PARIS - PLON-NOURRIT ET Cie - 1902.
INTRODUCTION.
CHAPITRE PREMIER. —
LE SÉNATUS-CONSULTE DU 17 FÉVRIER 1810.
CHAPITRE II. —
LA NAISSANCE ET LE BAPTÊME DU ROI DE ROME.
CHAPITRE III. —
L'ENFANCE DU ROI DE ROME.
CHAPITRE IV. —
LE ROI DE ROME ET L'EMPIRE EN 1813.
CHAPITRE V. —
FONTAINEBLEAU, BLOIS, RAMBOUILLET.
CHAPITRE VI. —
LE DÉPART POUR L'AUTRICHE.
CHAPITRE VII. —
LA COUR DE VIENNE ET LE RETOUR DE L'ÎLE D'ELBE.
CHAPITRE VIII. —
LES INTRIGUES DE FOUCHÉ ET DE METTERNICH EN
1815.
CHAPITRE IX. —
NAPOLÉON II ET LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS.
CHAPITRE X. —
NAPOLÉON ET LA DUCHESSE DE PARME.
CHAPITRE XI. —
LE DUC DE REICHSTADT (1818-1820).
CHAPITRE XII. —
LE TESTAMENT ET LA MORT DE NAPOLÉON.
CHAPITRE XIII. —
L'ÉDUCATION DU DUC DE REICHSTADT ET M. DE
METTERNICH.
CHAPITRE XIV. —
LE FILS DE L'HOMME (1829).
CHAPITRE XV. —
LE CHEVALIER DE PROKESCH-OSTEN.
CHAPITRE XVI. —
LE DUC DE REICHSTADT ET LA RÉVOLUTION DE 1830.
CHAPITRE XVII. —
LE DUC DE REICHSTADT ET LES MARÉCHAUX.
CHAPITRE XVIII. —
LA MALADIE DU DUC DE REICHSTADT.
CHAPITRE XIX. —
LA MORT.
CONCLUSION.INTRODUCTION.Le fils de Napoléon a porté plusieurs noms. Celui de roi de Rome, qui lui avait été attribué avant sa naissance par le Sénatus-consulte du 17 février 1810, lui fut confirmé le 20 mars 1811. Par l'article 5 du traité de Fontainebleau en date du Il avril 1814, l'héritier de l'Empereur reçut le titre de prince de Parme, Plaisance et Guastalla. Dans la période des Cent-jours, le 23 juin 1815, il fut proclamé Empereur sous le nom de Napoléon II par la Chambre des représentants et, avec la même qualification, dans l'Adresse au peuple français votée par les deux Chambres, les 1er et 2 juillet. Enfin il fut appelé, en 1818, duc de Reichstadt par l'empereur François II, son grand-père, et mourut, en 1832, au palais de Schœnbrunn, sous ce quatrième et dernier nom. Pour le titre de cet ouvrage, j'ai préféré restituer au prince impérial l'appellation grandiose que son père lui avait donnée, parce que, dès le premier jour, elle a été populaire, et surtout parce qu'elle me paraît accentuer la leçon philosophique que je voudrais voir sortir de mon travail, c'est-à-dire l'inanité des prétentions humaines, quand elles offensent le droit. Non content, en effet, de dérober à Pie VII le patrimoine du Saint-Siège, Napoléon avait encore voulu prendre pour son héritier le nom de la Ville sacrée dont il avait chassé le Pape, afin d'attester devant l'Europe entière sa toute-puissance sur l'Église comme sur la société. Mais ce titre pompeux ne sera qu'un titre éphémère. Moins de cinq ans après, Pie VII rentrera à Rome en souverain, tandis que l'Empereur et son fils partiront pour l'exil, démonstration saisissante du triomphe inévitable de la Justice, même lorsqu'elle a paru succomber sous les coups de la plus formidable volonté qui ait jamais fait trembler les hommes. Une autre leçon me paraît se dégager de l'histoire que j'ai entrepris d'écrire. J'ai dit ailleurs que, la veille d'Austerlitz, Napoléon, laissant errer sa pensée sur divers sujets, était arrivé à la question des crimes politiques et avait essayé d'en tempérer l'horreur en invoquant la nécessité ou la raison d'État. C'était le meurtre du duc d'Enghien qui obsédait alors sa mémoire. Il cherchait vainement des prétextes pour se persuader qu'il avait frappé un vrai coupable. Le remords était entré dans sa 'conscience et ne la quittait point. L'expiation vint un jour, et elle l'atteignit au plus intime de son être. Napoléon, disais-je, a ressenti, lui aussi, la douleur qui arrachait au duc de Bourbon des cris de désespoir... Pendant six longues années, l'Empereur allait éprouver l'affreuse angoisse de n'avoir pu élever et former lui-même ce fils tant désiré, cet espoir et cette raison de sa vie. Dans ces peines, dans ce supplice que l'on ne saurait dépeindre, il a dû souvent regretter l'arrêt implacable qu'il avait rendu contre le duc d'Enghien et reconnaître que tout crime entraîne après lui une expiation nécessaire[1]. La vie du fils de Napoléon, qui va si rapidement du berceau à la tombe, présente, lorsqu'on y pénètre, des détails du plus haut intérêt, des faits et des enseignements graves. Résumez-les un instant par la pensée et dites s'ils ne méritaient pas l'attention de l'historien ?... La naissance d'un fils voulue et prédite par un Empereur auquel la nature et les hommes ne demandaient qu'à obéir, les acclamations de la France et de l'Europe entière à la venue de ce fils, son baptême solennel et les vœux des princes, des courtisans, des rois et des peuples, les premiers malheurs de l'Empire succédant aux jours de gloire, les dernières et inutiles victoires, puis les grands désastres, la déchéance et l'exil de l'Empereur, l'arrivée en Autriche et la séquestration de son fils, les intrigues et les dessous du congrès de Vienne, la tourmente des Cent-jours, la seconde abdication, puis Sainte-Hélène, l'éloignement des Français restés fidèles au roi de Rome, la suppression de tout ce qui peut lui rappeler la France, le remplacement de son nom par un nom allemand, la mort de Napoléon et les premières douleurs de l'enfant, ses désirs, ses ambitions, puis ses illusions et ses découragements, son constant amour pour son père et pour la France, ses dernières joies et ses derniers espoirs, ses vains efforts pour dompter un corps rebelle, enfin la maladie implacable, le suprême recours à Dieu, l'agonie et la mort en pleine jeunesse, n'y avait-il pas là matière suffisante pour contempler et étudier dans un seul être les pitoyables contrastes des grandeurs et des misères humaines ? Ce qu'on ne sait pas ou presque pas, car en cette histoire
la légende a jusqu'ici prédominé sur la vérité, c'est que le fils de Napoléon
a, dès les premiers moments d'une maturité précoce, eu conscience de son
origine, de ses devoirs, de son avenir. Il avait beaucoup appris, il avait
beaucoup médité. Dans un écrit du prince, je trouve cette pensée qui montre à
elle seule combien ce jeune esprit était déjà pondéré Si nous commençons à juger, écrivait-il, par l'impulsion de nos passions et non d'après la raison, notre esprit
perd le sentiment de la vérité, et nous devenons le jouet de nos désirs. Ceci
est contraire à notre dignité. Il avait conservé l'amour du sol natal
et le respect de ses gloires. Quant aux devoirs d'un souverain, il s'en était
formé l'idée la plus haute, voulant une autorité puissante et ferme, capable
de satisfaire au bien moral du peuple comme à tous ses besoins, préoccupée
sans trêve de l'honneur et de la grandeur de la patrie. Les lettres qui nous
restent de lui attestent une générosité et une élévation d'âme vraiment peu
ordinaires. Le prince cherchait à s'ouvrir la carrière des armes, la seule
qui, suivant lui, convînt au fils de Napoléon, car il avait la conviction que
la gloire militaire serait un acheminement plus rapide vers le trône qu'il
ambitionnait. Mais il se refusait à courir les aventures. Ce qu'il voulait,
c'était se rendre digne de sa grande mission par un travail assidu et par une
instruction profonde. Les yeux fixés sur l'avenir, il souhaitait de n'être
pas surpris quand sonnerait l'heure décisive. Aussi s'apprêtait-il à
s'affranchir de tout joug importun, à voir par lui-même, à être vu et à
montrer partout, comme le lui avaient prescrit les dernières volontés de son
père, qu'il était né prince français.
Surveillé et observé de près par les agents de Metternich, il gardait
jalousement en son cœur certains secrets. Plus d'une fois, au moment des
crises politiques extérieures, des orages y grondèrent ; sa physionomie
demeura impassible. Cependant ces luttes pénibles finirent par briser son
corps. Les souffrances morales ont en effet développé chez lui les maux
physiques et les ont même aggravés. La froide détermination du chancelier
autrichien qui, en détournant les occasions ainsi que les hommes propres à
les seconder, s'opposa sans pitié à ses projets d'ambition, fut une des
causes non discutables de son prompt dépérissement. L'égoïsme de sa mère accrut encore ses douleurs. Comment cette princesse avait-elle pu oublier ainsi et son fils et son époux ? Elle s'imagina, avec une naïveté voisine de l'impudeur, avoir le droit de rechercher d'autres affections, ne comprenant pas qu'elle ne s'appartenait plus, ayant été marquée pour une seule et même destinée. Un souvenir classique rendra ma pensée. Euripide a cru pouvoir intéresser au sort d'Andromaque en lui supposant des inquiétudes et des craintes pour la vie d'un fils qu'elle aurait eu de Pyrrhus. Racine s'en est justement étonné et a dit : La plupart de ceux qui ont entendu parler d'Andromaque ne la connaissent guère que pour la veuve d'Hector et la mère d'Astyanax. On ne croit point qu'elle doive aimer ni un autre mari ni un autre fils, et je doute que les larmes d'Andromaque eussent fait sur l'esprit de mes spectateurs l'impression qu'elles y ont faite, si elles avaient coulé pour un autre fils que celui qu'elle avait eu d'Hector... Le prince Napoléon n'avait vu Marie-Louise qu'une fois. C'était en 1836, sur la grand'route près de Parme. Il était avec son père, lorsque tout à coup le roi Jérôme lui saisit la main avec une violente émotion et lui dit : Voilà l'impératrice Marie-Louise !... Non, reprit-il, ce n'est plus l'impératrice, c'est madame Neipperg !... Aussi le fils de Napoléon, tout en gardant à sa mère un attachement respectueux, n'a-t-il jamais pu lui témoigner une tendresse égale à celle qu'il avait vouée à son père. Il avait le culte absolu d'une mémoire sacrée, et, sans jamais prononcer un mot qui eût l'apparence d'un regret ou d'un blâme, il dut se dire plus d'une fois, avec une peine amère, que l'impératrice Marie-Louise avait disposé de sa vie contrairement à d'inviolables devoirs. Comment l'histoire ne s'attendrirait-elle pas sur les chagrins et les tortures que subit et endura ce prince, dès qu'il fut arrivé à l'âge de comprendre son infortune ? J'ai mis à profit pour mon livre les différentes pièces des Archives nationales et les dépêches du Ministère des Affaires étrangères qui m'ont été libéralement communiquées. Ayant à examiner la période historique qui s'écoule entre 1810 et 1832, et à faire l'étude des hommes et des événements de cette période, j'ai employé encore de nombreux Mémoires et des opuscules oubliés ou peu connus. Je me suis servi également des indications fournies par les journaux français et étrangers de l'époque. J'ai profité de quelques observations personnelles faites en Autriche, tout en regrettant que les archives de l'État et de la Cour soient peu abondantes aujourd'hui en documents relatifs au fils de Napoléon. Mais le voyage que j'ai fait à Vienne, à Schœnbrunn, à Baden, dans les endroits mêmes que le prince habitait ou fréquentait, m'a été fort utile pour me rendre un compte exact de sa vie intime. J'ai consulté, en outre et avec soin, la Correspondance de Marie-Louise, puis l'ancien ouvrage de M. de Montbel, sachant que M. de Metternich lui avait ouvert les Archives de la chancellerie d'État et celles de la famille impériale, alors en possession de pièces très curieuses. Mais je n'ai pas oublié que le chancelier a reconnu lui-même avoir exercé une influence décisive sur l'auteur dans toutes les parties du livre qui n'avaient pas pour objet de rendre hommage à la branche aînée des Bourbons. M. de Montbel a bien juré qu'il était demeuré indépendant ; ce qui diminue un peu la valeur de son affirmation, c'est cette déclaration de Metternich faite au baron de Neumann : Les grands points de vue politique, et surtout ce qui est relatif au bonapartisme, sont écrits sous ma direction[2]... La princesse Mélanie, troisième femme de Metternich, a dit aussi, dans son Journal, que son mari avait chargé M. de Montbel de composer cette histoire, et lui avait fourni toutes les indications nécessaires. Elle trouvait du charme et du piquant à voir un ancien ministre de Charles X entreprendre de raconter au public la courte existence de ce pauvre jeune homme. Lorsqu'elle entendit la lecture de l'ouvrage, elle se permit d'en critiquer le style. Le prince de Metternich fut plus aimable pour l'auteur, sans doute à cause de sa collaboration personnelle. Après les pages agréables que M. Imbert de Saint-Amand, dans sa collection des Femmes des Tuileries, a consacrées en 1885 à Marie-Louise et au duc de Reichstadt, j'ai lu avec intérêt et profit les deux excellents écrits du chevalier de Prokesch-Osten sur ses Relations avec le duc de Reichstadt et sur la mort de ce prince, ainsi que l'édition allemande qui contient plusieurs lettres non traduites dans l'édition française qu'a publiée son fils, le comte de Prokesch-Osten, en 1878. MM. Antonin et Amédée Lefèvre-Pontalis, petits-fils de Mme Soufflot, qui fut nommée première dame du roi de Rome en 1811, puis devint sous-gouvernante en 1814, ont bien voulu m'ouvrir leurs archives de famille et me communiquer des documents précieux. Mme Soufflot, veuve d'André Soufflot, ancien membre du Corps législatif, consentit à l'exil en 1814 pour rester fidèle aux obligations qu'elle avait acceptées. Elle se rendit en Autriche avec sa fille Fanny, qui devint l'amie-préférée du petit prince. Mme Soufflot, à son retour en France, reçut de nombreux et flatteurs témoignages de la haute estime qu'elle avait su inspirer à la Cour d'Autriche. Pour n'en donner ici qu'un exemple, la comtesse Scarampi, grande maîtresse de la duchesse de Parme, lui écrivait le 1er septembre 1817 : Sa Majesté a les meilleures nouvelles possibles de son auguste fils qui, à ce que le comte de Dietrichstein assure, répond parfaitement aux espérances que vous avez vues naître et que vos sollicitudes ont tant contribué à fonder en lui. Je remercie également Mme la baronne Chr. de Launay de m'avoir autorisé à reproduire en tête de cet ouvrage la miniature originale d'Isabey faite à Vienne en 1815, et qui est, sans contredit, le plus exact comme le plus charmant portrait du roi de Rome. Peu de jours avant la mort du prince, un de ses amis, le comte Maurice Esterhazy se désolait de le voir disparaître sans avoir été connu et apprécié, sans avoir donné la mesure de son intelligence et de sa valeur. Cette courte existence, disait-il, sera bientôt oubliée, ignorée un jour, et pourtant il semblait annoncer d'autres destinées. J'ai compris ces regrets et j'ai tenu à prouver, par une étude approfondie, qu'il y avait un intérêt historique à s'occuper d'un prince français qui fut l'objet de tant de vœux et de tant d'espérances. En même temps, j'ai cru qu'après l'exposé du divorce de Napoléon, il était utile de montrer ce que l'avenir avait fait des projets ambitieux de l'Empereur. Il m'a paru nécessaire, chemin faisant, de signaler les causes de la chute du régime impérial, les machinations subtiles de ses ennemis, et plus particulièrement les intrigues et les menées du prince de Metternich, qui, usant de tous les moyens permis ou non en politique, voulut éteindre dans la lointaine captivité du père et dans l'obscurité systématique du fils le souvenir d'une alliance imposée par les circonstances, mais détestée dès son origine par l'orgueilleuse Maison des Habsbourg. H. W. Paris, février 1897. |