant sur la chevelure longue et parfumée qui l’avait enveloppée d’une voile pudique[295] : puis on la fit monter sur le bûcher, dont la vierge buvait avidement la flamme[296]. Bientôt, dit le poète, une colombe parut sortir de sa bouche et voler vers le ciel : c’était son âme, blanche et douce comme le lait, rapide, innocente. En même temps, le cou de la martyre s’inclina, le bûcher s’éteignit : elle était morte. Le bourreau, le licteur, témoins de ce prodige, s’enfuirent épouvantés. Le corps d’Eulalie resta seul. Une neige épaisse tomba, couvrit tout le forum : elle enveloppa d’un blanc linceul les membres de la vierge. Les hommes ne pouvaient l’ensevelir : Dieu, dit le poète, se chargeait de rendre à la martyre les suprêmes honneurs[297].

Sur le tombeau d’Eulalie s’élevait, au temps de Prudence, une riche basilique, décorée de marbres, d’or, de mosaïques[298]. Cueillez, s’écrie le poète, les violettes empourprées, moissonnez les rouges crocus : nos doux hivers ne sont pas sans fleurs, la glace chez nous fond vite, et permet aux champs d’en fournir encore des corbeilles[299]. Jeunes filles, jeunes garçons, offrez ces dons, entourés de feuillages : moi, au milieu du chœur, je suspendrai des guirlandes de dactyles, parures fanées, mais qui cependant auront un air de fête. Ainsi convient-il d’honorer les ossements sacrés et l’autel posé sur eus. Elle, couchée sous les pieds de Dieu, voit les hommages, et, rendue propice par nos chants, protège son peuple[300].

Je ne sais si jamais plus touchante héroïne fut célébrée en des vers plus charmants.

 

 

 



[1] Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 47.

[2] XV kalendas maii. Passio S. Savini episcopi et martyris, 1, dans Baluze, Miscellanea, t. I, p. 12.

[3] Les ludi ceriales duraient du 12 au 19 avril ; Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. III, p. 357, 551 ; Mommsen, Römische Staatsrecht, 2e éd., t. I, p. 471.

[4] Misso sexto Venetos vincente. Passio S. Savini, 1 ; mot à mot (Maximien) battant les Bleus à la sixième borne. La faction contre laquelle se déclarait Maximien avait été au contraire favorisée par Vitellius, qui fit mettre à mort un citoyen pour avoir médit des Bleus ; Suétone, Vitellius, 14 ; Dion Cassius, LXV, 5. Caligula, au contraire, était un ardent partisan des Verts ; Suétone, Caligula, 55 ; Dion Cassius, LIX, 15.

[5] Voir les Dernières Persécutions du troisième siècle, 2e éd. Cf. Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 137 ; Saglio, art. Acclamatio, dans le Dictionnaire des antiquités, t. I, p. 18-20.

[6] Passio S. Savini, 1.

[7] Conventus factus est in Capitolio, decimo kalendas maii. Passio S. Savini, 1. — Les réunions du sénat avaient lieu ordinairement à la curie Julia, près des comices, sur le côté nord du forum ; mais quelquefois aussi il s’assemblait ailleurs. Le sénat, siégeant dans le temple de la Concorde, élut, en 237, empereurs Pupien et Balbin, puis, le même jour, au Capitole, leur adjoignit Gordien III (Tillemont, Histoire des Empereurs, t. III, p. 256-259) ; l’élection de Claude le Gothique, en 269, fut ratifiée par le sénat dans le temple d’Apollon.

[8] Passio S. Savini, 1.

[9] Passio S. Savini, 1.

[10] Augustalis Tusciæ, dit la Passio. Le vrai titre du gouverneur de Toscane sous Dioclétien était corrector Etruriæ (ou Tusciæ) et Umbriæ ; voir Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 236 ; C. Jullian, les Transformations politiques de l’Italie sous les empereurs romains, p. 174. Après 370, le gouverneur de Toscane s’appela consularis Tusciæ. Le seul gouverneur d’Égypte reçut, entre 265 et 386, le titre de præfectus augustalis (Mommsen, Mémoire sur les provinces romaines, p. 32).

[11] Passio S. Savini, 2. — Sur la valeur de la Passion de saint Sabin, trop complètement rejetée par Tillemont, voir De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1871, 89-90 ; Edmond Le Blant, les Actes des Martyrs, p. 187-188 ; Mason, The persecution of Diocletian, p. 212, 215. M. de Rossi dit du préambule de cette Passion, relatif a la scène du cirque, qu’elle y est narrata con si evidente stile di verita e tante minute particolarita che il Marini ed altri critici giustamente lodano quel passo tome genuinissimo. Bullettino di arch. crist., 1883, p. 156.

[12] Cf. saint Optat, De schism. donat., III, 8 : artificiosa crudelitas.

[13] Acta S. Sebastiani, 65, dans Acta SS., janvier, t. II, p. 275. — Actes des martyrs grecs, dans De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 208. — Cf. Tillemont, Mémoires, t. V, art. sur la persécution de Dioclétien ; De Rossi, l. c., p. 212 ; Bullettino di arch. crist., p. 166.

[14] J’ai déjà dit que les nombreux épisodes rapportés dans ces Actes sont rattachés les uns aux autres par un lien probablement très artificiel. Baronius (Anal., ad ann. 286, § 8) reconnaît de même que ce qui est rapporté dans les Actes de saint Sébastien peut avoir été fait en des temps fort éloignés l’un de l’autre.

[15] De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 180-181 ; Armellini, Antichi cimiteri cristiani di Roma, p. 437-440.

[16] Acta S. Sebastiani, p. 5.

[17] Acta S. Sebastiani, 83.

[18] Cf. De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 201.202, et 2e partie, p. 15, 37.

[19] De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1865, p. 9-10 ; Armellini, Antichi cimiteri cristiani di Roma, p. 284-287.

[20] Représenté par une petite basilique encore visible, que mentionne la Passion des SS. Pierre et Marcellin, remontant probablement au sixième siècle, et l’itinéraire de Salzbourg, du septième ; de là partait un escalier descendant à l’intérieur du cimetière. Voir Nuovo Bullettino di archeologia cristiana, 1898, p. 178-182.

[21] De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 178.179. Voir l’inscription mise sur le tombeau par le pape Damase, Inscriptiones christianæ urbis Romæ, t. II, p. 64, n° 12 ; p. 96, n° 48. Un graffito : TIBVRTIVS IN Ж CVM SVIS ARIEN est peut-être une allusion au martyr. Armellini, Antichi cimiteri cristiani di Roma, p. 291.

[22] Sur ce cimetière, voir Bullettino di archeologia cristiana, 1864, p. 10, 82 ; 1873, p. 147 ; 1877, p. 21 ; 1878, p. 46, 69-71, 149 ; 1879, p. 75-87 ; 1881, p. 164, 165 ; 1882, p. 111, 130 ; Nuovo Bullettino, 1898, p. 137-t83. Les caractères archéologiques du cimetière paraissent à M. de Rossi convenir à la période qui précéda la paix constantinienne plutôt qu’à la période suivante. Bull., 1882, p. 120.

[23] Roma sotterranea, t. I, p. 178.179. Inscription damasienne du tombeau de Gorgonius, Inscr. christ. urbis Romæ, t. II, p. 64, n° 13 ; p. 107, n-52 ; p. 437, n° 120. Je ne reproduis pas cette inscription, non plus que celle de Tiburtius, parce qu’elles ne contiennent aucun renseignement historique. Selon le martyrologe romain, Gorgonius serait un martyr de Nicomédie, dont le corps aurait été transporté à Rome. Mais ce martyrologe le dit enterré sur la voie Latine, ce qui est faux. Le martyrologe hiéronymien porte : Romæ via Labicana inter duas lauros in cimiterio ejusdem natale sci Gorgoni. Tous les itinéraires du septième siècle désignent également le cimetière de la voie Labicane. La chambre funéraire de Gorgonius est probablement celle. où se voit au fond, à gauche, un siège taillé dans le tuf, et dont la voûte, décorée de peintures du cinquième ou sixième siècle, porte l’image de Jésus-Christ entre les apôtres saint Pierre et saint Paul, avec, au-dessous, l’Agneau divin entre quatre saints désignés ainsi : PETRVS MARCELLINVS TIBVRTIVS GORGONIVS. Comme Tiburtius fut enterré au-dessus du cimetière, et que la chambre funéraire de Pierre et Marcellin est distincte de celle que nous venons de décrire, celle-ci parait bien avoir servi à Gorgonius. Voir Nuovo Bullettino di archeologia cristiana, 1898, p. 184.

[24] Pierre et Marcellin sont parmi le petit nombre de martyrs nommés au canon de la messe.

[25] Là avaient été également décapitées, sous Valérien, les saintes Rufine et Seconde ; voir les Dernières Persécutions du troisième siècle, 2e éd.

[26] Le 2 juin. Martyrologe hiéronymien.

[27] Acta SS. Marcellini et Petri, dans Acta SS., juin, t. II, p. 171. Voir sur ces saints, Brüder, Die heiligen martyrer Marcellinus und Petrus, ihre Verehrung und ihre Reliquien, izach gedruckten und ungedrukten Quellen, Mayence, 1878.

[28] La crypte des saints Pierre et Marcellin a été découverte par M. Stevenson, lors des travaux faits dans la catacombe de 1895 à 1897. Un escalier y conduisait. Près de la chambre, un antique pèlerin avait tracé un graffito en leur honneur. La chambre est vaste, et a été taillée de manière à recevoir de nombreux visiteurs. Au centre, devant l’abside, subsiste, isolé, un bloc de muraille, contenant deux loculi. Il est évident que ce pan de mur a été conservé à dessein, quand tout autour on démolissait une galerie et l’on abattait les parois pour créer le sanctuaire souterrain. Les deux tombes qui y restent ont contenu les corps des martyrs que, par un sentiment de respect, on n’avait pas voulu transporter dans une sépulture plus monumentale : on s’est contenté de décorer sur place les humbles loculi de pilastres et de marbres. Voir Nuovo Bullettino di archeologia cristiana, 1897, p. 117-125 ; 1898, p. 148-178 et pl. I-II, XII, XIII. Constantin avait élevé au-dessus du cimetière une vaste basilique en l’honneur des saints Pierre et Marcellin (Liber Pontificalis, Silvester, éd. Duchesne, t. I, p. 182), mais toute trace en a disparu. La petite basilique existante encore, et d’où part l’escalier qui descend dans le cimetière, est celle de Gorgonius, dont il a été question plus haut.

[29] Allusion à leur tombeau primitif dans la Silva Candida.

[30] Cf. Acta SS. Marcellini et Petri, 6.

[31] Cette inscription est rapportée dans les Acta SS. Marcellini et Petri, 8 ; voir à ce sujet les observations de M. de Rossi, Inscript. christ. urbis Romæ, t. II, p. 45.

[32] Au cimetière de saint Calepode ; cf. De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1881, p. 104-106 ; Roma sotterranea, t. I, p. 165, 182.

[33] Sanctam vero Candidam atque virginem Paulinam per præcipitium, id est per luminare cryptæ, jactantes, lapidibus obruerunt. Acta SS. Marcellini et Petri, 7. La vraie leçon donnée par plusieurs manuscrits de Rome (Bosio, Roma sotterranea, p. 116) et par le plus ancien des manuscrits de Paris contenant ces Actes (Le Blant, les Actes des martyrs, p. 275) est luminare et non, comme d’autres le portent, liminare. Cf. l’inscription du diacre Severus (295-303) :

CVBICVLVM DVPLEX CVM LVMINARE

(De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 46 et pl. V, n° 3). Voir d’autres inscriptions faisant allusion au luminare dans Le Blant, l. c.

[34] De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 422-423.

[35] Sur la famille et la noblesse de sainte Sotère, De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 23-29.

[36] Saint Ambroise, De exhortatione virginitatis, 12.

[37] Saint Ambroise, De Virginibus, III, 6.

[38] Roma sotterranea, t. III, p. 36. — Les anciens documents citent plusieurs martyres du nom de Sotère ; la clairvoyante critique de M. de Rossi a pu les distinguer, renvoyer à la persécution de Valérien la Sotère honorée le 12 mai sur la voie Aurelia en même temps que saint Pancrace, et retenir pour la persécution de Dioclétien celle dont la commémoration est marquée sur la voie Appienne, au 10 février dans le petit martyrologe romain, au 11 février dans une inscription de 401 et plusieurs manuscrits du martyrologe hiéronymien, au 6 février en d’autres manuscrits de la même compilation (Roma sotterranea, t. III, p. 18-23). Cependant deux manuscrits des Actes de saint Pancrace contiennent l’addition suivante : Eo tempore passa est virgo nomine Soteris, nobili genere orta, sub Diocletiano imp. novies et Maximiano octies consulibus (Ruinart, p. 406), ce qui est la date consulaire de 304 ; mais il est facile de voir qu’une confusion anciennement établie entre les deux saintes homonymes a fait introduire dans les Actes de ce martyr contemporain de Valérien une mention relative à la Sotère immolée sous Dioclétien. Reste une difficulté : celle-ci est honorée en février ; or, selon toute apparence, la persécution générale n’était pas commencée à Rome dès février 304, époque où Dioclétien malade, fatigué d’avoir pris à Ravenne son neuvième consulat, voyageait lentement vers les provinces danubiennes, et n’avait pas encore pu subir les conseils du véritable auteur du quatrième édit, Galère, resté en Orient. Je me demande si la date demeurée flottante entre le 6 et le 11 février serait, non celle de la mort, peut-être oubliée quand furent compilés les manuscrits hiéronymiens et l’inscription de 401, mais plutôt celle d’une translation des reliques de la sainte après la paix de l’Église. La chambre où avait été déposée primitivement sainte Sotère (X, 39, sur le plan général du cimetière de Calliste, Roma sotterranea, t. III, pl. XLII-XLV) parait avoir été pendant un certain temps visitée par les pèlerins, comme en témoignent les travaux faits pour leur donner accès (ibid., p. 33, 86-87) ; cependant elle ne reçut pas la décoration accoutumée des sanctuaires historiques des catacombes, parce que le tombeau de la martyre fut plus tard transféré dans une petite basilique à trois absides (cella trichora) construite sur le sol, à quelque distance (ibid., p. 36 ; cf. t. I, p. 259-264 ; t. III, p. 17, 469, et pl. XXXIX). Je verrais volontiers dans la date de février un souvenir de cette translation.

[39] Corpora eorum ligato saxo in colla eorum miltebantur per pontem, qui dicitur lapideus, in Tiberis rheumatibus. Acta SS. Beatricis, Simplicii, Faustin, dans les Acta SS., juillet, t. VII, p. 47. — Le cosmographe Ethique (sixième siècle) place ce pont en aval de l’île : Post iterum, ubi unes effectus (Tiberis), per pontera Lepidi, qui nunc abusive a plebe lapideus dicitur, juxta Forum boarium, quem locum Cacum dicunt, transiens adunatur gratissimo sono, depictus verticibus suorum turbinum, etc. ; cité par De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1869, p. 11. Ce pont est nommé aussi par les Actes de saint Pigmenius : Pontera lapideum, quem omnes pontera majorem appellant ; Acta SS., mars, t. III, p. 479. C’est le Ponte Rotto d’aujourd’hui. Voir cependant, sur la controverse relative à l’identification du Pons lapideus ou Lepidi, soit avec le Ponte Rotto, soit avec le Pont Fabricius (aujourd’hui Quattro Capi) qui relie l’île à la rive romaine, Mommsen, Monatsbericht der K. Akad. der Wissenschaften zu Berlin, 1867, p. 535-536 ; Preller, Die Regionen der Stadt Rom, p. 153 ; Canina, Indic. topogr. delle reg. di Roma, 4e éd., p. 560-561 ; Jordan, Topographie der Stadt Rom in Alterthum, t. II, p. 200-202.

[40] Les fragments conservés de l’inscription damasienne en l’honneur des martyrs et de leur sœur portent : FAVSTINO VIATRICI. Viatrix est la forme féminine du cognomen Viator, fréquent chez les premiers chrétiens, et non, comme on l’a cru, une corruption de Beatrix. Les plus anciens documents désignent la sainte dont il est question ici par le nom de Viatrix : plus tard on le corrigea maladroitement en Beatrix. De Rossi, Rome sotterranea, t. III, p. 652-653 ; cf. Bullettino di archeologia cristiana, 1883, p. 144.

[41] Quoniam corpora Dei nutu inventa sunt juxta locum, qui appellatur Sextum Philippi via Portuensi. Acta SS. Beatricis, etc. Le cosmographe Éthique décrit ainsi ce lieu : Circa Sextum Philippi, quod prædium missale appellatur, geminatur (Tiberis) et in duobus ex uno effectus insulam facit inter portum Urbis et Ostiam civitatem. Bullettino di archeologia cristiana, 1869, p. 11.

[42] Bullettino di archeologia cristiana, 1869, p. 10-11, et Roma sotterranea, t. III, p. 649.

[43] Aussi l’inscription (apparemment du septième siècle) relative à Simplicius et Faustinus qui passi sunt in flumen Tiberis ne les dit pas enterrés au Sextum Philippi, mais en amont, super (Sextum) Philippi. Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 44-45 ; 1869, p. 2.

[44] Roma sotterranea, t. III, p. 665.

[45] Inscription païenne du troisième siècle ; Roma sotterranea, t. III, p. 683.

[46] De Rossi, Ann. Bell’ Instit. di corresp. archeol., 1858, p. 54-79 ; Bull. di arch. crist., 1869, p. 14 ; C. de La Berge, art. Arvales, dans le Dictionnaire des Antiquités, t. I, p. 453. Le bois sacré n’était plus fréquenté par les païens qu’une fois par an, le 29 mai, pour les ambarvalia, qui se prolongèrent pendant le quatrième siècle et même au delà, et ne disparurent qu’après l’institution de la fête des Rogations ; voir De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 690-691 ; Bull. arch. com., 1889, p. 117. On a d’autres exemples de monuments religieux abandonnés à l’époque païenne ; ainsi, le groupe de monuments en l’honneur du Soleil, remontant au second siècle, et délaissés dés le règne d’Aurélien, qui a été découvert sur le Janicule. Bull. arch. com., 1887, p. 92.

[47] Roma sotterranea, t. III, p. 690 ; Bull. di arch. crist., 1869,. p. 14. L’inscription du septième siècle dit : cœmeterium Generosæ super Philippi ; Bull. di arch. crist., 1866, p. 44.

[48] Roma sotterranea, t. III, p. 670.

[49] Quam etiam sancta et venerabilis Lucina una cum suis sanctissimis fratribus ibi in Sexto Philippi sepelivit IV Kal. Aug. Acta SS. Beatricis, Simplicii, Faustini, dans Acta SS., juillet, t. VII, p. 36. — Quam sancta Lucina cum suis fratribus ibidem in Sexto Philippi sepelivit. Acta S. Anthimii, 13, dans Acta SS., mai, t. VII, p. 617.

[50] Les Romains donnaient indifféremment au même personnage le nom ou son diminutif, Rufus ou Rufinianus, Faustus, Faustinus ou Faustinianus, Clementinus ou Clementianus. Voir les exemples cités par De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1869, p. 7 ; Roma sotterranea, t. III, p. 657-658.

[51] Cf. Lactance, De mort. pers., 7.

[52] Roma sotterranea, t. III, p. 11 ; cf. p. 659-660, et Bull. di arch. crist., 1869, p. 5, 7-8. — Sur la chlamyde comme insigne distinctif des vicaires, voir Notitia dignit., Occid., Bœcking, p. 428 ; Cassiodore, Var., VI, 15.

[53] Erat autem in vinculis jussu Diocletiani... Chrysogonus... Hic erat apud Rufum quemdam vicarium, quem dominus Jesus Christus cum omni domo sua per Chrysogonum lucratus est. Martyrium SS. Anastasiæ et Chrysogoini, dans Surius, Vitæ SS., t. XII, p. 313. — Natalis S. Rufi martyris, quem dominus noster Jesus Christus cum omni domo sua per Chrysogonum martyrem lucratus est ; quem cum omni domo sua Diocletianus punitum, Christo martyrem dedit. Adon, Martyrol., 28 nov. Les Actes de saint Chrysogone, personnage romain martyrisé le 22 novembre à Aquilée, et de sainte Anastasie, martyrisée le 25 décembre à Sirmium, sont mêlés de trop d’inventions légendaires pour qu’il soit aisé d’en extraire, avec quelque certitude, ‘ce qu’ils peuvent contenir d’éléments traditionnels. Je nie bornerai à rappeler la célébrité acquise de bonne heure à Rome par saint Chrysogone dont le titulus primitif, sur l’emplacement duquel fut édifiée l’église moderne, parait remonter à l’époque de Constantin, et l’importance que le culte de sainte Anastasie obtint à Rome vers le sixième siècle, au point qu’une des trois messes de Noël lui était propre. Voir Tillemont, Mémoires, t. V, art. sur sainte Anastasie, veuve et martyre ; Duchesne, Notes sur la topographie de Rome au moyen âge, III ; Bickersteth Birks, art. Chrysogonus, dans le Dictionary of christian biography, t. I, p. 516 ; Armellini, le Chiese di Roma, p. 202.

[54] Acta SS., septembre, t. V, p. 300.

[55] In domo Theodoræ, in vicum qui dicitur Canarius. Acta SS., septembre, t. V, p. 300. Le vicus Canarius n’est-il pas une corruption du vicus Caprarius nommé dans d’anciens documents ? Voir Jordan, Topogr. der Stadt Rom in Alterthum, t. II, p. 102.

[56] In crypta in clivo Cucumeris. Acta.

[57] Le cimetière portait anciennement le nom Ad septem columbas, comme d’autres s’appelaient également, de désignations locales, Ad duas lauros, Ad insalsatos, Ad ursum pileatum ; De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 132. Après la paix de l’Église il fut connu sous le nom de Ad caput S. Joannis, parce que la tête d’un martyr Jean, par une exception presque unique à cette époque, avait été mise séparément du corps sous l’autel de la petite basilique érigée au-dessus du cimetière. Parmi les martyrs qui reposèrent dans celui-ci était le consul Liberalis, dont deux inscriptions en vers célébraient la mort pour le Christ, sans qu’aucun document ait gardé son souvenir, et par conséquent sans qu’on puisse savoir dans quelle persécution il périt. Voir Inscriptiones christianæ Urbis Romæ, t. II, p. 101, n° 23, et 102, n° 38 ; Bull. di arch. crist., 1888-1889, p. 54-55.

[58] Præsentati in Tellude in fora ante templum. Acta. Le temple de Tellus, élevé en 484 de Rome, dans le quartier des Carines, est souvent nommé dans les Passions des martyrs (cf. Jordan, Topogr. der Stadt Rom in Alterthum, t. I, p. 71 ; t. II, p. 381, 488-492). Ce lieu est quelquefois désigné, comme dans la Passion de saint Abundius, par la formule abrégée In Tellude (cf. De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 206, et le Liber Pontificalis, Cornelius, éd. Duchesne, t. I, p. 150), qui se retrouve sous la forme incomplète IN TEL... dans un des fragments du plan de Rome gravé sur marbre au temps de Septime Sévère (Jordan, Forma Urbis Romæ, fr. 6). Dans les Actes des saints Parthenius et Calocerus, le passionnaire emploie l’expression précise : In Tellure in secretario. Le secretarium Tellurense est nommé dans une inscription du quatrième siècle (voir Gatti, Di una iscrizione relativa agli uffici della prefectura Urbana, dans Rendiconti della R. Accad. dei Lineei, 1897, p. 105-188). Ce secretarium dépendait de la præfectura Urbis, dont les édifices s’étendaient de la Suburre aux thermes de Trajan. Du côté de la Suburre étaient les prisons et les salles de torture (voir dans le Rheinisches Museum, 1894, p. 629, le commentaire de M. Huelsen sur Martial, II, 17).

[59] Acta ; cf. Bull. di arch. crist., 1883, p. 136. Rubræ est nommé par Martial, IV, 64.

[60] Bull. di arch. crist., 1883, p. 159. Ce détail est jugé invraisemblable par l’auteur de l’article sur l’Amphithéâtre Flavien et ses environs dans les textes hagiographiques, Analecta Bollandiana, 1897, p. 245.

[61] In loculo plumbeo. Sur l’usage des cercueils de plomb chez les Romains, voir Cochet, Mémoire sur les cercueils de plomb dans l’antiquité et au moyen âge, Rouen, 1870, p. 6.47 ; De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 95 ; Bullettino di archeologia cristiana, 1866, p. 76 ; 1870, p. 10 ; 1871, p. 87 ; 1873, p. 77 et pl. IV-V ; Crespellani, dans Memorie dell’ Accademia di Modena, 1888, p. 52, 53, 59. Les Grecs d’Asie s’en servaient aussi : le Louvre possède un sarcophage de plomb, avec l’image de Psyché, rapporté de Saïda par M. Renan.

[62] Sur le territoire de Rignano. Bull. di arch. crist., 1883, p. 134 et suiv. ; Stevenson, dans Kraus, Real-Encyklopädie der christlichen Alterthümer, t. II, p. 125. L’épitaphe suivante, aujourd’hui au musée de Latran :

ABVNDIO PBR

MARTYRI SANCT

DEP. VII IDVS DEC.

doit provenir de ce cimetière, et avoir été gravée, après la paix de l’Église, lors de la translation solennelle du martyr Abundius (Bull., 1883, p. 152, 158). Un fragment de verre, gravé en creux, et portant près de la représentation d’un personnage les lettres ABV... fait probablement allusion à ce martyr (ibid., 1880, p. 86).

[63] Depositio martyrum, dans Ruinart, p. 692.

[64] Cf. Roma sotterranea, t. I, p. 116.

[65] Outre la date consulaire de l’année 258 indiquée pour saint Pierre et saint Paul et se rapportant à leur translation temporaire ad catacumbas sur la voie Appienne, celle de 304 est marquée pour Partenius et Calocerus ; mais elle s’applique, comme l’a montré M. de Rossi, à une translation faite alors des reliques de ces saints, de leur tombeau primitif à une chambre plus obscure de la catacombe de Calliste, afin de les dérober aux profanations qui suivirent la confiscation des cimetières ; voir Roma sotterranea, t. II, p. 211 et suivantes.

[66] La probabilité de la translation de Partenius et Calocerus, dont il est question à la note précédente, résulte de l’examen des lieux mêmes et de leurs inscriptions ; mais, à défaut de tels indices, qui n’ont pas été relevés pour Basilla, je pense qu’il y a lieu de considérer la date consulaire jointe à son nom comme étant celle, non d’une translation hypothétique, mais de sa première inhumation.

[67] Domina Basilla, commendamus libi Crescentinus (Crescentinum) et Micina(m) filia(m) nostra(m) Crescen(tinam). — Commendo Basi(l)la innocentiam Gemelli. — Bullettino di archeologia cristiana, 1876, p. 28.

[68] Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. CCXLIX.

[69] Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 6.

[70] Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 32, 1.

[71] Théodoret, Hist. Ecclés., I, 2.

[72] Voir la notice de saint Marcellin au Liber Pontificalis, empruntée vraisemblablement d’une Passio Marcellini perdue (cf. Duchesne, t. I, p. LXXIV, XCIX), et les Actes du faux concile de Sinuesse (Mansi, Concil., t. I, p. 1250 ; Héfélé, Histoire des conciles, trad. Delarc, t. I., p. 126).

[73] Ipse Marcellinus ad sacrificium ductus est ut thurificaret, quod et fecit,  dit le Liber Pontificalis. Cf. ut thurificarem, dans les Actes du concile de Cirta ; saint Augustin, Contra Cresconium, III, 27 ; et IN DIEBVS TVRIFICATIONIS, dans une inscription de Numidie, Bull. di arch. crist., 1875, p. 162 ; 1876, p. 59.

[74] Voir par exemple la biographie du successeur de Marcellin, le pape Marcel, dont le récit est en contradiction formelle avec les faits relatés de source sûre par saint Damase ; Duchesne, t. I, p. 166.

[75] Duchesne, t. I, p. LXXI-LXXII. Voir cependant l’explication différente que donnent de cette omission les Bollandistes (Acta SS., juin, t. VII, p. 185), Mommsen (Chronogr. von Jahre 354), De Smedt (Introductio ad hist. eccl., p. 512, note).

[76] De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 116. — Le pape saint Télesphore, que l’on sait par Eusèbe (Hist. Ecclés., IV, 19) avoir été martyrisé sous Antonin, n’est pas nommé dans la Depositio martyrum.

[77] Voir sa notice au Liber Pontificalis : les travaux faits dans le cimetière de Priscille pendant le règne de Dioclétien semblent confirmer sur ce point l’assertion du biographe.

[78] In cubiculum qui palet usque in hodiernum diem... Liber Pontificalis, Marcellinus (Duchesne, t. I, p. 16). Un des manuscrits dit cubiculum clarum.

[79] In crypta juxta corpus sancti Crescentionis. Liber Pontificalis, Marcellinus (Duchesne, t. I, p. 16). La crypte du martyr Crescentio a été découverte, mais on n’y a trouvé aucun indice épigraphique ou monumental de la sépulture de Marcellin (Bull. di arch. crist., 1888-1889, p. 104-106). Sur Crescentio, voir les Dernières persécutions du troisième siècle, 2e éd.

[80] Epitome de locis sanctorum martyrum ; Roma sotterranea, t. I, p. 176.

[81] Acta S. Marcelli, dans les Acta SS., janvier, t. II, p. 5 ; Acta S. Cyriaci, ibid., août, t. II, p. 327.

[82] La guérison et la conversion d’une fille de Dioclétien, le voyage de Cyriaque en Perse pour guérir une fille du roi Nabor, le don à Cyriaque par Dioclétien d’une maison près de ses thermes, le testament de Dioclétien en faveur de son fils Maximien, etc.

[83] Acta S. Marcelli, 1.

[84] Acta S. Marcelli, 2.

[85] Inscription du pape saint Damase sur la tombe de Saturninus ; De Rossi, Inscriptiones christianæ Urbis Romæ, t. II, p. 103, n° 34 a.

[86] Acta S. Marcelli, 3.

[87] Acta S. Marcelli, 4.

[88] In Tellude ; Acta S. Marcelli, 4.

[89] Suite de l’inscription damasienne ; De Rossi, l. c.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

MIRA FIDES RERVM DOCVIT POST EXITVS INGENS

(martyre in invicto posset quid gloria Christi).

DVM LACERAT PIA MEMBRA FREMIT GRATIANVS VT HOSTIS

POSTEAQVAM FELLIS VOMVIT CONCEPTA VENENA

COCERE NON POTVIT CHRISTVM TE SANCTE NEGARE

IPSE TVIS PRECIBVS MERVIT CONFESSVS ABIRE

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Gratien, dit en note M. de Rossi, est peut-être le préfet de 290. Il faudrait, dans ce cas, avancer de quatorze ans le martyre de Saturninus. Étant données les imperfections des Actes où il est raconté, ce parti ne serait pas pour nous inquiéter ; nous avons montré, à propos de ceux de saint Sébastien, comment des martyrs appartenant à différentes époques d’une même persécution ont été souvent réunis arbitrairement dans un seul récit. Mais l’année 290 parait avoir été, à Rome, relativement paisible pour les chrétiens, et l’on aurait besoin, croyons-nous, d’un document très précis pour y placer le supplice d’un martyr. L’inscription damasienne ne dit nullement que le Gratianus qui tortura Saturnin ait été préfet de Rome : il nous parait plus vraisemblable d’y reconnaître soit un assesseur, soit même un bourreau.

[90] Eorum corpora collegit Thrason, cum Joanne presbytero, et sepelivit in prædio suo via Salaria. Acta S. Marcelli, 2. — Sur le cimetière de Thrason, voir Bullettino di archeologia cristiana, 1865, p. 41 ; 1867, p. 76 ; 1868, p. 88 ; 1872, p. 59 ; 1873, p. 5-21, 43-76 ; 1877, p. 50 ; 1878, p. 46 ; 1881, p. 79. — L’inscription damasienne du tombeau de saint Saturnin se termine ainsi :

SVPPLICIS HÆC DAMASI VOX EST VENERARE SEPVLCHRVM

SOLVERE VOTA L1CET CASTASQVE EFFVNDERE PRECES

SANCTI SATVRNINI TVMVLVS QVIA MARTYRIS HIC EST.

[91] Acta S. Marcelli, 7.

[92] Quorum corpora collegit noctu Joannes presbyter et sepelivit in via Numentana sub die IV Kal. Febr. ad Nymphas S. Petri ubi baptizabat. Acta S. Marcelli, 9. Voir sur le cimetière Ostrien et les souvenirs de saint Pierre qui s’y rattachent, De Rossi, Del luogo appellato ad Capream presso la via Nomentana, extrait du Bullettino della commissione archeologica comunale di Roma, 1883, p. 244-258 ; Roma sotterranea, t. I, p. 179, 190 ; Armellini, Antichi cimiteri cristiani di Roma, p. 195. Papias et Maurus sont nommés dans le martyrologe hiéronymien, au 16 septembre, jour de la commémoration des martyrs de ce cimetière ; voir De Rossi, Del luogo appellato ad Capream, p. 6-8 du tirage à part. Ils étaient probablement nommés aussi dans la partie manquante de la pierre commémorative des martyrs du même cimetière publiée et commentée par M. de Rossi, ibid., et dont il sera question plus loin. Le lien qui unit leur histoire à celle des martyrs des thermes de Dioclétien parait confirmé par ce fait, qu’une inscription votive en leur honneur avait été placée dans un oratoire élevé près de ces thermes dans le courant du quatrième siècle ou au commencement du cinquième ; voici cette inscription, aujourd’hui au musée de Latran :

SANCTIS MARTVRIBVS

PAPRO ET MAVROLEONI

DOMNIS VOTVM REDD.

CANASIVS QVI ET ASCLEPIVS ET VICTORIN (a)

NAT(ale) H(abent) DIE XII (XIV ?) KAL. OCT.

PVERI QVI VOT(um) R(eddiderunt) VITALIS MARANVS

ARVNDANTIVS TELESPOR

Voir le fac-simile de cette inscription, Bull. di arch. crist., 1877, pl. III-IV, n° 12, et son commentaire, p. 10. Cf. Le Bourgeois, les Martyrs de Rome, t. I, 1897, p. 135-151.

[93] In Tellude. Acta S. Marcelli, 18, 21. Les Actes donnent à ce vicaire le nom de Carpasius. Voir les observations de Cantarelli, Bull. della comm. arch. com., 1890, p. 90.

[94] Acta S. Marcelli, 19.

[95] Ante clivum Ursi, in platea,ante templum Palatii (Palladis). Acta S. Marcelli, 19.

[96] In cimiterio Priscillæ, in arenario, via Salaria. Acta S. Marcelli, 19. L’expression in arenario est ici exacte ; il suffit de parcourir la catacombe de Priscille pour y reconnaître un arénaire transformé par les chrétiens en catacombe ; cf. Roma sotterranea, t. I, 2e partie, p. 16, 26, 32-34 ; Rome souterraine, p. 468, 472-473.

[97] Decollati sunt in via Salaria infra thermas Sallustii, foras muros. Acta S. Marcelli, 20.

[98] Jordan, Topographie der Stadt Rom in Alterthum, t. II, p. 124. Sur l’étendue des jardins de Salluste, qui allaient vraisemblablement de la porte Salaria à la porte Pinciana, et, bien que renfermés, depuis Aurélien, dans l’enceinte de la ville, pouvaient avoir des dépendances en dehors des nouveaux remparts, voir Jordan, l. c., p. 123-125.

[99] Voir les Actes de saint Laurent, de saint Crescent, de sainte Suzanne, des quarante soldats martyrisés sous Claude le Gothique, Jordan, Topographie der Stadt Rom in Alterthum, t. II, p. 124-125.

[100] Quorum corpora collegit nocte Joannes presbyter, et sepelivit eos in eadem via. Acta S. Marcelli, 20.

[101] Sanctorum vero corpora, hoc est Syriaci, Largi, Smaragdi, Crescentiani, Mammiæ et Juliana, sepulta sunt in via Ostiensi, milliario ab Urbe plus minus octavo. Acta S. Marcelli, 24 ; cf. 21.

[102] Situé hors de la zone des cimetières romains, le cœmeterium Cyriaci n’est pas nommé dans les itinéraires du septième siècle ; mais on le trouve indiqué, au douzième, dans le livre de Pierre Mallius sur la basilique de Saint-Pierre ; De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 184. Les plus anciens calendriers romains, la Depositio martyrum, le calendrier conservé dans le martyrologe hiéronymien, marquent le 8 août, l’anniversaire de Cyriaque et de ses compagnons au septième mille de la voie d’Ostie, et font mention aussi de la voie Salaria, d’où ils furent transportés (Ruinart, p. 692 ; De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1869, p. 68 ; Stevenson, dans Kraus, Real-Encyklopädie der christlichen Alterthümer, t. II, p. 115). Bosio retrouva l’emplacement et le souvenir du cimetière de Cyriaque, et vit les restes de l’église construite au-dessus, mais ne put pénétrer dans les souterrains ; Bosio, Roma sotterranea, t. III, c. 6 et 10 ; Aringhi, Roma subterranea, t. III, c. 5 et 9 ; voir encore Armellini, Antichi cimiteri cristiani di Roma, p. 46 ; Stevenson, l. c. ; Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 326, note 12.

[103] XI Kal. sept. Timothei Ostense. Depositio martyrum. Les Annales romaines, ajoutées plus tard au recueil de 354, mentionnent son martyre, à la suite de la date consulaire de 306 : Bis consulibus passus est Thimotheus, Romæ X Kl. Jul. ; peut-être devrait-il être plutôt rapporté à l’une des années précédentes. Les Actes légendaires de saint Silvestre parlent beaucoup de Timothée ; mais on voit que son existence résulte de documents d’une tout autre valeur : son insertion au catalogue de la Depositio martyrum suffit à prouver qu’il est un personnage réel et un martyr historique. Voir Mommsen, Uber d. Chronographen von Jahre 354, p. 663 ; Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. CXI, note 1. Le tombeau de saint Timothée se trouva englobé dans la basilique élevée par Constantin en l’honneur de saint Paul ; les pèlerins du septième siècle l’y visitaient : voir deux itinéraires dans De Rossi, Roma sotterranea, t. I, p. 182-183.

[104] Le cognomen Agnes vient du grec άγνή, pure. Il n’est pas d’origine exclusivement chrétienne, car on le rencontre dans quelques épitaphes païennes (citées par Bartolini, Actes du martyre de la très noble vierge romaine sainte Agnès, trad. française, 1864, p. 7-9). Dans les inscriptions chrétiennes, particulièrement dans celles qui accompagnent l’image de sainte Agnès sur les verres dorés, son nom est écrit Actes, ANNE, ANONE, ACNA, HACNE (Carrucci, Vetri ornati di figure in oro, p. 137). Les écrivains du quatrième siècle, saint Ambroise, saint Damase, saint Jérôme, Prudence, disent Agnes, mais avec des différences encore ; Ambroise et Prudence en font un mot indéclinable : Agnes sepulcrum est Romulea in domo,... Natalis est sanctæ Agnes ; saint Jérôme le décline : Agnetis vita ; ainsi fait le catalogue de la Depositio martyrum : XII Kat. Feb. Agnetis in Nomentana ; Damase décline aussi, mais autrement, et met à l’accusatif Agnen.

[105] Acta SS., janvier, t. II, p. 350 et suiv. Ces Actes sont l’œuvre d’un Ambroise qui n’a que le nom de commun avec l’évêque de Milan : ils paraissent antérieurs à saint Maxime de Turin (mort vers 466) qui les résume dans son homélie LI.

[106] Traditur, dit saint Ambroise ; fama refert, dit saint Damase ; aiunt, écrit Prudence.

[107] Hæc duodecim annorum martyrium fecisse traditur. Saint Ambroise, De Virginibus, I, 2.

[108] Tredecim annorum. Saint Augustin, Sermo CCLXXIII.

[109] Aiunt jugali vix habilem toro. Prudence, Peri Stephanôn, XIV, 10. Cf. Digeste, XXIII, 41, 4. Exemples de jeunes filles mariées peu après douze ans. Friedlænder, Settengeschichte Roms, t. I, p. 324 ; Fröhner, Inscriptions grecques du Louvre, n° 177, p. 263. Chrétienne mariée avant quatorze ans : De Rossi, Inscriptiones christianæ urbis Romæ, t. I, n° 37, p. 36. Inscriptions chrétiennes mentionnant la virginité de jeunes filles de quatorze ou quinze ans ; ibid., n° 20, p. 25 ; Roma sotterranea, t. III, pl. XXX, n° 47. M. Armellini (Il cimitero di S. Agnese sulla via Nomentana, 1880, p. 62) croit avoir retrouvé le marbre primitif du tombeau de sainte Agnès, portant celle simple et touchante inscription : AGNE SANCTISSIMA, et mesurant soixante-six centimètres sur trente-trois ; ce serait la taille, non d’une jeune fille de douze ou treize ans, mais d’un tout petit enfant : cela me donne de grands doutes sur l’identité de ce titulus, que l’on croit de provenance romaine, et qui est au musée de Naples.

[110] Saint Damase, dans Inscript. christ. urbis Romæ, t. II, p. 45.

FANA REFERT SANCTOS DVDVM RETVLISSE PARENTES

AGNELA CVM LVGVBRES CANTVS TVBA CONCREPVISSET

NVTRICIS GREMIVM SVBITO LIQVISSE PVELLAM...

[111] Saint Jérôme, Ep. 47, 97 ; Code Théodosien, IX, XXIV, 1.

[112] C’est le fond du récit des Actes latins, qui attribuent le martyre d’Agnès à l’amour dédaigné du fils du préfet de Rome ; mais ni les Menées grecques, ni les Actes syriaques publiés par Assemani, ne mentionnent cette circonstance.

[113] Saint Ambroise, De Virginibus, I, 2.

[114] Saint Ambroise, De Virginibus, I, 2.

[115] Prudence, Peri Stephanôn, XIV, 18-20.

[116] L’allusion à l’autel de Minerve semble montrer que l’interrogatoire eut lieu dans le voisinage d’un temple de cette déesse. On serait porté à le placer, comme tant d’autres procès de chrétiens de cette époque, dans le quartier de Tellus, au forum de Nerva, voisin du temple de Pallas ; cependant les traditions romaines, avec lesquelles il y a toujours lieu de compter, mettent le procès d’Agnès dans une toute autre région, celle où se trouve aujourd’hui la place Navone. Dans ce quartier de Rome s’élevait aussi un temple de Minerve, dont le souvenir est conservé par la place de ce nom.

[117] Peri Stephanôn, XIV, 21-30.

[118] Peri Stephanôn, XIV, 31-37.

[119] Peri Stephanôn, XIV, 39.

[120] Armellini, le Chiese di Roma, p. 106.

[121] Le même détail est rapporté, probablement d’après Damase, dans les Actes latins, mais ne figure pas dans les pièces grecques et syriaques.

[122] Peri Stephanôn, XIV, 43-51.

[123] Peri Stephanôn, XIV, 57.60. Ce récit est reproduit par les hagiographes postérieurs ; mais les Actes latins seuls, suivis par saint Maxime, font du jeune homme ainsi frappé le fils du préfet.

[124] Sénèque, Controversiæ, I, 2 ; éd. Lemaire, p. 88 et suiv. L’ espèce discutée dans l’école était celle-ci : La jeune fille qui a eu cette tragique aventure peut-elle être admise à un sacerdoce ?

[125] Sénèque, Controversiæ, I, 2 ; éd. Lemaire, p. 99.

[126] Sénèque, Controversiæ, p. 101.

[127] Saint Ambroise, De officiis, I, 41, fait aussi allusion aux pièges tendus à la chasteté d’Agnès.

[128] Les Actes latins racontent que le préfet (auquel ils donnent le nom inconnu de Symphronius), voyant son fils miraculeusement guéri, ne voulut pas continuer le procès, et en chargea son vicaire Aspasius. De la ressemblance entre le nom de ce magistrat et celui du proconsul d’Afrique qui exila saint Cyprien en 257, Bartolini (Actes de sainte Agnès, p. 74 et suiv.), Armellini (Il cimitero di S. Agnese, p. 41), Le Bourgeois (les Martyrs de Rome, t. I, p. 28-32), ont conclu, après Mazocchi (Kat. eccl. Neap., p. 920), à l’identité de ces deux personnages et ont supposé qu’immédiatement avant de gouverner la province d’Afrique Aspasius Paternus avait été vicaire du préfet de Rome. Pour cette raison ils fixent à 257 et au commencement de la persécution de Valérien le martyre de sainte Agnès. Cette hypothèse soulève de grosses objections. Du vicariat de la préfecture urbaine on ne passait pas sans transition au proconsulat d’Afrique ; d’ailleurs, le titre de vicaire n’apparaît pas avant Dioclétien. L’édit de 257 visait seulement les chefs de la communauté chrétienne et ne prononçait pas contre eux la peine de mort, qui ne fut ajoutée qu’en 258 : comment admettre que des magistrats aient voulu, à une époque où ils se bornaient à frapper d’exil des évêques tels que Cyprien et Denys d’Alexandrie, instruire minutieusement et terminer par une condamnation capitale le procès d’une petite fille de douze ans ? J’accorde volontiers que l’auteur des Actes ait voulu identifier le juge de sainte Agnès avec l’Aspasius Paternus qui ordonna en 257 la déportation de saint Cyprien ; en cela, il aura commis une confusion fréquente chez les hagiographes postérieurs à la paix de l’Église, qui ne se faisaient pas scrupule de donner à des magistrats dont le nom leur était inconnu celui de quelque personnage célèbre dans l’histoire des persécutions (voir Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 27). On peut admettre aussi que le vicaire Aspasius ait été un descendant du proconsul de 257 ; voir De Rossi, Bull. di arch. crist., 1877, p. 111. La condamnation d’une enfant au déshonneur, puis à la mort, convient surtout à une époque de guerre à outrance, de tuerie en masse, comme fut quelquefois la persécution de Dioclétien, à laquelle le paragraphe 15 des Actes rattache leur récit. L’expression employée par Damase : Fama refert sanctos dudum retulisse parentes, ne va pas contre cette conclusion, car Damase, qui écrit entre 366 et 380, peut considérer comme fait il y a longtemps un récit attribué à des contemporains de 304.

[129] Saint Ambroise, De Virginibus, I, 2.

[130] Peri Stephanôn, XIV, 89, 90.

Une hymne attribuée à saint Ambroise montre la victime occupée, comme Perpétue, de tomber avec décence (cf. Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd.) :

Nam veste se totam tegens

Curam pudoris præstitit

Ne quis retectam cerneret.

In morte vivebat pudor

Vultumque texerat manu ;

Terram genuflexo petit

Lapsu verecunda cadens.

Cette version, cependant, n’est pas tout à fait conforme à celle de Prudence, car elle suppose la vierge déjà blessée, percussa, et non décapitée d’un seul coup.

[131] Peri Stephanôn, XIV, 91-111. — Il convient d’ajouter que Prudence n’essaie pas de rapprocher le triomphe d’Agnès de l’Assomption de la sainte vierge : il représente seulement, avec toute la pompe du langage poétique, l’âme d’Agnès, spirites, montant au séjour des élus.

[132] Peri Stephanôn, XIV, 112-118.

[133] Genèse, III, 15.

[134] Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2e éd., art. Agnès, p. 32 ; Kraus, Real-Encyklopädie der christl. Alterthümer, art. Agnes, t. I, p. 18.

[135] Habens igitur in una duplex martyrium, pudoris et religionis. Saint Ambroise, De Virginibus, I, 2.

Duplex corons est præstita martyri :

Intactum ab omni crimine virginal,

Mortis deinde gloria liberiæ.

Peri Stephanôn, XIV, 7-9.

Verres dorés représentant Agnès entre deux colombes, qui lui présentent chacune une couronne ; Martigny, Kraus, l. c. ; Rome souterraine, pl. IX, n° 2.

[136] Bartolini a tenté de rattacher sainte Agnès à l’une des familles Flavia, Ulpia, Turrania, Claudia, Numitoria, Vettia, Lusia, Quintia (Actes de sainte Agnès, p. 7-11) ; Armellini (Il cimitero di S. Agnese, p. 49 et suiv.) essaie de la relier à la gens Clodia ; un autre archéologue (cité pas Bartolini, p. 98) voit dans ses parents des Calpurnii. Ce sont autant d’hypothèses absolument dénuées de preuves.

[137] Acta S. Agnelis, 13, dans Acta SS., janvier, t. II, p. 458.

[138] Voir De Rossi, Del luogo appellato ad Capream presso la via Nomentana.

[139] Armellini, Il cimitero di S. Agnese ; pl. XVII, area I.

[140] Sur la construction de la basilique de sainte Agnès, voir Liber Pontificalis, Silvester, 2e éd. Duchesne, t. I, p. 180, et les notes du savant éditeur, ibid., p. 196.

[141] Acta S. Agnetis, 13.

[142] Voir Armellini, Il cimitero di S. Agnese, p. 28-34. L’inscription en caractères du quatrième siècle si savamment commentée par M. de Rossi dans la description citée plus haut (Del luogo appellato ad Capream) nomme les principaux martyrs enterrés dans le cimetière Ostrien : Victor (évêque d’un siège inconnu), Félix, Alexandre (martyrs dont l’histoire est ignorée), Papias et Maurus, et Émérentienne :

XVI KAL OCT MARTVRORO in cimi

TERV MAIORE VICTORIS FELIcis

EMERENTIANETIS ET ALEXANdri

Papiæ, Mauri devait probablement être ajouté après Felicis : le marbre est brisé à cet endroit. Sur sainte Émérentienne, voir Le Bourgeois, les Martyrs de Rome, t. I, p. 97-134.

[143] De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1876, p. 151 ; Armellini, La cripta di S. Emerenziana, p. 76 ; Il cimiterio di S. Agnese, p. 175 et pl. XIII, n° 5.

[144] La Passion de saint Anthime le dit enterré au 28e mille de la voie Salaria ; le martyrologe hiéronymien (11 mai) place son tombeau via Salaria mil. XXII. M. Stevenson a retrouvé au 23e mille de la voie Salaria un petit cimetière souterrain et les ruines d’une église : la colline où s’élevait celle-ci porte encore le nom de colline de saint Anthime. Nuovo Bullettino di archeologia cristiana, 1896, p. 160.

[145] Acta S. Anthimii, dans Acta SS., mai, t. II, p. 617. La liste des préfets insérée dans le recueil philocalien ne contient pas Sergius Terentianus, et parmi les proconsuls d’Asie aujourd’hui connus on ne trouve aucun Faltonius Pinianus. Comme l’a fait remarquer, à propos de ce texte, M. Mowat (Bulletin de la société des Antiquaires de France, 1898, p. 270-272), il y a bien des lacunes dans notre connaissance du personnel administratif de l’Empire romain ; ainsi, la récente découverte d’inscriptions a donné les noms d’un préfet de Rome, Flavius Latronianus, du temps de Septime Sévère, dont ne parle pas le chronographe de 354, et de deux proconsuls d’Afrique, Flavius Antoninus et Pollenius Auspex, qui manquaient à la série des gouverneurs de cette province.

[146] VI idus maii,... Romæ Faltonis Piniani et Aniciæ Lucinæ conjugis ejus. Notker, Martyrol. ; cf. Acta SS., mai, t. II, p. 615.

[147] Palladius, Hist. Laus., 119, 121 ; saint Augustin, Ep. 125-128, 225, 227 ; saint Jérôme, Ep. 143.

[148] Orelli, Inscr., 1131. Cf. Armellini, Il cimitero di S. Agnese, p. 175, 177.

[149] Romæ in Sexto Philippi natale beatorum presbyterorum Joannis et Crispi, qui persecutione Diocletiani et Maximiani multa sanctorum corpora officiosissime sepelierunt. Adon, Martyrol., au 18 août ; cf. De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 663. Il nie paraît difficile de considérer la date du 18 août comme celle du martyre d’un au moins de ces prêtres, que plusieurs Passions nous ont montré enterrant encore des fidèles dans les premiers mois de 305. Peut-être Crispus, qui en effet ne figure plus d cette date dans les récits, fut-il martyrisé seul le 18 août 304, et Jean plus tard : l’anniversaire du premier serait devenu commun à l’un et à l’autre.

[150] Acta S. Beatricis ; Acta S. Anthimii ; dans Acta SS., mai, t. II, p. 619 ; juillet, t. VII, p. 36.

[151] Voici l’inscription, avec les restitutions proposées par M. de Rossi :

JuliVS. LVCRETIVS. ASInianus et

.... A. QVINTIANE. QVI. Fuerunt...

fdeles. BONIS. MORIBVS. PII. SVBBentores et

hospitES. PEREGRINORVM. ET. pauperum parentes.... RI. IVLI. ET. MONTANIANI SANctorum

haNC. DOMVM. ATPETIvit eorum

orBITAS. FESTINA ANTE. TVmulum et

ossA. SANCTORVM. filiorum               

. . . . . . IX. AT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Bullettino di archeologia cristiana, 1878, p. 93.

[152] La ressemblance des noms peut faire croire à une parenté de Julius (?) Lucretius Asinianus avec Julia Asinia, descendante de sainte Mustiola de Chiusi, qui était elle-même parente de l’empereur Claude le Gothique. Voir Roma sotterranea, t. III, p. 27 ; Bullettino di archeologia cristiana, 1878, p. 90.

[153] Cf. Acta SS., janvier, t. II, p. 275, 276 ; mai, t. II, p. 617.

[154] Bullettino di archeologia cristiana, 1878, p. 96.

[155] Bullettino di archeologia cristiana, 1878, p. 95.

[156] Une descendante des Dasumii, riche famille qui construisit au second siècle les thermes de Tarquinies et posséda des biens à Viterbe (Orelli-Henzen, 5134, 6048, 6051, 6479, 6622, 6634), fut enterrée à Rome dans une crypte du cimetière de Calliste contemporaine de Dioclétien ; De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 185 et suiv.

[157] Acta SS., mai, t. III, p. 459 ; cf. Assemani, De SS. Ferentinis in Tuscia Bonifacio et Redempto et martyre Eutychio, Rome, 1754, p. 169 ; Tillemont, Mémoires, t. V, art. I sur la persécution de Dioclétien ; De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1874, p. 110 ; le P. Germano di S. Stanislao, Memorie archeologiche e critiche sopra gli Atti e il cimitero di S. Eutizio di Ferento, Rome, 1886, p : 278-281.

[158] Le manuscrit du mont Cassin, celui de la bibliothèque Vallicelliana, à Rome, ne contient pas l’épisode d’Eutychius ; voir le P. Germano, l. c.

[159]         EVTICIVS

CONFESSOR

DEPOSITVS VIII

KAL SEPTENRRIS

IN PACE

Marbre encastré, avec beaucoup d’autres débris antiques, dans le pavage de l’église de S. Maria di Castello à Corneto ; De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1874, pl. VI et p. 101.

[160] Sur la rareté et la valeur du mot confessor dans une inscription funéraire du quatrième siècle, voir De Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1874, p. 102-111. Dans les pages 111-118 du même Bullettino, le savant archéologue démontre que l’épitaphe d’Eutychius confesseur provient des hypogées chrétiens de Tarquinies. Voir cependant, à la même époque, un autre sens du mot confessor ; Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 405-406. — Il ne faut confondre aucun de ces Eutychius avec leur homonyme romain, enterré dans la catacombe de saint Sébastien, et célébré par saint Damase dans une épitaphe en vers, où il est raconté que ce martyr passa douze jours dans un cachot semé de poteries aiguës. Je n’ai point mentionné l’Eutychius romain parmi les martyrs immolés sous Maximien Hercule et rappelés dans la première partie de ce chapitre, car l’époque de sa mort n’est pas indiquée dans l’épitaphe damasienne, et la difficulté avec laquelle son tombeau fut retrouvé après la paix de l’Église  semble indiquer que celui-ci avait été caché, comme tant d’autres, au commencement de la persécution.

[161] Acta SS., juin, t. I, p. 51 ; Surius, Vite SS., t. VI, p. 11.

[162] Surius, t. XI, p. 517.

[163] Acta SS., mai, t. IV, p. 167.

[164] Surius, t. XII, p. 307

[165] Acta SS., septembre, t. VII, p. 479.

[166] Voir Tillemont, Mémoires, t. V, art. LII sur la persécution de Dioclétien.

[167] Passio S. Savini episcopi et martyris, dans Baluze, Miscellanea, t. I, p. 12.

[168] Les Actes racontent qu’avant la conversion de Vénustien, saint Sabin, comparaissant devant ce gouverneur, avait brisé une statue rie Jupiter et pour ce fait avait eu les deux mains coupées ; puis qu’une matrone, nommée Serena, avait recueilli pieusement celles-ci et, les ayant embaumées, les avait déposées comme une précieuse relique dans un baril de verre, in dolio vitreo (Passio, 8, dans Baluze, p. 13). On n’admettra peut-être qu’avec hésitation le bris de la statue, peu conforme aux mœurs des premiers chrétiens ; mais le supplice des mains coupées n’est pas sans exemple. Suétone rapporte qu’un jour, au tribunal, quelqu’un s’étant écrié qu’il fallait couper les mains à un faussaire, l’empereur Claude fit aussitôt appeler le bourreau avec sa machæra et sa mensa lanionia (Claude, 15) ; une fresque de Pompéi montre cette mensa, billot massif porté sur trois pieds et de tous points semblable à ceux dont on se sert encore dans les boucherie (Edmond Le Blant, Revue archéologique, 1889, p. 150 et pl. III). La déposition des reliques in dolio vitreo offre aussi de la vraisemblance. Des dolia sont souvent représentés sur les marbres des catacombes (Martigny, Dictionnaire des ant. chrét., art. Dolium, p. 259 ; Kraus, Real-Encykl. der chrisit. Alterth., art. Fass, t. I, p. 480) ; on a trouvé dans leurs tombeaux des ampoules de verre en forme de barillet, a bariletto (De Rossi, Roma sotterranea, t. III, p. 620) ; des dolia en terre cuite ou de petits barillets en verre se rencontrent fréquemment dans les cimetières gallo-romains. Un très ancien exemple de dolium vitreum est donné dans la double fresque de la crypte de Lucine, qui représente, porté sur le dos d’un poisson, un panier de pains au milieu duquel une ouverture laisse voir un baril de verre contenant du vin (Roma sotterranea, t. I, pl. VII ; cf. Rome souterraine, pl. VIII, n° 1).

[169] Acta SS., juin, t. I, p. 211.

[170] Sosius, d’après les Actes ; mais Sossius ou Sossus dans le calendrier de Carthage et le martyrologe hiéronymien, Σώσσος dans les Menées grecques.

[171] Acta SS., septembre, t. VI, p. 761. Les Actes de saint Janvier mettent son martyre sous Dioclétien, pendant le cinquième consulat de Constance et de Galère, c’est-à-dire en 305. Mais la commémoration de ce saint évêque et de ses compagnons est dans l’Église latine au 19 septembre. A cette date de 305 Dioclétien ne régnait plus, et la persécution avait cessé en Occident. Peut-être celle du 21 avril, où les Grecs font la fête de ces saints, correspond-elle plutôt au jour exact de leur martyre ; en avril, Dioclétien et Maximien n’avaient pas encore abdiqué, et la persécution durait en Italie. — Tillemont critique avec raison les Actes de saint Janvier, qui sont une pièce de basse époque. Mais il parait certain qu’un original plus ancien a existé. Le ms. 1668 du Vatican contient une traduction grecque, meilleure que le texte latin, et qui semble dépendre d’un document antérieur. M. de Rossi a publié, au tome II des Inscriptiones christianæ, p. 225, 246, 247, une pièce de vers gravée par l’ordre du pape Symmaque sur l’autel dédié à saint Sossius, diacre, l’un des compagnons de’ saint Janvier, dans l’église de Saint-André, près de la, basilique Vaticane. Ce poème renferme des détails relatifs au martyr Sossius qui manquent dans la rédaction latine que nous connaissons, et prouvent l’existence, à la fin du cinquième siècle, d’un texte des Actes, de saint Janvier et de ses compagnons, plus complet que celui qui nous est parvenu. Voir Bullettino di archeologia cristiana, 1887, p. 47, et surtout Inscriptiones christianæ, t. II, p. 246, note.

[172] Acta SS., juin, t. VI, p. 139.

[173] Voir Tillemont, Mémoires, t. V, art. et note II sur saint Euple.

[174] Pridie idus augusti. Les Actes grecs mettent ce premier interrogatoire le 29 avril, et le second le 12 août ; je préfère suivre ici les Actes latins, qui les mettent le même jour, car ils paraissent tout à fait la suite l’un de l’autre, et le contexte ne suppose pas entre eux un aussi long intervalle.

[175] Diocletiano novies et Maximiano octies consulibus. Acta. S. Eupli, dans Ruinart, p. 438. Cette date consulaire de 301 se retrouve dans les Actes grecs publiés par Cotelier (Monumenta Ecclesiæ græcæ, Paris, 1686, p. 192). Plusieurs manuscrits portent Diocletiano novies et Maximiano septies cons. ; mais ces deux consulats ne concordent pas, Dioclétien ayant été consul pour la neuvième fois en 304 et Maximien pour la septième (avec Dioclétien encore pour collègue) en 303. Cependant on pourrait retenir l’indication du septième consulat de Maximien et considérer celle du neuvième de Dioclétien comme une faute de copiste, facile à commettre puisqu’il suffisait de mettre un I de trop dans la date écrite en chiffres romains. Les circonstances du martyre de saint Euplus se rapportent aussi bien à 303 qu’à 304. J’ai préféré néanmoins cette dernière date, parce qu’elle est donnée correctement par quelques manuscrits.

[176] C’est le titre que lui donnent avec raison les Actes grecs de Cotelier. La Sicile était administrée en 314 par un correcteur (Eusèbe, Hist. Ecclés., X, 5, 23 ; et Marquardt, Römische Staatswervaltung, t. I, p. 240). Aussi les Actes latins se trompent-ils en donnant à Calvisianus le titre de consularis, que les gouverneurs de Sicile ne portèrent qu’après 337 (Marquardt, l. c.). Voir Parisotti, Dei magistrati che ressero la Sicilia dopo Dioclesiano, dans Studi e Documenti di Storia e Diritio, 1890, p. 219 ; Cantarelli, Il vicariato di Roma, dans Bull. della comm. arch. com., 1893, p. 37 et suiv. Le correcteur Calvisianus n’est connu que par les Actes de saint Euplus ; mais la gens Calvisiana est souvent rappelée dans les testes et les inscriptions : De Vit, Onom., t. II, p. 90 ; cf. Cantarelli, l. c., p. 42.

[177] Cf. J. Rambaud, le Droit criminel romain dans les Actes des martyrs, p. 52.

[178] Les Actes latins disent seulement : Unus es amicis Calvisiani, nomine Maximus. Les Actes grecs lui donnent le titre de clarissime, ό λαμπρότατος.

[179] Sublatum est postea corpus ejus a christianis, et conditum aromatibus sepultum est. Acta, 3. — Sur saint Euplus, voir saint Grégoire le Grand, Ep., XII, 10, à Félix, évêque de Messine.

[180] Surius, Vitæ SS., t. XII, p. 247.

[181] Les Actes donnent à ce magistrat le titre de consularis et le nom de Paschasius. On peut admettre que, du mois d’août au mois de décembre, un autre correcteur ait remplacé Calvisianus, que nous venons de voir condamner à Catane saint Euplus. Mais Paschasius semble un nom de forme chrétienne (Kraus, Real-Encykl. der christl. Alterthümer, art. Namen, t. II, p. 481) et n’a point dû être porté par un magistrat païen. Voir cependant Cantarelli, dans Bull. della comm. arch. com., 1893, p. 45.

[182] Les Actes racontent, § 8, qu’au moment de mourir Lucie dit : Je vous annonce que la paix est rendue à l’Église, que Dioclétien est descendu du trône et que Maximien a fini sa carrière. Il y a dans ces paroles un double anachronisme : d’abord, la mort de Lucie paraissant être du 13 décembre 304, la sainte n’a pu annoncer comme arrivant en ce jour l’abdication de Dioclétien, qui est du mois de mai 305 ; puis on se trompe en faisant mourir au moment de l’abdication Maximien Hercule, qui y survécut cinq ans. Mais, comme le montre le chapitre suivant, le narrateur est dans la vérité historique en faisant dater de l’abdication des Augustes la paix religieuse en Occident.

[183] Acta SS., août, t. II, p. 16.

[184] Acta SS., mai, t. III, p. 565.

[185] Acta SS., octobre, t. IV, p. 987.

[186] Saint Paulin, Pœm. XXIV.

Vitalem, Agricolam, Proculum Bononia condit,

Quos jurata fides pietatis in arma vocavit,

Parque salutiferis texit victoria palmis,

Corpora transfixos trabalibus inclita clavis.

Il parait résulter de ces vers que Proculus fut cloué, probablement crucifié, comme Agricola. Sur saint Proculus, voir Acta SS., juin, t. I, p. 50.

[187] Saint Ambroise, De exhortatione virginitatis, 1, 2 ; cf. saint Paulin, Vita S. Ambrosii, 4. On place généralement le martyre de ces saints pendant la persécution de Dioclétien. La lettre 55, attribuée à saint Ambroise, qui donne seule cette indication chronologique, est regardée comme apocryphe ; mais elle peut n’être pas de saint Ambroise et cependant reproduire une date exacte. L’inhumation probablement furtive des deux martyrs dans le cimetière des Juifs montre que celui des chrétiens était alors confisqué ; ce trait est caractéristique de la persécution de Dioclétien.

[188] Cf. Prudence, Peri Stephanôn, XI, 131-144.

[189] Voir Godefroy, Code Théodosien, t. IV, p. 13.

[190] Prudence, Peri Stephanôn, IX, 1, 2.

[191] Peri Stephanôn, 9-14.

[192] Peri Stephanôn, 17-20.

[193] Peri Stephanôn, 31-32.

On a conclu de ces paroles que le martyre de saint Cassien était arrivé sous Julien, qui interdit l’enseignement aux chrétiens. Le poète ne dit pas que Cassien fut poursuivi pour avoir professé, mais pour avoir refusé de sacrifier aux dieux. Il parle de ce martyre comme d’un fait arrivé au vieux temps, veram vetusti temporis monstrat fident ; cela peut s’entendre du commencement du quatrième siècle, mais non du règne de Julien, sous lequel vécut Prudence enfant.

[194] Tite-Live, V, 27.

[195] Peri Stephanôn, IX, 43-92.

Ce terrible supplice n’est pas sans précédent ; Suétone (Caligula, 28) parle d’un sénateur et Sénèque (De clementia, 1, 14) d’un chevalier ainsi tués à coups de styles. Sous Julien, quand le peuple païen d’Aréthuse massacra l’évêque Marc, les enfants qui fréquentaient les écoles (raconte Sozomène, Hist. Ecclés., V, 10) se firent de lui un jouet, se le rejetant de l’un à l’autre, et le piquant atrocement avec leurs styles.  — Je ne crois pas avoir besoin de défendre la véracité de Prudence décrivant un tableau de la basilique d’Imola et rapportant le commentaire qui lui en est donné. On a pourtant, pour la peinture de saint Cassien comme pour celle de saint Hippolyte, insinué qu’elle pouvait être une invention du poète. J’ai répondu ailleurs pour saint Hippolypte ; la réponse est aussi facile en ce qui concerne saint Cassien. Il faudrait des preuves bien fortes pour accuser sinon d’imposture, au moins d’invention poétique un homme tel que Prudence, décrivant un monument public placé dans une église et disant : J’ai vu. L’hymne en l’honneur de saint Cassien est une des plus vivantes, des plus personnelles que Prudence ait écrites ; il s’y met naïvement en scène et laisse même échapper sur son voyage, sur sa famille, sur ses inquiétudes de fortune ou de carrière, une de ces confidences dont il se montre ordinairement si avare (Peri Stephanôn, IX, 99-106). Comment supposer qu’à ces accents sincères il aurait mêlé une froide et inutile fiction, et, après avoir confié à ses lecteurs qu’il embrassa le tombeau en versant des larmes et en priant avec angoisse (ibid., 99-100), décrit comme existant au-dessus de ce tombeau une peinture imaginaire ? L’auteur de la plus récente étude sur Prudence, M. Puech, admet comme moi que le poète a réellement vu les fresques ou les tableaux dont il parle (Prudence, étude sur la poésie latine chrétienne au quatrième siècle, 1888, p. 130, 309.)

[196] Acta SS., mai, t. II, p. 286.

[197] Acta SS., juillet, t. III, p. 280.

[198] Acta SS., août, t. II, p. 187 ; octobre, t. XII, p. 548.

[199] Acta SS., octobre, t. III, p. 824.

[200] Voir la Passio SS. Firmi et Rustici, omise dans l’édition de 1689 de Ruinart, donnée dans l’édition de 1731, et reproduite dans celle de Ratisbonne, p. 636. Cette Passion est aussi peu sûre que beaucoup des Actes que Ruinart a rejetés de son recueil.

[201] Tunc jussit Anulinus ut omnes gestæ christianorum adducerentur ante eum, et fecit cas comburi ante se, dicens : Quicumque legerit eas in errorem veniet, sicut et illi fuerunt ; et venerantur illorum sepulcra magis quam templa deorum, qui ab initio sunt. Et jussit ut nemo sepeliret corpora eorum, nisi bestiæ aut canes devorarent ea. Passio SS. Firmi et Rustici, 2.

[202] Voir en particulier la dévotion des Milanais du quatrième siècle pour les tombes de saint Victor, de saint Nabor et de saint Félix, appelés nostros martyres par saint Ambroise (In Lucæ evangelium, 7).

[203] Tillemont, Mémoires, t. V, art. LIV sur la persécution de Dioclétien.

[204] Cf. Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 25. Cependant le nom d’Anulinus peut avoir été porté par un magistrat distinct de celui-ci et attaché à l’administration du diocèse d’Italie, car les Anulinus sont nombreux à cette époque : un Annius Cornelius Anulinus, consul en 295 ; un Anulinus, préfet de Rome en 306 ; un autre Anulinus, proconsul d’Afrique en 313.

[205] Acta SS., janvier, L. I, p. 997. Cf. Tillemont, Mémoires, t. V, art. LVI sur la persécution de Dioclétien. Un passage, cependant, parait à retenir. La Passion de saint Ephysius dit qu’il fut jugé par le gouverneur Juliens (ou Julius), mais que celui-ci, atteint de la fièvre, ne put le condamner, et quitta l’île, remplacé par Flavianus (deriliquit ibi vicarium nomine Flavianum). Il se trouve qu’un Flavianus a gouverné la Sardaigne sous Dioclétien et Maximien : il est nommé avec ces empereurs sur une borne milliaire, dont l’inscription est reproduite par l’Ephemeris epigraphica, t. VIII, 759. Voir Cantarelli, dans Bull. arch. com., 1893, p. 217.

[206] Tillemont, l. c.

[207] Acta SS., mai, t. III, p. 456.

[208] Acta SS., août, t. IV, p. 414. — Découverte de l’antique cimetière chrétien de Cagliari, cubicula creusés dans le roc, sans être reliés par des galeries, analogues aux tombes sémitiques et aux caveaux chrétiens de la Palestine. L’un, orné de peintures, parait contemporain de Dioclétien et de Maximien (monnaies de ces deux princes) ; l’autre, plus ancien, a des peintures de bon style, et d’un symbolisme très original. Bull. di archeologia cristiana, 1892, p. 136, 140-144, et pl. V, VI-VIII.

[209] Acta SS., octobre, t. XI, p. 541.

[210] Acta SS., janvier, t. II, p. 770.

[211] A première vue, on croirait que ce nom est symbolique plutôt que réel. Ce fut, cependant, celui d’une grande famille romaine ; un des consuls de 157 s’appelait Barbarus ; un consulaire de Campanie, en 333, porte les noms de Barbarus Pompeianus (Corp. inscr. lat., t. XIV, 2919 ; Code Théodosien, I, II, 6) ; un autre Barbarus Pompeianus fut proconsul d’Afrique en 400 (Corp. inscr. lat., t. VIII, 969). Voir Bull. della comm. arch. com., 1892, p. 197 ; 1893, p. 211.

[212] Liste de Polemius Silvius (403-449), dans Mommsen, Mémoire sur les provinces romaines, trad. Picot, p. 47 ; Notitia Dignitatum, Occid., Bœcking, p. 6, 28 ; 11, 14 ; 805.

[213] Dans la Diœcesis Italiana, le manuscrit de Vérone, représentant la division de 297, nomme la province Corsica et ne fait pas mention de la Sardaigne séparément (Mommsen, l. c., p. 47) ; mais l’état défectueux du manuscrit ne permet pas de tirer de cette omission des conclusions précises, car le nom d’autres provinces y manque aussi, qui certainement figuraient dans la liste. — Voir cependant contre l’opinion que j’ai émise dans le texte, Mommsen (Corp. inscr. lat., t. X, p 838), et Michon (l’Administration de la Corse sous la domination romaine, 1888, p. 418 et suiv.), qui pensent que la Sardaigne et la Corse furent séparées administrativement dès le règne de Néron. Cantarelli (Il vicariato di Roma, dans Bull. arch. com., 1893, p. 205-207) croit à la séparation des deux provinces en 297, mais prend cependant en considération le témoignage des Passions de sainte Devota et de saint Saturnin : il supposé que Barbarus, ayant d’abord gouverné la Corse, puis ayant été nommé au gouvernement de la Sardaigne, avait provisoirement conservé l’administration de ces provinces ; exemples analogues dans Bull. arch. com., 1892, p. 124, 198.

[214] Passio S. Afræ martyris, dans Ruinart, p. 501. Les Actes de sainte Afra contiennent une première partie, non insérée dans Ruinart, où est racontée sa conversion, et sur laquelle Tillemont fait de justes réserves (Mémoires, t. V, note XXIV sur la persécution de Dioclétien). Ils ont ensuite une seconde partie, qui forme la Passion proprement dite, où sont relatés l’interrogatoire et le supplice d’Afra. Cette seconde partie commence, comme un récit indépendant de la première, par ces mots : Apud provinciam Rhetiam, in civitate Augusta, et se termine par : Hæc dicens, emisit spiritum. Ruinart la croit copiée sur les registres publics. Sans aller aussi loin, on admettra qu’elle a été composée d’après des souvenirs anciens et précis. Telle est l’opinion de M. l’abbé Duchesne. Celui-ci rejette la première partie, condamnée par Tillemont, et sagement omise par Ruinart. Il défend la seconde contre les critiques de Krusch (Passiones vitæque sanctorum ævi merovingici et antiquorum aliquot, Hanovre, 1896). Sans doute, elle n’est pas pour lui une pièce absolument originale, reproduisant un procès-verbal officiel ou des notes d’audience (Bulletin critique, 1897, p. 304) ; mais elle appartient à la catégorie des Passions rédigées vers le déclin du quatrième siècle ou le début du siècle suivant, de type intermédiaire entre les pièces vraiment originales comme la Passion de saint Cyprien ou celle de saint Polycarpe, et les légendes plus ou moins fabuleuses, si fréquentes à partir du sixième siècle (Analecta Bollandiana, t. XVII, 1898, p. 436). M. Duchesne lui reconnaît au moins une valeur analogue à celle des Passions des martyrs de Gaule, par exemple, celles de saint Symphorien, des saints Donatien et Rogatien, etc. (Bulletin critique, 1897, p. 305). La tradition, dit-il, s’y conserve en gros, avec ses traits principaux ; le détail de la rédaction reflète plutôt le sentiment et l’imagination du rédacteur qu’il ne s’inspire de la réalité des choses. Ici les traits caractéristiques sont : la profession de courtisane, le fait que la martyre n’était pas encore baptisée, le supplice du feu. Ce n’est pas trop présumer de la tradition augsbourgeoise que de supposer que ces trois traits ont pu se conserver, pendant trois ou quatre générations, à tout le moins dans le clergé et près du sanctuaire, fort vénéré, d’Afra (Analecta Bollandiana, t. XVII, p. 436). Le martyrologe hiéronymien inscrivant au 7 août : In provincia Rhetia, civitate Augusta, Afræ veneriæ, relève soit de la Passion elle-même, soit directement de la tradition.

[215] L’un de ses plus proches prédécesseurs avait été Valentius, vir perfectissimus, præses provinciæ Bætiæ en 290 ; Corpus inscr. lat., t. II, 5810.

[216] Accedens ad Capilolium, sacrifica. Passio, 1, Augsbourg, que Tacite (Germ., 41) appelle splendidissima Rætiæ provinciæ colonia, avait probablement un Capitole, comme la plupart des colonies romaines. Marquardt doute cependant qu’Augsbourg, bien que portant le nom de colonie, ait, eu le jus coloniæ (Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 289, note 7). Mais elle était au moins un municipe (Corpus inscr. lat., t. III, 5800), et, comme il n’y avait plus, sous l’Empire, de différence entre les colonies et les municipes (Willems, le Droit public romain, p. 528), elle put avoir un Capitole. Dans la nouvelle édition de son étude sur les Capitoles provinciaux du monde romain (Mémoires de la Société d’Émulation du Doubs, 1885), M. Castan a fait, à propos des Actes de sainte Afra, une objection dont je ne saisis pas le sens. Aucun déterminatif n’accompagnant le mot Capitolium, dit-il (p. 349), nous ne savons encore s’il y a lieu de lui accorder le sens précis de Capitole. Je cherche vainement quel déterminatif est nécessaire pour donner au mot Capitolium le sens de Capitole.

[217] Une réponse semblable se lit dans la Passion de sainte Macra, martyrisée à Fismes, près de Reims, vers 287 (Acta SS., janvier, t. I, p. 325). J’admettrais volontiers que le rédacteur de cette dernière pièce a maladroitement copié les Actes de sainte Afra, car dans le petit bourg de Fismes il ne doit pas y avoir eu de Capitole.

[218] Ceci forme la troisième partie des Actes, insérée dans Ruinart, mais beaucoup moins sûre que la seconde. On remarquera que le martyrologe hiéronymien fait mention d’Afra seule, et ne nomme ni ses servantes ni sa mère. Voir les articles déjà cités du Bulletin critique (1897, p. 304) et des Analecta Bollandiana (1898, p. 433, 435).

[219] Passio, 4. Si l’on en croit la première partie des Actes, ce Narcisse aurait été un évêque de Girone, en Espagne, réfugié à Augsbourg pendant la persécution, qui revint plus tard dans sa ville épiscopale et y souffrit le martyre. Sur les difficultés de cette histoire, voir Tillemont, Mémoires, t. V, note XXIV sur la persécution de Dioclétien, et aussi les articles cités plus haut du Bulletin critique et des Analecta Bollandiana.

[220] Cet ordre est si cruel et si opposé à toutes les lois, qu’il n’est pas aisé de croire qu’il soit véritable, dit Tillemont, Mémoires, t. V, art. sur sainte Afre. Cependant ces exécutions tumultuaires et sans jugement se rencontrent durant la dernière persécution, où il est souvent question de fidèles enterrés vivants dans les catacombes où ils allaient prier : on en a même des exemples dès le temps de Valérien. Sous Dioclétien, la légalité est comme abolie quand les chrétiens sont en cause.

[221] Les tombeaux anciens étaient souvent des bâtiments assez spacieux, dit à ce sujet Tillemont, l. c. Voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., Appendice A.

[222] Saint Optat, De schism, donat., III, 8.

[223] Saint Optat, De schism, donat., III, 8.

[224] Actes du concile de Cirta, dans saint Augustin, Contra Cresconium, III, 30.

[225] Bullettino di archeologia cristiana, 1876, p. 59-61. Mastar, aujourd’hui Beni-Ziad ou le village alsacien de Rouffach, est à trente kilomètres de Milève (Milah) et de Cirta (Constantine).

[226] Bullettino di archeologia cristiana, 1876, pl. III, n° 2.

[227] Bullettino di archeologia cristiana, 1876, p. 62.

[228] A Aïn-Regada, à cent vingt kilomètres de Constantine, à quatre cents mètres de la voie romaine. Bullettino di archeologia cristiana, 1875, p. 168.

[229] Bullettino di archeologia cristiana, 1875, pl. XII.

[230] Bullettino di archeologia cristiana, 1875, pl. XII.

[231] Bullettino di archeologia cristiana, 1875, p. 171.

[232] Bull. di arch. crist., 1875, p. 172.

[233] Bull. di arch. crist., 1875, p. 171, 1876, pl. III, n° 1. — Dans le Bullettino de 1875 ; p. 173, M. de Rossi a démontré, par les termes mêmes de l’inscription rapprochés des paroles de saint Optat, De schism. donat., III, 8, qu’il ne peut s’agir ici de prétendus martyrs donatistes.

[234] Voici que s’élèvent les hauts faites des toits sacrés, qu’une pieuse sollicitude a donnés pour église à la vénérable martyre Digna. Le n6ble pontife, celui qui est toujours notre père, le ministre de la loi du Christ, Navigius, les a construits. Que tous contemplent son religieux ouvrage. Bullettino di archeologia cristiana, 1886, p. 26.

[235] M. Edmond Le Blant a élevé quelques doutes au sujet de la martyre Digna. Je ne trouve — écrit-il dans le Bulletin du comité des travaux historiques et scientifiques, 1887, p. 370-371 — dans les catalogues de l’Église d’Afrique ni le nom de l’évêque Navigius ni celui de Digna. Étaient-ils catholiques ? étaient-ce de ces donatistes qui couvraient le sol africain des tombeaux de ceux d’entre eux qu’ils saluaient comme martyrs ? D’après la forme des lettres (fort mal gravées bien qu’il s’agisse ici d’un marbre de type officiel, ayant dû figurer sur la façade de l’église), l’inscription de Philippeville ne peut avoir été exécutée avant la fin du quatrième siècle. Si la mort de Digna n’est pas beaucoup antérieure, il est à croire que ni cette femme ni l’évêque Navigius, dont les noms manquent, je le répète, dans les catalogues africains, ne doivent être comptés au nombre des catholiques. A ces paroles de l’éminent épigraphiste M. de Rossi avait d’avance répondu dans une note du Bull. di arch. crist., de 1886, p. 28 . A Rusicade, les donatistes et les catholiques eurent chacun un évêque (cf. Morelli, Africa cristiana, t. I, p. 265). L’inscription de Navigius, qui invite tous, cunctos, à contempler son religionis opus, ne porte en soi aucune trace de conciliabule schismatique. Aucune allusion n’y est faite aux circonstances spéciales du martyre de Digna, qui semble une martyre antique, nomine venerando, d’un nom honoré par un culte solennel et incontesté. D’autres martyrs de la persécution de Dioclétien en Numidie, præside Floro, nous ont été révélés par les inscriptions, martyrs ignorés, comme Digna, des fastes martyrologiques. A cette classe devra probablement être jointe la martyre de Rusicade.

[236] J’ai demandé, continue M. de Rossi, que l’on vérifiât si l’emplacement du sépulcre correspondait à celui de l’autel dans l’abside de la basilique ; car, en ce cas, on y pourrait reconnaître la véritable tombe de la martyre. Malheureusement il n’a pas été possible de dessiner un plan exact et d’explorer l’aire de la basilique, aujourd’hui en grande partie occupée par des constructions modernes. Bull. di arch. crit., 1886, p. 28.

[237] Analecta Bollandiana, t. IX, 1890, p. 117-134.

[238] L’éditeur bollandiste considère la Passion de Typasius comme sincère, et rédigée à une époque peu éloignée des faits, malgré une certaine tendance du narrateur au merveilleux. M. l’abbé Duchesne (Bulletin critique, 1890, p. 278) ne la croit pas antérieure à la fin du quatrième siècle. Il conjecture que Typasius est peut-être identique au martyr africain Revocatus (revocatus, vétéran rappelé sous les drapeaux) commémoré le 17 janvier dans le martyrologe hiéronymien.

[239] Tacite, Ann., I, 17, 26 ; cf. Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. II, p. 498.

[240] Cf. Tertullien, De corona militis, 1.

[241] Digeste, XLIX, XVI, 13, § 3. Cf. l’index du recueil de Wilmanns, t. II, p. 608.

[242] Voir Catinat, art. Evocati, dans Dictionnaire des antiquités, t. II, p. 866.

[243] Cf. Corpus inscr. lat., t. VIII, 10570.

[244] Avant la découverte récente de sa Passion, Fabius n’était pas inconnu. Le martyrologe d’Adon, au 31 juillet, renfermait un résumé de celle-ci. La Passion est attribuée par les Bollandistes à un auteur du quatrième ou cinquième siècle. Le mélange de rudesse et d’enflure qui caractérise son style rappelle la langue parlée dans l’Afrique romaine à cette époque, et ressemble assez à celui de la Passion de sainte Salsa pour qu’on puisse les attribuer au même auteur.

[245] Les deux derniers paragraphes de la Passion montrent qu’elle fut écrite par un habitant de Cartenne, défendant contre les revendications des habitants de Césarée le droit de ces concitoyens à conserver les reliques de Fabius.

[246] Passio SS. Maximæ, Secundæ et Donatillæ, dans Analecta Bollandiana, 1890, t. IX, p. 110-116. Ces trois saintes n’étaient pas inconnues. Les Actes de sainte Crispine, que nous analyserons plus loin, font allusion à leur martyre. Elles sont nommées ou indiquées, au 30 juillet, dans le martyrologe hiéronymien et dans le calendrier de Carthage. Le résumé de leur Passion se trouve dans le martyrologe d’Adon. Les Bollandistes qui rédigèrent les Acta Sanctorum de juillet n’avaient pu trouver le texte original de celle-ci. Leurs successeurs l’ont découvert dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale. Ils portent sur cette pièce un jugement très favorable : les nombreux détails qui y sont contenus concordent avec les institutions et les mœurs du temps, le style est simple, et tous les indices portent à considérer l’hagiographe comme peu éloigné du temps où vécurent les martyres. M. Duchesne (Bulletin critique, 1890, p. 278) est plus sévère.

[247] Il y avait dans la province proconsulaire deux villes de ce nom, Thuburbo la Grande (Majus) et Thuburbo la Petite (Minus).

[248] Sur l’administration de ces grands domaines, voir Boissier, l’Afrique romaine, 1895, p. 162 et suiv.

[249] Le texte dit : Maximianus et Gallienus. Le second nom provient évidemment d’une erreur de copiste. La même erreur se trouve dans le martyrologe d’Adon.

[250] Sur le clergé et même les évoques des lundi, des saltus, trait particulier à l’Église d’Afrique, voir Ferrère, la Situation religieuse de l’Afrique romaine, 1897, p. 16 ; et mon article sur le Clergé chrétien au milieu du quatrième siècle, dans Revue des Questions historiques, juillet 1895, p. 23.

[251] Campitana. Voir Analecta Bollandiana, t. IX, 1890, p. III, note 8.

[252] Cf. Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 59.

[253] Inscription de Bisica Lucana (aujourd’hui Testùr). Corpus inscr. lat., t. VIII, 1392.

SANCTÆ TRES

MAXIMA

DONATILLA

ET SECVNDA

BONA PVELLA

[254] Ou plutôt de Thagora, ville de la portion de la Numidie qui faisait partie de la province proconsulaire.

[255] Les Actes (Ruinart, p. 491) disent Diocletiano II et Maximiano consulibus. Le second consulat de Dioclétien est de 285, année fort éloignée de la persécution générale, et où il eut pour collègue non Maximien, mais Aristobule. Il faut supposer que l’original portait IX et qu’un copiste maladroit l’a remplacé par II. Les détails sur la famille, la fortune, l’éducation de Crispine ne sont pas dans les Actes, qui ne disent pas non plus qu’elle ait été présentée au tribunal les mains liées ; mais saint Augustin (Enarr. in ps. CXX, 13) l’appelle feminam divitem et delicatam et ajoute : Hanc enim, fratres, numquid est qui in Africa ignoret ? Clarissima enim fuit, nobilis genere, abundans deliciis. Dans l’Enarr. in ps. CXXXVII, 3, il ajoute : Caudebat cura tenebatur, cum ad judicem ducebatur, cum in carcerem mittebatur, cum ligata producebatur...

[256] Les Actes placent le procès de Crispine à Theveste, apud coloniant Thebestinam.

[257] L’omission du nom du César Galère est encore, sans doute, une faute de copiste.

[258] Saint Augustin ajoute (Enarr. in ps., CXXXVII, 3) qu’elle fut mise au chevalet, cum in catasta levabatur ; mais les Actes n’en parlent pas.

[259] Si thurificavero idolis.

[260] Gaudebat... cum damnabatur. Saint Augustin.

[261] Quæ alios fecerit martyres, alios confessores, nonnullos funesta prostravit in morte, latentes dimisit illæsos. Saint Optat, De schism. donat., I, 8.

[262] Adon, Usuard, au 9 décembre.

[263] Adon, Usuard, au 23 octobre.

[264] Adon, Usuard, au 22 janvier. Sur les Actes des saints Oronce et Victor (Acta SS., janvier, t. II, p. 389), voir Tillemont, t. V, note XXVI sur la persécution de Dioclétien.

[265] Peri Stephanôn, IV, 9-16.

[266] Peri Stephanôn, IV, 7-8.

[267] Peri Stephanôn, IV, 21-23.

[268] Peri Stephanôn, IV, 55-56.

[269] Peri Stephanôn, IV, 37-40.

[270] Peri Stephanôn, IV, 65-72.

[271] Peri Stephanôn, IV, 57-58.

Sola in occursum numerosiores

Martyrum turbas Domino parasti.

[272] On a donné à ces martyrs, dont la fête se célèbre le 3 novembre, le nom de massa candida. Selon une tradition rapportée par des auteurs espagnols, mais dont ne parlent pas leurs Actes, leurs cendres, mêlées à d’autres, s’en distinguaient par la blancheur. Voir Ruinart, p. 518 ; et surtout Acta SS., novembre, t. I, p. 643 et suiv. Ce sont les seuls des martyrs de Saragosse dont la ville moderne ait gardé le souvenir : leurs reliques reposent, dit-on, dans les caveaux de l’église souterraine de Santas Masas.

[273] Peri Stephanôn, IX, 181-188.

Additis Caio, nec enim silendi,

Tuque Crementi : quibus incruentum

Ferre provenit decus ex secundo

Laudis agone.

Ambo confessi Dominum steterunt

Acriter contra fremitum latronum.

Ambo gustarunt leviter saporem

Martyriorum.

[274] Peri Stephanôn, IX, 109-112.

Hic et, Encrati, recubant tuarum

Ossa virtutum, quibus efferati

Spiritum mundi violenta virgo

Dedecorasti.

[275] Peri Stephanôn, IV, 121-132.

Barbarus tortor latus omne carpsit,

Sanguis impensus, lacerata membra.

Pectus abscissa patuit papilla

Corde sub ipso.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Cruda te longum tenuit cicatrix,

Et diu venis dolor hæsit ardens,

Dum putrescentes tenuat medullas

Tabidus humor.

[276] Peri Stephanôn, IV, 133-134.

Invidus quamvis obitum supremum

Persecutoris gladius negaret...

[277] Peri Stephanôn, IV, 113-116.

Martyrum nulli remanente vila

Contigit terris habitare nostris :

Sola tu morti propriæ superstes

Vivis in orbe.

J’ai donné à ces vers le sens qui m’a paru le plus vraisemblable ; cependant, peut-être Prudence veut-il dire seulement qu’Encratis, en qui il salue une vraie martyre,

Plena te, martyr, tamen ut peremptam

Pœna coronat,

Ibid., 135-136, fut la seule qui, ayant mérité ce titre, supérieur à celui de confesseur, se soit en quelque sorte survécu à elle-même. Si telle est la pensée du poète, on peut admettre que les confesseurs Caius et Crementius ont continué aussi de vivre à Saragosse après la persécution. Mais ce détail a peu d’importance. — Une épigramme, attribuée à saint Eugène II, évêque de Saragosse (616-659), dit qu’Encratis fut enterrée dans la même église, mais non dans la même tombe, que les dix-huit martyrs :

Hic etiam compar meritis Engratia martyr

Sorte sepulchrali dissociata jacet.

Esp. Sagr., t. V, p. 273. On dit que les reliques de Lupercius et d’Encratis furent découvertes en 1369 dans les fondations de la cathédrale de Saragosse ; ibid., t. XXX, p. 289.

[278] Peri Stephanôn, IV, 137-140.

Vidimus partem jecoris revulsam

Ungulis longe jactasse pressis,

Mors habet pallens aliquid tuorum

Te quoque viva.

[279] Peri Stephanôn, IV, 29-30.

Parva Felicis decus exhibebit

Artubus sancti locuples Girunda.

L’exactitude de Prudence est ici remarquable : rappelant l’épithète donnée par le poète à la petite Girone, Hübner (Corpus inscr. lat., t. II, p. 614) fait observer que la ville ne s’est pas agrandie depuis le quatrième siècle ; les trois seules inscriptions de l’époque romaine trouvées sur son territoire (ibid., 4620-4622) montrent combien peu considérable elle était alors.

[280] Tillemont, Mémoires, t. V, art. XXII sur la persécution de Dioclétien.

[281] Peri Stephanôn, IV, 34-35.

Barchinon claro Cucufate freta

Surget...

[282] Peri Stephanôn, IV, 41-44.

Sanguinem Justi, cui Pastor hæret.

Ferculum duplex geminumque donum

Ferre Complutum gremio juvabit

Membra duorum.

Les Actes des saints Just et Pasteur (Acta SS., août, t. II, p. 153) disent qu’ils étaient deux frères encore enfants, et furent martyrisés par ordre de Datianus. Le martyrologe romain attribue également à Datianus la condamnation de Cucufas.

[283] Peri Stephanôn, IV, 8-9.

Corduba Acisclum dabit et Zoellum

Tresque coronas.

[284] Voir Bullettino di archeologia cristiani, 1879, pp. 38, 41 ; 1888-1889, p. 115. — Jusqu’au seizième siècle continuèrent de même à être appelés les trois doms, tres domini, trois martyrs enterrés à Romans, dans le Dauphiné ; voir Giraud et U. Chevalier, le Mystère des trois doms, Lyon, 1887.

[285] Peri Stephanôn, IV, 41-44.

Lusitanorum caput oppidorum

Urbis adoratæ cineres puellæ

Obviam Christo rapiens ad aram

Porriget ipsam.

[286] Peri Stephanôn, III, 1.

Germine nobilis Eulalia.

[287] Peri Stephanôn, III, 11-12.

Curriculis tribus atque novem

Tris hiemes quater attigerat.

[288] Peri Stephanôn, III, 16-25.

[289] Peri Stephanôn, III, 26-35.

[290] Peri Stephanôn, III, 36-50.

[291] Peri Stephanôn, III, 64-65.

Mane superba tribunal adit,

Fascibus adstat et in mediis.

[292] Peri Stephanôn, III, 66-130.

[293] Concil. Illiberis, canon 60.

[294] Tillemont, Mémoires, t. V, art. sur sainte Eulalie.

[295] Peri Stephanôn, III, 153-161.

Flamma sed undique lampadibus

In latera stomachumque furit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Flamma crepans volat in faciem

Perque comas vegetata caput

Occupat, exsuperatque apicem.

Sur un bas-relief de la colonne Trajane, on voit des femmes barbares briller ainsi avec des torches des soldats romains prisonniers : l’une approche la flamme des flancs d’un captif, l’autre renverse sa torche allumée sur l’épaule d’un soldat, une troisième promène le feu sur la chevelure de sa victime. M. Edmond Le Blant, qui a publié ce bas-relief, Revue archéologique, janvier-février 1889, p. 148, fait remarquer que dans les testes relatifs à ce supplice (cf. Virgile, Énéide, IX, 535) lampades et faces sont synonymes ; cf. du même auteur les Persécuteurs et les Martyrs, p. 281-282.

[296] Peri Stephanôn, III, 162.163.

Virgo, citum cupiens obitum,

Appetit, et bibit ore rogum.

[297] Peri Stephanôn, III, 161-185.

[298] Peri Stephanôn, III, 186-200.

[299] Sainte Eulalie est honorée le 10 décembre.

[300] Peri Stephanôn, III, 201-215. — De cette poétique péroraison je rapprocherai cette note du martyrologe hiéronymien, au 14 des calendes de décembre, jour de la célébration à Cordoue de l’anniversaire d’Acisclus : Hac die rosæ ibidem colleguntur.