HISTOIRE ILLUSTRÉE DE LA GUERRE DE 1914

 

CHAPITRE VIII. — LES PUISSANCES EUROPÉENNES : LA TURQUIE.

 

 

Grandeur et décadence de la Turquie. — La question d'Orient. — Les États balkaniques. — La Révolution turque.

 

L'HISTOIRE récente de la Turquie est le tableau d'une décadence. On savait, depuis longtemps, que l'empire des Ottomans était frappé à mort ; mais on ne savait pas comment il disparaîtrait. Nous assistons à cette agonie.

DÉCADENCE DE LA TURQUIE.

Les Turcs, originaires de l'Asie et du Turkestan chinois, parents des Huns, des Hongrois, des Mongols, fondent un empire asiatique, sur les ruines de l'empire des Seldjoucides, à la fin du XIIIe siècle. Ils étendent leur domination sur les territoires de l'empire grec ; En 1360, Amurat prend pied à Andrinople ; à la bataille légendaire de Kossovo, il triomphe des Bulgares, des Serbes, des Bosniaques et des Albanais, ligués contre lui. En 1453, Mahomet II s'empare de Constantinople et les Asiates musulmans s'installent au cœur de l'Europe ; leurs avant-gardes poussent jusqu'à Belgrade, même jusqu'à Vienne qu'ils assiègent. Leurs flottes dominent la Méditerranée et balancent l'autorité de Venise, de Gênes, de l'Espagne, de la France, dans l'Adriatique, dans l'Archipel et même le golfe du Lion.

La bataille de Lépante les arrête sur mer, tandis que leur expansion se prolonge sur terre, jusqu'à la fin du XVIIe siècle.

C'est alors que l'Europe commence à se ressaisir et réagit contre la présence, dans sa chair, d'un corps étranger. La fièvre agite les populations locales ; puis, elle gagne, par sympathie, les nations lointaines.

L'esprit des croisades s'est insinué dans les calculs des politiques. La liquidation de l'empire turc devient la grande affaire des diplomates. Ils comprennent que le sort des territoires occupés par la conquête ottomane donnera lieu, d'abord, à des luttes âpres pour la conquête et, ensuite, à des rivalités profondes entre les conquérants.

Ces territoires ne sont pas seulement, par eux-mêmes, vastes et fertiles ; sur leur immense étendue, on trouve les lieux qui ont disposé dans le passé et qui disposeront dans l'avenir du progrès humain : les terres mères de la civilisation, l'Égypte, les vallées du Tigre et de l'Euphrate, la Syrie, qui nous apprit les lettres et les nombres, la Palestine, qui vit naître le judaïsme et le christianisme, l'Arabie, centre du mahométisme, Constantinople, héritière de toutes les grandeurs antiques, les îles de l'Archipel et de l'Adriatique qui ont été les étapes de la civilisation vers l'occident méditerranéen. En outre, les grands passages, éternellement convoités et disputés : le Danube et les fleuves qui, par les Balkans, rattachent l'Europe centrale à la Méditerranée ; le Bosphore et les Dardanelles, l'isthme de Suez, la mer Rouge, le golfe Persique, c'est-à-dire les voies de terre et les voies de mer qui relient les trois continents.

LA QUESTION D'ORIENT.

Tous ces problèmes étaient inclus dans ce qu'on appela, dès le XVIIIe siècle, la Question d'Orient, et en plus, le grand problème moral et religieux qui agite le monde, la lutte ou la conciliation entre le monothéisme asiate, le culte sans intermédiaire et sans image, du Dieu solitaire, d'une part, et, d'autre part, la large et humaine doctrine du christianisme, héritière de la sagesse antique, avec la consolation éternelle du Verbe se faisant chair, la perpétuité de l'Église, la communion des fidèles, la vigilance attentive de la Divinité sur les choses humaines ; en un mot, la balance entre le pessimisme résigné de l'Orient, l'optimisme actif de l'Occident : depuis la guerre de Troie et les invasions des Perses, l'histoire n'avait pas assisté à un duel plus grave et plus émouvant.

L'Europe ne touchait à ces questions qu'en tremblant : elle savait qu'il y allait de son repos pendant de longues années et peut-être pendant de longs siècles, quand la crise s'ouvrirait ; elle la retardait autant que possible. D'autre part, des nécessités, plus fortes que la volonté humaine, la précipitaient.

L'empire ottoman se dégradait de lui-même ; les territoires occupés tombaient dans l'abandon et la stérilité ; les plus beaux pays du monde étaient devenus déserts. Enfin et surtout, les communautés chrétiennes ne pouvaient plus supporter le joug : animées par le souffle d'indépendance que les temps nouveaux répandaient sur le monde, elles se soulevaient et s'offraient en holocaustes pour prendre le monde par la pitié.

La politique était intéressée à ne pas laisser les choses se faire d'elles-mêmes : une répression violente et victorieuse eût confirmé l'établissement des Turcs en Europe avec toutes les complications qu'il provoque ; une révolte heureuse des populations locales eût résolu les questions d'équilibre sans tenir compte des intérêts des puissances. La diplomatie intervenait donc, parfois heureusement, parfois maladroitement. Les révoltes, les guerres, les pacifications provisoires et le malaise permanent, tout s'enchevêtrait dans les complexités infinies du problème.

En somme, les puissances européennes, qui furent et se crurent longtemps maîtresses des événements, hésitaient entre deux partis à prendre : le maintien de l'intégrité de l'empire ottoman qui reportait les solutions au lendemain ; l'intervention en faveur des peuples et des communautés balkaniques.

Les diplomates furent toujours pour la première solution et les peuples pour la seconde. On sait comment la politique des peuples l'emporta le plus souvent, comment l'intervention européenne courut à l'aide des populations révoltées, pour libérer graduellement la Grèce, la Roumanie, la Serbie, le Monténégro, la Bulgarie ; on connaît le rôle de la France — dont le protectorat sur les catholiques maintenu en Orient assurait une certaine survivance de la civilisation occidentale —, de l'Angleterre, de la Russie, fille de la Byzance orthodoxe, sœur aînée des populations slaves des Balkans.

C'est à l'intervention de la Russie en 1877-78 qu'est due la plus récente crise de l'empire d'Orient, avant les événements actuels. Au congrès de Berlin, Bismarck prétendit régler, au nom de l'Europe, une des phases de la question d'Orient.

Il est inutile d'ajouter qu'il se préoccupait surtout des intérêts de l'Allemagne.

D'accord avec l'Angleterre et avec l'Autriche - Hongrie, il se mit en travers de la victoire russe et, en se refusant, autant qu'il était en lui, à prêter l'oreille aux revendications des communautés balkaniques, il remit le sort de la Turquie aux Turcs eux-mêmes ; mais, il introduisit, dans le débat, un élément nouveau, les ambitions de l'Autriche-Hongrie, qui se posait, sous son égide, en copartageante de la péninsule des Balkans ; du même coup, il faisait le chemin à l'influence germanique.

C'était un nouveau et puissant facteur qui se glissait ainsi dans les affaires orientales. La grande Germanie, cimentée par les victoires de 1866 et de 1870, par la constitution de l'alliance entre Berlin et Vienne, cherchait son expansion en Orient. La Turquie devenait la protégée des deux empires ; son territoire n'était plus vers l'Asie que la traîne du magnifique manteau impérial taillé en plein drap par la Prusse, héritière de l'empire d'Allemagne et de l'empire romain.

Ce système, imposé avec une habileté suprême, avait rencontré, d'abord, toutes les faveurs de l'Angleterre, qui, comme compensation de son adhésion, avait obtenu Chypre et l' Égypte ; la France, réduite au silence, avait agrandi son empire africain par la conquête de la Tunisie. La Russie, battue, s'était réfugiée dans l'isolement et avait travaillé à son développement vers l'Asie.

Tout paraissait tranquille. Mais le profond calculateur n'avait pas tenu compte des deux données essentielles du problème : d'une part, l'état de déliquescence de l'empire turc lui-même, et, d'autre part, la force croissante des revendications balkaniques, tenues avec soin à la porte du congrès de Berlin.

On avait cru les réduire au silence : elles feraient parler d'elles. On avait résolu de les subordonner à l'Autriche et, indirectement, à l'Allemagne : elles prouveraient qu'elles avaient du sang dans les veines, — et un autre sang que celui qui coulait dans les veines des Turcs et des Allemands.

L'erreur de Bismarck, élève de Frédéric le Grand et des copartageants de la Pologne, était de croire que l'on dispose des territoires sans l'aveu des populations qui les habitent. Vue régressive, vue féodale, où s'attardait le génie allemand, après avoir dégagé lui-même l'unité allemande au nom du principe des nationalités.

LES ÉTATS BALKANIQUES.

Malgré tout, les sacrifices qui avaient précédé la guerre de 1877-78 et l'intervention de la Russie n'avaient pas été vains. Un nouveau progrès avait été accompli et sanctionné par le traité de Berlin lui-même dans le sens de la libération des peuples.

Le Monténégro avait reçu quelques marques de la haute protection russe et notamment le port d'Antivari lui donnant accès sur l'Adriatique ; il est vrai qu'on avait refoulé rudement ses aspirations, en le plaçant, en quelque sorte, sous la haute surveillance de l'Autriche ; mais il attendrait.

La Serbie, qui avait été une des causes initiales de la guerre, fut abandonnée par la Russie et sacrifiée à l'Autriche qui, en lui faisant attribuer les districts de Tern et de Pirot, affecta de la prendre sous sa protection.

La Roumanie, dont l'indépendance fut reconnue, perdit la Bessarabie et n'obtint, en retour, que des concessions assez maigres dans la région de la Dobroutcha ; concessions que la France put accroître un peu au dernier moment.

La Grèce, soutenue également par la France, obtint, après une longue et pénible négociation, une rectification de frontière dans les provinces de Thessalie et d'Epire.

La grande œuvre du congrès de Berlin et la seule qui pût être considérée comme le paiement de la victoire russe, fut la création de la Bulgarie. Les délégués bulgares traçaient, en ces termes, le programme de son action future dans la péninsule balkanique, si on lui permettait seulement de s'affranchir et de s'organiser : Le peuple bulgare demande sa propre autonomie avec un gouvernement national garanti par les grandes puissances protectrices des chrétiens d'Orient, unique moyen de pouvoir vivre paisiblement et se développer graduellement. L'autonomie du peuple bulgare, dans ces conditions, pourrait seule le rendre capable de devenir, par ses propres lois et ses propres forces, l'un des agents les plus actifs et les plus persévérants du progrès et de la civilisation dans l'Europe orientale ; elle serait, en même temps, la garantie la plus sûre d'une paix durable, dans la plus grande partie de la péninsule des Balkans. Et il n'y a qu'elle qui puisse empêcher, dans l'avenir, le retour des atrocités qui ont justement soulevé l'indignation du monde civilisé. Il arrive à croire, qu'après les cruelles épreuves auxquelles il a été soumis par ses maîtres, l'Europe ne voudra plus mettre derechef ces derniers en état de la pousser à des actes de désespoir, au sacrifice même de son existence.

Le peuple bulgare s'attribuait, ainsi, d'avance, un rôle messianique. La Bulgarie renaissante, c'était la première manifestation formelle du panslavisme dans les Balkans.

Le traité de San Stefano avait créé un royaume bulgare, comptant quatre millions et demi d'habitants et s'étendant du Danube à la mer Egée. Le congrès de Berlin refoula les revendications bulgares ; il fit, de la Bulgarie, une principauté autonome, mais toujours tributaire du sultan ; elle ne s'étendait plus que du Danube aux Balkans.

Quant aux débris de la grande Bulgarie du traité de San Stefano, leur sort fut réglé, ainsi qu'il suit : une province de Roumélie Orientale, avec Philippopoli, restant sous l'autorité directe du sultan, mais obtenant certaines garanties d'autonomie administrative et un gouverneur chrétien ; une antre province, contenant la Thrace et la Macédoine, continuant a faire partie de l'empire, mais devant obtenir, sous le contrôle de l'Europe, certaines réformes administratives : combinaison pitoyable, combinaison de diplomates !

Six ans ne s'étaient pas écoulés, que la Bulgarie occupait la Roumélie Orientale. Quant à la Macédoine et à la Thrace elles devenaient un foyer de désordres qui devait, conjointement avec l'affaire de Bosnie et Herzégovine, allumer l'incendie général en Europe.

Si la création de la Bulgarie fut la grande satisfaction donnée à la Russie, le règlement du sort de la Bosnie et Herzégovine fut une satisfaction beaucoup plus grande et beaucoup plus réelle donnée à l'Autriche-Hongrie. Le traité de Berlin, sur la proposition des plénipotentiaires anglais et allemand, attribuait à cet empire le droit d'occuper et administrer sine die la Bosnie et l'Herzégovine ; cette concession établissait l'Autriche-Hongrie en maîtresse au cœur des Balkans, au cœur des pays slaves, c'était une route ouverte sur le chemin de Salonique. L'Autriche-Hongrie, d'ailleurs, ne se déclarait pas satisfaite ; elle réclamait l'annexion de ces provinces. Seule, la résistance de la Hongrie empêcha cette solution radicale et c'est une restriction que l'empereur François-Joseph ne pardonna jamais au comte Andrassy.

Résumons les résultats du congrès de Berlin demi-mesures à l'égard de la Turquie ; demi-satisfactions aux principautés chrétiennes ; échec à l'élément slave, entrée en ligne de l'élément germanique. La péninsule balkanique restait, pour un prochain avenir, un nid de graves difficultés.

Le traité de Berlin embrouillait tout, ne réglait rien.

De 1880 à 1908, l'histoire de la péninsule n'est rien qu'un long effort, de la part des peuples balkaniques, pour achever ce que le congrès de Berlin avait laissé en suspens.

La position de ces peuples et de l'Europe reste réciproquement la même. Les premiers ne songent qu'a développer leur indépendance ou leur territoire libéré ; l'Europe n'a qu'une pensée : éviter, si possible, et, en tous cas, retarder le cataclysme prévu, si la moindre rupture d'équilibre se produit en Orient : L'avis général des puissances, déclarait lord Salisbury, à propos de l'affaire arménienne, est que l'empire turc doit être soutenu, attendu qu'aucun arrangement destiné à le remplacer ne peut être suggéré sans entraîner le risque sérieux d'un conflit européen ; et M. G. Hanotaux, à propos de l'affaire crétoise : Les puissances ne veulent pas risquer d'ouvrir un gouffre d'hostilités, vers lequel non seulement les peuples rivaux des Balkans, mais d'autres aussi et plus éloignés, se trouveraient peut-être invinciblement entraînés. (22 février 1897.)

Mais l'empire ottoman se refusait, pour ainsi dire de lui-même, à la vie nouvelle que l'appréhension de sa mort aurait voulu lui insuffler. La Turquie, après un effort sous le règne d'Abd-ul-Hamid, s'abandonnait et arrivait peu à peu à une véritable déliquescence.

LA TURQUIE À LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION.

À la veille de la révolution qui préparait l'avènement d'un régime nouveau, le tableau de la Turquie mourante était le suivant : Depuis 1878, la Turquie s'est enfoncée dans l'anarchie et souffre de plus en plus de la difficulté d'être. Les populations sont épuisées ; elles n'en peuvent plus. Le procédé gouvernemental issu de la conquêtec'est-à-dire, la violence à froid avec, en perspective, la répression par le sabren'a fait que se dissimuler en partie sous une méthode plus souple et peut-être plus détestable : on ne sait quelle apparence de procédure légale, quelle œuvre de justice et de police mêlées, quel embrigadement astucieux de toutes les méfiances et de toutes les délations, la surveillance exercée par un espionnage continuel de la vie de tous par tous, dans un pays affreusement divisé. Ainsi, une terreur pâle règne sur des peuples muets.

L'œuvre administrative se borne à la perception des impôts d'une part et, d'autre part, à l'entretien des fonctionnaires publics, mais cela, par un unique moyen, la concussion. Les agents de l'autorité étant mal rétribués et n'ayant aucune ressource que l'argent extorqué au contribuable, cette rétribution, c'est-à-dire le profit illicite dissimulé sous la forme d'un cadeau plus ou moins volontaire, le rouchwet, est devenu une institution.

Tout est rouchwet et, à obtenir le rouchwet, le fonctionnaire travaille uniquement. Une œuvre de persécution et d'intimidation plus ou moins hypocrite s'accomplit incessamment et rend la vie publique insupportable.

Un président du tribunal civil de grande ville touche (quand il les touche) 276 francs par mois. Étant donné les mœurs assez dispendieuses de l'Orient, c'est une somme tellement infime qu'elle représente à peine le quart de ce qui est nécessaire à un magistrat de cet ordre. Que voulez-vous ? Le magistrat se paye de ses propres mains et il en est ainsi du haut en bas de l'échelle. Le contribuable n'est pas content ; le fonctionnaire pas davantage ; mais, il faut vivre.

Résultat final, un universel mécontentement, mécontentement qui n'est contenu que par l'espionnage et la violence à haute pression. La machine broie ainsi à vide, en usant ses propres ressorts, jusqu'à l'heure où elle se sera brûlée elle-même et où elle éclatera.

Ceux qui ont vu Constantinople à cette époque ont connu un des spectacles les plus singuliers que puisse présenter une fourmilière humaine ; sur chacune des rives reliées par le pont de Galata, deux mondes sont en présence : d'une part, Péra, la ville levantine ou européenne ; d'autre part, Stamboul, la ville orientale ou turque.

Stamboul, entouré de ses vieilles murailles construites avec les pierres sculptées ou gravées, débris des monuments byzantins, est dominé par les dômes d'or des mosquées et les blancs minarets, d'où tombe la voix des muezzins. Péra, tortueux et sale, avec ses ruelles aux maisons de bois et aux balcons surplombants, se serre aux pieds de quelques églises et s'anime à la voix des cloches appelant aux cérémonies les fidèles des divers cultes chrétiens.

De l'une à l'autre ville, c'est un mouvement perpétuel de cortèges hâtifs, de piétons aux costumes bigarrés, un va-et-vient de foule multicolore, où le turban alterne avec le fez et le chapeau haut de forme, où la stambouline et le pantalon se croisent avec la fustanelle et la culotte aux larges plis.

De rares voitures circulent parmi la foule pressée ; dans de riches carrosses, ou même dans des chaises à porteur, les rideaux baissés laissent entrevoir les dames de la cour et de la société, aux longs yeux noirs perçant les blancheurs du yachmach ; tandis que, sur les pavés pointus, les femmes du peuple trottinent péniblement, une main serrant le voile sur la figure, l'autre tenant sur la tête ou sur l'épaule une cruche pleine ou un enfant.

Tout ce monde vit en bonne harmonie, use de tolérance et de respect mutuel : les processions se déroulent, les cortèges des morts passent en courant, une escouade de pompiers fend la foule, des fonctionnaires graves vont au bureau, des marchands sont accroupis à la devanture des boutiques où luisent, sur des fonds à la Rembrandt, les ors des citrons et des oranges, les coraux des tomates ; les chiens à tête de renards circulent doucement : une odeur de graisse frite emplit les narines ; la boue vous prend aux pieds, l'odeur de la boue vous prend à la gorge.

Un indéfinissable relent de vie très ancienne, l'arome du désert avec la puanteur du ghetto, je ne sais quel affaissement de la vie nomade dans la pouillerie citadine, les parfums fades des roses et des confitures, une atmosphère où tous les siècles respirent depuis les plus anciens jusqu'aux plus modernes, l'oppression d'un passé toujours présent, le sentiment que ces foules humaines ont toujours vécu là ainsi, pareilles à elles-mêmes, que cette agitation et cette boue sont la fin et la déliquescence d'une agitation et d'une boue séculaires, tout cela produit une émotion, à la fois profonde et pénible, cause une curiosité mêlée de lassitude où se renouvellent sans cesse l'amusement et le désenchantement.

Seule, la vieille ville des Césars et des califes pouvait offrir de tels spectacles à la veille du jour où la Révolution, phase initiale de l'agonie définitive, s'accomplit.

LA JEUNE TURQUIE.

À la place de la Vieille-Turquie branlante et croulante, voilà que surgit une Turquie nouvelle, une Turquie régénérée, la Jeune-Turquie.

La Jeune-Turquie fut la fille de la Réforme. Il y a toujours eu une réforme à l'ordre du jour dans l'empire ottoman : et quel pays, en effet, avait plus besoin de se réformer ?

Sans remonter aux temps trop anciens, en 1876, à la veille de la guerre russe, Midhat Pacha avait annoncé que l'empire allait se renouveler ; le plan de Midhat est exposé, ainsi qu'il suit, par l'ambassadeur d'Angleterre, Henry Elliott : Midhat Pacha est, à n'en pas douter, le plus énergique et le plus libéral des hommes d'état turcs.

Il a toujours soutenu l'égalité des musulmans et des chrétiens et désire une autorité constitutionnelle au-dessus du pouvoir du grand-vizir, aussi bien qu'au-dessus de celui du sultan... Il m'a parfois parlé de son opposition énergique contre l'établissement d'institutions spéciales dans les provinces slaves... Il n'est pas aimé du vieux parti musulman, mais il est regardé comme l'espoir des réformateurs mahométans et chrétiens...

En un mot, les traits caractéristiques de la réforme en Turquie ont toujours été les suivants : tendance à l'européanisation, gouvernement constitutionnel, égalité des musulmans et des chrétiens, hostilité aux communautés chrétiennes indépendantes, surtout aux slaves.

C'est sur ces bases que s'accomplit la réforme de 1908. Elle fut l'œuvre des militaires, et notamment de l'armée de Salonique, ayant à sa tête Mahmoud Chefvket. Ces hommes croyaient avoir une préparation européenne suffisante pour assumer l'autorité gouvernementale ; affiliés aux loges, ils se disaient libéraux ; mais ils étaient avant tout, par instinct et par tradition, des centralistes et des autoritaires. Ils voulurent garder Abd-ul-Hamid, disant : Il sera notre mikado ; mais ne tardèrent pas à le renverser en nommant à sa place un mannequin : Mehmed V. Ils essayèrent alors de remettre en marche la vieille machine, après avoir porté une main novice sur les rouages les plus délicats.

On crut d'abord aux dispositions raisonnables de ces hommes nouveaux. On les voyait attentifs à satisfaire les désirs des puissances européennes, notamment des puissances libérales. On écrivait : Le nouveau gouvernement turc est plein de bonne volonté ; il accepte les remontrances et ne ferme l'oreille à aucune des paroles aimables qui lui sont prodiguées : il proteste de sa déférence pour les avis qu'on lui donne ; il confie ses finances à un Français, M. Laurent, son armée à un Allemand, le général von der Goltz ; ses émissaires parcourent l'Asie pour y prêcher la concorde et d'autres parcourent l'Europe pour y implorer des leçons de bon gouvernement... Mais cela ne s'apprend pas du premier coup. En somme, personne ne commandait, personne n'obéissait. Ces hommes, de l'Union et Progrès, se donnaient comme libéraux et humains. En réalité, ils ne voulaient qu'une chose, comme tous les hommes politiques du monde : rester au pouvoir.

Bientôt, les abus du despotisme militaire parurent non moins insupportables que ceux du despotisme hamidien. Mahmond Chefvket, officier distingué, mais n'ayant guère d'autre directive politique que sa fidèle admiration pour l'Allemagne, fut le mannequin dont se servit la violence de ses partisans. Il eût voulu quitter le pouvoir, on ne lui laissait même pas la liberté de la retraite.

Nous n'avons pas à faire le relevé des spasmes (le l'agonie : la lutte des partis, d'un côté, le Comité Union et Progrès, d'autre- part, le parti libéral et le parti modéré ; les ministères tombant les uns sur les autres et épuisant à la fois le personnel hamidien et le personnel nouveau ; les révoltes en Albanie, en Macédoine, en pays arabes ; les troubles en Macédoine et l'intervention des puissances ; la pénurie des budgets ; les chemins de. fer et les travaux publics à l'encan ; la mainmise par les financiers sur les dernières ressources de l'empire, les fluctuations hypocrites de la politique extérieure, tandis, qu'au fond, tout était vendu à l'Allemagne.

Un fait capital s'était produit, au jour même de la révolution : l'annexion de la Bosnie et Herzégovine.

En même temps, la Bulgarie se déclarait indépendante, le prince Ferdinand se proclamait tsar, son gouvernement mettait la main sur la ligne de chemins de fer qui relie Constantinople au reste du monde. De telles humiliations auraient dû ouvrir les yeux aux gouvernants turcs : ils les tenaient hermétiquement fermés. A peine élevaient-ils la voix pour réclamer, de l'Autriche-Hongrie, en échange des droits de souveraineté du sultan, une somme de 150 millions, bientôt engloutie dans les gaspillages du comité.

Dès ce moment, la crise est ouverte pour l'Europe ; il est possible de la prévoir et de lui assigner une très prochaine échéance.

La situation, pour la Turquie en particulier et pour l'Europe en général, était, dès lors, décrite en ces termes : A Constantinople, le mouvement révolutionnaire prend peu à peu plus d'extension. Le cabinet Hilmi Pacha est renversé. Ahmed-Riza, président de la Chambre, a démissionné.

Révoltes dans les casernes. Batailles dans les rues. Chocs des partis, des comités, des nationalités. L'Albanie est en armes. Le monde arabe est soulevé. Que va-t-on faire de la Macédoine ? Quelles seront les répercussions sur Athènes, sur Sofia, sur Belgrade ?

L'Autriche et l'Italie se mettent d'accord pour se tailler la part qu'elles s'attribuent dans l'empire ottoman.... Si le monde germain, entraîné par son propre poids, se laisse glisser sur la pente, les autres puissances ne vont-elles pas essayer d'arrêter l'avalanche ?

La Russie est affaiblie, mais elle n'est pas isolée. L'avenir du monde slave est en cause à Constantinople. Sur le Caucase, dans la Mer Noire, dans les Balkans même, cet empire, robuste et vigoureux malgré tout, retrouve son maximum de puissance et d'élan. Il est inadmissible que le sort de l'Orient se décide sans que le vainqueur de 1878 ait voix au chapitre.

Derrière la Russie, il y a le slavisme, il y a la puissance amie et alliée et, enfin, par un phénomène bien surprenant, il y a l'Angleterre.

L'Angleterre, assurée de la coopération de la Russie et de la France, puissances de contrepoids contre les empires germaniques, ne saurait être délogée des rivages méditerranéens. L'Italie se trouverait même dans un singulier embarras, si elle était obligée de se prononcer...

Donc, la partie est au moins égale. Personne ne pourrait dire quelle serait l'issue d'un conflit qui doit éclater, presque fatalement, si on laisse les événements à eux-mêmes. Mais, ce que personne ne peut mettre en doute, c'est que, par le fait de ce conflit, la prospérité européenne et, peut-être, la civilisation moderne seraient en grand péril. Une Europe secouée par de telles convulsions ne pourrait sans doute résister à ses maux intérieurs. Comme au temps de la décadence de l'empire romain, le dedans retentirait de tout ce qui ébranlerait le dehors. Une guerre générale serait probablement le signal d'une révolution générale... (La Politique de l'Equilibre, p. 195.)

Ces paroles étaient écrites en 1909 quand, au lendemain de la révolution turque, l'Autriche-Hongrie, rompant le pacte d'équilibre, réclamait l'annexion de la Bosnie et Herzégovine.

La diplomatie européenne était avertie : la liquidation ottomane ne se produirait pas sans un vaste ébranlement européen.

Quant à la Turquie, elle se hâtait vers sa fin. Ne trouvant pas les financiers français assez souples, le gouvernement turc s'était retourné vers l'Allemagne et avait, pour la première fois, mis son existence financière à la discrétion d'un empire qui devenait ainsi son protecteur patenté.

Les forces militaires de l'empire étaient confiées aux officiers allemands et, par l'extension des conventions antérieures, notamment celles relatives au chemin de fer de Bagdad, l'avenir économique de la Turquie était aliéné. L'impuissance du gouvernement s'aggravait en Macédoine, en Arménie, en Albanie, en Arabie. Tout s'écroulait. Restait-il du moins, une armée ? On y croyait encore ; mais, c'était la suprême ressource.

Cette ressource, si elle existait, allait être mise à l'épreuve. Le 20 septembre 1911, l'Italie, suivant l'exemple de l'Autriche, réclamait sa part de l'empire ottoman : elle commençait l'expédition sur la Tripolitaine qui ne devait prendre fin que le 15 octobre 1912, à la veille de la guerre en Turquie d'Europe.

Voyez dans quel ordre logique les événements évoluent : l'annexion de la Bosnie détermine l'entreprise sur la Tripolitaine, l'occupation de la Tripolitaine déterminera les hostilités balkaniques. La Turquie paye ses fautes intérieures et devient une proie désignée aux convoitises des puissances voisines.

La Tripolitaine, mal défendue par d'impuissantes garnisons ottomanes, opposa, du fait de sa population autochtone, appuyée sur les Snoussis, une vigoureuse résistance aux armées italiennes. Un jeune officier, appelé à un brillant avenir, Enver Bey, tint tête au général Reisoli, notamment dans l'affaire de Csar-el-Leben.

L'Italie dut recourir à sa flotte pour frapper au cœur la puissance ottomane et l'amener à composition. Elle occupa les îles de l'Archipel, menaça Constantinople, suscita les éléments de désordre et de révolte dans l'empire. On reconnut, dès lors, que la force militaire de la Turquie n'était plus qu'une apparence. Quand le cabinet Mouktar Pacha, qui avait succédé au cabinet Saïd, se décida à traiter, il était trop tard.

Les premiers pourparlers commencèrent à Lausanne, vers le 12 juillet, et les préliminaires furent signés dans la même ville, le 15 octobre ; mais les événements étaient déjà déchaînés par ailleurs et la crise finale commençait.

LA GUERRE DES BALKANS.

Le 8 octobre 1912, le Monténégro avait déclaré la guerre à la Turquie.

En raison des relations de famille existant entre les deux familles souveraines, on put croire, d'abord, que le Monténégro obéissait aux suggestions de Rome : mais on comprit bientôt qu'il s'agissait de tout autre chose.

Les États balkaniques, Serbie, Bulgarie, Grèce et Monténégro avaient le sentiment que leur existence indépendante ne pouvait plus être sauvegardée que par eux-mêmes.

L'Autriche-Hongrie avait, par l'annexion de la Bosnie et de l'Herzégovine, fait un pas vers Salonique ; les désordres en Macédoine, l'insurrection en Albanie, la perte de la Tripolitaine, étaient autant de signes de la pro chaine ruine de l'empire ottoman. Chacun prenait des gages.

Les États balkaniques, de leur côté, se préparaient depuis longtemps : leur organisation militaire était beaucoup plus avancée qu'on ne le pensait généralement ; un pacte, dont on attribue l'initiative à M. Venizelos, les liait contre la Turquie d'abord, et, subsidiairement, contre l'Autriche-Hongrie. La formule nouvelle était : Les Balkans aux Balkaniques. Pour la guerre contre la Turquie, les prétextes ne manquaient pas : l'initiative prise par le Monténégro était l'exécution d'un des articles de ce pacte.

L'Europe essaya une fois encore de s'interposer : mais elle croyait à la victoire des Turcs et son effort pour localiser le conflit se heurta à la force des faits : la tempête emportait les digues fragiles des diplomates.

Il est impossible de Présenter ici un exposé, même succinct, des phases rapides du drame. Les victoires des Bulgares à Kirk-Kilissé, à Lule-Bourgas, leur épuisement, rapide, le siège d'Andrinople traînant en longueur et laissant quelque répit aux forces ottomanes qui paraissaient anéanties au premier choc ; les victoires serbes à Koumanovo et à Uskub, la prise de Salonique par les Grecs, et la cueillette des îles par leur flotte, Janina assiégée par eux, Scutari assiégée par le Monténégro, tels sont les faits les plus notoires.

Les puissances, surprises d'abord, tentent de s'interposer à nouveau, dès que l'épuisement se fait sentir chez les belligérants. Mais, seule, l'Autriche-Hongrie, secondée par l'Allemagne, a un plan bien établi ; elle s ; est mise d'accord avec l'Italie pour empêcher l'expansion des Slaves vers l'Adriatique et, pour cela, le comte Berchtold a lancé l'idée d'une Albanie indépendante.

Une conférence pour la paix s'ouvre à Londres en décembre 1912. La trouvaille des diplomates, c'est donc une Albanie indépendante. Piège tendu par les convoitises austro-hongroises, mais que l'Europe ne voit pas, ou plutôt ne veut pas voir.

Le moindre défaut de cette combinaison c'est, en diminuant la part de chacun des alliés, de jeter entre eux des germes de zizanie que l'Autriche-Hongrie cultive avec soin. Les puissances balkaniques passent outre aux conseils de l'Europe.

La conférence se sent impuissante. Les hostilités reprennent : Janina, Andrinople, Scutari succombent. La Turquie n'a plus d'autre chance de salut que les dissensions entre les vainqueurs. L'Autriche veille : en mettant le marché en main à l'Europe, elle arrache Scutari au Monténégro, par la menace d'une guerre générale ; la Bulgarie, arrêtée aux portes de Constantinople, se retourné vers les provinces de l'intérieur ; elle réclame une compensation en Macédoine ; mais la Serbie, refoulée de l'Adriatique, refuse de céder des territoires qu'elle a conquis. La guerre éclate entre les alliés de la veille.

La Roumanie qui, jusque-là s'est tenue sur la réserve, entre en scène. Elle prend partie contre la Bulgarie ; celle-ci, attaquée à la fois par la Grèce, la Serbie, la Roumanie, est vaincue et envahie. Elle rend les armes. Les Turcs ont profité des circonstances pour reprendre haleine et se glisser dans Andrinople.

Les pourparlers s'engagent entre les puissances balkaniques à Bucarest et, cette fois, c'est l'Europe qui est tenue à l'écart des négociations. La conférence de Londres ne tient plus qu'à une seule de ses décisions, la fameuse création d'une Albanie indépendante : c'était la pire de toutes. Cette exigence allait prolonger la crise balkanique jusqu'à l'heure où elle se transformerait en crise européenne.

En ce point, comme en ce qui concerne le point initial, c'est-à-dire l'annexion de la Bosnie et Herzégovine, toutes les responsabilités incombent à l'Autriche-Hongrie.

A la faveur de ces dissentiments, soutenue par le puissant appui des deux empires germaniques, la Turquie survivait au désastre — mais combien affaiblie ! — Elle gardait Constantinople et même Andrinople ; les rivalités des grandes et des petites puissances l'avaient sauvée.

Mais elle avait perdu presque toutes ses provinces des Balkans et il ne lui restait plus qu'un pied sur le continent européen : au premier effort des États coalisés, elle serait chassée définitivement en Asie.

En somme, ses anciens sujets, ses rivaux nés de sa dépouille, ses vainqueurs d'hier, grandissaient de sa ruine. La Roumanie obtenait de la Bulgarie une région riche et bien peuplée (353.000 habitants) ; par son intervention à l'heure opportune, elle prenait, en quelque sorte, l'arbitrage des affaires balkaniques. La Serbie gagnait 1.800.000 habitants nouveaux, avec Novi-Bazar, Uskub et Monastir ; elle devenait véritablement une grande Serbie ; la Grèce recevait 1.624.000 âmes avec Salonique, Cavalla, la Crète et la plupart des îles de l'Archipel. Seule, la Bulgarie était bien mal payée de ses victoires ; subissant la peine de sa fâcheuse rupture du contrat d'alliance, elle n'obtenait qu'une partie de la Thrace avec le port de Dédéagatch sur la mer Egée, en somme, une seule province occupée par 400.000 habitants. L'irritation fut grande en Bulgarie, et ce fut encore un germe pour des complications prochaines. Le roi de Bulgarie disait, dans sa proclamation à l'armée : Aucun patriote bulgare ne peut renoncer de bon gré et sans lutte à Monastir, Ochrida, Dibra, Prilep, Salonique, Serès et antres terres bulgares où vivent nos frères.

Le sort de la péninsule des Balkans n'était pas réglé. La Turquie survivait, mais, liée désormais aux deux empires protecteurs, elle devait partager et suivre leur destinée.

Quelle force représentait-elle encore, au cas où des événements nouveaux réclameraient son concours armé ? Il est assez difficile de l'évaluer.

L'ARMÉE TURQUE.

La guerre des Balkans et la perte de plusieurs provinces, — la Tripolitaine, la Macédoine, une partie de la Thrace, les Îles, ont sensiblement réduit les ressources militaires de la Turquie. Cependant, elles étaient en pleine voie de réfection et de réorganisation, sous les ordres du général Liman von Sanders, quand les hostilités éclatèrent.

Le service obligatoire a été organisé en Turquie par les lois de 188o, 1886, 1888 et 1904. Le contingent est divisé en deux portions, dont la première est incorporée dans le nizam ou armée active pour 3 ans, puis dans l'iptiat (réserve) pour six ans, puis dans les rédifs (landwehr) pour 9 ans ; enfin, le muhstafiz (armée territoriale ou milice) prend les hommes au-dessus de 'Cet âge, dans des conditions assez arbitraires. La cavalerie hamidieh, recrutée parmi les Kurdes, est l'objet d'un régime spécial.

La population actuelle de la Turquie doit monter, malgré les dernières réductions, à environ 18 millions d'habitants dont 1.800.000 seulement en Europe. Au point de vue militaire, il faut défalquer les non-musulmans, les Arabes de l' Yémen, une quantité énorme d'indemnes pour mille raisons variées, notamment le paiement, en une fois, de 5o livres turques.

Il est possible que l'armée turque, avec ses réserves, puisse monter à un effectif de 6 à 800.000 hommes, plus ou moins instruits ; mais dans quelle condition d'encadrement, d'armement, de ravitaillement, d'habillement, ces troupes marchent-elles au combat ?...

L'infanterie est armée du fusil à répétition Mauser, ou du Martiny-Henry ; le canon est fourni par la maison Krupp ; les batteries doivent former un ensemble qui est loin d'être négligeable.

La flotte turque se composait, en 1914, de 3 cuirassés déplaçant 27.250 tonnes, 1 croiseur de bataille de 23.000 tonnes, 3 croiseurs protégés déplaçant 11.550 tonnes et 12 destroyers ; le tout portant une artillerie de : 22 pièces de 280 millimètres, 2 de 240, 28 de 152, 16 de 120 et 28 de 105.