HISTOIRE ILLUSTRÉE DE LA GUERRE DE 1914

 

CHAPITRE VII. — LES PUISSANCES EUROPÉENNES : L'AUTRICHE-HONGRIE.

 

 

Ce qu'est l'Autriche. — Nationalités diverses. — Le dualisme. — Les Slaves de l'Empire. — L'Empereur.

 

APRÈS avoir essayé de mettre en présence l'Allemagne et la France dont l'antagonisme, en cas de guerre européenne, était inévitable, nous allons passer en revue les puissances qui devaient être, un jour, à peu près fatalement entraînées dans le conflit : du côté de l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l Turquie ; de l'autre côté, la Russie, l'Angleterre, puis la Serbie, la Belgique, le Japon, enfin les principales puissances neutres, l'Italie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce.

Quand nous aurons indiqué leur situation, leurs tendances, leurs forces, nous envisagerons la situation internationale en Europe et hors d'Europe, au moment où s'ouvre le grand drame européen.

Une telle guerre n'est pas un accident, c'est une résultante. L'humanité était sans doute arrivée à une heure où, du fond de son instinct et de sa conscience, elle devait risquer, sur elle-même, cette opération sanglante, pour aborder avec une force régénérée ses nouvelles destinées.

Je dirai, d'abord, les puissances alliées de l'Allemagne, celles qui sont appelées à partager son sort et qui l'entraînent dans l'abîme où, même avant la guerre, leur place était déjà marquée : la Turquie et l'Autriche-Hongrie.

On a souvent cité le mot d'Albert Sorel : Voilà un siècle que l'on travaille à résoudre la question d'Orient. Le jour où l'on croira l'avoir résolue, l'Europe verra se poser inévitablement la question d'Autriche.

Albert Sorel n'allait pas jusqu'à prévoir que les deux questions se poseraient simultanément.

CE QU'EST L'AUTRICHE ?

Je n'étonnerai personne en disant que la situation de l'Autriche-Hongrie est le nœud actuel de l'histoire européenne.

Bien entendu, toute l'histoire européenne n'est pas renfermée dans les limites de l'empire des Habsbourg. Mais, selon les solutions qui seront obtenues sur ce domaine, la stabilité de l'Europe sera confirmée ou continuera à être indéfiniment ébranlée.

Krones, en terminant son importante Histoire de l'Autriche, dit : L'Autriche n'est rien autre que l'Autriche, une neutralisation d'éléments divers par et au moyen de la dynastie et de la puissance des intérêts.

Cet état de choses trouve sa force et sa durée dans la souplesse. Aussi, a-t-on dit avec raison que les monarques austro-hongrois sont des artistes-nés : ils doivent recourir sans cesse aux ressources de la combinaison et du compromis.

La diversité des peuples austro-hongrois résulte à peu près exactement du tableau suivant : L'empire compte environ 51 millions d'habitants qui se décomposent ainsi : Allemands : 10.500.000, Magyars : 7.500.000, Slaves (Tchèques, Polonais, Serbo-Croates, etc.) : 19.500.000, Italiens : 700.000 et Roumains : 500.000, le reste comprenant les races diverses, musulmans, etc.

Pour ceux qui voient les choses du dehors, l'empereur est le souverain commun des trois grandes races qui se partagent son empire, les Allemands-Autrichiens, les Magyars ou Hongrois, les Slaves, sans parler des autres fractions de populations, encore très considérables, mais qui n'ont pas leur centre principal dans l'empire : Roumains, Italiens, Musulmans, et races mélangées.

Mais ce titre de souverain ou monarque commun ne correspond pas à une situation constitutionnelle précise. En fait, le statut de la monarchie des Habsbourg comporte un seul prince qui, comme empereur d'Autriche, gouverne les royaumes et territoires représentés dans le Reichsrath, et comme roi de Hongrie gouverne les territoires de la couronne de saint Etienne. Il y a, au fond de ce dualisme, une tendance à la dissociation qui s'est souvent manifestée au cours de la récente histoire.

Le dualisme est donc, relativement à la masse des intérêts réunis sous le sceptre des Habsbourg, une formule très étroite : c'est un vêtement qui ne couvrirait que certaines parties du corps et non le corps tout entier. M. H. W. Steed emploie une autre image : Le dualisme est, par sa nature même et par son origine, un édifice branlant, instable, singulièrement exposé aux attaques. Il ne correspond pas et ne peut correspondre aux intérêts permanents de la dynastie, ni à ceux des peuples des Habsbourg qui ne sont ni magyars ni allemands.

LE PROBLÈME SLAVE DANS L'EMPIRE.

Cette situation a quelque chose de si singulier, de si contraire aux conditions de la vie normale des peuples, que l'empereur lui-même l'a senti et que, rompant en quelque chose avec sa situation de souverain bicéphale, il s'est incliné parfois vers les revendications de ses autres sujets, et, notamment, des populations slaves, dont le nombre égale presque la moitié de la population totale de l'empire. Si ces velléités d'élargissement du pacte constitutionnel eussent été suivies d'effet ; elles eussent, sans doute, sauvé l'Autriche et changé la face de l'Europe.

C'est ainsi que, dans la période qui s'écoule de la bataille de Sadowa à la paix de Francfort, le cabinet Hohenwart, soutenu par l'empereur, se montra disposé à reconnaître à la Bohême une constitution fédérale, sanctionnée par un serment de l'empereur, lors de son couronnement à Prague comme roi de Bohême.

C'eût été, peut-être, le point de départ d'un fédéralisme à trois têtes. Mais les éléments magyar et allemand se coalisèrent contre une telle politique et Hohenwart disparut.

En 1896, le comte Badeni, grand seigneur polonais, appelé aux affaires, à la chute du ministère Taaffe, travailla de nouveau à fortifier la position des Slaves dans l'empire et publia les fameuses ordonnances pour établir l'égalité de la langue tchèque et de la langue allemande.

Badeni avait cru pouvoir compter sur l'appui de François-Joseph qui, une fois encore, paraissait assez disposé à se libérer de l'exigence magyare pour chercher son point d'appui sur l'ensemble de ses sujets. Mais, ni Badeni, ni l'empereur François-Joseph ne purent résister au formidable courant du Los von Rom, dirigé au moins autant contre les Slaves que contre l'élément ultramontain, et la tentative échoua par la chute d'un des hommes les plus distingués qu'ait connus l'empire austro-hongrois.

Sauf ces courtes interruptions, l'élément hongrois, dirigé par les Andrassy, les Koloman Tisza, s'entendit avec l'élément allemand, pendant la longue période qui s'écoule de la guerre de 1870 à la guerre actuelle. Bismarck encouragea et exploita le chauvinisme particulariste hongrois et on a pu dire, avec raison, que la Hongrie gouvernait l'Autriche par l'intermédiaire de la dynastie. C'est à peine si l'élément slave parvenait à se glisser dans les conseils de la couronne et à s'y maintenir par des services précieux et infiniment dévoués comme ceux du sage Goluchowski.

La question slave était en sommeil. Ces populations s'accroissaient, s'enrichissaient, prenaient conscience de leur nombre et de leur puissance. Peuples hier encore dédaignés, ils prenaient, au dedans et au dehors, le caractère de nationalités fortes qu'il n'était pas possible de tenir dans l'oubli ou de traiter par le mépris. Vers la fin du XIXe siècle, un député germanophile, effrayé de leurs progrès, posait la question en ces termes : Il ne s'agit plus de palliatifs, il ne s'agit plus des ordonnances sur les langues ni d'un accord à établir entre Allemands et Tchèques, accord impossible à cause de la différence des idées. Il s'agit de savoir si l'Autriche sera une grande puissance politique et sociale, sous une direction allemande, ou un état fédéral, tchèque-polonais-allemand,. qui fera une politique slavo-cléricale et se tournera plus tard contre l'alliance avec l'empire allemand-protestant.

Ce fut la première de ces deux politiques qui prévalut. La Hongrie en profita pour développer son intransigeance dans les affaires communes. De 1903 à 1906, il semblait, qu'en raison de ces exigences, le gouvernement intérieur devenait impossible.

En Autriche, les institutions parlementaires ne fonctionnaient plus ; en Hongrie, le parlement se montrait soupçonneux à l'égard de tout ce qui pouvait concourir à l'accroissement de l'autorité impériale et refusait même les crédits nécessaires au développement de l'armée. Des tiraillements sans nombre, disloquaient à petits coups une monarchie qui était loin d'être la plus solide de l'Europe.

L'idée s'accrédita peu à peu que, seule, une politique extérieure hardie pourrait rendre du prestige à la couronne et refouler les revendications croissantes des diverses, nationalités.

Les pangermanistes du dehors agissaient avec une audace inconcevable. La gradation est la suivante : d'abord, on demande simplement le rappel des ordonnances de Badeni, puis, on refuse toute entente avec les Slaves de la couronne ; enfin, on réclame, sans ambages, la réunion des pays cis-leithaniens au Zollverein allemand : Je tiens une réconciliation avec les Slaves pour un effort inutile, écrit le brutal leader de cette politique intransigeante, Schœnerer ; il s'agit simplement de savoir si notre suprématie ou celle des Slaves s'implantera en Autriche... On parle toujours d'égalité entre les Allemands et les Slaves ; c'est comme si on comparait un lion à un pou, parce que tous les deux sont des animaux. Dans les affaires nationales, je ne puis me placer sur le terrain de l'égalité. Aux commerçants autrichiens, on adresse des appels réitérés, on tâche de les séduire par la tentation de voir s'ouvrir pour leurs affaires le vaste débouché allemand. Une fois que le Zollverein sera établi, vous aurez toute l'Allemagne comme débouché pour vos produits et, quant à vous, industriels et commerçants, vous profiterez largement de l'expansion commerciale de l'empire allemand. Tous vous devez donc demander l'entrée de la Cis-Leithanie dans l'union douanière allemande...

Un pas nouveau est franchi. Le Reichstag voit se fonder un groupe de députés pangermanistes qui, selon les vers de M. Liebermann, demande au Dieu allemand deustcher Gott, de rester fidèlement uni à la Pangermanie, là où flottera notre bannière, depuis le Belt jusqu'à l'Adriatique.

L'effort principal du comte Goluchowski paraît avoir été de résister doucement aux excès de cette politique. Slave d'origine, il garde toujours les yeux fixés sur la Russie : En décembre 1902, en février 1903, en septembre 1903, à Muersteg, il établit les bases d'un accord avec cette puissance. Jamais peut-être, les affaires autrichiennes, les affaires européennes ne furent plus proches d'un arrangement équitable. Le comte Goluchowski informait les délégations qu'on avait trouvé une base pour un accord austro-russe et que les deux puissances principalement intéressées dans les Balkans répudiaient toute idée de conquête et étaient déterminées à maintenir le statu quo.

Au cours des négociations, le comte Goluchowski avait indiqué à son collègue russe l'intérêt que l'Autriche-Hongrie verrait à l'annexion de la Bosnie et Herzégovine. C'était là le point sensible, ou, mieux, la pierre de touche : sur une observation de l'empereur Nicolas, le ministre austro-hongrois n'avait pas insisté. Dans le développement des grandes affaires européennes, l'entente de Muersteg fut un temps d'arrêt, une oasis, — ou plutôt un mirage qui devait se dissiper bientôt. L'Allemagne veillait.

Poussée par le parti pangermaniste, elle craignait de voir un certain relâchement dans l'alliance à laquelle elle avait tant sacrifié. On reprochait au comte Goluchowski de ne pas profiter des embarras de la Russie au cours de la guerre japonaise et des grosses difficultés intérieures qui en avaient été la suite (1905-1906). L'Allemagne frappait au même moment le coup de Tanger ; or, la diplomatie austro-hongroise ne suivait que mollement.

A la conférence d'Algésiras, les efforts mesurés de la diplomatie austro-hongroise parurent faibles. Et, finalement, l'empereur Guillaume asséna sur la tête du ministre Goluchowski le télégramme où il faisait compliment à l'Autriche-Hongrie d'avoir été un brillant second sur le terrain. Ces félicitations insultantes amenèrent le départ du comte Goluchowski ; il se retira sans bruit. Son système, si prudemment combiné, succombait avec lui.

Toute œuvre de conciliation avec l'élément slave, si atténuée fût-elle, cédait devant l'impérieuse volonté du puissant premier.

Nous dirons, plus tard, comment la rupture avec la Russie suivit la disparition du comte Goluchowski et comment les fers furent mis au feu, aussitôt, par le comte d'Ærenthal, pour l'annexion de la Bosnie et Herzégovine.

Mais il importait de signaler à larges traits les phases par lesquelles avait passé, depuis quarante ans, la question slave à l'intérieur de l'empire, puisque toute la difficulté austro hongroise, et par suite internationale, qui mena l'Europe à la guerre de 1914, peut se résumer en ces termes : quelle part sera faite aux nationalités slaves, dans leurs relations avec l'Autriche-Hongrie, soit au dedans, soit au dehors de l'empire ?

LE DUALISME.

Les diverses tentatives d'union constitutionnelle des trois grands groupements de populations ayant échoué, l'empire austro-hongrois resta attaché, jusqu'à la guerre de 1914, à la combinaison dualiste, remontant à la pragmatique sanction austro-hongroise de 1722-1723, successivement modifiée, à la suite d'événements connus, par une série de mesures et d'accommodements se recouvrant les uns les autres en 1848, en 1849, en août 1851, en 1861, et en fin en 1867. Le compromis austro-hongrois est un nid de difficultés dans son interprétation et dans son application.

On pourrait comparer le régime à une accolade réunissant deux sous-accolades et formant ainsi une unité de superposition. La Hongrie, d'une part, l'Autriche, d'autre part, possèdent, l'une et l'autre, tout un système de gouvernement parlementaire et responsable ; et, au-dessus de ces deux systèmes séparés, existent trois départements communs, le ministère de la guerre, le ministère des affaires étrangères et le ministère des finances qui ont, eux-mêmes, au-dessus d'eux la personne de l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie.

Les ministères communs n'ont affaire ni au parlement hongrois, ni au parlement autrichien, mais aux délégations, formées de soixante membres choisis dans chaque parlement et qui se réunissent alternativement à Budapest et à Vienne.

C'est la complexité de ce système, — sur lequel je n'insisterai pas davantage, — qui fait que la politique autrichienne est asservie à la politique hongroise : car ce cheval d'attelage, étant le plus vif et le plus rétif, l'autre est toujours obligé de se régler selon ses caprices. De là les interventions poussées jusqu'à l'obstruction et à l'émeute qui, malgré certains sentiments manifestés par l'empereur, malgré les conseils des ministres les plus sages, Deak, Hohenwart, Badeni, Goluchowski, ont toujours fait pencher la balance du côté anti-slave, jusqu'au jour où, l'équilibre étant rompu, la crise des Balkans et la prétention d'écraser la Serbie ont déchaîné les événements.

LES FORCES UNITAIRES.

J'ai dit la principale force de dissociation de l'empire austro-hongrois, à savoir la diversité des nationalités et l'étroitesse du pacte constitutionnel. Il faut énumérer, maintenant, les éléments d'union et de stabilité qui font durer l'empire et lui assurent une place considérable, quoique secondaire, dans la constellation européenne.

Ces éléments sont : la situation géographique de l'Autriche-Hongrie et le caractère même du peuple austro-hongrois, l'organisation de l'empire par la bureaucratie et la police, l'autorité de la dynastie représentée par François-Joseph et, enfin, l'instrument de la domination et de la guerre, l'armée et la marine.

Ce n'est pas en quelques pages que l'on peut donner l'idée des infinis problèmes que l'existence de l'Autriche-Hongrie pose en Europe.

On a souvent répété le mot : Si l'Autriche n'existait pas, il faudrait l'inventer. Cela revient à dire que l'existence de l'Autriche au centre de l'Europe est un fait géographique : ni les lieux, ni les peuples ne disparaîtront jamais. Toute la question est de savoir s'il appartient à d'autres puissances de décider du sort de ces régions ou si les nationalités qui les habitent en décideront d'elles-mêmes.

On ne peut pas dire qu'il y ait un peuple austro-hongrois ; il y a des peuples divers en Autriche-Hongrie ; l'empereur dit mes peuples. Première difficulté.

Seconde difficulté : l'Autriche n'est pas franchement européenne, sa formation et son intelligence ont déjà quelque chose de demi-oriental. Quand on va d'Europe en Asie, les premiers turbans apparaissent avant qu'on ait passé la frontière de l'empire ; et ce fait n'est que la manifestation pittoresque d'un état de choses qui comporte des conséquences politiques et morales d'une importance considérable.

Il faut laisser un Autrichien s'expliquer à ce sujet : Ce qui est incompréhensible pour quiconque n'est pas autrichien, écrivait en 1871, Ferdinand Kurnberger, c'est ce qu'il y a d'asiatique en elle. L'Autriche n'est pas réellement inintelligible : il faut la comprendre comme une espèce d'Asie. Europe et Asie sont des termes très précis. Europe signifie : loi, Asie veut dire : arbitraire. Europe signifie : respect des faits, Asie veut dire : caprice pur. L'Europe est l'homme fait, l'Asie est à la fois le vieillard et l'enfant.

Le peuple austro-hongrois, reprend-il, est, à la fois, un vieillard et un enfant. Aimable, léger, changeant, il a une façon de s'approcher en dansant de toutes choses qui fait penser à un bal d'enfants roses. Mais, remarquez bien que, dans toute cette vivacité sud-allemande et cette versatilité slave, dans tout ce tourbillon de personnes, la chose elle-même reste asiatiquement dure, inerte, conservatrice, morte comme un sphinx ou comme un spectre, chenue, n'ayant pas bougé d'un pouce depuis les temps bibliques.

Ce tableau si vivant expose toutes les figures du singulier quadrille et en découvre les complexités.

Les Austro-Hongrois n'ont pas ou ont peu d'aptitudes à la liberté qui est la virilité des peuples, précisément parce que le lien forcé qui les unit, entrave leur indépendance. L'art  du monarque est de les opposer les uns aux autres, pour dominer les uns par les autres : Divide ut impera.

Ne parlons donc pas de peuple austro-hongrois. Considérons les formations actuelles très diverses et très divisées dans leur rapport avec la guerre qu'elles ont subie et avec la paix qui décidera de leur sort.

La population, dans son ensemble, est composée d'agriculteurs et d'industriels. Les agriculteurs l'emportent en nombre, surtout en Hongrie. Absorbés par les travaux de la terre, penchés sur le sillon dans les immenses plaines où l'homme semble perdu, ils n'ont presque aucune vie politique commune et n'ont guère d'autre sentiment, à ce point de vue, que l'instinct qui sourd en eux et qui les jette comme appoint dans la balance des partis.

Le paysan, solide, endurant, tranquille et doux, prie le Dieu de ses pères, paye comme contribuable et sert comme soldat. Du reste, il se tait.

Une certaine organisation a, dans ces derniers temps, par l'organe du socialisme, pénétré le peuple des villes, ce que l'on appelle les classes laborieuses ; une atmosphère nouvelle s'est répandue. Le socialisme autrichien, avec son journal l'Arbeiter Zeitung, a eu pour tendance de réchauffer la masse froide du peuple, de changer les courants, de s'élever au-dessus du plat marécage de la vie journalière, de rompre avec la domestication imposée par l'administration et la police ; s'il est dans le peuple une certaine force d'unification au-dessus des rivalités de races, elle, pourrait se trouver là Mais la tâche est au-dessus des forces d'un seul parti. Elle ne pourrait être abordée, avec quelque chance de succès, que si ce parti, comme du temps de Joseph II, devenait, par l'empereur, maître de l'État et des forces dont il dispose.

Il est impossible de faire abstraction, dans le répertoire des forces qui animent l'Autriche et peuvent influer sur son avenir, de l'élément juif. Les juifs ne sont pas dénombrés à part, en Autriche-Hongrie, et ne forment pas, à proprement parler, une nationalité ni une race ; mais ils sont deux millions et ils ont leur formation propre, leur vie à part, leurs aspirations particulières ; ils exercent sur l'esprit public, sur la presse, sur l'administration, une influence considérable ; et, soit par les passions qui les animent, soit par celles qu'ils provoquent, ils peuvent devenir, un jour, l'explosif déterminant, dans un empire où les puissances de résistance sont déjà compromises.

La question juive n'est pas uniquement austro-hongroise ; son caractère est d'être éminemment international, car le juif, qui ne peut s'assimiler complètement nulle part, est chez lui partout.

Né dans la souffrance, il la fuit toujours et pourtant n'a su, nulle part, saisir le repos. Le juif est nomade, il appartient à une tribu, il agglomère ses tentes les unes contre les autres aux portes des cités, mais il les lève au premier signal. Sa religion est un pacte d'assurance mutuelle avec Dieu ; son esprit est toujours dans l'avenir : spéculateur, mais nullement mystique, il est, au contraire, pratique et réaliste, car il combine toujours son propre salut ou le salut de sa race. Pour alléger son bagage, il a créé, d'instinct, la valeur mobile ou mobilière qu'il peut cacher facilement et emporter avec lui. Inquiet, nerveux, il s'attache peu et se retrouve, facilement et par goût, le nomade originaire. Là où il passe, il agite, il excite, il anime : mais il passe. Il y a un dicton : Le juif est le sel de la terre ; on ne vit pas exclusivement de sel.

Les pays allemands sont, pour le juif venu de l'Est, la première étape ; il s'y fixerait volontiers, s'y assimilerait aisément, mais l'élément germanique, en Autriche surtout, ne se laisse pas gagner à de trop intimes familiarités. Malgré tout, dans l'empire, les chefs du mouvement d'idées sont, le plus souvent, des juifs. Il en est ainsi en Bohême, en Hongrie, même en Croatie. A la fois bienfaisant et délétère, libéral et conservateur, initiateur et corrupteur, l'élément juif pourrait avoir un jour sur les destinées de l'Autriche-Hongrie une grande influence parce que son intelligence, à la fois spéculative et pratique, peut s'élever au-dessus du localisme et que son internationalisme naturel est capable de saisir et de faire comprendre à des populations réfractaires la dose d'intérêt général qui doit pénétrer l'étroitesse d'esprit des nationalités, au moment où elles tendent à s'organiser.

Au-dessus de la masse flottante du peuple laborieux, agricole, industriel, animé dans les centres urbains par l'élément socialiste et par l'excitant juif, mais tenu en bride par la police et l'administration, vit une noblesse qui, sans avoir conservé d'autorité féodale, garde une certaine habitude d'être à sa place et chez elle, à la cour et dans le gouvernement ; elle s'attend aussi au respect traditionnel qui lui est dû par le reste de la société.

On n'imagine pas la confiance en soi, la hauteur naturelle et presque bonhomme, la béatitude possédante de cette classe, persuadée qu'elle se suffit à elle-même.

On a dit que la première société, en Autriche, est une société de cousins. Cela veut dire que ces familles ont les mêmes intérêts, les mêmes privilèges, presque les mêmes biens et que tout le mécanisme de l'État leur paraît destiné uniquement à les leur conserver. Ces aristocrates ne sont pas odieux, ils seraient plutôt encombrants, par la place que tient leur inutilité satisfaite. On raconte que, comme le comte Czernin était à la mort, son serviteur l'entendit murmurer : Et quand le Seigneur me demandera : Qu'as-tu fait de ta vie ? il faudra répondre : Ô ! Seigneur ! J'ai tué des lièvres, tué des lièvres, tué des lièvres ! !

Et, en effet, la chasse et le jeu sont leur principale occupation. Il faut distinguer, pourtant, entre les grands seigneurs autrichiens et les grands seigneurs polonais ou galiciens ; ceux-ci ont un sens plus exact et plus précis des réalités. Ils ont joué déjà un rôle remarquable dans les destinées de l'empire ; les Goluchowski, les Potocki sont des noms illustres, répondant à une conception spéciale du rôle de l'aristocratie parmi les peuples sur cette frontière de l'Europe et de l'Asie. L'empereur François-Joseph, faisant récemment appel à la fidélité de sa noblesse galicienne disait : Je vois dans les paroles qui m'ont été adressées et qui sont inspirées par un véritable patriotisme, une nouvelle preuve du loyalisme envers moi et envers ma maison (il ne dit pas envers l'Empire) par lequel s'est distinguée la noblesse de mon royaume de Galicie... Vous voudrez bien, vous, représentants de la noblesse de Galicie, faire savoir partout que mon royaume de. Galicie peut compter sur mon intérêt le plus vif dans cette période d'afflictions. L'Empereur peut-être suivait, du fond de sa vieillesse accablée, le vieux rêve, tant de fois refoulé, d'une coopération plus étroite des éléments 'slaves au salut de la monarchie.

L'EMPEREUR.

L'empereur, en Autriche-Hongrie, a un tout autre caractère traditionnel que l'empereur d'Allemagne et les autres souverains qui portent le même titre dans le monde : il est le fils des temps, héritier direct du saint empire romain ; sa fonction impériale n'est pas née au cours d'événements récents, selon la volonté des hommes ou les alternatives de l'histoire.

S'il reste un pays au monde où le souverain puisse prononcer la parole : L'Etat, c'est moi, c'est en Autriche-Hongrie. Non pas que le prince soit un monarque absolu, mais parce que, sans lui, il n'y aurait pas d'Etat : l'Autriche n'existe que par lui. Supprimez la dynastie, vous supprimez l'empire. Dans ce sens, l'empereur d'Autriche est encore de droit divin, puisqu'il est prédestiné à être le lien suprême entre tous ses peuples.

Ce caractère de l'empereur lui assure un rôle très actif dans la vie politique et ce rôle consiste à se sauver lui-même constamment pour sauver l'empire. Aussi, le monarque austro-hongrois peut être et doit être constamment égoïste, mobile et ingrat, car il ne doit lier sa cause à aucune cause particulière ; s'il était trop longtemps à un homme, à un parti ou à une cause, il manquerait à son devoir.

M. Steed dit : La politique des Habsbourg est un opportunisme exalté à la poursuite d'une idée dynastique immuable. Tiraillé entre les intérêts divers et rivaux qui convoitent l'influence, il est comme un père de famille au milieu d'enfants qui se disputeraient son autorité et son cœur ; ne voulant et ne pouvant sacrifier ni les uns, ni les autres, il alterne dans ses préférences et dans ses sévérités, pour laisser à ceux qui lui survivront la fortune sauve et le foyer intact.

Pour faire comprendre ces nécessités que le monarque a dû subir, rien n'est plus frappant que l'attitude de François-Joseph à l'égard des Allemands de l'empire. Depuis quarante ans, la politique impériale, au dehors, a été exclusivement allemande ; or, au dedans, les Allemands de l'Autriche sont restés en état de défaveur constante et n'ont, pour ainsi dire, pas pu approcher le prince.

Celui-ci craignait-il, qu'appuyés sur l'alliance ils ne devinssent trop prépondérants, ou bien, la nécessité de ménager la Hongrie lui imposait-elle les apparences d'une rancune d'autant plus prolongée qu'elle était plus voulue et plus politique ? En fait, l'empereur a pour devoir de parer toujours au plus grand mal ; d'où sa versatilité, à la fois réfléchie et inquiète, qui ne l'a fait céder que devant l'émeute et la révolution.

FRANÇOIS-JOSEPH.

Dans une personnalité aussi intimement adaptée à ce rôle que l'est celle de François-Joseph depuis soixante-cinq ans, il est, pour ainsi dire, impossible de distinguer l'homme du monarque. Ce vieillard tragique, élevé sur le trône en pleine révolution, qui subit les tourmentes de 1849, de 1859, de 1866, qui vit disparaître, autour de lui, tous les siens, qui resta debout, énigmatique et froid, et qui, après avoir assuré à ses peuples les bienfaits d'une paix de quarante-six ans, a fait, au déclin de sa vie, le geste qui compromet tout, ce vieillard est-il un homme éminent ou seulement supérieur ? n'est-il qu'une médiocrité tenace, livrée au caprice des événements et des camarillas ? On ne sait.

Grand chasseur, d'habitudes régulières, un peu maniaque, reclus dans une étroite intimité qui le sépara de l'impératrice Elisabeth, il passe pour bonhomme et on le dit bon... mais, dans la limite où ces mots peuvent s'appliquer à un monarque profondément égoïste. On ne lui refuse pas une qualité vraiment souveraine : le désintéressement.

Renfermant dans le secret de son âme une illustre tradition, il paraît n'avoir eu d'autre pensée que celle de reprendre les territoires que sa couronne avait perdus ou d'en acquérir de nouveaux. Il ne pardonna jamais à Napoléon III la double diminution de 1859 et de 1866 ; on disait que, si on lui ouvrait le cœur, on y trouverait gravé le mot Vénétie. Tout plutôt que de renoncer à une nouvelle province ; car il sait que si la souveraineté suit la race, c'en est fait de l'Empire.

Il ne pardonna pas à Andrassy, qui pourtant avait fondé la Triple-Alliance, de n'avoir pas annexé la Bosnie et l'Herzégovine, en 1878 ; il en voulut à tous ceux qui contrarièrent cette mesure ; il se refusait à en voir les dangers ; c'est par là que devaient le prendre ceux qui poussèrent sa vieillesse affaiblie vers la faute suprême. Le mystère de ses- résolutions est enfoui pour longtemps dans les archives autrichiennes. Et, même, il est possible n'ait pas dévoilé sa pensée à personne et qu'il n'en subsiste nulle trace ; car ce monarque incertain est voué au silence.

Dans les traits du vieillard cassé et ridé, appelant la mort, — mais pour la ruer sur le monde, — qui reconnaîtrait le jeune homme vêtu de blanc, au teint rose, à l'œil clair, qu'une vague de libéralisme porta au pouvoir en 1848, pour survivre à tous ses contemporains, après les avoir tous abandonnés ?

Ceux qui ont tenté de définir son caractère n'ont trouvé sous leur plume que des expressions comme celles-ci : prudence temporisatrice, cynisme plein de bonhomie, plasticité de l'esprit, faculté d'adaptation. C'est peu, s'il s'agit de définir un souverain qui se survécut à lui-même pour montrer, dans l'extrême vieillesse, le grandissement effroyable de ses défauts jusqu'au point où ils ne se contiennent plus et déchaînent les catastrophes.

L'ARMÉE.

L'empereur, maître des territoires qui composent l'Autriche et la Hongrie, aux confins de l'Europe et de l'Asie, responsable de la sécurité et de la prospérité de 50 millions d'hommes, chargé d'une des plus hautes fonctions européennes, allié fidèle de la redoutable et convoiteuse Allemagne, ne peut remplir ces divers devoirs que par la force de son armée.

Il faut considérer l'armée austro-hongroise comme un appoint prévu de l'armée allemande ; c'est la seule manière d'apprécier exactement la situation militaire de l'Allemagne, au centre du continent européen.

L'alliance franco-russe mettrait l'empire des Hohenzollern dans une très mauvaise posture s'il n'avait à lui opposer l'alliance austro-allemande. Bismarck avait pris les devants, quand il fondait cette combinaison diplomatique et militaire et quand il la complétait par l'adhésion de l'Italie, qui, d'ailleurs, était en droit de faire défaut à ses alliés, en cas d'offensive de leur part, dans le conflit européen.

L'Autriche-Hongrie, dont la population se décompte ainsi : Autriche, 28 millions 500.000 habitants, Hongrie, 20 millions 840.000, Bosnie et Herzégovine, 2 millions, représente un total de plus de 51 millions d'habitants.

L'Empire, s'il appelait toutes ses forces disponibles, pourrait réunir plus de cinq millions d'hommes sous les drapeaux. Mais, la diversité des races et les conditions budgétaires ont singulièrement compliqué ici l'application du principe de la nation armée. En fait, des éléments très disparates contribuent à la constitution de l'armée austro-hongroise et l'affaiblissent.

En raison du fait que l'Empire se compose de deux parties bien distinctes : les pays représentés au Reichsrath (Autriche) et les pays de la couronne de Hongrie, il existe trois armées différentes : l'armée commune ou armée impériale et royale, relevant du ministère de la guerre commun ; la landwehr impériale-royale autrichienne (ou cisleithane) et son landsturm relevant du ministre de la Défense du pays de Vienne ; la landwehr royale hongroise et son landsturm (Honvèd) dépendant du ministre de la Défense du pays de Budapest. Chacune de ces armées a son budget spécial voté : pour l'armée commune, par les Délégations des deux Parlements (autrichien et hongrois), puis par chacun de ces derniers pour leur landwehr respective. On voit comme tout cela est compliqué. L'armée austro-hongroise n'en présente pas moins une force réelle, en raison surtout de la caste presque héréditaire où se recrutent ses officiers. Ce trait est trop caractéristique pour qu'on ne le signale pas ; selon une parole souvent répétée : L'armée, c'est l'Autriche.

L'attachement à la dynastie étant la grande force d'union dans un Empire fait de pièces et de morceaux, l'armée, et notamment le cadre des officiers et sous-officiers, sont les défenseurs nés de l'unité impériale, et ce sentiment mal défini mais tenace va jusqu'à inquiéter même les ambitions particularistes.

Quoique de nombreux officiers soient fournis par la noblesse et même la haute aristocratie, la masse du corps des officiers se recrute dans les classes moyennes et la petite bourgeoisie et se compose d'hommes de mince fortune... La naissance n'apporte avec elle que peu ou point de privilèges... Il existe, en Autriche, une noblesse militaire, une sorte de caste des Samouraï, juste comme il existe une noblesse bureaucratique ; nombre de familles de modeste fortune ont été militaires pendant des générations, envoyant tous ou presque tous leurs fils dans l'armée et la marine. Ce fonds de familles militaires est une des grandes réserves de la dynastie. Porter la casaque de l'Empereur est devenu pour elles une seconde nature ; on ne se contente pas d'y être violemment noir et jaune (les couleurs autrichiennes), mais on y est aussi ce que l'Empereur appelle patriote pour moi. Leur esprit sert de levain à l'ensemble de la masse militaire, gagne les camarades dépourvus de traditions de famille et s'infiltre jusqu'aux simples soldats. C'est dans leur camp qu'est l'Autriche. (H. W. Steed.)

Si solide que soit ce corps d'officiers, sa tâche n'en reste pas moins difficile et son action nécessairement restreinte, dans une armée où les soldats appartiennent à tant de races différentes, parlent des langages ou des dialectes divers, ont des aspirations souvent contraires à l'existence même de l'Empire. L'auteur qui vient d'être cité dit avec raison que le maintien du sentiment militaire et d'une organisation à peu près effective dans ce labyrinthe est un miracle.

La réorganisation des armées austro-hongroises résulte de lois récentes, notamment la loi générale du 5 juillet 1912.

L'armée active compte, en temps de paix, 34.000 officiers et 390.000 hommes avec 90.000 chevaux. Ces forces se répartissent en : armée commune (2 ans de service) et landwehr active (2 ans de service) ; c'est par le tirage au sort que les conscrits sont classés dans l'une ou dans l'autre partie de l'armée active. En temps de guerre, l'armée active et de réserve comptent 1.800.000 hommes instruits ; la territoriale, i million et demi d'hommes, comprenant deux bans (de 19 à 37 ans, de 37 ans à 42 ans) et l'ersatz reserve, 500.000 hommes, ces derniers et une bonne partie du landsturm n'ayant qu'une éducation militaire très insuffisante et des cadres à peu près inexistants.

La Bosnie et l'Herzégovine fournissent, depuis la loi du 11 août 1912, un contingent à part, calculé d'après le chiffre de sa population et dans la même proportion que les autres pays de la monarchie.

Par l'application de la loi de 1912, les forces austro-hongroises doivent s'élever, (sans tenir compte des distinctions entre les trois) aux totaux suivants : Infanterie : 683 bataillons, avec 483 détachements de mitrailleuses ; cavalerie : 353 escadrons ; artillerie de campagne : 348 batteries de canons (canon à tir rapide, en bronze forgé, modèle 1905, de 76 m/m 6), 132 batteries d'obusiers légers, modèle 1899, du calibre 104 m/m, 30 batteries à cheval. Artillerie de montagne : 62 batteries de canons et 3o batteries d'obusiers. Artillerie lourde : 56 batteries d'obusiers lourds ; le reste, dans les différents services actifs ou auxiliaires. En 1913, on a expérimenté un mortier de 30 c/m, transportable en 3 parties, et une pièce à tir rapide, de 10 c/m 5, à recul sur l'affût, destinés à rendre de grands services aux armées de la coalition.

L'infanterie est armée du fusil Mannlicher, modèle 1895, avec poignard-baïonnette. A chaque bataillon est adjoint un détachement de 2 mitrailleuses Schwarzlose.

L'armée austro-hongroise est répartie en 16 corps d'armée, plus 14 brigades de montagne. La cavalerie compte 10 divisions ; le tout, réparti sur les frontières infiniment étendues de la monarchie et devant faire face à la fois à l'Est, au Sud, au Sud-Ouest.

M. Steed donne des renseignements précis sur la cacophonie des langues dans l'année austro-hongroise : L'Allemand est employé dans l'armée commune et dans la landwehr autrichienne comme langue officielle et comme langue du commandement ; mais les langues régimentaires diffèrent suivant les races auxquelles appartiennent les divers régiments. Les régiments purement polonais, tchèques, ruthènes et serbo-croates, sont instruits dans leurs langues respectives, quoique commandés en allemand ; les minorités, au-dessus de 20 % dans l'ensemble du régiment ayant droit à l'instruction dans leur propre langue. Dans les régiments magyars, le magyar est la langue d'instruction ; dans la Honvéd, formée des recrues de la Hongrie, le magyar est la langue officielle ; mais, dans les régiments de la Honvéd recrutés en Croatie-Slavonie, le magyar cède la place au serbo-croate.

C'est pour se conformer à cet étrange amalgame de peuples que l'Empereur disait, le 16 septembre 1903, dans le fameux ordre du jour de Chlopy qui fut considéré presque comme un abus d'autorité dans le sens unitaire : Une et indivisible comme elle l'est, mon armée restera forte et puissante pour défendre la Monarchie ; elle restera pénétrée de cet esprit d'union et d'harmonie qui respecte tous les caractères nationaux, en utilisant les qualités spéciales de chaque race pour la prospérité du grand tout.

LA FLOTTE AUSTRO-HONGROISE.

La flotte austro-hongroise, qui fut longtemps réduite, de parti pris, à un rôle secondaire, limité à la mer Adriatique, a pris soudain un réel développement, sans doute sous l'impulsion de l'allié, Guillaume II.

Les programmes de construction s'accrurent peu à peu et comprenaient en 1912, 12 cuirassés d'escadre, 5 de seconde classe, 6 de 3e classe, 19 contre-torpilleurs et 83 torpilleurs.

L'effectif réel est le suivant :

1911

1912

1913

1914

Dreadnougths

1

2

4

Pree-Dreadnougths

12

12

12

12

Croiseurs-Cuirassés

3

3

3

3

Croiseurs

6

6

9

9

Canonnières

7

7

7

7

Destroyers

12

12

18

Torpedos

57

69

81

Sous-marins

6

7

13

Le tonnage des fortes unités représente : 15 cuirassés déplaçant 179.000 tonnes, 2 croiseurs-cuirassés déplaçant 13.700 tonnes.

L'artillerie des unités cuirassées : 48 pièces de 305 millimètres, 61 de 249, 41 de 190, 66 de 150, 36 de 140 et 60 de 100.

En 1910, la flotte était montée par 817 officiers et cadets, 671 mécaniciens et autres officiers et environ 13.400 marins.

Les principaux types des fortes unités sont le Tegethoff, le Franz-Joseph, et le n° VII. Le grand port militaire est Pola, avec quelques autres établissements militaires sur la mer Adriatique.