PARIS - PAUL OLLENDORFF - 1902.
INTRODUCTION.I. — L'ARCHIDUCHESSE (1793-1810).II. — DE VIENNE À COMPIÈGNE (décembre-1809-27 mars 1810).III. — LES CÉRÉMONIES DU MARIAGE (27 mars-2 avril 1810).IV. — LA MAISON DE L'IMPÉRATRICE (1810-1814).V. — LA GROSSESSE (avril 1810-avril 1811).VI. — L'EXISTENCE DE MARIE-LOUISE (1811-1813).VII. — LES VOYAGES ET LES FÊTES (avril 1811-mai 1812).VIII. — L'ENTREVUE DE DRESDE (9 mai-18 décembre 1812).IX. — LA RÉGENCE (19 décembre 1812-15 avril 1813).X. — BÉNÉFICES DU MARIAGE AUTRICHIEN (15 avril-9 novembre 1813).XI. — LA CHUTE DE L'EMPIRE (9 novembre 1813-7 avril 1814).XII. — LA SÉPARATION (7 avril 1814-...).INTRODUCTION.C'est ici le trait d'union entre mes études sur Napoléon sentimental et amoureux et celles sur Napoléon familial. À partir de 1809. date décisive, l'enquête sur l'idée de famille ne pouvait prendre un degré satisfaisant de certitude, d'une part, sans la recherche préalable des causes, des préliminaires et des suites du Divorce — et ce fut l'objet de Joséphine répudiée, — d'autre part, sans la constatation des conséquences du second mariage, — et c'est le but du présent volume : par là j'aurai déblayé le terrain ; je poursuivrai avec plus de liberté l'étude du sentiment de famille, que complétera en un prochain livre : Napoléon II, la recherche du sentiment de paternité rapporté à l'idée d'hérédité. J'aperçois ainsi la terminaison de cette portion de l'œuvre entreprise. La première partie : Jeunesse, formation intellectuelle et morale cal terminée : la deuxième, Amour, est achevée : de la troisième — Famille — il reste à publier les quatre volumes qui la compléteront et qui paraîtront, j'espère, en 1902 et 1903. Je passerai alors à la quatrième et à la cinquième séries, dont on n'a vu jusqu'ici que deux volumes. Marie-Louise n'est donc qu'une des monographies qui, selon le plan adopté et suivi, depuis dix ans, doivent concourir à fournir l'idée d'ensemble ; j'y traite de Napoléon autant et plus que de Marie-Louise et je ne m'occupe de celle-ci que dans le rapport qu'elle prend avec celui-là. Dès le jour où la rupture est accomplie, je m'abstiens de juger, même de raconter. L'Impératrice des Français m'appartient ; je ne m'occupe pas de la duchesse de Parme. De Marie-Louise, dans sa liaison avec l'Empereur, j'ai voulu fournir une idée complète ; du caractère qu'elle a déployé en France, j'ai parlé avec tous les détails qui le pouvaient peindre ; de la vie qui lui fut faite, j'ai exposé toute l'économie ; mais je me suis borné là, écartant tout ce qui m'eût détourné de cette unique étude, laissant même de côté pour le moment ce qui est du sentiment maternel et des rapports avec les Bonaparte. J'ai essayé de montrer cette femme telle que, de 1810 à 1815, Pont vue ses contemporains, telle qu'elle est apparue alors à son mari, à sa cour, à son service intime et à la nation, non telle qu'on l'a jugée plus tard sur sa conduite et ses actes postérieurs. Ce qu'elle a fait ensuite je n'ai ni à l'excuser, ni à le condamner, cela n'est point de mon sujet. Je ne me dissimule point qu'une telle abstraction sera difficilement admise. J'ai à parler d'une femme contre qui s'élèvent les préjugés de tout un peuple : qui, depuis cent ans, est en France un objet de détestation et dans le monde entier un objet de mépris. Mais c'est qu'on la voit telle qu'elle devint et non telle qu'elle fut ; c'est qu'on ne veut classer ni discerner les époques diverses de sa vie et ses sentiments successifs. Pour moi j'ai fait table rase : j'ai regardé uniquement les documents, et d'eux seuls, j'ai tire mes convictions. J'ai rejeté les témoignages, les jugements et les conclusions d'après coup : ce que fut Marie-Louise archiduchesse et impératrice, voilà seulement ce que j'ai regardé. Est-ce à dire que je ne partage point l'opinion que se sont formée les patriotes, et que j'éprouve pour Marie-Louise, en contraste avec Joséphine, une sorte de tendresse partiale ? Non certes. J'ai rencontré la légende de Joséphine et j'ai tenté d'y substituer la vérité de l'histoire ; rencontrant la légende de Marie-Louise, je fais de même. Je n'ai pour l'une ni l'autre, sympathie ou antipathie, seulement la volonté de comprendre et d'expliquer l'une comme j'ai fait l'autre. Pour celle-là on est constamment parti d'un point faux qui a entraîné toutes les conséquences. On a parlé de Marie-Louise comme d'une Française de naissance et de race, au moins comme d'une femme qui se serait rendue Française par une longue habitude et une fréquentation durable, qui aurait ainsi embrassé nos ambitions, nos goûts, nos passions, nos rêves. Or, elle est née Allemande, elle a été élevée dans la haine do notre pays, et elle n'en a jamais acquis même la notion ; elle y a passé quatre années, mais en quelle vie, en quelle captivité, sans rapport avec les êtres, sans tendresse pour le sol et le paysage. Elle s'est toujours sentie exilée et s'est toujours trouvée étrangère, Elle n'a donc dépouillé aucun des sentiments qu'elle avait apportés et ceux-mêmes qu'elle eût acquis eussent été trop fugitifs pour tracer sur son esprit et sur son cœur. Aussi bien, quoi qu'il arrive, on reste de sa race. Etre d'une race implique qu'on en a le tempérament physique, mental et moral. Marie-Louise est de sa race ; donc ses actes ne sont intelligibles qu'à travers le prisme de sa race. De plus, elle est née archiduchesse et elle a porté en France un atavisme historique et une éducation impériale : voilà les trois éléments du problème psychologique ; et, de chacun, il faut tenir compte, si, faute de comprendre, on ne veut pas se rendre volontairement injuste. Suis-je parvenu à m'abstraire de ma race, à me désaxer des idées natives, à oublier les rancunes acquises au point de relever, de définir et de rendre les idées telles qu'elles devaient se formuler dans son cerveau, j'en doute. Il eût fallu pour cela, à défaut d'un esprit cosmopolite que je n'envie point, la fréquentation habituelle et l'observation directe d'êtres sinon pareils, au moins sensiblement analogues. Déjà pour un homme, c'est là problème presque insoluble que la femme ; qu'est-ce si la femme est étrangère et si elle est née archiduchesse ? Et, de plus, pour la solution du problème, il manque un élément essentiel : la correspondance que Marie-Louise et Napoléon ont entretenue durant les trois années 1812, 1813 et 1814. Ils. s'écrivaient chaque jour, souvent plusieurs fois par jour et de ces milliers de lettres, je n'en ai retrouvé, en dehors des dépêches officielles qu'une de la femme et cinq ou six du mari. A cette terrible lacune qui vraisemblablement ne sera jamais comblée, j'ai suppléé du mieux que j'ai pu, mais combien mal ! Une phrase des lettres à Joséphine n'est-elle pas plus expressive que vingt volumes ? Pour une de ces lettres ne donnerait-on pas tous les commentaires ? C'est le caractère, le tempérament, le génie et Pâme même. Là devant, on ne suppose ni ne déduit ; l'homme apparaît. Au moins, dans le cas improbable où cette correspondance aurait échappé, voudrais-je espérer que la publication qui en serait faite confirmât dans leur ensemble les hypothèses que j'ai proposées. Le procédé que j'ai employé pour reconstituer le caractère de Marie-Louise est le même que ci-devant. L'étendue de cette monographie semblera peut-être hors de proportion avec le sujet ; si l'unique objet en avait été Marie-Louise, elle eût pu être restreinte, mais Marie-Louise, bien plus que Joséphine, a été l'occasion pour Napoléon de quantité d'idées et même d'actes dont il a fallu rendre compte. Aurai-je à y revenir dans les diverses éludes que je prépare ; cela est probable. C'est là l'inconvénient grave du plan que j'ai adopté ; il oblige à des répétitions et il conduit à des digressions ; mais l'espoir d'atteindre quelques parcelles de vérité est peut-être mieux fondé qu'en un corps d'ouvrage où l'on sacrifie à la clarté et à la suite du récit, les aspects relatifs des personnages, leurs milieux divers, leurs mobiles accessoires et leur psychologie successive. L'histoire, renfermée au récit des faits, n'est qu'un exercice de mémoire : ce qu'il faut dégager, c'est la raison des actes et la logique des intentions. L'événement est si souvent le produit du hasard qu'il n'a rien en soi qui intéresse ; il ne porte aucune moralité et ne présente aucune leçon ; il n'a de valeur que par la préparation qu'il exige et par les suites qu'il comporte, par les idées dont il provoque l'éclosion ou dont il favorisa le développement. S'il suffit dans les précis d'histoire générale, si, légitimement, il fait l'objet, dans les histoires particulières, de dissertations savantes et de récits détaillés, il ne saurait contenter en cette forme d'histoire où la suite des études consacrées au même personnage a pour but de l'envisager sous tous les aspects, pour surprendre s'il se peut le secret du sphinx. Certes, en sa brutalité, le fait importe, mais s'il est acquis et enregistré à une date formelle, je n'ai ni à le discuter ni même à le raconter. Ce ne sont pas les actes de Napoléon que je recherche, ce sont les idées qui l'ont conduit à telle ou telle entreprise, celles qu'il y a portées, celles qu'a provoquées le succès ou le revers. Les faits ne sont ici que les points de repère des idées. A certains pourtant je m'attache jusqu'à la minutie : c'est qu'ils sont l'expression même des idées, mais ces faits ne sont ni de diplomatie ni de guerre ; ils sont essentiellement dépendants du personnage ; ils émanent directement de lui ; ils représentent l'exécution de ses ordres ; le hasard n'a sur eux aucune action et la fortune aucune prise. Ce sont des pensées en œuvre. En une telle exploration les écueils sont multiples : ne risque-t-on pas d'attacher une importance égale aux courants majeurs et aux décisions fortuites ? L'accumulation des minuties en un ordre factice et selon une logique objective ne conduira-t-elle pas à des conclusions, exactes en chacun de leurs éléments et fausses en leur ensemble ? A force de chercher le détail, ne perdra-t-on pas de vue la conception générale et ne prendra-t-on pas pour le conducteur essentiel et permanent ce qui n'est qu'un accessoire momentané et presque invisible ? Enfin, en mettant les choses au mieux et en supposant qu'on ait constamment approché une vérité au moins relative, lorsque l'œuvre sera terminée, rétablira-t-on les plans, distinguera-t-on les formes, définira-t-on l'occasionnel cl le définitif ? Dans ce tableau, la perspective se perdra par la distribution uniforme de la lumière ; rien ne ressortira parce que tout se trouvera également éclairé ; nul morceau ne viendra en saillie puisqu'aucun parti pris d'ombre ne le fera valoir ; la composition même restera indécise et mystérieuse et si quelques lecteurs attentifs devinent que ces éludes partent d'un point commun, s'enchaînent, se commandent, se prêtent un appui mutuel, se dirigent vers des conclusions pareilles, la plupart n'y verront que l'effort d'une compilation obstinée ou, comme on l'a dit, l'exploitation, sans intérêt, d'une mine dès longtemps épuisée. Cela est vrai : mais si je m'étends ainsi, c'est que, pièce à pièce, je défriche ce champ vraiment inexploré. Je l'ai entrepris par morceaux, car mes forces sont médiocres et mon regard est borné. Je m'avance pas à pas, affermissant à mesure le terrain, et allant de ce que je suis arrivé à connaître à ce qui me reste inconnu. Peut-être ce que je crois découvrir n'est-il neuf que pour moi seul. C'est le propre des ignorants, et trente ans de travail m'ont appris au moins que je ne savais rien. Au moins je n'invente point ; je ne soutiens pas une thèse ; je présente les conclusions que fournit un dossier patiemment formé : la répétition de faits semblables et d'idées pareilles donne la ligne générale ; le rapprochement presque mécanique qui s'opère cuire les papiers produit les opinions. Celles-ci s'imposent parla fréquence des documents et se rendent évidentes par la conformité de leur esprit. De ces éléments, les conséquences sortent et se déduisent, et du connu qui est l'action, permettent de remonter à l'inconnu qui est la pensée ; mais les deux formules ne se confondent pas cl la portion documentaire reste intacte et comme indépendante. Pourtant, pas plus qu'ailleurs, je n'indique ici les sources où j'ai puisé. Les bons juges reconnaîtront celles qui sont publiques et voudront bien me faire crédit sur les autres. Comme ailleurs et plus qu'ailleurs, d'heureuses trouvailles et de bienveillantes communications ont facilité ma tache ; j'ai rencontré dans des livres publiés en Allemagne et en Autriche des secours que je regrette de ne pas avouer, mais j'ai pris mon parti pour des raisons qui ont gardé à mes yeux toute leur valeur et sur lesquelles il convient que je m'explique une fois de plus puisque c'est la critique la plus habituelle qu'on fait à mes livres. D'abord, j'estime que des indications aussi multipliées couperaient le récit, le rendraient inécrivable, illisible, presque inintelligible. Resterait à en grouper l'énumération en tète de chaque chapitre. A quoi bon ? cela n'est ni scientifique, ni profitable, fournit seulement l'illusion d'un appareil d'érudition invérifiable. Chaque phrase, chaque mot aurait en réalité besoin de s'appuyer d'un texte ; dès qu'on se refuse à annoter ainsi, des parties demeurent suspectes et restent au compte de l'auteur : je préfère y prendre tout. Voici le quatorzième volume que je publie sur ki période Napoléonienne, le vingt-deuxième volume d'histoire que je fais imprimer. De ces vingt-deux volumes, personne n'a contesté un document, personne n'a discuté une assertion de fait. Cela me donne quelque force et me permet quelque liberté. J'ai pu me tromper ; jamais je n'ai volontairement trompé. Je suis prêt à justifier toutes mes assertions et à montrer mes noies à quiconque voudra discuter de bonne foi. Je n'ai jamais refusé un renseignement ni une indication à qui que ce soit, mais je ne me soucie point de fournir aux démarqueurs et aux plagiaires des pavillons pour leur piraterie ; je ne me prête pas à divulguer une bibliographie assez ample sur laquelle j'ai porté mon effort ; je ne veux pas livrer par des cotes d'archives les moyens de déflorer les sujets que je compte traiter. Aussi bien, les archives publiques jouent ici le moindre rôle. Beaucoup des renseignements qui me servent viennent de papiers que j'ai acquis depuis vingt ans. N'ayant pas l'intention de les vendre et ne portant à les posséder aucune vanité, je n'ai pas le goût d'y faire des réclames. Quant à ceux, plus nombreux et plus intéressants, qui m'ont été communiqués, je ne saurais enfreindre les volontés de leurs propriétaires et leurs désirs me font un devoir de taire leurs noms. Aussi bien ne voudrais-je pas les entraîner dans des aventures. Ce livre, tout simple qu'il est, soulève des problèmes délicats et peut amener des polémiques. Après un siècle écoulé, j'estime que l'historien est en droit d'écrire librement sur tout personnage qui a rempli un rôle public. Dans le rapport qu'un tel personnage a eu avec l'histoire, il en est justiciable. Celte théorie est contredite par des jugements de tribunaux ; par suite, elle a des inconvénients que, s'il y a lieu, je dois affronter seul. Je n'ai rien avancé qui ne soit appuyé par une série de documents certains, prouvé par une suite de témoignages concordants et authentiques, démontré par les aveux mêmes des intéressés. Je me suis borné à exposer, sans pousser mes conclusions ni formuler des condamnations. Je n'ai retenu que ce qui importe essentiellement à mon récit. Je me suis privé d'anecdotes qui, pour curieuses qu'elles étaient, eussent fait scandale. Certains mobiles en deviennent plus obscurs, mais les lignes générales subsistent et de celles-là je ne pouvais rien modifier. J'ai la conscience que j'ai rempli mon devoir el que je n'ai pas excédé mon droit. Néanmoins de cette indépendance que je revendique, il est naturel que je ne veuille point faire supporter les ennuis à ceux qui, ayant bien voulu agréer l'hommage particulier de ma gratitude, n'ont que faire de son expression publique. FRÉDÉRIC MASSON Clos des Fées. Octobre 1901. |