L'IMPÉRATRICE MARIE-LOUISE

 

VIII. — L'ENTREVUE DE DRESDE.

 

 

Le Départ pour Dresde. — Sentiments qu'y porte Marie-Louise, — Le Voyage. — L'Arrivée. — L'Empereur chez lui. — Les Souverains autrichiens. — L'impératrice Maria-Ludovica. — Sa haine contre l'Empereur. — Ce qu'elle pense de sa belle-fille. — Échec à Napoléon. — Le Drame de Dresde, Ier acte. — Départ de l'Empereur. — Marie-Louise à Prague. — Ses Maladresses. — Ses Présents. — Le Séjour à Prague. — Le Retour. — Wurtzbourg. — Rentrée à Saint-Cloud. — Vie qu'y mène l'Impératrice. — Surveillance continuelle. — Sentiments pour Napoléon. — Lettres de l'Empereur. — L'affaire Malet. — L'Impression de Marie-Louise. — Continuation du séjour à Saint-Cloud. — La Cour et ses Plaisirs. — Retour à Paris. — Arrivée subite de l'Empereur.

 

C'est ici, ce voyage de Dresde, le moment le plus brillant que Marie-Louise ait eu dans sa vie. Nulle inquiétude d'avenir, au moins qu'elle témoigne et dont ou trouve des indices ; une ignorance qui semble entière des conditions où s'engage la guerre avec la Russie ; une confiance dans la fortune de Napoléon qui fait envisager la victoire comme nécessaire ; une véritable tendresse pour ce mari qu'elle aime et dont elle se tient aimée ; la certitude, enfin, de revoir tout à l'heure les êtres qui, avec l'Empereur, tiennent la première place dans ses affections, et de leur apparaître, sinon grandie — car une archiduchesse ne saurait grandir — au moins affinée par les modes de Paris, entourée d'un éclat où sa vanité trouve une satisfaction, enrichie de telle façon que, de ses mains constamment ouvertes, sa générosité laisse tomber des présents. Sans doute, il y a l'inquiétude de la séparation prochaine, mais cette inquiétude est hors de tout pressentiment, de toute sensation d'un danger matériel que l'Empereur pourrait courir ; il commandera ses armées de haut, de loin, à la façon d'un souverain, non d'un soldat ; il n'y a que des aventuriers suédois — Gustave-Adolphe et Charles XII — pour se faire tuer à la guerre ; mais un empereur, et le plus puissant des empereurs ! Et n'est-ce pas que l'organisation du voyage est pour la confirmer dans cette impression ? On part de Saint-Cloud le 9 mai, à cinq heures et demie du matin. Marie-Louise est dans la voilure de l'Empereur et la suite est plus nombreuse encore qu'au voyage de Hollande. Pour l'Empereur, point de militaires — les équipages et la Maison de guerre sont à Posen depuis le commencement de mai — mais trente-huit personnes, grands officiers, ministres, officiers du service d'honneur, secrétaires, interprètes, pages, médecins ; et, pour l'Impératrice, outre ses propres officiers — le chevalier d'honneur, le premier écuyer, trois chambellans, quatre écuyers, la dame d'honneur, trois dames du Palais, quatre pages et le service de santé, — le grand chambellan et un préfet du Palais. En gagistes, services de chambre, de table, d'office, de cuisine et de livrée mieux fournis encore que pour les voyages dans l'Empire ; car, à Dresde, c'est l'empereur Napoléon qui, chez le roi de Saxe, recevra le roi de Saxe et l'empereur d'Autriche, et, à l'exception des voitures de gala, que fourniront la cour westphalienne et la cour saxonne, tout sera de France, tout viendra de France, tout sera monté à la française.

Jusqu'à Mayence, Leurs Majestés sont censées voyager incognito ; pourtant, elles sont escortées par la Gendarmerie, et, à Châlons, où l'on descend pour a couchée à la préfecture, l'Empereur après son dîner, reçoit les autorités ; à Metz, où l'on couche le 10, aussi à la préfecture, l'Empereur, sur les chevaux du préfet et du général, passe, dans l'arsenal, la revue des troupes, et donne audience ; mais, c'est à Mayence seulement que l'Impératrice parait. On loge au Palais de l'Ordre Teutonique, malgré l'Ecole d'artillerie qui y est installée, et que l'Empereur chasse par un décret érigeant le palais en quartier général impérial. Le grand-duc et la grande-duchesse de Hesse-Darmstadt et le prince d'An h ait viennent faire leur cour : on séjourne, le 12, pour des revues, des réceptions et des audiences. Le 13, on déjeune à Aschaffenbourg, chez le Prince-primat ; on dîne et on couche à Wurtzbourg, chez le grand-duc, oncle de Marie-Louise. On trouve là le grand-duc de Bade et le roi de Wurtemberg. Partout, canon, cloches, troupes, illuminations, services d'honneur et le reste ; mais, depuis Mayence, les escortes à chaque relais sont fournies par la cavalerie de la Garde : ce n'est qu'à la frontière de Saxe, où l'on arrive le la, après avoir couché le 14 à Bayreuth, que l'Empereur, après avoir reçu les compliments du grand chambellan, accepte une escorte des Gardes saxonnes. On couche à Plauen et, le 16, à Freyberg où l'on dîne, on est reçu par le roi et la reine de Saxe, avec qui l'on fait, à onze heures et demie du soir, l'entrée à Dresde. L'Empereur n'a pas voulu des carrosses de parade saxons, il a gardé ses voitures de voyage ; pourtant, la ville entière est illuminée, toutes les troupes sont sous les armes, le canon tonne, les cloches sonnent, et, au palais, à la descente de voiture, la famille royale et toute la cour attendent pour saluer l'Empereur, que l'on conduit en cortège dans les appartements dits d'Auguste II.

Dès ce soir même, il s'installe là chez lui : c'est sa maison qui le sert ; s'il accepte un service d'honneur civil et militaire considérable, pour lui et pour l'Impératrice, — sans dames, toutefois, car il n'y en a pas à la cour de Saxe, — s'il permet aux Gardes saxonnes de tenir les postes du palais, sa vie est réglée comme à Paris et partout : lever, travail, déjeuner solitaire, dîner et coucher. Le premier jour, l'Impératrice, excessivement fatiguée de la chaleur et des mauvais chemins, ne paraît pas le matin ; au lever de l'Empereur, à huit heures, affluence de princes ; dans la journée, échange de visites, mais dîner tête à tête avec l'Impératrice : après le dîner, jeu où sont admis les princes saxons et les entrées particulières. Le grand-duc de Wurtzbourg et la reine de Westphalie, arrivés dans la soirée, ne sont pas priés. Le lendemain, 18, à midi, entrée de l'empereur et de l'impératrice d'Autriche. Marie-Louise, à qui il est défendu d'aller à la rencontre de son père, a écrit pour s'excuser, attester ses sentiments, l'agitation infinie où elle sera jusqu'au moment où elle pourra lui renouveler l'assurance de tout son amour filial, mais, quelque plaisir qu'il doive trouver à sa fille, l'empereur François, qui ne vient qu'à contre cœur, doit être sensible à ce premier dégoût. Combien plus l'impératrice notoirement hostile à Napoléon, qui paraît ici en posture de vaincue, presque de subordonnée, qui se sent à la fois humiliée vis-à-vis de Napoléon et exaspérée vis-à-vis de sa belle-fille ! Les flatteries un peu grosses que la cour de Saxe prodigue à l'empereur français ne font qu'accentuer cette situation. La suite autrichienne — en tout onze hommes et quatre femmes — est bien inférieure en nombre et en splendeur à la suite française, et c'est Napoléon qu'on est contraint d'accepter l'hospitalité. Dès la première entrevue, Maria-Ludovica a peine à se contenir ; il faut qu'elle s'épanche dans ses lettres à sa mère sur la façon dont Napoléon l'a presque embrassée, dont il lui a baisé la main, sur ses continuelles questions et la façon dont elle a soin de n'y pas répondre, sur l'entrée chez elle de Marie-Louise en grande toilette et couverte de tous ses diamants. Elle est irréductible et saura le montrer.

Vainement, pour la conquérir, Napoléon renonce à la préséance qu'a voulu lui attribuer la cour de Saxe et règle qu'aux banquets les deux impératrices seront assises à côté l'une de l'autre, celle d'Autriche tenant la droite, l'empereur d'Autriche près rie sa fille, lui-même près de sa belle-mère. Vainement, au feu d'artifice où la pièce principale est un énorme soleil avec cette devise : Il est plus beau et plus grand que lui, a-t-il soin de dire tout haut : Il faut que ces gens me croient bien bête ; vainement déploie-t-il toutes ses grâces pour la conquérir, la faire, comme on dit, céder à l'ascendant qu'il exerce sur tous, et se montre-t-il, traversant les appartements, le chapeau d'une main, l'autre main sur la portière de sa chaise à porteurs, causant avec elle d'une manière enjouée, il perd ses avances, et Maria-Ludovica, qui le laisse marcher, n'en a pas moins, de haine, la fièvre chaque fois qu'elle le voit. Quelque effort qu'elle fasse pour se contenir, à des moments elle éclate. Un soir, à une partie d'hombre, elle se lève brusquement en disant à haute voix que tout jeu de cartes, en présence d'une pareille inadvertance et distraction, devenait chose ennuyeuse et impossible. Là-dessus, on cesse de jouer, et, pour se soustraire aux conversations, Maria-Ludovica affecte une passion de musique, fait subir à Napoléon le martyre des concerts, en demandant à tout le monde un silence absolu pendant que les morceaux s'exécutent.

Si elle hait Napoléon de naissance, elle apprend à haïr, peut-être mieux encore, sa belle-fille. D'abord, elle n'est pas clans l'état de dépérissement qu'on lui supposait. Elle a moins d'embonpoint, ce qui la rend plus jolie. Même les gens d'Autriche la trouvent singulièrement embellie. Sa tournure, disent-ils, est devenue très élégante, par conséquent, peu reconnaissable. Elle a maintenant la plus jolie taille du monde et un petit pied ravissant. De plus, rien n'est plus magnifique que sa suite. Elle a, dit-on, cent cinquante valets de chambre, garçons d'Atours ou laquais. L'empereur d'Autriche en a deux. Enfin, ce sont les parures et les toilettes, Marie-Louise y a pris goût. Si Napoléon exige plus de réserve, elle résiste, pleure même, et l'Empereur cède, soit attendrissement, fatigue ou distraction. Malgré son origine, il lui échappe de mortifier l'amour-propre allemand par des comparaisons peu mesurées entre son ancienne et sa nouvelle pairie. Napoléon l'en gronde, mais doucement. Peut-il voir un crime à cette préférence que montre sa femme aux choses françaises ?

C'est pourtant là un des griefs principaux de Maria-Ludovica, laquelle n'a que quatre ans de plus que sa belle fille — elle, née le 14 décembre 1787, Marie-Louise le 12 décembre 1791. L'Impératrice, disent les Autrichiens, n'a donné à sa mère qu'une toilette de vermeil et douze robes. Ce n'est pas un présent majestueux, ajoutent-ils, mais il est très utile, car les fourgons de l'impératrice ont été si mal confectionnés que toutes ses magnifiques parures se sont trouvées gâtées parles pluies d'orage survenues pendant le voyage. Cette fois, Marie-Louise n'a-t-elle, en réalité, donné que douze robes ? A coup sûr, en février, elle en avait envoyé de chez Leroy pour 1.505 francs, en mars pour 11.317 francs, et chaque mois c'est elle qui nippe ainsi la cousine belle-mère ; mais, sans doute, Maria-Ludovica n'a pas voulu se montrer uniquement sous des toilettes qu'elle doive à sa belle-fille, et durant que ses familiers répandent la légende des toilettes gâtées, elle en profite pour ne paraître, à Dresde, qu'en costume hongrois, qui lui sied parfaitement, et pour éviter, peut-être aussi, les rivalités et comparaisons de parures. Cela ne l'empêche pas de monter sa garde-robe pour l'avenir. Elle venait souvent le matin à la toilette de Marie-Louise fureter dans sa magnificence. Elle n'en sortait jamais les mains vides, a dit Napoléon, mais elle emportait à chaque fois, avec les robes et les bijoux, un peu plus de jalousie, d'envie et de haine. Marie-Louise éprouvait, les premiers temps au moins, une jouissance à se laisser piller. Outre qu'elle a eu pour Maria-Ludovica une tendresse très vive, elle se plaît à lui prouver à la fois sa prodigalité et son opulence — car toutes ces princesses d'Autriche sont tenues fort de court ; mais, pour cela, elle n'est plus disposée à souffrir que la petite cousine lui fasse la leçon et prenne des airs d'institutrice. Comme Napoléon travaille beaucoup et que Marie-Louise, jalouse de profiter des plus petits loisirs de son époux, sort à peine pour ne pas les perdre, l'impératrice d'Autriche, qui s'ennuie fort et qui voudrait l'avoir pour compagne de ses courses, lui peint son assiduité comme ridicule. Etant restée à 1810 et s'étant fermement tenue à ses haines, elle s'étonne que sa belle-fille, qui jadis les partageait, les ait muées en des sentiments contraires qui lui semblent un outrage à sa maison et à son autorité. Elle ne s'occupe donc qu'à débaucher Marie-Louise de Napoléon par les insinuations les plus méchantes et les plus malicieuses. Habituée à tout mener à la cour d'Autriche, et son mari d'abord, quoiqu'il eût la certitude qu'elle en faisait peu de cas, elle n'a nullement l'idée, que Napoléon lui attribue, de prendre quelque empire sur lui. En vérité, pour une façon de flirt qui ne la peut mener à rien, comment oublierait-elle ses rancunes de race et d'éducation, ses légitimes haines contre l'oppresseur de sa maison ? Elle est Modène et c'est l'âme de son frère qui est en elle, l'âme la plus aristocrate et la plus intransigeante qui soit en Europe, l'âme des seuls princes qui demeureront constamment à leurs principes — oui, mais elle est femme, — certains Autrichiens disent qu'elle l'était même avant son mariage ; elle se sent et se trouve jolie, et sans qu'elle se rende coquette vis-à-vis de Napoléon, ne peut-elle pas trouver une sorte de matin plaisir à lui donner, par instants, l'illusion qu'elle l'écoute et qu'elle pourrait lui devenir moins ennemie ? Sa figure, a-t-il dit, était agréable, piquante, avait quelque chose de tout particulier : c'était une jolie petite religieuse, et, s'étant occupé d'elle comme il a fait, il ne saurait admettre qu'elle a résisté tout à fait à ses avances. Il n'aurait pourtant qu'à la regarder, Qui peut se méprendre à une telle bouche sans lèvres, ouverte d'un coup de couteau, à ces yeux volontaires, à ce front obstiné, et, dans ce corps léger, presque débile, mince comme une asperge, à la flamme qui le brûle ? Qu'elle se laisse baiser les mains par son gendre, qu'elle ait même pour lui une coquetterie toute particulière, rien de mieux ; ne s'agit-il pas de compléter la comédie, et au moment où il se lance dans la grande aventure, faut-il lui laisser soupçonner qu'il laisse, au cœur de la place, une ennemie dont la haine ne désarmera jamais, et qui guettera, avec une fébrile passion, toutes les incertitudes de sa fortune ?

Sans qu'il s'en doute, c'est elle, dès lors, qu'il rencontre en tête et par qui il est battu. Les profils majeurs qu'il comptait tirer de l'entrevue, cette petite femme les annule. Elle a entrevu l'influence que le gendre, si on le laisse faire, va prendre sur le beau-père. Pour Napoléon, ce n'est pas assez que l'empereur François lui ait livré une armée autrichienne à traiter comme sa chose, il l'a décidé à prendre le commandement de cette armée, à entrer en Russie, à faire la campagne et à la faire avec lui. Maria-Ludovica l'apprend. Pour empêcher que son mari s'engage dans cette aventure où il lierait à jamais sa partie à celle de la France, elle emploie tous les moyens, les reproches, les prières et les larmes. A la fin, quoiqu'elle redoute Metternich qu'elle croit acquis à l'alliance française, elle fait appel à son secours et s'étonne qu'il le lui prêle. L'empereur François ne partira pas ; il ne subira plus l'action de son gendre ; il restera livré à sa femme et à Metternich, et n'est-ce pas qu'à présent Maria-Ludovica et Metternich se sont compris ?

Mais, si elle a battu l'homme, avec la femme, cette tête de bois, elle n'a pas su réussir. Reprendre son ascendant sur elle, faire de l'épouse de Napoléon son alliée et sa complice, s'introduire dans ce qu'elle peut connaître de secrets, recevoir d'elle, au lieu de gentilles déclarations de tendresse, des nouvelles et des avis, brouiller ce ménage qu'elle a été contrainte de former, et, à l'aide de cet instrument, dont elle méprise la terrible paresse d'esprit et dont elle a éprouvé la passivité, porter le dernier coup et abattre le colosse, cela est une tâche égale à l'active passion de sa race, égale à une intelligence qui, déjà ouverte à l'intrigue italienne, s'est élargie par la fréquentation de Gœthe et des grands Allemands.

Marie-Louise se refuse et ne se soumet pas : à première vue, elle parait n'avoir pas changé : c'est les mêmes manières, cet embarras et cette froideur qui font croire qu'elle est altière, sans qu'elle le soit, et puis enfant quasi plus qu'elle ne l'était avant de se marier. Mais, à l'examen, elle ne trouve bien que ce qui se fait en France, elle en vante les modes, les façons, les élégances, elle en écrase la chère cousine, autant que de sa puissance et de son luxe, elle jouit de son règne, elle a la terre à ses pieds. Ce n'est pas avec des présents, si nombreux soient-ils, si beaux et si rares, qu'elle se le fera pardonner. Napoléon a mal vu ; ce qui sort de là n'est point une bonne petite haine de cour, c'est la jalousie éveillée dès l'enfance entre la petite cousine pauvre, et la fille aînée de l'empereur, assourdie lorsque la petite cousine a comblé ses ambitions en montant au trône d'Autriche et en conquérant de force le lit impérial, tournée à présent en une haine implacable, haine de femme, d'aristocrate, de souveraine, contre cette laideronne, qui s'avise d'être devenue plaisante, contre cette archiduchesse qui, en aimant ce garnement, trahit sa race et sa patrie, contre cette impératrice qui se prend au sérieux et qui se donne l'air de priser son trône de jacobine à l'égal du trône de Marie-Thérèse.

Sans doute, Maria-Ludovica ne témoigne rien de cette détestation qu'elle a dans le cœur, elle la gaze sous des lettres journalières de quatre pages pleines de tendresse et de cajolerie, mais elle ne se contentera que lorsqu'elle aura écrasé, avili, déshonoré la fille de son mari.

Tel est le drame qui se noue dans le décor mignard du palais rococo, au travers des fêtes répétées chaque soir, des promenades en calèche, des parties de chasse, des banquets, des spectacles, des concerts, des feux d'artifice, sans qu'en soupçonne rien le personnel des figurants, les Saxe, les Prusse, les Weimar, les Mecklembourg, les Cobourg, les Reuss, tous pros ternes à genoux devant le mortel ennemi. Et c'est avec de jolis gestes alanguis de malade, c'est avec des enlacements de tendresse et des maternels roucoulements que l'impératrice caresse sa belle-fille, en attendant qu'elle l'étrangle, et Marie-Louise, inconsciente du péril, incapable de suivre une idée de haine et de concevoir qu'on l'éprouve, envenime sans cesse la blessure qu'elle a faite sans y penser et ne s'en fie pas moins aux dehors qu'on lui présente.

Le 29 mai — un vendredi — à trois heures du matin, l'Empereur doit partir pour l'armée. Marie-Louise est dans la désolation et les larmes, de façon à convaincre les plus incrédules que c'est bien franchement qu'elle l'aime ; l'Empereur lui-même semble très préoccupé. Son départ tarde au delà de l'heure fixée. Les allées et venues dans ses appartements et dans ceux de l'Impératrice trahissent de l'agitation ; la voiture ne roule qu'à quatre heures et demie du matin. Vous me connaissez assez, écrit Marie-Louise à Mme de Luçay, pour vous figurer combien je suis malheureuse et triste. Je tâche de me vaincre, mais je resterai comme cela jusqu'au moment où je le reverrai. Dans cet état, elle a besoin, plus que jamais, d'affections démonstratives et de caresses enveloppantes, et c'est avec joie qu'elle arrange d'aller pour six semaines à Prague, où toute sa famille viendra la voir. Leurs Majestés Autrichiennes ont quitté Dresde dans la matinée du 29, mais leur fille ne saurait les suivre si tôt. On a des arrangements à prendre pour l'accueillir. Elle-même désire recevoir, d'abord, des .nouvelles de Napoléon et l'annonce de son arrivée à Glogau. Elle reste donc cinq jours encore à Dresde, comblée des attentions de la famille de Saxe, de la reine de Westphalie et du grand-duc de Wurtzbourg, lequel l'accompagnera en Autriche. Le i juin seulement, à cinq heures du matin, elle quitte Dresde, et, escortée jusqu'à la frontière par les cuirassiers saxons, elle est reçue en Bohème avec les honneurs impériaux : compliments au nom de l'empereur, escortes de chevau-légers, compliments des autorités, garde bourgeoise sous les armes. Elle s'arrête à Tœplitz, s'y promène— car c'est l'endroit à la mode, où toutes les belles dames d'Europe se donnent rendez-vous — elle y couche et, le lendemain matin, à sept heures, elle part pour Prague. Leurs Majestés Autrichiennes sont venues au-devant d'elle jusqu'à l'abbaye de Sainte-Marguerite et l'y attendent depuis trois heures de l'après-midi ; il en est cinq quand elle arrive, et, en montant dans la voiture de sa belle-mère, elle prend la droite. Le 6, dans son appartement, elle reçoit à dîner son père et sa belle-mère, et elle s'assied au milieu d'un des côtés longs de la table ovale, le préfet du Palais debout en face d'elle, l'empereur assis à sa droite, l'impératrice à sa gauche. Au banquet du 7, pareille disposition, et le Journal des voyages, qui fait loi pour les précédents d'étiquette, note que S. M. l'Impératrice de France a constamment occupé la place au centre, soit chez elle, soit chez LL. MM. Autrichiennes, soit au spectacle, etc.

Ce qui tend encore la situation, c'est que Marie-Louise a reçu, à son arrivée à Prague, un service, d'honneur autrichien de douze chambellans, à la tête duquel est le prince Clary, et dont le comte Neipperg fait partie. Entre eux et les Français, non seulement la fusion ne s'opère pas, mais, à des moments, on se mesure des yeux, et c'est tout juste si les règles de la courtoisie sont maintenues. La haine universelle pour la Fiance rend les Autrichiens de glace pour la cour des Tuileries, comme le faisait déjà présager à Dresde la réserve des dames de l'impératrice d'Autriche. Il faut avouer que si, en leurs propos, les dames de France ont imité leur maîtresse, que d'ennemies elles ont dû se faire ! Je vous assure, écrit Marie-Louise à Mme de Luçay, que, malgré mes vieilles robes, votre amour-propre de dame d'Atours n'est pas négligé, car on les trouve superbes, et elles font réellement un effet merveilleux entre toutes les toilettes ridicules qu'on trouve ici. Et non seulement elle affecte de n'aimer que ce qui est français, mais, en toute occasion, elle affiche son amour pour l'Empereur. Passe, quand c'est à une Française qu'elle écrit : J'ai d'excellentes nouvelles de l'Empereur qui est resté à Posen jusqu'au 6 juin. Il se porte à merveille et me donne toujours l'espérance de le voir sous peu. Dieu veuille que cela soit vrai ! Je serai trop malheureuse sans cela. L'on me donne des fêtes continuelles qui ne font que me rendre plus triste... Mes oncles viennent me voir. Ainsi, je pourrais être parfaitement heureuse si l'Empereur était avec moi, mais, sans lui, je ne puis avoir de bonheur. Mais, ce même jour 11 juin, presque dans les mêmes termes, elle écrit à une Autrichienne : Vous pouvez vous figurer le bonheur que je ressens d'être au milieu de ma famille, cependant il est troublé par le chagrin de me trouver séparée de l'Empereur ; je ne puis être heureuse qu'auprès de lui. Et, un autre jour, à une autre : L'absence de l'Empereur suffit pour me troubler tout ce plaisir. Je ne serai contente et heureuse que lorsque je le reverrai : que Dieu vous préserve jamais d'une telle séparation ! Elle est trop cruelle pour un cœur aimant, et, si elle dure longtemps, je n'y résisterai pas.

Et maintenant, qu'elle fasse venir de Paris des oignons, des bracelets, des boites de fruits confits, des breloques qui soutiennent le cheval, trois selles et ce qu'il faut pour le harnais, des tables à trente-six jeux qu'on achète au Singe Vert ; qu'elle appelle Isabey à Prague pour y peindre tous ceux qu'elle aime ; qu'elle s'ingénie à deviner les goûts de chacun pour leur offrir toute la curiosité et tout le joli de Paris ; qu'elle commande à Biennais un nécessaire de 26.000 francs, d'autres plus petits de 1.500, 1.200 et 1.000 francs et une écritoire de 13.000 francs ; à Mugnier, deux montres d'or de 1.000 francs ; à Corbie et Gabriel, neuf cachemires de 3.200 à 1.800 francs ; qu'elle fasse courir chez les marchands de nouveautés pour trente-neuf robes en pièce — robes brodées à diamants, robes bleu infroissable, robes de pou-de-soie, de gros de Naples, de levantine, de gaze, de tulle, de cachemire, de velouté, de reps, de taffetas, d'étoffes turques ; qu'elle commande à Leroy vingt-cinq robes, dont quinze pour sa belle-mère ; à Despaux, à Herbault, à Guérin, trente-deux chapeaux, toques, capotes, casques et bonnets ; à Corot, Guérin et Vanlout des parures de toutes les fleurs artificielles : roses, hyacinthes, œillets, lis, lilas, violettes, jasmins d'Espagne, camélias, asters, oreilles d'ours, narcisses, fleurs d'oranger, renoncules, agapinthes, aubépines, amaryllis ; à Tessier, vingt-quatre paires de bas, les plus beaux qu'on fabrique, à 96 francs et à 72 francs la paire ; qu'elle demande vingt-deux éventails, toute la gamme des éventails qu'on fabrique à Paris, depuis l'éventail à bois d'or ciselé avec rivures en brillants de 750 francs, l'éventail à rivures en perles fines avec camées représentant la Toilette de Vénus de 600 fr., l'éventail avec panaches d'or, à petits bois en nacre de perles et à rivures en perles de 350 francs, jusqu'aux éventails de bois d'acier, de bois d'argent, de bois de santal, de bois jaune, de bois de nacre, de brins d'acier, avec des papiers étrusques, des décors chinois, des peintures à la main, des tulles à paillettes et à paillons, qui de 120 francs tombent à 9 francs ; qu'elle veuille encore un mobilier de salon, fauteuils et chaises, des chenilles à broder avec les navettes en or et en vermeil, douze douzaines de paires de gants, une bibliothèque d'acajou contenant cent quarante-neuf volumes reliés en maroquin vert avec des armoiries dont on grave les fers tout exprès ; qu'elle s'ingénie pour des corsets, des jouets, des couleurs, des bon-r bons, du chocolat, qu'elle dévalise Paris pour ses présents, qu'elle y dépense — ou l'Empereur — 122.642 francs 70 centimes, presque tout pour Maria-Ludovica, rien n'y fait. La belle-mère marque à toute occasion son hostilité, et l'on en trouve des preuves même dans l'officiel des relations d'étiquette : ainsi, le 13 juin, à cinq heures, les deux cours se sont réunies dans les appartements de Sa Majesté, et l'impératrice d'Autriche a fait les honneurs d'un petit bal donné aux trois jeunes archiduchesses sœurs de Sa Majesté. La première idée de la cour d'Autriche avait été de donner ce bal à huis clos, mais il a été décidé que toutes les personnes du voyage de l'Impératrice auraient l'honneur d'y être admises. Ainsi, le 14, dans la promenade au jardin Bubenest, durant que l'empereur d'Autriche et Marie-Louise, descendus de voiture, se promènent pendant une heure au milieu de la foule qui les presse de toutes parts, l'impératrice d'Autriche se place sur un banc et reste pendant ce temps, environnée d'une partie de cette population, et n'ayant près d'elle qu'une de ses dames.

Dans ces allées et venues d'archiducs venant saluer leur nièce, sœur ou cousine, dans ces quotidiennes promenades aux sites et aux curiosités des environs de Prague, dans cette succession ininterrompue de fêtes agrestes, de spectacles de gala, de banquets impériaux, de bals d'enfants, de bals officiels, de redoutes populaires à trois mille cinq cents invités, c'est le plus étonnant mélange de la simplicité la plus bourgeoise et du cérémonial le plus pompeux : tantôt, au retour d'une belle course, on dîne en famille, sans changer les toilettes du matin ; tantôt il faut que le grand chambellan de France, assisté de deux pages et de deux valets de chambre, serve lui-même l'Impératrice à table ou, chez l'empereur d'Autriche, que ce soit le prince Clary, aidé de douze chambellans autrichiens. On passe sans transition d'une existence intime, sans escorte et sans gardes, d'où même les entrées particulières sont exclues, à des cortèges d'une magnificence sans pareille et à des observances d'étiquette d'une antique rigueur. A des jours, Marie-Louise monte à cheval sans aucune suite, tête à tête avec son père, et se plaît si bien à sa monture, que l'Empereur lui en fait présent ; à d'autres, elle ne saurait sortir sans toute sa suite en grand costume, et nul ne saurait dire pour quelle cause on déploie tant de magnificence. La suite semble du reste excédée du séjour à Prague : Grands dîners, grands cercles, grandes illuminations, toujours planté sur les pieds, même pendant d'éternels concerts, quelques promenades en voilures, longues stations dans de longs salons, toujours sérieux, toujours sur le qui vive, et toujours occupé à défendre ses attributions ou ses prétentions, voilà, dit un de ceux qui ont le plus désiré être du voyage, voilà à peu près à quoi se réduisent ces plaisirs si enviés et après lesquels on soupire.

Le séjour à Prague a duré un grand mois ; il est temps de penser au retour. Un intérêt bien cher, écrit Marie-Louise, me rappelle en France qui seul est capable de me consoler un peu de l'absence de son père. Ce sont donc les adieux ; déjà la plupart des archiducs sont repartis, visite faite, mais il reste les audiences à donner à toute la cour autrichienne. Napoléon, comme il a dit, a gorgé de diamants tous ceux qui l'ont approché ; les présents de Marie-Louise ne sont pas moindres ; ils entrent pour la meilleure part dans les 1.200.000 francs dont se trouve chargé le compte du grand chambellan ; de plus, l'Impératrice vide sa bourse : Il ne me reste rien sur les dépenses particulières, écrit-elle à Mme de Luçay, j'ai été obligée à donner beaucoup à Prague. Encore, l'Empereur prend-il sur sa cassette les 122.000francs de galanteries qu'on enverra à la famille d'Autriche. Le 1er juillet, à sept heures du matin, Marie-Louise monte en voiture avec son père ; sa belle-mère et ses sœurs l'accompagnent jusqu'à la portière et le cortège se met en route au son des cloches, les troupes bordant la haie. Tout le jour il pleut, en sorte qu'on est obligé de remettre au lendemain la visite projetée des jardins du comte Czernin, au Schœnhof. On va coucher à Carlsbad, où l'on séjourne pour voir les curiosités de la station et, le 4, à Schœnfeld, on descend dans les mines d'étain ; le S, on couche à Frantzbrünn, près d'Égra, où le 6, au matin, l'empereur prend congé de sa fille. Le même jour, à minuit passé, par des chemins défoncés, Marie-Louise arrive à Bamberg, où le duc de Bavière, beau-père de Berthier, fait sa résidence. Depuis six heures du soir, heure fixée, le duc, entouré de tous les membres du gouvernement bavarois, attend au bas de l'escalier de son palais, mais il aura l'honneur de dîner avec Sa Majesté, à une heure du matin. Le 7, Marie-Louise est à Wurtzbourg, où son oncle, le grand-duc qui, depuis Dresde, lui a tenu fidèle société, l'a précédée pour les derniers préparatifs. Marie-Louise lui donne toute une semaine qui passe fort à son gré, égayée par des promenades champêtres, des goûters sur l'herbe et de ces concerts où le grand-duc croit exceller et où il octroie à son talent de chantre de cathédrale la première place au programme. Ma santé est très bonne, écrit-elle le 9 juillet, malgré une crampe d'estomac assez forte que j'ai eue hier. Je suis depuis avant-hier ici où je me repose. J'ai eu le plaisir d'y retrouver mon cousin et mes cousines, les enfants du grand-duc. On voit qu'elle s'écoute et qu'elle attache à ses maux, même les plus légers, assez d'importance pour en faire constamment mention, car elle écrit le 10 : J'ai très mal à un bras et je suis empaquetée dans des cataplasmes qui n'embaument pas trop ma chambre. Or, la douleur n'est pas si aiguë, car ce même jour, elle monte à cheval, tient cercle et assiste au théâtre à deux actes du Mariage de Figaro. C'est seulement le 14 qu'elle se décide au départ et, dans une journée, elle vient de Wurtzbourg à Mayence. Partie le 15, à onze heures du matin, de Mayence, où on lui rend tous les honneurs civils et militaires, elle voyage tout le jour et toute la nuit, et arrive à cinq heures du matin, le 16, au château de Pange, chez le comte de Pange, son chambellan, où elle trouve l'hospitalité la plus brillante et la mieux entendue. Le 17, elle passe à Metz et couche à Châlons. Le 18, à sept heures du soir, le canon des Invalides annonce aux Parisiens son arrivé à Saint-Cloud.

Dès lors, après les effusions que lui commandent, vis-à-vis de son fils qu'elle n'a pas vu depuis plus de deux mois, les convenances et les habitudes, elle reprend une vie très solitaire, presque uniquement en tête à tête avec Mme de Montebello, très renfermée, sauf lorsqu'il y a des obligations d'étiquette, en tout cas tout à fait sédentaire. Tout ce qui est cérémonie semble l'excéder et volontiers elle s'y soustrait. Ainsi, le 19, les grands dignitaires, les ministres, les grands officiers et les officiers-de la Maison ont été convoqués par le grand chambellan pour présenter leurs compliments sur le retour ; ils arrivent ; l'Impératrice se dit fatiguée, ne les reçoit pas ; il faut qu'ils reviennent le surlendemain. — L'Autre, mourante, eût trouvé pour chacun un mot gracieux et un reconnaissant sourire.

Cependant, à l'ordinaire, si fort qu'elle s'y ennuie, Marie-Louise, selon les ordres formels qu'a laissés l'Empereur, accomplit les rites avec l'esprit d'obéissance qui est le propre de sa nature. Elle a grand spectacle le jeudi ; elle a, le dimanche, messe publique, cercle et audience diplomatique. Elle fait alors le tour de la galerie, parle à chacun, mais sa timidité est si visible, les efforts qu'elle fait pour la surmonter lui donnent un maintien si embarrassé, les questions qu'elle pose tombent si mal à propos, que chacun fait des gorges chaudes, et que ce qui chez elle devrait attendrir passe pour de la hauteur et exaspère. Elle fait ce qu'on lui a commandé, du mieux qu'elle peut ; comme elle en a reçu la consigne, elle parait en grande loge à l'Opéra où l'on joue Didon ; elle vient à Paris pour le 10 août, reçoit, dans la Salle du Trône, les hommages des dignitaires, assiste à la messe et au Te Deum, tient la grande audience, termine la journée par le spectacle, le concert sur la terrasse et le cercle dans la Salle des Maréchaux. Pour sa fête à elle, elle reçoit aussi la Cour, mais, le soir, en souvenir des années heureuses où l'Empereur la fêtait à Trianon, c'est là qu'elle vient seule, chercher dans les allées désertes, sur les gazons desséchés par le brûlant été, les traces évanouies des bonheurs d'autrefois.

Sauf quelques visites en demi-caractère à la reine d'Espagne, ce sont là toutes les sorties et presque les seules occasions où elle se montre en plein public. Sa vie, hors des heures longues passées avec la duchesse, on peut la suivre jour par jour, car, chaque semaine l'estafette en porte à l'Empereur le méticuleux détail, avec la liste des visites reçues, le compté rendu des promenades et des dîners. Par exemple :

JEUDI 3 SEPTEMBRE. — Sa Majesté a monté à cheval à 4 heures et demie. Le soir, il y a eu spectacle sur le Grand théâtre. Les Comédiens italiens ont joué le premier acte de la Camilla.

VENDREDI 4. — Sa Majesté est allée se promener en calèche à 3 heures et demie. Le soir, S. A. Madame Mère a dîné avec Sa Majesté. Il y a eu concert et jeu dans les Appartements.

SAMEDI 5. — Sa Majesté a été se promener dans le parc et les environs. Le soir, après diner, il y a eu jeu dans les Appartements.

DIMANCHE 6. — A midi et demi, Sa Majesté a entendu la messe dans la chapelle. Après la messe, Sa Majesté a donné audience dans les Grands appartements.

Sa Majesté n'a pas sorti l'après-midi.

Sa Majesté la reine Hortense a diné avec l'Impératrice.

Le soir, il y a eu jeu et concert dans les Appartements.

Et l'Empereur, si loin, prend un tel intérêt à ce qui se passe à Saint-Cloud que, sur cet étrange bulletin, écrit d'une main malhabile sur du papier à chandelle, il marque d'une croix où il est impossible de méconnaître sa manière, le paragraphe : Sa Majesté n'a pas sorti l'après-midi.

D'après ces quatre jours — et toutes les semaines sont pareilles, sauf les variantes des heures pour la promenade alternée à cheval et en calèche — on peut juger comme la vie est unie, simple et, pourrait-on dire, bourgeoise, n'étaient le cadre, les litres et le divertissement du soir. Là, aux entrées, de plus en plus restreintes et de moins en moins recherchées, elle arrive à être mieux à l'aise, car ce sont chaque soir les mêmes ligures, et ce monde, avec qui elle s'est rendue familière, ne la glace plus. Elle fait les honneurs avec beaucoup de grâce et de naturel. Elle joue au billard avec les personnes qu'elle désigne ; des tables de whist sont dressées pour la forme dans le salon qu'elle occupe, et la soirée se termine par un concert ou un spectacle. Quand il vient moins de monde encore, certains s'étonnent de son singulier goût pour les grossièretés, du rôle principal que sa garde-robe joue dans ses conversations ; mais on sait de qui elle tient ce mauvais ton.

Cette Marie-Louise simple, aimante, désireuse de plaire, attachée à son mari, vivant d'une vie tout unie et singulièrement terne que passionne seulement une absorbante amitié, c'est la Marie-Louise de l'intimité, celle que montrent ses lettres, que Napoléon a connue et qu'il a pu aimer. Dieu veuille, écrit-elle à son père, que je revoie bientôt l'Empereur, car la séparation m'accable beaucoup trop lourdement, et je n'ai pas assez de courage pour ne pas me chagriner ; et, à Madame mère, sa chère maman : Ma santé est bonne, je me trouve très bien de l'air de Saint-Cloud où je vis d'une manière très tranquille, mais, quand on est triste comme moi, ma chère maman, l'on ne demande pas de distractions et l'on n'est contente que quand oh est seule et qu'on peut se livrer à tout son chagrin. Aussi, il me coûte beaucoup dans les moments où je dois me vaincre pour voir du monde. Il faut se bornera faire des vœux pour que ces inquiétudes finissent bien vite et que nous puissions voir revenir victorieux vers nous l'Empereur, car je sens que je ne pourrais être heureuse que dans ces moments. Cela peut passer pour de l'officiel et, à son père comme à sa belle-mère, elle ne saurait, sans doute, parler autrement ; mais à son amie d'enfance ? Vous avez bien raison de penser, lui écrit-elle, que j'ai passé le 25 août moins gaiement que les années précédentes. Vous me connaissez assez pour savoir que, quand j'ai un chagrin, il est bien cruel et que, malgré cela, je ne le montre pas. Ainsi, vous pouvez juger celui que doit me causer l'absence de l'Empereur et qui ne finira qu'à son retour. Je me tourmente et m'inquiète sans cesse. Un jour passé sans avoir de lettre suffit pour me mettre au désespoir et, quand j'en reçois une, cela ne me soulage que pour peu d'heures. Et à son ancienne aja elle dit, presque dans les mêmes termes : Ma santé s'est très bien trouvée du voyage qui ne m'a pas fatiguée, mais, depuis que je suis revenue, elle n'a pu résister à ce qu'éprouve mon âme et j'ai été pendant longtemps bien souffrante. Je suis mieux à présent sans avoir rien pris, car, quand je demandais conseil aux médecins, ils me répondaient toujours en me demandant quelque chose d'impossible : Tachez d'être raisonnable et tranquille, et nous vous guérirons après.

Ainsi, l'embonpoint, que, au dire de Cambacérès, elle avait repris légèrement après le voyage de Hollande et qui lui seyait, a disparu devant des accès de fièvre qui se répètent la nuit, au moins tous les trois jours, et qu'elle combat seulement par la distraction de belles courses dans les bois de Saint-Cloud qui, sans être aussi pittoresques et agrestes que les vôtres, écrit-elle à une Autrichienne, n'en sont pas moins jolis. — C'est l'inquiétude qui est cause qu'elle est souffrante — non l'inquiétude des événements de guerre : il ne semble pas qu'elle en soit, même effleurée, soit qu'elle croie l'Empereur invulnérable ou qu'elle s'imagine que, faisant campagne à la façon des empereurs d'Autriche, il se tient à telle portée des projectiles qu'il ne puisse en être atteint ; de la guerre et de ses phases, des terreurs que soulevait à chaque instant chez Joséphine l'appréhension de l'avenir, nulle trace ; mais, en place, une forme de sentiment très allemand, assez peu intelligible aux Français, un sentiment de rêverie, une mélancolie qui n'est pas exempte de quelque charme, cet état d'âme schwærmerisch, intraduisible en français comme le mol qui l'exprime. Ainsi veut-elle porter d'une façon constante la marque et comme l'esclavage de cette étroite et sympathique union qu'elle a formée avec l'Empereur : ce n'est pas assez des tresses de cheveux, des médaillons et des portraits dont elle se pare. Il lui faut deux bracelets qu'elle mettra toujours à ses bras et où elle inscrit les noms et les dates de l'accomplissement de son destin. La mode est alors de former, avec des fleurs ou des pierres précieuses, des sortes de sélams où l'on ne cherche ni une allégorie, ni un symbole, ni la réunion d'amulettes privilégiées, seulement l'expression d'un ou de plusieurs mots formés par les lettres initiales des plantes ou des minéraux employés. Marie-Louise remet donc cette note à sa dame d'Atours :

PIERRES DONT JE SOUHAITE AVOIR COMPOSÉ DES BRACELETS :

Natrolite.

Malachite.

Améthyste.

Améthyste.

Péridot.

Rubis.

Opale.

Iris.

Lapis.

Émeraude.

Émeraude.

12

Onyx.

Diamant.

Natrolite.

Émeraude.

15

Chrysoprase.

Agate.

Émeraude.

Opale.

Malachite.

Uranie.

Béril.

Turquoise.

Rubis.

1769 en petits brillants.

Emeraude.

1791.

27 Malachite Améthyste Rubis Serpentine.

2 Améthyste Vermeille Rubis Iris Labrador 1810.

Cela se lit : NAPOLÉON 15 AOÛT 1769. MARIE 12 DÉCEMBRE 1791 — 27 MARS, 2 AVRIL 1810.

Pour achever ce portrait que Marie-Louise trace ainsi d'elle-même, il faudrait par quelques pièces de la correspondance très active, presque quotidienne qu'elle entretient avec l'Empereur, montrer de quel ton elle lui écrit : mais, de lettres d'elle, aucune qu'on connaisse et qui ait échappé. Le ton des lettres de l'Empereur — on en a deux, interceptées parles éclaireurs russes — suffit peut-être à montrer l'intimité du ménage : Ma bonne amie, écrit-il de Moscou le 10 octobre, j'ai reçu ta lettre du 29. Tout le bien qu'on me dit de tous les côtés de loi me fait bien plaisir. Je vois que tu as le secret de rendre tout le monde content. Il me paraît que les Parisiens t'aiment beaucoup. Il faudrait qu'ils soient bien difficiles. Le petit roi le rend, j'espère, bien contente. Si, cet hiver, je ne puis revenir à Paris, je te ferai venir me voir en Pologne. Tu comprends que j'ai autant envie que toi de te voir et de te dire tous les sentiments que tu m'inspires. Adieu, mon amie, tout à toi. Et, de Smolensk, le 11 novembre : Ma bonne amie, tu sais que nous nous sommes rapprochés de bien des jours. J'expédie le petit Montesquiou à Paris. Le temps est froid, 40 degrés ; la terre couverte de neige. Je pense à toi. Je tiendrai tant de te voir. Bientôt ton père doit ...... (illisible), car tu sais combien je t'aime tendrement. Embrasse mon fils.

Ce ne sont pas certes les lettres enflammées qu'écrivait à Joséphine le général d'Italie, les lettres sentimentales qu'adressait à Marie Walewska l'empereur d'Eylau ; les quarante-trois ans ont tracé ; Napoléon s'est établi hors du roman, dans la position d'un époux affectueux, d'un père très tendre, ayant pour les siens des sentiments, comme il a dit, très nettement bourgeois — trop, car c'est par le roman, une certaine forme de roman où il y aurait à la fois de Werther et des Brigands, où Marie-Louise tournerait ses rêveries à être successivement Charlotte ou Amélie, qu'il lui inspirerait l'admiration qui subjugue et cette sorte d'intérêt qui, sur une Allemande — même archiduchesse — est toute-puissante. Mais, Napoléon ne songe ni à forcer, ni à dramatiser ses sentiments désormais assis, qu'il exprime par des mots simples, avec une netteté concise.

On n'y voit rien qui soit de la politique, rien même qui soit de la guerre : de celle-ci, il est naturel que Napoléon ne parle pas à Marie-Louise, car il ne veut, ni ne peut l'inquiéter, et de celle-là, elle est moins instruite encore que ne fut Joséphine. L'Empereur l'en tient tout à fait en dehors, lui réservant un rôle d'apparat, qu'elle ne doit jouer encore qu'à la Cour et dans l'enceinte des palais. L'Opéra en fait partie : aussi, une fois, par ordre, y apparaît-elle, en septembre, à une représentation de Jérusalem délivrée ; selon l'usage, elle se montre en calèche dans le bas parc, le jour de la fêle de Saint-Cloud, mais, le 4 octobre, lorsqu'on célèbre un Te Deum pour l'entrée à Moscou, c'est aux Tuileries, dans la chapelle, qu'elle y assiste avec la Cour, durant que les autorités, avec le peuple, se rendent à Notre-Dame. Après le Te Deum, elle tient cercle, mais retourne dîner à Saint-Cloud où il y a concert et jeu.

Elle continue à ignorer tout de la France, de son état social et de la manière dont on la gouverne. Aussi ne s'inquiète-t-elle nullement lorsque, le 23 octobre, dans la matinée, un billet de l'archichancelier lui apprend, sans détails, qu'une émeute de brigands, aussitôt réprimée, s'est produite dans la nuit à Paris. Pourquoi s'alarmer ? A Paris, au moment même, nul ne s'est troublé : témoin les lettres qui arrivent aux personnes de sa Maison : On vient de me rapporter, écrit M. de Luçay à sa femme, que, à trois heures du matin, le général Hulin avait été attaqué chez lui par un homme qui lui a tiré dans la tête un coup de pistolet. On dit qu'il a un côté de la joue emportée, mais qu'il n'est pas blessé mortellement... Plus de trois mille personnes étaient rassemblées ce matin sur la place Vendôme par cet événement. Je vais profiter du beau temps pour me promener.

A tout hasard, Beauharnais qui, depuis le 23 juillet, a pris, en sa qualité de chevalier d'honneur, le commandement militaire du Palais, en fait doubler les postes et y appelle les dépôts de la Garde et les écoles de Saint-Cyr et de Saint-Germain. A. deux heures, arrive l'archichancelier qui vient confirmer que tout est calme, et que le duc de Rovigo et le préfet de police sont rendus à leurs fonctions. C'est la première nouvelle qu'ils y aient été enlevés. Dans la journée, affluent presque tout le service ordinaire et extraordinaire et quelques personnes de marque attachées à la Maison. On commence alors seulement à s'expliquer. Pour Marie-Louise, elle n'a pas eu de peine à montrer du sang-froid, car elle ne comprend rien à ce qui s'est passé. Qu'auraient-ils pu me faire ? dit-elle à Cambacérès et, le lendemain à Hortense, accourue de Saint-Leu pour embrasser ce pauvre petit roi de Rome, — ce n'était, dit-elle, qu'affaire de brigands.

Quant à la sécurité de sa personne, elle n'a pas si grand tort : dans l'ordre qu'il avait préparé pour le général Deriot, commandant les dépôts de la Garde, Malet ne lui avait-il pas enjoint d'occuper Sèvres, Ville-d'Avray et Saint-Cloud et, avant toutes choses, de veiller à protéger l'Impératrice, tant pour l'honneur national, disait-il, que pour la garantie qu'elle nous assure de la conduite de l'empereur d'Autriche envers la France. Quant aux projets des conspirateurs, dont on lui laisse, d'ailleurs, ignorer tous les détails, qu'en pourrait-elle saisir ? Celte France est-elle si intelligible pour un étranger et, depuis cent ans qu'on discourt, entre Français, sur l'affaire Malet, est-on certain d'eu avoir le secret ? Entre l'ancienne et la nouvelle patrie de Marie-Louise, tout diffère au point que l'idée d'une conspiration militaire réussissant, et par de tels moyens, est inaccessible à son cerveau traditionnel, monarchique, subordonné et, d'ailleurs, étroit. En 1797, en 1801, en 1805, en 1809, elle a vu l'armée autrichienne vaincue, dispersée, anéantie : l'ennemi s'est approché de Vienne, il y est entré, il s'y est rendu maître. La nation aurait pu désespérer de la dynastie ; elle s'y est attachée au contraire avec une passion qui s'accroissait aux revers et s'ennoblissait aux désastres. Pas une voix ne s'est élevée contre l'empereur et ne s'est faite accusatrice, et tous les efforts du vainqueur pour susciter une faction qui devînt sa complice, ont échoué devant le loyalisme des vaincus. Que des généraux profilassent d'une défaite prétendue pour renverser le gouvernement, qu'une révolution pût ainsi s'accomplir, que d'une minute à l'autre, l'Impératrice des Français se trouvât proscrite, errante, abandonnée de celle cour servile, de cette invincible armée, de ce peuple enthousiaste, comment Marie-Louise l'eût-elle imaginé ? Qui lui a appris comme cette nation est incertaine et mobile, comme elle n'a de fidélité qu'au succès, comme ses acclamations ne vont qu'aux chances heureuses ? Qui lui a dit les divisions profondes, les partis toujours armés, les ambitions sans cesse éveillées, les trahisons constamment prêtes et l'instabilité de ce trône que la fortune a élevé et qu'elle renversera tout aussi bien ? Qui lui a révélé que, parmi les lieutenants du nouvel Alexandre, il s'en trouve à toute heure vingt qui aspirent à son héritage, cent qui s'en croient dignes, des milliers qui se demandent pourquoi lui et non pas eux ? Des brigands ! cela explique tout et supprime tous les commentaires gênants. Elle le croit. Elle envoie un de ses pages savoir des nouvelles du général Hulin, et c'est tout. Le lendemain, quand Hortense vient la voir, elle est à merveille. Elle accepte avec empressement de renouveler à Saint-Leu la partie qu'elle y a faite le mois précédent. Elle se montre fort gaie au concert dans les Appartements et, le 28, chez Hortense, elle s'amuse infiniment aux niaiseries de Brunet, jouant les Habitants des Landes. On la voit le 29 à Paris, au Salon d'exposition des artistes vivants où sont ses portraits par Franque, Gérard, Lafond, Parent et ceux de son fils par Prud'hon, Rémy, Gérard, Rouget et Bosio ; et elle ne se lasse pas d'admirer les miniatures de tous les siens que, par ses ordres, Isabey est allô faire à Prague, à Laxenbourg et à Vienne. Elle ne subit même pas cette sorte de choc en retour qui, sur les explications données ou les paroles entendues, pourrait la frapper. Je ne suis pas du tout effrayée, écrit-elle le 21 novembre, du trouble qu'ont fait quelques têtes folles, car je connais trop bien le bon caractère du peuple et son dévouement à l'Empereur pour m'être effrayée de cela un seul instant.

Au reste, dans ce harem où pas un bruit du dehors ne pénètre et où s'écoule son existence, qui l'eût instruite ou même avertie ? On a vu sa vie : sauf quelques visites d'Hortense qui semble avoir pris sa belle-sœur en pitié et qui, presque une fois la semaine, vient dîner avec elle, ce sont toujours les mêmes occupations et c'est toujours la même société. Dans le jour, Mme de Montebello : si elle s'absente, Mme de Luçay et les femmes rouges, toutes muettes par état, par étiquette et par esprit courtisan. Le soir, les entrées, de moins en moins nombreuses, billard, jeu, concert, spectacle. Qui lui parlerait ? Qui, dans ces pénibles plaisirs, oserait mêler le sérieux des choses ? En novembre, deux soirées à Paris : une à l'Opéra-Comique, une aux Français ; et, à chaque fois, des acclamations enthousiastes que le ministre de la Police ne paye pas : il l'affirme ; seulement, il a garni quelques loges et il a placé de son monde au parterre. Le service même se relâche : on prend des prétextes pour se dispenser. Des dames, une craint que son frère ne soit blessé, une autre se dit souffrante, une troisième allègue ses enfants. Il arrive que, de tout son monde, Marie-Louise est réduite à une dame. Quant à ces Messieurs, ils ont l'habitude de jouer du matin au soir dans le salon de service, et bien heureux est-on s'ils ne proposent pas à Tunique dame de s'amuser un moment au trente-et-quarante.

Cependant, le séjour à Saint-Cloud se prolonge et l'hivernage est pénible. Dans les chambres, on a un froid qui vous réveille sans cesse et, malgré les houppelandes qu'on entasse sur les lits, on ne parvient pas à se réchauffer. On attend les ordres de l'Empereur, et l'Empereur ne peut en donner, car, pendant la retraite, il reste des vingt jours sans nouvelles de Paris et dix-huit estafettes lui manquent.

Pourtant, le 28 novembre, les échos répètent que le 5 du mois suivant, les déportés de Saint-Cloud seront rapatriés : il faut bien que l'on vienne à Paris célébrer l'anniversaire du Couronnement ; l'on arrive, en effet, mais l'on met une sourdine ; d'abord, on reporte la cérémonie au dimanche ; puis, on réduit la fête publique aux coups de canon, aux mariages dotés par la Ville, aux Te Deum et aux illuminations de commande, la fête de cour à l'audience diplomatique, la messe, le Te Deum, la grande audience, la représentation des Horaces et le cercle dans les Grands appartements. L'inquiétude est partout et l'attente. Pour donner une sorte de mouvement, l'Impératrice se montre le 8 à l'Opéra, mais les applaudissements sont maigres. Le 17, le Moniteur publie le Vingt-neuvième bulletin. Il éclate dans le silence, mais il est comme ces explosifs dont on entend à peine la détonation et qui désagrègent une montagne. L'édifice branle : tout le monde désormais en sent la fragilité et en attend la chute.-Rien pourtant n'est changé à la vie de la Cour. Ce jour-là même, l'Impératrice en cortège visite le Salon, y passe deux heures et demie, et, le soir, on donne l'Homme du Jour sur le théâtre des Tuileries. Le 18, à onze heures et demie du soir, l'Impératrice vient de se mettre au lit, et la femme rouge de service s'apprête à fermer les portes et à se coucher lorsqu'elle entend du bruit dans le salon voisin. Au même moment la porte s'ouvre : deux hommes, enveloppés de pelisses fourrées entrent d'un pas délibéré. Sous le coup des terreurs qu'a laissées l'affaire Malet, Mlle Katzener se précipite en criant pour barrer l'entrée de la chambre à coucher, mais un des hommes écarte son manteau : c'est l'Empereur. Marie-Louise, qui allait se jeter hors de son lit, se trouve dans les bras de son mari.