SCÈNES D'UN NAUFRAGE ou LA MÉDUSE

NOUVELLE ET DERNIÈRE RELATION DU NAUFRAGE DE LA MÉDUSE

 

PAR PAULIN D'ANGLAS DE PRAVIEL

Ex-Lieutenant au Bataillon du Sénégal, Officier en retraite, dernier naufragé de la Méduse.

NÎMES - 1858.

 

 

AVANT-PROPOS.

CHAPITRE I. — Expédition du Sénégal.

CHAPITRE II. — Entêtement fatal. Baptême du tropique.

CHAPITRE III. — Consternation. Stupeur.

CHAPITRE IV. — Nombre de personnes se trouvant dans les embarcations.

CHAPITRE V. — La chaloupe cherche à gagner la terre.

CHAPITRE VI. — Distribution d'armes. Serment.

CHAPITRE VII. — Rencontre des Maures.

CHAPITRE VIII. — Marche des embarcations.

CHAPITRE IX. — Histoire d'un vieux caporal de l'empire.

CHAPITRE X. — Récit des événements qui se sont passés sur le radeau.

CHAPITRE XI. — Embarcations arrivées en rade de Saint-Louis.

CHAPITRE XII. — Saint-Louis.

CHAPITRE XIII. — Description du camp de Daccard.

 

AVANT-PROPOS.

 

Nous voyons, chaque jour, les uns exploiter les influences qu'ils se sont acquises, d'autres leurs industries ou leurs talents, ne me pardonnera-t-on pas à moi d'oser, hélas ! exploiter le souvenir de mes douleurs ?

Sur ce terrain où germent sans cesse les plus vives angoisses, j'espère trouver encore quelques adoucissements, car il n'est point d'excès d'infortune qui ne puisse être vaincu avec honneur par le courage et l'espérance.

Pénétré de cette vérité, j'ai conçu le projet de livrer au public, un ouvrage intitulé : Scènes d'un Naufrage ou la Méduse.

Le bon accueil que voudront bien lui faire mes concitoyens sera pour moi la plus douce comme la plus fortifiante consolation.

N'ai-je pas d'ailleurs le droit de parler d'une émouvante catastrophe, moi qui en suis le dernier débris ?

Mon livre n'est point un libelle ou un roman ; c'est l'histoire exacte des scènes du naufrage de la Méduse, que je vais décrire.

Si quelques-uns de mes lecteurs ont quelque chose à me reprocher sous le rapport du style, ou envisagent ce sujet comme un événement qui est déjà loin de notre époque, il ne sera pas du moins sans intérêt pour ceux qui auront passé par l'école de l'adversité. Tel est le but que je me suis proposé en faisant paraître mon ouvrage.

Fut-il jamais naufrage aussi déplorablement célèbre que celui de la Méduse ? Où trouvera-t-on des hommes qui pourraient avoir été si malheureux que nous ? Cet épouvantable désastre, nous l'avouons avec le plus profond regret, est dû d'abord à l'ignorance et à l'imprudente sécurité du Capitaine-commandant ; ensuite au manque de sang-froid des officiers du bord, qualité si difficile à conserver ; en pareille occurrence. Mais le courage, hâtons-nous de l'affirmer, ne leur a jamais fait défaut : il faut le dire en toute justice, l'éloignement de la terre et le manque de sauvetage compliquant la situation, avaient enlevé dans l'esprit de tous, l'espoir d'échapper aux dangers qui s'accumulaient, et la certitude de la mort avait fait disparaître toute espérance de salut ; il n'est pas étonnant, alors, que cette position désespérée ait paralysé les ressources de ceux auxquels avait été confiée notre existence.

Deux des naufragés de la Méduse, le premier, M. Savigny, homme courageux et énergique, chirurgien de 3e classe à bord de la frégate ; le second, M. Correard, passager, allant explorer des terres sur la presqu'île du Cap-Vert, s'imposèrent, dans le temps, la tâche pénible de faire connaître au monde civilisé le détail de nos malheureuses aventures. Soit qu'ils fussent encore sous l'impression des maux qu'ils venaient d'endurer, ou qu'ils se soient laissé entraîner par une fausse prévention contre ceux qui ne partageaient pas leurs sentiments, ils dénaturèrent les faits les plus importants.

Avant de mettre le pied dans la tombe, avant que les derniers souvenirs de ce naufrage aient entièrement disparu, il est de mon devoir de faire connaître à mes enfants, à mes amis, ainsi qu'à mes concitoyens, des faits aussi étrangement défigurés, de les montrer tels que je les ai vus, et tels que la vérité en placera les impressions encore palpitantes sous ma plume. Loin de moi la pensée d'imiter M. Correard ; il y a pour les gens de bien une religion commune, celle du respect dû au malheur. Je resterai donc ce que je dois être envers tous mes compagnons d'infortune, c'est-à-dire, équitable et généreux.