La persécution de Dioclétien et le triomphe de l’Église

CHAPITRE NEUVIÈME — LES CHRÉTIENS DEPUIS L’ÉDIT DE TOLÉRANCE DE GALÈRE JUSQU’À LA GUERRE DE MAXIMIN CONTRE L’ARMÉNIE (311-312).

 

 

I. — L’édit de tolérance et la mort de Galère.

Pendant que le palais de Salone était témoin du désespoir de Dioclétien, celui de Sardique, en Mésie, ‘abritait d’autres douleurs impériales. Ce n’était point une peine morale qui torturait Galère, mais la souffrance physique de la maladie et l’abjecte peur de la mort. A chacun des persécuteurs Dieu envoie le genre de châtiment qu’il paraît plus capable de sentir : Dioclétien est humilié dans son orgueil ou affligé dans ses affections ; le violent et grossier Galère se voit terrassé par un mal implacable, qui le rend pour tous un objet d’horreur. En le faisant descendre au-dessous de l’humanité, la souveraine justice contraint le brutal instigateur de la persécution à demander grâce, tandis que l’âme plus délicate et meilleure de Dioclétien, coupable surtout de faiblesse, est punie par ce qu’elle a d’humain.

Galère fut atteint, en 310, d’une maladie dont les contemporains ont laissé de longues et dégoûtantes descriptions. Un abcès, dans la partie inférieure du corps, s’envenima peu à, peu. L’abcès creva : il y eut successivement plusieurs hémorragies. La gangrène parut enfin. Vainement les médecins tentaient de l’arrêter en coupant les chairs corrompues : elle gagnait toujours. Le mal n’était pas à la surface seulement, il avait atteint les entrailles. Le malheureux Auguste pourrissait vivant. Lés vers sortaient de son corps : on ne pouvait donner au malade quelque soulagement qu’en lui appliquant des morceaux de viande où ils se jetaient. L’odeur de ce cadavre animé était telle, que plusieurs médecins n’osèrent en approcher, et furent mis à mort pour cet involontaire outrage à la majesté impériale. D’autres payèrent de leur tête l’insuccès de leurs remèdes[1].

Étrange maladie ! on pourrait l’appeler le mal des persécuteurs. Au temps des Macchabées, Antiochus Épiphane voit les vers sortir de sa chair vivante, et, répand une si affreuse odeur que tout le camp est incommodé[2]. L’auteur du massacre des saints Innocents, Hérode le Grand, meurt dans le même état[3]. Le persécuteur de l’Église naissante de Jérusalem, Hérode Agrippa, expire dévoré par les vers[4]. Sous Septime Sévère, le légat de Cappadoce, Claudius Herminianus, qui a cruellement tourmenté les chrétiens, reste abandonné de tous dans son palais, où les vers le consument[5].

La science des médecins paraissait impuissante : Galère se tourna vers les dieux. Il envoya consulter Apollon et Esculape. Apollon avait été interrogé déjà, neuf ans plus tôt, et la réponse de ses prêtres avait poussé à la persécution. Cette fois, l’oracle indiqua un remède, qui fit beaucoup de mal au persécuteur[6]. Les souffrances de Galère devinrent intolérables. Alors, vaincu par la douleur, il reconnut la main qui le frappait. Si l’on en croit une addition de Rufin à l’Histoire d’Eusèbe, ce fut un mot d’un de ses médecins qui lui ouvrit les yeux. Le médecin venait d’être condamné à mort, comme l’avaient été plusieurs de ses collègues, pour n’avoir pas su guérir un mal inguérissable. Avant de quitter la chambre impériale et d’aller au supplice, il dit à Galère : Tu te trompes, empereur, en croyant que les hommes puissent te sauver d’un mal envoyé par Dieu. Ceci n’est point une maladie humaine et du ressort des médecins. Rappelle-toi tes cruautés envers les serviteurs de Dieu, ton impiété envers sa religion : tu sauras où doit être cherché le remède. Tu peux me faire mourir avec les autres : mais, sache-le, pour toi les médecins ne peuvent rien[7]. Que ces paroles aient été réellement prononcées, ou que Galère se les soit dites à lui-même dans le silence de ses nuits d’insomnie, elles expriment les réflexions qui durent se présenter à son esprit quand il vit les hommes et les dieux également impuissants à le soulager.

N’apprenez pas mon état aux chrétiens, de peur qu’ils ne se réjouissent, s’écriait de son lit d’agonie le légat de Cappadoce, en proie à la même maladie que Galère[8]. Une telle parole est d’un particulier, non d’un roi. Tout, chez un souverain, doit être public, le repentir comme le crime. Cette publicité même est une partie du châtiment. Il faut que l’humiliation soit complète, et que la même main qui a écrit l’édit de persécution l’efface à la vue du monde entier. La peur y va contraindre Galère. Son histoire avait été d’avance racontée dans le livre des Macchabées. Quand Antiochus sentit l’odeur insupportable qui s’exhalait de ses plaies, il s’écria : Il est juste de se soumettre à Dieu et de ne pas se croire son égal ! Il pria donc le Seigneur et tenta de composer avec la justice divine, promettant de rendre libre la cité sainte, dont il avait juré la ruine, d’accorder les droits dont jouissaient les Athéniens à ce peuple juif auquel naguère il refusait la sépulture, de se faire juif lui-même. Puis, voyant que la main de Dieu ne se retirait pas de lui, il écrivit à ceux qu’il avait persécutés une lettre étrange, dans laquelle il leur parlait de ses bienfaits et recommandait son fils à leur fidélité[9]. Galère aux abois montra le même repentir, intéressé et sans grandeur. Quand la moitié de son corps fut devenue d’une maigreur de squelette et l’autre d’une enflure démesurée[10], il se décida, comme Antiochus, à traiter avec Dieu. On l’entendit, lui aussi, s’écrier dans les intervalles que lui laissait la souffrance : Je rétablirai le temple de Dieu ! je satisferai pour mes crimes ![11] Mais, dans la ruine de son corps, l’indomptable orgueil restait debout : Galère essaya de le sauver en couvrant d’un langage hypocrite l’aveu public de sa défaite. C’est ainsi qu’il rédigea ce singulier édit, moitié insolent, moitié suppliant, qui commence par insulter les chrétiens et finit par leur demander de prier leur maître pour lui[12].

Entre toutes les mesures que nous n’avons cessé de prendre pour le bien et l’utilité de la République, nous avions voulu naguère ramener toutes choses aux anciennes lois et à la discipline traditionnelle des Romains, et pourvoir en particulier à ce que les chrétiens, qui avaient abandonné la religion de leurs pères, revinssent à de meilleurs usages. Mais telle fut leur mauvaise volonté et leur folie, qu’ils ne suivaient même plus les anciennes coutumes que leurs premiers fondateurs avaient instituées, mais qu’ils se faisaient des lois selon leurs caprices, et tenaient en divers lieux des assemblées différentes. Enfin, après que nous eûmes commandé que chacun retournât aux coutumes des anciens, beaucoup obéirent par crainte, beaucoup aussi furent châtiés , mais comme le plus grand nombre persévérait dans son obstination, et que nous voyions que d’une part ils ne rendaient pas aux dieux le culte et l’honneur qui leur sont dus, que d’autre part ils n’adoraient même pas le Dieu des chrétiens, n’écoutant que notre extrême clémence et notre perpétuelle disposition à traiter doucement tous les hommes, nous avons cru devoir étendre à eux aussi notre indulgence, et permettre que les chrétiens existent désormais et rétablissent leurs assemblées, pourvu qu’ils ne fassent rien contre la discipline. Par une autre lettre nous informerons les magistrats des règles qu’ils doivent suivre. En retour de notre indulgence, ils devront prier leur Dieu pour notre salut, pour celui de l’État et pour le leur propre, afin que partout la République soit prospère et qu’eux-mêmes puissent vivre tranquilles dans leurs demeures[13].

Peu d’écrits trahissent autant que celui-ci la dissimulation et la peur. Pas- une parole n’est franche et ne va droit au but. Au lieu d’avouer honnêtement son erreur, Galère essaie de ruser avec l’opinion publique, avec sa conscience et avec Dieu. Il tente de fausser l’histoire par un ridicule mensonge qui ne pouvait tromper aucun des contemporains, témoins et lecteurs des édits de persécution : qui sait si, dans sa superstition grossière, il ne se flatte pas de duper le Christ lui-même et de se justifier devant lui par la plus misérable des excuses ? Galère, à l’en croire, ne voulut pas être le persécuteur du christianisme ; mais son réformateur. La cruelle politique imposée par lui à Dioclétien et suivie depuis 303 eut moins pour objet de ramener violemment tous les hommes au culte des dieux et de détruire la religion chrétienne, que de rétablir celle-ci dans sa pureté primitive. On n’attaqua pas l’Église, mais les sectes qui la déchiraient[14]. C’est dans l’intérêt de l’orthodoxie, menacée par les divisions intestines des fidèles, que les mines ont été remplies de confesseurs estropiés, que les sanctuaires chrétiens ont été abattus, les Écritures brillées, que les amphithéâtres ont bu le sang des martyrs, et que les bûchers fument encore ! Voilà ce qu’insinue Galère[15] dans un langage ambigu, embarrassé, où la phrase, en ses longs replis, a des allures fuyantes et tortueuses, où les mots eux-mêmes offrent souvent deux sens. Le style impérial ne se retrouve que dans le dispositif, dont la netteté fait un frappant contraste avec cet étrange exposé des motifs, et en éclaire d’une lueur impitoyable la fausseté. Les chrétiens reçoivent la permission d’être et de rebâtir leurs églises[16]. Puis l’hypocrite se montre de nouveau dans l’invitation finale, où Galère les engage à prier non seulement pour son salut, mais pour l’État et pour eux-mêmes. Le persécuteur malade sollicite l’intercession de ses victimes à la manière d’un pauvre honteux, qui n’ose demander franchement l’aumône, et enveloppe sa requête dans une formule équivoque, où il faut la deviner. Qui donc a vu dans l’édit de Galère une impériale et fière rétractation[17] ? Ce n’est même pas l’acte d’un pécheur repentant[18], car le repentir parle un autre langage ; c’est une réparation tardive arrachée par la crainte à la souffrance, et où ne se retrouve nulle part l’accent d’une de ces confessions sincères qui honorent le coupable et désarment la justice de Dieu.

Ce singulier document, en tête duquel furent mis, avec les noms de Galère, ceux de Constantin et de Licinius, avait été probablement rédigé dès 310[19] ; mais il fut seulement promulgué l’année suivante. Le 30 avril, Lactance le lut sur les murs de Nicomédie. On se hâta de le publier dans la Bithynie, le Pont, la Galatie, l’Asie, la Cappadoce, dans toutes les provinces asiatiques de la juridiction de Galère, dans celles qu’il possédait en Occident, dans les États de Licinius, même dans ceux de Constantin, où cependant la persécution n’avait pas besoin d’être arrêtée. Maxence, dont l’autorité n’était pas reconnue par Galère et dont le nom, par conséquent, ne figurait pas en tête de l’édit, ne lui donna pas force de loi dans l’Italie, ni dans l’Afrique rentrée en 311 sous son obéissance ; mais la paix (une paix précaire et souvent troublée) existait pour l’Église dans tous les pays où il dominait. Restaient ceux de Maximin Daia, c’est-à-dire- la Cilicie, la Syrie et l’Égypte. Le nom de cet empereur n’est pas cité dans la suscription de l’édit, telle que la rapporte Eusèbe. Peut-être n’osa-t-on demander l’adhésion de ce féroce persécuteur, le plus cruel qu’aient eu encore les chrétiens[20], ou même la refusa-t-il pour conserver sa liberté d’action. Cependant, il lui était difficile de paraître ignorer complètement un acte qui, d’après la fiction constitutionnelle introduite lors de l’établissement de la tétrarchie, émanait du collège impérial tout entier et faisait loi pour l’universalité de l’Empire. Il paraît s’être arrêté à un moyen terme. Sans promulguer textuellement l’édit des trois empereurs dans les provinces de sa juridiction, il intima verbalement à ses ministres (c’est-à-dire au préfet du prétoire et au vicaire du diocèse d’Orient) l’ordre de cesser la persécution, et les chargea de communiquer cet ordre aux gouverneurs des diverses provinces[21]. Par ce moyen, Maximin se donnait vis-à-vis de ses collègues et même de ses sujets le mérite d’acquiescer à l’édit ; mais en même temps il se gardait d’engager publiquement sa parole, et se contentait de transmettre par la voie hiérarchique des instructions destinées aux seuls fonctionnaires, dépourvues de solennité, et toujours révocables. Voici la circulaire que Sabinus, préfet du prétoire, adressa à tous les gouverneurs ; Eusèbe l’a traduite en grec, d’après l’original latin :

Depuis longtemps la Majesté de nos seigneurs les très sacrés empereurs avait résolu, dans sa continuelle sollicitude, de ramener tous les hommes à une vie pieuse et régulière, de telle sorte que ceux qui paraissaient embrasser des rites étrangers et contraires aux institutions romaines rendissent désormais aux dieux immortels le culte qui leur est dît. Mais l’entêtement et l’obstination de quelques-uns se sont montrés si grands, que ni la justice du commandement impérial, ni la crainte de supplices imminents, ne les ont pu détourner de leur résolution. Et comme il arrivait que, pour ce motif, un grand nombre se jetaient dans d’extrêmes périls, la Majesté de nos seigneurs les invincibles princes, remplie de pitié et de clémence, a commandé à notre dévotion d’envoyer cette lettre à votre sagesse : afin que si quelqu’un des chrétiens était surpris observant la religion de sa secte, vous le délivriez de toute inquiétude et de toute vexation et ne lui infligiez aucune peine, car une très longue expérience nous a prouvé qu’il n’existe aucun moyen de les détourner de leur entêtement. Votre zèle doit donc écrire aux curateurs, aux stratèges et aux préposés des bourgs, dans chaque cité, afin qu’ils sachent que, à l’avenir, il n’est plus permis de s’occuper de cette affaire[22].

Entre l’édit de 311 et la lettre émanée du prétoire de Maximin, les différences sont considérables. Ni la forme ni le fond ne se ressemblent. Maximin n’éprouve pas le besoin de défendre sa conduite antérieure, et ne cherche pas à la déguiser sous des couleurs mensongères. Ce n’est pas lui qui se poserait en ami méconnu des chrétiens. Il dit sans ambages que le but de la politique impériale a été, jusqu’à ce jour, de ramener de force au pied des autels des dieux les dissidents qui s’en étaient écartés. Il parle des supplices dont la terreur n’a pu contraindre ceux-ci à l’obéissance. Avec une franchise dont il convient de lui savoir quelque gré, Maximin avoue que l’obstination des chrétiens a été plus forte que la volonté des empereurs. Rien de doucereux et d’attendri dans son langage ; rien qui marque le regret ou lé remords. Il n’a nulle envie de solliciter de ses victimes des prières pour son salut et pour la prospérité de son Empire. On comprend, en lisant le document rédigé par son ordre, que s’il se résigne à mettre un terme dans ses États à la persécution, c’est parce qu’il ne peut, seul, résister à la majorité de ses collègues ; mais, si le lion est muselé, le tranchant de sa griffe se sent au style court, sec, impérieux et maussade. Rarement grâce fut accordée avec une mauvaise humeur moins déguisée. Le fond même, si l’on y regardait bien, n’était pas plus rassurant que la forme. Les mots essentiels de l’édit des trois empereurs manquent dans la lettre du prétoire de Maximin. Galère avait rendu aux chrétiens le droit d’être, c’est-à-dire reconnu leur existence légale ; Maximin prescrit seulement de ne pas les inquiéter, substituant ainsi au droit une simple et précaire tolérance. Il n’est pas question, sous sa plume, de l’autorisation donnée par Galère de rebâtir les églises. Dans l’édit, l’exposé des motifs paraissait vague, confus, contradictoire, le dispositif seul était net et clair. Dans la lettre, au contraire, l’exposé n’offre aucune ambiguïté, mais le dispositif est plein de réticences, qui cachent des pièges.

Le désir de la paix était si universel, que personne ne voulut les apercevoir. Dans les États de Maximin comme dans ceux de Galère la joie fut sans mélange. Les prisons s’ouvrirent, les mines se vidèrent. Les magistrats avaient autant de hâte d’en tirer les confesseurs que ceux-ci d’en sortir[23]. Quelques-uns, comme Donat, à Nicomédie, étaient depuis six ans dans les fers[24]. Bientôt les routes furent pleines d’exilés qui se hâtaient vers la patrie. On oubliait les plaies encore vives, les mutilations, les infirmités ; le bonheur rendait des forces et semblait donner des ailes. Les confesseurs marchaient en troupes, trompant par des chants d’allégresse la fatigue du chemin : quand ils arrivaient dans les villes, ils se formaient en longues processions et parcouraient les rues, les places, avec des hymnes d’actions de grâces[25]. Quelquefois s’approchaient timidement des chrétiens moins fermes, qui avaient eu le malheur de faillir pendant la persécution ; ils saisissaient la main de ces frères retrouvés, de ces héros de la foi, et les priaient de demander grâce à Dieu pour eux[26]. Puis les groupes se rompaient, et l’on voyait les confesseurs se hâter, rayonnant de joie, vers leurs maisons qu’ils avaient cru ne jamais revoir[27]. Peu à peu, ou plutôt, dit Eusèbe, avec une promptitude incroyable, les communautés chrétiennes se reformèrent, les Églises se relevèrent des ruines matérielles et morales sous lesquelles elles avaient paru ensevelies, les offices recommencèrent[28]. Témoins de tant de scènes grandioses ou touchantes, d’une si rapide et si merveilleuse résurrection, les païens ne pouvaient cacher leur surprise ; on les entendait parfois s’écrier : il est seul grand, il est seul vrai, le Dieu que les chrétiens adorent ![29]

Galère ne vécut pas assez pour voir ce spectacle. Le Dieu qu’il implorait en injuriant ses fidèles ne se laissa pas toucher par un repentir tardif et des mensonges intéressés. L’instigateur clé la persécution, l’auteur de tous les maux de ce temps, le mauvais génie de Dioclétien, mourut dès le mois de mai, après des souffrances horribles ; près de son lit était accouru Licinius, moins peut-être pour adoucir les derniers moments de l’Auguste auquel il devait la pourpre, que pour mettre plus vite la main sur son héritage. Au moment d’expirer, Galère recommanda sa femme Valérie et son fils Candidien à la protection de cet ami sûr[30], qui deux ans plus tard les fera tuer.

 

II. — Attaques insidieuses de Maximin contre le christianisme.

La mort de Galère faillit être l’occasion d’une nouvelle guerre civile. Deux prétendants se présentaient pour recueillir sa succession. Pendant quelque temps, les armées de Licinius et de Maximin furent en présence et semblèrent se regarder, menaçantes, des deux côtes opposées de la Propontide. Enfin, dans ce détroit de Chalcédoine qui formait, selon les cas, la borne ou le trait d’union de l’Orient et de l’Occident romains, les deux empereurs eurent une entrevue. Elle se termina par un accord, qui laissait à Licinius toute la dépouille européenne, à Maximin toute la dépouille asiatique de Galère, et portait les États du premier jusqu’aux rives de la Thrace, ceux du second jusqu’aux plages de la Bithynie[31].

On se figure l’impression que toutes ces nouvelles produisirent sur le triste reclus de Salone. Il avait probablement vu sans déplaisir la paix rendue aux Églises. C’était sans doute un complet démenti donné à sa politique religieuse ; mais cette politique avait été par lui subie plutôt que choisie de plein gré ; elle était surtout l’œuvre personnelle de Galère : Dioclétien s’en détachait aisément, si même, dans le secret de ses pensées, il ne l’avait plus d’une fois déplorée et maudite. Bien plus chère lui demeurait son œuvre politique. La tétrarchie avait déjà subi tant d’assauts, qu’il n’en restait, à vrai dire, que des ruines ; cependant les apparences subsistaient encore, et, tant que Galère avait été vivant, quatre empereurs (sans compter Maxence, traité par eux de rebelle) avaient gouverné le monde romain d’un commun accord. Aujourd’hui, Galère venait de disparaître : les survivants du collège impérial ne s’étaient point occupés de lui choisir un successeur. Loin de là, deux d’entre eux s’étaient rués sur ses États, se les étaient partagés comme une proie, après avoir été sur le point d’en venir aux mains ; le troisième Auguste n’avait même pas été consulté. Que restait-il de ce que voulut et rêva Dioclétien ? Pas même un souvenir, une ombre, une fiction. Il avait vu tomber ses statues ; il voyait maintenant s’en aller en poussière les derniers débris de son édifice politique.

Une peine plus intime lui fut peu après annoncée. Sa fille Valérie avait refusé de vivre dans les États de Licinius, à qui Galère mourant l’avait confiée. Elle croyait que sa retraite serait plus sure et plus honorée près du neveu de son époux, et alla demander asile à Maximin. Ce qui rassurait la jeune veuve, accoutumée aux soudaines et brutales passions de ces cours dissolues de l’Orient, c’était la présence d’une impératrice dans celle de Maximin : Licinius, au contraire, n’était pas marié, et lui faisait peur. Valérie ignorait sans doute la licence effrénée de son hôte. A peine eut-elle passé le détroit et se fut-elle installée dans les États de Maximin, qu’une injurieuse ambassade lui fut envoyée. L’empereur d’Orient faisait demander la main de cette femme encore enveloppée dans ses voiles de veuve. Il promettait de répudier l’impératrice, si Valérie l’acceptait pour époux. La fille de Dioclétien répondit aux envoyés avec la fierté d’une princesse, on dirait volontiers avec la pudeur blessée d’une chrétienne, si l’on était sûr qu’elle eût racheté par la pénitence l’apostasie que son père lui avait naguère imposée. Je ne saurais, dit-elle, entendre parler de mariage quand je porte ces tristes habits, quand les cendres de mon mari, l’oncle et le père adoptif de votre maître, sont encore tièdes. D’ailleurs, Maximin ne pourrait sans impiété répudier une épouse fidèle, en attendant qu’un nouveau caprice me fit répudier moi-même. Enfin, il serait sans exemple qu’une femme de mon nom, de mon rang, se mariât deux fois. Cette réponse, rapportée à Maximin, le mit hors de lui. L’amour méprisé se tourna en haine furieuse. Dès lors, la malheureuse femme se vit l’objet d’une persécution sans trêve : ses biens furent confisqués, ses eunuques massacrés, ses amies poursuivies d’infâmes accusations. Lactance cite trois dames de haute naissance et de haute vertu, immolées à Nicée, en haine de Valérie, sous la fausse inculpation d’adultère : on n’avait pu produire contre elles d’autre témoin qu’un juif perdu de crimes, qui, sur la promesse de l’impunité, consentit à se déclarer leur complice, et il fallut mettre sur pied toute une armée pour empêcher le peuple indigné d’arracher ces innocentes aux mains des bourreaux. Pendant ce temps Valérie, accompagnée de sa mère Prisca, qui vivait avec elle, errait d’exil en exil. L’ingénieuse cruauté de Maximin ne cessait de les tourmenter. Quand les deux princesses étaient arrivées à la résidence qui venait de leur être assignée, soudain on les faisait partir précipitamment pour une autre, comme si l’on dit voulu ne leur laisser aucun repos. Enfin, du fond des déserts de Syrie, Valérie parvint à informer Dioclétien de son triste sort. Mais celui-ci envoya vainement au persécuteur de nombreuses ambassades, lui rappelant ses bienfaits, le suppliant de lui rendre sa fille : Maximin, qui n’avait rien à craindre d’un vieillard désarmé, opposait à toutes les prières le plus brutal refus[32].

La résistance de Valérie, dont il n’ignorait pas l’ancienne religion, contribua peut-être à réveiller la haine de Maximin contre les chrétiens. Six mois ne s’étaient pas écoulés depuis la mort de Galère, que déjà il commençait à reprendre en détail les concessions accordées à l’Église[33]. La cauteleuse rédaction des lettres envoyées en son nom lui en laissait les moyens.

Il y avait dans chaque ville un lieu où les chrétiens s’étaient portés en masse dès qu’ils crurent pouvoir se rassembler de nouveau sans péril. C’était l’emplacement consacré par la sépulture des héros de la persécution. Là ; sur les tombeaux des martyrs, sur ces ossements sacrés qui gardaient la trace du feu, du glaive, de la dent des bêtes, des prêtres échappés eux-mêmes aux prisons ou aux mines offraient le saint sacrifice en présence de la foule enthousiaste des pèlerins. Maximin prit d’abord ombrage de ces réunions. De tels honneurs rendus à ses, victimes lui parurent une protestation contre lui-même. Peut-être l’accent de triomphe avec lequel les orateurs ecclésiastiques exaltaient la courageuse résistance des martyrs sonna-t-il à ses oreilles comme un défi ou comme un outrage. Maximin avait dû se résigner pour un temps à paraître vaincu, mais il rie voulait pas que sa défaite fût trop bruyamment célébrée. Il imagina, dit Eusèbe, un prétexte quelconque[34] pour intervenir : ce défenseur zélé des bonnes mœurs craignait-il qu’elles ne reçussent quelque atteinte des pieuses veillées qui, le soir, à la lueur indécise des torches ou sous la clarté douteuse de la lune, se prolongeaient dans les cimetières ? Dès le mois d’octobre 311[35] une ordonnance impériale interdit aux chrétiens d’y tenir désormais des assemblées[36]. C’est peut-être alors qu’ils s’aperçurent pour la première fois des réticences de la lettre de Maximin, muette à dessein sur ce droit de réunion que l’édit de Galène avait formellement restitué aux Églises.

Vers la fin de l’année, l’empereur parait avoir parcouru ses États, aussi bien ses anciennes provinces que celles qui lui provenaient de la succession de .Galère. Les principales villes de l’Orient reçurent sa visite. Des adresses lui furent partout présentées ; les malheureux provinciaux espéraient peut-être, à force de flatteries, désarmer le tyran, et protéger leurs femmes contre sa licence, leurs biens contre sa cupidité. Sur un point, ces adresses se ressemblèrent toutes, comme par l’effet d’un mot d’ordre. On savait qu’après l’avarice et la débauche Maximin n’avait pas de plus violente passion que la haine des chrétiens. Les députations qui le haranguaient au nom des cités, sûres de lui plaire, rivalisèrent de déclamations et de plaintes contre les amnistiés de la veille.

Le curateur d’Antioche, Théotecne, paraît avoir donné l’impulsion à ce mouvement. C’était, comme son homonyme de Galatie, un ambitieux sans scrupules, à la fois violent et rusé, capable de tous les crimes et de toutes les fautes[37]. Secrètement d’accord avec Maximin, il persuada sans peine à ses administrés que le meilleur moyen de faire leur cour à l’impérial visiteur serait de lui adresser une pétition contre les chrétiens. Jusqu’à l’arrivée de celui-ci, les sectateurs des deux religions avaient vécu en pais : les uns se réjouissaient peut-être un peu trop vite du repos recouvré après tant d’épreuves ; les autres éprouvaient peut-être quelque humiliation de cette joie ; mais l’harmonie n’était pas troublée, et une impression générale de bien-être remplaçait probablement, chez les païens eux-mêmes, l’agitation fébrile des temps de persécution. La venue annoncée de Maximin révéla tout à coup à ces derniers une incompatibilité jusqu’alors inaperçue. Avec la souplesse et la servilité des Orientaux, ils se hâtèrent d’entrer dans les vues du curateur, dont ils devinaient la conformité aux désirs du souverain. Celui-ci, dès son arrivée dans la métropole de l’Orient, reçut des réclamations contre les chrétiens. On exprima probablement, avec une apparente hardiesse que l’on savait devoir être bien reçue, le regret des concessions qui leur avaient été faites ; sans en demander la révocation formelle, les meneurs et les dupes qui prétendaient représenter les habitants d’Antioche sollicitèrent de l’empereur, comme le plus grand bienfait que la ville pût recevoir, l’interdiction pour tout chrétien d’habiter dans ses murs[38].

L’exemple d’Antioche fut suivi. L’entente était si bien établie entre l’empereur et les pétitionnaires, que les contemporains ont pu lui imputer, sans blesser la vraisemblance, d’avoir organisé les députations qui venaient l’entretenir des affaires de l’Église. C’est lui qui se les adressait, dit Eusèbe[39] ; Lactance ajoute : Il avait suborné des légations des cités, chargées de lui demander de ne pas permettre aux chrétiens de construire des lieux d’assemblées dans leur enceinte, afin de paraître prendre sous la pression de l’opinion publique les mesures auxquelles il était résolu[40].

Le texte de l’une de ces pétitions, celle des habitants de la province de Lycie et de Pamphylie, a été retrouvé dans les ruines d’Aricanda, petite ville lycienne. Elle est en grec, et s’exprime ainsi :

Aux sauveurs de tout le genre humain, aux augustes Césars Galerius Valerius Maximinus, Flavius Valerius Constantinus, Valerius Licinianus Licinius, supplique adressée par le peuple des Lyciens et des Pamphyliens.

Les dieux vos congénères, ô divins empereurs, ayant toujours comblé de faveurs manifestes ceux qui ont leur religion à cœur et les prient pour le perpétuel salut de nos maîtres invincibles, nous avons cru bon de recourir à votre immortelle Majesté, et de lui demander que les chrétiens, depuis longtemps impies et ne cessant de l’être, soient enfin réprimés et ne transgressent plus par leur culte mauvais et nouveau le respect que l’on doit aux dieux. Ce résultat serait atteint si, par votre divin et éternel décret, étaient interdites et réprimées leurs observances impies, et qu’on les forçât de’ pratiquer le culte des dieux vos congénères, de les invoquer pour votre éternelle et incorruptible Majesté, ce qui profiterait évidemment au bien de tous vos sujets[41].

L’une de ses réponses a été conservée par lui-même. Lorsque, l’année dernière, je fis mon heureuse entrée à Nicomédie, — écrit-il, en 312, à son préfet Sabinus, — les habitants de la cité vinrent au-devant de moi avec les images des dieux ; ils me supplièrent d’interdire à ces gens (les chrétiens) d’habiter dans leur ville. Sachant qu’il y avait dans le pays beaucoup de sectateurs de cette religion, je répondis que j’accorderais volontiers ce qui m’était demandé, mais que je ne voyais pas que la pétition émanât de tous les citoyens. Si donc il y en avait qui persistassent dans la superstition des chrétiens, chacun devait être libre de suivre ses sentiments et ses opinions ; si au contraire ces chrétiens voulaient revenir au culte des dieux, cela leur était permis. Cependant je jugeai nécessaire d’accueillir favorablement la pétition des habitants de Nicomédie, et celles qui me furent présentées avec de grandes instances par d’autres villes, qui demandaient aussi à être interdites aux chrétiens ; car on me fit observer que telle avait été la décision des empereurs qui m’avaient précédé ; qu’une telle mesure serait approuvée des dieux immortels, par lesquels sont conservés l’État et le genre humain tout entier ; que je devais, par conséquent, faire droit à la demande qui m’était adressée dans l’intérêt du culte des dieux[42].

Quand Maximin eut ainsi créé par des moyens factices un courant d’opinion, auquel après une feinte résistance il s’empressa de céder, sa joie éclata sans contrainte. Du rescrit envoyé aux Lyciens et aux Pamphyliens, et rédigé en latin, qui même en Orient était la langue officielle, il ne reste qu’un fragment ; mais ses lignes mutilées suffisent pour montrer à quels sentiments d’intérêt les meneurs du mouvement faisaient appel. Quelques témoignages de munificence que vous vouliez maintenant nous demander, — dit l’empereur aux pétitionnaires, — vous pouvez croire que dès à présent nous vous les donnons et que vous les avez reçus, car vous les obtiendrez sans retard et à jamais ; ils prouveront notre piété envers les dieux immortels et démontreront en même temps que vous avez acquis de notre clémence de justes récompenses pour vos fils et votre postérité[43]. Cette réponse, et au-dessous d’elle la supplique, furent à Aricanda gravées sur une stèle de marbre, que l’on exposa au forum. A Tyr, la manifestation fut plus éclatante encore. L’arrêté municipal interdisant, avec l’autorisation de l’empereur, le séjour de la ville aux chrétiens fut inscrit sur une tablette de bronze, que l’on attacha à une colonne érigée en mémoire de cet heureux événement ; au-dessous du décret se lisait un message de félicitations adressé par Maximin aux magistrats et au peuple[44]. Eusèbe en a pu prendre copie. C’est un véritable sermon païen. Ce genre d’éloquence avait été peu cultivé, tant que le paganisme demeura la religion dominante et maintint son empire sur la foule par le seul attrait des cérémonies et des fêtes ; nais, après que le christianisme, ‘en parlant aux &mes, en offrant à tous un enseignement dogmatique et moral, en mettant à la portée des plus humbles la plus sublime et la plus populaire des philosophies, eut agrandi l’horizon religieux des païens eux-mêmes, ceux-ci montrèrent des exigences nouvelles. Le peuple voulut entendre parler de ses dieux. La prédication dut sortir de l’antre des mystères ou de l’étroite enceinte de l’école pour retentir dans le temple et sur la place publique. Il fallut créer une sorte d’apologétique païenne, chargée d’expliquer ou de défendre une religion que la libre critique des missionnaires chrétiens battait tous les jours en brèche. Ce fut l’œuvre des néoplatoniciens, si mêlés depuis le troisième siècle aux affaires religieuses et politiques, si puissants à la cour des empereurs et en particulier à celle de Maximin. Il est difficile de ne pas reconnaître le style ou au moins l’inspiration de quelqu’un de ces conseillers favoris dans la lettre pastorale adressée par Maximin au peuple de Tyr. C’est le Te Deum du paganisme, chanté à la veille de sa dernière défaite.

Les faibles esprits ont recouvré des forces, — écrit l’impérial théologien, — les ténèbres de l’erreur, qui enveloppaient d’un mortel brouillard des hommes plus malheureux que coupables, se sont dissipées, la providence des dieux immortels a été enfin reconnue de tous. Je ne pourrais exprimer par des paroles la joie que j’ai ressentie quand je vous ai vus donner un si illustre exemple de piété envers les dieux. Personne n’ignorait votre dévotion. Elle vous avait été inspirée,’non par des discours frivoles, mais par de, continuels et d’admirables prodiges. Aussi votre cité avait-elle mérité d’être appelée la patrie et le domicile des immortels. Leur présence s’y était souvent manifestée. Maintenant, négligeant ses intérêts particuliers, ajournant les demandes qu’elle nous avait souvent présentées au sujet de ses propres affaires, votre ville n’a pas plutôt vu les hommes de nouveau séduits par ales vanités détestables, et le feu assoupi prêt à redevenir un grand incendie, qu’elle s’est réfugiée vers nous comme vers le siège de toute religion et nous a demandé protection et secours. Je ne doute pas que les dieux mêmes vous aient suggéré ce conseil salutaire, en récompense de votre piété. Jupiter très haut et très puissant, qui préside à votre illustre cité, qui préserve vos épouses, vos enfants, vos maisons, vos pénates de tout fléau, a disposé ainsi vos esprits, vous montrant ce qu’il y a d’excellent à rendre à lui et aux autres dieux le culte qui leur est dû. Qui serait assez fou, assez, dénué de sens commun, pour ne pas comprendre que la seule bienveillance des dieux fait que la glèbe ne repousse pas la semence que l’agriculteur lui a confiée ; que le .sol ne s’arme pas contre nous ; que les corps ne périssent pas par la sécheresse ; que la mer ne s’enfle pas sous le souffle furieux des vents ; que des tempêtes imprévues ne répandent pas partout la désolation et la ruine ; que la terre, mère et nourrice de toutes choses, ne tremble pas, secouée dans ses fondements ; que lés montagnes ne disparaissent pas, englouties dans des gouffres soudainement ouverts ? Personne n’ignore que de semblables calamités, et d’autres plus horribles encore, causées par la vaine et pestilentielle erreur de ces hommes scélérats, se sont produites naguère, au temps où cette erreur s’est répandue dans les esprits, et a presque couvert de son opprobre le monde entier. Quelques lignes plus loin, Maximin ajoute : Regardez dans les plaines les moissons fleuries, les épis ondulants, les prés émaillés de fleurs, grâce a des pluies propices ; regardez le ciel, devenu calme et tempéré. Réjouissez-vous de ce que par votre dévotion, par vos sacrifices, le puissant Mars a été apaisé ; vivez heureux, au sein d’une douce paix. Que ceux-là surtout se réjouissent, qui, délivrés de leur aveuglement, sont revenus à la saine raison ; ils ressemblent à des gens échappés de la tempête, ou guéris d’une grande maladie, à qui la vie offre de nouveau ses bienfaits. S’il en est encore qui persistent dans leur détestable erreur, ils seront, comme vous l’avez demandé, relégués loin de votre ville et de votre territoire ; afin que cette cité, complètement purifiée selon votre louable désir, puisse se donner tout entière au culte des dieux. Mais pour que vous sachiez combien votre demande nous a été agréable et combien, même sans pétition de votre part, nous sommes disposé à vous combler de faveurs, nous vous accordons d’avance celle que vous désirerez, si grande qu’elle puisse être, en échange de votre piété. Mettez-vous donc en mesure de demander et d’obtenir. Et faites cela sans retard. Le bienfait qu’aura reçu votre cité sera un témoignage perpétuel de votre dévotion envers les dieux ; il apprendra à vos enfants et à vos petits-enfants la récompense que de telles mœurs auront méritée de notre bonté[45].

Cette singulière épître fut communiquée d toutes les provinces, à la façon d’une encyclique[46]. Mais l’éloquence pastorale de Maximin, même accompagnée de présents aux villes sous la forme de remises d’impôts[47], n’aurait peut-être pas suffi à soulever contre les chrétiens les esprits fatigués d’une longue persécution, si l’empereur et ses complices n’avaient fait appel à la crédulité du peuple. Les néoplatoniciens excellaient dans les arts magiques. La théurgie n’avait pas de secrets pour eux. A côté de quelques illuminés de bonne foi, qui demandaient aux sciences occultes de compléter la philosophie, et à la magie de les conduire à l’extase, un grand nombre d’imposteurs avaient fait de la fraude religieuse un moyen de fortune. La cour de Maximin était leur rendez-vous naturel. Tout habile prestidigitateur, pourvu qu’il fût revêtu du manteau des philosophes, était sûr d’y devenir un personnage, bientôt un magistrat ou un gouverneur de province[48]. Telle fut l’ambition du curateur Théotecne. Il avait étudié la magie[49], savait se servir habilement de ce ramas inouï de bateleurs, de charlatans, de mimes, de magiciens, de thaumaturges, de sorciers, de prêtres imposteurs[50], qui formaient une partie considérable de la population d’Antioche, et n’ignorait aucun des moyens de remuer une ville de courses, de jeux, de danses, de processions, de fêtes, de bacchanales, où se rencontraient toutes les folies de l’Orient, les superstitions les plus malsaines, le fanatisme de l’orgie[51]. Dans cette capitale du mensonge, comme l’appelle un historien moderne[52], l’éclosion d’un nouveau dieu n’était pas un prodige au-dessus des forces humaines. Ce qu’Alexandre d’Abonotique, fit jadis en Cappadoce, Théotecne était bien capable de le faire en Syrie. Il érigea en grande pompe la statue de Zeus Philios, Jupiter l’Ami, Jupiter favorable ; puis il institua les rites d’un culte nouveau, initiations, mystères, expiations[53], dans lesquels étaient probablement parodiées les cérémonies du baptême et de la pénitence. Un oracle fut installé. Des prêtres et des devins[54] eurent la chargé de le desservir. Théotecne, non moins adroit mécanicien que hardi philosophe, les exerça au maniement des trucs ingénieux, par lesquels parlait son dieu[55]. Le premier mot que Jupiter l’Ami laissa tomber de sa bouche divine, en présence même de Maximin, fut pour ordonner l’expulsion des chrétiens[56].

Les échos le répétèrent à tout l’Orient. Les peuples avisés comprirent tout de suite qu’il était agréable à l’empereur, puisque l’inventeur de Jupiter l’Ami reçut un avancement considérable, et de la curatelle d’Antioche, simple charge municipale, fut promu au gouvernement d’une province[57]. Aussi toutes les villes qui ne s’étaient pas encore prononcées se hâtèrent-elles de le faire. Des arrêtés municipaux proscrivirent en tout lieu les chrétiens, et chacun de ces arrêtés fut aussitôt revêtu de l’approbation impériale[58].

Par cette voie détournée Maximin se flattait d’arriver sûrement à son but, là destruction du christianisme, sans rompre ouvertement avec ses collègues. L’édit de Galère, n’ayant pas été promulgué dans ses États, n’y pouvait être violé. Maximin avait seulement déclaré que les chrétiens ne seraient plus, comme tels, l’objet de poursuites, et il tenait sa promesse. Il ne s’était pas engagé à fermer l’oreille au cri de l’opinion publique et aux plaintes des municipalités. Il n’avait pas promis de refuser son approbation aux mesures de police que celles-ci se croiraient obligées de prendre. Les conséquences ne le regardent pas. Les églises, promptement restaurées, où depuis quelques mois retentissaient les hymnes d’actions de grâces, se fermeront de nouveau, pour tomber bientôt en ruines. Les confesseurs, hier rentrés en triomphe dans leurs maisons, reprendront le chemin de l’exil, laissant derrière eux ces foyers chéris qu’ils avaient ù peine eu le temps de revoir. Les chrétiens erreront dans les campagnes, en répétant ces paroles du divin Maître : Les oiseaux du ciel ont leurs nids, et les renards leurs tanières ; mais le Fils de l’homme n’a pas une pierre où reposer sa tête. L’Orient leur deviendra inhabitable, et ils seront contraints d’émigrer. Mais on ne leur aura infligé aucun châtiment corporel. Pas une goutte de sang n’aura coulé. Pas un fidèle n’aura recommencé à tailler les blocs de porphyre en Thébaïde ou à extraire le minerai de cuivre en Chypre. Les disciples de l’Évangile sont seulement devenus des vagabonds, des outlaws. Selon le mot de saint Paul, on en a nettoyé les cités, on les a traités en ordures, et l’on a jeté dehors ces balayures du monde[59].

Ce genre de persécution, d’autant plus efficace peut-être qu’il était moins sanglant, n’avait pas encore été essayé. Il fait honneur à l’intelligence de Maximin et de ses conseillers. Fermer aux chrétiens toutes les portes ; les traiter, non comme des adversaires dignes du fer et du feu, mais comme une espèce d’hommes inférieure et dangereuse qui n’a point de place dans une société bien réglée ; leur accorder le droit de vivre et leur refuser tous les autres droits, c’était inaugurer contre eux une nouvelle tactique, destinée à trouver des imitateurs. Maximin aura frayé la voie à Julien, et montré à ce dédaigneux adversaire du christianisme le secret des coups froidement calculés qui ne laissent pas de blessure apparente. Grâce à son entourage néoplatonicien, l’empereur demi barbare, domptant son tempérament sanguinaire et devenant expert en l’art d’outrager savamment ses victimes, sera le digne précurseur du champion futur de l’hellénisme. Sur un autre point, ces deux hommes, séparés par quarante années et par la plus radicale des révolutions, se retrouvent animés d’un même esprit. L’un et l’autre croient à la vitalité du culte païen et se flattent de lui rendre, par mesure législative, toutes les forces qu’il a perdues. Niais pour y parvenir il ne suffisait pas de réveiller chez les peuples le goût des pompes idolâtriques ; même l’apparition d’un nouveau genre d’éloquence, destiné à célébrer le pouvoir moralisateur de la mythologie et l’amour des dieux pour le genre humain, produisait peu d’effet sur la foule. Ce n’était point la prédication elle-même qu’il s’agissait d’instituer, mais les prédicateurs. Le sermon de Maximin aux habitants de Tyr pouvait sembler fort beau ; où cependant trouver des orateurs sacrés pour en répandre les doctrines ? Les prêtres des dieux officiels se recrutaient parmi les personnages politiques ou les magistrats municipaux, pour qui un sacerdoce n’était qu’une occasion d’honneurs et de profits et constituait une charge plus civile que religieuse. il n’y avait point, en réalité, de clergé païen, si ce n’est dans ces cultes étrangers, plus ou moins entachés de charlatanisme et d’immoralité, dont le gouvernement impérial pouvait se servir dans sa lutte contre les chrétiens, mais sur lesquels il n’aurait osé s’appuyer officiellement. Pour rendre la vie à l’ancienne religion, Maximin, comme plus tard Julien, songera à la transformer. De tous ces prêtres indépendants les uns des autres il voudra faire un clergé. De tous ces cultes qui se sont peu à peu juxtaposés sans jamais se fondre, il tentera de faire un seul culte. Du paganisme sans hiérarchie, sans doctrines, et bientôt sans fidèles, il prétendra faire une Église. Au particularisme qui en est l’essence il essaiera de substituer l’unité. Il s’efforcera de glisser l’hellénisme dans le moule juif ou chrétien, et de persuader Cà ses adhérents qu’ils sont les enfants d’une même foi, les membres d’une même société, les observateurs d’un même rite, et qu’une même communion spirituelle les range sous la houlette des mêmes pasteurs.

Qu’un demi-siècle plus tard Julien ne craigne pas de proposer à ses prêtres la charité catholique comme type et comme modèle[60], cela s’explique par l’éducation chrétienne de l’apostat ; en 311, Maximin ne fait pas les mêmes aveux : cependant, c’est les yeux fixés sur l’épiscopat qu’il trace le plan de sa réforme. Le grand prêtre de chaque province, asiarque, bithyniarque, galatarque, cilicarque ou pontarque, qui n’avait guère eu jusqu’à ce jour d’autre emploi que de donner des jeux, devient une sorte de métropolitain[61]. Sous lui, en qualité de suffragant, existe dans chaque ville un grand prêtre[62] chargé de la direction du clergé inférieur et obligé de veiller à ce que, tous les jours, les rites soient accomplis[63]. Le palais de Maximin, où les cérémonies liturgiques étaient quotidiennes[64], sera le modèle sur lequel se régleront tous les temples, depuis les splendides sanctuaires d’Antioche ou de Tyr jusqu’aux humbles chapelles des campagnes. Mais le métropolitain de chaque province ou le flamine de chaque cité n’a pas que des attributions spirituelles. Un redoutable pouvoir est mis dans leurs mains. Pour lutter contre le clergé chrétien, armé seulement de la prière et de la parole, il faut au nouveau clergé païen des armes matérielles. Ses chefs reçoivent de Maximin un double emblème et comme une double investiture : on les reconnaîtra à leur manteau blanc[65], insigne du sacerdoce, et à leur garde de soldats[66], attribut et instrument de l’inquisition religieuse dont ils sont chargés. A eux de veiller sur les chrétiens avec l’aide des prêtres inférieurs transformés en agents de police, de faire exécuter contre ces proscrits les décrets des cités, de les empêcher de construire des églises, d’arrêter même et de traduire devant les magistrats ceux qui tiendraient dans leurs maisons des assemblées religieuses[67]. L’influence de ces dignitaires devait être d’autant plus grande, que Maximin les avait choisis parmi les premiers des cités, parmi les anciens magistrats qui avaient parcouru dans toute son étendue la carrière des honneurs municipaux[68]. Sur un point, au moins, il n’était pas au pouvoir de la réforme païenne d’imiter l’Église : celle-là demandait au rang d’ennoblir les fonctions religieuses, celle-ci les donnait au savoir et à la vertu.

 

III. — Dernières calomnies et persécution ouverte.

Cependant Maximin n’était pas homme à se contenter longtemps d’une persécution non sanglante. Tant qu’il avait été libre de ses mouvements et assuré de la connivence de ses collègues, il avait donné cours à ses violences ; après l’édit de Galère, il dut ruser, ménager la transition, demander à l’adresse ce que, momentanément, ne pouvait plus la force, et inaugurer une’ seconde manière de persécuter. Mais toutes ses préférences demeuraient à la première. Il y revint peu à peu, et remonta par degrés la pente que des circonstances imprévues l’avaient contraint de descendre.

Pour justifier ce retour aux anciens errements, il lui fallait perdre de nouveau les chrétiens dans l’opinion publique. Le mouvement des pétitions avait été tellement factice, que l’impression produite était demeurée superficielle. L’essai de réforme du culte païen ne pourrait produire que lentement ses effets, s’il n’aboutissait pas plutôt à faire ressortir, par la comparaison, la distance infinie qui séparera toujours le sacerdoce évangélique de ses contrefaçons humaines. On peut d’ailleurs supposer que beaucoup de sénats municipaux, après avoir délibéré, pour faire leur cour à l’empereur, un arrêté d’expulsion contre les chrétiens, l’avaient laissé dormir dans leurs archives, et que, dans plus d’une province, les cadres de l’épiscopat païen avaient été remplis pour la forme, sans que les titulaires des nouveaux sacerdoces prissent leurs fonctions au sérieux. Efficaces dans tel canton, où le fanatisme s’était plus facilement réveillé, les nouvelles mesures étaient probablement demeurées lettre morte dans d’autres, où il semblait décidément assoupi. Des coups plus hardis parurent nécessaires pour ranimer partout les passions, et forcer les peuples à voir comme autrefois dans les chrétiens des ennemis publics. Maximin, qui venait de récompenser l’imposture de Théotecne, n’était pas homme d reculer devant la fraude pour noircir ceux qu’il Voulait perdre. Avec l’aide de ses conseillers habituels, parmi lesquels était probablement ce même Théotecne, il recourut à la méthode que, quatorze siècles plus tard, un autre ennemi du nom chrétien définira en ces termes : Mentez, mentez hardiment, il en restera toujours quelque chose, et demanda à la calomnie les moyens d’écraser l’infâme.

Depuis longtemps des livres avaient été composés contre le christianisme. Les uns émanaient des juifs ; d’autres avaient pour auteurs des lettrés ou des philosophes. Les néoplatoniciens s’étaient distingués particulièrement dans cette œuvre de haine, qui n’avait point nui à la renommée de Porphyre et avait aidé la fortune politique d’Hiéroclès. Leurs écrits alimentèrent longtemps la polémique des deux religions, mais, influents sur les esprits cultivés, ces ouvrages de controverse ne pouvaient aisément descendre dans la foule. Ils s’adressaient à une catégorie restreinte de lecteurs, et ne parlaient point au peuple. Un écrivain plus hardi fournit les moyens de l’atteindre. Aux discussions de ses devanciers sur l’Ancien et le Nouveau Testament, sur les miracles du Christ ou le caractère des apôtres, il substitua un récit du procès de Jésus, qu’il donna comme contemporain et officiel. L’idée n’était pas originale : dès le second siècle saint Justin et Tertullien croyaient que Pilate, touché de ce qu’il avait vu, envoya un rapport à Tibère sur les miracles et la Passion du Sauveur[69]. Le pamphlétaire païen n’eut qu’à retourner les termes, et à remplacer la relation favorable par une parodie blasphématoire. Il le fit avec une infernale habileté. Dans cette pièce, mise aussi sous le nom de Pilate, le Sauveur fut présenté avec les traits d’un malfaiteur vulgaire, ses actions et ses paroles dénaturées, son divin caractère odieusement noirci[70]. L’écrivain eut l’habileté d’encadrer ses calomnies de détails suffisamment historiques pour donner aux esprits superficiels l’illusion de la vraisemblance : on en a la preuve dans le soin avec lequel Eusèbe relève ses erreurs de chronologie[71]. Ce pamphlet fut probablement composé plusieurs années avant 311, dès le commencement de la persécution : il parait, en effet, cité en 304 par le juge de saint Andronicus[72], peut-être même par celui de saint Théodote[73]. Mais il n’était pas encore sorti d’un petit cercle de magistrats lettrés ; il faisait partie de la bibliothèque antichrétienne où ceux-ci puisaient les arguments par lesquels ils essayaient de soutenir, dans les audiences publiques, la controverse avec les fidèles. Ce petit livre parut et Maximin et è ses conseillers digne de recevoir une publicité plus étendue. Ils se persuadèrent que, une fois répandu dans le peuple, il donnerait du Christ une idée telle, que la propagande chrétienne serait désormais frappée de discrédit. On en fit donc faire d’innombrables copies, qui furent expédiées par ballots dans toutes les provinces[74]. Des lettres émanées de la chancellerie impériale ordonnèrent aux gouverneurs de le faire partout connaître. Des lectures publiques devaient en être données dans les villes et dans les villages ; des placards devaient être apposés, sur lesquels son texte serait reproduit[75]. Mais soulever actuellement les passions contre les adorateurs du Christ ne suffisait pas : Maximin avait des haines plus profondes. Il voulait travailler aussi pour l’avenir. Ce n’était pas assez d’aigrir les âmes des pères, si le fiel ne se répandait en même temps dans celles des fils et n’empoisonnait d’avance les générations futures. Les Actes de Pilate devinrent le manuel obligatoire dans les écoles. Les instituteurs eurent l’ordre de le faire apprendre par cœur, d’y puiser le sujet des devoirs écrits ou le texte des déclamations orales[76]. Au lieu des invectives de Junon contre Énée ou d’autres thèmes semblables[77], c’étaient les invectives de Pilate contre le malfaiteur Jésus qui exerceraient la verve des futurs orateurs. Son supplice formerait la matière de ces narratiunculæ que Quintilien impose aux commençants moins encore pour leur apprendre à écrire que pour fixer dans leur mémoire les récits célèbres[78]. Une fois celui-ci fixé dans la mémoire des enfants, il n’en sortirait plus. Les jeunes cœurs deviendraient incapables de s’attendrir devant la pâle figure du divin Crucifié, le pathétique de la croix et de la couronne d’épines serait pour eux à jamais détruit. Des légions de blasphémateurs sortiraient tous les jours des écoles, endurcis, haineux, fermés à l’amour et à la pitié, prêts à poursuivre de leurs outrages tous les chrétiens qu’ils rencontreraient sur leur route. L’enfance serait ainsi volée au Christ, le recrutement du peuple chrétien tari dans sa source.

Les conseillers de Maximin ne s’en tinrent pas là. Après avoir outragé le Christ, ils tentèrent de renouveler les calomnies répandues, dans les deux premiers siècles, contre ses adorateurs, et depuis longtemps oubliées. Il y avait cent ans au moins qu’on n’imputait plus aux chrétiens de souiller leurs réunions religieuses par de monstrueuses débauches. Depuis Celse[79], aucun pamphlétaire n’avait calomnié leur moralité. Le dernier tableau que l’imagination païenne, échauffée peut-être par ses propres souvenirs, ait tracé des scènes scandaleuses qui auraient suivi les agapes, paraît dû à la plume de Fronton, le précepteur de Marc-Aurèle[80]. Maintenant les chrétiens étaient trop nombreux, trop mêlés à la vie de tous, trop connus pour que, surtout dans cet Orient où ils formaient en certains lieux la majorité de la population, un écrivain de quelque renom osât répéter de telles fables. Mais ce qu’on n’aurait osé dire soi-même, on pouvait encore le faire déclarer par de prétendus témoins. Dès qu’on ne reculait plus devant aucune fraude, tout devenait possible. Plus d’une fois, dans les siècles passés, la torture avait arraché à des esclaves des dénonciations mensongères[81]. Ce moyen n’avait point perdu son efficacité. Le commandant de la garnison de Damas y recourut. Il fit arrêter pendant la nuit, sur la place publique, plusieurs femmes de mauvaise vie, et, sous la menace de tourments, les contraignit, non à renier le christianisme, mais au contraire à déclarer qu’elles étaient chrétiennes, qu’elles avaient assisté aux cérémonies du culte et pris part, dans l’église, à d’horribles impuretés[82] ; le procès-verbal de la déposition dictée à ces malheureuses fut envoyé à l’empereur, qui le fit afficher dans toutes les villes et jusque dans les moindres bourgs[83]. La justice divine ne tarda pas à punir l’acte odieux du commandant de Damas : peu de temps après ce criminel abus de pouvoir, il fut pris de folie et se tua[84].

Préparée avec cette habileté, la, persécution éclata enfin. Maximin épargna d’abord la vie des chrétiens, et se contenta, comme en 310, de crever les yeux, de couper les mains, les pieds, le nez ou les oreilles à ceux qu’on arrêtait[85]. Bientôt, incapable de se contenir, le tyran jeta le masque. La guerre fut officiellement déclarée à l’Église, bien qu’on ne sache pas si un nouvel édit fut rendu ou si l’empereur se contenta de remettre en vigueur toutes les dispositions des édits précédents, qui dans ses États n’avaient pas été abrogés. Les gouverneurs, obéissant à ses instructions, recommencèrent la recherche des chrétiens[86]. Ceux-ci prenaient partout la fuite[87]. Les ordres de la cour étaient particulièrement dirigés contre les hommes qui paraissaient exceller dans la prédication de notre sainte foi, c’est-à-dire les évêques, les docteurs, quiconque par l’autorité, par la parole, par les écrits, semblait capable de soutenir la constance des fidèles. Quand une de ces victimes de choix était arrêtée, on lui appliquait sans délai la peine capitale[88]. Maximin avait hâte de faire disparaître ce que l’Église d’Orient comptait de plus célèbre et de plus influent, afin de laisser le champ libre aux pontifes et aux flamines qu’il venait de constituer en clergé.

Eusèbe a conservé les noms de quelques-unes de ses plus illustres victimes. Pierre, évêque d’Alexandrie, sorti de sa retraite après l’édit de pacification, est arrêté au moment oit l’on s’y attendait le moins, et décapité par l’ordre direct de Maximin, le 25 novembre 311[89]. Avec lui hérissent ses prêtres Faustus[90], Dius et Ammonius[91] ; vers le même temps sont mis à mort les trois prélats égyptiens qui avaient partagé la captivité de Philéas et signé sa lettre contre le schisme mélécien, Hesychius, Pachumius et Théodore[92]. Méthode, évêque de Tyr ou de Patare[93], qui réfuta Porphyre[94], et composa en l’honneur de la virginité un dialogue imité du Banquet de Platon[95], est martyrisé en 311 ou 312[96]. Un des membres des plus célèbres de l’école exégétique d’Antioche, le prêtre Lucien, qui, compromis dans l’affaire de Paul de Samosate et demeuré dans la disgrâce des trois successeurs orthodoxes de cet hérésiarque, avait fini par rentrer dans l’Église[97], et depuis de longues années consacrait ses talents à réviser la version des Septante[98], est conduit a Nicomédie, et jugé par Maximin en personne. Après avoir prononcé devant l’empereur une apologie de la religion chrétienne, dont il reste un fragment[99], le vieillard eut la tête tranchée dans sa prison[100], le 7 janvier 412[101]. A Nicomédie encore est martyrisé, le même jour, Basilisque, évêque de Comane[102]. Le 29 janvier, Silvain, évêque d’Émèse, en Phénicie, est livré aux bêtes avec trois compagnons[103]. Le 31 janvier, un médecin d’Alexandrie, nommé Cyr, et un soldat d’Édesse, appelé Jean, sont tués ensemble à Canope ; on dit que plusieurs femmes furent martyrisées avec eux[104].

Vrais, è en juger par les noms que recueillit Eusèbe, il semble que, dans cette rapide persécution, on n’ait pas eu le temps de juger beaucoup de victimes obscures : on se contentait de les mutiler, ou de les faire disparaître sans procès, comme raconte Lactance[105] ; au contraire, on interrogeait avec le plus grand soin, quelquefois eu présence de Maximin lui-même, ceux en qui les philosophes de son entourage avaient reconnu des rivaux. Ainsi s’explique comment l’ermite Antoine, accouru de son château ruiné des bords du Nil pour secourir les fidèles d’Alexandrie, avec la secrète espérance de gagner pour lui-même la couronne du martyre, fut dédaigné des persécuteurs, incapables de discerner dans cet homme vêtu de la bure grossière clés mendiants le fondateur de la vie cénobitique, le père spirituel d’une lignée qui ne finira pas tant qu’il y aura sur la terre des âmes éprises de la perfection[106].

Les grands événements qui sont à la veille de s’accomplir en Italie feront bientôt sentir leur contrecoup en Orient, et amèneront la fin de la persécution. Avant même que celle-ci fût entièrement terminée, d’autres causes, plus rapprochées, en avaient amorti déjà les effets.

On a lu les triomphantes paroles par lesquelles Maximin, écrivant aux habitants de Tyr, rend grâces aux dieux du bel été de 311 et attribue à un renouveau de ferveur idolâtrique la cessation des intempéries, les pluies abondantes, l’apparence favorable des récoltes. Il semble que le ciel ait voulu se hâter de détromper les peuples. L’automne ne tint pas les promesses de l’été. La sécheresse survint, puis la famine[107]. Il s’ensuivit une incroyable cherté de toutes les denrées, encore augmentée par les accaparements et les exactions fiscales de Maximin[108]. Le blé atteignit un prix exorbitant[109]. Beaucoup d’habitants furent réduits à manger de l’herbe[110]. Ceux qui possédaient quelque bien vendaient leurs champs pour acheter de quoi subsister[111]. Des pères et des mères cédaient leurs enfants en échange d’un peu de pain[112]. Des pauvres, qui n’avaient plus la force de se soutenir, se couchaient sur les places publiques et imploraient d’une vois défaillante la pitié des passants[113] : on voyait errer sur les forums des femmes décemment vêtues, qui tendaient timidement la main, et mendiaient avec des façons de grandes dames[114]. Tous les rangs étaient confondus dans une égale misère. Bientôt les privations, les souffrances, la nourriture malsaine, amenèrent la peste. Une maladie nouvelle, le charbon[115], qui s’attaquait au visage, et particulièrement aux yeux, fit d’innombrables aveugles[116]. La mortalité devint terrible. Dans les campagnes, les rôles du cens, établis avec tant de soin par Galère[117], devinrent inutiles en plus d’un village, dont tous les paysans avaient péri[118]. Dans les villes, des familles entières disparaissaient à la fois. Ceux à qui leur fortune avait permis de ne pas sentir la faim, et qui pour la plupart avaient promptement fermé leur cœur aux souffrances des pauvres, succombaient maintenant à la contagion. Il semblait que la mort, entrant dans une maison riche, la voulût vider : ce n’était pas un cadavre, mais deus ou trois que l’on en retirait le mène jour[119]. Les rues, les places, étaient remplies de corps sans sépulture[120] : on fut obligé, dans certaines villes, de tuer tous les chiens, de peur que l’habitude de se nourrir de chair humaine ne les rendit féroces[121].

Si les chrétiens avaient voulu triompher du malheur commun, quelle revanche ils auraient prise ! N’était-ce pas la main divine qui aveuglait tant de païens, hier sans pitié pour les confesseurs à qui Maximin faisait crever les yeux ? Et ces chiens auxquels on avait jeté naguère des cadavres de martyrs, n’avaient-ils pas pris alors ce goût pour la chair humaine qui maintenant faisait peur ? Mais les chrétiens ne parlaient pas ainsi. Ils se vengèrent comme ils s’étaient vengés pendant la peste qui dévasta l’Empire au lendemain de la persécution de Dèce. On les vit accomplir simultanément les deux principales œuvres de miséricorde. Pendant que les uns s’occupaient de donner la sépulture aux morts abandonnés, les autres rassemblaient dans chaque ville les indigents et leur distribuaient du pain[122]. Les païens se sentirent touchés de tant de charité. Hier, quand les confesseurs rentraient en triomphe dans leurs foyers, un cri s’était échappé de plus d’une bouche : Il est seul grand, le Dieu des chrétiens ! Mais ce sentiment d’admiration avait été mêlé d’envie, de dépit, d’une secrète rancune, et il avait suffi à, Maximin de remuer ensuite ce mauvais levain pour ranimer. le fanatisme. Aujourd’hui, rien de semblable ne corrompt la reconnaissance des malheureux qui, délaissés de tous, écrasés par les plus terribles fléaux, ont senti sur leurs plaies une main secourable et vu briller parmi leurs maux le divin sourire de la pitié. On se redisait avec émotion la bonté des chrétiens ; la renommée publiait leurs actes de charité ; toutes les voix exaltaient leur Dieu, et proclamaient que les seuls hommes vraiment religieux sont ceux qui savent ainsi prouver leur religion par les actes[123].

Pendant que le christianisme remportait cette pacifique victoire, l’armée de Maximin éprouvait une défaite d’autant plus humiliante pour son chef, que la guerre entreprise l’avait été en haine du nom chrétien. L’Empire était borné, à l’est, par la Grande Arménie, dont tous les habitants, éclairés par la prédication de saint Grégoire l’Illuminateur, avaient, avec leur roi et la famille royale, embrassé depuis quelques années la religion de l’Évangile. C’était le second exemple d’un royaume entier officiellement converti : le premier avait été donné par l’Osrohène dès la fin du second siècle. L’existence d’un État chrétien sur ses frontières inquiéta Maximin. Entre le royaume d’Arménie et la province romaine de ce nom il n’existait d’autre séparation qu’une simple ligne géographique ; mais tout était commun, la race, les mœurs, la foi. La persécution qui sévissait sur ces frères donna-t-elle aux Arméniens indépendants la volonté de venir à leur secours ? le roi Tiridate fit-il des représentations à l’empereur ? ou Maximin, craignant une intervention de ce puissant voisin, préféra-t-il prendre les devants ? ou enfin la folie de ses conseillers, de ses magiciens, de ses oracles, lui persuada-t-elle d’aller imposer par la force le paganisme romain aux convertis de l’Illuminateur, et lui promit-elle que les autels renversés d’Anahid se relèveraient en l’honneur des dieux du néoplatonisme ? On ne sait de qui vint la première attaque ; mais Eusèbe nous apprend qu’au moment où la famine et la peste désolaient l’Orient romain, l’empereur était engagé avec ses légions dans les montagnes de l’Arménie. Le fanatisme religieux de Maximin, oublieux des traditions politiques de Rome, avait réussi à transformer en adversaires d’anciens alliés de l’Empire qui lui avaient plus d’une fois prêté un utile secours contre ses vrais ennemis, les Perses. L’expédition fut malheureuse : Maximin dut rentrer dans ses États après une série de défaites[124].

La cause de la croix triomphait sur les pentes vertes de l’Ararat, à la même heure peut-être où son étendard ouvertement déployé flottait pour la première fois sur les cimes glacées des Alpes et dans les grasses plaines de la Lombardie.

 

 

 



[1] Lactance, De mort. pers., 33 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 16, 4, 5 ; De vita Const., I, 57 ; Anonyme de Valois ; Aurelius Victor, De Cæsaribus, 40, 9 ; Épitomé, 40, 4, 5 ; Zosime, Hist., II, 11.

[2] ... Ita ut de corpore impii vermes scaturirent, ac viventis in doloribus carnes ejus effluerent, odore etiam illius et fœtore exercitus gravaretur. II Macchabées, IX, 9.

[3] Josèphe, De Bello Judaico, I, 21.

[4] Et consumptus a vermibus, expiravit. Actes des Apôtres, XII, 23.

[5] Claudius Herminianus in Cappadocia, cum christianos crudeliter tractasset, solusque in prætorio suo vastatus peste, vivus vermibus ebullisset... Tertullien, Ad Scapulam, 3. — Sozomène raconte de même la mort du comte Julien, oncle de l’empereur de ce nom, et persécuteur plus acharné encore que son neveu ; le remède que les médecins employèrent (en vain) pour le soulager ressemble à celui qui fut essayé sur Galère : on posait sur les parties malades la graisse de volailles, afin d’attirer les vers au dehors. Sozomène, Hist. Ecclés., V, 8.

[6] Apollo et Asclepius orantur, remedium flagitatur. Dat Apollo curam. Malum multo pejus augetur. Lactance, De mort. pers., 33.

[7] Rufin, Hist. Ecclés., VIII, 18 ; Orose, VIII, 28.

[8] Tertullien, Ad Scapulam, 3.

[9] II Macchabées, IX, 12-23.

[10] Lactance, De mort. pers., 33.

[11] Lactance, De mort. pers., 33.

[12] A. de Broglie, l’Église et l’Empire romain au quatrième siècle, t. I, p. 182.

[13] Lactance, De mort. pers., 31 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 17. — Le texte de Lactance reproduit l’original latin ; Eusèbe le traduit, avec quelques variantes.

[14] Cette tactique est ancienne ; voir Celse, dans Origène, Contra Celsum, III, 10.

[15] Ce sens de l’édit, qui parait méconnu par M. de Champagny (les Césars du troisième siècle, t. III, p. 423), a été ainsi compris par les meilleurs commentateurs anciens de Lactance : Baluze, Cuper, Colomb, Bauldri. — Görres l’explique comme nous le faisons, dans son article Toleranzedicte (Kraus, Real-Eneykl. der christl. Alterth., t. II, p. 897). Mason le commente de même (The persecution of Diocletian, p. 299). — Il n’est pas possible d’admettre l’opinion de Keim (Die röm. Toleranzedicte, dans les Theol. Jahrbücher, 1842), reproduite par Stäpffer (Encyclopédie des sciences religieuses, t. III, p. 389), qui prend au sérieux le désir manifesté par Galère de faire cesser les divisions des fidèles, voit dans le vieux persécuteur un précurseur de Constantin, et résume ainsi ses intentions : Ce que Galerius veut voir s’établir, c’est l’unité ecclésiastique dans l’Église chrétienne.

[16] Ut denuo sint christiani, et conventicula sua componant. — Sur l’expression sint christiani, voir Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd.

[17] Ein kaiserlicher, ein stolzer Widerruf. Keim, Constantin, p. 14.

[18] Die That des reuigen Sunders. Görres, Toleranzedicte, dans Kraus, Real-Encyhl. der christl. Alterth., t. II, p. 897.

[19] Hingenfelds, dans Zeitschr. f wiss. Theol., 1885, p. 509 ; cité par Görres, l. c.

[20] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 9. — Ibid., IX, 1. — Saint Grégoire de Nazianze, Orat. IV, 96. — Legamus historias ecclesiasticas, quid Valerianus, quid Decius, quid Diocletianus, quid Maximianus, quid sævissimus omnium Maximinus... passi sunt. Saint Jérôme, In cap. 14 Zachariæ.

[21] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 1.

[22] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 1, 3-6.

[23] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 1, 7.

[24] Tunc apertis carceribus, Donate charissime, cum ceteris confessoribus e custodia liberatus es, cum tibi carcer sex annis pro domicilio fuerit. Lactance, De mort. pers., 35.

[25] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 1, 10.

[26] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 1, 9.

[27] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 1, 11.

[28] Lactance, De mort. pers., 35.

[29] Lactance, De mort. pers., 35.

[30] Lactance, De mort. pers., 35.

[31] Lactance, De mort. pers., 36.

[32] Lactance, De mort. pers., 39-41.

[33] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 2.

[34] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 2.

[35] Cette date résulte clairement du texte d’Eusèbe, disant que la tolérance de Maximin ne dura pas plus de six mois, et que la première vexation concerna les cimetières. Six mois, à partir de l’édit de Galère, conduisent au mois d’octobre 311.

[36] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 2.

[37] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 2. — Les fonctions de λογισής ou de curator civitatis, purement municipales au quatrième siècle, que remplissait Théotecne, empêchent de le confondre avec son homonyme qui occupait le poste plus élevé de gouverneur de province au commencement de la persécution. Le λογισής d’Antioche sera précisément pourvu par Maximin, un peu plus tard, d’un gouvernement de province en récompense de ses entreprises contre les chrétiens (Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 11, 5).

[38] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 2.

[39] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 2.

[40] Subornatis legationibus civitatem quæ peterent ne intra civitates suas christianis conventicula extruere liceret, ut quasi coactus et impulsus facere videretur quod erat sponte facturus... Lactance, De mort. pers., 36.

[41] Mommsen, dans Archäologisch-epigraphischen Mittheilungen aus Osterreich, t. XVI, 1893, p. 92.102, 108 ; supplément au tome III du Corpus inscriptionum latinarum, n° 12, 132, p. 2056-2057 ; Duchesne, dans Bulletin critique, 1893, p. 157 ; De Rossi, dans Bull. di archeologia cristiana, 1893, p. 51. — Voir le Christianisme et l’Empire romain, 3e éd., p. 307-308.

[42] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 9, 4-6.

[43] Le Christianisme et l’Empire romain, 3e éd., p. 307.

[44] L’usage d’exposer ainsi une reproduction des actes impériaux qui intéressaient une cité ou une province remonte loin dans l’histoire. Le discours de Claude sur l’admissibilité des habitants de la Gaule chevelue à la dignité sénatoriale avait été gravé sur des tables de bronze, qu’on exposa à Lyon près de l’autel de Rome et d’Auguste (voir le texte des Tabulæ Claudianæ, d’après l’estampage, dans Desjardins, Géographie historique de la Gaule romaine, t. III, pl. XIV). Le discours que prononça Néron aux jeux isthmiques quand il exempta les Grecs de tribut, a été récemment découvert par M. Holleaux en Béotie ; à la suite du discours est gravé, sur la même stèle de marbre, le décret par lequel la ville d’Acræphiæ décide, en reconnaissance, d’élever un autel à Néron (Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, séances des 5 octobre et 16 novembre 1888).

[45] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 7, 2-15.

[46] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 7, 15.

[47] Cf. Lactance, De mort. pers., 36.

[48] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 8, 9.

[49] Γόης. Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 2.

[50] Renan, les Apôtres, p. 219.

[51] Renan, les Apôtres, p. 219.

[52] Renan, les Apôtres, p. 219.

[53] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 3.

[54] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 11, 6.

[55] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 11, 6.

[56] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 3.

[57] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 11, 5.

[58] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 4, 1-2.

[59] Saint Paul, I Corinthiens, IV, 13.

[60] Julien, Ep. 49 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat. IV, 111 ; Sozomène, Hist. Ecclés., V, 16.

[61] Parumque hoc fuit, nisi etiam provinciis ex altiore dignilalis gradu singulos quasi Pontifices superponeret. Lactance, De mort. pers., 36.

[62] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 2.

[63] Novo more sacerdotes maximos per singulos civitates ex primoribus fecit, qui et sacrificia per omnes deos suos cotidie facerent. Lactance, De mort. pers., 36.

[64] Lactance, De mort. pers., 37.

[65] Eos utrosque candidis chlamidibus mates jussit incedere. Lactance, De mort. pers., 36.

[66] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 9.

[67] Veterum sacerdotum ministerio subnixi darent operam ut Christiani neque fabricarent, neque publicæ aut privatim colerent, sed comprehensos suo jure ad sacrificia cogerent vel judicibus offerrent... Lactance, De mort. pers., 36.

[68] Ex primoribus. Lactance, De mort. pers., 36. — Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 14, 9 ; ibid., IX, 4, 2.

[69] Saint Justin, Apologie, I, 35, 48 ; Tertullien, Apologétique, 5, 21 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., II, 2. — Les Gesta Pilati, qui forment la première partie de l’Évangile apocryphe de Nicodème, ne sont probablement pas la pièce vue par saint Justin et Tertullien, mais paraissent appartenir plutôt à la seconde moitié da quatrième siècle ; on y pourrait reconnaître une réponse aux Acta Pilati païens.

[70] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 5, 1. — Non ut ista, quæ nunc falso conscribuntur, continent Acta Pilati, sed innocens, immaculatus et Purus. Saint Lucien, Apologie, dans Routh, Reliquiæ sacræ, t. IV, p. 6.

[71] Eusèbe, Hist. Ecclés., I, 9, 2-3.

[72] Acta SS. Tarachi, Probi et Andronici, 9 ; dans Ruinart, p. 485.

[73] Passio S. Theodoti Ancyrani, 23 ; dans Ruinart, 365.

[74] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 5, 1.

[75] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 5, 1.

[76] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 5, 1.

[77] Saint Augustin, Confessions, I, 17.

[78] Quintilien, Inst. orat., I, 9, 6. Cf. Émile Jullien, les Professeurs de littérature dans l’ancienne Rome, p. 289.

[79] Origène, Contra Celsum, V, 25, 41 ; VIII, 69.

[80] Minucius Felix, Octavius, 10 ; cf. 31.

[81] Saint Justin, Apologie, II, 12 ; Eusèbe, Hist. Ecclés., V, 1, 14.

[82] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 5, 2.

[83] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 5, 2.

[84] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 6, 1.

[85] Nam cum clementiam specie tenus profiteretur, occidi servos Dei vetuit, debilitari jussit. Itaque confessoribus effodiebantur oculi, amputabantur manas, pedes detruncabantur, nares vel auriculæ desecabantur. Lactance, De mort. pers., 36.

[86] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 6, 1.

[87] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 6, 1.

[88] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 6, 1.

[89] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 6, 2 ; cf. VIII, 13, 7. — Il fut enterré dans un des principaux cimetières chrétiens d’Alexandrie, qui prit son nom (Bull. di arch. crist., 1865, p. 61 ; 1872, p. 26). Les pèlerins le visitaient au retour de la Terre Sainte ; une ampulla égyptienne (Bull. di arch. crist., 1872, pl. II) porte d’un côté le nom de Pierre, et de l’autre celui d’un martyr célèbre de l’Égypte, saint Mennas, enterré à quelque distance d’Alexandrie. L’évêque Pierre était appelé le dernier des martyrs, à cause de la date tardive de la persécution où il périt. Épiphane (moine), éd. Dressel, Leipzig, 1843, p. 5.

[90] Faustus était diacre au moment de la persécution de Dèce, comparut devant le préfet Émilien avec saint Denys d’Alexandrie, et pendant l’exil de celui-ci resta dans la métropole égyptienne avec les diacres Eusèbe et Chérémon ; voir Eusèbe, Hist. Ecclés., VII, 11, 3, 6, 22, 24. Quand, devenu prêtre, il fut martyrisé sous Maximin, il avait atteint une extrême vieillesse. Ibid., 26 ; cf. VIII, 13, 7.

[91] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 13, 7.

[92] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 13, 7 ; IX, 6, 2.

[93] Sur le lieu de son épiscopat, voir Tillemont, Mémoires, L. V, note I sur saint Méthode.

[94] Saint Jérôme, De viris ill., 83 ; Ep. 70 ; Comm. in Dan., 12 ; Philostorge, VIII, 14.

[95] Les ouvrages de saint Méthode sont : le Symposion, ou Banquet des dix vierges, le livre contre Porphyre, les traités de la Résurrection, de la Pythonisse, des Choses créées (πέρί τών γενητών), du Libre Arbitre. Ils ne sont plus connus que par des extraits, conservés surtout par Photius et saint Épiphane.

[96] Saint Jérôme, De viris ill., 83 ; in Daniel., 12 ; Théodoret, Dialog. 1. Eusèbe ne parle pas du martyre de saint Méthode et ne le nomme même pas dans son Histoire ecclésiastique ; peut-être l’ardeur avec laquelle Méthode combattit les opinions d’Origène, à l’apologie duquel Eusèbe avait travaillé avec Pamphile, est-elle le motif de ce silence. Sur le lieu où il souffrit, voir Tillemont, Mémoires, t. V, note III sur saint Méthode. M. Bonwetsch, professeur à Dorpat (provinces baltiques de Russie), a traduit en allemand une version slavonne, du onzième siècle, des œuvres de saint Méthode : on y trouve trois traités dont aucun fragment grec n’avait été conservé ; Methodios von Olympos, 1890 ; cf. Bulletin critique, 1891, p. 205.

[97] Théodoret, Hist. Ecclés., 1, 3 ; Philostorge, Hist. Ecclés., II, 14 ; saint Épiphane, Ancorat., 33. Ces textes sont trop probants pour qu’on puisse arguer contre eux, avec Newman (Arians of fourth century), du silence gardé par Eusèbe, saint Jérôme et saint Jean Chrysostome sur cette première phase de la vie de saint Lucien. — Entre le moment oit il fut mêlé à l’affaire de Paul de Samosate et celui oit il reprit sa place dans l’Église d’Antioche, Lucien avait fait un stage à Nicomédie (saint Épiphane, Hæres., LXIX, 5) ; il s’y trouvait lors des événements de 303, et c’est lui qui annonça aux fidèles d’Antioche, avec lesquels il était dès lors rentré en communion, la mort de saint Anthime, évêque de Nicomédie : Toute la troupe sacrée des saints martyrs vous salue, écrivit-il. Le pape Anthime a achevé sa course par le martyre. (Chron. Alex.). — Sur l’influence, fâcheuse qu’exercèrent après lui les doctrines de Lucien, voir Héfélé, Histoire des Conciles, trad. Delarc, t. I, p. 231-232.

[98] Saint Jérôme, De viris ill., 77 ; Ep. 107, 123, 135. — Il y avait ainsi, au commencement du quatrième siècle, trois éditions également renommées des Écritures, celle d’Hesychius, celle de Lucien et celle de Pamphile, répandues chacune dans une partie de l’Orient. Alexandria et Ægyptus in Septuaginta suis Hesychium laudat auctorem ; Constantinopolis usque ad Antiochiam Luciani martyris exemplaria probat. Mediæ inter bas provinciæ palæstinos codices legunt, quos ab Origene elaboratos Eusebius et Pamphilus vulgaverunt. Saint Jérôme, Contra Rufinum, II, 27.

[99] Conservé par Rufin ; voir Routh, Reliquiæ sacræ, t. IV, p. 6. Westcot (History of canon, p. 360) croit à l’authenticité de ce fragment, dont nous avons cité quelques lignes, p. 191, note 2 ; Tillemont, au contraire, le considère comme une glose de Rufin.

[100] Eusèbe, Hist. Ecclés., VIII, 13, 2. — L’historien reproduit ce récit à peu près dans les mêmes termes au livre IX, 6, 3 ; seulement, après avoir dit que Lucien fut conduit à Nicomédie, où résidait l’empereur, il lui fait prononcer son Apologie έπί τοΰ άρχοντο, que l’on a traduit par devant le gouverneur ; je crois plus exact de prendre ce mot dans le sens général de chef, de maître, et de l’appliquer à l’empereur. Eusèbe ajoute qu’il fut mis à mort dans la prison, δεσμοτηίω παρδοθείς xτίννυται. Rufin traduit ce dernier mot par il fut décapité. — Le martyre de Lucien a été célébré par saint Jean Chrysostome, Homil. XLVI ; mais sa narration, tout oratoire, me parait dans certains détails inconciliable avec le témoignage contemporain d’Eusèbe : d’après saint Jean Chrysostome, à toutes les questions du gouverneur Lucien aurait répondu par cette seule phrase : Je suis chrétien, ce qui s’accorde difficilement avec le fait de l’apologie prononcée soit devant l’empereur, soit devant le magistrat. Saint Jean Chrysostome ajoute que Lucien refusa de manger des mets consacrés aux idoles, mais non qu’il mourut de faim dans sa prison, comme on l’a interprété à tort. — Le martyrologe hiéronymien raconte, d’après une version d’origine inconnue, que saint Lucien fat écartelé : VIII idus ianuarii : in Nicomedia Luciani presbyteri qui in quatuor partes divisus est. — Sur la Passion arienne de saint Lucien, écrite après 330, et le parti que les ariens les plus avancés tirèrent de sa mémoire, voir Batitfol, la Passion de saint Lucien d’Antioche, dans Compte rendu du 2e Congrès scientifique international des catholiques, 1891, sciences historiques, p. 181.

[101] Acta SS., janvier, t. I, p. 361 ; cf. saint Jean Chrysostome, l. c.

[102] Palladius, Dialog. de vita S. Joannis Chrysostomi ; cf. Tillemont, Mémoires, t. V, art. et note IV sur saint Basilisque.

[103] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 6, 1 ; cf. VIII, 13, 3, 4.

[104] Acta. SS., janvier, t. II, p. 1081.

[105] Lactance, De mort. pers., 36, 37.

[106] Saint Athanase, Vita S. Antonii, 15.

[107] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 1.

[108] Horrea privatorum claudebantur, apothecæ designabantur, debita in futuros annos exigebantur. Hinc fames agis non ferentibus, hinc caritas inaudita. Lactance, De mort. pers., 37.

[109] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 4, dit qu’une mesure de froment se vendit 2.500 drachmes attiques, ce qui paraît impossible, la drachme attique valant 0 fr. 93. Il est vrai que l’historien ne spécifie pas l’unité de mesure dont il parle, et emploie le terme générique μέτρον.

[110] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 6.

[111] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 6.

[112] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 6.

[113] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 7.

[114] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 7.

[115] Άνθραξ. Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 1.

[116] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 1.

[117] Lactance, De mort. pers., 23.

[118] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 5.

[119] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 9, 11.

[120] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 9.

[121] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 10.

[122] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 13, 14.

[123] Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 14.

[124] Eusèbe est le seul qui parle de cette guerre ; mais cet historien, qui vivait à ce moment même en Orient, ne peut l’avoir inventée. Eusèbe, Hist. Ecclés., IX, 8, 2, 4.