LE ROI DE ROME (1811-1832)

 

CONCLUSION.

 

 

Une question s'impose à la fin de cet ouvrage. En admettant que le fils de Napoléon eût été heureusement servi par les circonstances et par les hommes, en admettant que, plein de force et de vigueur, il eût réussi à monter sur le trône, aurait-il pu s'y maintenir ?

On a dû remarquer, au cours de ce récit, qu'un de ceux qui étaient le plus à même de juger la situation, François II, ne cessa de parler à son petit-fils, dès la révolution de 1830, de son avènement probable et parfois en termes peu équivoques. Ne lui avait-il pas dit, un jour où les rapports étaient devenus acerbes entre le cabinet de Vienne et celui des Tuileries, à la suite de la révolte dans les duchés italiens : Tu n'auras pas plus tôt paru sur le pont de Strasbourg que c'en sera fait des d'Orléans... ? N'avait-il pas dit une autre fois que, si le peuple français demandait son petit-fils, il ne s'opposerait pas à le voir monter sur le trône de France ? Aussi, grâce aux ouvertures faites par l'empereur d'Autriche lui-même, les rêves du duc étaient-ils devenus des espérances. Il savait que les salons officiels discutaient ouvertement ses chances d'avenir. Sans l'opposition formelle de Metternich, le jeune prince eût peut-être cédé à une tentation irrésistible et eût couru les chances dont on parlait. Examinant, avec une gravité au-dessus de son âge, le régime qui venait de succéder à la seconde Restauration, il s'était dit que le fils de l'Empereur, et de Marie-Louise pouvait offrir aux Français et aux puissances des garanties plus solides que Louis-Philippe. S'il avait pu connaître- les sympathies secrètes de l'armée pour sa personne, les agissements de Joseph Bonaparte, de Manguin, de Cavaignac, d'Armand Carrel, des bonapartistes, des libéraux et des républicains qui poussaient à une action immédiate contre le gouvernement de Juillet, il se fût prononcé. Que de fois il s'était demandé de quel droit on faisait expier au fils les fautes du père ; pourquoi on le privait d'une succession qui avait été rouverte par une révolution imprévue ; pourquoi on le privait d'un trône qui lui appartenait par droit d'hérédité. L'Empereur n'avait-il pas abdiqué en sa faveur, et les Chambres ne l'avaient-elles pas officiellement proclamé sous le nom de Napoléon II ?

A ces illusions, à ces espérances, il faut répondre catégoriquement. Si Napoléon, malgré le prestige et la gloire dont il s'était environné et qui avaient rejailli sur la France, — car nul Français n'a oublié Arcole, Rivoli, Marengo, Austerlitz, Iéna, Wagram, — si Napoléon avait été obligé de se reconnaitre incapable de gouverner une nation qui :ne voulait plus de guerres et d'aventures, même glorieuses, comment son fils, avec sa jeunesse et avec son inexpérience, aurait-il pu s'acquitter d'une tâche aussi difficile ?... Parfois, lorsque la raison venait tempérer ses ardeurs juvéniles, il le reconnaissait lui-même, et il se demandait avec anxiété s'il aurait la force nécessaire pour mener à bien une telle œuvre. Lui qui avait tant étudié l'histoire, il se rappelait le cri qui avait échappé à Marie-Antoinette et à Louis XVI, lorsque le pouvoir les surprit : Ô mon Dieu, prenez pitié de nous ! Nous régnons trop jeunes !... Quelle aurait été, d'ailleurs, sa situation immédiate ? Il serait arrivé en pleine tourmente, au moment où la rue s'agitait, où l'émeute grondait à toute heure. Le nom de Napoléon aurait-il suffi à calmer les passions déchainées ? Mon fils même, avait dit un jour l'Empereur, aurait souvent besoin d'être mon fils pour me succéder tranquillement. Et une autre fois : La nation a bien consenti à être gouvernée par moi, parce que j'avais acquis une grande gloire et rendu de grands services. Mais où était la gloire, où étaient les services du duc de Reichstadt ?... A supposer même qu'avec le talisman du nom de son père, il eût arrêté momentanément les dissensions dans le pays, ne se fût-il pas trouvé aussitôt en face de graves difficultés extérieures ? La Pologne, la Grèce, l'Italie n'auraient-elles pas réclamé l'épée du fils de Napoléon ? Serait-il, lui si généreux, resté sourd à leurs appels, et ses élans, ses désirs impatients de luttes et de combats pour le plus grand honneur de la France, auraient-ils pu demeurer inertes ? Sans doute, les dernières instructions paternelles lui avaient conseillé une politique pacifique, mais cette politique convenait plutôt à un prince âgé qu'à un prince jeune, de nature chevaleresque. Pouvait-il vraiment oublier les victoires qui avaient porté si haut le nom de Napoléon ? Pouvait-il en demeurer simplement l'admirateur, sans essayer de grossir un jour le nombre de ces victoires ? Enfin avait-il l'expérience, la puissance, l'habileté et l'audace suffisantes pour résister aux divers ennemis qui se seraient bientôt ligués contre lui ? Sur quels hommes se serait-il appuyé ? Où étaient les ministres sincères, fidèles, dévoués, constants dans leurs desseins, sans attaches et sans compromis, qui allaient se trouver prêts à lui suggérer et à pratiquer avec lui une politique équitable et prudente ? Si bien doué qu'il fût, il n'avait pas la prétention de gouverner à lui seul la France.

À cela ses partisans répondent que, la France et l'Europe acceptèrent plus tard un Napoléon qui n'avait pas sa valeur intellectuelle. Soit, mais cela s'est passé après un laps de vingt ans, c'est-à-dire après l'expérience de la monarchie de Juillet et de la seconde République, après une préparation adroite et des machinations savantes. Louis-Napoléon avait eu l'habileté de se faire connaître à la France, de se créer des amis résolus, de se préparer tout un personnel et de s'emparer peu à peu du pouvoir, de conquérir le trône par un violent coup d'État et de chercher à s'en justifier par l'approbation du peuple... La France ne connaissait pas le duc de Reichstadt. M. de Metternich l'avait si bien séquestré et si opiniâtrement éloigné de tout ce qui était Français, que partout on le croyait élevé comme un archiduc, avec des sentiments exclusivement autrichiens. Le chancelier, dont la rancune inapaisée poursuivait encore le père dans le fils, avait laissé dire, sans se donner la peine d'apporter un démenti, que l'on cachait au prince la vie et la gloire de Napoléon. L'aventure du poète Barthélemy et du Fils de l'Homme avait accrédité cette légende. Le duc de Reichstadt s'en était aperçu, et il en souffrait cruellement. Il avait lu, il lisait des journaux français qui, par méchanceté ou par ignorance, l'accusaient de n'être qu'un Allemand. Plus d'une fois, au cours de ses voyages, M. de Prokesch avait eu à soutenir le contraire et à le défendre surtout au sujet de son éducation, qu'on disait avoir été habilement préparée pour étioler son intelligence.

A la Cour même d'Autriche, on le connaissait peu, on ne le comprenait pas. Certains, ne saisissant pas sa réserve, lui reprochaient d'être taciturne et peu communicatif. D'autres l'appelaient capricieux ou entêté, parce qu'il avait horreur des petites exigences mondaines, ou parce qu'il était résolu à maintenir énergiquement toutes ses idées. Quelques-uns même lui trouvaient de la dissimulation, appelant ainsi ce qui n'était que du tact ou de la prudence. Comment ce jeune Français, captif dans une Cour étrangère ou ennemie, eût-il pu s'abandonner à des hommes qui ne comprenaient pas sa nature droite et fière ? Il avait acquis un ami sûr et fidèle. C'était assez pour son cœur. Mais les calomnies des uns, les faux jugements des autres le préoccupaient et le minaient sourdement. Son ambition inassouvie et la séquestration dont il était victime, les efforts inutiles qu'il tenta pour satisfaire l'une et se délivrer de l'autre, la crainte de servir la politique des Cours étrangères ou des factions, la méconnaissance de sa valeur réelle, et surtout l'abandon où le laissait une mère frivole qui n'avait pas, comme lui, le respect et le culte de Napoléon, aggravèrent la maladie qui l'emporta. Il ne pouvait vraiment pas se résigner à vivre comme un simple officier ou même comme un archiduc. Roi de Rome, fils de l'Empereur, né et élevé au milieu de véritables prodiges, lui était-il possible d'oublier ces titres uniques ? Et impuissant à remplir sa destinée, il se sentait un être fatalement désigné à l'immolation. Il lui fallait, avant la chute du rideau, disparaître d'une scène où il avait espéré jouer le premier rôle. Après ces observations, n'est-on pas amené à se demander s'il faut regretter avec trop d'amertume la perte si rapide d'une existence qui eût été soumise à tant d'épreuves ? Sa fausse position, a dit Prokesch, ne faisait-elle pas son plus grand tourment, et y avait-il une autre fin pour celui dont les affections, les désirs et les espérances se livraient un continuel combat dans son âme ?... Ne le plaignons pas de sa mort prématurée. Une telle mort, après avoir recueilli l'héritage de l'esprit et du caractère de son père, est une belle fin. Le père ne mourut complètement que dans le fils. C'est à cette conclusion qu'arrivait également le comte Maurice Esterhazy : Malheureuse victime ! disait-il. De tant de grandeurs n'hériter que la mort ! Mais peut-être est-ce un bien pour lui ? Pourquoi le plaindre ? Sa destinée n'offrait que peu de chances de bonheur, et dans les alternatives que laissait entrevoir son avenir, la mort se présentait souvent comme le cas préférable. Ses devoirs eussent été nombreux, souvent opposés, peut-être incompatibles !... Une gloire incomplète eût été un malheur pour lui, et la médiocrité, un crime.

Dans la lettre de Prokesch sur la mort du duc de Reichstadt[1], lettre si peu connue qu'elle semble aujourd'hui presque inédite, se trouve un touchant portrait du fils de Napoléon qui m'apparaît comme le résumé de tout ce que je viens d'écrire et qui doit avoir sa place ici même : Je le vois devant moi avec cette jeune figure, avec cette taille svelte et élancée, pleine de dignité dans son port et dans ses mouvements, souple et habile dans les exercices de tout genre où il excellait et conservant toujours ce calme imperturbable que lui donnait la gravité de son caractère. Je vois ce beau front ombragé des boucles de sa blonde chevelure, cet œil bleu plein de tristesse, cette bouche où un doux sourire semblait éclore, ces joues où brillait la jeunesse, ce visage où se peignaient les faits de son père et de sa mère, ces traits avec lesquels tomba en poussière le dernier monument d'une époque qui, depuis vingt ans, appartient à l'histoire. J'entends cette voix qui s'exprima souvent en paroles sévères et qui, souvent aussi, trouva des inflexions si douces pour épancher son âme. Lorsque je me représente cette image, alors je comprends l'amour et les regrets des milliers d'habitants de cette ville populeuse qui n'avaient vu le prince que de loin et qui, cependant, furent captivés par le charme de son existence. M. de Prokesch dépeignait ensuite, et avec les traits de la plus parfaite ressemblance, son caractère : Un certain malaise dans les étroites limites de la vie commune, un enthousiasme facile à s'enflammer à la pensée du grand, de l'extraordinaire, du sublime, une bonté de cœur qui, sans affaiblir son jugement, se faisait encore remarquer lorsqu'il blâmait, une noble ambition bornée par une louable méfiance de lui-même, une grande sûreté dans sa manière de juger et de traiter les hommes des conditions les plus différentes, me frappèrent alors, et, depuis, pendant les longues relations que j'ai eues avec le prince, j'ai toujours vu ces qualités dominer en lui. M. de Prokesch affirmait qu'il était né avec toutes les qualités d'un vrai général. Doué d'un surprenant coup d'œil stratégique, le duc aimait à étudier et à expliquer les campagnes des grands hommes de guerre. Il avait bien compris pourquoi son père avait été un plus habile capitaine que ses meilleurs adversaires, rompus cependant au métier des armes. Ses jugements étaient neufs, précis, impérieux. De telles matières donnaient à sa langue une éloquence entraînante. Son œil étincelait. Ses pensées étaient rapides comme l'éclair. Des entretiens de cette nature furent, sans contredit, les plus belles heures de sa vie ? Il adorait la vie du soldat et ses ambitions généreuses. Il sentait que l'épée était son titre et son sceptre.

Insistant sur sa ressemblance avec Napoléon, M. de Prokesch ajoute : Son port et ses mouvements étaient les siens, et cette ressemblance corporelle annonçait une ressemblance plus précieuse, celle de l'esprit et de l'âme. Un des principaux rapports de son esprit avec celui de son père me parut toujours être cette lenteur de conception qui provenait d'un besoin de connaissances solides et, en même temps, cette difficulté qu'il avait de s'intéresser à différentes choses qui paraissent très importantes aux autres... M. de Prokesch dit avoir entendu de Madame Mère elle-même que Napoléon, dans son enfance et dans sa jeunesse, possédait ces deux qualités au point d'être regardé par plusieurs comme faible d'esprit. Il avait, en effet, dans ses premières classes obtenu très peu de succès. Il s'en aperçut, s'en préoccupa et finit par l'emporter sur ses condisciples. Madame Mère aimait à répéter que le jour où il mérita une attestation élogieuse de ses maîtres, il la lui montra joyeusement, puis il la posa sur une chaise et s'assit dessus avec l'air d'un triomphateur. Le roi de Rome avait manifesté la même joie dans ses premiers succès.

Il y a un an, dans une Exposition rétrospective où se trouvaient réunis les plus précieux souvenirs de la famille impériale, mes regards s'arrêtaient sur de menus objets ayant appartenu au roi de Rome : une petite robe, un bonnet de dentelle, des souliers d'enfant, des gants minuscules, un alphabet d'ivoire, une crécelle, une petite trompette de cuivre, une courte épée, un petit sabre avec sa dragonne, une toute petite harpe, puis le premier costume qu'il porta en Autriche, une sorte d'habit de drap blanc sur lequel étaient encore attachés les rubans des trois ordres de la Légion d'honneur, de la Couronne de fer, de la Réunion et les plaques de la Légion et de Marie-Thérèse. J'apercevais aussi une médaille en or frappée pour sa naissance, le 20 mars 1811, diverses miniatures le représentant dans son enfance, quelques bustes et quelques portraits de lui, restes fragiles d'un passé touchant, moins fragiles pourtant que ce que l'âpre nature veut bien laisser de notre misérable substance... Puis à côté du fauteuil du Sacre et du trône impérial, le lit de mort de Napoléon, pauvre petit lit de fer avec un seul matelas étroit et mince, et tout auprès la barcelonnette du roi de Rome, non pas ce berceau merveilleux offert par la ville de Paris, mais ce meuble si simple où les mains caressantes des berceuses venaient doucement et lentement endormir le nouveau-né, espoir de l'Empereur et de l'Empire. Voici que le hasard rapprochait, l'un tout près de l'autre, la couchette de l'enfant impérial où s'étaient élevés ses premiers cris et le lit de l'Empereur où avaient retenti ses derniers gémissements. Et je me redisais, avec émotion, la parole du poète : Oui, il y a des larmes dans les choses ![2]

Il y a des larmes aussi dans la destinée des jeunes princes, ces enfants de douleur, comme les a si justement appelés Chateaubriand. Avant le roi de Rome, dans le jardin des Tuileries, a cette maison de passage où la Gloire n'a pu rester, on avait vu jouer le dauphin Louis et la dauphine Marie-Thérèse. On sait le sort qui les attendait. Le fils de Napoléon Ier n'abandonna qu'à regret cette demeure pour aller mourir bien loin dans un château étranger. On y vit plus tard le fils du dernier Napoléon, qu'une mort barbare et prématurée devait frapper, lui aussi, loin de sa patrie... Et de ces Tuileries somptueuses qui avaient abrité tant de princes et tant d'orgueils, que restait-il après une épouvantable tourmente ? Des cendres vite balayées et quelques colonnes vendues à l'encan... Oui, ce sont bien des enfants de douleur, tous ces fils de monarques, et je comprends qu'un historien ait écrit après la mort du duc de Reichstadt : Cette mort ne faisait que signaler la fatalité d'une loi terrible en cours d'exécution dans ce pays. Pour trouver un successeur à Louis XIV il avait fallu descendre jusqu'à son arrière-petit-fils. Il y avait eu la mort d'un héritier présomptif entre Louis XV et Louis XVI. Un autre héritier présomptif, Louis XVII, avait cessé de vivre, presque sans qu'on le sût. Le duc de Berry était tombé sanglant à la porte d'un spectacle. Le duc de Bordeaux venait de faire le fatal voyage de Cherbourg. Et maintenant c'était sur l'héritier présomptif de Napoléon lui-même que s'accomplissait l'arrêt inexorable que Dieu, depuis plus d'un demi-siècle, semblait avoir prononcé contre l'orgueil des dynasties qui se prétendaient immortelles[3].

 

J'ai tenu à visiter à Vienne le caveau où reposent les restes du duc de Reichstadt. Depuis deux cents ans les Capucins de la Neue Markt ont le pieux privilège de veiller, dans la crypte de leur modeste église, sur les tombeaux des empereurs, des archiducs et des archiduchesses d'Autriche. A deux pas de la porte principale du temple est situé l'entrée du caveau impérial. Un Capucin sert obligeamment de guide aux visiteurs. A l'extrémité d'un long couloir, on arrive à une porte sur laquelle est écrit en grosses lettres le mot Kaisergruft ; on descend une vingtaine de marches, et l'on se trouve immédiatement dans le caveau. Quelques pas encore, et l'on aperçoit l'immense mausolée de François Ier et de Marie-Thérèse, entouré de statues représentant les Vertus qui pleurent. La grande Impératrice est étendue, avec son époux, sur ce mausolée, tandis qu'autour d'eux leurs enfants et leurs petits-enfants sont renfermés dans des sarcophages de cuivre, presque tous semblables. Les empereurs seuls ont des mausolées. On peut passer entre les tombeaux, qui n'ont rien de la splendeur des tombeaux de Saint-Denis. Mais la présence des religieux, la simplicité mystérieuse de la mort, l'illustration des défunts, tout est fait pour impressionner. Dans la seconde partie de Code, obtenir par ruse et par menace d'une Officialité tremblante la rupture des liens spirituels de son premier mariage en se passant de l'autorisation du Pape, seul juge compétent pour les souverains, faire plier à ses volontés le conseil ecclésiastique de France et jusqu'à l'archevêque de Vienne, satisfaire surtout son orgueil en se décidant pour l'union avec la Maison d'Autriche, qui devait lui être si funeste, et commencer avec la Russie une inimitié qui allait aboutir aux désastres de 1812. Nulle considération n'avait été capable de l'arrêter. Il lui fallait à tout prix un fils. Il l'a eu le 20 mars, anniversaire du jour où, sur son ordre, des mains criminelles avaient, dans le fossé de Vincennes, creusé la tombe du duc d'Enghien, dix heures avant le simulacre d'un jugement. Il eût pu, cependant, profiter de la naissance de son héritier pour modifier sa politique. Pie VII, qu'il avait outragé et violenté, consentait encore à lui pardonner, s'il reconnaissait les véritables intérêts de l'Empire. Il a dans les mains, disait-il le 16 mai 1810 au comte de Lebzeltern, s'il se rapproche de l'Église, les moyens de faire tout le bien de la religion, d'attirer à soi et à sa race la bénédiction des peuples et de la postérité et de laisser un nom glorieux sous tous les aspects. Or, loin de se réconcilier avec la Papauté et l'Église, l'Empereur leur porta de nouveaux et terribles coups. Mais le triomphe de celui qui ne craignait même pas, comme les Germains superbes, que le ciel s'écroulât sur sa tête, ce triomphe n'a point duré.

Avec le fils de Napoléon, qui n'a porté que quelques jours le nom de Napoléon II, et qui est mort juste à l'âge où il aurait pu commencer un règne, s'est éteint ce titre brillant et fastueux de roi de Rome qui ne reparaîtra plus dans les annales des souverains. Le sénatus-consulte du 17 février 1810 disait, dans ses considérants, que la ville de Rome avait craint un instant de descendre du rang moral où elle se croyait encore placée, mais qu'elle allait remonter plus haut qu'elle n'avait été depuis le dernier des Césars... Les courtisans de Napoléon s'étaient, à cet égard, répandus en flatteries et en promesses. Quelques années ont passé, et tout a été dit Une petite ile perdue dans l'Océan est devenue le tombeau du grand Empereur. Les froids lambris d'un palais étranger, qui avaient deux fois abrité sa gloire, ont reçu le dernier soupir de sou fils. Et cette Rome, dont l'enfant impérial avait pris le nom, a vu rentrer dans ses murs la Papauté triomphante que le plus orgueilleux des despotes croyait en avoir exilée pour jamais.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Cette lettre fut écrite le 10 octobre 1832, et parut à Fribourg en Brisgau chez Herder avec ce sous-titre modeste : Par un de ses amis. M. de Metternich avait conseillé à l'auteur, qui était le chevalier de Prokesch, de ne pas se nommer, ce qu'il fit, car il savait sur quel terrain difficile on était alors placé à Vienne. Cette lettre a été traduite par Gerson Hesse (Paris, librairie franco-allemande 1832). Une autre traduction de Bastien, que je crois être la meilleure, a paru chez Levavasseur en 1833.

[2] Les moindres détails ont, à certaines heures, de tristes et d'ironiques significations. Ainsi, quand Charles X, détrôné et proscrit, arriva à Cherbourg, pour passer en Angleterre, un des gardes du corps remarqua dans les chantiers un vaisseau en construction qu'on avait jadis appelé le Roi de Rome, et qui avait encore pour titre le Duc de Bordeaux... Quel allait être son troisième nom ?

[3] Louis BLANC, Histoire de Dix ans. — Et comment ne pas penser ici aux deuils si nombreux et si prématurés qui depuis ont frappé cette fière et implacable Maison d'Autriche ?