AVANT-PROPOS.CHAPITRE PREMIER. — LES ORIGINES DIPLOMATIQUES DU CONFLIT.CHAPITRE II. — LA POLITIQUE DE L'ANGLETERRE. - LA TRIPLE ENTENTE.CHAPITRE III. — L'ALLEMAGNE ÉCONOMIQUE ET LE PANGERMANISME.CHAPITRE IV. — L'ALLEMAGNE POLITIQUE.CHAPITRE V. — LA POLITIQUE DES ARMEMENTS.CHAPITRE VI. — LA FRANCE DEVANT L'ALLEMAGNE.CHAPITRE VII. — LES PUISSANCES EUROPÉENNES : L'AUTRICHE-HONGRIE.CHAPITRE VIII. — LES PUISSANCES EUROPÉENNES : LA TURQUIE.CHAPITRE IX. — LES PUISSANCES EUROPÉENNES : LA RUSSIE.CHAPITRE X. — LES PUISSANCES EUROPÉENNES : L'ANGLETERRE.CHAPITRE XI. — LES PUISSANCES EUROPÉENNES : LA BELGIQUE.AVANT-PROPOS.J'ENTREPRENDS d'écrire l'histoire du conflit qui éclata en Europe, l'année 1914, et qui met en cause peut-être l'avenir de l'humanité. Quand l'effort de la culture générale et l'adoucissement des mœurs paraissaient, surtout depuis un demi-siècle, se diriger vers la paix, ils aboutirent, en fait, à une lutte presque universelle. Le sens dans lequel la civilisation croyait évoluer s'est dévié et, pour ainsi dire, retourné. La vieille humanité ne peut décidément éliminer le facteur guerre de son progrès. On cherchera dans des incidents de détail plus ou moins importants la cause et les origines de cette crise terrible : elles tiennent surtout à des raisons permanentes, qui touchent à l'essence de la nature humaine. Le succès produit l'orgueil, et l'orgueil la violence. D'autre part, la richesse produit la corruption, et la corruption énerve les peuples. Par les deux voies, l'homme retourne à la barbarie originelle. Seuls, des événements tragiques peuvent le corriger et le purifier. Il est aussi des causes plus nobles : car l'homme est pétri de bien et de mal. Des appétits violents ont, en lui, pour contrepartie, des aspirations élevées. L'homme, être sociable, cherche sans cesse à étendre son action par la société et sur la société, en visant à la fois les corps et les âmes. Il a un besoin incessant de conquête et de propagande : il veut commander et il veut convaincre. Quand ces deux ambitions s'opposent, quand la force se heurte à l'idée, un débat naît, et ce débat a pour sanction, le recours aux armes : Tu ne veux pas obéir, ou Tu ne veux pas croire... tu périras ! Par contre, quelle admirable révolte que celle de l'esprit de liberté qui, précisément, ne veut pas périr ! Les indépendances individuelles et nationales barrent la route à l'impérialisme et à la tyrannie ; la parole donnée, la foi, l'honneur, leur sont des obstacles, des digues, cent fois rompues, mais cent fois rétablies. Le droit balance la force. La noblesse de l'humanité s'affirme dans ces héroïques conflits. Elle ne progresse (au prix de quelles souffrances !) que parce qu'elle trouve en son sein des Léonidas, des Jeanne d'Arc et des Lazare Carnot que rien n'intimide et qui ne cèdent pas. La liberté du monde est faite du sang des martyrs, — des martyrs-individus et des martyrs-nations. La grandeur n'est pas la force ni la puissance une garantie de durée. L'empire de Charles-Quint s'est écroulé ; la Pologne subsiste. La victoire du vaincu est peut-être le secret sublime de l'histoire. J'écris ce récit au fur et à mesure que la guerre se déroule : il y a urgence, en effet, à ne pas laisser l'histoire se faire en dehors de nous et peut-être contre nous. Il importe de réunir, sans retard, les éléments qui doivent servir à former l'opinion du monde. C'est travailler à la cause du vrai, du juste, que d'établir, dès maintenant, les origines de la guerre actuelle, son véritable caractère, la tournure implacable qui lui a été donnée par la volonté de ceux qui Font déclarée et qui l'ont commencée en violant la neutralité belge, qui ont nié la foi jurée et se sont mis en état de rupture voulue et avouée avec les engagements internationaux qui protégeaient la guerre elle-même contre les excès de la guerre. Puisqu'il est une puissance qui a considéré. les traités comme de simples chiffons de papier, il est indispensable de le répéter et de l'établir clairement. Il ne faut pas que le bruit des événements militaires fasse oublier les responsabilités de ceux qui les ont déchaînés et qui leur ont imprimé un caractère si particulièrement inhumain. Puisqu'une lutte est engagée qui oppose les deux tendances contraires de notre double nature, le génie du mal et le génie du bien ; puisqu'on rencontre, dans l'un des deux camps, la volonté de dominer le monde et de le courber sous une tyrannie économique et politique dont il ne pourrait, de longtemps, secouer le joug ; puisque ce parti est résolu, pour obtenir un tel résultat, à employer la force, sans égard aux engagements authentiques, aux contrats solennels, à la morale internationale consacrée par les siècles ; puisque la civilisation est menacée d'une prodigieuse régression et que la victoire de ce camp serait le triomphe de la brutalité cynique ; puisque, dans l'autre camp, on combat pour la liberté et l'indépendance des peuples, pour le respect des traités et de la foi jurée, pour les égards que les forts doivent aux faibles, pour le respect des femmes, des enfants, des populations désarmées, pour la loyauté internationale, pour le maintien des plus nobles sentiments, la pitié, la commisération, la douceur, la contrainte intérieure exercée par le puissant sur soi-même ; puisque ces deux causes sont en balance et que l'issue du duel est entre les mains de Dieu, il faut dire les choses telles qu'elles sont pendant qu'elles sont : car qui peut prévoir ce que la victoire ou la défaite permettront de dire après ? Que seront devenus, alors, la face du monde et le cœur de l'humanité ? L'humanité joue une partie où il y va de son essence même. L'homme est-il bon, est-il méchant ? Il faut présenter les aléas opposés et les chances contraires avant que le destin se soit prononcé. La première loi de l'histoire est la vérité : or, il y a une vérité poignante et pathétique dans l'incertitude que la volonté divine mêle à la certitude où nous sommes que la plus noble des causes doit triompher. C'est entendu, j'écris en pleine bataille, dans la poudre et la fumée, sans horizon et sans lendemain ; je ne vois pas très loin, je ne distingue pas les ensembles, je ne sais où la fatalité nous mène ; j'appartiens à un des peuples engagés dans la lutte, à celui qui souffre le plus et qui aurait le plus de droits à se plaindre de la destinée : cette position est la mienne et je l'accepte. Ceci dit, j'affirme ma ferme volonté d'être véridique : je contiendrai mes sentiments ; je refoulerai mes larmes. Mais ce que je ne puis promettre, c'est de comprimer mon cœur et de faire taire, en moi, les sentiments qui viennent de ma naissance et de ma foi dans la justice de la cause que je sers Si, bien involontairement, je manque à la loi d'équité, qui est l'autre loi de l'histoire, on me pardonnera : au moment d'écrire, ma main tremble. Mais cette émotion même communiquera peut-être au récit quelque chose de son mouvement. Il ne s'agit pas d'un livre de cabinet, mais d'une œuvre d'action et de combat. Je suis dans la mêlée. Je lutte, avec tous les miens, pour la vérité, l'honneur, la liberté. Si la gravité de l'histoire y perd quelque chose, son efficacité y gagnera beaucoup. J'invite mes lecteurs à se mobiliser avec moi pour la défense de mon pays, la France, et de son noble patrimoine, devant l'avenir, devant Dieu. G. H. Novembre 1914 |