La persécution de Dioclétien et le triomphe de l’Église

CHAPITRE SEPTIÈME — LES CHRÉTIENS DEPUIS L’ABDICATION DE DIOCLÉTIEN ET DE MAXIMIEN JUSQU’À L’USURPATION DE MAXENCE (305-306).

 

 

I. — Abdication de Dioclétien et de Maximien. — Fin de la persécution en Occident (305).

Après avoir dédié, en septembre, le cirque de Nicomédie, Dioclétien tomba dans une telle langueur, que sa vie parut menacée. Pendant deux mois, des prières s’élevèrent pour lui dans tous les temples[1]. Le 13 décembre, on le crut mort. Le palais était en larmes ; les tribunaux avaient suspendu leurs audiences[2]. Le lendemain, on apprit que l’empereur vivait encore[3]. Beaucoup, cependant, persistaient à en douter, et disaient que la crainte d’une révolution militaire faisait tenir sa mort secrète jusqu’à la prochaine arrivée de Galère[4]. Enfin, le 1er mars 305, Dioclétien parut de nouveau en public, mais tellement changé par la maladie, qu’il semblait méconnaissable[5]. La crise subie en décembre avait porté le dernier coup à une santé déjà ruinée ; le vieil Auguste n’avait plus que des intervalles lucides, hors desquels sa raison s’égarait[6].

Pendant que l’âge, la fatigue, peut-être un secret remords, faisaient ainsi leur œuvre à Nicomédie, la persécution se poursuivait dans les États encore soumis à l’autorité nominale de Dioclétien. Les nombreux interrogatoires qui ont déjà passé sous les yeux du lecteur lui ont permis de juger des différents procédés employés par les gouverneurs appelés à statuer sur le sort des chrétiens. Le moment me parait venu de les résumer en un tableau général, ou plutôt de reproduire celui qu’a tracé, d’une plume émue, un contemporain, témoin attentif des souffrances de ses frères. Les variétés de caractère et de méthode, qui distinguent si profondément les procès de cette époque, où les magistrats n’étaient pas coulés dans un moule uniforme, se montrèrent probablement avec d’autant plus de relief dans les pays gouvernés par Dioclétien, que cet empereur était devenu plus incapable d’imposer une direction personnelle aux poursuites exercées en son nom.

Il est impossible, — écrit Lactance, — de représenter en particulier ce qui s’est passé dans toutes les parties du monde romain. Chaque gouverneur s’est servi, selon son humeur, de la puissance qu’il avait reçue. Les timides, qui craignaient qu’on ne leur reprochât de n’avoir pas fait tout ce qu’on leur avait ordonné, ont été les plus hardis à aller même au delà. D’autres les ont imités, ou parce qu’ils étaient naturellement cruels, ou par leur haine particulière pour les justes, ou pour plaire aux souverains et s’élever en flattant leur passion à des dignités plus éminentes.

Il y en avait qui se hâtaient de nous ôter la vie, comme celui qui fit un peuple entier de martyrs dans la Phrygie. Mais pour ceux-là, plus leur inhumanité était grande, plus elle nous était favorable. Les plus redoutables étaient ceux qui se flattaient d’une fausse apparence de bonté. Le bourreau le plus dangereux et le plus terrible était celui qui ne voulait tuer personne, qui voulait se pouvoir glorifier de n’avoir ôté la vie à aucun innocent. Car j’en ai entendu moi-même de cette sorte, qui faisaient vanité de n’avoir point répandu de sang dans la province qu’ils gouvernaient. Leur vaine gloire était encore jointe à une véritable envie. Ils ne pouvaient souffrir que les martyrs eussent l’honneur de les avoir vaincus, et d’avoir remporté sur eux la couronne d’une constance invincible.

On ne saurait dire combien ces magistrats ont inventé de tourments pour venir à bout de leurs desseins par les voies les plus cruelles. Car ils s’y appliquaient comme à une chose où il fallait qu’ils fussent victorieux ou vaincus, sachant fort bien que c’était un vrai combat qu’ils avaient à soutenir contre les chrétiens. J’ai vu, dans la Bithynie, un de ces gouverneurs dans une effusion de joie, et aussi glorieux que s’il avait subjugué une nation de Barbares : et cela parce qu’un chrétien, qui avait résisté durant deux ans avec un très grand courage, avait enfin paru s’abattre.

Ils font donc toute sorte d’efforts comme en une chose où il y va de leur honneur, et tourmentent les corps par les douleurs les plus violentes, en évitant néanmoins surtout de les laisser mourir dans ces douleurs. Est-ce donc qu’ils s’imaginent que la mort seule nous rende heureux ? Les tourments ne suffisent-ils par pour nous acquérir la gloire d’une constance généreuse, et une gloire d’autant plus illustre que les tourments ont été plus grands ? Cependant, dans l’aveuglement où les met leur opiniâtreté, ils recommandent qu’on prenne grand soin de ceux à qui ils ont fait donner la question ; mais c’est pour la leur pouvoir donner encore une fois. Ils veulent qu’on répare leurs membres et qu’on rétablisse leurs forces ; mais c’est- afin qu’ils puissent souffrir de nouveaux tourments. Peut-on voir rien de plus doux, rien de plus charitable, rien de plus humain ? Ils n’en feraient pas tant pour leurs amis ! Voilà la bonté qu’inspire le culte des idoles.

Certes, je ne trouve rien de si misérable que ces magistrats, obligés de devenir les ministres de la fureur d’un autre, les exécuteurs des commandements impies de leurs princes, et que cette malheureuse nécessité a trouvés ou rendus cruels. L’autorité qu’on leur a donnée n’a point été une dignité ni un honneur qui les ait relevés ; c’est un triste arrêt par lequel le prince les a condamnés à devenir des bourreaux, et Dieu à souffrir des peines sans fin[7].

Les paroles de Lactance font comprendre comment un grand nombre de confesseurs purent survivre à la persécution ; mais elles montrent en même temps quelle multitude de victimes pouvait faire, en certains lieus, la passion d’un seul gouverneur. il est question, au commencement du passage que nous venons de citer, d’un peuple de martyrs immolé dans la Phrygie. Cette effroyable exécution, qui substitua, dit Eusèbe, à la justice régulière toutes les horreurs de la guerre[8], se place, croyons-nous, au mois de février 305. Une ville de Phrygie où tous les habitants étaient chrétiens fut investie par les soldats. Vainement on promit la vie sauve à ceux qui sortiraient : personne ne voulut profiter d’une offre dont l’acceptation paraissait entraîner l’apostasie. Depuis le curateur, les magistrats, les membres du sénat, jusqu’aux derniers du peuple, tous restèrent résolus à mourir ensemble pour leur foi. Quand les soldats et le gouverneur de la province eurent pénétré dans la cité, cette multitude de tout sexe, de tout âge et de toute condition refusa unanimement de sacrifier : elle fut alors enfermée dans la principale église, qui, dans cette cité toute chrétienne, n’avait pu être abattue : les bourreaux y mirent le feu, et cette foule inoffensive, hommes, femmes, enfants, périt dans les flammes en invoquant le Christ[9]. Parmi les martyrs était un haut fonctionnaire d’origine italienne, Adauctus, investi d’une des charges de finance que Dioclétien avait créées dans presque toutes les villes[10].

Cette tragédie n’avait pas ébranlé le courage des chrétiens, car, un mois après, la capitale de la Palestine vit leur héroïsme éclater d’une manière originale et inattendue. Les prisons de Césarée étaient pleines de fidèles. Une grande fête fut annoncée, peut-être en réjouissance du rétablissement précaire de l’empereur. Le bruit se répandit alors dans le peuple que tous les chrétiens déjà condamnés allaient paraître dans l’arène et combattre contre les bêtes. Au moment où la foule curieuse se rendait au spectacle, le gouverneur Urbain, en route aussi pour l’amphithéâtre, vit marcher vers lui un étrange cortège. Six jeunes gens s’avançaient, les mains liées. L’un, Timolaüs, était du Pont ; le second, Denys, de Tripolis en Phénicie ; puis venaient un sous-diacre de Diospolis, nommé Romulus, deux Égyptiens, Pausis et Alexandre, un autre Alexandre natif de Gaza. Dans un excessif mais généreux enthousiasme, ils criaient qu’ils adoraient le vrai Dieu, qu’ils étaient chrétiens, prêts à tout souffrir, et n’avaient pas peur des bêtes : en témoignage de leur résolution ils montraient leurs mains attachées d’avance. Le gouverneur et son entourage restèrent un instant frappés d’admiration ; puis Urbain commanda d’emmener en prison ces martyrs volontaires. Deux nouveaux prisonniers leur furent bientôt joints : Agapius, qui, plusieurs fois déjà mis à la torture, toujours avait confessé le Christ ; Denys, qui s’était dénoncé lui-même par son zèle à subvenir aux besoins des chrétiens captifs. Ces huit champions de la foi périrent le même jour, non, comme ils l’avaient demandé, par lés bêtes, mais par le glaive : leur supplice eut lieu le 24, du mois de Dystros, selon le calendrier syro-macédonien, le 9 des calendes d’avril (24 mars), selon les Romains[11].

A ce moment Galère arrivait en toute hâte à Nicomédie, sous prétexte de féliciter son beau-père de la santé recouvrée, mais en réalité pour contraindre le malade à l’abdication[12]. On prétend que celle-ci était depuis, longtemps résolue, et que, dès l’époque où il s’associa Maximien Hercule, le fondateur de la tétrarchie avait fixé à l’accomplissement de sa vingtième année d’empire l’époque où les deux Augustes se retireraient[13]. La construction d’un immense palais sur la côte dalmate montre au moins que Dioclétien avait prévu sa retraite, et tout préparé dans la pensée de survivre noblement et délicieusement à. son règne. Mais peu d’hommes sont assez philosophes pour descendre volontiers du trône. Comme un malade s’attache d’autant plus à la vie qu’il se sent plus près de la quitter, le vieux souverain s’attachait davantage au pouvoir, au moment où son état physique et moral le rendait moins capable de l’exercer. Il fallut toute la brutalité de Galère pour le décider à l’abdication.

On connaît l’ascendant de ce César sur l’esprit timide et cauteleux de son chef hiérarchique. Mais, jusqu’à ce jour, rien n’avait révélé son influence sur l’autre Auguste. Aussi n’apprenons-nous pas sans surprise qu’avant d’arriver à Nicomédie, Galère s’était assuré du désistement de Maximien Hercule. Il l’avait menacé de la guerre civile[14], s’était probablement prévalu auprès de lui d’une fausse mission de Dioclétien[15], et lui avait enfin arraché la promesse de se retirer. Fort de cet engagement, il essaya d’abord, vis-à-vis de Dioclétien, de la persuasion et de la douceur. Il lui représenta sa vieillesse, le déclin de ses forces, la difficulté de gouverner, malade, un si vaste Empire, la convenance de jouir enfin d’un repos acheté par tant et de si glorieuses fatigues[16]. Il lui rappela l’exemple de Nerva qui avait, vivant, transmis la pourpre à Trajan[17]. La défense du vieillard fut pitoyable. Tantôt Dioclétien parlait de l’humiliation qu’il éprouverait en quittant le faite de l’Empire pour redevenir simple citoyen ; tantôt, des haines qu’il avait excitées pendant un si long règne, et qui n’attendaient que sa retraite pour éclater[18]. Nerva, dont on alléguait l’exemple, était monté vieux sur le trône, n’avait régné qu’un au, et n’avait pas eu le temps de perdre l’habitude de la vie privée avant d’y rentrer[19]. Lui, Dioclétien, avait depuis trop longtemps oublié qu’il était le fils d’un greffier dalmate, et pris le langage et les sentiments d’un prince né dans la pourpre ! Si Galère ambitionne seulement le titre d’empereur, qu’il le reçoive : il n’y aura plus de Césars, les quatre souverains du monde romain deviendront des Augustes[20]. Mais, à ce prix, qu’on laisse Dioclétien mourir sur le trône ! De toutes les scènes de comédie qui se jouèrent jamais dans le palais des rois, je n’en connais pas qui eût été plus digne d’inspirer un Corneille ou un Shakespeare. Il faut avouer que Galère y soutint spirituellement son rôle. Avec une exquise ironie, il prit contre Dioclétien la défense de l’établissement politique fondé par celui-ci. La hiérarchie si sagement établie devra, dit-il, être éternellement maintenue, afin qu’il y ait toujours deux Augustes au sommet de la République, et sous eux deux Césars, leurs modestes auxiliaires. Entre les deux chefs suprêmes, la concorde a pu aisément durer : si tous les quatre devenaient égaux, elle cesserait vite[21]. Puis, élevant le ton, et devenant tragique : Si tu ne veux pas céder, s’écria-t-il, je ne prendrai conseil que de moi-même, car je suis résolu à ne pas rester plus longtemps le moindre et le dernier de tous. Voilà quinze ans que je passe dans l’Illyrie ou sur les bords du Danube, combattant obscurément les Barbares, tandis que les autres vivent au milieu des délices, dans de vastes et paisibles provinces ![22] L’ancien Galère reparaissait, et la menace remplaçait l’ironie. Dioclétien, qui avait reçu une lettre d’Hercule et savait que le César avait augmenté son armée, comprit qu’une plus longue résistance serait inutile : Que ta volonté soit faite ! dit-il en pleurant[23].

Telle est l’histoire de l’abdication, écrite par un homme à qui sa position près de Constantin permit de savoir de première source ce qui s’était passé[24]. Moins bien renseigné pour le détail (car il se figure que la santé de Dioclétien ne fut jamais meilleure qu’à cette heure critique), Aurelius Victor reconnaît aussi que la peur fut la cause déterminante de sa retraite (De Cæsaribus). Mais le malheureux empereur n’était pas au bout de ses humiliations. Il restait à rétablir la hiérarchie, démembrée par l’abdication des deux. Augustes. Galère et Constance succédant sans difficultés à’ ce titre, deux nouveaux Césars devaient être choisis. Les convenances ou une règle déjà posée auraient voulu que l’élection fût faite par tout le collège impérial[25]. A quoi bon ? dit Galère. Il faudra bien que les autres approuvent ce que nous aurons fait. — Cela est vrai, répondit Dioclétien : d’ailleurs, il est nécessaire que nous nommions leurs fils[26]. Malgré un orgueil insupportable, Maxence, fils de Maximien Hercule et gendre de Galère, était en effet, par sa naissance au moins, désigné pour la pourpre[27] ; et mieux encore le fils de Constance, le jeune Constantin, aimé des soldats pour ses qualités militaires, de tous pour l’honnêteté de ses mœurs et la douceur de son commerce, de Dioclétien lui-même, qui le gardait près de lui, et l’avait élevé au grade de tribun du premier ordre[28]. Lesquels élirons-nous donc ?Sévère. — Quoi ! Sévère, ce débauché, cet ivrogne, ce sauteur, qui fait de la nuit le jour et dit jour la nuit !Oui, Sévère. Il est digne de régner, car il a bien commandé mes soldats. D’ailleurs, je l’ai déjà envoyé à Maximien pour être revêtu de la pourpre[29]. — Soit. Et pour le second, qui m’imposeras-tu ?Celui-ci, dit Galère, montrant le jeune Daia, fils de sa sœur, un demi barbare auquel il avait récemment, en signe d’adoption, donne son nom de Maximien ou Maximin[30]. Qui donc m’offres-tu ? s’écria Dioclétien surpris. Mon parent. — Mais, continua en gémissant le vieil empereur, ces deux hommes ne sont pas de ceux à qui peut être confié le soin de la République.Je réponds d’eux. — C’est ton affaire, puisque aussi bien c’est toi qui prendras le gouvernement de l’Empire. J’ai assez travaillé, afin que, moi régnant, la chose publique n’éprouvât aucun dommage : si quelque mal lui survient maintenant, ce ne sera pas de ma faute[31].

Le second acte de la comédie était joué. Il restait à faire accepter le dénouement au peuple et aux soldats. Le 1er mai, le cortège impérial se transporta sur une colline, à trois milles de Nicomédie. Ce lieu était déjà célèbre dans l’histoire du nouvel Empire : une colonne surmontée d’une statue de Jupiter y marquait la place où, vingt ans plus tôt, Maximien Hercule avait reçu la pourpre des mains de Dioclétien[32]. Les chefs militaires et des députations des légions étaient rassemblés. Tous s’attendaient à l’élévation du jeune et brillant officier qui avait déjà rendu populaire le nom de Constantin[33]. Le vieil Auguste prit la parole et dit en pleurant que sa santé le contraignait au repos, qu’il fallait laisser l’Empire à de plus forts, et nommer de nouveaux Césars[34]. Il prononce alors les noms de Sévère et de Maximin. Tons les yeux se tournent vers Constantin, débout sur l’estrade impériale. On se demande si son nom n’a pas été changé en ce-lui de Maximin par un caprice des Augustes. Mais soudain l’hésitation cesse. Galère s’avance brusquement, écarte de la main le fils de Constance, et pousse en avant Daia. Les soldats regardent cet inconnu, qui, bien qu’ayant passé en peu de temps par tous les grades de la garde impériale, restait ignoré de l’armée[35]. La surprise étouffé les protestations. Saisissant le moment favorable, Dioclétien jette son propre manteau de pourpre sur les épaules du neveu de Galère : puis, redevenu Dioclès, l’empereur vétéran monte en voiture, traverse la ville, et se fait conduire au port, où un vaisseau l’emporte vers Salone[36].

Le même jour, dans un temple de Milan, Maximien Hercule accomplissait une semblable cérémonie et donnait l’investiture à Sévère, devenu César au détriment de son fils Maxence[37]. Puis le vieil Hercule se retirait, non, comme Dioclétien, pour cultiver philosophiquement de beaux jardins à Salone, mais pour jouir de grossiers plaisirs dans ses villas de Lucanie.

Les changements de personnes dans le collège impérial amenaient, nécessairement, un remaniement dans les États, Pendant que Galère étendait sa suzeraineté sur toute la partie orientale de l’Empire, tant en Europe qu’en Asie, Constance prenait la suprématie sur l’Occident. Mais les Césars, tout en demeurant, selon le plan de Dioclétien, subordonnés aux Augustes, recevaient des provinces dans ces deux moitiés du monde romain. Constance, dont Eutrope loue la modération[38], paraît avoir joint là seule Espagne aux États précédemment administrés par lui. Cette péninsule exceptée, Sévère eut les contrées sur lesquelles avait régné Maximien Hercule, l’Italie, la Rhétie et l’Afrique. On ne pouvait attendre de l’ambitieux Galère la modération de Constance. Au lieu de partager l’Orient, comme naguère Dioclétien, il s’attribua sans hésiter la part du lion, ne laissant que la Cilicie, l’Isaurie, la Syrie et l’Égypte à Daia, en qui il voyait moins un César que son préfet ou son lieutenant.

La révolution qui venait de s’accomplir montrait à la fois la faiblesse et la force du système de gouvernement inauguré par Dioclétien : la faiblesse, car il suffisait de l’ardente ambition et de la tenace volonté d’un seul des membres du collège impérial pour imposer aux autres une abdication prématurée ou des choix inspirés par son intérêt personnel au détriment de l’intérêt public ; la force en même temps, puisque des changements si considérables s’étaient faits sans troubles dans les cités, sans soulèvements militaires, dans une profonde paix. Mais une autre conséquence, déjà indiquée, du système allait apparaître sinon dans les rapports de l’Église et de l’État, car ces rapports violemment rompus ne se rétabliront qu’après plusieurs années, au moins dans la situation faite aux chrétiens des provinces placées sous l’autorité directe ou l’influence hiérarchique des deux nouveaux Augustes.

La Gaule n’avait été que peu ou point touchée par la persécution sanglante : ni dans cette contrée, ni dans la Bretagne, où la paix religieuse avait aussi duré presque sans interruption, l’accroissement de pouvoir que Constance tira, de son nouveau titre n’amena sans doute aucun changement. Mais l’Espagne, passant des mains d’Hercule dans celles d’un souverain tolérant, vit s’améliorer tout de suite la situation des chrétiens. Les rigueurs exercées par Datianus et d’autres magistrats cessèrent entièrement. On eût pu croire que Sévère, imposé à Hercule et à Constance par le choix de Galère qui espérait le dominer toujours, et en faire l’appui de sa politique à l’ouest comme Daia le serait à l’est, hésiterait à mettre nu. terme à la persécution qui avait duré jusqu’au printemps de 305 en Italie et eu Afrique. Mais, dans ce point au moins, les calculs de Galère furent en défaut. Sévère orienta sa conduite sur celle de son supérieur immédiat, et laissa respirer les chrétiens.

Sans doute, les conséquences matérielles des édits ne disparurent pas encore dans ses États. Les églises et les cimetières ne furent pas rendus. Les communautés chrétiennes dissoutes ne reprirent pas l’existence légale qui leur avait appartenu pendant une partie du quatrième siècle[39]. La confiance dans les bonnes dispositions du gouvernement fut même lente à se rétablir. Aussi, tant que dura le règne de Sévère, l’Église de Rome ; éprouvée par tant d’assauts, ne fit point cesser l’état provisoire causé par la mort de Marcellin : les prêtres continuèrent à conduire le troupeau : le clergé et le peuple ne se croiraient pas encore assez sors du lendemain pour introniser un nouvel évêque dans la chaire apostolique. Mais au moins les arrestations, les emprisonnements avaient cessé : le sang des martyrs ne coulait plus dans la ville éternelle.

Il en fut de même en Afrique, où la tempête s’apaisa, laissant le sol et les âmes couverts de ruines. Soit en 305, soit dans l’une des années suivantes, douze évêques numides purent tenir un synode à Cirta[40]. Les scandaleux reproches échangés par ces prélats, qui tous avaient plus ou moins faibli pendant la persécution, montrent que celle-ci ne durait plus. Mais le lieu choisi pour la réunion prouve que, en Afrique comme à Rome, il n’y eut d’abord qu’une tolérance de fait, sans restauration légale de l’ancien état de choses. Les évêques siégèrent, dit le procès-verbal, dans la maison d’Urbanus Donatus[41] ; saint Optat en donne la raison : c’est que les basiliques n’avaient pas encore été restituées[42].

Si précaire, cependant, que fût cette pais, elle contrastait singulièrement avec l’état violent qui se perpétuait dans les provinces soumises à Galère et à Maximin Daia. Eusèbe a fait nettement ressortir ce contraste, en une page de son livre sur les martyrs de la Palestine. Les contrées situées au delà de l’Illyrie, c’est-à-dire l’Italie entière, la Sicile, la Gaule et tous les pays d’Occident, l’Espagne, la Mauritanie et l’Afrique, après avoir souffert la fureur de la guerre pendant les deus premières années de la persécution, obtinrent promptement de la grâce divine le bienfait de la pais. La Providence eut égard à la simplicité et à la foi des chrétiens qui y demeuraient. Alors, chose jusqu’à ce jour inouïe, on vit le monde romain divisé en deux parties. Tous les frères vivant dans l’une jouissaient du repos. Tous ceux qui habitaient l’autre étaient encore obligés à des combats sans nombre[43].

L’historien, interprétant les secrets conseils de la Providence, semble dire qu’une foi plus simple, une piété plus austère, avaient mérité aux chrétientés occidentales la grâce d’une prompte délivrance, tandis que les dissensions intestines, la corruption d’esprit et de mœurs qui régnèrent à la fin du troisième siècle dans les Églises d’Orient, appelaient encore sur elles une longue et cruelle expiation.

 

II. — Nouveaux édits de persécution en Orient (306)

Le curieux épisode que nous allons raconter vient confirmer les paroles d’Eusèbe, en montrant que des fidèles étaient encore immolés, à la fin de 305, dans les États de Galère, et que d’autres y demeuraient astreints au travail pénal des mines.

Après que les affaires de l’abdication eurent été réglées, Galère dut quitter Nicomédie pour les provinces danubiennes, inquiétées par les Sarmates[44]. Il passa la fin de l’année dans ces rudes contrées, où s’était déjà écoulée la plus grande partie de sa vie d’empereur.

L’administration des carrières de marbre que le fisc y possédait attira naturellement ses regards. On sait quelle était l’importance de cette nature de propriétés publiques, dans un Empire où les constructions somptueuses, temples, palais, thermes, portiques, théâtres, s’élevaient de toutes parts, décoraient les moindres villes perdues sur les sommets des montagnes comme dans les sables des déserts, et où l’humble forum de la plus petite bourgade renfermait parfois plus de statues qu’une capitale moderne. Des immenses carrières ouvertes sur toute la surface du monde romain s’expédiaient sans cesse, parfois tout taillés et prêts à être, mis en place, colonnes, chapiteaux, corniches, vasques de fontaines. Des ouvriers de diverses catégories étaient attachés à ces exploitations, sous la direction de surveillants ou de contremaîtres auxquels la langue populaire donnait le nom de philosophes[45]. La dernière classe de ces travailleurs, vouée aux obscurs et pénibles labeurs qui s’accomplissaient dans l’intérieur de la mine, avait une condition analogue à celle de nos forçats ou, si l’on veut une comparaison plus topique, ressemblait aux condamnés de la Sibérie : c’étaient les damnati ad metalla, esclaves de la peine, selon l’usage juridique : parmi eux se trouvaient de nombreux chrétiens, punis des travaux forcés pour avoir confessé leur foi. L’autre catégorie d’ouvriers se composait de travailleurs libres, ou du moins dégagés de tout lien pénal. Ceux-ci avaient leurs habitations et leurs ateliers autour de la mine : cette population laborieuse formait par son agglomération un gros bourg, presque une petite ville, où ne manquait aucun des agréments de la civilisation romaine.

Les travailleurs libres d’une des carrières pannoniennes que visita l’empereur étaient au nombre de six cent vingt[46] : si l’on y Joint les femmes, les enfants, les soldats, les commerçants de toute sorte, on peut imaginer autour de la mine une population de plusieurs milliers de personnes. Les plus habiles de ces artisans (auxquels on eût donné de nos jours le nom d’artistes) étaient capables de sculpter des bas-reliefs et même des statues. On comptait parmi eux cinq chrétiens, Claude, Castorius, Symphorien, Nicostrate et Simplicius ; les quatre premiers avaient été convertis par les secrètes exhortations de l’évêque d’Antioche, Cyrille, qui travaillait enchaîné dans la mine depuis le commencement de 303 ; le cinquième s’était trouvé gagné à, la foi par l’exemple de ses compagnons. Bien que fermes dans leurs croyances, au point de n’attaquer le marbre qu’après avoir tracé sur leurs poitrines le signe de la croix, les cinq sculpteurs ne refusaient de faire aucun des travaux qui n’étaient pas absolument défendus par l’Église. Non seulement ils taillèrent des lions, des aigles, des cerfs pour des fontaines, mais encore ils n’éprouvèrent aucun scrupule à sculpter pour des monuments semblables, sur l’ordre de l’empereur, des Amours et des Victoires (Victorias et Cupidines). C’étaient la de simples ornements, des figures décoratives, auxquels n’était attachée aucune idée de culte[47]. Les cinq artistes pannoniens consentirent même à sculpter une image du Soleil monté sur son char et emporté par ses coursiers (simulacrum Solis cum quadriga)[48] : représentation appartenant au cycle cosmique, qui n’avait pas un sens absolument idolâtrique, et que les premiers chrétiens toléraient même sur leurs sarcophages[49]. Mais on leur demanda ensuite un Esculape destiné à être placé dans un temple ; ils refusèrent de le faire parce que c’était une idole (Asclepii simulacrum non fecerunt). Traduits devant un juge, ils confessèrent leur foi, et ne purent être contraints à sacrifier au dieu de César, c’est-à-dire à l’image du Soleil taillée de leurs propres mains. Le 8 novembre, par l’ordre de l’empereur, on les enferma vivants dans des cercueils de plomb, et on les jeta à la rivière. Peu de jours après, l’évêque Cyrille mourut de douleur en apprenant la mort des cinq généreux artistes qu’il avait naguère enfantés à la foi[50]. Leur histoire fut écrite par un agent du fisc, nommé Porphyre[51], employé au recensement que Galère faisait opérer dans la Pannonie, et lui-même chrétien[52].

Cependant le caractère exceptionnel de ce martyre peut se concilier avec un ralentissement de la persécution ; l’émotion qu’il parait avoir causée semble montrer qu’en effet les rigueurs étaient, devenues, même en Orient, moins fréquentes et moins générales à la fin de 305. Comme on va le voir, les Églises de ces provinces, destinées à souffrir si longtemps encore, purent, dans les premiers mois qui suivirent l’établissement du nouveau régime, se tromper sur le sort qui les attendait.

Les chrétiens étaient déjà si nombreux dans cette partie de l’Empire, particulièrement dans l’e diocèse d’Orient, devenu l’apanage de Maximin Daia, qu’un souverain improvisé, sans racines, sans prestige, comme était le neveu de Galère, se croyait d’abord obligé de compter avec eux. Même s’il était résolu a persécuter et obligé par ses engagements a se faire l’instrument des haines de son patron, le nouveau César devait attendre d’être plus affermi avant de déclarer la guerre à une partie considérable de ses sujets. Aussi voulut-il, par son premier acte public, apaiser les ressentiments et endormir les défiances de ceux en qui son préjugé païen redoutait des ennemis, en se faisant accompagner d’une sorte d’amnistie religieuse. Il est difficile, en effet, d’interpréter autrement un acte qu’il résumera lui-même, quelques années plus tard, en ces termes :

Quand, pour la première fois, je vins en Orient, sous d’heureux auspices, j’appris qu’un très grand nombre d’hommes, qui auraient pu être utiles à la République, avaient été relégués en divers lieux par les juges. J’ordonnai à chacun de ceux-ci de ne plus sévir cruellement contre les provinciaux, mais de les exhorter plutôt par de bienveillantes paroles à revenir au culte des dieux. Tant que mes ordres furent suivis par les magistrats, personne dans les contrées d’Orient ne fut plus relégué ou maltraité ; mais plutôt ces provinciaux, gagnés par la douceur, revinrent au culte des dieux[53].

Un très prochain avenir montrera la fausseté de cette dernière phrase, comme aussi le peu de sincérité de l’acte dont se vante Maximin. Ses paroles laissent voir, cependant, un fond d’illusion que peut seule expliquer l’inexpérience d’un jeune César. Ardent païen, il semble avoir cru pendant quelque temps que sa religion avait encore en elle-même des forces de séduction qui lui permettaient de lutter contre la doctrine chrétienne sans le secours de la violence. Cette foi naïve dans le pouvoir des dieux est attestée par les contemporains. Les sorciers et les magiciens, dit Eusèbe, recevaient de lui les plus grands honneurs : il était très superstitieux, entièrement livré à la vaine adoration des statues et des démons. Il n’osait rien commencer, rien toucher du bout du doigt, pour ainsi dire, sans avoir recours à la divination et aux oracles[54]. Tous les jours, ajoute Lactance, un sacrifice était offert dans son palais. La viande présentée sur sa table ne provenait pas d’animaux tués par ses cuisiniers, mais immolés par les prêtres : on n’y servait rien qui n’eût été d’abord offert devant les autels ou arrosé du vin des libations[55]. Les historiens rapportent à un autre moment de son règne le soin qu’il eut de réorganiser dans toutes les provinces et même dans toutes les villes les sacerdoces païens. Mais le dessein de ces réformes était peut-être dès lors arrêté dans son esprit : et probablement, dans son désir de relever la splendeur du culte, s’occupa-t-il tout de suite à restaurer les temples qu’un abandon chaque jour plus marqué laissait déjà partout tomber en ruines, et à en construire de nouveaux dans chaque cité[56].

Les chrétiens avaient un tel besoin de reprendre haleine et de se réorganiser eux-mêmes, qu’ils mirent tout de suite à profit la trêve accordée par Maximin, sans se demander si elle serait de quelque durée. Dans la première moitié de 306, Pierre, évêque d’Alexandrie, publia une série de’ canons disciplinaires, par lesquels il réglait la situation des fidèles de son Église qui avaient plus ou moins complètement failli dans les deux années précédentes[57]. Ce document est un des plus curieux et, à certains égards, un des plus touchants qui soient restés de celte époque troublée. Il offre un singulier mélange de fermeté et de miséricorde, de sévérité et de tendresse, et remet une fois de plus sous nos yeux ces principes de modération vraiment maternelle qui guidèrent toujours l’Église dans ses rapports avec s’es enfants tombés, si différents des excès de rigueur ou -des abus d’indulgence auxquels se portèrent les hérétiques.

Les chrétiens qui n’ont pas commis la faute de se présenter eux-mêmes aux juges, mais, arrêtés, ont cédé à la violence des tourments, sont obligés à trois ans de pénitence et quarante jours de jeûne[58]. Ceux qui ont succombé, non à la torture, mais seulement aux souffrances ou aux ennuis de la prison, où cependant ils étaient secourus par les aumônes des frères, devront faire pénitence pendant un an de plus[59]. Quatre autres années seront infligées aux cœurs plus faibles encore qui ont apostasié sans avoir même passé par la prison, et que l’évêque compare au figuier stérile maudit par le Seigneur[60]. D’autres, pour éviter le sacrifice, avaient feint d’être épileptiques, ou promis par écrit qu’ils obéiraient, ou envoyé des païens jeter en leur nom l’encens sur l’autel : ceux-là feront en plus six mois de pénitence, quand même des confesseurs trop empressés, comme cinquante ans plus tôt à Carthage, leur auraient accordé des lettres de communion[61]. Des maîtres chrétiens avaient envoyé des esclaves à leur place devant le juge, et ces esclaves avaient renoncé à la foi : ceux-ci devront se repentir pendant un an[62], et les maîtres qui ont lâchement abusé de leur pouvoir et méprisé les recommandations apostoliques[63], pendant trois[64]. Mais il est des fidèles qui, après une première apostasie, se sont relevés d’eux-mêmes, sont retournés au combat, ont souffert l’emprisonnement et les tortures : ils seront reçus avec joie à la communion, tant des prières que de la réception du corps et du sang, et à la prédication[65]. » D’autres chrétiens ont oublié que le Seigneur commanda de ne pas s’exposer à la tentation, ordonna à ses disciples de fuir leurs ennemis de ville en ville, plusieurs fois évita lui-même ceux qui le poursuivaient, et qu’à son exemple Étienne et Jacques attendirent d’être arrêtés, comme aussi Pierre, qui fut crucifié à Rome, et Paul, qui fut décapité dans la même ville : témérairement, contre la discipline et tant de grands exemples, ces fidèles ont été d’eux-mêmes s’offrir aux juges : mais ils l’ont fait par zèle, peut-être par ignorance aussi devront-ils être reçus à la communion[66]. Quant aux clercs qui se sont rendus coupables de la même imprudence au lieu de s’appliquer au salut des âmes et à leur ministère, ils reçoivent aussi leur pardon ; cependant, si leur témérité a été suivie de l’apostasie, ils ne pourront plus exercer les fonctions cléricales, encore qu’ils se soient relevés par un nouveau combat[67]. Mais, en blâmant ainsi le zèle téméraire ; l’évêque d’Alexandrie n’étend pas ce blâme à ceux qui, témoins des procès et des souffrances des saints martyrs, se sont déclarés chrétiens dans un mouvement de généreuse émulation, ou, au contraire, ont fait cette déclaration pour protester contre l’apostasie de quelques-uns de leurs frères et endurer à leur place les ongles de fer, les fouets ; les feux, ou l’eau[68]. Quant aux infortunés qui ont succombé à la peur ou à la souffrance, l’évêque approuve que l’on prie pour eux[69]. Il exclut de toute censure les chrétiens qui ont payé pour n’être pas poursuivis, et ainsi montré au moins leur mépris pour l’argent. Aucun reproche ne doit atteindre ceux qui se sont dérobés à la persécution par la fuite, quand même d’autres auraient été arrêtés à leur place : Paul n’a-t-il pas été contraint de laisser Gaius et Aristarque aux mains de la populace d’Éphèse ? l’évasion de Pierre n’a-t-elle pas été cause de la mort de ses gardes ? les saints Innocents n’ont-ils pas péri au lieu de l’Enfant Jésus[70] ? Enfin, des confesseurs emprisonnés en Libye ou ailleurs avaient soumis le cas de chrétiens à qui l’on avait fait avaler de force le vin du sacrifice, ou dont on avait tenu la main pour leur faire offrir de l’encens ; ceux-ci n’ont point failli, méritent d’être honorés comme confesseurs, et peuvent même être promus au ministère ecclésiastique[71].

Au moment où, quelques semaines avant Pâques[72], Pierre d’Alexandrie publiait ces canons, qui supposent une Église en train de refaire ses cadres détruits, de reconstituer son clergé, de soumettre à la discipline les diverses catégories de ses pénitents, le calme nécessaire à l’application de règles si sages allait subitement cesser. Maximin n’avait pas tardé à s’apercevoir que le paganisme, même avec des temples neufs et des prêtres comblés des faveurs impériales, ne pouvait lutter par ses seules forces contre une religion qui s’emparait de toute l’âme et survivait à la destruction de ses sanctuaires, à la dispersion ou à l’immolation de son clergé, aux chutes mêmes de ses enfants, aux maux de toute sorte infligés à ses sectateurs. Aussi la trêve dictée par une politique où se mêlèrent peut-être à doses égales l’hypocrisie, la peur, quelque humanité et de naïves illusions, ne fut-elle pas de longue durée. Galère, qui avait permis au jeune César de tenter cette expérience vouée à l’insuccès, et avait probablement laissé la persécution sommeiller aussi dans ses propres États afin d’aider le nouveau régime à s’établir sans secousse, n’aurait point souffert une durable interruption de la lutte engagée contre le christianisme. D’ailleurs, la colère avait déjà envahi l’Âme de Maximin, qui, déconcerté par la vanité de ses efforts, va devenir, dit Eusèbe, un persécuteur plus cruel et plus passionné qu’aucun de ses prédécesseurs[73].

Aussi, dés les premiers mois de 306, la guerre religieuse reprit-elle en Orient avec une nouvelle ardeur. Eusèbe, qui était alors à Césarée, raconte ce qu’il vit durant cette troisième année de la persécution générale[74]. Dans toutes les provinces de Maximin, dit-il, furent envoyés des édits de ce tyran, commandant aux gouverneurs de contraindre les habitants de leurs villes à sacrifier publiquement aux dieux. Des hérauts parcoururent les rues de Césarée et convoquèrent les chefs de famille dans les temples par ordre du gouverneur. En outre, les tribuns des soldats firent, d’après des registres, l’appel nominal. Tout était bouleversé par un orage inexprimable[75]. Cette deuxième déclaration de guerre eut Maximin pour auteur[76]. Eusèbe parle seulement ici des faits dont il fut témoin, car, à la même époque, le nouvel édit était publié aussi dans les États de Galère : on ne peut douter que les deux souverains ne se fussent mis d’accord pour recommencer de concert les hostilités, ou plutôt que Galère n’ait été le véritable auteur de la reprise de la persécution. Les Actes du centurion saint Acace, en garnison dans la Thrace, aux environs d’Héraclée ou de Périnthe, et martyrisé le 8 mai, à Byzance, disent que le gendre de Dioclétien, c’est-à-dire Galère, excita une troisième fois la persécution contre les serviteurs de Dieu[77]. Cette expression n’est pas contradictoire de la deuxième déclaration de guerre dont vient de parler Eusèbe à propos de Maximin : l’historien n’a en vue que les deux phases successives de la persécution générale, son commencement en 304 et son renouvellement en 306 ; tandis que le rédacteur des Actes rappelle la part décisive que trois fois Galère prit aux maux des chrétiens, d’abord en décidant Dioclétien aux édits de 303, puis en lui imposant la persécution de 304, enfin en reprenant celle-ci après l’abdication des deux premiers Augustes. L’édit publié en Thrace ordonnait, dit l’hagiographe, que dans toutes les villes ceux qui refuseraient d’honorer les dieux fussent livrés au dernier supplice. Les chefs de l’armée devaient aussi traduire devant leur tribunal et condamner à mort tout soldat qui ne rendrait pas son culte aux divinités de l’Empire[78].

D’autres Actes emploient comme Eusèbe l’expression seconde déclaration de guerre pour indiquer la persécution renouvelée en Orient par Galère et Maximin. Bien que plusieurs détails paraissent suspects dans le récit du martyre de saint Hadrien et de ses compagnons[79], le préambule semble inspiré des documents historiques et peint de couleurs vives et naturelles l’effet produit par les nouveaux édits dans la capitale de la Bithynie, devenue la résidence habituelle de Galère après l’abdication de Dioclétien :

Le tyran Maximien (Galère) avait résolu pour la seconde fois de persécuter les disciples du Christ. Il entra bientôt à Nicomédie dans le dessein de faire périr tous les fidèles, et, s’étant rendu d’abord dans un temple des dieux, il leur offrit des sacrifices et ordonna que tous les citoyens de la ville fissent aussi leurs offrandes. Aussitôt le peuple s’empressa de toutes parts pour obéir à ce commandement impie. Cette ville était très adonnée au culte des idoles, et tous les habitants sacrifiaient à l’envi dans les rues, sur les places publiques, dans l’intérieur des maisons, au point que l’odeur et la fumée de ces nombreux sacrifices remplissaient tous les lieux environnants. Des crieurs publics parcouraient aussi tous les quartiers de la ville[80], proclamant à haute voix que tous les citoyens devaient, par l’ordre des empereurs, offrir des sacrifices et des libations aux idoles, et que les chrétiens qui seraient découverts allaient être livrés aux flammes. Plusieurs personnages de distinction furent ensuite désignés pour visiter toutes les maisons, avec ordre, s’ils découvraient quelques disciples du Christ, hommes ou femmes, de les amener devant le tribunal du juge, afin qu’on pût les soumettre aux plus affreux supplices. D’autres envoyés de l’empereur répandaient l’argent à pleines mains pour engager les habitants de Nicomédie à dénoncer les chrétiens et à les livrer aux bourreaux. Alors on vit les voisins, les amis, les parents se dénoncer mutuellement[81], entraînés les uns par l’appât des récompenses, les autres par la crainte du supplice, des châtiments terribles ayant été annoncés contre ceux qui cacheraient les chrétiens[82].

De ces Actes se détache un épisode admirable. Hadrien était le chef des gardes de Galère ; il était marié depuis treize mois. Un jour, à Nicomédie, il assistait, aux côtés de l’empereur, à l’interrogatoire de plusieurs chrétiens qui avaient été découverts cachés dans une caverne près de la ville. L’intrépidité de leurs réponses, le courage qu’ils montraient dans les tortures, l’éloquence enflammée avec laquelle ils parlaient du ciel, remuèrent le cœur du jeune officier : il eut comme la révélation subite d’une vie morale qui lui avait été inconnue jusque-là : il s’élança au milieu des martyrs, en criant aux greffiers : Mettez mon nom avec ceux de ces hommes respectables, car moi aussi je suis chrétien. L’empereur, irrité, le fit conduire en prison avec les confesseurs de la foi. Un des esclaves d’Hadrien, qui avait assisté à cette scène, court en toute hâte avertir sa femme Natalie. Celle-ci, qui était née de parents chrétiens, et qui professait le christianisme en secret, se sent transportée de joie : son amour se transforme en quelque sorte, et la sève surnaturelle, qui l’alimentait à son insu, fait tout à coup de la jeune femme timide une créature nouvelle, plus tendre que jamais, mais d’une héroïque tendresse. Elle court à la prison, se jette aux pieds d’Hadrien, baise ses chaires, l’exhorte. Hadrien la renvoie chez elle en lui disant : Ma sœur, je te promets de te faire prévenir, afin que tu sois présente à ma dernière heure. Natalie, après avoir baisé respectueusement les chaînes des vingt-deux confesseurs de la foi qui étaient enfermés avec son mari, et leur avoir recommandé l’âme de celui qu’elle aime, revient vers Hadrien, l’exhorte encore une fois, le salue, et retourne chez elle, joyeuse ; disent les Actes. Au bout de quelques jours, Hadrien apprend que son jugement approche : il obtient du geôlier la permission de se rendre secrètement dans sa maison, pour avertir sa femme. Le voyant venir, celle-ci croit que par une apostasie il a recouvré sa liberté : elle pleure, et refuse de le recevoir. Hadrien la rassure : Ouvre-moi, lui dit-il, ouvre-moi, ma Natalie ; je viens te chercher pour que tu assistes avec moi à mon combat : ouvre-moi bien vite, car mes instants sont comptés, je ne te verrai plus, et toi-même tu regretteras de ne m’avoir point vu avant que je meure. Persuadée par ces tendres plaintes, Natalie ouvre enfin ; et quand Hadrien fut entré dans la maison, le mari et la femme s’agenouillèrent l’un devant l’autre, par un sentiment de respect mutuel. Ils se relèvent bientôt, et se rendent ensemble dans la prison. Natalie y passe sept jours, essuyant de ses propres mains les blessures des confesseurs enfermés avec son mari, et qui avaient déjà subi la torture. Hadrien est enfin appelé devant le tribunal de l’empereur : sa, femme l’y suit. On commence à le torturer. Natalie court l’apprendre aux confesseurs, qui se prosternent et prient pour lui ; et, pendant toute la durée de la torture, elle ne cesse daller du tribunal à la prison, des confesseurs à son mari, apportant aux saints, dans sa fierté, les réponses courageuses d’Hadrien, et courant ensuite le retrouver, pour ne rien perdre de sa présence et de ses tourments. La torture finie, elle rentre avec son mari dans la prison, qu’elle emplit de sa joie. Comme beaucoup de chrétiennes y venaient pour soigner les martyrs, l’empereur ordonna d’en renvoyer toutes les femmes. Natalie, pour demeurer avec Hadrien, coupe ses cheveux et prend un habit d’homme. Seule, alors, elle panse les plaies de tous, et, ce service fini, revient s’asseoir aux pieds de son mari. Je t’en prie, ô mon seigneur et mon époux, dit-elle, n’oublie pas ta femme, qui t’a assisté dans ton martyre, qui a préparé ton âme pour le combat... Pour prix de ma vie chaste et pure, permets-moi de mourir avec toi... Tu connais la perversité des habitants de cette ville, l’impiété de l’empereur : après ta mort, je crains qu’on ne veuille me livrer à un païen, et que notre couche nuptiale ne soit un jour souillée. Jeune, belle, riche, de haute naissance, ce qu’elle avait prévu arriva ; après le martyre d’Hadrien, brûlé vif en même temps que ses compagnons de captivité, Natalie fut demandée en mariage, avec l’autorisation de l’empereur, par un habitant de Nicomédie, officier supérieur de l’armée. Il envoya vers elle, pour solliciter sa main, plusieurs des femmes les plus considérables de la ville. Natalie leur fait une réponse évasive, et demande trois mois de délai ; puis, entrant dans sa chambre, se prosternant près de son lit, elle s’écrie : Seigneur, abaissez vos regards sur votre servante, et ne permettez pas que la couche de votre martyr Hadrien soit profanée. Elle parvient enfin à s’enfuir, avec un grand nombre de chrétiens ; arrivée par mer à Argyropolis, près de Byzance, elle s’agenouille sur le rivage, brisée de fatigue, et meurt après avoir vu dans son sommeil son époux martyr qui venait la chercher[83].

Je ne prétends pas que tout soit historique dans ce récit, mais je ne puis croire que tout y soit inventé, car le compilateur anonyme à qui nous le devons serait un trop grand et trop délicat poète.

Hadrien, selon ses Actes, était un soldat ; cependant ce n’est pas comme tel qu’il a. été mis à mort. D’autres récits nous montrent que, conformément aux indications données dans la Passion de saint Acace, les militaires chrétiens furent poursuivis avec rigueur dans les États soumis directement à Galère. On se demande comment, depuis la persécution spéciale exercée quelques années auparavant contre les chrétiens de l’armée, il en pouvait rester encore ; mais il faut se rappeler que le mouvement des conversions n’était pas arrêté ; d’ailleurs, le recrutement faisait entrer dans les légions des soldats non veaux, dont plusieurs appartenaient à des familles chrétiennes. Saint Théodore le conscrit[84] était de ce nombre. Grégoire de Nysse a laissé de son martyre un récit suffisamment précis dans sa forme oratoire[85]. Né en Orient, ce jeune homme venait d’être enrôlé, et se trouvait en garnison à Amasée, l’une des métropoles du Pont. Sa religion, qu’il semblait porter gravée sur son front, était connue de tous ; aussi, dès la promulgation de l’édit dans l’empire de Maximien (Galère) et de son collègue, Théodore fut-il traduit devant le préfet et l’un des tribuns de sa légion. D’où te vient, lui demandèrent-ils, cette audace de t’opposer à la loi de l’empereur et de ne pas te soumettre en tremblant aux ordres des maîtres ? pourquoi n’adores-tu pas comme veulent ceux qui nous gouvernent ?J’ignore vos dieux, répondit intrépidement Théodore, ou plutôt je crois qu’ils n’existent pas. Vous vous trompez en honorant de ce nom des démons faux et menteurs : mon Dieu à moi est le Christ, Fils unique de Dieu. Pour punir le culte que je lui rends, la confession que je fais de lui, frappez, déchirez, brûlez ; si mes paroles vous offensent, coupez ma langue. Car le corps doit par chacun de ses membres montrer sa soumission au Créateur. Les juges hésitaient à la vue d’une foi si sincère et si généreuse ; un officier qui assistait à l’interrogatoire voulut faire preuve d’esprit : Ton Dieu a-t-il donc un fils, Théodore ? est-il sujet, comme un homme, aux affections charnelles ?Non, répondit le martyr, Dieu n’engendre pas à la manière des hommes ; son fils est véritable, mais a eu la naissance qui convient à un Dieu. Mais toi, malheureux, comment ton bon sens ne se révolte-t-il pas et comment ne baisses-tu pas la tête en rougissant, quand tu proclames la divinité d’une femme et que tu adores la mère de douze enfants, déesse qui conçoit et qui accouche avec la facilité de la femelle du lièvre ou du porc ? Le préfet se hâta d’interrompre : Qu’on accorde à cet insensé un peu de temps pour réfléchir. Peut-être, en examinant l’affaire à loisir, deviendra-t-il meilleur.

Théodore, laissé en liberté, employa ce temps de répit tout autrement que n’espérait le magistrat : il s’approcha d’un temple de la bière des dieux situé au milieu de la ville, au bord de la rivière Iris, et y mit le feu. Quand l’incendie fut aperçu, le jeune soldat, loin de se cacher, se vanta tout haut de son acte. Il ignorait probablement les règles de l’Église, défendant de tels attentats[86], et n’avait écouté que la haine d’un cœur chaste pour un des cultes les plus impurs du paganisme. Arrêté et conduit sur-le-champ devant le tribunal, il répondit avec son intrépidité accoutumée ; on l’entendit même railler le juge qui, essayant par tous les moyens de le séduire, avait été jusqu’à offrir au brûleur de temples un pontificat païen. Comme ses railleries atteignaient même les empereurs, dont il s’amusait à tourner en ridicule le titre et les fonctions de souverains pontifes, les magistrats perdirent patience : on l’attacha au chevalet comme impie envers les dieux et irrespectueux envers les princes ; les bourreaux se mirent à le déchirer avec des ongles de fer, pendant qu’il chantait ce verset du psaume : Je bénirai le Seigneur en tous lieux, ses louanges seront toujours dans ma bouche. Conduit ensuite en prison, où de célestes visions vinrent l’encourager au dernier combat, il en fut tiré bientôt pour entendre la sentence qui le condamnait à être brûlé vif[87].

Le martyre de Théodore eut lieu probablement le 18 février, jour où il est honoré par les Grecs ; après lui, d’autres soldats de la même garnison souffrirent aussi pour la foi : Eutrope et Cléonique, crucifiés le 3 mars ; Basilique, décapité quelques mois plus tard[88].

Pendant que ces scènes se passaient dans les États de Galère, ceux de Maximin Daia voyaient d’horribles excès. On peut rapporter à ce temps l’histoire d’une noble femme, Julitta, qui, avec son enfant âgé de trois mois, passa de la Lycaonie, où la persécution commençait à sévir, dans l’Isaurie, où elle débutait avec non moins de rigueur, puis se réfugia à Tarse, en Cilicie, où un juge atroce, après avoir brisé sur les marches de son tribunal la tête du petit enfant, fit décapiter la mère[89]. Mais déjà, dans une autre province, avait retenti la protestation d’héroïques jeunes gens, incapables de voir avec patience outrager la foi et la vertu chrétiennes. Eusèbe est ici un précieux témoin.

Près de lui, dans sa maison de Césarée, un jeune homme de vingt ans lisait les saintes Écritures, au moment où la voix du héraut appela tous les fidèles au sacrifice. C’était un ancien étudiant en droit, nommé Aphien. Né à Paga, en Lycie, de parents païens, il avait suivi les cours de jurisprudence dans la savante et délicieuse Beyrouth[90], gardant parmi des séductions de toute sorte une exemplaire pureté de mœurs. De retour dans sa ville natale, il s’effraya promptement des périls que ses croyances allaient courir dans la maison paternelle. Césarée, dont l’école et la bibliothèque ecclésiastiques étaient célèbres depuis Origène, lui parut le meilleur refuge pour sa foi studieuse[91]. Mais ni les pratiques d’un rigoureux ascétisme, ni les études profondes auxquelles il se livrait, n’avaient éteint chez Aphien l’ardeur intrépide de la jeunesse. Dès qu’il entendit retentir dans la rue l’appel sacrilège, il se leva, sortit secrètement de la maison, pénétra sans être vu des sentinelles dans le palais du gouverneur Urbain, et arriva vers celui-ci au moment où, la patère à la main, le magistrat se préparait à faire une libation. Aphien lui saisit brusquement le bras, et interrompit le sacrifice, puis se mit à lui reprocher ses erreurs, l’exhortant à quitter le culte des démons pour celui du vrai Dieu. Les soldats accoururent, se jetèrent sur l’audacieux chrétien, l’accablèrent de coups et le conduisirent en prison. Il y demeura une nuit et un jour, les pieds aux ceps, puis fut mené devant le gouverneur, qui lui commanda de sacrifier, et, sur son refus, le fit mettre à la torture. Plusieurs fois on lui déchira les flancs, de manière à laisser à nu les os et les entrailles ; sa bouche et son crâne reçurent tant de coups de balles de plomb, que les chairs gonflées et meurtries étaient devenues méconnaissables. Comme aucune douleur ne pouvait le vaincre, Urbain ordonna aux bourreaux de lui envelopper les pieds de linges imbibés d’huile, et d’y mettre le feu. La peau fut consumée, les os apparurent, la chair fondait comme de la cire et coulait en gouttes brûlantes. On put encore le ramener vivant dans la prison, puis, après trois jours, le porter de nouveau devant le gouverneur. Le martyr, interrogé une dernière fois, répondit avec la même fermeté ; son corps demi-mort fut jeté dans la mer[92].

La suite du récit ne peut se résumer ; il faut traduire. Ce qui advint alors, continue Eusèbe, paraîtra incroyable à ceux qui ne l’ont pas vu de leurs yeux. Et cependant je n’en puis dérober la connaissance à la postérité, car presque tous les habitants de Césarée ont été témoins du miracle. Certes, aucun siècle ne vit un pareil prodige. Après que les bourreaux eurent jeté en pleine mer, dans l’abîme, comme ils croyaient, ce saint et bienheureux jeune homme, tout à coup un tel mouvement, un tel fracas ébranla non seulement la mer, mais encore le ciel, que la terre aussi et toute la ville de Césarée en sentirent l’agitation. Au moment même de ce soudain et merveilleux tremblement de terre, le corps du martyr, que les flots de la mer lie pouvaient garder, fut jeté par eux devant la porte de la cité. Telle fut la fin de cet admirable Aphien, le second jour du mois Xanticos, quatre des nones d’avril (2 avril)[93].

Presque au même moment, à Tyr, un jeune chrétien, nommé Ulpien, après avoir été torturé et cruellement battu, était précipité dans la mer, cousu dans une peau de bœuf où l’on avait enfermé un chien et un aspic[94].

Quelques jours plus tard, dans une autre partie des États de Maximin, le frère d’Aphien, Edesius, mourut aussi pour le Christ. Plus âgé que le martyr de Césarée, Edesius avait plusieurs fois déjà rendu témoignage à la religion chrétienne. Depuis le commencement de la persécution, il avait comparu devant divers gouverneurs et longtemps vécu en prison. Il avait même été envoyé par l’un d’eux aux mines de Palestine. La courte amnistie promulguée par Maximin lui permit d’en sortir. A la reprise de la persécution, il habitait Alexandrie, et, revêtu du manteau des philosophes, étudiait dans cette ville devenue le centre littéraire et philosophique du inonde grec. Peut-être fût-il, malgré les nouveaux édits, resté inaperçu dans la foule des lettrés, si son âme, ardente comme celle de son frère et aussi incapable de maîtriser une généreuse indignation, ne l’avait forcé de se trahir. Le misérable Hiéroclès, qui du gouvernement de Palmyre avait passé à celui de Bithynie, où il s’était signalé par sa cruauté envers les chrétiens, était alors préfet d’Égypte. Il se montrait sans pitié pour les fidèles. Non seulement il les poursuivait avec acharnement, mais sa haine de sophiste et de libertin prenait plaisir à les outrager de toutes les manières. Les hommes les plus vénérables étaient exposés à ses insultes ; d’honnêtes femmes, des mères de famille, des vierges consacrées à Dieu, étaient livrées par lui aux entrepreneurs de débauche. Edesius ne put supporter ces infamies. Allant droit au préfet, par ses paroles et même par ses gestes il lui manifesta son dégoût. La vengeance ne se fit pas attendre : Edesius fut riais à la torture, puis jeté dans la mer, comme son frère et tant d’autres victimes de cette persécution[95].

Pendant que cet héroïque chrétien périssait à Alexandrie, l’évêque Pierre mettait en pratique les humbles et sages conseils donnés à ses ouailles dans les canons que nous avons résumés, et vivait dans une retraite inconnue des persécuteurs[96]. Mais, alors comme dans toutes les persécutions, la modestie d’une telle conduite scandalisa des esprits emportés. L’ambitieux Mélèce, évêque de Lycopolis, affecta de considérer comme vacant un siège dont le titulaire se tenait caché. On assure que ce Mélèce avait naguère renié la foi : peut-être n’y a-t-il là qu’une rumeur populaire, recueillie après coup ; cependant l’exemple de prélats traditeurs qui, par un singulier renversement de faits et d’idées, deviendront ailleurs lés chefs du mouvement donatiste et les censeurs des doctrines modérées, ne permet point de repousser sans preuves une assertion reproduite par saint Athanase[97] et l’historien Socrate[98]. Quoi qu’il en soit, Mélèce n’hésita pas à faire des ordinations[99] et à exercer le pouvoir épiscopal tant dans le diocèse d’Alexandrie que dans ceux de quatre évêques, Hesychius[100], Pachumius, Théodore et Philéas, alors détenus dans les prisons de la métropole égyptienne. Les quatre prélats captifs lui adressèrent une lettre de remontrance, dans laquelle ils lui donnent le nom de très cher compagnon de ministère dans le Seigneur, dilectus comminister in Domino. Ils avaient, disent-ils, entendu depuis quelque temps de vagues rumeurs à son sujet ; on l’accusait de troubler l’ordre divin et les règles ecclésiastiques. Tout récemment ces bruits avaient été même confirmés par un grand nombre de témoins ; aussi se voyaient-ils dans la nécessité d’écrire cette lettre. Comment dépeindre la tristesse et l’émotion causées par les ordinations que Mélèce avait faites dans des diocèses étrangers ? Il connaissait cependant cette loi, si ancienne et si conforme avec le droit divin et le droit humain, qui défend à un évêque de faire une ordination dans un diocèse qui n’est pas le sien. Mais lui, sans égard pour cette loi, sans respect pour le grand évêque et père, Pierre, et pour ceux qui étaient dans les chaînes, il avait tout bouleversé. Peut-être dira-t-il, pour se disculper, que la nécessité l’a contraint d’agir ainsi parce que les villages étaient sans pasteurs. Mais cette allégation était fausse, car on avait institué plusieurs visiteurs[101], et, dans le cas où ceux-ci eussent été négligents, il aurait dû porter l’affaire devant les évêques incarcérés. Dans le cas où on lui aurait dit que ces évêques avaient déjà été exécutés, il aurait pu facilement vérifier le fait ; et même, en supposant que la nouvelle de leur mort eut été avérée, son devoir était encore de demander au premier des Pères (c’est-à-dire à Pierre, évêque d’Alexandrie, qui avait juridiction sur les Églises de l’Égypte, de la Thébaïde et de la Libye), la permission de faire les ordinations. Mélèce ne fit aucune réponse à cette lettre si ferme et si calme à la fois ; malgré la liberté dont il jouissait, car il avait pu parcourir sans obstacle les diocèses de ses collègues, il n’alla voir ni les évêques incarcérés ni le bienheureux Pierre[102].

La lettre collective avait probablement été rédigée par le plus célèbre des prélats captifs, Philéas, évêque de Thmuis dans la Basse Égypte. Il avait été emprisonné en môme temps qu’un haut fonctionnaire d’Alexandrie (le juridicus ou l’άρχιδιxαστής), qui était chrétien[103]. Philéas lui-même, un des plus riches personnages de sa province, avait jadis été magistrat, et géré, au moins, de hautes charges municipales[104] ; probablement il se convertit assez tard, amené peut-être à la foi par l’étude de la philosophie, qu’il avait poussée fort loin[105]. Nous voyons, en effet, que tous ses proches et ses amis, sa femme même et ses enfants, étaient encore païens[106]. Ses vertus, son mérite ; sa haute situation le firent choisir pour pasteur par les fidèles de sa ville. Philéas paraît avoir passé en prison, avec Philorome et les trois évêques ses collègues, toute la fin de 306, car son procès ne sera instruit que par le successeur d’Hiéroclès, au mois de février de l’année suivante. Témoin, pendant de longs mois, des souffrances des chrétiens, il en a tracé le tableau dans une éloquente épître à ceux de Thmuis, heureusement conservée par Eusèbe.

Les bienheureux martyrs qui ont vécu avec nous... ont souffert pour le Christ toutes les douleurs, tous les tourments que l’on put inventer ; et quelques-uns non pas une fois, mais plusieurs. Quand les soldats s’efforçaient de leur inspirer de la crainte, moins encore par leurs paroles que par leurs actes, ils ne se sont point laissé fléchir, car la parfaite charité faisait évanouir la crainte. Quelles paroles exprimeraient leur courage au milieu des tourments ? Tout le monde avait la permission de les insulter ; on les frappait avec des verges, avec des fouets, avec des courroies, avec des cordes. Le spectacle de leurs souffrances changeait sans cesse, mais la malice de leurs ennemis restait invariable. Quelques-uns, les mains liées derrière le dos, étaient étendus sur le chevalet, pendant qu’au moyen d’une machine on leur tirait tous les membres. Ensuite, par l’ordre du juge, les bourreaux leur déchiraient, avec des ongles de fer, non seulement les flancs, comme on fait aux homicides, mais le ventre, les jambes, et jusqu’au visage. Il y en avait de suspendus à un portique par une seule main, de sorte que la tension des articulations était le plus cruel des supplices. Plusieurs étaient attachés à des colonnes, les uns vis-à-vis des autres, sans que leurs pieds portassent à terre, afin que la pesanteur de leurs corps serrât de plus en plus leurs liens. Ils supportaient cette torture non seulement pendant que le juge leur parlait ou les interrogeait, mais presque pendant une journée entière. Quand il passait à d’autres, il laissait des gens de l’officium pour observer les premiers, et voir si l’excès de la souffrance ébranlait leur résolution ; il ordonnait de les serrer sans pitié dans leurs liens, et faisait traîner honteusement ceux qui expiraient. Car il disait que nous ne méritions aucun égard, et que tous devaient nous considérer et nous traiter comme si nous n’étions plus des hommes. C’est là le second genre de torture que nos ennemis avaient inventé pour le faire succéder aux coups. Il y en avait, cependant, qui, après avoir subi la question, étaient mis dans les entraves, les pieds étendus jusqu’au quatrième trou : ils étaient obligés de rester couchés sur le dos, car les plaies dont leur corps était tout Couvert ne leur permettaient pas de se dresser. D’autres, jetés par terre, y demeuraient étendus, brisés par l’excès des tourments, et les traces de leurs blessures étaient encore plus horribles à voir que le supplice lui-même. Quelques-uns mouraient pendant la torture, et par leur constance faisaient honte à leurs ennemis. Plusieurs, rapportés demi-morts dans la prison, après peu de jours y rendaient le dernier soupir. D’autres, ranimés par les remèdes, ont vu leur courage croître par la durée même de la captivité. Aussi, quand on leur donnait ensuite le choix entre un honteux acquittement s’ils voulaient se souiller par un sacrifice, et une sentence capitale s’ils persistaient dans leur refus, tous, sans hésiter, allèrent volontiers à la mort. Car ils savaient ce qui nous est commandé dans les saintes Lettres : Celui qui sacrifie aux dieux étrangers périra, dit l’Écriture ; et encore : Vous n’aurez pas d’autres dieux que moi[107].

Parmi les martyrs d’Alexandrie, il en est dont la vue dut causer, parmi le peuple, un vif mouvement de curiosité et de surprise. Un solitaire de la Thébaïde[108], Apollonius, n’avait cessé pendant la persécution de visiter les chrétiens de cette province pour les encourager au martyre. Mis lui-même en prison, plusieurs païens vinrent l’y voir et insulter à ses souffrances : l’un d’eux était le joueur de flûte Philémon, qui l’accabla d’injures. Que Dieu ait pitié de toi, mon fils, lui répondit doucement l’anachorète, et qu’il ne t’impute point tes paroles à péché. Ce simple et affectueux langage perça le cœur du musicien : converti, il courut au tribunal, et, s’adressant au gouverneur de la Thébaïde en présence de tout le peuple : Tu agis injustement, ô juge d’iniquité, en punissant ces hommes religieux et amis de Dieu. Les chrétiens ne font et n’enseignent aucun mal. Le gouverneur était Arrien, dont nous avons déjà raconté les cruautés[109], et qui récemment encore, au commencement de 305, avait fait noyer le martyr Asclas[110]. Sa première pensée fut que Philémon, qui, artiste favori du peuple, avait coutume de se croire tout permis, faisait une plaisanterie ; mais, quand il l’entendit poursuivre sérieusement sur le même ton : Tu viens d’être pris de folie, Philémon ! s’écria-t-il. Ce n’est pas moi qui suis fou, répondit le musicien, mais toi qui es insensé, juge injuste, coupable de la mort de tant d’innocents. Je suis chrétien, c’est-à-dire ce qu’il y a de meilleur. Vainement Arrien essaya-t-il de le regagner par la douceur : Philémon restait inébranlable. On le mit à la torture. Arrien apprit que l’auteur de sa conversion était Apollonius. Celui-ci fut amené, et torturé plus cruellement encore. Plût à Dieu, dit-il au gouverneur, que toi et tous ceux qui m’entendent, vous partageassiez ce que vous appelez mon erreur ! Arrien, furieux, condamna Apollonius et Philémon au feu. Seigneur, ne livre pas aux bêtes les âmes de ceux qui ont confiance en toi, mais fais voir ta puissance et sauve-nous, s’écria l’anachorète en montant sur le bûcher. Tout d’un coup, un nuage creva au-dessus, éteignant les flammes. Le juge et tout le peuple, saisis d’admiration, s’écrièrent : Il est grand, il est unique, le Dieu des chrétiens ; lui seul est immortel ! La nouvelle d’un changement aussi extraordinaire fut portée au préfet d’Égypte. Il envoya prendre, pour le conduire à Alexandrie, son ancien collègue. Arrien, de persécuteur devenu l’admirateur et l’ami des chrétiens, et avec lui Apollonius et Philémon. En route, Apollonius convertit les gardes. Hiéroclès, exaspéré, fit, dès leur arrivée, jeter à la mer[111], avec Apollonius, tout le groupe des nouveaux fidèles. Les flots, dit le narrateur, leur furent non une mort, mais un baptême[112].

 

III. — Avènement de Constantin et de Maxence (306).

Les premiers mois de 306 avaient été en Orient remplis par la persécution ; d’autres soucis agitaient cependant son instigateur. La vengeance de Dieu se faisait déjà sentir, non sur la personne, mais sur l’œuvre politique des ennemis de l’Église[113]. Dioclétien et Maximien Hercule obligés de se démettre, Galère avait espéré régner sur tout le monde romain, et, dans ce dessein, avait rétabli la tétrarchie à sa guise ; mais déjà cette nouvelle construction menaçait ruine, et la pierre même qu’il avait tenté d’en exclure allait s’y faire violemment une place, au risque d’ébranler tout l’édifice dans ses fondements.

Constantin, traité naguère en ami par Dioclétien[114], vivait maintenant près de Galère avec les honneurs dus à son brade, mais considéré comme un otage, ou même comme un rival dont on cherche à se débarrasser[115]. Sa vaillance naturelle le faisait tomber aisément dans les pièges qui lui étaient tendus : toujours placé dans les expéditions militaires au poste le plus dangereux, on le voyait tantôt combattre corps,à corps un Sarmate d’une taille gigantesque, tantôt entrer le premier dans un marais profond, entraînant l’armée après lui[116] ; dans les fêtes de la cour, il ne refusait pas l’invitation de Galère, quand celui-ci l’engageait à descendre sur l’arène pour lutter contre un lion[117]. La main de Dieu le protégea dans ces rencontres et déjoua les ruses de ses ennemis[118]. Lui-même, cependant, sentait que l’heure était venue d’échapper à une tutelle que sa fierté jugeait humiliante et dont son courage même ne pouvait lui cacher les périls. Bien que vivant en simple particulier, tout entier à ses devoirs militaires, Constantin était loin d’avoir renoncé au rang où l’appelait sa naissance[119]. La santé déclinante de Constance faisait prévoir l’ouverture d’une nouvelle succession impériale. Sur le point de prendre la mer pour une expédition en Bretagne dont il craignait de ne pas revenir, celui-ci réclamait son fils[120]. Galère, qui avait plus d’une fois déjà laissé sans réponse les messages de son collègue, ne put résister plus longtemps. Il accorda enfin à Constantin l’autorisation de partir et lui remit le brevet qui lui permettait de disposer des relais publics. Cette autorisation était à peine accordée, que le soupçonneux Auguste s’en repentit ; niais, quand il voulut empêcher le départ de Constantin, celui-ci avait fui Nicomédie depuis la veille, et rendu la poursuite impossible en emmenant ou en mutilant tous les chevaux de poste sur la route qu’il suivait[121].

Le fils de Constance venait de quitter la capitale, de Galère au moment où tout retentissait des gémissements des chrétiens traînés au supplice. Tout le long de sa route, en Thrace, en Norique, sur le haut Danube, les croix étaient dressées, les bûchers en flammes, tout l’appareil des supplices déployé. Dans beaucoup d’endroits, les bourgs étaient dépeuplés, les chrétiens se cachaient dans les montagnes et dans les vallées[122]. L’extrême hâte avec laquelle voyageait Constantin[123] ne l’empêcha sans doute pas de remarquer le contraste entre ces provinces désolées et celles de Sévère, où la population chrétienne, sans oser reconstruire encore les églises en ruines, avait quitté ses retraites et reparu au grand jour, et surtout les États de Constance, entièrement épargnés par la tempête. Ce spectacle confirmait ses sentiments héréditaires de tolérance, en lui mettant sous les yeux, par des nuances successives, le résultat visible et matériel des deux politiques. C’était, comme on dit aujourd’hui, une leçon de choses, dont un esprit pénétrant et réfléchi ne pouvait méconnaître la valeur.

Constantin, traversant rapidement la Gaule, arriva à Gessoriacum (Boulogne-sur-Mer) au moment où son père allait s’embarquer. Il le suivit en Bretagne, prit part à quelques combats heureux contre les Pictes, et vit bientôt Constance tomber malade à Eboracum (York)[124]. De sa seconde femme, belle-fille de Maximien Hercule, l’empereur avait six enfants, mais tous en bas âge, et incapables de lui succéder. Aussi ses espérances politiques s’étaient-elles reportées sur ce premier-né, en qui semblaient revivre tous les souvenirs de sa jeunesse. Il eut le temps de le recommander aux soldats et de le désigner comme l’héritier de son titre et de son pouvoir[125] ; puis, ces dispositions suprêmes étant prises, il expira le 25 juillet 306[126]. L’armée se rallia avec enthousiasme autour du jeune et brillant officier dont elle avait apprécié déjà les qualités militaires, et le proclama Auguste[127].

Constantin se hâta d’adresser aux autres princes, selon l’usage, son portrait entouré de lauriers. Galère le reçut avec une- véritable fureur. Il fut au moment de brûler l’image et le messager ; mais ses amis lui représentèrent qu’un tel outrage amènerait la guerre, et que les armées, mécontentes de tant de choix impériaux faits sans leur agrément, se rallieraient toutes autour du prince élu par l’une d’elles[128]. Galère dut se résigner à reconnaître Constantin. Mais c’était l’écroulement de toutes ses espérances. Si l’on en croit ce qui se racontait dès lors à Nicomédie ou plus tard dans l’entourage de Constantin, Galère avait ainsi réglé l’avenir : son ami d’enfance et son plus intime conseiller, Licinius, devait succéder à Constance avec le titre d’Auguste ; Galère lui-même, à l’expiration de ses vicennales, se retirerait comme Dioclétien, faisant Sévère Auguste en sa place, et donnant son bâtard Candidien, que l’impératrice Valeria avait adopté, pour collègue au César Maximin ; il s’assurerait ainsi une tranquille vieillesse, que protégerait, comme un mur inexpugnable, l’accord de ces quatre personnages qui lui auraient dû toute leur grandeur[129]. L’élection de Constantin dissipait ce beau rêve. Galère, prudemment conseillé, consentit enfin à la ratifier, et envoya la pourpre à son nouveau collègue[130] ; mais il témoigna sa mauvaise humeur en lui refusant le titre d’Auguste, qu’il donna à Sévère comme plus âgé, et en obligeant le fils de Constance à ne prendre place dans le collège impérial qu’en qualité de César, au quatrième rang, après Maximin[131]. Constantin, qui préférait aux apparences la réalité du pouvoir et se sentait maître de l’avenir, accepta sans protester ce semblant de déchéance[132].

Un si grand échec exaspéra les instincts cruels de Galère. A partir de ce moment, il devint vraiment la mauvaise bête, comme l’appelle Lactance. Le portrait qu’on a tracé de lui est horrible. Il se croyait tout permis : Le vainqueur des Perses, disait-il, doit être aussi absolu due les rois des Perses, qui ne connaissent pas de bornes à leur pouvoir[133]. Il se mit à traiter tout le monde comme il avait traité les chrétiens[134]. Dégrader les hommes élevés en dignité[135] ; torturer malgré les lois non seulement les décurions, mais les premiers magistrats des cités et jusqu’aux egregii et aux perfectissimes[136] ; punir de la croix, du feu ou des bêtes les moindres offenses[137] ; faire dévorer sous ses yeux, pendant ses repas, les condamnés par des ours dressés à les déchirer lentement, membre à membre[138] ; n’accorder qu’à de rares privilégiés, et comme un bienfait, la simple mort par le glaive, la bonne mort[139] ; abuser des femmes libres ou nobles comme de viles esclaves[140] ; enfin, après avoir épuisé les provinces par des tributs levés avec la dernière brutalité[141], se débarrasser de ceux qui ne payaient pas, les mendiants, en les faisant conduire sur des barques en pleine mer et noyer[142] : n’était-ce pas étendre, dans son aveugle fureur, à ses sujets païens les traitements réservés jusque-là aux seuls chrétiens, et prendre plaisir à venger ceux-ci en faisant partager aux autres leurs souffrances ? On pourrait multiplier ces rapprochements, où semble se marquer la justice de Dieu. Traçant le tableau de la persécution, saint Jean Chrysostome montre tout le monde contraint par les édits à dénoncer les chrétiens qui se cachaient, sans excepter ni maris, ni pères, ni enfants, ni frères, ni amis[143] ; au même moment, les agents du fisc, raconte Lactance, poursuivaient partout les contribuables, suspendant les fils au chevalet pour leur faire dénoncer leurs pères, torturant les serviteurs les plus fidèles pour les contraindre à trahir leurs maîtres, les épouses pour les obliger à livrer leurs époux[144]. Cependant, même eu frappant indistinctement sur tous, le tyran n’oubliait pas sa haine particulière pour les chrétiens. Il avait perfectionné à leur usage le supplice du feu. Il voulait qu’ils ne fussent plus bridés que lentement. Quand un fidèle avait été attaché au poteau, une flamme légère était d’abord allumée sous ses pieds jusqu’à ce que la peau du talon, carbonisée, se détachât des os. On promenait ensuite sur tout son corps des torches éteintes et réduites à l’état de tisons ardents. De temps en temps on lui faisait avaler de l’eau ou on lui en jetait sur le visage, de peur qu’il ne mourut trop vite. Quand il était demeuré pendant la plus grande partie du jour dans cet état, la peau toute rôtie, on laissait enfin le feu pénétrer jusqu’aux entrailles. Le cadavre desséché était mis ensuite sur un bûcher, et consumé entièrement ; puis les os échappés aux flammes étaient réduits en poudre et jetés dans le fleuve ou dans la mer[145].

Pendant que Constantin, à peine entré en possession des États de son père, publiait en faveur de l’Église une ordonnance dont nous n’avons malheureusement ni le texte ni le résumé[146], la persécution redoublait de fureur en Orient. Il n’y a pas de distinction à établir entre les provinces de l’Auguste et celles du César : la poursuite des chrétiens était aussi acharnée dans les unes et dans les autres. La Cilicie faisait partie du domaine de Maximin. A Égée furent arrêtés trois jeunes chrétiens ; Claude, Astère et Néon[147], livrés, dit-on, par leur belle-mère[148] : nous avons vu que les nouveaux édits mettaient la division dans les familles, en invitant leurs membres à se dénoncer mutuellement. Au cours d’une tournée administrative, le président Lysias[149] — le même qui condamna les célèbres médecins, Côme et Damien[150], et Zénobe, évêque d’Égée[151], — s’arrêta dans cette dernière ville. Qu’on amène, dit-il, les chrétiens qui ont été livrés aux curiales de cette cité. Le greffier Eustathius répondit : Selon tes ordres, seigneur, les curiales te présentent ceux qu’ils ont pu saisir : trois jeunes gens, et deux femmes avec un enfant. L’un d’eux est debout devant ta clarté. Qu’ordonne de lui ta noblesse ?Comment t’appelles-tu ? dit Lysias à l’accusé. — Claude. — Ne va pas perdre follement ta jeunesse. Approche et sacrifie aux dieux, selon le précepte de l’Auguste notre seigneur, afin d’échapper aux tourments qui te sont préparés. — Mon Dieu, répondit le chrétien, n’a pas besoin de tels sacrifices, mais il veut les aumônes et la pureté de la vie. Vos dieux sont d’immondes démons : c’est pourquoi ils se plaisent à ces sacrifices, et perdent les âmes de leurs adorateurs ; mais tu ne me persuaderas pas de les honorer. — Nos seigneurs les empereurs ont ordonné que tous les chrétiens sacrifient aux dieux : ceux qui refuseront seront punis ; ceux qui obéiront, récompensés par des honneurs et des présents. — Vos récompenses sont passagères ; la confession du Christ est le salut éternel. Lysias commanda alors de suspendre le martyr au chevalet, d’approcher du feu de ses pieds, et d’arracher la chair de ses talons : c’était la méthode inventée par Galère pour brûler les chrétiens. Ceux qui craignent Dieu, répondit Claude, ni le feu ni les tourments ne leur peuvent nuire ; mais au contraire ils leur procureront le salut éternel, puisqu’ils auront été soufferts pour le Christ. Lysias le fit alors déchirer avec les ongles de fer. Je veux, dit Claude, te montrer que tu es partisan des démons. Car tes tourments ne me pourront nuire, tandis que tu prépares pour ton âme un feu qui ne s’éteindra jamais. — Lacérez ses flancs avec des poteries très aiguës et approchez de ses plaies des torches ardentes, commanda le gouverneur. Mais Claude reprit : Le feu, les tortures que tu m’appliques sauveront mon âme ; souffrir pour Dieu m’est un grand profit, mourir pour le Christ me vaudra d’immenses richesses. Lysias, irrité, mais impuissant, le fit alors détacher du chevalet et conduire en prison.

Le second accusé, Astère, fut présenté par le greffier Eustathius. Tu as vu, lui dit le président, les tourments préparés à ceux qui désobéissent ; crois donc, et sacrifie aux dieux. — Il n’y a qu’un Dieu, répondit Astère, et seul il doit venir ; il habite au ciel, d’où il protège les plus humbles. Mes parents m’ont appris à l’honorer et à, le chérir. Quant à ceux que tu adores en les appelant dieux, je ne les connais pas. Ta religion n’est pas la vérité, mais une vaine invention, perte de tous les hommes qui l’acceptent. Lysias le fit suspendre au chevalet ; on lui lacéra les flancs, en l’invitant à sacrifier. Astère répondit : Je suis le frère de celui que tu interrogeais tout à l’heure. Nous avons une même âme, une même croyance. Fais ce que tu peux. Tu es maître de mon corps, mais non de mon âme. » On lui lia les pieds et on le déchira plus cruellement. Insensé, dit le martyr, pourquoi me tourmentes-tu ? ne songes-tu pas au compte que tu en rendras à Dieu ? Le juge lui fit alors poser des charbons ardents sur les pieds et frapper de verges et de nerfs de bœuf le dos et le ventre. Quand on eut fini : Tu es aveugle, dit Astère. Je te demande une grâce, c’est de ne laisser sans blessure aucune partie de mon corps. — Qu’on le garde avec les autres, répondit seulement Lysias.

Le troisième frère, Néon, fut amené. Approche, mon enfant, et sacrifie aux dieux pour éviter les tourments, lui dit le gouverneur. Si tes dieux ont quelque force, répondit le jeune homme, qu’ils nous punissent sans ton aide. Mais je suis meilleur que tes dieux et que toi, car je ne vous obéis pas, et ne reconnais qu’un Dieu, qui a fait le ciel et la terre. Lysias ordonna aux bourreaux de le frapper au visage, en lui défendant de blasphémer. Est-ce que je blasphème quand je dis la vérité ? demanda Néon. Comme on avait fait à Astère, on lui mit des charbons sur les pieds et on le flagella. Ce que tu fais, dit le chrétien, est utile et avantageux à mon âme. Je ne puis changer de résolution. Lysias rendit alors la sentence : Que les trois frères soient conduits hors de la ville, sous la surveillance du greffier Eustathius et du bourreau. Archelaüs, et que là on les crucifie, afin que leurs corps deviennent la proie des oiseaux.

Après l’exécution, les femmes furent amenées au tribunal. Selon l’ordre de ta clarté, Domnina est présente, dit le greffier. Tu vois, femme, lui dit Lysias, les tortures et le feu qui te sont préparés. Si tu veux y échapper, approche et sacrifie aux dieux. — Pour éviter le feu éternel et les tortures qui ne cessent pas, répondit-elle, j’adore Dieu et son Christ, qui a fait le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent. Vos dieux sont de pierre et de bois, œuvre de la main des hommes. — Otez-lui ses vêtements, commanda le gouverneur, étendez-la nue, et frappez de verges tous ses membres. — Par ta sublimité, Domnina est déjà, morte, dit le bourreau. Ce cœur délicat s’était brisé à la seule menace de l’outrage. Qu’on jette le cadavre dans le fleuve, ordonna Lysias.

Théonilla est présente, reprit le greffier. Femme, dit le juge, tu vois le feu, les tourments préparés pour ceux qui osent désobéir. Approche donc, rends honneur aux dieux, sacrifie, afin d’éviter la souffrance. — Je crains le feu éternel, qui peut perdre l’âme et le corps de ceux-là, surtout qui ont abandonné Dieu pour les idoles et les démons. — Donnez-lui des soufflets, s’écria Lysias exaspéré, jetez-la par terre, attachez-lui les pieds, et torturez-la fortement. — N’as-tu pas honte, dit Théonilla, de traiter ainsi une femme de naissance libre, une étrangère[152] ? Dieu voit ce que tu fais. — Suspendez-la par les cheveux et souffletez-la. — Ne te suffit-il pas de m’avoir exposée nue ? Ce n’est pas moi seule, c’est ta mère, c’est ton épouse que tu as couverte de confusion en ma personne. Car nous avons reçu toutes la même nature, que tu déshonores[153]. — As-tu un mari, ou es-tu veuve ?Il y a aujourd’hui vingt-trois ans que je suis veuve, et à cause de mon Dieu je suis demeurée telle, persévérant dans le jeûne et dans la prière, depuis que j’ai abandonné les idoles et connu Dieu. — Rasez sa tête, afin qu’elle apprenne enfin à rougir, dit Lysias ; ensuite, entourez-la d’épines ; attachez-lui les pieds et les mains à quatre poteaux, et frappez avec des courroies non seulement son dos, mais tout son corps. Ce mode de flagellation avait encore été introduit par Galère[154]. Posez de plus, continua le gouverneur, des charbons sur son ventre ; afin qu’elle meure ainsi. Le geôlier et le bourreau dirent ensemble : Seigneur, elle vient de rendre l’âme. Lysias fit alors mettre dans un sac et jeter à l’eau le corps de la martyre[155].

C’est encore par le lâche supplice de la noyade que périt, sur l’ordre de Maximin lui-même, un martyr dont l’exécution avait été longtemps différée. Condamné aux bêtes, à Gaza, dès 304, Agapius n’avait pas été exécuté[156]. Depuis deux ans on le : gardait en prison. Trois fois il en fut tiré pour être conduit au stade avec des malfaiteurs destinés au dernier châtiment : puis, soit espoir de lasser ça patience, soit pitié soudaine, on le fit rentrer sans le livrer au supplice. Le 10 novembre, Maximin vint à Césarée, où l’anniversaire de sa naissance devait être célébré en grande pompe. Des jeux étaient offerts par le César lui-même au peuple de la métropole palestinienne. La fête fut magnifique ; des bêtes de l’Inde, de l’Éthiopie, des contrées les plus lointaines parurent dans l’amphithéâtre ; les plus habiles des jongleurs et les plus souples des funambules furent exhibés ; puis on voulut terminer les réjouissances publiques par un spectacle toujours agréable à la cruauté romaine, le supplice æ condamnés. Deux prisonniers furent produits successivement sur l’arène. L’un était un esclave, assassin de son maître ; l’autre, le chrétien Agapius. Il parait que le meurtrier combattit vaillamment contre les bêtes ; car Maximin charmé lui accorda sa grâce avec la liberté, aux acclamations des spectateurs[157]. Après le pardon octroyé à l’émule de Barabbas, il ne restait plus qu’à frire mourir le fidèle imitateur de Jésus. C’est ce qui eut lieu. L’empereur somma Agapius d’abjurer. Je n’ai commis aucun crime, répondit le martyr ; aussi tous les supplices que vous m’infligerez, je les supporterai pour l’amour du Dieu créateur, non seulement volontiers et d’une âme ferme, mais encore avec joie. Ayant ainsi parlé, il courut au-devant d’une ourse lancée contre lui ; quand elle l’eut déchiré, on le reporta en prison, saignant encore. Le lendemain, des pierres furent liées à ses jambes, et on le jeta dans la mer[158].

Pendant que ces horreurs se commettaient en Palestine, on voyait, à Antioche, des chrétiens grillés à petit feu, ou d’autres, plutôt que de faire aux dieux les libations commandées, laisser les persécuteurs leur brûler les mains[159]. De ceux-ci fut sans doute Barlaam, paysan illettré, mais martyr intrépide, qui laissa poser sur sa main, comme sur un autel, des charbons ardents, et la vit, sans faiblir, traversée par les flammes. Sur le tombeau de ce vaillant athlète, devenu célèbre par les miracles qui s’y opéraient, l’éloquence chrétienne prononcera un jour ses plus belles harangues[160].

Si quelque caractère particulier distingue la persécution dans les provinces de Maximin, c’est l’outrage prodigué aux femmes. Aucun des tyrans qui se partagèrent le monde romain au commencement du quatrième siècle n’eut des mœurs aussi dépravées que le neveu de Galère et n’encouragea par d’aussi ignobles exemples la licence des gouverneurs ou des magistrats. Les eunuques de sa cour pourvoyaient ouvertement au recrutement de son sérail. Les femmes qui avaient eu le malheur de lui plaire étaient arrachées à leurs maris, les filles à leurs pères[161]. Le refus de se prêter à ses passions passait pour un crime de lèse-majesté, et la malheureuse qui avait résisté était punie de la noyade, supplice favori de ce triste temps[162]. Ses compagnons, ses gardes, presque tous choisis parmi les Barbares, imitaient la conduite du prince et portaient dans les familles le déshonneur et le désespoir[163]. Tout l’Orient, dit Lactance, leur servait de jouet. On vit des maris se donner la mort pour ne point survivre à l’outrage dont leur femme avait été victime[164]. On vit d’autres suicides plus émouvants encore, ceux de chrétiennes, qui, placées entre la mort et la honte, choisirent la mort[165]. L’Église, en les honorant comme martyres, a couvert de son autorité et de son admiration ce qu’un tel acte avait d’irrégulier[166], et attribué à la grâce de Dieu le mouvement de foi sublime par lequel ces colombes en proie au vautour ont rompu elles-mêmes les liens qui les attachaient à la vie, pour voler libres et pures vers le ciel : Laqueus contritus est, et nos liberati sumus.

C’est surtout à Antioche, capitale de Maximin et sa résidence fréquente, que de tels faits se produisirent. Saint Jean Chrysostome et saint Ambroise ont célébré le courage, la décision rapide, montrés par sainte Pélagie. Cette jeune chrétienne fut surprise dans sa maison par les soldats au moment où elle était seule, n’ayant près d’elle ni père, ni mère, ni sœurs, ni nourrice, ni servante, ni amie. Elle avait quinze ans, et savait, par l’exemple de beaucoup d’autres infortunées, le sort qui l’attendait si elle se laissait conduire au tribunal. D’un ton calme, d’un visage presque gai, elle demande aux soldats la permission de se retirer dans sa chambre pour changer de vêtements. Elle monte alors sur le toit, ce toit en terrasse des maisons d’Orient, et de là se précipite dans le vide. Son corps en tombant, dit éloquemment saint Jean Chrysostome, frappa les yeux du démon plus vivement qu’un éclair, et l’abattit comme par un coup de foudre[167].

Eusèbe cite dans la même ville, parmi les femmes chrétiennes poursuivies par les persécuteurs, deux jeunes filles, deux sœurs, que tout mettait en relief, la splendeur de la naissance, la richesse, la jeunesse, la beauté, mais que distinguaient plus encore la modestie, la piété, l’application à l’étude et au travail. Celles-ci ne furent pas obligées de recourir à un expédient héroïque pour sauver leur pureté : les adorateurs des démons les firent jeter à la mer[168]. D’autres furent plus menacées. Il y avait à Antioche une sainte femme, âme vraiment forte ; elle était riche, noble, renommée entre toutes par sa vertu ; ses deux filles, élevées par elle dans la religion chrétienne, étaient belles et dans la fleur de l’âge[169]. La mère s’appelait Domnina, les filles Bernice et Prosdosces. Quand les nouveaux édits eurent été publiés, toutes trois, craignant les dénonciations domestiques, se hâtèrent de quitter Antioche. Elles se réfugièrent dans une contrée où depuis longtemps la foi était florissante, en Osrohène, et demandèrent un refuge à la ville d’Édesse[170]. Mais le mari de Domnina, cédant à la crainte, consentit à guider les soldats vers les fugitives. Il vint avec eux à Édesse, et, trahies, les trois chrétiennes durent suivre leurs gardes sur le chemin de la Syrie[171]. La voie reliant Édesse à Antioche descendait d’abord à Carrha, puis se dirigeait par Batna vers l’Euphrate, le traversait, et atteignait Hiéropolis. Au delà de cette ville, la petite troupe arriva près d’une rivière. On dit que le mari de Domnina, repentant de son infamie, consentit, sur la prière de la chrétienne, à détourner l’attention des soldats : peut-être les engagea-t-il à manger et à boire[172]. Demeurée seule avec ses filles au bord de l’eau, celte mère intrépide leur parla des périls qui les attendaient. De tous les maux, leur dit-elle, le plus affreux, c’est le déshonneur, dont nous ne pouvons même entendre parler sans rougir. Toute mort est préférable, avec le secours du Christ. Les filles étaient dignes de la mère : elles consentirent au sacrifice, et les trois chrétiennes, ayant attaché modestement leurs vêtements, se jetèrent ensemble dans la rivière[173].

Dans tous les lieux où passait Maximin, il laissait après lui la désolation et la honte. En Égypte, à Alexandrie, ses débauches furent horribles : les femmes les plus nobles furent déshonorées par lui[174]. Une des plus illustres et des plus savantes dames de la métropole égyptienne lui résista cependant. C’était une chrétienne. Souvent amenée au tyran, sollicitée par son infâme passion, menacée d’être décapitée si elle ne cédait, elle lui répondait toujours par les mêmes refus, et se déclarait prête à mourir. Mais, comme elle possédait d’immenses richesses, la colère du tyran céda devant la cupidité, et il se contenta d’exiler la chrétienne en confisquant tous ses biens[175].

De quels attentats durent se rendre coupables les gouverneurs, les magistrats, les agents du pouvoir à tous les degrés, dans un État régi par un tel monstre ! Sûrs de l’impunité, ils imitaient les vices du prince et’, à son exemple, se faisaient dans leurs provinces un jouet de la vertu des femmes et de la sainteté des foyers domestiques[176]. On a déjà vu les excès d’Hiéroclès, qui arrachèrent au martyr Edesius une protestation indignée. D’innombrables chrétiennes, dit Eusèbe, menacées du déshonneur par les gouverneurs des provinces, ne purent entendre même leurs infâmes propositions : elles aimèrent mieux souffrir toutes les douleurs, toutes les tortures, toutes les espèces de supplices[177].

Cependant il est probable que toutes ne furent pas sauvées soit par la mort, soit par les providentielles ou miraculeuses interventions que nous avons plusieurs fois racontées. Parmi tant de chrétiennes condamnées à la plus ignominieuse des servitudes ou enlevées par la brutale passion de magistrats sans honneur et sans frein, plus d’une, dit un écrivain du quatrième siècle, souffrit par violence des outrages contre lesquels sa volonté se révoltait en vain, et subit la prostitution plutôt que de manquer de foi à l’éternel Époux[178]. A celles-ci, les plus infortunées des martyres, notre compassion et notre respect appliqueront une belle page écrite par saint Augustin pour consoler d’autres victimes non plus des persécutions, mais des invasions barbares. Non, s’écrie-t-il, que la vie ne vous soit point à charge, ô fidèles servantes du Christ outragées par ses ennemis dans votre pureté ! Vous avez une grande et vraie consolation, si votre conscience vous rend témoignage de n’avoir point consenti au péché de ceux qui ont péché envers vous... Peut-être était-il, en certaines de vous, quelque faiblesse cachée qui eût pu dégénérer en vaine gloire si, dans cette désolation publique, elles eussent échappé à l’humiliation qu’elles ont soufferte. De même donc que quelques-unes ont été enlevées de ce monde par la mort, de peur que la contagion du mal qui y règne ne les atteignit, ainsi quelque chose a été ravi ê d’autres chrétiennes par la violence, de peur que la prospérité ne corrompit leur modestie. Par là celles qui étaient fières de leur pureté, extérieure, et celles qui le pouvaient devenir si cette disgrâce ne leur fût pas arrivée, n’ont pas cessé d’être chastes, mais elles ont appris et être humbles[179].

Si les persécuteurs eussent été capables de recevoir, eux aussi, une leçon d’humilité, les événements qui se passaient alors en Italie la leur eussent utilement donnée. Après l’élection de Constantin, une autre élection, plus inattendue encore, ouvrait une nouvelle brèche dans l’édifice politique élevé par l’égoïsme de Galère. Lors de la formation de la seconde tétrarchie, Maxence, fils de Maximien Hercule, avait été laissé de côté comme le fils de Constance. Il vivait depuis ce temps en simple particulier, dans une voluptueuse retraite, aux portes de Rome[180]. Quand dans les rues, sur les places, sur les monuments de la ville éternelle il aperçut l’image laurée de Constantin, une soudaine émulation s’empara de lui. Le moment était favorable. Dans leur mépris de la vieille Rome, Galère et Sévère se préparaient à faire tomber les derniers fleurons de sa couronne. L’immunité dont avait joui 1jusqu’à ce jour le peuple-roi allait être supprimée ; des agents étaient déjà nommés pour le recenser et le soumettre à la capitation[181]. En même temps, ce qui restait de cohortes prétoriennes dans l’ancienne capitale du monde, milice bien déchue depuis Dioclétien en nombre et en importance[182], mais qui semblait encore garder, en vue de l’avenir, le Palatin désert, reçut l’ordre de quitter son camp[183]. La révolution était mûre : le fils de Maximien Hercule n’eut qu’à la cueillir. Le 28 octobre. 306, le peuple uni aux prétoriens massacrait le préfet de la ville et proclamait Maxence empereur[184].

C’était porter le dernier coup à l’œuvre de Galère. Celle de Dioclétien avait duré vingt ans ; une année suffisait à faire voir la fragilité des espérances conçues par son ambitieux successeur. Une autre humiliation était réservée à celui-ci. Un revenant, qu’il croyait bien mort à la politique, surgissait tout à coup de la tombe somptueuse où Galère s’était flatté de l’ensevelir. A la nouvelle de la révolution, le vieil Hercule avait quitté la Lucanie, appelé par son fils à partager le pouvoir. Il reprit avec joie la pourpre déposée à regret, et, redevenu Auguste, se tint prêt à repousser par les armes l’attaque de Sévère et de Galère.

La tétrarchie n’existait plus : il y avait maintenant six empereurs, sans compter Dioclétien qui, de Salone, assistait tristement aux préparatifs de la guerre civile.

 

 

 



[1] Deinde ita languore oppressus ut per omnes deos pro vita ejus rogaretur... Lactance, De mort. pers., 17.

[2] Idibus Decembribus luctus repente in palatio, mœstitia et lacrymæ, judicum trepidatio, et silentium. Lactance, De mort. pers., 17.

[3] Tota civitas jam non modo mortuum sed etiam sepultum dicebant, cum repente mine postridie pervagari fama quod viveret. Lactance, De mort. pers., 17.

[4] Non defuerunt qui suspicarentur celari mortem ejus donec Cæsar veniret, ne quid a militibus novaretur. Lactance, De mort. pers., 17.

[5] Quæ suspicio tantum valuit, ut nemo crederet eum vivere nisi kalendis Martiis prodisset vix agnoscendus. Lactance, De mort. pers., 17.

[6] Et ille idibus Decembribus morte sopitus animam receperat, nec tamen totam. Demens enim factus est, ita ut certis horis insaniret, certis resipisceret. Lactance, De mort. pers., 17. — Ces paroles de Lactance sont bien d’un homme qui vivait alors à Nicomédie et assistait avec tout le peuple au lamentable déclin de l’empereur. C’est la vivacité d’expression d’un témoin, relevée parfois par un coup de pinceau digne de Tacite. Cependant des historiens modernes ont contesté la véracité du tableau. Lactance, dit M. Duruy, tient à montrer le persécuteur des chrétiens privé de sa dignité d’homme par la justice divine, Histoire des Romains, t. VI, p. 617. Mais Lactance n’est pas seul à peindre de telles couleurs l’état de Dioclétien. Eusèbe (Hist. Ecclés., VIII, 13, 11), Constantin (Oratio ad sanctorum cœtum, XXV, 2), s’expriment comme lui. On aurait mauvaise grâce à voir dans leurs paroles une calomnie intéressée des chrétiens, car Eumène (Paneg. Max. et Const., 9), Eutrope (Brev., X), Julien (Cæsares, éd. Hertlein, p. 405), s’accordent à reconnaître l’état de maladie ou d’extrême fatigue où était tombé Dioclétien.

[7] Lactance, Div. Inst., V, 11. — Pour rendre ce long passage je me suis servi de l’excellente traduction de Tillemont, Mémoires, t. V, art. XX sur la persécution de Dioclétien.

[8] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 10, 12.

[9] Lactance, Div. Inst., V, 11 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 11 ; Rufin, ibid. — Je pense avec Tillemont que le martyre d’Adauctus, raconté par Eusèbe dans le même chapitre que l’incendie de la ville chrétienne, et sans transition, eut lieu en mime temps.

[10] Cf. Lactance, De mort. pers., 7. — L’histoire, hélas ! se répète. En 1895, lors des massacres de chrétiens par les musulmans en Anatolie, deux mille cinq cents ou trois mille, à Orfa, ont été la proie des flammes dans une église incendiée à l’aide du pétrole. Voir Revue des Deux-Mondes, 1er août 1898, p. 518.

[11] Eusèbe, De mart. Pal., 3, 2-4.

[12] Nec multis post diebus Cæsar advenit, non ut patri gratularetur, sed ut eum cogeret imperio cedere. Lactance, De mort. pers., 18.

[13] Duruy, Histoire des Romains, t. VI, p. 617.

[14] Jam conflixerat nuper Maximiano sene, eumque terruerat injecto armormn civilium motu. Lactance, De mort. pers., 18.

[15] Eutrope (Brev., IX, 27) dit que Maximien, en consentant à l’abdication, céda avec peine aux ordres de Dioclétien, cui ægre collega obtemperavit. Aurelius Victor (De Cæsaribus, 39, 48) dit de même : Cum iu sententiam Herculium ægerrime traduxisset (Diocletianus). Eutrope et Aurelius Victor, contemporains de l’empereur Julien, sont probablement moins bien renseignés que Lactance, qui nous montre Maximien Hercule décidé à la retraite par Galère avant même que celui-ci en ait parlé à Dioclétien. Si leur témoignage a quelque valeur, il veut dire probablement que Galère s’était servi du nom et de l’autorité de Dioclétien pour peser sur la volonté d’Hercule.

[16] Aggressus est ergo Diocletianum, primum molliter et amice, jam senem esse dicens, jam minus validum et administrandæ reipublicæ inhabilem, debere illum requiescere post labores. Lactance, De mort. pers., 18.

[17] Simul et exemplum Nervæ proferebat, qui imperium Trajano tradidisset. Lactance, De mort. pers., 18.

[18] Ille vera aiebat ei indecens esse si post tantam sublimis fastigii claritatem in humilis vitæ tenebras decidisset, et minus tutum, quod in tam longo imperio multorum sibi odia quæsisset. Lactance, De mort. pers., 18.

[19] Nerva vero uno anno imperante, cum pondus et curam tantarum rerum vel ætate vel insolentia ferre non quiret, abjecisse gubernaculum reipublicæ, atque ad privatam vitam redisse, in qua consenuerat. Lactance, De mort. pers., 18.

[20] Verum si nomen imperatoris cuperet adipisci, impedimento nihil esse quominus omnes Augusti nuncuparentur. Lactance, De mort. pers., 18.

[21] Respondit debere ipsius dispositionem in perpetuum conservari, ut duo sint in republica majores, qui summam rerum teneant, item duo minores, qui sint adjumento. Inter duos facile posse concordiam servari, inter quatuor pares nullo modo. Lactance, De mort. pers., 18.

[22] Lactance, De mort. pers., 18.

[23] Lactance, De mort. pers., 18.

[24] On a contesté encore ici le témoignage de Lactance. M. Duruy (Histoire des Romains, t. VI, p. 617) voit dans son récit une page de rhétorique que de complaisants écrivains ont prise pour une page d’histoire. Il demande ironiquement si le rhéteur chrétien a vu au fond du palais les larmes de Dioclétien ou entendu les menaces de Galère. C’est oublier que Lactance était alors à Nicomédie, devint le précepteur du fils de Constantin, et a vraisemblablement appris les détails de la scène soit de quelqu’un de la cour, soit de Constantin lui-même qui vivait en 305 près de Dioclétien, dans le palais. La même réponse me parait pouvoir être opposée aux doutes de Coen, l’Abdicazione di Diocleziano (voir Revue critique, 1899, 1), et de Morosi, Intorno al molivo dall’ abdicazione dell’ imperatore Diocleziano (dans Archivio storico italiano, t. V, 1880). Le fait, mis en lumière par Otto Seek (Die Anfange des Constantin’s des Grossen, dans Deutsche Zeitschrift für Geschichtwissenschaft, t. VIII, 1897), que le partage nouveau de l’Empire fut accompli dans le sens favorable à Galère, confirme le témoignage de Lactance.

[25] Supererat ut communi omnium consilio Cæsares legerentur. Lactance, De mort. pers., 18.

[26] Lactance, De mort. pers., 18.

[27] Erat autem Maximiano Filius Maxentius, hujus ipsius Maximiani (Galerii) gener, homo perniciosæ ne malæ mentis, adeo superbus et contumax ut neque patrem neque socerum solitus sit adorare. Lactance, De mort. pers., 18.

[28] Lactance, De mort. pers., 18.

[29] Lactance, De mort. pers., 18.

[30] Esto. Alterum quem dabis ?Hunc, inquit, ostendens Daiam adolescentem quemdam semibarbarum, quem recens jusserat Maximinum vocari de suo nomine. Jam et ipsi Diocletianus nomen ex parte mutaverat ominis causa, quia Maximianus fidem summa religione præstabat. Lactance, De mort. pers., 18. On voit par cette dernière phrase que Dioclétien avait jadis obligé le César Galère à prendre le nom de Maximien qui paraissait de bon augure parce qu’il rappelait l’inviolable fidélité du second Auguste, Maximien Hercule. Les inscriptions l’appellent Galerius Valerius Maximianus, et donnent à Daia les noms de Galerius Valerius Maximinus.

[31] Lactance, De mort. pers., 18.

[32] Cum hæc essent constituta, proceditur kalendis Maiis... Erat locus altus extra civitatem ad millia fere tria, in cujus summo Maximianus ipse purpuram sumpserat ; et ibi columna fuerat erecta cum Jovis signo. Eo pergitur. Concio militum convocatur. Lactance, De mort. pers., 19.

[33] Constantinum omnes intuebantur. Nulla erat dubitatio. Milites qui aderant, et priores militum electi et acciti ex legionibus, in hunc unum intente gaudebant, optabant, et vota faciebant. Lactance, De mort. pers., 19.

[34] Inquit senex cum lacrymis, alloquitur milites se invalidum esse, requiem post labores petere, imperium validioribus tradere, alios Cæsares subrogare. Summa omnium expectatio quid atferret. Lactance, De mort. pers., 19.

[35] Daia vero sublatus nuper a pecoribus et silvis, statim scutarius, continuo protector, mox tribunus, postridie Cæsar... Lactance, De mort. pers., 19. Les scutarii et les protectores étaient les gardes des empereurs ; chaque cohorte de protectores était commandée par un tribun, trib. coh. primæ præt. protect. (Wilmanns, Exempla inscr., 1639), Daia était probablement tribun d’une des cohortes de protectores quand il fut promu César.

[36] Nemo tamen reclamare ausus est, cunctis insperatæ novitate rei turbatis. Huic purpuram Diocletianus injecit suam, qua se exuit, et Diocles iterum factus est. Tum descenditur, et rheda per civilatem veteranus rex foras exportatur, in patriarnque dimittitur. Lactance, De mort. pers., 19.

[37] Incert. Paneg., V, 12.

[38] Eutrope, Brev., X, 2.

[39] C’est peut-être dans ce sens qu’on lit au catalogue philocalien des papes et, d’après lui, au Liber Pontificalis, dans la notice du pape Marcellin : Quo tempore fuit persecutio et cessavit episcopaliis ann. VII, m. VI, d. XXV (Duchesne, le Liber Pontificalis, t. I, p. 6 et 16). Entre Marcellin, mort en 304, et Marcel, élu sous Maxence, en 308, quatre ans s’écoulent ; tandis que le chiffre de sept ans donné par le catalogue papal mène jusqu’en 311, époque où Maxence rendit au pape Miltiade les biens de l’Église romaine. Les sept ans paraissent donc se terminer à cette date, qui marque une nouvelle reconnaissance de la communauté chrétienne par l’autorité civile : l’épiscopat recommence alors aux yeux de celle-ci, pour qui le pape redevient le chef régulier du corpus christianorum. Aussi le chiffre de sept ans parait-il avoir été emprunté par le rédacteur du catalogue aux archives de la préfecture urbaine ; voir De Rossi, Roma sotterranea, t. II, p. 7.

[40] L’existence du concile de Cirta ne peut être raisonnablement contestée, malgré les difficultés de forme que présente peut-être le procès-verbal tel qu’il nous est parvenu (voir Héfélé, Histoire des conciles, trad. Delarc, t. I, p. 127 ; Duchesne, dans le Bulletin critique, 1886, p. 129). Mais si les faits révélés par ce concile doivent être retenus, sa date me parait moins bien établie. Dès le temps de saint Augustin elle était rapportée de deux manières différentes. Dans son traité Contra Cresconium, III, 30, elle est donnée ainsi en tête des Actes conciliaires : Diocletiano octies et Maximiano septies, quarto nonas Martii, c’est-à-dire le 4 mars 303 ; dans son Breviculus collationis cum donatistis, III, 32, elle est avancée de deux années : post consulatum Diocletiani novies et Maximiani octies, tertio nonas martias, c’est-à-dire le 5 mars 305. La première de ces deux dates est manifestement fausse : le 4 mars 303, on était tout au commencement de la persécution codicum tradendorum. Celle du 5 mars 305 laisse aussi des doutes. La persécution générale n’avait probablement pas cessé encore en Afrique, puisque l’abdication de Maximien Hercule n’est que du 1er mai : or, le concile de Cirta suppose la fin de cette persécution. La manière aussi dont la date est exprimée parait insolite : la formule post consulatum suivie des noms des consuls de l’année précédente ne devint officielle à Rome qu’en 308 (voir De Rossi, Inscriptiones christianæ urbis Romæ, t. I, p. 24). Bien qu’on puisse admettre qu’en province elle ait été quelquefois employée auparavant, et que saint Augustin ait parlé ici comme on faisait de son temps, sans s’astreindre à citer un texte exact, cette formule ne laisse pas que d’inspirer quelque défiance. L’expression vague d’Optat, disant que le concile de Cirta eut lieu dans une maison particulière post persecutionem, die III iduum maiarum, sans spécifier l’année, permet de le placer à une date quelconque postérieure à la persécution et antérieure à la restitution des loca ecclesiastica, entre 305 et 311. Que si l’on veut absolument, malgré la singularité de la formule post consulatum, garder la date de 305 indiquée au Breviculus, j’estime qu’il faudrait au moins corriger celle du mois par le texte de saint Optat et placer le concile die III iduum maiarum, le 18 mai, c’est-à-dire après que l’abdication de Maximien Hercule eut rendu la paix religieuse à l’Occident.

[41] In domo Urbani Donati. Contra Cresconium, III, 30.

[42] Quia basilicæ necdum fuerant restitutæ. De schism. donat., 1.

[43] Eusèbe, De mart. Pal., 13, 12-13.

[44] Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 89.

[45] Cf. De Rossi, Bull. di arch. crist., 1879, p. 57-59.

[46] Passio SS. Quatuor Coronatorunt. Bull. di arch. crist., 1879, p. 53.

[47] Tertullien, Adversus Marcionem, II, 2. Cf. De Rossi, Roma soterranea, t. II, p. 352 ; t. III, p. 558.

[48] En étudiant les Actes de ces saints (qui forment la première partie du récit communément appelé Passio SS. Quatuor Coronatorum), Tillemont n’y a vu qu’un tissu de contradictions et d’impossibilités. Ils font faire à ces saints, dit-il, des statues du Soleil et des Cupidons et leur font refuser de faire un Esculape jusqu’à aimer mieux mourir. Le grand critique était trop janséniste pour comprendre la conduite de l’Église primitive dans ses rapports avec l’art antique. Ce qui lui semble incohérence inacceptable et preuve manifeste de fausseté est au contraire, dit M. de Rossi, un indice éloquent de ce que les parties substantielles de ce récit ont d’antique et de sincère. La distinction si précise entre les œuvres d’art qui étaient considérées comme de simples ornements et celles qui étaient proprement idolâtriques a été faite par le sévère Tertullien et par les canons attribués à saint Hippolyte ; elle est confirmée par l’examen des monuments iconographiques créés, adoptés ou tolérés par les premiers fidèles. Celte distinction précise, ainsi mise en scène et en action, exemple pratique, pour ainsi dire, de cas de conscience résolu par cinq ouvriers chrétiens du temps de Dioclétien, donne un grand prix à ces Actes, et est une des preuves intrinsèques de la vérité de leur récit, au moins quant à la substance et aux circonstances principales. Bull. di archeol. crist., 1879, p. 49.

[49] Roma sotterranea, t. III, p. 448. Cf. mon livre sur l’Art païen sous les empereurs chrétiens, p. 250.

[50] Afflixit se, et transivit ad Dominum. — M. de Rossi voit une preuve d’antiquité dans la manière simple et laconique dont il est parlé de Cyrille et des autres condamnés ad metalla : l’auteur n’a pas besoin d’insister sur le détail, et se contente d’une simple allusion comme pour un fait contemporain. Bull. di arch. crist., 1879, p. 54.

[51] Censualis a gleba actuarius nomine Porphyreus gestam scripsit. Manuscrit de la Bibliothèque nationale, 10861 ; cité dans Bull. di arch. crist., 1879, p. 69. M. de Rossi commente ainsi ce texte : Dioclétien établit un nouveau cens, dont Lactance a décrit la rigoureuse et inique exécution : agni glebatin metiebantur (De mort. pers., 23). En Pannonie les fonds ruraux payaient le tribut en raison de leur fertilité supposée, ad modum ubertatis : l’évaluation avait pour base la mensuratio (Hygin, De limit. constit., dans Lachmann, Agrimens., p. 205). Le nouveau recensement glebatim ordonné par Dioclétien fut exécuté par Galère dans cette province. Donc le censualis a gleba actuarius convient au temps où Galère gouvernait la Pannonie ; et l’actuarius (notaire) Porphyre, spécialement attaché au recensement glebalis, ne peut avoir été inventé par un écrivain légendaire du moyen âge ; à cette époque, au contraire, l’actuarius fut transformé, dans les copies de la Passion, en philosophus.

[52] Les Actes dont on vient de lire le résumé ont été publiés d’abord par Mombritius, en 1480 (Vitæ SS., t. I, p. 160 et suiv.) ; Baronius, les jugeant peu sûrs, y fit seulement allusion dans ses Annales, ad ann. 303, § 115 ; Tillemont les dédaigna comme un roman d’époque barbare (Mém., t. IV, note VI sur saint Sébastien). Ils ont été de nos jours remis en lumière et sérieusement étudiés par Wattenbach, Otto, Benndorf, Max Büdinger (1870) et Edm. Meyer (1878), qui en ont discuté les difficultés chronologiques et ont fait ressortir la vraisemblance archéologique du récit. M. de Rossi a résumé et complété ces études, en apportant la solution des principales difficultés dans son Bullettino de 1879 ; il a montré que les faits se sont passés au mois de novembre 305, puisque l’évêque Cyrille, envoyé aux mines de Pannonie dès le commencement de 303, est dit y avoir vécu environ trois ans, et eut, avant la fin de cette même année 305, un successeur sur le siège d’Antioche ; de cette date bien établie ressort la nécessité de corriger Dioclétien, qui est nommé dans les Actes, en Galère, seul maître de la Pannonie, a cette époque postérieure a l’abdication de Dioclétien ; de semblables confusions de personnes, qui font nommer un empereur au lieu d’un autre, sont fréquentes dans les récits hagiographiques. M. Wattenbach a récemment fait paraître, d’après un manuscrit de Paris, du huitième siècle, une nouvelle recension des Actes, plus courte ; Sitzungsb. der Akad. zu Berlin, 1896, p. 1281 et suiv.

[53] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 9, 13.

[54] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 8.

[55] Lactance, De mort. pers., 37.

[56] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 9.

[57] Routh, Reliquiæ sacræ, t. IV, p. 23 et suiv.

[58] Canon 1.

[59] Canon 2.

[60] Canon 3.

[61] Canon 5.

[62] Canon 6.

[63] Cf. saint Paul, Éphésiens, VI, 9 ; Colossiens, IV, 1.

[64] Canon 7.

[65] Canon 8.

[66] Canon 9.

[67] Canon 10.

[68] Canon 11.

[69] Canon 12.

[70] Canon 13.

[71] Canon 14.

[72] Puisque nous approchons de la quatrième Pâque depuis le commencement de la persécution, dit le préambule des canons. Celle-ci ayant commencé peu avant Pâques 303, la quatrième Pâque est celle de 306.

[73] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 9.

[74] Eusèbe, De mart. Pal., 4, 8.

[75] Eusèbe, De mart. Pal., 4, 8.

[76] Eusèbe, De mart. Pal., 4, 8.

[77] Acta S. Acacii, 1, dans Acta SS., mai, t. I, p. 762.

[78] Acta S. Acacii, 1. — Sur les défauts de ces Actes, voir Tillemont, Mémoires, t. V, note I sur saint Acace.

[79] Voir Tillemont, Mémoires, t. V, art. LV et note LXI sur la persécution de Dioclétien.

[80] Cf. Eusèbe, De mart. Pal., 4, 8.

[81] Cf. saint Jean Chrysostome, Homilia LI.

[82] Acta S. Adriani, 1, dans Surius, Vitæ SS., t. IX, p. 88.

[83] Les exemples de riches veuves obligées de s’enfuir pour échapper à un second mariage avec un fonctionnaire puissant ne sont pas rares au quatrième siècle ; voir l’épisode raconté par saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 56.

[84] S. Theodorus tiro. Ruinart, p. 531.

[85] Saint Grégoire de Nysse, De magno martyre Theodoro. — Il existe aussi des Actes de saint Théodore (Surius, Vitæ SS., t. XI, p. 228), qui sont d’un style fort simple et fort bon, dit Tillemont (Mémoires, t. V, art. sur saint Théodore d’Amasée), mais offrent cependant quelques difficultés (ibid., note II ; et Le Blant, les Actes des martyrs, p. 28). Je ne m’en suis pas servi, et j’ai suivi de tout point le récit de l’évêque de Nysse.

[86] Rappelant à ce propos le canon 60 du concile d’Illiberis, Tillemont fait l’observation suivante : Puisque Théodore, ayant déjà confessé Jésus-Christ, fust toujours mort sans cela, il ne tombe pas sous la censure de l’Église, qui par ce canon paroist avoir particulièrement désapprouvé ceux qui par des actions, non nécessaires attiroient sur eux une mort qu’ils eussent pu éviter par une sage et humble modération.

[87] Dans la basilique des Euchaites, près d’Amasée, où son martyre était peint, on l’avait représenté brillé dans une fournaise ardente. Saint Grégoire de Nysse, De magno martyre Theodoro, 1.

[88] Acta SS., mars, t. I, p. 335.

[89] Theodori episcopi Iconii epistola de martyrio S. martyris Cyrici et matris ejus Julittæ ; dans Ruinart, p. 527. — Ce narrateur, contemporain de Justinien, attribue aux édits de Dioclétien la persécution qui commençait. Mais en 304 le gouverneur de Cilicie s’appelait Maxime, tandis que le juge de Cyr et de Julitta porte le nom d’Alexandre. — Sur les martyres d’enfants, voir les Dernières Persécutions du troisième siècle, 2e éd.

[90] Berytus civitas valde deliciosa et auditoria legum habens, per quam omnia Romanorum judicia stare videntur. Totius orbis descriptio, dans Müller, Geogr. min., t. II, p. 517. Voir aussi saint Grégoire le Thaumaturge, Oratio paneg. ad Orig. ; saint Grégoire de Nazianze, Poemota qui spectant ad alios, V, 227.

[91] Eusèbe, De mart. Palest., 4, 2-7.

[92] Eusèbe, De mart. Pal., 4,-10.13. Les Analecta Bollandiana, t. XVI, 1897, p. 122-127, publient du martyre d’Aphien et de son frère Edesius un récit grec tiré de la recension plus longue du De martyribus (voir Introduction, p. XXXIV). Il n’ajoute pas de traits essentiels à la rédaction abrégée.

[93] Eusèbe, De mart. Palest., 4, 14. Eusèbe ajoute que la mort d’Aphien eut lieu un vendredi. Mais le 2 avril 306 tombe un mardi. Il peut y avoir ici quelque confusion dans les dates. Divers martyrologes latins mettent saint Appien le 5 avril, qui correspond en effet au vendredi. Les Grecs l’honorent le 2 avril. Les uns et les autres peuvent s’appuyer de l’autorité d’Eusèbe. Voir sur ces difficultés Petau, De Doctrina temporum, t. II, c. 32 ; Tillemont, Mémoires, t. V, note I sur saint Aphien.

[94] Eusèbe, De mart. Palest., 5, 1.

[95] Eusèbe, De Mart. Palest., 5, 2-3.

[96] Socrate, Hist. Ecclés., I, 26. — Pierre suivait en ceci l’exemple d’un de ses plus illustres prédécesseurs, saint Denys ; voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd.

[97] Saint Athanase, Apol. contra Arianos, 59.

[98] Socrate, Hist. Ecclés., I, 6.

[99] Socrate, Hist. Ecclés., I, 6.

[100] L’évêque Hesychius est peut-être le célèbre correcteur de la Bible des Septante et du texte des Évangiles, dont l’édition fut universellement acceptée en Égypte ; voir saint Jérôme, Ep. 106 ; Apol. II adv. Ruf. ; Præf. in Ev. ad Damasum.

[101] Circumeuntes, en grec περιοδευτές. Voir le P. de Smedt, Revue des Questions historiques, octobre 1891, p. 410.

[102] Ce récit des débuts du schisme mélécien est emprunté aux documents originaux découverts par Maffei à Vérone, imprimés dans ses Osservazioni letterarie, t. III, 1738, p. 11-18, puis par Routh, Reliquiæ sacræ, t. III, p. 38 et suiv., et enfin par Héfélé, Histoire des conciles, trad. Delarc, t. I, p. 333 et suiv. Voir dans ce dernier ouvrage, p. 335-343, les raisons de préférer les documents du manuscrit de Vérone, confirmés et complétés par saint Athanase et Socrate, à la version très différente, et favorable à Mélèce, que donne saint Épiphane, Hæres., LXVIII, 1-4.

[103] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 9, 7.

[104] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 9, 7.

[105] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 9, 7.

[106] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 9, 8 ; Acta SS. Phileæ et Philoromi, 1, 2, dans Ruinart, p. 549-550.

[107] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 10.

[108] Au nombre des confesseurs de cette province on peut compter l’ermite Anaph, dont Sozomène (Hist. Ecclés., III, 14) fait ce bel éloge : Depuis le temps où il confessa le Christ pendant la persécution suscitée contre notre foi, j’ai entendu dire qu’il n’a jamais proféré un mensonge, ni désiré une chose terrestre.

[109] Rufin, dont nous suivons la narration, ne nomme pas le gouverneur ; mais il est nommé par Métaphraste, et son nom s’est retrouvé dans beaucoup d’autres récits de martyres.

[110] Acta SS., janvier, t. II, p. 457.

[111] Le 7 mars, d’après les martyrologes.

[112] Rufin, De vitis Patrum, 19. Rufin ajoute que les corps des Martyrs furent rejetés par les flots, et parle des miracles qui se faisaient de son temps à leur tombeau.

[113] Jam propinquavit illi judicium Dei, secutumque tempus est quo res ejus dilabi et fluere cœperunt. Lactance, De mort. pers., 24.

[114] Eusèbe, De vita Constantini, I, 19.

[115] In insidiis sœpe juvenem adpetiverat. Lactance, De mort. pers., 24. Hunc Galerius objecit ante pluribus periculis. Anonyme de Valois, 3. Cf. Eusèbe, De vita Constantini, I, 20.

[116] Anonyme de Valois, 3 ; Zonare, Ann., XII, 33 ; Proxagoras, dans Photius, Biblioth., 62.

[117] Sub obtentu exercitii ac ludi feris illum objecerat. Lactance, De mort. pers., 24. Cf. Proxagoras, l. c., qui parle d’un combat contre un lion.

[118] Dei manus hominem protegebat, qui illum de manibus ejus liberavit. Lactance, l. c. ; cf. Eusèbe, De vita Constantini, I, 20.

[119] Cujus jam a puero ingens potensque animus imperitandi ardore agitabatur. Aurelius Victor, De Cæsaribus.

[120] Lactance, De mort. pers., 24 ; Zosime, II, 8 ; Anonyme de Valois, 4 ; Aurelius Victor, Épitomé.

[121] Lactance, De mort. pers., 24. — Otto Seek, Die Anfange des Constantin’s des Grossen (dans Deutsche Zeitschrift für Geschichtwissenchaft, t. VIII, p. 80), conteste ce récit de la fuite et croit que les divers écrivains qui la racontent le font d’après une source commune.

[122] A. de Broglie, l’Église et l’Empire romain au quatrième siècle, t. I, p. 193.

[123] Incredibili celeritate usus. Lactance, De mort. pers., 24.

[124] Eumène, Paneg., 7 ; Anonyme de Valois, 5.

[125] Lactance, De mort. pers., 24 ; Div. inst., II, 4 ; Eusèbe, De vita Constantini, I, 21 ; Eumène, Paneg. ; Julien, Oratio I ad Const. ; Orose, V, 26.

[126] Sur cette date, voir Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 618, note IX sur Constantin.

[127] Eusèbe, De vita Constantini, I, 22 ; Zosime, II, 9, dit seulement qu’il reçut la dignité de César.

[128] Paucis post diebus laureata imago ejus adlata est ad malam bestiam. Deliberavit diu an susciperet. In eo pene res fuit ut illam et ipsum qui attulerat exureret, nisi eum amici ab illo furore flexissent, admonentes eum periculi, quod universi milites, quibus invilis ignoti Cæsares erant facti, suscepturi Constantinum fuissent, atque ad eum concursuri alacritate summa, si venisset armatus. Lactance, De mort. pers., 25.

[129] Habebat ipse Licinium veteris contubernii amicum et a prima militia familiarem, cujus consiliis ad omnia regenda utebatur... Postea in Constantii locum nuncuparet Augustum atque fratrem, tunc vero ipse principatum teneret, ac pro arbitrio suo debacchatus in orbem terme vicennalia celebraret ; ac substituto Cæsare filio suo, qui tunc erat novennis, et ipse deponeret, ita cum imperii summam tenerent Licinius ac Severus, et secundum Cæsarum nomen Maximinus et Candidianus, inexpugnabili muro circumseptus securam et tranquillam degeret senectutem. Lactance, De mort. pers., 20.

[130] Suscepit itaque imaginem admodum invitas, atque ipsi purpuram misit, ut ultro ascivisse illum in societatem videretur. Lactance, De mort. pers., 25.

[131] Sed illud excogitavit, ut Severum, qui erat ætate maturior, Augustum nuncuparet, Constantinum vero non imperatorem, sicut erat factus, sed Cœsarem cum Maximino appellari juberet, ut eum de secundo loto rejiceret in quartum. Lactance, De mort. pers., 25.

[132] Cette nouvelle organisation de la tétrarchie, destinée à si peu durer, se trouve exprimée par quatre monnaies de bronze, frappées dans l’atelier de Rome, entre le 25 juillet 306, date de l’avènement de Constantin, et le 28 octobre de la même année, date de la prise de Rome par Maxence : IMP. G. MAXIMIANVS P. F. AVG. — MAXIMINVS NOB. CAES. — CONSTANTINVS NOB. CAES. — IMP. C. SEVERVS P. F. AVG. Bull. de la société des Antiquaires de France, 1898, p. 405.

[133] Lactance, De mort. pers., 21.

[134] Quæ igitur in christianis excruciandis didicerat, consuetudinc ipsa in omnes exercebat. Lactance, De mort. pers., 22.

[135] In primis honores ademit. Lactance, De mort. pers., 21.

[136] Torquebantur ab eo non modo decuriones, sed primores etiam civitatum, egregii ac perfectissimi viri. Lactance, De mort. pers., 21.

[137] Et quidem in causis levibus atque civilibus, si morte digni viderentur, cruces stabant. Lactance, De mort. pers., 21. — Nulla pana penes eum levis, non insulæ, non carceres, non metalla, sed ignis, crux, feræ, in illo erant quotidiana et facilia. Lactance, De mort. pers., 22.

[138] Habebat ursos ferociæ ac magnitudinis sum simillimos, quos loto imperii sui tempore elegerat. Quotiens delectari libuerat, horum aliquem adferri nominatim jubebat. His homines non plane comedendi, sed absorbendi objectabantur : quorum artus cum dissiparentur, ridebat suavissime ; nec unquam sine humano cruore cœnabat. Lactance, De mort. pers., 21.

[139] In causa capitis animadversio gladii admodum paucis quasi beneficii (loco) deferebatur, qui ob vetera merita impetraverant bonam mortem. Lactance, De mort. pers., 22.

[140] Matres familias ingenum ac nobiles in gynecæum rapiebantur. Lactance, De mort. pers., 21.

[141] Lactance, De mort. pers., 23.

[142] Mendici supererant soli, a quibus nihil exigi posset, quos ab omni genere injuria tutos miseria et infelicitas fecerat. Atquin homo impius misertus est illis ut non egerent. Congregari omnes jussit, et exportatos naviculis in mare mergi. Lactance, De mort. pers., 23.

[143] Saint Jean Chrysostome, Homilia LI ; cf. Acta S. Adriani, 1.

[144] Filiiadversus parentes suspendebantur, fidelissimi quique servi contra dominos vexabantur, uxores adversus maritos. Lactance, De mort. pers., 23.

[145] Lactance, De mort. pers., 21.

[146] Suscepto imperio Constantinus Augustus nihil egit prius quam christianos cultui ac Deo suo reddere. Hæc fuit prima ejus sanctio religionis restitutæ. Lactance, De mort. pers., 24.

[147] Acta SS. martyrum Claudii, Asterii et aliorium, dans Ruinart, p. 279. — Les Actes nomment Égée, ville de Lycie ; mais il faut lire de Cilicie, la Lycie n’ayant pas eu de ville de ce nom.

[148] Une des versions des Actes contient un préambule, donné en note par Ruinart, où on lit : Delati sunt ad judicem a noverca Claudius, Asterius et Neon, quod essent christiani, deos injuria africientes.

[149] Ce qui suit provient apparemment des Actes proconsulaires, c’est-à-dire lirez du greffe, où l’on rapporte les propres paroles du juge et des accusez telles qu’elles étoient prononcées. Ainsi il n’y a rien de plus authentique et de plus certain que ces sortes d’Actes. Tillemont, Mémoires, t. IV, art. sur les saints Claude, Astère et Néon.

[150] Acta SS., septembre, t. VII, p. 428. La prétendue distinction entre deux ou trois groupes de martyrs de ce nom, l’un romain, les autres orientaux, n’a pas de fondement, dit M. de Rossi (Bull. di arch. crist., 1888-1889, p. 143). C’est à l’époque byzantine que se répandit à Rome le culte des saints Côme et Damien. Ils y devinrent assez populaires pour être inscrits au canon de la messe. Neuf églises leur furent dédiées dans la ville éternelle. L’une d’elles, fondée par le pape Félix IV (526-536), est formée de deux édifices antiques réunis, le petit temple de Romulus, fils de Maxence, et le templum sacræ Urbis.

[151] Acta SS., octobre, t. XIII, p. 253.

[152] Voir, sur ce passage, les observations d’Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 263.

[153] Une martyre chinoise, Lucie Y, dépouillée de ses vêtements par l’ordre brutal du mandarin, écrie de même : Vous ne respectez même pas le sexe qui vous a donné le jour ! Est-ce que vous n’avez pas de mère ? Edmond Le Blant, les Martyrs de l’Extrême-Orient et les Persécutions antiques, dans le Correspondant, 25 mars 1876, p. 1031.

[154] Si quis esset verberandus, defixi in stabulo pali quatuor stabant, ad quos nullus unquam servus distendi solebat. Lactance, De mort. pers., 21.

[155] Les Actes se terminent par l’alinéa suivant, qui ne fait pas corps avec leur partie officielle et a été ajouté : Habita est passio hæc in civitate Ægea, sub Lysia præside, X kalendas Septembris, Augusto et Aristobulo consulibus ; de quibus sanctorum passionibus est Deo honor et gloria. Dioclétien et Aristobule furent consuls ensemble en 285. Comment cette date a-t-elle pu être indiquée ? Je l’ignore, mais sa fausseté me parait évidente. Les chrétiens, au rapport d’Eusèbe, jouissaient alors en Orient d’une profonde paix : il suffit de lire les Actes des saints Claude, Astère et Néron, pour voir que leur martyre se passe, au contraire, à une époque de persécution générale. Comme on a pu le remarquer, certains détails de ces Actes nous reportent vraisemblablement au temps où Galère régnait en Orient.

[156] Il ne faut pas confondre cet Agapius avec un autre martyr du même nom, dont il est question dans le § I de ce chapitre.

[157] Τιμής τε xαί έλευθερίας ήξιωμένου. La grâce, ici, entraînait de droit la liberté, car, par l’effet de sa condamnation, le meurtrier de son maître avait cessé d’être l’esclave des héritiers de celui-ci pour devenir l’esclave de la peine, servus pœnæ ; libéré maintenant de la condamnation, il était en même temps libéré de la servitude qui en avait été la conséquence.

[158] Eusèbe, De mart. Palest., 6.

[159] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 12, 2.

[160] Saint Basile, Homil. XVII, in Barlaam martyrem ; saint Jean Chrysostome, Oratio LXXIII, de sancto Barlaam. La préface mise par dom Carnier en tête de l’édition bénédictine de saint Basile (Migne, Patr. græc., L XXXI, p. 11-22) me parait avoir démontré que les deux discours ont été prononcés à Antioche, et sont l’un et l’autre de saint Jean Chrysostome. Dans celui qui a été attribué à saint Basile, l’orateur conseille aux peintres de représenter Barlaam sous les traits d’un athlète montrant sa main victorieuse, entourée de flammes.

[161] Lactance, De mort. pers., 38 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 12.

[162] Lactance, De mort. pers., 38.

[163] Lactance, De mort. pers., 38 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 12.

[164] Lactance, De mort. pers., 38.

[165] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 14.

[166] Saint Augustin, De civitate Dei, I, 26.

[167] Saint Jean Chrysostome, Homilia XL ; saint Ambroise, De virginibus, III, 7 ; Ep. 37 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 12, 2.

[168] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 12, 5.

[169] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 12, 3.

[170] Saint Jean Chrysostome, Homilia LI.

[171] Saint Jean Chrysostome, Homilia LI.

[172] Saint Jean Chrysostome, Homilia LI.

[173] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 12, 3, 4.

[174] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 15.

[175] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 12, 3, 4. — Eusèbe ne nomme pas cette chrétienne. Rufin, Hist. Ecclés., VIII, 17, l’appelle Dorothée. Baronius a essayé de l’identifier avec sainte Catherine d’Alexandrie (Ann., ad. ann. 309, § 31), identification repoussée avec raison par Bollandus (Acta SS., février, t. I, p. 777) et Tillemont (Mémoires, t. V, art. V sur saint Pierre d’Alexandrie). — Sur les Actes de sainte Catherine tels que les a rédigés Métaphraste (Patrol. græc., t. CXVI, p. 275-302), voir les belles réflexions de Baronius (l. c.), qui peuvent se résumer en cette phrase énergique du grand et honnête annaliste : Melius silentium quant mendacium veris admixtum. Les récents travaux de M. l’abbé Viteau (Paris, 1897, et Ann. de Saint-Louis des Français, 1893) sont utiles pour l’établissement du texte des Actes, mais ne modifient pas sensiblement le jugement de Baronius sur leur valeur historique.

[176] Lactance, De mort. pers., 38.

[177] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 16.

[178] De versa virgirnitatis integritate, 52 (livre attribué faussement à saint Basile, mais écrit certainement au quatrième siècle ; cf. Migne, Patr. græc., t. XXX, p. 670).

[179] Saint Augustin, De civitate Dei, I, 28. Cf. Ep. ad Victorianum et ad Honoratum. — Voir dans le très rare ouvrage du P. de Buck, De phialis rubricatis quibus martyrum romanorum sepulcra dignosci dicuntur (Bruxelles, 1855), le chap. XI, p. 83-98.

[180] In villa sex millibus ab urbe disereta, via Labicana. Aurelius Victor, Épitomé. — Quid haud procul urbe in villa publica morabatur. Eutrope, Brev., X, 2.

[181] Ad hanc osque prosiluit (Galerius) insaniam, ut... ne populum quidem romanum fieri vellet immunem. Ordinabantur jam censitores, qui Romam missi describerent plebem. Lactance, De mort. pers., 26. — Voir C. Jullian, les Transformations politiques de l’Italie sous les empereurs romains, p. 193.

[182] Aurelius Victor, De Cæsaribus, 39.

[183] Eodem fere tempore castra quoque prætoria sustulerat. Lactance, De mort. pers., 26.

[184] Lactance, De mort. pers., 26 et 44 ; Zosime, II ; Constantin, Oratio ad sanctorum cœtum, 22. — Sur la date exacte de l’avènement de Maxence, voir Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 95 et 633.