La persécution de Dioclétien et le triomphe de l’Église

CHAPITRE QUATRIÈME — LE DEUXIÈME ET LE TROISIÈME ÉDITS (303-304).

 

 

I. — Les nouveaux édits.

Pendant qu’Arnobe se convertit à Sicca, son compatriote Lactance embrasse la foi à Nicomédie, où Dioclétien lui avait confié une chaire de rhétorique : tous deux, gagnés au Christ en le voyant souffrir dans ses membres, continuaient ainsi la lignée des rhéteurs chrétiens qui, depuis Minucius Félix et Tertullien, étaient sortis de l’Afrique[1]. mais si la persécution avait cet effet sur de nobles cœurs, elle en produisait un tout autre sur les âmes basses, toujours prêtes à se tourner contre les vaincus.

A l’époque, dit Lactance, où fut renversée l’église de Nicomédie, c’est-à-dire vers le temps où, dans cette ville, coula le sang des martyrs à la suite de l’incendie du palais, un philosophe vomit trois livres contre la religion et le nom chrétien[2]. Lactance a tracé d’une plume vengeresse le portrait de ce pamphlétaire, qui choisissait pour accabler les fidèles l’heure où ils ne pouvaient se défendre. C’était, paraît-il, un parfait hypocrite, ami des richesses et du plaisir, occupé avant tout de faire sa cour aux empereurs. Il exaltait la sagesse et la piété de ceux-ci, et les louait de défendre la religion en réprimant une superstition impie et puérile. Avec une feinte douceur il suppliait les chrétiens de revenir au culte des dieux et de quitter une foi qui les exposait à de cruels tourments. Il essayait même, à l’exemple de Porphyre, avec lequel on l’a confondu à tort[3], de réfuter par le raisonnement la doctrine chrétienne ; mais, connaissant celle-ci plus mal encore que ses devanciers, il échouait misérablement. Son livre ne lui gagna même pas, dit-on, l’estime des païens, honteux de voir ainsi frapper des gens à terre, et la faveur des empereurs se détourna d’un auxiliaire compromettant[4].

Plus habile fut Hiéroclès. Cet adversaire du christianisme venait d’être appelé du gouvernement de Palmyre à la préfecture de Bithynie, où son prédécesseur Flaccinus, qui n’était pas un petit homicide, selon le mot de Lactance[5], avait, dans la persécution locale de Nicomédie, servi avec zèle les fureurs de Galère et les terreurs de Dioclétien. Hiéroclès parait avoir choisi le moment de sa nomination à cette nouvelle préfecture pour publier l’écrit composé pendant son séjour dans la capitale du désert. C’était un ouvrage en deux livres, qu’il intitula non pas Contre les chrétiens, afin de n’avoir pas l’air de les poursuivre dans un esprit d’hostilité, mais Aux chrétiens[6], afin de faire croire qu’il voulait leur donner des conseils humains et bienveillants. Il s’efforce d’y établir la fausseté de la sainte Écriture, comme si elle était toute remplie de contradictions. Il expose les chapitres qui paraissent en désaccord entre eux ; il les énumère en si grand nombre et avec une telle connaissance du sujet, qu’il semblerait parfois avoir professé la religion qu’il attaque[7].

Un des traits où se montre l’orgueil du fonctionnaire romain, c’est le dédain avec lequel il parle des apôtres, gens qui gagnaient leur vie, par le produit de leur pêche et le travail de leurs mains. On dirait qu’il souffre que ce ne soit pas un Aristarque ou un Aristophane qui ait narré les faits évangéliques[8]. Sur la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Hiéroclès a recueilli ou inventé des contes absurdes : il affirme que le Christ lui-même, ayant été exilé par les Juifs, se livra au brigandage à la tête d’une troupe de neuf cents hommes[9]. Le caractère le plus original de son livre est un retour à la perfide tactique qui semble avoir été imaginée au commencement du troisième siècle dans les salons de l’impératrice Julia Domna. Philostrate y composa alors une sorte d’Évangile païen, où, sous les traits d’Apollonius de Tyane, paraissait une contrefaçon du Christ[10]. Hiéroclès s’en empare, comme si le roman de Philostrate avait une valeur historique comparable à celle de l’Évangile : il oppose les prétendus miracles d’Apollonius aux miracles du Sauveur, et, de ce qu’Apollonius n’est qu’un homme, il conclut que Jésus-Christ n’est pas Dieu[11].

Par cette conclusion, la tactique de Philostrate était en quelque sorte retournée ; car le rhéteur du troisième siècle avait voulu faire de son héros un dieu, et y avait en partie réussi, puisque des temples s’élevaient en son honneur : au milieu du quatrième siècle le sophiste Eunape, plus fidèle à la prétention de Philostrate, dira que celui-ci n’aurait pas dû intituler son livre : Vie d’Apollonius, mais Vie d’un dieu parmi les hommes[12]. Peu importait sans doute à Hiéroclès : ce qu’il cherchait, c’était à faire du roman païen une machine de guerre contre l’Évangile, à rabaisser le Christ plutôt qu’à exalter Apollonius. A toutes les époques, les adversaires du christianisme se sont moins piqués de suite dans les idées que d’habileté dans l’attaque, et les variations leur ont peu coûté pourvu que l’objet de leur haine fût atteint. Hiéroclès put se glorifier de ce triste succès : son livre, paraissant à l’heure où la dispersion des assemblées chrétiennes, la destruction d’innombrables exemplaires de l’Écriture sainte, rendaient presque impossible de lui répondre, troubla beaucoup de fidèles, déjà ébranlés parla persécution, et fournit des arguments à leurs adversaires. Après la paix de l’Église, Eusèbe se croira obligé de le réfuter comme celui de Porphyre[13] : le gouverneur de Bithynie et le fondateur du néoplatonisme, celui-ci en Sicile, celui-là en Asie, avaient, en effet, travaillé à la même œuvre, tous deux essayant de détruire l’Évangile et cherchant à rétablir le paganisme sur de nouvelles bases par la conciliation du monothéisme philosophique avec le polythéisme traditionnel[14].

Si le pamphlet d’Hiéroclès fut publié en 303, comme je le suppose, il ne resta probablement pas sans influence sur le parti que prit Dioclétien dans le courant de cette année, en lui faisant croire à la faiblesse de la religion chrétienne et à la facilité de la détruire. Des inquiétudes politiques, adroitement exploitées, poussèrent plus sûrement encore vers des rigueurs nouvelles un souverain aussi facilement effrayé.

Eusèbe nous apprend que, peu après les événements qui avaient ensanglanté Nicomédie au commencement de l’année, il y eut des troubles en Cappadoce et en Syrie, où des usurpateurs essayèrent de prendre le pouvoir[15], et que ces troubles furent le prétexte d’une recrudescence de persécution. L’émeute syrienne est connue par un récit de Libanius, que la plupart des historiens s’accordent à y rapporter. Cinq cents soldats creusaient la rade de Séleucie, qui servait de port à Antioche. Ils se lassèrent de ce dur travail, de même que, vingt ans plus tôt, les légionnaires de Probus s’étaient lassés de creuser le canal de Sirmium. Comme eux, ils se révoltèrent ; mais, n’ayant pas d’empereur à tuer, ils menacèrent la vie d’Eugène, leur commandant. Celui-ci, à l’imitation du préfet d’Alexandrie sous Gallien (car toutes ces séditions se répètent), ne vit d’autre moyen d’échapper à leurs coups, sinon de prendre la pourpre. Couvert d’un lambeau de drap écarlate arraché à quelque idole, il fut conduit dans le palais impérial d’Antioche et proclamé Auguste. Mais le peuple de la ville ne se souciait pas de courir les périls d’une révolution : enhardi par le petit nombre des insurgés, il se porta en foule vers le palais, s’en empara, massacra Eugène et ses partisans. A minuit, la révolte était vaincue. Cependant les nouvelles d’Antioche firent trembler, Dioclétien. Il avait eu peur : il se montra féroce. Tous les magistrats d’Antioche et de Séleucie furent mis à mort[16]. Au nombre de ces infortunés étaient deux des ancêtres du sophiste Libanius, qui sera au milieu du quatrième siècle le plus éloquent défenseur du paganisme : ce fait suffit à prouver que l’insurrection si cruellement punie avait été toute soldatesque, et que les chrétiens n’y eurent point de part.

Les événements de Cappadoce sont moins connus peut-être Eusèbe dépasse-t-il l’expression exacte de sa pensée quand il étend à cette province l’allusion à des usurpateurs, vraie pour la Syrie. Les documents païens ne nous en apprennent rien. Des documents chrétiens semblent dire qu’en Cappadoce et en Arménie, les esprits avaient été agités par les premiers bruits de la persécution[17]. On représenta à l’empereur que cette agitation était dangereuse. Il peut l’avoir cru de bonne foi. La Grande Arménie, pays indépendant dont le roi, Tiridate, devait sa couronne à. Dioclétien, était à ce moment travaillée par la puissante parole de saint Grégoire l’Illuminateur[18]. Déjà se préparait la conversion en masse de la nation arménienne, qui arriva plusieurs années avant que la persécution eût cessé dans l’Empire[19]. Les chrétiens de Cappadoce suivaient d’un œil ému ces merveilleux succès de la grâce divine : entre eux et la nouvelle Église arménienne, où l’étincelle religieuse, déposée peut-être dès le temps des apôtres, mais presque éteinte, se ranimait avec un tel éclat, les rapports de voisinage, d’idées, de mœurs, de commerce, étaient continuels : un nouveau lien s’ajoutait maintenant à beaucoup d’autres, car Leontius, évêque de Césarée, en Cappadoce, venait de donner à Grégoire la consécration épiscopale[20]. Dioclétien craignit-il que la belliqueuse Arménie, le roi lui-même, qu’allait entraîner vers la vraie foi l’élan de son peuple, ne prissent parti pour les chrétiens persécutés ? Ce sentiment du pusillanime empereur ne nous surprendrait pas, car, neuf ans plus tard, la guerre éclatera pour un semblable motif entre l’Arménie et l’Empire romain[21]. Si l’on en croit des Actes de basse époque[22], mais oit peuvent avoir été recueillies des traditions vraies, Dioclétien, dès 303, voulut fortifier de ce côté ses frontières. Des conseils furent tenus, et des officiers sûrs envoyés en Cappadoce. Une levée de soldats eut lieu dans la province. Quelques chrétiens semblent avoir refusé alors le service militaire. La répugnance à combattre contre les Arméniens, ces voisins devenus des frères, explique leur refus : il se peut aussi que le métier des armes leur fût devenu odieux depuis que les troupes avaient procédé partout à la démolition ou à l’incendie des églises. On raconte qu’un fidèle, appelé Hiéron, qui cultivait ses terres en Cappadoce, repoussa par la violence les recruteurs, et se retrancha avec ses ouvriers et ses domestiques dans la ferme. Cédant ensuite à de meilleurs conseils, il se laissa conduire à Mélitène. Dans la prison de cette ville trente et un chrétiens étaient déjà détenus. Hiéron, convaincu d’avoir frappé un des agents du recrutement, eut la main coupée : les autres prisonniers furent fouettés. Puis on offrit à tous un moyen d’éviter le dernier supplice : se disculper de toute conspiration par un sacrifice aux dieux. Hiéron et les autres refusèrent de trahir leur foi. Aux yeux des païens, c’était s’avouer traîtres à l’Empire : ils furent tous décapités[23].

Ces faits, grossis par la crédulité ou la malveillance, furent apparemment rapportés à Dioclétien. Dans un refus de service militaire, aggravé par un acte de mutinerie avant d’être racheté par un courageux martyre, il voulut voir l’indice d’une entente avec les ennemis intérieurs ou extérieurs de l’État. Il s’était cru naguère enveloppé dans son palais par une conjuration de ses serviteurs chrétiens : il se vit maintenant bloqué dans sa Bithynie par une vaste insurrection qui comprendrait tout l’est de l’Asie romaine, de l’embouchure de l’Oronte aux sources de l’Euphrate, et soulèverait la Syrie, la Cappadoce, l’Arménie. Dans cet état d’esprit, explicable chez un homme qui, depuis l’incendie, était resté à demi halluciné, et croyait sans cesse entendre la foudre au-dessus de sa tête[24], ses conseillers lui persuadèrent aisément de frapper un nouveau coup sur les chrétiens, victimes expiatoires de tous les dangers de l’Empire ou de toutes les terreurs des souverains. Le second et le troisième édits, qui, presque sans intervalle, sortirent de sa chancellerie avant la fin de l’année sont ainsi résumés par Eusèbe :

Peu après le commencement de la persécution, quand, dans la région située autour de Mélitène et dans la Syrie, il y eut eu des tentatives pour s’emparer de l’Empire, une loi fut d’abord promulguée, ordonnant que tous les chefs des Églises seraient enchaînés et mis en prison. Le spectacle qui parut alors dépasse toute parole : on vit une multitude innombrable d’hommes jetés dans les cachots : ceux-ci, autrefois réservés aux brigands ou aux violateurs de sépultures, étaient maintenant remplis d’évêques, de prêtres, de diacres, de lecteurs, d’exorcistes, tellement qu’il n’y avait plus de place pour les criminels de droit commun. Un autre édit survint, d’après lequel tous ceux qui avaient été ainsi mis en prison seraient renvoyés libres, s’ils consentaient à sacrifier : en cas de refus, ils seraient soumis aux plus cruels supplices ; aussi ne peut-on compter les martyrs qui souffrirent dans les diverses provinces[25].

 

II. — L’application des édits avant l’amnistie des vicennales (303).

Un des plus généreux confesseurs fut ce Donat, auquel Lactance a dédié les traités De la colère de Dieu et De la mort des persécuteurs. Il habitait Nicomédie, selon toute apparence engagé dans les saints ordres[26]. Une première fois, sous le prédécesseur d’Hiéroclès, l’homicide Flaccinus, Donat avait souffert pour le nom du Christ. Pendant la préfecture d’Hiéroclès, c’est-à-dire au moment où s’exécutaient le second et le troisième édits, il fut de nouveau traduit devant le représentant de la justice impériale. A plusieurs reprises[27] mis à la torture, il en sortit toujours victorieux. Quel beau spectacle aux yeux de Dieu ! s’écrie son ami Lactance. A ton char tu as attelé, non de blancs coursiers, non d’énormes éléphants, mais les triomphateurs eux-mêmes. Car tel est le vrai triomphe, celui où l’on célèbre la défaite des maîtres de ce monde. Tu les subjuguas par tes vertus, quand, méprisant leurs commandements impies, tu dispersais par la solidité de ta foi et la vigueur de ton âme tout l’appareil de leur puissance tyrannique. Contre toi n’ont rien pu les coups, les ongles de fer, le feu, le glaive, les tourments les plus variés. Aucune violence ne t’a ravi la foi et la piété. Vrai disciple de Dieu, vrai soldat du Christ, tu es resté inexpugnable à tous les ennemis[28].

Malheureusement tous ne montrèrent pas le même héroïsme. Il y eut de tristes chutes parmi les évêques, les prêtres et les clercs emprisonnés. Eusèbe y fait allusion, mais refuse d’en parler avec détails : Je n’ai pas voulu, dit-il, rappeler les noms de ceux que la persécution ébranla et qui y firent volontairement naufrage[29]. Le nombre fut grand de ces faibles de cœur, qui succombèrent au premier choc[30]. Mais la fermeté des autres rachetait ces défaillances. A Césarée de Palestine, où résidait Eusèbe, un grand nombre d’évêques et de membres du clergé furent amenés de tous les points de la province. Un de ceux-ci, moins élevé que d’autres clans la hiérarchie ecclésiastique, attirait surtout les regards. Il se nommait Procope, et remplissait à Scythopolis l’office de lecteur et d’exorciste : il était spécialement chargé de traduire au peuple, en langue vulgaire, les Écritures sacrées, qu’on lisait en grec dans les églises. Avant même d’être mené en prison, il fut conduit devant le gouverneur Flavien. Celui-ci lui commanda de sacrifier aux dieux. Il n’y a pas plusieurs dieux, s’écria Procope, il n’y en a qu’un, créateur de toutes choses. Le magistrat, qui répugnait, comme tant d’autres, à verser le sang, fut ému à la vue de cet homme dont le corps, exténué par les jeûnes, semblait se soutenir seulement par la force de l’âme : aussi, cherchant à lui ménager un moyen de salut, parut-il se contenter de cette réponse, que les doctrines philosophiques du temps lui permettaient dans une certaine mesure d’accepter. Il demanda donc au martyr d’offrir de l’encens, non plus aux dieux, mais aux quatre empereurs. Il n’est pas bon d’avoir tant de maîtres : qu’il y ait un seul seigneur, un seul roi, dit Procope, citant Homère[31]. Dans cette parole, où le chrétien abritait sous l’autorité du plus grand des poètes une discrète condamnation des apothéoses impériales, Flavien crut voir un outrage à la majesté souveraine et comme un blâme du système politique fondé par Dioclétien : il condamna sur-le-champ Procope à être décapité[32]. Ce martyre eut lieu en juin ou juillet[33], ce qui permet de fixer approximativement au milieu de l’année les deuxième et troisième édits, en vertu desquels les membres du clergé devaient être arrêtés et mis en demeure d’apostasier.

Pendant qu’on immolait Procope, les autres captifs étaient conduits en prison. Là, quelques-uns cédèrent aux menaces des persécuteurs ; mais la plupart firent admirer leur courage. Ils subirent les plus cruelles tortures sans renier la foi. Celui-ci tombait brisé sous les fouets ; celui-là était serré dans ses liens jusqu’à suffoquer, ou déchiré avec les ongles de fer : il y en eut qui perdirent l’usage de leurs mains, dont les nerfs étaient rompus. Honteux de leur défaite, les persécuteurs essayèrent au moins de la dissimuler. Un des confesseurs fut amené de force devant l’autel, on plaça malgré lui dans sa main la coupe aux libations ou le grain d’encens, puis on le renvoya comme s’il eût sacrifié. Un autre était parvenu à ne pas même toucher l’encens : des témoins affirmaient cependant qu’il. avait offert le sacrifice : on le laissait partir. Un des captifs, emporté de la prison demi-mort, était jeté, comme s’il eût déjà rendu l’âme : on détachait ses liens, et on le comptait parmi ceux qui avaient sacrifié. Il y en eut qui criaient, protestant qu’ils n’obéiraient pas à ce qu’on exigeait d’eux, qu’ils étaient chrétiens, qu’ils n’avaient pas sacrifié et ne sacrifieraient jamais : les soldats, cependant, les frappaient au visage, leur fermaient la bouche, et les renvoyaient de force, absous malgré leurs protestations. Ce que les persécuteurs voulaient, c’était, à défaut de la victoire, en garder les apparences[34].

Deux seulement, parmi les confesseurs détenus dans la prison de Césarée, furent mis à mort. Ils s’appelaient Alphée et Zachée. Ni les fouets, ni les ongles de fer, ni les chaînes n’avaient ébranlé leur constance : ils avaient, sans céder, passé vingt-quatre heures dans les ceps, les pieds écartés jusqu’au quatrième trou[35]. Mais, devant le juge, ils prononcèrent une parole qui, de même que la citation homérique de Procope, parut séditieuse. Il n’y a qu’un Dieu, s’écrièrent-ils, un seul roi et seigneur, qui est Jésus-Christ ! Toute affirmation monarchique, même concernant seulement le monarque céleste, effrayait les serviteurs de la tétrarchie impériale. Convaincus d’avoir tenu un propos impie, Alphée et Zachée furent décapités, le 17 novembre[36].

Pendant ce temps, la terreur pesait sur les chrétiens de Galatie. Théotecne n’était pas encore installé dans la province que Dioclétien lui avait livrée en proie, et déjà le second et le troisième édits s’exécutaient. Les magistrats se hâtaient, afin qu’à son arrivée le cruel gouverneur trouvât les geôles remplies : ce soin leur faisait même négliger la démolition des églises. Partout, dans la province, les prêtres étaient arrêtés, et traînés devant les autels des idoles, avec ordre d’abjurer leur religion et de sacrifier aux dieux : ceux qui refusaient voyaient leurs biens confisqués : on les jetait en prison avec leurs enfants. A Théotecne était réservé le droit de les condamner au supplice : mais, en attendant, les captifs étaient enchaînés, battus, dans l’espoir d’amollir leurs courages, et de les amener assouplis et domptés à la décisive torture que leur infligerait le gouverneur[37]. En même temps le fanatisme païen, sûr de l’impunité, ne se contenait plus, et avec lui les passions intéressées, cupidité ou vengeance, qui souvent en prenaient la couleur. Des malfaiteurs envahissaient les maisons chrétiennes, y portant la dévastation et le pillage. Si les victimes de ces attentats essayaient de résister ou élevaient la voix pour se plaindre, ou les taxait d’insolence ou de sédition[38] : le premier édit n’avait-il pas refusé aux chrétiens toute action en justice, et ne les avait-il pas livrés sans défense aux mains de leurs ennemis ? Telle était la situation où le seul nom de Théotecne avait réduit la malheureuse Galatie : les églises encore debout, mais désertes ou fermées ; les prêtres et leurs parents en prison ; les fidèles chassés de leurs demeures et fuyant vers les montagnes[39].

En Occident, les édits contre les ecclésiastiques n’eurent pas d’effet dans les États de Constance, mais furent appliqués dans ceux de Maximien Hercule. Cependant l’Espagne seule nous a conservé un souvenir certain de cette phase de la persécution.

L’exécution des édits y était dirigée par un magistrat resté célèbre comme un des plus grands ennemis des chrétiens. Il s’appelait Datianus[40]. Probablement nous l’avons, en 287, rencontré dans la Gaule, où il persécutait déjà au nom de Maximien. Investi aujourd’hui par cet empereur d’un pouvoir presque sans bornes, il n’était pas seulement le gouverneur d’une des cinq provinces qui, depuis la réorganisation administrative, partageaient l’Espagne[41], car on le verra plus tard juger avec la même autorité dans plusieurs d’entre elles, et condamner des fidèles dans la Tarraconaise, dans la Lusitanie, dans la province de Carthagène : on doit reconnaître en Datianus soit le vicaire du diocèse d’Espagne[42], personnage considérable chargé pour toute la péninsule des plus hautes fonctions judiciaires, administratives et financières[43], soit un commissaire spécial délégué à la recherche des chrétiens. En 303 il parcourait déjà l’Espagne, faisant incarcérer, conformément à l’édit, les évêques, les prêtres, les membres des divers ordres du clergé[44]. C’est peut-être alors qu’Osius, évêque de Cordoue, qui jouera un si grand rôle après la paix de l’Église, confessa la foi avec une intrépidité louée de tous ses contemporains[45].

Au cours d’une de ses tournées, Datianus vint à Saragosse (Cæsaraugusta). C’était une des villes d’Espagne les plus anciennement chrétiennes, où, si l’on en croit Prudence, chaque persécution avait fait des martyrs[46]. On se rappelle que, sous Dèce, son évêque Félix s’était joint aux Églises de Léon et de Mérida pour dénoncer à saint Cyprien les libellatiques Basilide et Martial[47]. Le siège épiscopal de Saragosse était occupé, au commencement de la persécution de Dioclétien, par Valerius, auquel succéderont d’autres prélats de même famille et de même nom[48]. Valerius, qui venait d’assister au concile d’Illiberis, était renommé pour sa sainteté et sa science ; mais il avait la parole difficile[49], et se trouvait empêché de remplir cet office de l’enseignement public qui était dans les premiers siècles un des principaux devoirs de la charge épiscopale ; aussi, près de lui, investi de sa confiance, vivait son archidiacre Vincent. Issu d’une famille consulaire[50], celui-ci avait été confié tout jeune. à l’évêque Valerius pour cure instruit dans les lettres et clans la religion[51] : il avait grandi à l’ombre des sanctuaires, visitant les tombes des martyrs dont s’enorgueillissait déjà Saragosse, celle en particulier de dix-huit glorieux combattants du Christ immolés dans une des précédentes persécutions et enterrés ensemble[52] : puis il était devenu lévite de la tribu sacrée, ministre de l’autel de Dieu, l’une des sept blanches colonnes[53], c’est-à-dire un des sept diacres : élevé enfin au rang d’archidiacre, qui le désignait d’avance pour la succession épiscopale, il suppléait Valerius dans le ministère de la prédication[54]. L’évêque et son diacre furent arrêtés et conduits devant Datianus.

Le magistrat était sur le point de partir pour Valence : il commanda d’y conduire, les prisonniers chargés de chaînes. Dans cette ville, ancienne colonie romaine, oit le culte des dieux parait avoir été en grand honneur[55], les deux chrétiens furent une première fois interrogés et pressés d’abjurer. Vincent prit la parole pour lui et Valerius, et confessa éloquemment le Christ. Datianus, se contentant de condamner à l’exil l’évêque, qui n’avait pas parlé, fit mettre à la torture l’intrépide diacre.

Il y avait plusieurs degrés dans la torture[56] : le chevalet était le premier. Pendant que Vincent y était attaché, et qu’on lui déchirait les membres avec des ongles de fer, il répondait sans faiblir aux menaces et aux prières du juge. Tu te trompes, homme cruel, lui fait dire le poète Prudence, si tu crois m’affliger en lacérant mon corps. Il y a quelqu’un au dedans de moi que personne ne peut violer, un être libre, calme, exempt de douleur. Ce que tu t’efforces de détruire, c’est un vase caduc, un vase de terre, destiné à être brisé[57] ; mais tu chercheras en vain à déchirer ce qui est dedans et foule aux pieds ta colère, l’être invaincu, invincible, planant au-dessus des tempêtes et soumis à Dieu seul[58]. Certes, voilà de la haute et belle déclamation : Sénèque n’a rien d’égal à cette effusion sublime du stoïcisme chrétien ; à défaut des propres paroles du martyr[59], c’est son âme qui nous est montrée. Datianus lui-même parait ébranlé : Eh bien, dit-il, je renonce à te contraindre au sacrifice ; mais donne-nous au moins les livres sacrés qui te servent à propager ta secte, afin que je la détruise avec eux par le feu[60]. Vincent ne se laissa pas plus séduire par une feinte douceur qu’intimider par les tourments. On met dans la bouche de Datianus exaspéré de sa résistance des paroles curieuses à, noter comme détail de l’horrible procédure criminelle du temps : Qu’il soit maintenant soumis à la torture légitime, et qu’il passe par les plus cruels tourments[61]. Vincent fut alors posé sur un lit de fer rougi au feu, suprême degré de la torture[62], dit Prudence, qui, ancien magistrat ayant exercé le droit de glaive, connaissait ces nuances juridiques[63]. Vincent surmonta cette nouvelle épreuve, et fut ramené en prison.

Le moment approchait, cependant, où pour le plus grand nombre des ecclésiastiques incarcérés les portes des prisons allaient s’ouvrir. Dioclétien avait commencé de régner le 17 septembre 284 : le même jour de 303 commençait sa vingtième année d’empire. Célébrer les vicennales d’un empereur, au lendemain de ce troisième siècle où s’étaient si rapidement succédé les souverains éphémères, était chose trop rare pour ne pas devenir l’occasion de grandes fêtes. Mais celles-ci n’eurent lieu que le 20 novembre, après l’arrivée de Dioclétien dans cette Rome qu’il avait si rarement visitée[64]. Il joignit à la solennité des vicennales celle du triomphe décerné aux deux Augustes dès 287. On remarque à sa louange que la dépense n’y fut point excessive, et que les règles de la décence parurent observées : castiores ludos[65]. Dioclétien prenait au sérieux son rôle de censeur[66]. L’accompagnement obligé de telles fêtes était une amnistie. L’empereur accorda ce bienfait à ses peuples. Alors, en même temps que les criminels de droit commun, d’innombrables chrétiens furent rendus à la liberté[67].

Mit-on à leur grâce la condition déshonorante d’une apostasie[68] ? Aucun texte ne le dit : une telle condition eût été superflue, puisque déjà tous les ecclésiastiques emprisonnés avaient été mis en demeure de sacrifier, et que tous ceux qui consentaient à le faire étaient, de droit, renvoyés libres. L’amnistie réduite à ces termes n’eût rien ajouté aux clauses du troisième édit. L’intérêt de l’État n’était-il pas de renvoyer sans condition les chrétiens qui tenaient dans les prisons la place des malfaiteurs, au détriment de la justice régulière et du budget[69] ? On se rappelle les artifices employés déjà par les magistrats pour mettre les fidèles en liberté malgré leurs protestations. L’occasion de se débarrasser de ceux qui restaient encore incarcérés dut être saisie avec joie par les représentants de l’autorité publique. Ce qui montre que nul acte d’apostasie ne fut demandé, c’est que l’illustre confesseur Donat, arrêté sous Hiéroclès, sortit alors de prison pour n’y rentrer qu’en 306[70] : les louanges que lui donne et lui donnera encore Lactance excluent tout soupçon de faiblesse.

Cependant on retint quelques ecclésiastiques, que l’intrépidité particulière de leur langage on des circonstances exceptionnelles avaient désignés au ressentiment des persécuteurs. De ce nombre était le diacre de Césarée, Romain, qui, seul de tous les chrétiens, demeura dans la prison d’Antioche, les pieds aux ceps jusqu’au cinquième trou. On mit bientôt fin à ses souffrances en l’étranglant, ou, pour parler un langage plus digne des sentiments du martyr, on lui accorda la récompense désirée[71]. En Espagne, le diacre Vincent fut aussi gardé en prison.

Dioclétien ne demeura pas longtemps à Rome. La liberté du peuple romain, les allures railleuses d’une plèbe privilégiée, qui se croyait tout permis, blessaient le vieil empereur, accoutumé à l’étiquette sévère et aux silencieuses adorations d’une cour orientale. On eût dit que le radieux soleil d’hiver qui dorait les sept collines fatiguait des regards mieux faits désormais pour le demi-jour du palais de Nicomédie ou de Salone, fermé au public comme un sérail. La maladie nerveuse dont souffrait Dioclétien depuis le commencement de l’année s’exaspérait au contact de la foule bruyante et familière, pendant cette interminable série de jeux, de processions et de banquets par lesquels on fêtait ses vicennales. La pensée de se rendre avec la même pompe au Capitole, le 1er janvier, pour y prendre avec Maximien son neuvième consulat[72] lui devint insupportable. Treize jours avant cette date, il partit précipitamment pour Ravenne, malade, en plein hiver, dans le froid et la pluie[73]. Ainsi finit tristement cette glorieuse période de vingt ans, durant laquelle la prospérité avait souri à Dioclétien tant qu’il avait respecté la liberté des consciences.

 

III. — Reprise de la persécution après l’amnistie des vicennales (304).

De Ravenne, où il avait pris les faisceaux consulaires, Dioclétien se mit en route pour l’Orient. Au lieu de suivre le chemin direct à travers les provinces danubiennes, redoutable durant la mauvaise saison, il contourna lentement la côte dalmate, et s’arrêta vraisemblablement à Salone, dans la somptueuse retraite préparée en vue de son abdication future. Il y passa une partie de l’hiver, pour se remettre en route au printemps, et arriver à Nicomédie vers la fin de l’été, toujours plus faible et plus malade[74].

Peu après le départ de Ravenne, un des rares chrétiens demeurés captifs malgré les vicennales achevait glorieusement son martyre. Le lieu où Vincent, retiré presque mourant du lit de fer rougi au feu, avait été enfermé dans la prison de Valence est ainsi décrit par Prudence, qui paraît l’avoir visité[75] : Il existe à l’étage le plus bas un endroit plus noir que les ténèbres elles-mêmes, clos et étranglé par les pierres étroites d’une voûte surbaissée. Là se cache une nuit éternelle, que ne dissipe jamais l’astre du jour : là l’horrible prison a son enfer[76]. Les prisons d’État contenaient un cachot souterrain, analogue au Tullianum de Rome[77], dans lequel on plongeait et souvent l’on exécutait les criminels[78]. Il en est question à toutes les époques dans les Actes des martyrs[79]. Vincent était étendu par terre, les pieds clans les ceps[80]. Par un raffinement de barbarie qui n’est pas sans exemple[81], le sol avait été semé de poteries brisées[82]. Soudain, rapportent les narrateurs du quatrième siècle, le cachot aveugle, carceralis cæcitas, s’illumina ; des parfums inconnus remplacèrent les vapeurs fétides ; le sol disparut sous les fleurs. Libre de ses liens, Vincent, debout, écoutait la voix des anges[83]. A la nouvelle de ce prodige, Datianus ordonna de traiter plus doucement le martyr et de soigner ses blessures, dans l’espoir de le guérir pour tenter ensuite sa constance par de nouveaux tourments[84]. Le geôlier exécuta l’ordre avec joie, car son cœur avait été touché, et il était devenu chrétien[85]. Il s’empressa de préparer un lit, d’y coucher Vincent ; puis il ouvrit la porte du cachot. Les fidèles de Valence s’empressèrent autour du martyr, le servant, pansant ses plaies, les baisant pieusement, posant leurs lèvres sur le sang qui découlait, en approchant des linges qu’ils emportaient ensuite comme de précieuses reliques[86]. Parmi ces marques de l’amour et de la dévotion de ses frères, l’héroïque diacre trompa l’attente du persécuteur, et, le 22 janvier, rendit doucement son âme à Dieu.

Datianus voulut venger sa déconvenue sur la dépouille du martyr. Comme naguère Dioclétien à Nicomédie, il craignait que les fidèles n’entourassent de trop grands honneurs les restes de sa victime. Un dernier pouvoir m’appartient, — lui fait dire Prudence, — punir le mort, livrer le cadavre aux bêtes, le donner à manger aux chiens. J’anéantirai jusqu’à ses ossements, afin qu’il n’ait pas de sépulture où le peuple viendrait l’honorer et graverait le titre de martyr[87]. Mais le dessein du persécuteur fut déjoué cette fois encore. Aucun animal ne toucha le cadavre : on raconte même qu’un corbeau, voltigeant au-dessus, en écartait les oiseaux et les bêtes fauves[88]. Datianus essaya de noyer les reliques. Le corps de Vincent fut cousu clans un sac, auquel pendait une grosse pierre : c’était le traitement réservé aux parricides. On le jeta en pleine mer. Mais les flots le déposèrent sur le rivage, où le sable le couvrit rapidement. Tel fut le tombeau du martyr[89] : après la paix de l’Église il recevra une sépulture plus digne et reposera sous l’autel, dans une somptueuse basilique[90].

Sois attentif à nos prières, lui dit Prudence, sois devant le trône du Père l’utile avocat de nos fautes. Par toi, par ce cachot où ta gloire s’est accrue, par les liens, les flammes, les ongles de fer, par les entraves de tes pieds, par ces morceaux de poteries sur lesquels a grandi ton mérite, par ce petit lit que nous, tes fils, baisons avec un saint tremblement, aie pitié de nos prières, afin que le Christ, apaisé, nous prête une oreille favorable et ne nous impute point toutes nos fautes[91]. Rarement la foi dans l’intercession des martyrs et la dévotion à leurs reliques s’exprimèrent avec plus d’énergie. Ces vers nous apprennent qu’à la fin du quatrième siècle on conservait quelques débris des poteries dont l’ingénieuse cruauté du persécuteur avait jonché le cachot du martyr, et que son lit existait encore : mais de quel lit parle le poète ? du lit de fer sur lequel, comme saint Laurent, le diacre de Saragosse fut exposé aux flammes[92], ou du lit plus doux sur lequel Vincent expira ? Il est difficile de le dire.

Par cet exemple et par celui de saint Romain, on peut juger du sort des quelques chrétiens restés en prison. Dioclétien, d’ailleurs, avait à peu près abandonné la direction des affaires publiques. Hercule en Occident, Galère en Orient, restaient libres de donner cours à leurs fantaisies ou à leurs passions. Aussi ne s’étonnera-t-on pas que l’amnistie proclamée au moment des vicennales n’ait point garanti les chrétiens de nouvelles poursuites. Son effet immédiat avait été de vider les prisons, ou de n’y laisser qu’un petit nombre de prisonniers exceptionnels ; mais elle n’avait entraîné le rappel d’aucun des édits précédemment rendus. Sous l’impulsion de deux princes fanatiques, devenus tout à fait maîtres par la maladie de Dioclétien, ces édits vont être appliqués avec un redoublement de rigueur dans les premiers mois de 304.

Si quelque gouverneur avait pu, sous un prétexte ou sous un autre, surseoir jusqu’ici à leur exécution, il était obligé maintenant de réparer le temps perdu, en procédant à la fois à la destruction des églises, à la confiscation des livres, à l’emprisonnement des clercs. A cette dure nécessité se vit acculé le préfet de Thrace[93], Tassus, malgré ses relations avec les chrétiens. Le terme de son gouvernement approchait, et il devait craindre qu’un successeur, trouvant les édits inexécutés dans la province, ne dénonçât son inaction près de princes peu disposés a fermer les yeux sur une infraction de ce genre. Les chrétiens le comprenaient eux-mêmes ; aussi clans l’église d’Héraclée, encore ouverte au commencement de janvier ; l’évêque Philippe rassemblait souvent ses fidèles pour les préparer à une persécution qui ne pouvait être longtemps différée. Il les exhortait ainsi, le jour de l’Épiphanie[94], quand arriva un officier de police[95], chargé par le gouverneur de mettre les scellés sur la porte de l’église. Homme crédule, s’écria l’évêque, qui t’imagines que le Dieu tout-puissant habite entre des murailles, et que sa vraie demeure n’est pas dans les cœurs des hommes, tu ignores la parole d’Isaïe : Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds : quelle maison pourriez-vous donc me construire ? (Isaïe, LXVI, 1) Le lendemain, le policier revint, fit l’inventaire de tous les meubles de l’église ; et les marqua de son sceau. Cependant Philippe, assisté du prêtre Sévère et du diacre Hermès, se tenait sur le seuil de l’église fermée et, le dos appuyé contre la porte, prêchait doucement à son peuple la parole de Dieu. Un jour d’assemblée chrétienne, le gouverneur le trouva ainsi occupé. S’asseyant alors, Bassus fit amener l’évêque et les fidèles. Qui de vous, demanda-t-il, est le maître des chrétiens et le docteur de leur Église ?Je suis celui que tu cherches, dit Philippe. Vous connaissez, reprit Bassus, la loi de l’empereur, commandant aux chrétiens de ne plus se rassembler, afin que dans le monde entier les gens de votre secte reviennent au culte des dieux, s’ils ne préfèrent périr. Je veux que vous m’apportiez tous les vases que vous possédez, soit d’or, soit d’argent, soit de tout autre métal, ou de quelque valeur d’art, ainsi que les Écritures que vous lisez et enseignez : si vous hésitez à m’obéir, je vous y contraindrai par les tourments. — S’il te plaît de nous faire souffrir, répondit Philippe, nous sommes prêts. Déchire aussi cruellement que tu voudras ce corps infirme ; mais ne t’attribue aucune puissance sur mon âme. Quant aux vases que tu demandes, prends-les : nous n’avons pas d’attachement pour eux : ce n’est pas par des métaux précieux, mais par la crainte, que nous honorons Dieu : c’est la beauté des âmes, non la parure des églises, qui plait au Christ. Pour les Écritures, cependant, il ne te convient pas de les recevoir, ni à moi de les donner[96].

Le gouverneur manda les bourreaux : l’un d’eux, Mucapor[97], était connu pour sa férocité. Puis l’ordre fut donné d’introduire le prêtre Sévère ; mais on ne le trouva pas. L’évêque Philippe fut alors mis à la torture. Le voyant souffrir : Cruel inquisiteur, dit Hermès, quand même tu t’emparerais de toutes nos Écritures, et qu’il n’en restât plus de trace sur la terre, cependant nos fils, se souvenant des traditions paternelles, et consultant leur propre cœur, en écriraient de plus volumineuses, qui enseigneraient avec plus de force encore la crainte due au Christ. Puis, battu à son tour, Hermès conduisit Publius, un des assesseurs du président, au lieu où étaient cachés les vases sacrés et les livres. Le diacre n’était pas un homme obscur : il faisait partie du sénat municipal, et avait même géré la première magistrature de la ville[98] : aussi avait-il gardé l’habitude du commandement, et s’opposa-t-il avec autorité à ce que le cupide assesseur s’appropriât frauduleusement quelques-uns des objets saisis. Celui-ci, furieux, frappa Hermès à la face ; mais Bassus, informé de l’incident, adressa de vifs reproches à ce brutal, et fit soigner le diacre blessé. Puis il commanda de porter au forum les vases et les Écritures, et d’y conduire l’évêque et ceux qui avaient été arrêtés avec lui[99].

Rien ne montre mieux que ce récit les différences des esprits et des races au sein de l’unité chrétienne. Tandis qu’en Afrique livrer les manuscrits de l’Écriture sainte ou le mobilier des basiliques était condamné presque à l’égal d’une apostasie, ailleurs une plus large tolérance couvre ces actes considérés sinon comme indifférents, du moins comme secondaires. Le mot traditeur, qui sera dans l’Afrique romaine le principe d’un des schismes les plus opiniâtres et les plus sanglants dont l’histoire ait gardé le souvenir, n’a pas d’équivalent en grec. Cependant le premier édit de Dioclétien fit des victimes en certaines contrées d’Orient ; mais en d’autres on parait croire que le sang chrétien n’a pas besoin de couler pour la défense d’objets matériels. Philippe et Hermès seront bientôt d’héroïques martyrs : et toutefois le premier ne croit pas faire mal en abandonnant aux persécuteurs des vases d’or et d’argent, le second en les conduisant même à la bibliothèque : le point de vue spiritualiste où ils se placent ne leur laisse pas apercevoir les motifs que d’autres fidèles ont eus d’agir différemment. Peut-être aussi l’époque tardive où la persécution commença dans Héraclée explique-t-elle cette conduite. Tous les édits sont appliqués à la fois : les deux confesseurs savent qu’ils vont être tout à l’heure sommés de sacrifier aux dieux : résolus à mourir plutôt que d’apostasier, ils considèrent comme licite de céder sur les points accessoires, et réservent toute leur énergie pour le combat suprême, qui seul importe à leurs yeux.

La suite du récit montre, dans l’évêque et le diacre, l’intrépidité d’une conscience calme et fière, que nul reproche intérieur ne trouble. Pendant que le gouverneur, rentré au palais, donnait des ordres pour la destruction des églises, et commandait d’arracher sans retard les tuiles qui décoraient le toit de la principale basilique chrétienne[100], les soldats arrivaient au forum, chargés des livres confisqués. Un bûcher fut dressé au milieu de la place. Bientôt la flamme qui dévorait les manuscrits s’éleva si haut, que les assistants furent presque effrayés. Philippe était gardé à quelque distance, dans un marché voisin du forum. On vint lui dire que ses livres brûlaient. Sans s’émouvoir, il adressa la parole aux païens et aux Juifs (nombreux en Thrace et en Macédoine) qui se pressaient, autour de lui, et, dans un assez long discours, passa en revue, avec une singulière liberté d’esprit, les incendies célèbres dans l’histoire, les comparant au feu de la colère divine[101].

Pendant que Philippe parlait, Hermès aperçut un prêtre des dieux, suivi d’acolytes qui portaient des viandes immolées et les ustensiles d’un sacrifice. Aussitôt il dit à ceux qui l’entouraient. : Ce festin que vous voyez, c’est l’invocation du diable ; on l’apporte pour nous souiller. Philippe ajouta seulement : Que la volonté du Seigneur s’accomplisse ! Bassus revint à ce moment : une grande foule l’accompagnait : dans les yeux des uns on lisait de la pitié ; les autres, particulièrement les Juifs, laissaient voir une joie cruelle à l’idée que les serviteurs de Dieu allaient être contraints au sacrifice. Le gouverneur dit à Philippe : Immole des victimes à la divinité. — Comment, répondit l’évêque, puis-je, étant chrétien, adorer des pierres ?Il faut offrir un sacrifice à nos maîtres[102]. — Nous avons appris à obéir aux princes, et à rendre aux empereurs l’obéissance, non le culte. — Sacrifie au moins à la Fortune de la ville, dit Bassus ; et, croyant séduire par l’art un fils d’une province si voisine de la Grèce[103], il ajouta : Vois comme cette statue de la Fortune est belle, comme son regard est gai, quel aimable accueil elle semble faire à tous[104]. — Elle doit vous plaire, répondit Philippe, puisque vous l’adorez ; mais tout l’art humain ne pourra me détacher du culte dû à Dieu. — Vois, continua Bassus, cette statue d’Hercule : qu’elle est belle aussi dans sa grandeur farouche ![105] Pour toute réponse Philippe, en paroles indignées, fit le procès des idoles et de l’idolâtrie. Bassus, admirant malgré. lui la constance de l’évêque, se tourna vers Hermès : Toi, au moins, sacrifie aux dieux. — Je ne sacrifie pas, répondit Hermès, car je suis chrétien. — Dis-nous ta condition. — Je suis décurion, mais celui-ci est mon maître, à qui j’obéis en tout. — Si l’on décidait Philippe à sacrifier, tu l’imiterais donc ?Je ne le suivrais pas jusque-là ; mais il ne se laissera pas vaincre. — Tu seras brûlé si tu persistes dans cette folie. — Tu me menaces d’une flamme impuissante, et tu ignores les flammes éternelles qui consumeront les disciples du diable. — Sacrifie du moins à nos seigneurs les empereurs, et dis : Longue vie aux princes !Nous aussi, dit Hermès, nous aspirons après la vie. — Sacrifie donc, si vous voulez vivre, en évitant les lourdes chaînes et les cruelles tortures. — Jamais, juge impie, tu ne nous amèneras à cela. Tes menaces affermissent notre foi et notre courage, loin de nous inspirer de la crainte[106].

Bassus, prenant une voix terrible, commanda de conduire les deux chrétiens en prison. Sur le chemin, Philippe subit les outrages de la foule : des mains brutales s’amusaient à le renverser[107] : mais le vieillard se relevait, toujours grave et serein, et continuait sa route avec son compagnon, en chantant des psaumes. L’hostilité du peuple se changea peu à peu en admiration. Après quelques jours passés dans la prison, les captifs obtinrent du gouverneur, dont les dispositions restaient bienveillantes malgré des rigueurs affectées, une faveur que la procédure romaine autorisait : on leur permit d’habiter une maison particulière, sous la responsabilité d’un citoyen de la ville. Cependant, un si grand nombre de fidèles affluèrent dans cette maison, comme jadis les chrétiens de Rome dans celle où saint Paul était détenu, que Bassus se vit obligé de réintégrer l’évêque et le diacre en prison. Mais là, des facilités inattendues leur permirent de continuer l’apostolat commencé. La prison était adossée au théâtre : une porte secrète donnait accès au corridor voûté qui l’entourait[108], et l’on pénétrait par là dans la vaste enceinte réservée aux spectacles, où Philippe et Hermès purent le jour et même la nuit recevoir les visiteurs. Telle fut leur captivité, pendant les deus ou trois mois qui précédèrent l’arrivée d’un nouveau gouverneur[109].

Presque au même moment où les portes de la prison d’Héraclée se fermaient sur les deux confesseurs thraces, à l’autre extrémité de l’empire la prison de Carthage recevait une nombreuse troupe de chrétiens, dont l’un appartenait, comme Hermès, à un sénat municipal. Un des articles du premier édit de 303 défendait les assemblées chrétiennes : en la plupart des villes elles avaient été interrompues[110]. Quelquefois, cependant, des fidèles plus zélés ou plus scrupuleux parvenaient à se réunir les jours de fête et à célébrer ensemble les saints mystères. Mais, dans les pays où la persécution avait commencé de bonne heure, comme l’Afrique, et où elle s’exécutait dans toute la rigueur de la lettre, un tel acte n’était pas découvert impunément. Tandis qu’à Héraclée Philippe et Hermès avaient été seuls arrêtés comme ecclésiastiques ; que le gouverneur n’avait pas songé à inquiéter les nombreux fidèles qui, jusqu’à la fermeture de l’église, s’étaient rassemblés autour de la chaire épiscopale, ou, plus tard, avaient assiégé les parois de l’église fermée pour entendre encore leur évêque ; que nul châtiment n’était encouru par ceux qui allaient chercher les enseignements des deux prisonniers chrétiens dans la maison où ils eurent un abri temporaire, et que l’autorité publique semble même avoir ignoré volontairement les réunions clandestines tenues par Philippe dans la salle du théâtre : les magistrats des cités africaines, au contraire, veillaient à ne laisser échapper aucun chrétien coupable d’avoir assisté à l’office divin ou écouté la lecture des saints livres.

Des fidèles, les uns d’Abitène, les autres de Carthage, étaient parvenus à reformer une petite congrégation dans la première de ces deux villes, qui leur paraissait probablement moins exposée aux investigations de l’officium proconsulaire. A sa tête n’était pas l’évêque d’Abitène, car on l’accusait d’avoir, dès le commencement de la persécution, livré les Écritures, et il avait probablement perdu, par ce fait, toute autorité morale sur ces fervents chrétiens[111]. Ils reconnaissaient pour chef le prêtre Saturnin, et s’assemblaient tantôt dans la maison d’un nommé Félix, tantôt dans celle du lecteur Emeritus. Un dimanche, pendant l’office, les magistrats de la colonie et le chef de la police, qui avaient surpris le secret de leurs réunions périodiques, entrèrent chez Félix et les arrêtèrent. Les prisonniers furent conduits au forum : c’étaient le prêtre officiant, Saturnin, avec quatre de ses enfants, Saturnin et Félix, qui avaient la charge de lecteurs, Marie, vierge consacrée à Dieu, et le petit Hilarien. Le reste du troupeau suivait : il se composait de vingt-six hommes, le décurion Dativus, trois Félix, Emeritus, Ampelius, trois Rogatianus, Quintus, Maximianus, Thelica, deux Rogatus, Januarius, Cassianus, Victorianus, Vincentius[112], Cæcilianus, Givalius, Martinus, Dantus, Victorinus, Pelusius, Faust.us, Dacianus, et de dix-huit femmes, Restituta, Prima, Eva, Pomponia, Secunda, deux Januaria, Saturnina, Margarita, Major[113], Honorata, Regiola, deux Matrona, Cæcilia, Victoria, Herectina, Secunda[114].

Interrogés d’abord dans le forum par les magistrats de la colonie d’Abitène, ils confessèrent tous leur foi. Mais, le proconsul Anulinus étant seul compétent pour continuer le procès, les accusés durent être conduits à Carthage[115]. Les Actes de leur comparution devant ce haut fonctionnaire, dictés par lui-même, furent conservés dans les archives publiques[116] : c’est d’après eux qu’un auteur donatiste a composé la seule version qui nous reste du martyre de ces saints, écrite dans le style ampoulé propre à sa secte ; mais, en écartant les additions déclamatoires et les inventions calomnieuses[117], on retrouve aisément le document original, tel qu’il dut être présenté, en 411, dans les conférences entre catholiques et donatistes[118]. La date officielle de l’interrogatoire est rapportée par saint Augustin, dans le résumé qu’il donne de cette conférence : La veille des ides de février, étant consuls Dioclétien pour la neuvième fois et Maximien pour la huitième, c’est-à-dire le 12 février 304[119].

Les employés de l’officium présentèrent, selon l’usage, les accusés au proconsul, en lui disant que ces chrétiens étaient transmis par, les magistrats d’Abitène comme inculpés d’avoir tenu une assemblée et célébré le sacrifice eucharistique, ou dominicum[120], contrairement à la défense des Augustes et des Césars. Dativus fut interrogé le premier. Après les questions accoutumées sur son nom, sa condition, le proconsul lui demanda s’il avait pris part à une assemblée, puis, sur sa réponse affirmative, quel était le chef ou l’organisateur (auctor) de cette assemblée. En même temps on l’appliqua au chevalet, et les bourreaux déchirèrent avec les ongles de fer son corps fortement tendu.

Alors un des accusés, Thelica, voulant détourner sur lui-même la colère du juge, s’avança au milieu de l’audience en s’écriant : Nous sommes chrétiens, et nous nous sommes assemblés[121]. Les coups, le chevalet, les ongles de fer furent le châtiment de ces paroles. Au milieu des tourments, Thelica priait tout haut : Grâces à Dieu ! Par ton nom, Christ, Fils de Dieu, délivre ton serviteur ! Le proconsul lui posa la question à laquelle Dativus n’avait pas répondu : Quel est le chef de votre congrégation ? Thelica, au moment où le bourreau lui faisait sentir plus cruellement la torture, cria d’une voix claire : C’est le prêtre Saturnin, et nous tous ; et comme le proconsul demandait lequel des accusés était Saturnin, le martyr le désigna. Puis, la torture continuant, il ne cessa de parler et de prier : Malheureux, vous agissez injustement ; vous combattez contre Dieu. Dieu très haut, ne leur impute pas ce péché. Vous péchez, malheureux, vous combattez contre Dieu. Gardez les commandements du Dieu très haut. Vous agissez injustement, malheureux ; vous déchirez des innocents. Nous n’avons point commis d’homicide, nous n’avons point fait de fraude. Mon Dieu, aie pitié ; je te rends grâces, Seigneur : pour l’amour de ton nom, donne-moi la force de souffrir. Délivre tes serviteurs de la captivité du monde. Je te rends grâces, je ne puis suffire à te rendre grâces. Et, comme le sang coulait de ses flancs déchirés, il entendit le proconsul lui dire : Tu vas commencer à sentir les souffrances qui vous sont réservées. Il reprit alors : C’est pour la gloire. Je rends grâces au Dieu des royaumes. Il apparaît, le royaume éternel, le royaume incorruptible. Seigneur Jésus-Christ, nous sommes chrétiens, nous te servons ; tu es notre espérance, tu es l’espérance des chrétiens. Dieu très saint, Dieu très haut, Dieu tout-puissant ! nous louons ton saint nom, Seigneur tout-puissant. Le juge tenta encore une fois de le convaincre : Il te fallait observer l’ordre des Empereurs et des Césars. Mais Thelica, dont l’âme restait victorieuse des défaillances du corps, répondit : Je m’occupe seulement de la loi de Dieu, qui m’a été enseignée. C’est elle que j’observe, pour elle je vais mourir, j’expire en elle, il n’y en a pas d’autre. — Cessez[122], dit le proconsul aux bourreaux ; et il commanda de conduire Thelica en prison[123].

Du chevalet où il était suspendu, Dativus avait assisté aux tortures de ce courageux compagnon. Les bourreaux se tournèrent de nouveau contre lui. Plusieurs fois il répéta : Je suis chrétien, et déclara avoir pris part à l’assemblée. L’avocat Fortunatianus, frère de Victoire, l’une des accusées, intervint alors, et, interpellant le martyr : C’est lui, dit-il, qui, pendant que j’étudiais ici, et que mon père était absent, a séduit notre sœur Victoire, et de cette splendide cité de Carthage l’a conduite, en même temps que Secunda et Restituta, dans la colonie d’Abitène : il n’est jamais entré dans notre maison que pour égarer par ses mauvais conseils les esprits des jeunes filles. La courageuse Victoire s’indigna de voir accuser faussement le sénateur ; prenant la parole avec la liberté d’une chrétienne[124], elle s’écria : Je suis partie sans les conseils de personne, et ce n’est pas avec lui que je suis allée à Abitène. Je puis prouver cela par des témoins. Tout ce que j’ai fait l’a été de moi-même et par ma volonté. Il est bien vrai que j’ai assisté à l’assemblée et participé au dominicum avec les frères, car je suis chrétienne. L’avocat continuait d’incriminer Dativus, qui, du chevalet, répondait à chacun de ses reproches. Pendant ce temps, les bourreaux lui déchiraient les membres. Dativus, se souvenant de son rang dans la cité[125], donna l’exemple du courage, répétant seulement : Ô Christ Seigneur, que je ne sois pas confondu !Cessez, dit le proconsul. Cependant un nouvel accusateur se présenta ; c’était un, autre avocat, Pompeianus, qui essaya de noircir par des soupçons injurieux la vertu du martyr. Celui-ci lui répondit avec un mépris indigné[126] : Que fais-tu, diable[127] ? Jusqu’où pousses-tu tes entreprises contre les martyrs du Christ ? La torture interrompue fut recommencée. On interrogea de nouveau Dativus sur sa participation à l’assemblée, et encore une fois il répondit qu’il y avait pris part, qu’il avait pieusement célébré le dominicum avec les frères, et que la réunion n’avait pas été organisée par un seul ; puis, déchiré plus cruellement encore avec les ongles de fer, il s’écria : Je te prie, ô Christ, que je ne sois pas confondu. Qu’ai-je fait ? Saturnin est notre prêtre. Saturnin fut alors appelé. Tu as contrevenu aux préceptes des Empereurs et des Césars en réunissant tous ces gens-là, lui dit le proconsul. Nous avons célébré en paix le dominicum, répondit Saturnin. Pourquoi ?Parce que le dominicum ne peut être interrompu. Anulinus le fit alors dresser sur un chevalet en face de Dativus, que ne cessaient de torturer les bourreaux, et qui s’écriait : Secours-moi, je te prie, Ô Christ, aie pitié. Sauve mon âme, garde mon esprit, que je ne sois pas confondu. Je te prie, ô Christ, donne-moi la force de souffrir. Le proconsul l’interrompit : Toi, membre du conseil de cette splendide cité, tu avais le devoir de ramener les autres à de meilleurs sentiments, au lieu de transgresser l’ordre des Empereurs et des Césars. — Je suis chrétien, répondit Dativus. Cessez, dit Anulinus, qui le fit conduire en prison[128].

Saturnin, sur un chevalet déjà mouillé par le sang des martyrs, fut ensuite interrogé. Le proconsul lui demanda s’il était l’auteur de la réunion. Oui, répondit il, j’y étais présent. — C’est moi qui en suis l’auteur, s’écria le lecteur Emeritus, car on s’assemblait dans ma maison. Le proconsul continua de s’adresser à Saturnin : Pourquoi violes-tu le précepte des Empereurs ?Le dominicum ne peut être interrompu : c’est la loi. — Cependant tu n’aurais pas dû mépriser la défense, mais obéir à l’ordre impérial. La torture commença : bientôt furent à nu les entrailles et les os du martyr, qui, tout déchiré, ne cessait de prononcer de courtes et ferventes oraisons : Je te prie, Christ, exauce-moi. Je te rends grâces, ô Dieu, ordonne que je sois décapité. Je te prie, Christ, aie pitié, Fils de Dieu, viens à mon secours. Le proconsul reprit : Pourquoi violais-tu le précepte ?La loi l’ordonne, la loi le commande, répondit encore Saturnin. Cessez, dit Anulinus, et il l’envoya rejoindre les deux premiers martyrs dans la prison[129].

Emeritus fut interrogé à son tour. Des assemblées ont-elles eu lieu dans ta maison ? demanda le proconsul. Dans ma maison, répondit le lecteur, nous avons célébré le dominicum. — Pourquoi permettais-tu à ceux-ci d’entrer ?Parce qu’ils sont mes frères, et que je ne pouvais le leur défendre. — Mais tu aurais dû les repousser. — Je ne le pouvais pas, car nous ne pouvons vivre sans dominicum. Le magistrat commanda d’étendre Emeritus sur le chevalet, et un nouveau bourreau (car les autres étaient sans doute fatigués) commença de le frapper. Je t’en prie, Christ, viens à mon secours, disait le martyr. Vous agissez contre les commandements de Dieu, malheureux ! Le proconsul reprit l’interrogatoire : Tu n’aurais pas dû les recevoir. — Il m’était impossible de ne pas recevoir mes frères. — Mais l’ordre des Empereurs devait prévaloir. — Dieu est plus grand que les Empereurs. Ô Christ, je t’invoque : reçois mes louanges, Christ, mon Seigneur, donne-moi la force de souffrir. — Tu as donc, continua le proconsul, des Écritures dans ta maison ?Je les possède, mais dans mon cœur. — Les as-tu dans ta maison ou non ?Je les ai dans mon cœur. Le bourreau continuait de frapper, et le martyr d’appeler Dieu à son secours : Christ, je t’en supplie ; à toi mes louanges : délivre-moi, ô Christ, je souffre pour ton nom. Je souffre pour peu de temps, je souffre volontiers : Christ Seigneur, que je ne sois pas confondu !Cessez, dit le proconsul, et il se mit à dicter le procès-verbal des premiers interrogatoires[130]. Puis, il ajouta : Conformément à vos aveux, vous recevrez tous le châtiment que vous avez mérité.

Les interrogatoires se poursuivirent ensuite. Félix fut appelé. J’espère, dit Anulinus, s’adressant à lui et à tous les autres, j’espère que vous prendrez le parti de l’obéissance, afin de conserver la vie. Les confesseurs répondirent d’une seule voix : Nous sommes chrétiens ; nous ne pouvons que garder la sainte loi du Seigneur jusqu’à l’effusion du sang. Se tournant alors vers Félix : Je ne te demande pas si tu es chrétien, continua le magistrat, mais si tu as pris part à une assemblée ou si tu possèdes les Écritures. Les édits ne punissaient pas encore la profession du christianisme, mais seulement les actes extérieurs qui la manifestaient, comme l’assistance aux assemblées ou la possession des livres saints. Félix fut fouetté si cruellement, qu’il expira en pleine audience. Un autre Félix fut interrogé, et envoyé en prison après avoir été flagellé. Puis vint le tour du lecteur Ampelius. Il répondit en souriant aux questions du proconsul : Je me suis réuni avec les frères, j’ai célébré le dominicum, je possède les Écritures, mais dans mon cœur. Ô Christ, je te loue ; ô Christ, exauce-moi. On le frappa sur la tète, puis on l’emmena en prison. Rogatianus, après avoir confessé sa foi, fut joint aux autres captifs sans avoir été frappé. Quintus, Maximien, puis un troisième hélix, subirent la flagellation : ce dernier, qui était un jeune homme, disait pendant la torture : J’ai célébré dévotement le dominicum, j’ai pris part à l’assemblée avec les frères, parce que je suis chrétien. Tous trois furent aussi conduits en prison[131].

Saturnin, fils du prêtre de ce nom, comparut ensuite devant le tribunal. Étais-tu présent ? demanda le proconsul. Je suis chrétien. — Je ne te demande pas cela, mais seulement si tu as participé au dominicum. — J’ai pris part au dominicum, parce que le Christ est mon Sauveur. Anulinus fit attacher l’accusé sur le chevalet même où avait été son père : Que choisis-tu, Saturnin ? tu vois où tu es : possèdes-tu des Écritures ?Je suis chrétien. — Je te demande si tu as assisté aux réunions et si tu possèdes des Écritures. — Je suis chrétien. Le nom du Christ est le seul par qui nous puissions être sauvés. — Puisque tu persistes dans ton obstination, tu vas être torturé. Encore une fois, dis si tu as des Écritures. Et, se tournant vers l’officium : Qu’on le torture. Les ongles de fer, encore rougis du sang paternel, furent promenés sur les membres du jeune homme, qui, tout ensanglanté lui-même, criait : J’ai les divines Écritures, mais dans mon cœur. Je t’en prie, ô Christ, donne-moi la force de souffrir, en toi est mon espérance. — Pourquoi, demanda Anulinus, désobéis-tu au précepte ?Parce que je suis chrétien. — Cessez, dit le proconsul, qui envoya le jeune martyr rejoindre son père en prison[132].

Le jour baissait : Anulinus avait hâte d’en finir. S’adressant à tous les chrétiens qui n’avaient pas encore été interrogés : Vous voyez ce qu’ont souffert ceux qui se sont obstinés, et ce qu’il leur faudra souffrir encore, s’ils persistent dans leur foi. Si quelqu’un de vous espère l’indulgence et veut avoir la vie sauve, il lui faut se soumettre. Mais tous les martyrs répondirent ensemble : Nous sommes chrétiens. Anulinus commanda de les mener en prison[133].

Deux, cependant, demeuraient. Victoire, réclamée par son frère, avait été séparée des autres. C’était une jeune fille, belle et de bonne naissance elle avait résolu de rester vierge, et, pour garder son vœu, s’était échappée par une fenêtre de la maison paternelle, peu de temps avant la célébration d’un mariage que ses parents prétendaient lui imposer. Le proconsul voulut l’interroger à part. Mais à ses questions elle répondit : Je suis chrétienne, et comme son frère s’efforçait de la persuader, elle ajouta : Telle est ma volonté ; je n’en ai jamais changé. Anulinus ne désirait point user de rigueur : il se contenta de lui dire : Veux-tu t’en aller avec ton frère Fortunatianus ?Non, répondit-elle, car je suis chrétienne ; et ceux-là seulement sont mes frères qui gardent les commandements de Dieu. Anulinus la pria encore : Réfléchis, tu vois que ton frère veut te sauver. — J’ai ma volonté, et n’en ai jamais changé. Moi aussi, j’ai pris part à l’assemblée et célébré le dominicum avec les frères, parce que je suis chrétienne. Le proconsul l’envoya retrouver les autres dans la prison[134].

Restait le dernier fils de Saturnin, Hilarien, un petit enfant. Le magistrat cherchait à l’épargner. As-tu suivi ton père et tes frères ? demanda-t-il. Mais, au lieu de répondre qu’il les avait suivis malgré lui et sans savoir où, Hilarien dit avec fermeté : Je suis chrétien, et de mon plein gré, volontairement, j’ai pris part à l’assemblée avec mon père et mes frères. Le proconsul essaya de lui faire peur : Je vais te couper les cheveux, le nez, les oreilles, et te renvoyer ainsi. — Fais ce que tu voudras, je suis chrétien, répondit l’intrépide enfant. Qu’on le mène en prison, dit le proconsul. Hilarien cria d’une voix joyeuse : Grâces à Dieu ![135]

Les détails donnés par le compilateur donatiste sur le séjour des martyrs dans la prison sont trop suspects pour que nous en puissions retenir quelque chose[136]. Un seul fait paraît vraisemblable : Anulinus les y oublia volontairement, et, l’un après l’autre, ils moururent de faim[137].

D’autres chrétiens furent encore poursuivis et emprisonnés pour s’être assemblés contrairement aux édits. Malheureusement, sur le second fait tout renseignement précis manque : nous savons seulement par saint Augustin qu’après les Actes de Saturnin, Dativus et leurs compagnons on lut dans la conférence de 411 d’autres Actes, apportés par les catholiques, et disant que pendant la persécution une maison privée avait servi à une congrégation de fidèles ; que ceux-ci furent mis en prison ; que des martyrs furent baptisés dans la prison même où ils étaient renfermés pour la foi du Christ, et qui devint l’asile des sacrements du Seigneur[138]. Par ce bref résumé, ou plutôt par cette rapide allusion jetée négligemment dans un ouvrage de controverse, on peut se faire une idée des épisodes semblables qui ont dû se passer sans que l’histoire en ait gardé le souvenir.

 

 

 



[1] Le livre de Lactance intitulé De opificio Dei semble le premier ouvrage écrit après sa conversion : il parle des chrétiens en termes encore timides et se représente lui-même comme vivant dans le trouble et la pauvreté, quam minime sim quietus et in summis necessitatibus. On se figure aisément un maître nouvellement converti, qui perd à la fois sa chaire officielle et la plupart de ses élèves. Rien dans les écrits de Lactance n’indique à quel moment précis de la persécution il passa du paganisme à la foi chrétienne. Cependant la vivacité avec laquelle, dans le De mort. pers., il dépeint les souffrances infligées aux chrétiens de Nicomédie au commencement de 303 montre que la vue de celles-ci lit une grande impression sur son esprit, et permet de penser, que sa conversion date de cette année.

[2] Lactance, Div. Inst., V, 2.

[3] Voir Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 612, note XXIII sur Dioclétien.

[4] Lactance, Div. Inst., V, 2.

[5] Flaccinum præfectum, non pusillum homicidam. Lactance, De mort. pers., 16.

[6] Le titre du livre est Αόγος φιλαλήθης πρός τούς χριστιάνους, littéralement Discours ami de la vérité aux chrétiens, ou peut-être simplement Ό φιλαλήθης, l’Ami de la vérité.

[7] Lactance, Div. Inst., V, 3. Tel n’est pas le sentiment d’Eusèbe (Contra Hieroclem, 1), qui ne voit dans cette partie du Philalèthe qu’une reproduction servile des objections déjà faites par d’autres auteurs.

[8] Lactance, l. c.

[9] Est-ce, comme l’a pensé M. Vigouroux, un trait emprunté à l’histoire de David (I Reg.), et appliqué maladroitement à Notre-Seigneur ? Ne serait-ce pas plutôt un souvenir, haineusement travesti, des foules qui suivaient celui-ci dans ses pérégrinations à travers la Judée ou au désert ?

[10] Voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd. On discute encore la question de savoir si Philostrate, qui ne nomme jamais les chrétiens, chercha réellement à poser son héros en rival du Christ. La négative a été soutenue avec talent par M. Jean Réville (la Religion à Rome sous les Sévères, p. 228) ; mais elle ne saurait prévaloir contre tant de traits de la vie d’Apollonius qui semblent calqués sur les quatre Évangiles et les Actes des apôtres, avec l’addition d’un merveilleux analogue à celui des Évangiles apocryphes. Cette opinion, proposée en France au dix-septième siècle par Huet, évêque d’Avranches, en Angleterre au dix-huitième par Douglas et Paley, a réuni de nos jours l’assentiment des esprits les plus dissemblables, Baur, Friedlænder, Reumont, M. de Pressensé, M. Albert Réville, M. Aubé, M. Boissier, l’auteur du savant article sur Apollonius de Tyane dans le Dictionary of christian biography, Mg. Freppel, M. de Champagny, M. l’abbé Vigouroux. M. Neumann propose un système intermédiaire : Philostrate, en traçant le portrait d’Apollonius, n’aurait pas songé au Christ : ce seraient les adversaires plus récents du christianisme, Porphyre, Hiéroclès, Julien, qui se seraient servis de son livre pour opposer la vie merveilleuse du magicien de Tyane à celle du Sauveur.

[11] Lactance, Div. Inst., V, 3 ; Eusèbe, Contra Hieroclem, 2.

[12] Eunape, Vita sophist., proœm. ; éd. Didot, p. 454.

[13] Le titre complet de l’ouvrage d’Eusèbe contre Hiéroclès est Liber contra Hieroclem, anmaadversiones in Philostrati de Apollonio Tyanensi commentarios ob institutana cum illo ab Hierocle Christi comparationem adornatæ. Comme ce titre l’indique, Eusèbe attaque seulement la partie du livre où le gouverneur de Bithynie compare Apollonius à Notre-Seigneur Jésus-Christ ; le reste lui paraît ne pas valoir une réfutation.

[14] Lactance, Div. Inst., V, 3.

[15] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 6. — Le pays de Mélitène, dont parle Eusèbe, est la Petite Arménie, province romaine, distincte de la Grande Arménie, royaume indépendant. La Petite Arménie, Armenia Minor, dépendait de la Cappadoce avant la multiplication des divisions provinciales en 297 ; elle forma sous Dioclétien une province distincte, pour être subdivisée encore à la fin du quatrième siècle. Mélitène était sa ville principale ; mais, géographiquement, cette province dépendait de la Cappadoce : une inscription chrétienne de Rome, de 385, nomme un civem Armeniacum Cappadocem. Voir Mommsen, Mémoire sur les provinces romaines, p. 14-16, 38-40 ; Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 369, 374 ; De Rossi, Inscr. christ. urbis Romæ, t. I, n° 355, p. 155-156 ; Bull. di arch. crist., 1869, p. 91.

[16] Libanius, De vita, 13, 14, 15.

[17] Cum esset eis nuntiatum quod omnis Armeniorum regio et Cappadocum facit contra improbum eorum decretum et resistit eorum jussis... Martyrium S. Hieronis, dans Surius, Vitæ SS., t. XI, p. 173. — Quod tota Magna Armenia et Cappadocia illorum edicto repugnarent et jaco unanimes spectarent omnes ad defectionem, immutabilem habentes animum in Dominum... Martyrium S. Eustratii, dans Surius, t. XII, p. 241. Ces Actes sont de Métaphraste (Patrol. Græc., t. CXVI, p. 109, 467), par conséquent suspects d’amplification. Mais, si l’on en rejette de nombreux traits, il semble qu’on doive en retenir ceux que nous venons de citer, surtout quand on les rencontre dans les Passions de deux martyrs du même temps et du même pays. Tillemont dit de l’une de ces Passions : Il y a des choses considérables, et des faits assez particularisés pour croire qu’ils viennent d’un bon original ; Mémoires, t. V, art. LXVII sur la persécution de Dioclétien. Mason va jusqu’à supposer que cet original peut être, à l’heure présente, encore caché dans les manuscrits de quelque monastère arménien (The persecution of Diocletian, p. 127, note).

[18] Voir les diverses Vies de saint Grégoire, dans les Acta SS., septembre, t. VIII, p. 295-413.

[19] Sozomène, Hist. Ecclés., II, 8.

[20] La consécration de saint Grégoire est reportée par Saint-Martin (Mémoires sur l’Arménie, t. I, p. 436) et Langlois (Historiens de l’Arménie, t. II, p. 387) à l’année 276, qui parait beaucoup trop reculée : cet évènement se place plus vraisemblablement vers 302.

[21] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8. Voir plus bas, chapitre neuvième.

[22] Martyrium S. Hieronis, martyrium S. Eustralii, cités plus haut.

[23] Martyrium S. Hieronis.

[24] Constantin, Oratio ad sanctorum cœlum, 25.

[25] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 6, 8-10.

[26] Ce Donat doit-il être identifié avec l’un de ses deux homonymes, mêlés aux débuts du schisme donatiste, Donat, évêque de Casa Nigra, en Numidie, et Donat dit le Grand, successeur schismatique de Mensurius à Carthage ? Rien, si ce n’est la similitude du nom, n’autorise à le penser ; Lactance ne dit nulle part que le confesseur Donat fût africain, et le séjour de celui-ci à Nicomédie de 303 à 311 ferait plutôt penser le contraire. Le nom est un indice sans valeur ; un grand nombre de personnages appartenant aux quatre premiers siècles s’appellent Donat, non seulement en Afrique, où nous en comptons jusqu’à douze, mais en Gaule, en Italie, en Égypte, en Épire, en Asie. L’Asie seule nous offre six Donat, martyrs. Voir Ulysse Chevalier, Répertoire des sources historiques du moyen âge, s. v., p. 590-591.

[27] Novies, dit Lactance ; mais il comprend dans ces tortures successives, avec celles auxquelles Donat fut soumis dans la première année de la persécution, celles qu’il eut à subir dans une nouvelle captivité, qui dura de 306 à 311.

[28] Lactance, De mort. pers., 16.

[29] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 2.

[30] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 3.

[31] Iliade, II, 204.

[32] Passio S. Procopii, dans Ruinart, p. 373. Un court récit du martyre de Procope se trouve dans le livre d’Eusèbe sur Les martyrs de la Palestine, 1. Les Actes plus détaillés sont certainement originaux et contemporains. Il est même prouvé désormais qu’ils ont fait partie d’une rédaction complète du livre d’Eusèbe, dont la version grecque actuellement existante n’est que l’abrégé, dû à Eusèbe lui-même. Valois l’avait déjà conjecturé : cette conjecture fut adoptée par Assemani après la découverte, dans la Bibliothèque Vaticane, d’Actes syriaques, parmi lesquels ceux de Procope, qui lui parurent des extraits de l’ouvrage complet d’Eusèbe (Acta martyrum orientalium, Rome, 1748, p. 166). Elle est aujourd’hui devenue certaine ; Cureton a publié, en 1861, un manuscrit syriaque du British Museum, daté de 411, qui contient une version en cette langue du livre sur Les martyrs de la Palestine, dans une forme plus étendue, et comprend un récit du martyre de Procope, correspondant à celui des Actes. La version Cureton n’est pas identique à la version Assemani : elles représentent donc deux traductions syriaques de l’original grec d’Eusèbe, aujourd’hui perdu, et remplacé par l’abrégé que nous possédons.

[33] Desii septima julii mensis, quæ nouas dicitur apud Latinos. Passio, 2. — De Mart. Pal., I, 2. Le mois Δέστιος correspond dans le calendrier syro-macédonien au mois de juin ; aussi croyons-nous que dans la Passion il faut corriger julii en junii. Cependant les martyrologes mettent au 8 juillet la mort de Procope. Il y a ici quelque confusion dans les dates.

[34] Eusèbe, De Mart. Pal., I, 3, 4 ; Hist. Ecclés., VIII, 3.

[35] Voir sur les ceps (tignum, nervus, ξύλον) les détails donnés par Edmond Le Blant, De quelques monuments antiques relatifs à la suite des affaires criminelles, dans la Revue archéologique, 1889, p. 148 ; et, ibid., p. 149, la figure d’un instrument analogue trouvé dans la prison des gladiateurs à Pompéi, longue pièce de fer munie de séparations dans lesquelles une barre mobile venait enserrer les pieds des captifs ; deux malheureux y étaient attachés au moment où l’éruption engloutit la ville. Cf. du même savant les Persécuteurs et les martyrs, 1893, p. 282-283. La torture des ceps durait encore au moyen âge ; on la retrouve jusqu’au milieu du seizième siècle.

[36] De Mart. Pal., I, 5. — Le 15 des calendes de novembre, ou le 17 du mois Δίος selon le calendrier syro-macédonien.

[37] Passio S. Theodoti Ancyrani et septem virginum, 4, dans Ruinart, p. 355.

[38] Passio S. Theodoti Ancyrani et septem virginum, 5 ; p. 356.

[39] Passio S. Theodoti Ancyrani et septem virginum, 4 ; p. 355.

[40] Datianus était probablement de la même famille que son homonyme consul en 358. Mais on n’a sur ce personnage d’autres renseignements que ceux des documents martyrologiques. Grüter, Inscr., p. 199, puis Arevalo et Dressel, dans leurs éditions de Prudence, publient une inscription relative à la fixation par lui des limites des bourgs d’Evora et de Beja ; mais Hübner (Corpus inscr. lat., t. II, p. 5, n° 17) la range parmi les fausses : voir cependant les observations du P. Van Hecke dans les Acta SS., octobre, t. XII, p. 195.

[41] Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 260 ; Mommsen, Mémoire sur les provinces romaines, trad. Picot, p. 48. Voir la carte annexée au Mémoire de Mommsen, ou celle de l’Histoire des Romains de Duruy, t. VI, p. 565.

[42] Voir Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. I, p. 231 ; Willems, le Droit public romain, p. 592.

[43] Cf. Code Théodosien, I, XV ; XVI, 5. Voir Mommsen, Römische Staatsrecht, t. II, p. 48 ; Belhman Hollweg, Der rom. Civilprozess, p. 50-52.

[44] Episcopos ac presbyteros, ceterosque sacri ordinis ministros, spiritu nequitiæ agitatus, rapi præcipit. Passio S. Vincentii levitæ, 2 ; dans Ruinart, p. 390. — Les Actes de saint Vincent, tels que nous les possédons, ne sont pas contemporains, mais auraient été, au jugement de Ruinart, composés peu après la paix de l’Église. Ce sont peut-être les mêmes qu’on lisait publiquement dans l’Église d’Afrique, nous apprend saint Augustin, et que l’illustre docteur cite dans ses sermons 274, 275, 276, 277. Sur la plupart des points ils s’accordent avec l’hymne V de Prudence, et, qu’ils dérivent de cette hymne ou que celle-ci au contraire soit imitée d’eux, ils représentent au moins comme elle la tradition de la fin du quatrième siècle.

[45] Lettre d’Osius à Constance, fils de Constantin, dans saint Athanase, Hist. arian., 44. Cf. saint Athanase, Apol. de fuga, 7 ; Eusèbe, De vita Const., II, 63, 73 ; Sozomène, Hist. Ecclés., I, 16.

[46] Prudence, Peri Stephanôn, IV, 81-88.

[47] Saint Cyprien, Ep. 68. Cf. les Dernières Persécutions du troisième siècle.

[48] Prudence, Peri Stephanôn, IV, 79-80. — L’hymne XI du même recueil est dédiée à un Valerianus, évêque de Saragosse.

[49] Idem episcopus impeditioris linguæ fuisse dignoscitur. Passio S. Vincentii, 1.

[50] D’après les Actes, le père de Vincent se nommait Euticius ; sa mère était d’Osca (Huesca), ville située tout au nord de la Tarraconaise, au pied des Pyrénées. Son grand-père, Agressus, avait été consul. La précision de ces détails généalogiques semble montrer que l’auteur écrivait d’après des documents ou des souvenirs bien conservés. Cependant le nom d’Agressus ne se trouve pas dans les fastes ; mais le personnage qui le porta peut avoir été consul suffect. Il peut aussi avoir reçu le titre et les ornements consulaires sans avoir été réellement consul. Cette distinction fut accordée fréquemment à des membres de grandes familles provinciales (cf. Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, t. I, p. 250, 252, 254).

[51] Passio S. Vincentii, 1.

[52] Prudence, Peri Stephanôn, IV, 53, 105-108. Quatre de ces martyrs s’appelaient Saturnin, les autres étaient Optat, Lupercus, Successus, Martial, Urbain, Jules, Quintilien, Publius, Fronton, Félix, Cécilien, Evotus, Primitivus, Apodemius ; ibid., 145-164.

[53] Peri Stephanôn, p. 30-32.

[54] Passio, 1.

[55] Inscriptions en l’honneur d’Esculape, des Parques, d’Hercule, de Jupiter Ammon, d’Isis et Sérapis, confrérie des serviteurs d’Isis (sodalicium vernarum Isiacorum) ; Corpus. inscr. lat., t. II, 3723, 3725, 3726, 3727, 3728, 3729, 3730, 3731. Cependant Valence était encore, au quatrième siècle, une ville obscure, devant toute son importance au voisinage de l’antique Sagonte, urbs ignota, prope littus allæ Sagonti, dit Prudence, Peri Stephanôn, IV, 97-100 ; les inscriptions, en effet, n’y montrent pas celte vie municipale si intense quelles révèlent en tant d’autres cités espagnoles ; voir Corp. inscr. lat., t. II, p. 501.

[56] Cf. Edmond Le Blant, Les Actes des martyrs, § 34, p. 89.

[57] Sur le symbole du vase, employé par l’antiquité païenne et chrétienne pour représenter le corps, habitacle et prison de l’âme, voir Rome souterraine, p. 329-331, et mon article sur le Symbolisme chrétien au quatrième siècle, dans la Revue de l’art chrétien, 1885 (tirage à part, p. 22-23).

[58] Peri Stephanôn, V, 153-172.

[59] Les discours prêtés à Vincent par l’auteur des Actes, aussi longs que ceux que lui attribue poétiquement Prudence, sont beaux, mais sentent aussi l’amplification.

[60] Peri Stephanôn, V, 181-184. — Les Actes ne rapportent pas cette demande, si caractéristique de la persécution de Dioclétien.

[61] Transferatur hic ad legitimam quæstionem, ac percurrat molestiora tormenta. Passio, 7 ; Ruinart, p. 393. Cf. legitime coctus ; Lactance, De mort. pers., 13.

[62] Peri Stephanôn, V, 206-208.

[63] Cf. Revue des Questions historiques, avril 1884, p. 349-351.

[64] Lactance, De mort. pers., 17. — Hunziker (Regierung und Christenverfolgung des Kaisers Diocletianus und seiner Nachfolger, p. 184 et suiv.) et Mason (The persecution of Diocletian, p. 205-206) ont contesté la date donnée par Lactance, et soutenu que Dioclétien arriva à Rome environ un mois plus tard, puisque deux lois citées au Code Justinien (II, III, 28 et IV, XIX, 21) sont datées de villes de Mésie, les 3 et 8 décembre, Dioclétien et Maximien étant consuls ; l’une de ces lois porte même la mention expresse du huitième consulat de Dioclétien et du septième de Maximien, ce qui ne laisse pas de doute sur la désignation de l’année 303. Mais si Dioclétien n’arriva à Rome que vers le milieu de décembre au plus tôt, il est impossible qu’il ait pu y célébrer les vicennales, le triomphe, et en partir ensuite, comme le dit plus loin Lactance, treize jours avant le 1er janvier. Il faut donc qu’il y ait une erreur de copiste, et je crois qu’elle se trouve plutôt dans le Code que dans Lactance, dont le texte deviendrait incompréhensible si la date donnée par le Code devait être conservée.

[65] Vopiscus, Carinus, 20.

[66] Spectante censore. Vopiscus, Carinus, 20.

[67] Eusèbe, De mart. Pal., 2, 4.

[68] C’est l’opinion développée sans preuves par Mason, The pers. of Diocletian, p. 207-208.

[69] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 6, 9.

[70] Cette date résulte de De mort. pers., 35.

[71] Eusèbe, De mart. Pal., 2, 4. — Si l’on prend à la lettre Eusèbe, le martyre de Romain aurait eu lieu le même jour que celui d’Alphée et de Zachée, c’est-à-dire le 15 des calendes de décembre (17 novembre). Il semble qu’il y ait là une erreur de quelques jours, car l’historien dit expressément que Romain fut étranglé après que ses compagnons de captivité eurent été délivrés à l’occasion des vicennales, lesquelles furent célébrées, selon Lactance, le 12 des mêmes calendes, c’est-à-dire le 20 novembre ; nais la date donnée par Lactance est celle de la cérémonie qui eut lieu à Rome, et l’édit d’amnistie peut l’avoir devancée de quelques jours.

[72] Le neuvième de Dioclétien et le huitième de Maximien.

[73] Quibus solemnibus celebratis, cum libertatem populi romani ferre non poterat, impatiens et æger animi prorupit ex Urbe impendentibus Kalendis Januariis, quibus illi nonus consulatus deferebatur. Tredecim dies tolerare non potuit ut Romæ potius quam Ravennæ procederet consul. Sed profectus hieme, sæviente frigore, atque imbribus verberatus, morbum levem ac perpetuum traxit. Lactance, De mort. pers., 17.

[74] Lactance, De mort. pers., 17.

[75] Cela résulte de Peri Stephanôn, V, 549-556.

[76] Peri Stephanôn, V, 241-287.

[77] Salluste, De Bello Catilinæ, 55.

[78] Tite-Live, XXXIX, 44 ; Festus, v° Robur.

[79] Eusèbe, Hist. Ecclés., V, 1, 39 ; Passio S. Pionii, II ; Acta S. Felicis, 4 ; Acla SS. Tarachi, Probi, Andronici, 6.

[80] Passio S. Vincentii, 8 ; Peri Stephanôn, V, 249-252.

[81] Saint Paulin, Natale S. Felicis, IV ; saint Damase, De Eutychio martyre, dans De Rossi, Inscriptiones christianæ urbis Romæ, t. II, p. 66, 89, 105, 441.

[82] Passsio S. Vincentii, 8 ; Peri Stephanôn, V, 253-264.

[83] Passio, 8 ; Peri Stephanôn, V, 269-304.

[84] Peri Stephanôn, V, 305-332.

[85] Peri Stephanôn, V, 345-345.

[86] Peri Stephanôn, V, 333-334.

[87] Peri Stephanôn, V, 385-392.

[88] Passio, 10 ; Peri Stephanôn, V, 349-420.

[89] Peri Stephanôn, V, 347-512.

[90] Peri Stephanôn, V, 513-516.

[91] Peri Stephanôn, V, 545-560.

[92] Le gril de saint Laurent représenté sur une médaille du cinquième siècle (Bullettino di archeologia cristiana, 1869, p. 50) a la forme d’un lit de fer.

[93] Ou plutôt de la province d’Europe. Héraclée ou Perinthus, aujourd’hui Eregli, était sur le rivage de la Propontide, à peu de distance de Byzance.

[94] 6 janvier. C’est la plus ancienne mention qui soit faite de la solennité de l’Épiphanie ; Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 249 ; Kraus, Real Encykl. der christl. Alterlh., t. I, art. Feste, p. 492 et 495. Elle a d’autant plus de valeur que, comme le dit M. Duchesne (Bulletin critique, 1890, p. 42), la Passion de saint Philippe est l’œuvre d’un auteur absolument contemporain. Encore que cet auteur ait pu arranger, selon l’usage antique, les discours tenus par les personnages, il est clair qu’il s’est inspiré, dans la composition, des usages du commencement du quatrième siècle.

[95] Stationarius. Voir Du Cange, s. v.

[96] Passio S. Philippi, episcopi Heracleæ, 1-4 ; dans Ruinart, p. 443-444.

[97] Ce cognomen étrange se retrouve dans les inscriptions du sud-est de l’Europe. L’épitaphe d’un soldat natus in provincia Thracia, civitate Philippopoli, nomme sa femme, Tataza Mucapora, Orelli-Henzen, 6832. On rencontre le cognomen Mucapor dans la Dacie et la Mésie inférieure, Corpus inscr. lat., t. III, 799, 852, 6150 ; dans les mêmes régions le cognomen féminin Mucapuis, ibid., 809.

[98] Passio S. Philippi, 7, 10.

[99] Passio S. Philippi, 7, 4.

[100] Ipsum etiam dominici (sur ce mot comme synonyme d’église voir Bullettino di archeologia cristiana, 1863, p. 26) tectum devoluto omni tegularum fraudabatur ornatu. Passio S. Philippi, 5. Ce texte est précieux, car il nous montre une église décorée, au commencement du quatrième siècle, d’ornements extérieurs. Ce sont peut-être simplement les antéfixes sculptés, de marbre ou de terre cuite, que le gouverneur ordonne d’arracher ; à moins qu’il ne s’agisse ici des tuiles de métal, dorées ou argentées, dont était souvent décoré le toit des édifices antiques. Une inscription du musée de Vienne, en France, parle de tegulæ æneæ auratæ. Voir Héron de Villefosse et Thédenat, Trésors de vaisselle d’argent trouvés en Gaule, dans la Gazette archéologique, 1885, p. 323.

[101] Passio, 5. Voir sur ce passage Führer, dans Mittheilungen des K. deutschen archeologischen Instituts, section romaine, t. VII, 2, 1892 (à propos de la mention, dans le discours de Philippe, de la destruction de la statue du Soleil élevée par Elagabal sur le Palatin, et de l’incendie de la statue d’Athéna Parthenos sur l’Acropole).

[102] Le culte des empereurs devait être d’autant mieux observé à Héraclée, que depuis la destruction de Byzance par Septime Sévère elle était devenue cité néocore à la place de cette dernière ville ; Corpus inscr. græc., t. II, p. 67. Sur les villes néocores, voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd.

[103] Si l’intérieur de la Thrace, où domina longtemps l’élément celtique, ne se laissa qu’imparfaitement pénétrer par la civilisation grecque, celle-ci était au contraire très répandue dans les villes de la côte ou dans les !les, et l’on y trouvait de beaux modèles d’art : rappelons-nous la merveilleuse Victoire de Samothrace, au musée du Louvre.

[104] Culte de la Fortune en Thrace ; inscriptions commençant par la formule (fréquente, il est vrai, dans tout le monde grec) Άγαθή Τύχη à Héraclée, Corpus inscr. græc., 2020, 2022, 2024 ; à Philippopolis, 2047, 2049 ; à Mesambria, 2053, 2053 c, 2054.

[105] C’est peut-être pour éviter cette séduction par l’art que Clément d’Alexandrie, au second siècle, recommande aux chrétiens de ne pas jeter les yeux sur le visage des idoles. Pædag., XIII, 1. M. Edmond Le Blant a oublié de citer ce passage, dans son curieux chapitre sur le culte de la beauté au temps des persécutions ; les Persécuteurs et les martyrs, p. 49-50.

[106] Passio, 6, 7.

[107] Cette brutalité est dans les mœurs antiques : un sarcophage d’Arles montre un accusé poussé vers le juge par un homme qui le frappe avec une pierre ; voir Edmond Le Blant, Études sur les sarcophages chrétiens antiques de la ville d’Arles, pl. VIII ; Revue archéologique, janvier 1889, p. 30.

[108] Circulo cameræ. Sur le mot camera ou camard, voir Dictionnaire des Antiquités, t. I, p. 854-856.

[109] Passio, 7.

[110] Saint Augustin, Enarr. in psalm., XLIII.

[111] Acta SS. Saturnini, Dativi, et aliorum plurimorum martyrum in Africa, 3, dans Ruinart, p. 410.

[112] On a trouvé à Guelma une inscription gravée sur marbre et portant : HIC RELIQVIAE BEATI PETRI APOSTOLI ET SANCTORUM FELICIS ET VINCENTII MARTURVM. Il s’agit probablement ici d’un des trois Félix et de Vincentius, qui font partie du groupe de nos martyrs. Voir Compte rendu de l’Académie des inscriptions, 22 mai 1896.

[113] Ce cognomen se rencontre fréquemment dans les inscriptions africaines. Le t. VIII du Corpus le donne, pour des hommes, aux n° 1722, 2783, 2981, 3016, 10746, pour des femmes aux n° 284, 343, 753, 1308, 2064, 2067, 2225, 4336, 4738, 5202, 8196, 8518, 8552, 8591, 8947, 10654. Major, que cite l’auteur des Actes au milieu d’une liste de noms féminins, est probablement une femme : ce cognomen assez bizarre est, comme on vient de le voir, beaucoup plus fréquent chez les femmes que chez les hommes.

[114] Acta, 2.

[115] Acta, 4.

[116] Acta, 11.

[117] Sur les passages qui calomnient les évêques de Carthage Mensurius et Cœcilianus, voir le chapitre précédent. Ruinart les a retranchés de son édition ; on les trouvera dans Baluze, Miscellanea, t. I, p. 12, 17, 18. Je citerai habituellement les Actes d’après Ruinart, et pour les seuls passages omis par celui-ci je renverrai à Baluze.

[118] Saint Augustin, Brev. coll. cum donat., III, 32.

[119] Consulibus... Diocletiano novies et Maximiano octies, pridie idus februarias. Saint Augustin, Brev. coll. cum donat., III, 32. — La version donatiste porte cette indication incomplète : Sub Anulino tunc proconsule Africæ, die pridie idus februarii. L’omission de la date consulaire suffit à prouver que les Gesta présentés à la conférence de 411 sont distincts de cette version. On voit, par le débat qui eut lieu alors, que les donatistes tentèrent de dissimuler l’époque exacte du martyre de nos saints, aria de faire croire qu’il eut lieu dans l’année même où les catholiques plaçaient le synode de Cirta, et d’en tirer argument pour contester la possibilité de la réunion de ce synode en pleine persécution. C’est probablement par continuation de ce système que le compilateur des Actes a pris soin d’omettre la date consulaire, conservant seulement celle du jour et du mois.

[120] Ab officio proconsuli offeruntur, suggeriturque quod a magistratibus Abitinensium transmissi essent christiani, qui contra interdietum Imperatorum et Cœsarum collectam et dominicum celebrassent. Acta, 5. — Collecta, de colligere, collegium : on retrouve ce mot, avec le sens d’assemblée religieuse, dans saint Jérôme, Ep. 27 (alias 108). — Dominicum, avec le sens de sacrifice eucharistique : voir saint Cyprien, Ep. 63 ; cf. Kraus, Real-Encykl. der christl. Alterthümer, t. I, p. 374.

[121] Christiani sumus nos. Nos collegimus. Acta, 5.

[122] Parce. Voir Edmond Le Blant, les Actes des martyrs, p. 167.

[123] Acta, 5, 6.

[124] Acta, 7.

[125] Acta, 7.

[126] Acta, 8.

[127] Diabolus, διάβολος, accusateur, calomniateur.

[128] Acta, 9.

[129] Acta, 10.

[130] Ejus professionem in memoriam una cum ceterorum confessionibus redigens, Acta, 11. Ruinart, p. 415, note, entend cette phrase de la rédaction du procès-verbal, le mot memoria désignant le registre consacré à le recevoir ; cf. Du Cange, v° Memoria.

[131] Acta, 12, 13.

[132] Acta, 14.

[133] Acta, 15.

[134] Acta, 16.

[135] Acta, 17.

[136] Tillemont, Mémoires, t. V, note VIII sur les saints Saturnin et Dative, accepte la dernière partie des Actes ; en l’arrangeant, et en lui ôtant le venin qu’y avait répandu la plume de l’auteur donatiste. Je crois plus sûr de la rejeter tout entière : le fait, accepté par Tillemont, d’un concile contre les traditeurs tenu dans la prison par des évêques captifs me parait aussi peu croyable que l’assertion, rejetée par lui, d’après laquelle Mensurius, évêque de Carthage, et son diacre Cæcilianus auraient aposté des gens devant la prison pour repousser à coups de fouet les chrétiens qui voulaient porter des vivres aux martyrs.

[137] Anulino proconsule, aliisque persecutoribus interim circa alia negotia occupatis, beati martyres isti corporeis alimentis destituti, paulatim et per intervalla dierum naturali conditioni, famis atrocitate cogente, cesserunt, et ad siderea regna cum palma martyrii migrarunt. Baluze, Miscellanea, t. I, p. 18.

[138] Ex his martyrum gestis quæ ipsi proferebant admoniti sumus et in alia fiesta martyrum intendere ; et invenimus, et diximus, fervente tempore persecutionis, et privatam domum... congregationi christianorum fuisse concessam, et in carcere fuisse martyres baptizatos... in ipso carcere celebrabantur sacramenta Christi, in quo inclusi homines tenebantur pro fide Christi. Saint Augustin, Ad donatistas post collationem, 18. — Il suffit de lire ce texte pour reconnaître que les Actes qui y sont résumés sont différents de ceux de Saturnin et de ses compagnons, et se rapportent à un épisode distinct : le détail du baptême dans la prison ne se rencontre nulle part dans les Actes de saint Saturnin, dont la dernière partie décrit cependant très longuement la vie et les, occupations des chrétiens captifs.