La persécution de Dioclétien et le triomphe de l’Église

APPENDICE — LE MARTYRE DE LA LÉGION THÉBÉENNE.

 

 

Le martyre de la légion Thébéenne, au commencement du règne de Dioclétien, est un des faits les plus controversés de l’histoire des persécutions.

Tous ceux qui se sont occupés de cette histoire l’ont rencontré sur leur chemin[1]. Quelques-uns ont esquivé ses difficultés en le passant tout à fait sous silence. D’autres l’ont nié résolument, et ont rejeté parmi les légendes les documents qui le rapportent. Des historiens non moins absolus en sens contraire ont accepté ces documents sans examen et accordé à toutes leurs assertions une égale autorité. Il en est enfin qui, comprenant mieux, selon nous, les devoirs de la critique, ont étudié avec soin la valeur relative des sources, et, après s’en être rendu compte, ont tenté de replacer dans le cadre historique le plus probable les faits qui leur ont paru devoir être retenus.

Nous avons, dans le premier chapitre de ce livre, essayé de reconstituer ce cadre, et d’y adapter l’épisode des Thébéens : la facilité avec laquelle a pu se faire l’adaptation nous a paru un préjugé très favorable à la réalité de l’épisode. Mais nous n’aurions pu, sans interrompre nos récits par de trop longues digressions, examiner à ce moment les sources de l’histoire des Thébéens, discuter les hypothèses présentées à l’encontre de celle qui nous a paru la plus probable, ou répondre aux objections d’une critique inexacte à force d’être exigeante. Ce travail de détail a été forcément rejeté du texte et reporté au présent appendice.

Sa première partie sera consacrée à l’étude des sources ; une seconde partie ‘discutera une hypothèse qui place l’histoire des Thébéens à une date selon nous inacceptable ; enfin un dernier paragraphe essaiera de montrer la vanité de certaines objections.

I — Examen critique des sources.

Le plus ancien et le plus important des documents est une lettre de saint Eucher, évêque de Lyon dans la première moitié du cinquième siècle (435-450)[2].

Cette lettre sera difficilement rangée parmi les compositions légendaires. L’auteur vivait moins de cent cinquante ans après les faits, et les avait appris d’une tradition orale dont il indique avec soin les divers chaînons. Le martyre de saint Maurice et de ses compagnons lui a été raconté par des chrétiens qui en avaient eux-mêmes entendu le récit d’Isaac, évêque de Genève[3], lequel le tenait de Théodore, évêque d’Octodure. Ce Théodore est connu : il assista au concile d’Aquilée, en 381. Il pouvoit, remarque Tillemont, avoir appris le martyre de saint Maurice de ceux mêmes qui en avoient été témoins[4]. Théodore occupait le siège d’Octodure depuis l’an 349[5] : si l’on suppose qu’il avait quarante ans au moment de son élévation à l’épiscopat[6], il serait né moins de vingt-cinq ans après la date communément adoptée pour le martyre de la légion Thébéenne, et alors que la persécution de Dioclétien n’était pas encore finie. C’est bien un homme du temps passé, vir temporis anterioris, comme parle saint Eucher[7] : on voit que si, personnellement, ce dernier est séparé par un siècle et demi de l’événement qu’il raconte, cependant son témoignage se relie, d’anneau en anneau, à celui des contemporains. La tradition qu’il rapporte n’a point subi d’interruption. Per succedentium relationem rei gestæ memoriam nondum intercepit oblivio, dit-il justement[8].

Tel est le caractère de la lettre de saint Eucher sur la légion Thébéenne. Elle reproduit une tradition conservée dans la mémoire des hommes, et transmise de .bouche en bouche pendant un siècle et demi. L’évêque de Lyon ne paraît point avoir eu sous les yeux une Passion écrite. C’est par le récit oral et la visite des lieux qu’il a été renseigné. Aussi reconnaît-on aisément la nature et la valeur de son ouvrage, et se rend-on même compte de la manière dont il l’a composé. La lettre de saint Eucher ne peut être comparée aux relations originales écrites soit par des témoins oculaires, soit d’après des pièces authentiques. Mais elle ne doit pas non plus être confondue avec ces compositions légendaires, dans lesquelles la vérité historique peut être à grand’peine dégagée des inventions et des fables, et quelquefois même disparaît complètement. De nombreux documents hagiographiques tiennent honorablement une place intermédiaire entre ces deux extrêmes. Composées un ou deux siècles après la paix de l’Église, alors que les traditions restaient vivantes et que les monuments élevés sur les tombes des martyrs étaient encore debout, l’es pièces dont nous parlons gardent un fond de sincérité qu’il serait injuste de méconnaître ; elles laissent voir cependant le travail personnel de l’auteur, s’efforçant de combler par ses conjectures et d’après les idées de sou époque les vides que le temps a déjà faits dans les documents ou les traditions que sa plume essaie de restituer.

Ces caractères se retrouvent dans la lettre de saint Eucher.

Quand le vénérable écrivain se sentit pressé de célébrer la mémoire des martyrs, la basilique élevée sur le lieu de leur supplice et de leur sépulture par l’évêque Théodore[9] était encore adossée aux rochers d’Agaune[10] ; les pèlerins accouraient de tous les pays pour la visiter[11] ; on admirait les offrandes d’or ou d’argent que leur piété y avait laissées[12] ; on racontait avec émotion les miracles qui s’y opéraient tous les jours par l’intercession des saints[13]. Peut-être quelque peinture, quelque inscription célébrait-elle la mémoire des héroïques soldats immolés pour le Christ : Eucher ne le dit pas, mais de nombreux exemples permettent de le supposer. Il nie parait probable aussi que là, comme ailleurs, soit les prêtres du lieu, soit l’ædituus, racontaient aux visiteurs l’histoire des martyrs[14]. Apparemment saint Eucher fait allusion à ces pieux ciceroni quand il dit : J’ai demandé la vérité sur ces faits à des hommes capables de me l’apprendre, ab idoneis auctoribus rei ipsius veritatem quæsivi[15]. On peut admettre aussi que des homélies avaient été prononcées en l’honneur des saints dans la basilique, assez récemment par saint Isaac, évêque de Genève, plus anciennement par le fondateur du sanctuaire, l’instaurateur du culte des martyrs d’Agaune, saint Théodore : de là était descendue la tradition dont les desservants du cinquième siècle faisaient entendre le dernier écho aux pèlerins. Saint Eucher est un de ces pèlerins, le plus pieux, le plus intelligent, le plus sincère, aisément le mieux informé : on est forcé de reconnaître un fond historique dans le récit recueilli, contrôlé et rédigé par lui.

Cependant, quand on sait combien sommaires étaient les peintures historiques tracées par les artistes du quatrième ou du cinquième siècle dans les sanctuaires des martyrs[16] ; quand on se rappelle le langage à la fois concis et vague gravé à cette époque sur les tombes, et dont saint Damase, à Rome, a laissé tant d’exemples[17] ; quand on a lu les homélies, si riches d’éloquence, mais si pauvres de faits, par lesquelles les plus grands orateurs d’Orient ou d’Occident, les Basile, les Chrysostome, les Augustin, les Maxime de Turin, ont célébré la mémoire des martyrs[18], on comprend que saint Eucher, même s’il lui fut donné de puiser à des sources analogues, put n’être renseigné que d’une manière fort incomplète. Rappelons-nous Prudence visitant à Rome la crypte de saint Hippolyte, voyant peinte sur la muraille la représentation du supplice, lisant au-dessus du sépulcre un poème épigraphique de saint Damase, recueillant avidement les traditions orales, et songeons aux obscurités, peut-être aux confusions dont, malgré tant de moyens d’information, il a rempli l’hymne XI du Peri Stephanôn[19].

Quand on lit attentivement la longue lettre de saint Eucher, on se rend assez facilement compte des points sur lesquels dut porter le récit qui lui fut fait, et des additions qu’il se crut le droit d’y joindre en composant son ouvrage. Ce qui constitue la trame, la substance de sa narration : la présence d’une légion chrétienne à Agaune, son refus d’obéir à un commandement de Maximien contraire à la foi et à la conscience, l’ordre donné par le tyran de la décimer deux fois, puis de la massacrer tout entière, l’héroïsme des soldats chrétiens se laissant immoler sans résistance, lui fut évidemment raconté, et peut-être lui fit-on lire sur quelque marbre les noms des officiers Maurice, Exupère et Candide, seuls conservés, avec celui du vétéran Victor, entre tant d’autres noms effacés de la mémoire des hommes, mais inscrits au livre de vie. Ce qu’Eucher dut ajouter de lui-même pour donner un corps au récit et en faire ce qu’il est vraiment, une œuvre littéraire, se reconnaît sans peine. Relater brièvement, en style de procès-verbal, à la façon des pièces anciennes et authentiques, le trépas des martyrs, ne saurait suffire à l’écrivain du cinquième siècle : il lui faut placer sa narration dans un cadre historique, l’entourer de circonstances qui l’expliquent et la rendent vraisemblable, lui communiquer le mouvement et la vie. De là, au paragraphe 2, le rapide tableau de la persécution de Dioclétien, et le portrait de Maximien Hercule représenté comme un monstre altéré de sang chrétien, au point de faire venir des troupes en Gaule non pour combattre les Barbares ou les révoltés, mais pour marcher contre les chrétiens[20]. De là encore, au paragraphe 4[21], la très heureuse imitation du procédé habituel aux historiens antiques, qui ne craignent pas de prêter des discours ou des messages à leurs héros, en se préoccupant moins de l’exactitude littérale des paroles que de leur vérité morale. Qui voudrait retrancher de tels morceaux de l’œuvre d’un Tite-Live, d’un Salluste ou d’un Tacite ? Personne, assurément, ne se résignerait davantage à effacer de la lettre de saint Eucher le message qu’il prête à la légion Thébéenne repoussant les dernières sommations de Maximien. Ce morceau a été évidemment composé dans le silence du cabinet, par un écrivain familier avec toutes les ressources de la rhétorique ; mais il exprime admirablement les sentiments de soldats chrétiens qui veulent être fidèles, tout ensemble, à leur Dieu et à leur empereur, et se laissent égorger les armes à la main plutôt que de désobéir au premier et de résister au second. C’est de l’histoire, si l’histoire consiste, comme le croyaient les anciens, à exprimer, sous une forme dramatique et vivante, les sentiments dont les héros furent animés. On voit, par ces deux exemples, la nature des additions faites par saint Eucher au récit primitif. Peu d’auteurs de Passions se sont montrés aussi discrets. Combien d’écrivains, dans le même temps que lui, ont supposé des circonstances merveilleuses, prêté aux martyrs et aux persécuteurs de longues et invraisemblables controverses, et dénaturé par leurs broderies parasites la simple et sincère substance des faits ! Eucher ne mérite pas de tels reproches : les paroles qu’il attribue à ses héros sont simples, belles, tout à fait en situation ; si les circonstances historiques dans lesquelles il place sa narration prêtent davantage à la critique, au moins n’y mêle-t-il aucune invention légendaire, et ne se départ-il jamais, comme tant d’autres, de la gravité chrétienne.

Le seul point faible de son couvre est le passage auquel nous renons de faire allusion, dans lequel il s’efforce de rattacher le massacre de la légion Thébéenne à la persécution générale de Dioclétien. A première vue, cette opinion paraît la plus vraisemblable, et l’on comprend qu’Eucher l’ait adoptée, mais elle ne résiste pas à l’examen. Traduisons d’abord le paragraphe 2 de sa lettre, afin de bien montrer que, dans sa pensée, le martyre des saints d’Agaune est un épisode de la persécution générale : Sous Maximien, qui gouverna la République romaine avec Dioclétien pour collègue, des peuples entiers de martyrs furent torturés ou tués dans les diverses provinces. Car Maximien non seulement était en proie à l’avarice, à la débauche et à tous les vices, mais encore se livrait aux rites exécrables des païens, blasphémait le Dieu du ciel, et proposait pour but de son impiété l’extinction du nom chrétien. Si quelques-uns, dans ce temps, osaient professer le culte du vrai Dieu, des troupes de soldats, répandues partout, les saisissaient pour les mener au supplice ou à la mort ; on laissait en repos les Barbares, pour tourner seulement les armes contre la religion[22]. C’est dans ces circonstances que, selon Eucher, eut lieu le martyre des Thébéens. Il lui donne pour cause le refus opposé par ces soldats chrétiens à l’ordre du persécuteur, qui voulait les employer à la recherche et à la capture de leurs frères dans la foi. Il y avait en ce temps-là, dans l’armée, une légion de soldats, qui étaient appelés Thébéens. Une légion comptait alors six mille six cents hommes sous les armes. Ceux-ci avaient été mandés d’Orient, par Maximien, pour lui venir en aide ; c’étaient des hommes rompus aux choses de la guerre, nobles par leur courage, plus nobles par leur foi : en eux rivalisaient l’ardeur pour le service de l’empereur et la dévotion pour le Christ. Se souvenant, même sous les armes, du précepte évangélique, ils rendaient à Dieu ce qui était à Dieu et à César ce qui était à César. C’est pourquoi, quand ils se virent destinés, comme le reste des soldats, à poursuivre la multitude des chrétiens, seuls ils osèrent refuser ce cruel service, et déclarer qu’ils n’obéiraient pas à un tel ordre. Maximien n’était pas loin, car il se reposait, aux environs d’Octodure, des fatigues de la route : quand des messagers lui annoncèrent qu’une légion rebelle à ses ordres s’était arrêtée dans les défilés d’Agaune, il fut saisi d’indignation et de fureur[23]... Tel est le début de la relation d’Eucher, et le fondement qu’il lui donne. Cette construction historique est l’œuvre personnelle de l’écrivain du cinquième siècle, indépendante du récit primitif du martyre. Nous montrerons qu’elle se soutient mal, et qu’il faut chercher ailleurs l’époque et la cause du martyre des Thébéens.

En 303 commença la persécution générale ordonnée par Dioclétien et ses collègues, et peinte en couleurs si énergiques par saint Eucher dans le passage que nous avons cité. Il n’en a pas exagéré la violence, car sur presque tous les points du monde romain elle fit des martyrs. On y employa même l’armée[24] : il en avait été ainsi dans plusieurs des précédentes persécutions, sous Néron[25], sous Valérien[26] : dès le début de celle de Dioclétien on voit les prétoriens marcher contre l’église de Nicomédie, rangés en bataille[27], et les soldats partout occupés à renverser les sanctuaires du vrai Dieu[28]. Ce n’est donc point ce détail qui fera rejeter la narration de saint Eucher. Mais à l’époque de la persécution générale, dans les années qui suivent 303, Maximien Hercule ne peut avoir joué en Gaule (dont faisait alors partie le Valais)[29] le rôle qu’il lui prête. Dès l’an 292, la Gaule, devenue le lot de Constance Chlore, avait cessé d’être sous les lois de Maximien, réduit à la possession de l’Italie, de l’Afrique et de l’Espagne. Sans doute celui-ci, en qualité d’Auguste, avait le droit d’entrer dans les États du César qui lui était subordonné ; on l’y voit venir en 294, pendant que Constance fait la guerre aux Francs, et en 296, lors de l’expédition de Constance en Angleterre. Mais à cette époque il n’y avait pas de persécution générale, et il ne pouvait être question dé châtier une légion pour avoir refusé de marcher contre les chrétiens. Cela n’eût pu se produire qu’après 303 ; or ; après 303, Maximien Hercule ne parait pas être venu en Gaule, au moins avec l’autorité nécessaire pour persécuter. En 303, il est à Rome ; il passe l’année 304 en Italie ; au commencement de 305, il abdique à Bilan. A la fin de 306 seulement, il reprend à Rome le titre d’empereur. En 307, Maximien va, il est vrai, deux fois en Gaule, mais c’est d’abord pour les fêtes pacifiques des noces de sa fille avec le César Constantin, ensuite pour demander secours à son gendre contre son fils qui l’a chassé de Rome. En 308, il retourne en Gaule pour abdiquer de nouveau, puis, regrettant cette résolution, cherche à soulever des troupes contre Constantin, qui s’empare de lui et l’oblige à quitter définitivement la pourpre. On voit qu’à aucun moment postérieur à 303 et à l’ouverture de la persécution générale, Maximien Hercule n’eut en Gaule le pouvoir ou l’occasion de mettre à mort des chrétiens, et de troubler la paix religieuse que la douceur et la fermeté de Constance Chlore avaient su maintenir dans ce pays pendant que tous les au ! -es étaient en proie à la persécution.

C’est donc en dehors de la grande persécution, avant 303, et même antérieurement à 292, date de l’établissement de la tétrarchie, qu’il faut placer le martyre de la légion Thébéenne. Précisément, de nombreux documents hagiographiques font allusion à une persécution partielle, suscitée dans la Gaule par Maximien Hercule, après qu’il fut devenu le collègue de Dioclétien, vers l’année 286 et les années suivantes. Cette époque pourrait convenir à l’épisode que nous étudions. Cependant on s’expliquera mal, en dehors d’une persécution générale ordonnée par édit et déchaînée dans tout l’Empire, un fait aussi considérable et aussi exceptionnel que le massacre d’une légion entière. On est conduit à soupçonner quelque circonstance tout à fait particulière, sans laquelle un tel acte serait inadmissible. Celle-ci est indiquée dans une Passion postérieure d’environ deux siècles à la lettre de saint Eucher, mais qui, écrite par un religieux du monastère de Saint-Maurice[30], peut s’appuyer soit sur une tradition locale inconnue de l’évêque de Lyon, soit sur un document qui aurait échappé à ses recherches. Cette Passion, publiée par Surius au 22 septembre, dit que Dioclétien, ayant pris Maximien pour collègue, l’envoya en Gaule combattre la rébellion des Bagaudes ; qu’il fit venir d’Orient la légion Thébéenne pour prendre part à l’expédition ; et que Maximien fit massacrer celle-ci en entrant avec elle dans les Gaules[31]. Quelle fut la cause du massacre ? Sur quel point avait porté le refus d’obéissance qui alluma la colère du tyran ? Ici, l’auteur de la Passion parait s’égarer à son tour. Il a déjà commis une erreur manifeste en rapportant que la légion, traversant Rome pour rejoindre l’armée de Maximien, y fut accueillie par le pape Marcellin[32], dont le pontificat commence seulement dix ans plus tard[33]. Il se trompe probablement encore en disant que Maximien, s’étant arrêté à Octodure, assembla ses troupes non seulement pour leur faire célébrer des sacrifices profanes, mais encore pour leur faire jurer de combattre contre les Bagaudes et de poursuivre les chrétiens comme ennemis des dieux[34]. On ne comprend pas que l’empereur ait pu demander ce dernier serment, en un temps où la persécution n’était pas encore ouverte. Quant au premier, j’ai indiqué ailleurs ce qu’on en peut penser, et dans quelle mesure peut être retenue l’assertion du passionnaire. Je me bornerai donc ici à noter l’indication chronologique très précise et très vraisemblable qu’il donne. Elle résout vraiment les difficultés que laissait subsister le récit de saint Eucher, et, comme l’a montré le premier chapitre de ce livre, s’encadre exactement dans l’histoire générale. Si l’on veut que le moine du septième siècle l’ait tirée de son propre fonds, il faut lui attribuer un sens critique bien rare dans ce temps, et qui fait défaut en d’autres parties de son ouvrage. Aussi me parait-il beaucoup plus vraisemblable d’admettre que cet écrivain de basse époque a emprunté un aussi précieux détail à des mémoires plus anciens, dans lesquels la tradition vraie avait été conservée.

II — Discussion d’une hypothèse.

Cependant une autre hypothèse a été proposée pour expliquer le martyre de la légion Thébéenne. Plusieurs érudits ont rejeté l’allusion à la guerre des Bagaudes, faite par le moine de Saint-Maurice, et placé quelques années plus tard le sanglant épisode. Voici le résumé de leur système, d’après l’écrivain qui l’a exposé le dernier, avec autant de clarté que de science[35].

Constance Chlore, qui gouvernait les Gaules en qualité de César, sous la suzeraineté de Maximien Hercule, s’étant embarqué, en 302, pour la Bretagne, où il allait châtier l’usurpateur Alectus, Hercule vint pendant son absence garder contre les Barbares la ligne du Rhin. Six légions Thébéennes, c’est-à-dire levées dans la Thébaïde, existaient alors : trois d’entre elles étaient en Occident, l’une, la Prima Diocletiana Thebæorum, en Italie, où elle venait de défendre Aquilée contre les Quades, deux autres, la Secunda et la Tertia Maximiana Thebæorum, en Germanie avec Hercule. Le retour de Constance victorieux permit à Hercule de quitter la Germanie pour aller en Afrique combattre les Maures révoltés. Une loi signée par lui à Cologne le 5 août 302[36], une autre loi promulguée à Brindes le 1er novembre de la même année[37], marquent les deux ternes extrêmes de la route qui le conduisit, accompagné de la Secunda Maximiana Thebæorum, des bords du Rhin à la Méditerranée, en passant par les Alpes Pennines. C’est au milieu de ce voyage, le 22 septembre, qu’eut lieu le massacre des Thébéens, c’est-à-dire des soldats de la légion Secunda Maximiana Thebæorum. Ce massacre eut pour cause le refus de ces soldats chrétiens de prendre part à un sacrifice, et n’est en réalité, qu’un épisode de la persécution spéciale contre les chrétiens de l’armée, ordonnée par Dioclétien en 302, un an avant la persécution générale. Les deux autres légions Thébéennes qui se trouvaient en Occident ne furent pas épargnées : Rictius Varus fit tuer beaucoup de soldats chrétiens de celle qui était restée en Germanie, pendant que, traversant l’Italie, Maximien Hercule mettait à mort des soldats de celle qui était cantonnée dans la péninsule. Ainsi s’explique comment, sur six légions Thébéennes qui furent vraisemblablement levées par Dioclétien et Maximien dans la Thébaïde vers 292 ou 296, la Notitia Dignitatum du cinquième siècle nomme seulement la Tertia Diocletiana Thebæorum, campée en Thrace[38], une autre Diocletiana Thebaidos, campée en Égypte ou en Thébaïde[39], et la Prima Maximiana Thebæorum, aussi cantonnée en Thrace[40] : la Secunda Maximiana avait entièrement péri dans le massacre d’Agaune ; les deux autres, la Tertia Maximiana, persécutée en Germanie, et la Prima Diocletiana, très éprouvée en Italie, n’étaient plus représentées que par deux corps de Thebæi servant, d’après la Notitia, en Italie et sur le Rhin[41].

Ce système est ingénieux et, à première vue, se tient bien ; mais, à qui regardera de près, la solidité du faisceau semblera plus apparente que réelle. De ce que la Notitia du cinquième siècle nomme une Tertia Diocletiana Thebæorum, une autre Diocletiana Thebaidos, et une Prima Maximiana litebxoritnz, on déduit l’existence de six légions levées par les deux Augustes en Thébaïde, et l’on tire de la disparition de trois d’entre elles les conséquences que nous avons indiquées. Mais l’existence de ces trois dernières légions, qui ne sont nommées nulle part, ne résulte aucunement de la Notitia. Il peut y avoir eu une Prima Maximiana Thebæorum, comme elle l’indique, sans qu’il y eût eu nécessairement une Secunda et une Tertia. De même, de ce qu’elle nomme une Tertia Diocletiana Thebæorum et une Diocletiana Thebaidos (dont le chiffre est incertain)[42], il ne suit pas nécessairement qu’il ait existé une Prima Diocletiana Thebæorum. La vraisemblance conduit plutôt à reconnaître l’existence dei seules légions Thébéennes dont parle la Notitia, une Prima Maximiana, une (Secunda) Diocletiana, et une Tertia Diocletiana. La levée de six légions en une seule année, dans la même province, est un fait peu croyable, et ne résulte pas des textes historiques. C’est pourtant sur cette hypothèse qu’on est contraint de s’appuyer pour établir que trois legiones Thebæorum ont été atteintes par la persécution, une, dont on fait la Secunda Maximiana, entièrement détruite à Agaune, deux autres, dont on fait la Prima Diocletiana et la Tertia Maximiana, assez maltraitées en Italie et en Germanie pour qu’il n’en soit resté que de faibles débris, encore subsistant dans ces deux pays au cinquième siècle sous le nom de Thebæi.

Le fondement est donc bien hypothétique ; je crois pouvoir ajouter qu’il est ruineux. En effet, les dates posées par l’ingénieux érudit auquel j’ai emprunté l`exposé du système, M. Ducis, ne paraissent point exactes. Les deux lois qu’il cite, datées l’une de Cologne, l’autre de Brindes, et qui lui paraissent marquer les deux termes extrêmes du voyage de Maximien Hercule, peuvent être, comme l’indiquent les éditions du Code, dit premier consulat des Césars Constance Chlore et Galère, par conséquent de 294 au lieu de 302. J’ajouterai une remarque plus importante : d’après la chronologie de Tillemont, que personne n’a encore ébranlée, et à laquelle, comme l’écrivait M. Camille Jullian[43], on est toujours obligé de revenir, l’expédition de Constance en Bretagne eut lieu en 296, et celle d’Hercule en Mauritanie en 297. Or, à cette époque, la persécution spéciale contre les soldats, à laquelle on essaie de rattacher l’épisode d’Agaune et les nombreux martyres de Germanie et d’Italie, n’était pas encore commencée. C’est au plus tût dans cette même année 297 que Galère, enflé de ses victoires inespérées sur les Perses, en donna le signal et l’inaugura en Asie, d’où elle ne s’étendit qu’ensuite à ses États propres, puis à ceux d’Hercule : Dioclétien n’y prit vraisemblablement une part personnelle qu’en 302. Cette persécution, qui fit sortir de l’armée un grand nombre de chrétiens, lesquels, dit Eusèbe, préférèrent leur foi aux dignités et aux avantages de la milice, répandit très peu de sang, au témoignage du même historien et de Lactance. Compter l’immolation de six mille Thébéens à Agaune, d’un millier d’autres, selon l’évaluation de M. Ducis, en Germanie, de trois cents autres, d’après son estimation encore, en Helvétie, enfin de martyrs qualifiés par lui d’innombrables en Italie[44], parmi les épisodes de cette persécution spéciale où les contemporains nous rapportent que le sang fut rarement et peu abondamment versé, c’est, il me semble, se mettre en contradiction absolue avec l’histoire.

Si cette conclusion est vraie, il faut ou refuser toute réalité historique à l’épisode des Thébéens, — ce qui serait déraisonnable en présence de la lettre écrite par saint Eucher au milieu du cinquième siècle, dernier anneau d’une chaîne de témoignages remontant à une époque très voisine des faits, — ou dire avec Tillemont, avec Amédée Thierry, que, sur leur refus de sacrifier, les Thébéens furent immolés à Agaune par Maximien Hercule, lorsqu’en 286 il traversait les Alpes marchant contre les Bagaudes insurgés en Gaule. On oppose à cette opinion l’objection suivante : Mais les levées de troupes faites, d’après la Chronique d’Eusèbe, en Thébaïde par Dioclétien et Maximien, et d’où sortirent vraisemblablement les légions Thébéennes, n’eurent lieu qu’en 292 ou 296 : par conséquent il n’y avait pas encore de légion Thébéenne en 286 ![45] Cette objection ne me touche pas, car je pense que la petite troupe composée tout entière de chrétiens, commandée par trois officiers seulement, décimée puis massacrée par Maximien Hercule pour refus de sacrifier, n’était pas urne légion proprement dite, mais soit une vexillatio, soit plutôt une cohorte auxiliaire tirée probablement de la Thébaïde. Réduit à ces proportions, le fait d’Agaune n’a plus rien qui choque les vraisemblances, et, comme j’ai tâché de le montrer ailleurs, les circonstances de l’expédition contre les Bagaudes suffisent à l’expliquer.

Quant aux nombreux martyrs, inconnus de saint Eucher, auxquels en Italie, en Germanie, en Gaule, des traditions locales ou des documents de diverses époques donnent le nom de Thébéens, il n’est pas toujours prouvé qu’ils aient droit à ce titre, et leur existence peut d’ailleurs s’expliquer sans qu’il y ait besoin de supposer encore deux autres légions Thébéennes en plus de celles dont la Notitia a gardé le souvenir. Je suis porté à admettre que l’imagination populaire, frappée du fait incontestable du massacre des Thébéens, a rattaché à leur groupe un grand nombre d’autres martyrs, dont le souvenir local s’était conservé, mais dont l’histoire précise avait péri. D’autres soldats souffrirent soit dans une des épreuves antérieures de l’Église, soit, en petit nombre, dans l’épuration militaire qui précéda la dernière persécution, soit dans cette persécution elle-même : comme l’héroïsme du soldat chrétien et martyr semblait désormais personnifié dans les Thébéens, — comme d’ailleurs il y avait, au cinquième siècle, des Thebæi servant en Italie et sur le Rhin, — on a pu enrégimenter après coup dans leur glorieuse milice plus d’un précurseur ou d’un émule de leur courage et de leur foi. Ma conclusion sera donc celle de Ruinart : Je n’ai jamais songé, écrit le sage critique, à défendre comme sûr et indubitable ce que certains auteurs rapportent çà et là, sans preuve suffisante, de ces divers martyrs ; mais le martyre de la célèbre légion, affirmé par des témoignages si autorisés et si anciens, me paraît ne pouvoir être révoqué en doute par aucun esprit sincère, par aucun homme qui, rejetant tout parti pris, s’attache à la vérité, de quelque point qu’elle lui apparaisse[46].

III — Réponses aux objections.

Cette étude serait terminée, s’il ne paraissait nécessaire de répondre en quelques mots aux objections présentées par les historiens qui refusent toute réalité au récit du martyre des Thébéens[47].

L’une d’elles a peu de force et quelques mots suffiront à l’écarter. On refuse de croire qu’un gouvernement régulier ait jamais donné l’ordre de massacrer une troupe aussi nombreuse. Le fait n’est cependant pas sans précédents. Quand même il faudrait entendre ici, avec Eucher, une légion entière, de six mille six cents hommes, des exemples pourraient être invoqués à l’appui de son récit. Sous la République, une légion, composée alors de quatre mille soldats, fut, raconte Tite-Live, tuée à coups de hache au forum romain[48]. Au temps de l’Empire, on revit de semblables scènes : Galba, entrant dans Rome, fit décimer, puis massacrer plusieurs milliers de soldats de la flotte, dont Néron avait formé une légion : sept mille, selon l’abréviateur de Dion, trucidatis tot millibus inermium hominum, dit seulement Tacite[49]. Maximien était homme à suivre de tels exemples. Aux diverses époques de l’histoire, le contingent des légions a souvent varié ; l’armée romaine était déjà bien affaiblie vers la fin du troisième siècle ; et rien n’oblige à croire que toutes les légions y eussent gardé le chiffre réglementaire de six mille hommes[50]. Mais si, comme nous le croyons, les Thébéens formaient, non une légion entière, mais une simple vexillatio, ou plus probablement une cohorte auxiliaire de quelques centaines d’hommes[51], l’acte du tyran s’applique plus aisément encore. Les Romains ne ménagèrent jamais le sang de leurs soldats[52], et moins encore à une époque où les légions elles-mêmes se recrutaient en grande partie parmi les Barbares. En 374, on voit le comte Théodose faire massacrer à la manière ancienne, prisco more, les officiers et les soldats de plusieurs cohortes qui avaient suivi l’usurpateur Firmus[53].

J’arrive à une objection plus spécieuse. Elle est tirée du silence d’Eusèbe et de Lactance, deux contemporains, de saint Ambroise, de Sulpice Sévère, d’Orose, etc.[54]. C’est l’argument négatif, argumentum e silentio. Sur sa valeur théorique et les conditions qui permettent soit de le recevoir, soit de le rejeter, selon les cas, je renverrai à d’excellents chapitres du P. de Smedt dans son Introductio ad historiam ecclesiasticam critice tractandam[55] et dans ses Principes de la critique historique[56]. Les règles posées par le docte et prudent Bollandiste se résument à celle-ci, que le bon sens suffirait à indiquer : Quand un fait est rapporté seulement par des écrivains postérieurs, et que nul des historiens contemporains n’en parle, le silence de ces derniers formera contre lui une présomption, pourvu que ceux-ci, ou n’aient pu ignorer le fait, ou n’aient pu, s’ils l’avaient connu, se dispenser de le citer dans leurs ouvrages.

Le principe étant ainsi posé, voyons quelle application en devra être faite à l’épisode des Thébéens.

On pourrait, d’un mot, écarter toute discussion, et rejeter a priori tout emploi, dans l’espèce, de l’argument négatif. Car si le premier qui rapporte le martyre des Thébéens est un écrivain de la première moitié du cinquième siècle, c’est-à-dire postérieur de plus de cent ans au fait qu’il raconte, son témoignage suppose, cependant, que le fait lui-même était depuis longtemps connu. C’est en visitant une basilique construite sur le lieu du martyre, fréquentée par une multitude de pèlerins, enrichie de leurs dons, célèbre par de nombreux miracles[57], qu’Eucher a recueilli le récit qu’il nous transmet. La tradition était donc déjà florissante, attestée par des monuments, et pour ainsi dire enracinée dans le sol. Par conséquent, elle est bien antérieure à Eucher, et la distance qui sépare son témoignage du fait auquel il s’applique doit être notablement diminuée. Ce n’est pas le raisonnement seul qui conduit à cette conclusion : saint Eucher cite trois témoins successifs, par lesquels la tradition qu’il résume est venue jusqu’à lui : il produit ainsi, comme nous l’avons montré, une chaîne de témoignages remontant, ou peu s’en faut ; jusqu’au fait lui-même.

Que faut-il, cependant, penser du silence des écrivains contemporains ? Commençons par éliminer la plupart de ceux que cite M. Duruy, et qui ne sauraient prétendre à ce titre. Saint Ambroise mourut en 397 ; il est antérieur d’un demi-siècle seulement à saint Eucher. Sulpice Sévère composa son Histoire sacrée vers 400, Orose, son Histoire universelle en 417 : ils sont presque contemporains d’Eucher, qui mourut en 450. Séparés de lui par si peu d’années, leur silence ne saurait, en bonne critique, prévaloir contre son affirmation. On cherche, d’ailleurs, pourquoi saint Ambroise, qui n’a point écrit sur les persécuteurs et les persécutions, qui n’a jamais parlé des martyrs qu’incidemment et par occasion[58], aurait fait une allusion quelconque aux Thébéens, étrangers à son Église de Milan, à laquelle ne les rattachait aucun souvenir[59]. Quant à Sulpice Sévère et Orose, ce sont bien, eux, des historiens ; mais le récit d’un fait accidentel, arrivé hors des temps de persécution, à une époque de paix officielle pour les chrétiens, n’entrait pas dans le cadre de leur histoire, tel qu’ils l’ont compris et tracé. Sulpice Sévère déclare avoir omis volontairement de parler des martyrs ; Orose n’en nomme aucun. On s’étonnera moins encore (comme l’ont fait cependant quelques critiques)[60] du silence gardé par le poète espagnol Prudence : son recueil d’hymnes en l’honneur des martyrs n’a rien de méthodique, et ne prétend aucunement à être complet : un très petit nombre d’entre eux y sont célébrés en dehors des martyrs d’Espagne et des plus illustres parmi les Romains[61].

Restent deux contemporains, Eusèbe et Lactance. Tous deux ont assisté à la persécution, et en ont écrit l’histoire. Mais Eusèbe n’est pas ici un témoin des choses de l’Occident. Racontant les persécutions précédentes, il s’était servi des documents rassemblés par lui, avait mis à profit sa riche collection d’Actes des martyrs, et donné sur ceux des contrées occidentales des renseignements trop peu nombreux, mais parfois du plus haut prix. On ne saurait, cependant, écrire l’histoire d’aucune persécution, si l’on n’avait sous les yeux que le livre d’Eusèbe : beaucoup des martyrs les plus célèbres et les plus avérés n’y sont même point nommés[62]. Pour la dernière persécution, celle dont il fut témoin, les lacunes sont plus grandes encore, et comme systématiques : ce n’est plus une histoire, ce sont, en quelque sorte, des souvenirs personnels : les huitième et neuvième livres de son grand ouvrage[63] ont trait aux événements qui se passèrent en Orient. Eusèbe ne parle pas des Thébéens, mais il ne parle de martyrs contemporains de Dioclétien ni pour l’Italie, ni pour la Gaule, ni pour l’Afrique, ni pour l’Espagne, ni pour la Bretagne, ni pour la Germanie : on croirait, en le lisant, qu’à la fin du troisième siècle et au commencement du quatrième des fidèles d’Asie ont seuls versé leur sang pour le Christ. L’absence de toute allusion dans Lactance surprendra davantage, car Lactance a vécu en Occident : mais, au moment où périrent les Thébéens, il était encore soit en Afrique, soit à Nicomédie : il ne vint à Trèves qu’en 345. Le dessein de son livre sur la mort des persécuteurs exclut du reste les détails : il peint à grands traits les souverains qui ont attaqué l’Église, marque les événements politiques au milieu desquels se sont développées les persécutions, ou qui ont amené les catastrophes dans lesquelles apparaît la main divine ; mais son but n’est point de célébrer l’héroïsme des martyrs : aussi décrit-il le caractère général des persécutions plutôt qu’il n’en raconte les touchants ou terribles épisodes. Si l’on persiste à s’étonner que Lactance, qui vécut en Occident, n’ait point conservé le souvenir du massacre d’un corps de soldats chrétiens dans les Alpes, on s’étonnera sans doute que ni le même historien, qui vécut aussi en Orient, ni Eusèbe, qui y séjourna pendant toute la persécution, n’aient songé à nous apprendre le nom d’une ville asiatique à laquelle tous deux font allusion, et qui fut brûlée avec tous ses habitants, parce qu’ils étaient chrétiens[64].

L’exemple que nous venons de citer montre combien il est difficile d’appliquer aux écrivains de l’époque romaine des règles qui seraient légitimes s’il s’agissait d’hommes ayant vécu en des temps de grande publicité comme le nôtre. Dans les siècles où les communications étaient rares et difficiles, où la presse périodique n’existait pas, les personnages les plus considérables étaient souvent mal renseignés sur les événements qui auraient dû les intéresser le plus. Saint Augustin et l’évêque d’Hippone Valerius ignorent, en 395, un des principaux canons disciplinaires du concile de Nicée[65] ; le même saint Augustin ne sait pas, en 405, qu’un concile s’est tenu à Sardique en 343[66]. Il faut ajouter que les habitudes des écrivains antiques ressemblaient peu aux nôtres. Plus occupés de bien dire que de tout dire, ils se contentaient souvent d’une allusion rapide, là où l’on chercherait aujourd’hui à donner des détails abondants et minutieux. La destruction d’Herculanum et de Pompéi, au premier siècle, est un fait plus considérable encore que le massacre d’un corps de troupes à la fin du troisième ou l’incendie d’une ville au quatrième. Et cependant, si nous n’avions sous les yeux que les livres d’auteurs contemporains, qui pourtant vivaient en Italie, et fréquentaient les rivages si peuplés alors du golfe de Naples, nous ignorerions jusqu’au nom des localités enfouies en 79 sous la cendre du Vésuve. Pline écrit deux lettres pour raconter la mort de son oncle, victime de l’éruption volcanique ; il ne dit rien des villes qui périrent en même temps que le célèbre naturaliste[67]. Suétone, dans sa Vie de Pline l’Ancien, rappelle en termes aussi généraux le désastre de la Campanie[68]. Tacite nomme Pompéi, mais à propos du tremblement de terre de 64[69] ; pour l’année 79, il parle, sans détails, de villes englouties ou renversées sur le fertile rivage de la Campanie[70]. Stace peint en quatre vers le Vésuve jetant des feux, les villes et les peuples anéantis, les campagnes dévastées[71]. Plutarque, Martial, font à la catastrophe une vague allusion[72]. Il faut franchir un siècle et descendre jusqu’à Dion Cassius pour lire le nom des cités détruites[73]. Dion Cassius naquit soixante-seize ans après l’éruption, et cent vingt-deux ans séparent de celle-ci l’année 201, où il semble avoir commencé à recueillir les matériaux de son histoire. Le passage où il nomme Herculanum et Pompéi ne nous est même point parvenu dans l’original, mais seulement dans l’abrégé fait au onzième siècle par Xiphilin. Ce passage renferme des circonstances tantôt merveilleuses, tantôt inexactes, près desquelles les erreurs où tomba saint Eucher sont vraiment insignifiantes[74]. Je n’hésite pas à le dire, écrit un célèbre géologue, si les villes ensevelies n’avaient pas été découvertes, les relations de leur fin tragique auraient certainement été mises en doute par les modernes, à cause du caractère vague et général des unes, de la date tardive des autres[75]. Un tel exemple devrait nous rendre fort réservés dans l’emploi de l’argument négatif.

 

 

 



[1] Hirschmann, Das neueste Litteratur über das Martyrium der theb. legion (dans Hist. Jahrbuch., t. XIII, 1892, p. 783-785), a donné la liste des principaux écrits en sens divers.

[2] Epistola Eucherii episcopi ad Salvium episcopum, dans Ruinant, p. 189-294 ; nouvelle édition par Wotke, dans Corpus script. eccles. lat. de Vienne, t. XXXI, 1894, p. 165-173. Sur l’identité de l’auteur de la lettre avec Eucher, évêque de Lyon, voir Ruinart, p. 285, § 1 ; Tillemont, Mémoires, t. IV, note I sur saint Maurice ; Mommsen, Mémoire sur les provinces romaines, traduction Picot, p. 3 ; J.-G. Cazenove, dans Smith, Dictionary of christian biogrophy, t. II, p. 257 ; t. III, p. 642 ; Wotke, l. c., p. XXI. Sur les raisons qui portent à distinguer l’évêque Salvius, auquel est dédiée la lettre, du chronographe Polemius Silvius, auteur d’un laterculus dédié précisément à saint Eucher, voir Mommsen, l. c.

[3] Entre 389 et probablement 415.

[4] Tillemont, Mémoires, t. IV, art. sur saint Maurice et les autres martyrs de la légion Thébéenne.

[5] Voir Ulysse Chevalier, Répertoire des sources historiques du moyen âge, bio-bibliographie, p. 2173.

[6] Les Constitutions apostoliques (II, 1) fixent à cinquante ans le minimum d’âge pour l’élection épiscopale. Dans la pratique, on se contentait généralement de trente ans (conciles de Néocésarée, d’Arles, d’Agde, d’Orléans, etc.) ; cependant, les papes Sirice (384-398) et Zosime (417-418) exigent quarante-cinq ans. Voir Smith, Dictionary of christian antiquities, t. I, p. 219 ; Kraus, Real-Encyklopädie der christlichen Alterthümer, t. I, p. 165.

[7] Epistola Eucherii, proœmium ; dans Ruinart, p. 286.

[8] Epistola Eucherii, proœmium ; dans Ruinart, p. 289.

[9] La basilique fut dédiée en 352.

[10] Epistola Eucherii, 7 ; Ruinart, p. 293.

[11] Epistola Eucherii, proœmium ; Ruinart, p. 289.

[12] Epistola Eucherii, proœmium ; Ruinart, p. 289.

[13] Epistola Eucherii, 7, 8 ; p. 293-294.

[14] Cf. Prudence, Peri Stephanôn, IX, 17.

[15] Epistola Eucherii, proœmium ; Ruinart, p. 289. — Cf. Ædituus consultas ait, dans Prudence, l. c.

[16] Sur ces peintures, voir les Dernières persécutions du troisième siècle, Appendice D. A celles qui y sont citées on doit ajouter une fresque de la fin du quatrième siècle, découverte au mois de novembre 1887, lors des belles fouilles exécutées par le P. Cermano sous l’église des SS. Jean et Paul, au Cœlius.

[17] Voir Stornajolo, Osservazioni letterarie e filologiche sugli epi. grammi Damasiani, dans les Studi e Documenti di Storia e Diritto, 1er fascicule 1886.

[18] Consulter, par exemple, Ruinart, p. 507, 542, 543, 565, 575, 599, 627.

[19] Voir les Dernières Persécutions du troisième siècle, 2e éd., Appendice F.

[20] Ruinart, p. 290.

[21] Ruinart, p. 292.

[22] Ruinart, p. 290.

[23] Ruinart, p. 290.

[24] Dès l’époque des Césars, l’armée avait souvent été employée aux exécutions capitales : voir Tacite, Annales, 1, 6 ; XI, 38 ; XII, 22 ; XIV, 8, 59 ; XV, 60 ; Suétone, Tibère, 22 ; Caligula, 20, 22, 24.

[25] Voir Bullettino di archeologia cristiana, 1874, 22-24.

[26] Passio SS. Jacobi, Mariani, et aliorum plurimorum martyrum in Numidia, 2, 4, dans Ruinart, p. 225, 226. Cf. les Dernières Persécutions du troisième siècle, 2e éd.

[27] Eusèbe, Hist. Ecclés., X, 4.

[28] Eusèbe, De laud. Const., 17.

[29] La région de la Suisse où se trouvent Oclodure (Martigny) et Agaune (Saint-Maurice) appartenait, au troisième siècle, à la province gauloise des Alpes Graiæ ou Ceutronicæ, plus tard Atractianæ et Pœninæ ; après la réorganisation administrative de Dioclétien, en 297, cette région fut comprise dans la province des Alpes Graiæ et Pœninæ, une des huit provinces composant la Dioœcesis Galliarum. Voir Mommsen, Mémoire sur les provinces romaines, p. 45 ; Desjardins, Géographie historique de la Gaule romaine, t. III, p. 324-331, 435, 462-463, pl. XVI, XIX.

[30] Voir Tillemont, Mémoires, t. IV, note I sur saint Maurice.

[31] Passio, 1, 2, dans Surius, Vitæ SS., t. IX, p. 221. Cette Passion a été reproduite par M. Bernard de Montmélian, Saint Maurice et la légion Thébéenne, appendice X, t. II, p. 376-388. Paris, 1888.

[32] Passio, 1.

[33] 30 juin 296. Voir Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. CCXLVIII.

[34] Passio, 2.

[35] Voir Saint Maurice et la légion Thébéenne, par M. le chanoine Ducis, archiviste de la Haute-Savoie. Annecy, 1887.

[36] Code Justinien, V, XII, 21.

[37] Code Justinien, V, XVI, 23.

[38] Notitia Dignitatum, Or., VII, 4.

[39] Notitia Dignitatum, XXV, 5 ; cf. XXVIII, 8.

[40] Notitia Dignitatum, VII, 3.

[41] Notitia Dignitatum, Occid., VII, 27 ; V, 10.

[42] Le texte de la Notitia porte : Sub dispositione viri spectabilis comitis rei militaris per Ægyptum... n° 5. Legio tertia Diocletiana Thebaidos Andro. Les plus anciens manuscrits portent le nombre en chiffres romains III. On a présumé une faute de copiste, qui aurait ajouté un trait après les deux premiers, et induit les copistes postérieurs à écrire tertia au lieu de seconda. La même faute se serait reproduite trois paragraphes plus loin, à propos de cavaliers de la même légion : Sub dispositione viri spectabilis ducis Thebaidos... n° 8. Equites promoti indigenæ legionis tertiæ Diocletianæ Ambos. Mais peut-être n’y a-t-il dans cette explication qu’une hypothèse sans fondement, et le chiffre III des plus anciens manuscrits est-il le vrai. Dans ce cas, il faudrait voir dans la Diocletiana Thebaidos non une légion complète, mais une fraction de la Tertia Diocletiana Thebæorum, dont l’autre partie était en Thrace ; ce qui réduirait à deux les légions Thébéennes citées dans la Notitia : par où croulerait tout le système que nous combattons.

[43] Les Transformations politiques de l’Italie, p. 189.

[44] Saint Maurice et la légion Thébéenne, p 31.

[45] Saint Maurice et la légion Thébéenne, p. 9.

[46] Admonitio in Passionem SS. Mauritii, etc., dans Ruinart, éd. de Ratisbonne, p. 316. (Ce passage de la seconde édition de Ruinart n’est pas dans celle de 1689.) — Je ne puis citer tous les écrivains qui ont, dans une mesure plus ou moins large, accepté ces conclusions : j’en nommerai seulement quelques-uns. — L’un est l’auteur de l’article Légion Thébaine, dans l’Encyclopédie protestante des Sciences religieuses (t. VIII, p. 90 ; Paris, 1880), qui reconnaît à l’origine du récit d’Eucher un fait historique, mais a le tort de supposer une confusion entre le Thébéen Maurice et un martyr du même nom immolé avec soixante-dix soldats à Apamée pendant la persécution (Acta SS., février, t. III, p. 337) : les circonstances de leurs Passions sont trop différentes pour que les récits se rapportent à un même personnage, à la similitude de nom ou de profession entre deux martyrs n’a rien qui doive étonner dans une histoire qui embrasse un demi-siècle et un territoire aussi vaste que l’Empire romain. J’ajoute que les Actes du martyr d’Apamée sont loin d’avoir la valeur du récit d’Eucher, mais que, par une coïncidence intéressante, le Maurice syrien parait avoir été célébré par son compatriote l’historien Théodoret (De curandis Græcorum affectibus, 8) au moment même où le Maurice d’Agaune était loué par le Gallo-Romain Eucher. — Un écrit beaucoup plus complet et très remarquable sur la question est celui de Franz Stolle, Das martyrium der thebaischen Legion (Breslau, 1891). Mais ses conclusions sont empreintes d’un scepticisme qui me parait excessif. Le fond historique (je reproduis ici le résumé donné par les Analecta Bollandiana, 1891) se restreint aux données des martyrologes, savoir la mention des martyrs Maurice, Exupère, Candide, peut-être aussi le vétéran Victor, et les deux martyrs de Soleure, Ursus et Victor. Voici tout ce que put savoir l’évêque Théodore, lorsqu’en 380 il découvrit les ossements des martyrs et inaugura leur culte à Agamie. Sur ce fond, la légende vint se greffer... Les martyrs étaient des légionnaires, des officiers. Où il y a des officiers, il y a des soldats, et ceux-ci, dans l’opinion populaire, avaient partagé le sort de leurs chefs. En 450, la légende était formée, quand l’évêque de Lyon, Eucher, vint la recueillir sur place. — Ne pas oublier la courte et ingénieuse note publiée par M. l’abbé Batiffol dans la Revue historique, mars-avril 1893, p. 330-364. Selon lui, une basilique construite à la fin du quatrième siècle, des reliques très célèbres au cinquième et au sixième, quelques noms (Maurice, Exupère, Candide, Victor, Innocent, Vital), le souvenir énigmatique d’une legio Felix, voilà tout ce que l’on trouve de solide dans la légende d’Agaune. Il fait remarquer l’expression felix exercitus employée par Avit et Fortunat pour caractériser les martyrs d’Agaune, que Grégoire de Tours appelle aussi martyres legionis felicis. Ces écrivains n’emploient jamais l’expression de Thébéens. N’identifient-ils pas les martyrs d’Agaune avec les soldats d’une legio Felix, dont les inscriptions nous signalent en effet des quartiers dans la région du Rhône ? — On peut répondre que si Avit et Fortunat n’emploient pas l’expression Thébéens, Eucher, qui est plus ancien qu’eux, s’en sert : quant à felix exercitus, martyres legionis felicis, ce sont de pieuses métaphores, non une appellation officielle : il n’y a pas lieu d’y attacher un sens plus précis qu’au mot congregatio beatissima employé en même temps par saint Avit. La Passion de saint Victor de Marseille, que Tillemont juge être du cinquième siècle, fait expressément allusion à la famosissima Thebœorum apud Agaunum cade. Ce texte (que l’on oublie toujours de citer) montre qu’à une époque à peu près contemporaine de celle où vivait saint Eucher, le fait des Thébéens était assez fameux pour être rappelé, par voie d’allusion, et sans qu’il soit besoin d’une explication quelconque, à propos d’un martyre sans aucun lien avec lui.

[47] Parmi ceux-ci, je me reprocherais de ne pas citer Egli (dans Theol. Zeitschr. aus der Schweiz, 1892, p. 69-81), pour qui l’histoire de la légion Thébéenne n’est qu’une adaptation chrétienne d’un fait antique, le massacre de dix mille Gaulois à Octodure par l’armée de Servius Galba (voir César, De Bello Gallico, III, 1-6). Funk (dans Theol. Quartalschrift, 1893, p. 176) a pris la peine de réfuter ces rêveries.

[48] Propter quod facinus, tota legio, millia hominum quatuor, in foro romano securi percussi suit. Tite-Live, XXVIII, 23.

[49] Tacite, Hist., I, 6 ; cf. 31, 37, et Suétone, Galba, 12 ; Plutarque, Galba, 15.

[50] Dès lors s’appliquaient probablement déjà ces paroles de Végèce, II, 3 : On n’a pas soin de mettre de nouveaux soldats à la place de ceux qui sont en congé, après le temps de leur service. On néglige de remplacer les morts, les déserteurs ; tout cela fait un si grand vide dans les troupes que, si l’on n’est pas attentif à les recruter tous les ans, ou même tous les mois, l’armée la plus nombreuse est bientôt épuisée. A la fin du quatrième siècle, le contingent d’une légion tombera à 1.200 ou même 700 hommes ; voir Zosime, V, 45 ; Ammien Marcellin, XVII, 9, 3 ; XIX, 2, 14 ; XXVII, 12, 16 ; cf. Tillemont, Histoire des Empereurs, t. V, p. 582 ; Duruy, Histoire des Romains, t. VII, p. 198, note 1 ; Marquardt, Röm. Staatwerwaltunq, t. II, p. 588.

[51] Sur le nombre d’hommes que comprenaient les cohortes auxiliaires, voir Marquardt, p. 455.

[52] Sous l’Empire, l’armée romaine, en y comprenant les troupes auxiliaires, comptait environ un soldat sur trois cents habitants. Voir Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, t. I, p. 183.

[53] Ammien Marcellin, XXIX, 5. — Aux exemples de tueries en nasse cités dans ce paragraphe, on peut en ajouter d’autres empruntés soit aux temps anciens, — sept mille personnes massacrées en 390 dans le cirque de Thessalonique par l’ordre de Théodose, — soit aux temps modernes, — quatre mille janissaires massacrés en 1826 à Constantinople par ordre du sultan. Que serait-ce si nous ouvrions nos propres annales, pour consulter l’histoire de la Révolution française ? plus de dix mille hommes fusillés en Maine-et-Loire après la défaite des Vendéens, plusieurs milliers de personnes de tout âge et de tout sexe noyées par Carrier à hantes, les mitraillades et les fusillades qui suivirent la prise de Toulon et de Lyon, les massacres de Quiberon (voir Wallon, les Représentants du peuple en mission et la Justice révolutionnaire dans les départements, t. I, p. 226, 271, 311, 312, 315, 334-335, 416, 419-420 ; t. III, p. 68, 137-141, 168 ; Furneron, Histoire des émigrés, t. II, p. 118). Sans doute tous ces condamnés n’étaient pas mis à mort en un seul jour ; mais plusieurs centaines périrent souvent à la fois. Et que sont tous ces meurtres, si on les rapproche des épouvantables massacres de chrétiens qui, il y a peu d’années, ensanglantèrent et déshonorèrent l’Empire turc, sous les regards de l’Europe divisée et impuissante ?

[54] Duruy, Histoire des Romains, t. VI, p. 538, note 6.

[55] Introductio generalis ad historiam ecclesiasticam critice tractandam, p. 29-32.

[56] Principes de la critique historique, p. 213-237.

[57] Saint Eucher, Epistola, 7, 8, raconte en détail deux de ces miracles, dont le dernier, qui semble s’être passé de son temps, montre qu’une hôtellerie, diversorium, avait été construite près de la basilique pour recevoir les pèlerins. Voir Ruinart, p. 294.

[58] C’est ainsi que saint Ambroise parle des saints Gervais et Protais, à propos de l’invention de leurs reliques, dans l’Épître 22 à sa sœur Marcelline ; de saint Sixte et de saint Laurent dans son traité des Devoirs, I, 61 ; de sainte Sotère dans l’Exhortation à la virginité, 12, et dans le livre des Vierges, III, 6 ; de sainte Agnès dans ce dernier ouvrage, I, 2.

[59] Sauf celui de saint Alexandre et de ses quatre compagnons emprisonnés à Milan avant d’être décapités à Côme et à Bergame ; mais la qualification de Thébéens, que leur donnent Adon et Usuard, me parait bien douteuse.

[60] Par exemple G. T. Stokes, art. Legio Thebœa, dans le Dictionary of christian biography, t. III, p. 641.

[61] Les seuls martyrs nommés par Prudence en dehors de l’Espagne ou de Rome sont : saint Cyprien, de Carthage ; saint Paul, de Narbonne ; saint Genès, d’Arles ; saint Cassien, de Tanger ; saint Quirinus, de Siscia ; un autre saint Cassien, d’Imola ; saint Romain, d’Antioche (Peri Stephanôn, IV, 16-17, 34-36, 45-43 ; VII ; X ; XIII). Ruinart fait observer que de célèbres martyrs d’Espagne ont même été omis par Prudence : ainsi, sainte Léocadie, dans l’église de laquelle se tint le quatrième concile de Tolède : Præfatio generalis in Acta martyrum, II, 23, p. XXV.

[62] Voir sur Eusèbe les réflexions de Ruinart, l. c.

[63] Sur cette partie de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, dans laquelle s’intercale l’écrit sur les Martyrs de la Palestine, voir la théorie développée par Halmel, Die Entstehung der Kirchengeschichte des Eusebius von Cæsarea (Essen, 1896), et Die palästinischen Martyrer des Eusebius von Cæsarea in ihrer zweitsachen Form (Essen, 1898), différente de celles de Lightfoot, de Viteau et de Violet résumées dans notre Introduction.

[64] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 11 ; Lactance, Div. Inst., V, 11.

[65] Saint Augustin, Ep. 213 (alias 110). Cf. Héfélé, Histoire des conciles, § 41, 42 ; trad. Delarc, t. I, p. 362, 393, 401 ; De Smedt, Introductio generalis ad historiam ecclesiasticam critice tractandam, p. 51 ; Principes de la critique historique, p. 236.

[66] Saint Augustin, Contra Cresconium, III, 24 ; IV, 441 ; cf. Héfélé, Hist. des conciles, § 67 ; t. I, p. 603-604 ; De Smedt, Introd. gen., p. 51 ; Principes de la critique historique, p. 232-235.

[67] Pline, Lettres, VI, 16, 20.

[68] Suétone, C. Plinii Vita (éd. Lemaire, t. II, p. 456).

[69] Tacite, Annales, XV, 22.

[70] Tacite, Hist., I, 2 ; cf. Ann., IV, 67. On ne voit même pas clairement si cette phrase fait allusion à la catastrophe de 79 ou au tremblement de terre qui renversa en 64 une partie de Pompéi (cf. Sénèque, Nat. Quæst., VI, 1).

[71] Stace, IV Silves, IV, 78-81.

[72] Plutarque, De sera Num. vind., 42.

[73] Dion Cassius, Hist. rom., LXVI, 23.

[74] Ainsi, Dion (Xiphilin) parle de figures gigantesques qui apparurent au sommet du Vésuve, et raconte que la population des deux villes fut ensevelie pendant qu’elle était au théâtre, fait absolument démenti par les fouilles.

[75] Lyell, Principles of geology, book II, part. II, chap. II ; Londres, 1335. Cf. Bumbury, art. Pompeii, dans Smith, Dictionary of greek and roman geography.