Le 31 décembre 1813, Blücher passait le Rhin avec ses soldats. Bientôt un million d'ennemis vont combattre trois cent mille Français qui, sous la direction de leur Empereur, se couvriront d'une gloire immortelle. Napoléon, qui lutte non seulement pour maintenir ses conquêtes, mais encore pour sauver sa dynastie, a retrouvé le secret des belles et grandes combinaisons d'autrefois. Si les alliés finissent par avoir raison de ces gigantesques efforts, c'est parce que la lassitude des uns, la trahison des autres leur sont venues en aide, car jamais leurs généraux n'ont manœuvré plus pitoyablement. Avant de se remettre à la tête de ses troupes, Napoléon réorganise la régence. Marie-Louise en est chargée une seconde fois. Elle s'inspirera encore des conseils de Cambacérès. Elle aura également auprès d'elle Joseph Napoléon qui la remplacera à Paris et dirigera la défense, au cas où la régente, à l'approche des étrangers, serait forcée de quitter la capitale. Jetant alors ses regards autour de lui pour intimider les traîtres qui se dissimulent, l'Empereur menace hautement le prince de Bénévent. Il ordonne au duc de Rovigo d'exercer une surveillance active sur ce personnage, surveillance que le duc ne rendra pas rigoureuse, car il n'a plus d'espoir en l'avenir de la dynastie impériale et il se ménage, lui aussi, des protecteurs. La rancune de Napoléon avait deviné juste. C'est, en effet, l'ancien ministre des affaires étrangères qui rassemblera, quelques mois plus tard, une poignée de sénateurs pour proclamer la déchéance de l'Empire et leur conseiller de se rendre aux alliés et de se vendre aux Bourbons. Cependant l'Empereur a confiance encore dans son étoile. Il est résolu à tout essayer pour délivrer le sol sacré. Il l'a dit à la députation du Corps législatif, lors des réceptions de nouvel an : Dans trois mois nous aurons la paix, nos ennemis seront chassés, ou je serai mort !... Les derniers jours qui lui restent, il les passe auprès de sa femme, auprès de ce fils aimé qui lui semblait la consécration suprême de ses volontés et de ses désirs. Au moment même où, dans son cabinet de travail, il signait les décrets les plus importants, où il examinait les affaires les plus considérables, il ne pouvait se détacher de cet enfant qu'il tenait sur ses genoux, ou serré contre sa poitrine. Le roi de Rome était alors âgé de trois ans et dix mois. Son esprit avait toutes les vivacités et tous les charmes d'une enfance précoce et attachante. Il rendait caresses pour caresses à son père, et ses instants les plus joyeux étaient ceux où il pouvait venir jouer librement auprès de lui. La gravure a popularisé ces scènes intimes. Qui ne se rappelle en effet le roi de Rome endormi aux pieds de son père, tandis que celui-ci parcourt d'un œil attentif la carte de France où vont irrévocablement se jouer ses destinées[1] ? Enfin l'heure du départ a sonné. Le 23 janvier, Napoléon
fait réunir aux Tuileries, dans la salle des Maréchaux, les officiers de la
garde nationale. Quand ils sont tous arrivés, une porte s'ouvre et
Marie-Louise apparaît, suivie de la comtesse de Montesquiou qui tient le roi
de Rome dans ses bras. Napoléon, avec cette dignité imposante qu'il savait
prendre dans les grandes circonstances, présente aux officiers ce qu'il a de
plus cher au monde. Messieurs, leur dit-il, une partie du territoire est envahie. Je vais me placer à
la tête de mon armée, et, avec l'aide de Dieu et la valeur de mes troupes,
j'espère repousser l'ennemi au delà des frontières. Puis, prenant
l'Impératrice d'une main et le roi de Rome de l'autre, il fait un pas vers
les officiers et leur dit d'une voix mâle où vibrait cependant une certaine
émotion : Si l'ennemi approchait de la capitale, je
confie au courage de la garde nationale l'Impératrice et le roi de Rome...
ma femme et mon fils. Ces simples paroles
attendrissent les officiers ; plusieurs sortent des rangs et se jettent sur
les mains de l'Empereur qu'ils baisent avec respect. La plupart d'entre eux
versent des larmes et ne songent pas à les cacher. Ils étaient presque tous
chefs de famille et ils sentaient quelle devait être la peine de Napoléon au
moment d'une telle séparation. Puis cet appel subit fait à leur dévouement
par un héros qui était encore la gloire de la France et l'effroi du monde,
par ce grand Empereur dépouillant un instant la majesté suprême pour se
montrer simplement époux et père, ce spectacle unique était bien fait pour
les impressionner. Deux jours après, l'Empereur embrassait pour la dernière
fois Marie-Louise et son fils. La veille de cette séparation, Napoléon avait appris que l'aide de camp de Murat, le général de Lavauguyon, était entré à Rome. Connaissant les desseins des alliés sur la restauration du Pape dans tous ses droits, l'Empereur avait donné l'ordre au commandant Lagorce de ramener le Saint-Père dans ses États. Pie VII, que cette nouvelle ne surprit pas, tant il avait confiance dans une réparation providentielle, fit paisiblement ses adieux aux cardinaux présents à Fontainebleau. Il ne se laissa pas aller à des récriminations. Cela eût été indigne de son caractère. Il défendit seulement aux prélats, rassemblés autour de lui, d'écouter aucune proposition qui eût trait aux affaires de l'Église et de la Papauté. Son allocution terminée, il partit dans un modeste équipage avec l'évêque Bertalozzi. Et c'est ainsi que ce même mois de janvier voit le Pape, longtemps prisonnier, s'acheminer lentement vers la Ville éternelle où l'attend une réception triomphale, tandis que l'Empereur, longtemps victorieux, se dirige vers ses dernières armées où l'attendent, il est vrai, quelques ressouvenirs de gloire, mais, bientôt après, la déchéance et l'abdication. Singulier retour des choses ! C'est au moment où il n'a plus qu'une partie à jouer pour perdre ou conserver son Empire, qu'il est forcé, lui, l'impérieux despote, de rendre la liberté à ce vieux pontife qui n'a d'autres armes que sa faiblesse et son droit. Aussi va-t-il se venger sur les alliés des amertumes et des souffrances par lesquelles il vient de passer Le 26 janvier, il est à Châlons-sur-Marne ; le 27, il reprend Saint-Dizier. Le 29, à Brienne, il inflige aux Prussiens et aux Russes une sanglante défaite. Schwarzenberg se plaint à Metternich de Blücher, qui a couru comme un écolier en méprisant toutes les règles du métier[2]. Il blâme la sublime légèreté des alliés, unie à leur rage ridicule d'aller visiter le Palais-Royal, ce qui peut leur faire perdre le fruit de leurs travaux. Au quartier général, dit-il, on ne rêve que Paris. Que l'empereur Alexandre n'aille pas se procurer une seconde leçon, pareille à celle qu'il a été chercher à Lutzen ! Il le doit également à ces messieurs qui ne voyaient dans l'armistice salutaire que la perte des deux nations et qui aujourd'hui, écumant de vin de Champagne, ne cessent de crier : A Paris ! Si on veut y arriver, que l'on s'occupe au moins des moyens ! Mais, au lieu de couvrir ma droite, m'obliger à morceler mon armée pour couvrir leurs derrières ! Voilà, mon ami, ce qui s'appelle manœuvrer comme des cochons !... Metternich lui répond le lendemain : Je suis quasi fâché qu'il n'y ait pas un petit échec pour Blücher. Cela aurait le grand avantage de le rendre plus coulant. Que Dieu vous préserve d'un grand échec, car l'empereur Alexandre court à Pétersbourg sans s'arrêter ! n Il saisit cette occasion pour parler du changement de dynastie en France, et avoue que cet objet est du domaine de la France seule. Si un parti se déclare, si on peut détrôner Napoléon, si Louis XVIII est proclamé par la grande majorité de la Chambre, on traitera avec lui. Que devient, après cette lettre, l'affirmation répétée de l'empereur François à Marie-Louise qu'il ne sacrifierait jamais, quoi qu'il arrivât, la cause de sa fille et de son petit-fils[3] ? Le 5 février, les alliés ouvrent le congrès de Châtillon et consentent à négocier avec les plénipotentiaires français. De part et d'autre on parle, comme à Prague, sans avoir le ferme dessein de tenir autre chose que des conversations. Mais Napoléon ne s'arrête pas à ces bagatelles. Le 10, le 11, le 14 février, il bat les Russes et les Prussiens, à Champaubert, à Montmirail, à Vauchamps. En quelques jours, il a écrasé les cinq corps de l'armée de Silésie et démontré l'incapacité formelle des généraux qui osent se mesurer avec lui. Mon infanterie, écrit Schwarzenberg à Metternich, a tellement besoin de repos que je suis dans l'impossibilité de continuer une opération sérieuse[4]. Et quelque temps après, il fait cet aveu : Pour ne pas être battu en détail, je me bornerai à défendre sérieusement les ponts de Bray et de Nogent, et je concentrerai les forces derrière la Seine et l'Yonne. Nous avons laissé échapper un moment que nous regretterons, et à juste titre. Le monde me jugera sévèrement[5]. Cependant, les alliés, sous la pression tenace de Castlereagh, persistent au congrès de Châtillon à vouloir imposer à l'Empereur les conditions les plus dures : renonciation à toutes les conquêtes depuis 1792, ainsi qu'aux places de Besançon, Belfort et Huningue. A ces insolences Napoléon répondra encore par des victoires. Wittgenstein est battu le 18 février à Montereau ; Sacken, à Méry-sur-Seine, le 22. Les alliés ne remportent aucun avantage à Bar et à la Ferté-sur-Aube. Ils veulent cependant faire mine résolue et le 1er mars, par le traité de Chaumont, s'engagent à ne point déposer les armes tant que la France n'acceptera pas l'ultimatum de Châtillon. On se bat à Craonne le 7 mars, sans que personne puisse s'attribuer l'avantage. Les généraux alliés ne s'entendent plus. Sans moi, écrit Schwarzenberg à Metternich, l'imbécile Wittgenstein allait être culbuté. Il se plaint de Wolkowsy qui le traite avec impudence et ne lui rend pas justice. Des procédés de cette nature, avoue-t-il, achèvent d'épuiser le peu de patience qui me reste encore. Puis il blâme les lésineries impardonnables des Anglais qui soulèvent des difficultés pour faire des avances d'argent[6]. Huit jours après, Schwarzenberg s'en prend à Alexandre lui-même qui, comme on le sait, avait voulu lui préférer Moreau. Il doit apprendre, dit-il orgueilleusement, à respecter un homme de ma trempe et savoir que de son auguste caractère au mien, il y a une différence du jour à la nuit. Il ne traite pas mieux le roi de Prusse. Pour le Roi, il n'est pas digne d'être jugé par les hommes d'honneur. Il soupçonne tous les vices chez les autres, parce qu'il les aurait tous, s'il en avait le courage et la force. Quant aux ministres de ces souverains, il les traite de la sorte : Et les ministres aussi sont assez imbéciles, assez lâches, assez chétifs pour m'accuser de sacrifier Blücher, moi qui l'ai sauvé tant de fois !... Ah ! quelle engeance ! quelle mauvaise race. Comment ! servir sous de tels auspices ?[7] Voilà, d'après les dépêches officielles, quels étaient les adversaires de Napoléon et, les ennemis de la France !... Leur détresse était bien grande alors, puisqu'elle arrache à Schwarzenberg ce dernier cri : Si nous vivons encore, c'est par miracle ! Il a dû écrire à Alexandre pour lui affirmer qu'il n'a jamais eu les mains liées, et qu'il n'a agi que d'après ses calculs militaires. Combien l'empereur Napoléon, dit-il, serait glorieux s'il pouvait imaginer que de pareils soupçons parviennent à se glisser chez les monarques alliés ! Pendant ce temps, Blücher accusait Schwarzenberg de trahison. Les Prussiens se défiaient de leurs alliés, et, d'autre part, le généralissime autrichien suppliait Dieu de lui donner assez de force pour le mettre u au-dessus des sottises de ses chers amis ![8] Au dernier moment, Napoléon, qui avait paru n'admettre que la paix basée sur les conditions de Francfort, c'est-à-dire sur les frontières naturelles, consent à accepter les anciennes limites avec la Savoie, Nice, l'île d'Elbe et une partie de l'Italie pour le prince Eugène. Les alliés refusent. Ils continuent la guerre, répétant qu'ils la font à Napoléon et non pas à la France. Mais quand il s'agira de régler les comptes et lorsque le roi de France devra signer le traité de Paris, on verra ce que devient la sincérité de cette affirmation. Caulaincourt conseille à Napoléon d'accepter quand même les conditions des alliés. Ses conseils courageux et patriotiques ne sont point écoutés[9]. L'Empereur ne se décourage pas encore. Il combat en soldat à Arcis-sur-Aube, avec vingt mille hommes contre quatre-vingt-dix mille. Puis il songe à couper les communications de l'ennemi, espérant que ses lieutenants lui feront tête. Ceux-ci, malgré leur bravoure, plient à la Fère-Champenoise, et Napoléon est contraint de revenir de Saint-Dizier sur Paris, pour marcher au secours de la capitale. En trois jours, il est à Fromenteau ; mais, malgré sa rapidité, il est arrivé trop tard. Le 31 mars, après une défense que Joseph a dirigée pendant une journée, Paris capitule. Les alliés y pénètrent. Alexandre déclare en leur nom qu'ils ne traiteront ni avec Napoléon Bonaparte, ni avec aucun des siens. Il invite le Sénat à désigner un gouvernement provisoire. C'est Talleyrand qui en devient le chef ; il peut alors donner un libre cours à ses intrigues. Le conseil municipal de Paris se prononce contre l'Empereur. Une partie du Sénat décrète la déchéance de celui que tous ont adulé. Les sénateurs motivent la déchéance sur des taxes illégales, sur des guerres injustes, sur des atteintes à la liberté de la presse et à la liberté civile, mesures que tous ont approuvées. Soixante-dix députés adhèrent à la manifestation sénatoriale. Caulaincourt essaye de plaider auprès d'Alexandre la cause de l'Empereur, de Marie-Louise et du roi de Rome. On ne l'écoute plus. Le gouvernement provisoire s'adresse à la France et l'invite à repousser Napoléon qui la gouvernait comme un roi de barbares. Il va jusqu'à dire que l'homme auquel il prodiguait hier encore les marques de l'adulation la plus servile, n'avait jamais été Français. Il fait l'éloge des magnanimes alliés, de leur justice et de leur humanité. Sur ces entrefaites, le maréchal Marmont, duc de Raguse, cédant, dit-il, à l'opinion publique, s'apprête à passer à l'ennemi. Le sort voudra cependant que ce traître entre un jour en relation avec le roi de Rome et vienne célébrer devant lui la valeur et la grandeur de son père !... Les maréchaux Ney, Lefebvre, Macdonald, Oudinot, pressés d'en finir et de sauver leur situation personnelle, obsèdent, menacent presque l'Empereur et lui arrachent une abdication conditionnelle, par laquelle Napoléon réserve les droits de la régente et de son fils. C'est dans le même palais où il a enfermé Pie VII et où il a essayé de lui arracher l'abandon de tous ses droits, que des maréchaux ingrats ont bloqué l'Empereur et lui ont signifié que son règne était passé[10]. Le Sénat, enhardi par la présence des alliés, appelle au trône Louis-Stanislas-Xavier de France. Le 5 avril, Napoléon signe la seconde abdication, et cette fois sans réserves. Il traite la défection de Marmont avec le mépris qu'elle mérite ; il déclare que, puisqu'il est le seul obstacle à la paix, il fait le sacrifice de sa personne à la France. C'est par la trahison, c'est par la défection qu'on est venu à bout du colosse. Mais l'Autriche ne pardonne pas à Alexandre d'avoir montré de la générosité à l'égard de son ennemi, et si elle adhère à la convention qui lui assure une principauté indépendante et lui maintient le titre d'Empereur, c'est bien malgré elle. Le Il avril, un traité passé à Fontainebleau entre les maréchaux, les ministres d'Autriche, de Russie et de Prusse, et auquel consent le gouvernement britannique, reconnaît à Napoléon, en échange de sa renonciation à toute souveraineté sur la France et l'Italie, l'île d'Elbe comme propriété personnelle et deux millions de revenu ; à Marie-Louise, les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla, avec réversibilité sur le roi de Rome ; enfin au prince Eugène un établissement convenable hors de France. Le même traité met à la disposition de l'Empereur deux millions sur ses fonds personnels, pour lui permettre de donner des gratifications à ses meilleurs serviteurs. Il accorde également sur les fonds du Trésor et sur les revenus des pays cédés par la France deux millions aux frères et aux sœurs de Napoléon[11]. Talleyrand garantit, au nom du gouvernement du Roi, l'exécution de ce traité en tout ce qui concerne la France, dans la vue de concourir efficacement à toutes les mesures adoptées pour donner aux événements qui ont eu lieu un caractère particulier de modération, de grandeur et de générosité[12]. L'Empereur parait accepter toutes ces conditions avec une tranquillité majestueuse, mais, une fois seul, il pense à s'arracher la vie. Laisser la France si petite, après l'avoir reçue si grande !... C'est là toute l'explication qu'il donne de son désespoir. Heureusement sa tentative échoue. Il en a honte lui-même et il se ressaisit. Il se soumettra aux nouvelles épreuves qui l'attendent et il acceptera l'exil. Le lendemain du traité de Fontainebleau, Monsieur entrait à Paris, et le 3 mai Louis XVIII montait sur le trône. Le 20 avril, Napoléon s'acheminait vers l'île d'Elbe. Metternich ne peut nier la part personnelle qu'il a prise
au traité de Fontainebleau. En effet, le Il avril 1814, il mandait à
l'empereur François : Depuis quatre jours, les
plénipotentiaires (Ney, Macdonald et
Caulaincourt) travaillaient avec le comte de
Nesselrode à la rédaction du traité. Mais l'empereur de Russie a désiré que
je prisse part aux délibérations avant la signature de l'acte, attendu qu'un
des articles contenait la stipulation d'un établissement indépendant pour
l'Impératrice et le roi de Rome. Ce soir, j'ai eu une séance de trois heures
avec les trois plénipotentiaires français et le comte de Nesselrode, auquel
s'était joint lord Castlereagh. Dans cette réunion, nous sommes arrivés à nous
entendre relativement au traité. J'ai cru pouvoir assigner à l'Impératrice
les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla, comme étant l'objet le
plus convenable à lui attribuer, et toutes les parties sont tombées d'accord
là-dessus. En conséquence, l'acte fut signé. Demain, il sera expédié en bonne
et due forme, et, comme le gouvernement provisoire est également d'accord
avec nous sur l'ensemble, nous pourrons d'ici à deux jours publier cette
pièce si importante. Immédiatement après, Napoléon sera conduit à l'île
d'Elbe... Et l'empereur d'Autriche lui répondait : Vous avez agi dans cette affaire comme il convenait, et,
comme père, je vous remercie de tout mon cœur de ce que vous avez fait dans
cette circonstance pour ma fille. Le 12 avril, il ajoutait : Vous avez eu raison de ne pas différer la conclusion du
traité jusqu'à mon arrivée à Paris, car ce n'est que par ce moyen qu'on peut
mettre fin à la guerre[13]. Il nous faut maintenant revenir un peu en arrière pour savoir ce qu'étaient devenus Marie-Louise et son fils pendant ces quelques mois si remplis d'événements. Napoléon avait écrit, le 8 février 1814, au roi Joseph une lettre péremptoire où il lui recommandait de ne jamais laisser tomber son enfant dans les mains de l'ennemi. Soyez certain, disait-il, que dès ce moment l'Autriche, étant désintéressée, l'emmènerait à Vienne avec un bel apanage ; et, sous prétexte de voir l'Impératrice heureuse, ou ferait adopter par François tout ce que le régent d'Angleterre et, la Russie pourraient lui suggérer. Tout parti se trouverait par là détruit. Si je meurs, mon fils et l'Impératrice régente doivent, pour l'honneur des Français, ne pas se laisser prendre et se retirer au dernier village. Souvenez-vous de ce que disait la femme de Philippe V. Que dirait-on, en effet, de l'Impératrice ? Qu'elle a abandonné le trône de son fils et le nôtre ; et les alliés aimeraient mieux tout finir en les conduisant prisonniers à Vienne. Je préférerais qu'on égorgeât mon fils, plutôt que de le voir jamais élevé à Vienne comme prince autrichien, et j'ai assez bonne opinion de l'Impératrice pour être persuadé qu'elle est de cet avis, autant qu'une femme et une mère peuvent l'être. Je n'ai jamais vu représenter Andromaque que je n'aie plaint le sort d'Astyanax survivant à sa maison, et que je n'aie regardé comme un bonheur pour lui de ne pas survivre à son père ! Comme Joseph avait averti Napoléon que Marie-Louise avait supplié son père de ne pas favoriser les Bourbons, l'Empereur se fâcha. Il déclara qu'il ne voulait pas être protégé par une femme. Cette idée, disait-il, la gâterait et nous brouillerait... Ne lui parlez que de ce qu'il faut qu'elle sache pour signer, et surtout évitez les discours qui lui feraient penser que je consens à être protégé par elle ou par son père. Cependant, Napoléon avait écrit, au lendemain du succès de Montereau, à son beau-père pour lui proposer de s'entendre sur les bases de Francfort. Essayant de toucher ce souverain impassible, il lui avait, mais en vain, rappelé que, quels que fussent ses sentiments ennemis, il avait dans ses veines du sang français. L'attitude de François II était bien faite pour l'inquiéter. Aussi, le 16 mars, avait-il renouvelé à Joseph ses adjurations : Si l'ennemi s'avançait sur Paris avec des forces telles que toute résistance devint impossible, faites partir, dans la direction de la Loire, la régente, mon fils, les grands dignitaires, les grands officiers, le baron de la Bouillerie et le Trésor. Viennent alors ces lignes connues où le malheureux père semble prévoir le triste sort de l'enfant impérial : Ne quittez pas mon fils et rappelez-vous que je le préférerais voir dans la Seine plutôt que dans les mains des ennemis de la France. Le sort d'Astyanax, prisonnier des Grecs, m'a toujours paru le sort le plus malheureux de l'histoire !... Jusqu'au milieu de février, Marie-Louise avait compté sur une paix honorable, amenée par les brillants succès de Napoléon. Elle s'acquittait dignement de ses devoirs de régente et consacrait ses heures de loisir soit à s'occuper de son fils, soit à faire de la charpie pour les blessés, avec les dames de la Cour. Le Il février, elle avait passé en revue la garde nationale, tandis que les troupes acclamaient le petit roi de Rome qui, des fenêtres des Tuileries, suivait avec joie leurs évolutions. Le 21 février, elle avait reçu de Napoléon le conseil d'écrire de sa main des proclamations guerrières, adressées aux grandes villes du Nord et de la Belgique. Le 27, elle avait assisté à la cérémonie de la remise de quatorze drapeaux pris aux alliés, et elle avait publiquement exprimé le vœu que tous les Français allassent se ranger autour de leur monarque pour assurer par leur courage la délivrance de Paris. En même temps, elle avait écrit à son père, lui demandant encore une fois de se souvenir de sa fille et de son petit-fils, et de ne pas imposer à la France une paix honteuse. Elle s'entendait ainsi, et sans l'avoir cherché, avec Napoléon qui avait adressé à François II ces lignes si fières : Si j'avais été assez lâche pour accepter les conditions des ministres anglais et russes, Votre Majesté aurait dû m'en détourner, parce qu'elle sait que ce qui avilit et dégrade trente millions d'hommes ne saurait être durable. Mais ni la lettre de Marie-Louise ni celle de Napoléon ne purent toucher un prince qui obéissait aux âpres volontés et aux ressentiments de son premier ministre. Lorsque les alliés se rapprochèrent de Paris, le roi Joseph communiqua à la régente et à son intime conseiller, Cambacérès, la lettre du 16 mars, puis un conseil important fut tenu aux Tuileries. C'était le 28 mars. La majorité parut d'abord opposée au départ de l'Impératrice. Talleyrand, qui savait fort bien qu'il ne serait pas écouté, affirma, mais sans insister, que si Marie-Louise quittait Paris, elle céderait la place aux royalistes. Le duc de Rovigo fut de cet avis ; le conseil semblait ébranlé, lorsque Joseph lui lut les lettres de Napoléon en date des 8 février et 16 mars. Ce fut un véritable coup de foudre. On conclut naturellement au départ[14]. Un instant, Marie-Louise avait eu l'intention d'aller droit à l'Hôtel de ville, et d'y renouveler la conduite de Marie-Thérèse. On l'en dissuada. Méneval le regrette fort. La présence de Marie-Louise à Paris, dit-il[15], aurait pu y déjouer de coupables manœuvres et donner à Napoléon le temps d'arriver au secours de Paris. La régente, très embarrassée, demanda l'avis personnel de Cambacérès, qui, craignant de se compromettre, se récusa. Elle relut alors les lettres de l'Empereur et les considéra comme un ordre sacré. Elle fixa le départ au lendemain matin, 29 mars. Au dernier moment, prise d'angoisses et de remords, entendant autour d'elle des avis différents, ne sachant que répondre aux officiers de la garde nationale qui lui rappelaient le discours de Napoléon, elle rentra dans sa chambre à coucher, jeta son chapeau sur le lit, s'assit dans une bergère, prit sa tête à deux mains et pleura abondamment. Au milieu de ses sanglots, on entendait ces paroles : Mon Dieu ! qu'ils se décident donc et qu'ils mettent un terme à cette agonie ![16] D'après M. de Bausset, elle aurait dû accepter la capitulation et répondre par sa présence à la proclamation des alliés qui disaient chercher de bonne foi en France une autorité capable de cimenter l'union de toutes les nations et de tous les gouvernements[17]. Malheureusement, Marie-Louise était une jeune femme de vingt-trois ans, qui avait plus de timidité que d'énergie, et qui n'osa jamais prendre une décision ferme. Elle eût tenu une place brillante dans un règne pacifique. Elle était absolument désorientée au milieu de ces événements tragiques, en face des horreurs de la guerre et de l'invasion, des intrigues de toutes sortes qui l'entouraient et l'enserraient. Les cours des Tuileries étaient remplies d'équipages et de fourgons ; des voitures de parade, même celle du sacre, des caissons du Trésor et de l'argenterie étaient là. Les mouvements des hommes et des chevaux amusaient le roi de Rome, qui ne croyait pas à un départ immédiat. A neuf heures du matin, les préparatifs étaient terminés. Ce ne fut pourtant qu'à dix heures et demie que l'Impératrice monta en voiture[18]. Elle était accompagnée de Mmes de Montesquiou, de Montebello, de Brignole, de Montalivet et de Castiglione Lorsqu'on voulut faire descendre le roi de Rome, l'enfant opposa la plus vive résistance. Il pleurait, il poussait des cris, il s'accrochait aux rideaux de son appartement, puis aux portes et à la rampe de l'escalier. N'allons pas à Rambouillet, disait-il, c'est un vilain château. Restons ici ! La comtesse de Montesquiou, puis la sous-gouvernante, Mme Soufflot, furent obligées de le prendre dans leurs bras. Il se débattait violemment, et l'écuyer de service, M. de Canisy, arriva, non sans peine, à le porter jusqu'à la voiture de sa mère. Je ne veux pas quitter ma maison, criait-il ; je ne veux pas m'en aller. Puisque papa est absent, c'est moi qui suis le maitre ! Cette résistance inattendue, ces cris et ces pleurs d'enfant troublaient un pénible silence et jetaient dans l'âme de ceux qui assistaient à cette scène les pressentiments les plus sinistres[19]. J'étais près de lui, rapporte M. de Bausset, et j'entendis l'expression de sa petite colère... L'instinct de ce jeune prince parla d'une autre manière que les conseillers du trône... Comment ne pas évoquer ici un souvenir d'une analogie frappante : le duc de Bordeaux refusant à Cherbourg de monter sur le navire qui devait l'emmener avec Charles X en exil ? M. de Damas, qui portait l'enfant, dut, comme M. de Canisy pour le roi de Rome, faire un violent effort pour venir à bout de sa résistance. Ainsi que l'a dit un historien, toutes ces infortunes se ressemblent... M. de Bausset, qui assistait au départ de Marie-Louise, dépeint le découragement et la peine des Parisiens en voyant passer cet interminable cortège, rendu plus considérable encore par les voitures des membres du gouvernement et des diverses chancelleries ministérielles, marchant sous la protection d'une escorte de mille à douze cents hommes, et occupant près d'une lieue de terrain !... Rien ne ressemblait moins à un voyage de cour que cette tumultueuse retraite de personnes et de bagages de toute nature[20]. C'était plutôt, pour employer une expression de Tacite, un long cortège de deuil... veluti longœ exequiœ. Outre les dames d'honneur, le comte de Beauharnais, MM. de Gontaut et d'Haussonville, le prince Aldobrandini, MM. d'Héricy et de Lambertye, de Cussy et de Bausset, de Seyssel et de Guerchy, MM. Corvisart, Bourdier et Boyer étaient les principaux personnages qui suivaient Marie-Louise et le prince impérial. Les voitures traversaient une foule de peuple dont la contenance indiquait la sombre tristesse[21]. L'Impératrice laissait, par son départ, le champ libre aux intrigues de Talleyrand. On sait avec quelle habileté le vice-grand électeur, aidé en cela par M. de Rémusat et ses gardes nationaux, demeura à Paris et se dispensa de suivre l'Impératrice comme il en avait reçu l'ordre. L'astucieux personnage n'était pas encore entièrement décidé en faveur des Bourbons, car il voulait savoir d'abord ce que pensaient les alliés, qui eux-mêmes paraissaient encore indécis. La régence de Marie-Louise, dont il serait le premier ministre, était une idée qui ne lui déplaisait point[22]. Napoléon pouvait, en effet, abdiquer ou mourir subitement. D'autre part, si l'Autriche ne soutenait pas la régence, si la Russie y était opposée, il serait toujours temps de se retourner du côté des Bourbons et de leur faire croire que leur restauration était due à son habileté et à son empressement. Talleyrand eut soin de faire dire à Nesselrode par un officieux, Alexandre de Laborde, qu'il était à Paris, au courant de l'état des esprits et prêt à être consulté. Une manifestation royaliste qui avait paru être du goût des alliés, et l'attitude de l'Empereur qui n'avait pas encore l'air d'un homme qui veut abdiquer, ramenèrent Talleyrand aux Bourbons. L'arrivée du Tsar dans son hôtel de la rue Saint-Florentin, son langage et celui de Nesselrode, partisan de la Restauration, achevèrent de le convaincre. Alors le 1er avril, dans le conseil tenu chez lui en présence du Tsar, du roi de Prusse et des ministres étrangers, il déclara que la régence serait dangereuse pour le repos de l'Europe, car ce serait l'Empereur qui régnerait sous le nom de Marie-Louise[23]. Il fit intervenir le baron Louis et l'abbé de Pradt pour soutenir cette opinion et affirmer avec lui que la France était royaliste ; enfin, il répondit de l'assentiment du Sénat[24]. A sa demande, les alliés décidèrent qu'on ne traiterait ni avec Napoléon, ni avec aucun membre de sa famille. Ainsi, comme le fait remarquer le chancelier Pasquier, ils consentirent formellement à exclure du trône de France le fils de Marie-Louise. Très certainement, ils n'avaient aucune autorisation de l'empereur d'Autriche pour prendre un tel engagement. La proclamation avait été préparée à l'avance par Talleyrand et par Pozzo[25], ou par Nesselrode. Mais tous savaient que François II laisserait faire, car l'empereur d'Autriche n'hésiterait pas entre la reprise de ses anciennes provinces et la conservation d'un trône pour sa fille[26]. Pendant que se préparait cette œuvre d'intrigués, Marie-Louise arrivait le soir du 29 mars au château de Rambouillet, et en repartait le lendemain pour Châteaudun, où elle retrouvait les frères de Napoléon, Joseph et Jérôme. A Vendôme, le Ier avril, elle reçut des nouvelles de Napoléon, qui, à l'endroit appelé la a Cour de France a, venait d'apprendre la capitulation de Paris et de là s'était rendu à Fontainebleau. Le 2 avril, elle était à Blois. Elle y exerça la régence pendant quelques jours encore. Le 3, — c'était le dimanche des Rameaux, — elle reçut après la messe les autorités et ne put leur dissimuler sa profonde tristesse. Le 4, elle chargea le duc de Cadore d'un message pour son père, message où elle répète que son fils et elle n'ont de refuge qu'auprès de lui. Elle le suppliait de ne pas sacrifier à l'Angleterre et à la Russie le repos et les intérêts de son petit-fils. Je vous confie, écrivait-elle, le salut de ce que j'ai de plus cher au monde, un fils encore trop jeune pour connaître le malheur et le chagrin ![27] Le 7 avril, elle reçoit la visite du colonel de Galbois, qui vient, de la part de Napoléon, lui annoncer l'abdication. Elle s'étonne et s'afflige de cet acte. Elle dit qu'elle veut aller rejoindre l'Empereur. Le, colonel objecte que la chose n'est pas possible. Alors elle s'écrie : Pourquoi donc, monsieur le colonel ? Vous y allez bien, vous ! Ma place est auprès de l'Empereur, dans un moment où il doit être si malheureux ! Je veux le rejoindre et je me trouverai bien partout, pourvu que je sois avec lui !... Le colonel de Galbois présenta d'autres objections, parla de dangers de toutes sortes. Il eut beaucoup de peine à dissuader l'Impératrice, qui finit par écrire à Napoléon. Le colonel porta aussitôt la lettre à l'Empereur. Il me parut, dit Galbois, très touché du tendre intérêt que cette princesse lui témoignait. L'Impératrice parlait de la possibilité de réunir cent cinquante mille hommes. L'Empereur lut ce passage à haute voix, et il m'adressa ces paroles remarquables : — Oui, sans doute, je pourrais tenir la campagne, et peut-être même avec succès. Mais je mettrais la guerre civile en France, et je ne le veux pas. D'ailleurs, j'ai signé mon abdication. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai signé[28]. Marie-Louise, si l'on en croit Méneval et d'autres personnes qui l'entouraient, était alors réellement décidée à rejoindre Napoléon. Elle ne croyait pas à ce moment qu'on la séparerait de son époux. Elle avait parlé plusieurs fois en ce sens à Mme de Luçay et à Mme de Montesquiou. Le 7, elle avait lancé une dernière proclamation, dont l'auteur était Cambacérès[29] ; elle y suppliait les Français d'écouter la voix de Napoléon. Elle se disait confiée à leur bonne foi, glorieuse d'être Française et d'être associée aux destinées du souverain qu'ils avaient librement choisi. Mon fils, ajoutait-elle, était moins mir de vos cœurs au temps de sa prospérité. Ses droits et sa personne sont sous votre sauvegarde. Mais cette proclamation, si elle fut lue, ne produisit aucun effet. La France était lasse de la guerre et toute prête à accepter le régime qui lui assurerait la paix[30]. Cette lassitude, plus que tout autre sentiment, explique comment l'opinion publique accueillit favorablement le retour des Bourbons. Le 8 avril, — c'était le vendredi saint, — Joseph et Jérôme, accompagnés de Cambacérès, vinrent, dès le matin, conférer avec la régente. Ils lui dépeignirent les dangers très prochains qui la menaçaient et lui dirent qu'il fallait quitter Blois au plus vite. Soit qu'ils eussent l'intention, rapporte M. d'Haussonville[31], de se ménager une garantie du côté de l'Autriche en s'emparant de la personne de l'Impératrice, soit qu'ils eussent songé à rejoindre avec elle et son fils l'armée française qui revenait d'Espagne, et à tenter les dernières chances d'une guerre civile, ils employèrent tous les moyens pour décider l'Impératrice à passer de l'autre côté de la Loire. Elle résista tant qu'elle put. Ils parlèrent alors de l'y contraindre de force. C'est ce que Marie-Louise apprit elle-même à M. de Bausset. Alors celui-ci demanda à la régente ce qu'elle comptait faire. Rester à Blois et y attendre les ordres de l'Empereur, telle fut sa réponse brève. Sur ce, M. de Bausset alla raconter au chambellan d'Haussonville ce qui se passait. M. d'Haussonville appela les officiers qui veillaient avec quelques troupes sur la sécurité de la régente et leur demanda s'ils laisseraient violenter Marie-Louise. Les officiers se présentèrent en masse à elle et lui jurèrent formelle obéissance, ce qui déjoua les projets des frères de Napoléon. Peu de temps après survinrent le comte Schouvaloff, aide de camp du Tsar, et le baron de Saint-Aignan pour faciliter la retraite de la régente sur Orléans[32]. L'Empereur avait abdiqué, et la malheureuse princesse était livrée désormais à tous les caprices de la fortune. Marie-Louise remet à M. de Bausset une lettre pour Napoléon et une autre pour son père. Le grand maitre du palais parvient non sans peine à Fontainebleau et s'acquitte de sa mission. La lettre touchante de Marie-Louise émeut Napoléon, qui s'écrie : Bonne Louise ! puis fait mille questions à M. de Bausset sur sa santé et sur celle de son fils. On parla ensuite de Pile d'Elbe : L'air y est pur et sain, dit l'Empereur, et les habitants sont excellents. Je n'y serai pas trop mal, et j'espère que Marie-Louise ne s'y trouvera pas mal non plus. Il croyait qu'une fois en possession du duché de Parme, il serait permis à l'Impératrice de venir avec son fils s'établir auprès de lui à l'île d'Elbe. Les calculs haineux de Metternich empêchèrent cette réunion. On peut dire que ce fut un malheur pour tous, car cette réunion et l'exécution fidèle du traité de Fontainebleau eussent probablement empêché les Cent-jours. Heureux auprès d'une femme et d'un fils qu'il adorait, Napoléon n'aurait peut-être pas songé à rompre ses liens. En tout cas, il n'eût pu fournir les raisons ou les prétextes qui rendirent sa conduite excusable[33]... Marie-Louise était, je le répète, bien décidée à le
rejoindre alors, et il fallut toutes les intrigues de la diplomatie pour
l'empêcher de réaliser cette intention formelle. M. d'Haussonville l'atteste
: L'Impératrice, dit-il[34], en apprenant que l'Empereur avait reçu en souveraineté
l'île d'Elbe, voulut savoir ce qu'elle devait penser de son nouveau séjour.
Elle fit aussitôt demander Mme de Brignole, qui était Génoise et qui y avait
séjourné quelque temps. Il n'est pas de questions qu'elle ne lui fit sur le
climat, sur les habitants, sur les ressources du pays. Elle ne paraissait pas
admettre qu'elle pût avoir d'autre séjour que celui de son époux, ni d'autre
avenir que le sien. Son langage n'était pas seulement convenable sur le
compte de l'Empereur ; il était plutôt exalté... Mon père est demeuré persuadé qu'elle était de bonne foi
et ne songeait pas alors à séparer son sort de celui qu'elle a depuis si
complètement oublié. Il convient de faire remarquer ici combien la
conduite de Marie-Louise au milieu de ces graves événements est à son
honneur. Comment, peu de temps après, changera-t-elle de sentiments et
sera-t-elle aussi frivole et aussi inconsidérée qu'elle a été sérieuse et
digne ?... Devant une telle versatilité, je ne vois qu'une explication. Tant
que Marie-Louise est sous l'influence et la direction de Napoléon, elle
comprend ses devoirs et s'y montre fidèle. Mais, lorsqu'elle tombe sous
l'influence délétère de Metternich et de son agent Neipperg, elle change
brusquement d'attitude et perd l'estime qu'elle avait si justement méritée
pendant les jours d'angoisses et de périls. Arrivée à Orléans, le samedi
saint 9 avril, Marie-Louise reçut une lettre de son père que lui apportait le
duc de Cadore. François II l'assurait de son affection, mais il doutait que
les alliés partageassent son zèle pour les intérêts et les droits de sa
fille. Ce malheureux monarque, dont un sujet, Schwarzenberg, était pourtant
le généralissime de la coalition, s'était annihilé à tel point qu'il n'avait
plus la faculté d'émettre un désir. Le lien qui l'attachait aux autres
souverains depuis le traité de Chaumont était un lien infrangible. L'empereur
d'Autriche était bien monarque et membre de la Quadruple Alliance, mais il ne
semblait vraiment plus ni souverain, ni père. M. de Sainte-Aulaire, porteur
d'une autre lettre de l'empereur d'Autriche, où celui-ci donnait à
Marie-Louise quelques détails sur la tentative de suicide de Napoléon, a
raconté à M. d'Haussonville un incident que je crois enjolivé. Il paraîtrait
qu'il fut reçu le matin par l'Impératrice dans sa chambre à coucher. Elle
était à peine éveillée et assise sur le bord de son lit, tandis que ses pieds
sortaient de dessous les couvertures. Embarrassé de se trouver en présence
d'une si grande infortune, M. de Sainte-Aulaire tenait les yeux baissés pour
n'avoir pas l'air d'observer sur sa figure l'effet de la triste missive. Ah ! vous regardez mon pied, s'écria l'Impératrice.
On m'a toujours dit qu'il
était joli... Quel que soit l'intérêt avec lequel il faut accueillir
les dires de M. de Sainte-Aulaire, il est difficile de croire à celui-ci.
Tant de coquetterie féminine, et, le dirai-je ? si familière et si
bourgeoise, ne semble pas possible en pareille circonstance, surtout de la
part d'une archiduchesse d'Autriche. Marie-Louise a pu avoir un moment de
distraction ou de trouble. M. de Sainte-Aulaire a sans doute cru piquant d'y
ajouter cet étrange commentaire. L'Impératrice avait un chagrin bien réel en ce moment et ne songeait qu'au départ de Napoléon et aux intérêts de son fils. Elle voyait avec stupéfaction disparaître tous ceux qui, jusqu'alors, l'avaient entourée de leurs hommages. Elle les voyait allant au plus vite chercher des passeports et préparant déjà leur soumission au gouvernement nouveau. Un grossier personnage, M. Dudon, apparaît tout à coup. Il vient, au nom du gouvernement provisoire, fouiller les voitures de l'Impératrice, enlever l'or, l'argenterie et les diamants qui s'y trouvaient. Il pousse ses exigences si loin qu'il veut même enlever à la malheureuse femme la parure qu'elle porte sur elle. L'Impératrice le traite avec dédain et part pour Orléans. Les Cosaques pillent à leur tour ses bagages, mais, sur l'ordre du commissaire russe, Schouvaloff, ils rendent bientôt à Marie-Louise ce qu'ils ont pris. M. de Méneval, qui était resté auprès d'elle, recevait force lettres de Napoléon, qui demandait si l'Impératrice voulait le suivre dans sa mauvaise fortune, ou se retirer dans, ses nouveaux États, ou rejoindre son père. Il voulait savoir également si Mme de Montesquiou resterait auprès de son fils. Méneval lui répondit que la gouvernante ne quitterait jamais le roi de Rome, à moins que la force ne l'arrachât de ses bras[35]. Marie-Louise était de plus en plus dévorée par les inquiétudes et par le désir ardent de revoir enfin l'Empereur. Se dérobant à des conseils qui n'étaient pas en harmonie avec la pensée qui la préoccupait, rapporte Méneval, elle sortit précipitamment, un jour, de son cabinet de toilette, à demi vêtue, traversa une terrasse qui séparait son appartement de celui de son fils et alla se jeter dans les bras de Mme de Montesquiou, qu'elle tenait en grande estime... Elle s'affermit auprès d'elle dans sa résolution d'aller rejoindre Napoléon à Fontainebleau. Elle fit même des préparatifs sérieux pour un départ qui ne put se faire, car Metternich et François II surent s'y opposer[36]. Il paraitrait que la duchesse de Montebello, jalouse de Mme de Montesquiou, fut une des personnes qui dissuadèrent le plus Marie-Louise d'aller à l'île d'Elbe. La régente quitta Orléans, et le lendemain le général Cambronne arrivait en cette ville, suivi de deux bataillons de la Garde, pour la ramener avec son fils à Fontainebleau. Il était trop tard. Marie-Louise avait reçu une lettre de Metternich, lui affirmant qu'il aurait bientôt de nouvelles preuves à lui fournir de la sollicitude de son père ; qu'il pouvait toutefois lui donner d'avance la certitude d'une existence indépendante ; mais que l'arrangement le plus convenable serait qu'elle se rendit a momentanément n en Autriche avec son enfant, en attendant qu'elle choisit entre le séjour de l'empereur Napoléon et son propre établissement. Le ministre ajoutait que son père aurait ainsi le bonheur d'aider de son mieux à sécher des larmes qu'elle n'avait que trop de motifs de répandre. Il affirmait qu'elle serait tranquille, pour le moment, et libre de sa volonté, pour l'avenir ; qu'elle pourrait emmener avec elle les personnes auxquelles elle accordait le plus de confiance[37]. Les princes Paul Esterhazy et Wenzel-Lichtenstein avaient été chargés de la conduire à Rambouillet, où son père devait la rejoindre. Marie-Louise informa Napoléon de toutes ces nouvelles, en regrettant la hâte avec laquelle on décidait de son sort. Je ne vis que de larmes ! s'écriait-elle. Et pendant qu'avec les égards les plus délicats en apparence on l'amenait vers l'issue fatale, c'est-à-dire vers la séparation d'avec son époux, celui-ci, réduit au désespoir, disait tristement : Je suis un homme condamné à vivre ! Ainsi s'écroulait un gigantesque Empire, au milieu des angoisses de son fondateur, au milieu des larmes d'une femme et des regrets instinctifs d'un enfant, sous les coups des intrigues des uns et de la défection des autres[38]. Le 18 avril, l'empereur François arrive à Rambouillet. Marie-Louise descend le recevoir aux portes mêmes du palais prédestiné pour servir d'agonie à toutes les dynasties expirantes[39]. Elle prend son fils des mains de Mme de Montesquiou et le jette en pleurant dans les bras de l'Empereur, avant d'avoir reçu elle-même ses premières caresses. Ce mouvement, dit un témoin de la scène, produisit une émotion visible dans les traits de l'empereur François[40]. Il embrassa cordialement son petit-fils. Mais, d'après un autre témoin, le roi de Rome parut peu sensible à cette marque de tendresse. Il considérait avec étonnement cette longue et grave figure. Quand il rentra dans son appartement, il dit : Je viens de voir l'empereur d'Autriche ; il n'est pas beau[41]. L'enfant impérial annonçait déjà un esprit attentif. Il confiait à Méneval que Blücher était son plus grand ennemi ; que Louis XVIII avait pris la place de son papa et qu'il retenait tous ses joujoux, mais qu'il faudrait bien qu'il les lui rendît[42]. Un mot, saisi au passage, se gravait dans sa mémoire et lui faisait souvent comprendre bien des choses. Mme de Montesquiou, qui était la prudence même, prenait toutes les mesures possibles pour ne pas enflammer et fatiguer une imagination aussi précoce. L'entrevue de l'empereur François avec sa fille fut émouvante. Sous le monarque impassible le père reparut un marnent. Il fit revenir le roi de Rome et le contempla avec tendresse. Il crut y voir l'image même de Marie-Louise et s'écria que a c'était bien son sang qui coulait dans ses veines. Il jura à sa fille qu'il le prenait sous sa protection et qu'il lui servirait de père[43]. Lorsque l'empereur d'Autriche et Marie-Louise furent de nouveau seuls, la question du départ se représenta urgente. L'Impératrice eût préféré attendre en Italie le moment favorable pour se rendre auprès de Napoléon. Elle ne pouvait admettre l'idée d'une séparation prolongée. Elle laissait entendre qu'elle saurait se partager entre le duché de Parme et l'île d'Elbe. François Il, au contraire, suivant exactement les conseils de Metternich qui l'avait supplié de ne pas se laisser fléchir, insistait pour un séjour momentané à Schœnbrunn, loin de tous les périls et de tous les embarras Méneval, qui a vu alors Marie-Louise de près, nous affirme que l'Impératrice, ne pouvant surmonter sa douleur, se retirait souvent dans sa chambre a et là, les coudes sur ses genoux et la tête dans ses mains, s'abandonnait à l'amertume de ses pensées et versait d'abondantes larmes n Pourquoi la politique autrichienne était-elle si dure et imposait-elle ainsi, à qui n'en voulait pas, une séparation d'autant plus cruelle, que cette séparation, dite momentanée, devait être éternelle ? Puisque l'Empereur avait renoncé officiellement à tous ses droits sur les couronnes de France et d'Italie, puisqu'il avait accepté l'exil et une modeste principauté, pourquoi ajouter à ses déceptions et à ses désillusions une barbarie inutile ? En quoi la défense de revoir sa femme et son fils affermissait-elle les précautions que l'Autriche croyait devoir prendre avec les autres puissances contre sa personne ?... L'observateur le moins partial n'y voit que la volonté d'effacer par tous les moyens possibles la honte d'avoir, après la paix de Vienne, sacrifié une archiduchesse au vainqueur. Il semble, — et le reste de ce récit le prouvera, — que M. de Metternich tenait à rayer des fastes de l'Autriche et des chartes impériales, non seulement le nom de Napoléon, mais encore le souvenir- de toute union avec lui. Pour le punir d'avoir osé prétendre à s'allier aux Habsbourg, — comme si ce n'était pas l'Autriche qui avait fait les premiers pas[44], — il fallait lui arracher son fils et sa femme, lui 'dérober leurs embrassements, lui refuser la consolation suprême de leur présence, leur enlever même leurs titres et leurs noms, et en faire des étrangers à la France. C'était aggraver inutilement la douleur de l'illustre vaincu. Qu'importe ? La politique le voulait, et, comme le disait récemment un diplomate, élevé, lui aussi, dans les habitudes d'un sinistre sang-froid, u la douleur n'a rien à voir avec les affaires ! e Si l'on doute de ces affirmations, qu'on lise cette dépêche de l'empereur François à Metternich, écrite six jours avant l'entrevue de Rambouillet : L'important est d'éloigner Napoléon de la France, et plût à Dieu qu'on l'envoyât bien loin !... Je n'approuve pas le choix de l'île d'Elbe comme résidence de Napoléon. On la prend à la Toscane ; on dispose en faveur d'étrangers d'objets qui conviennent à ma famille. C'est un fait qu'on ne peut admettre pour l'avenir. D'ailleurs, Napoléon reste trop près de la France et de l'Europe. Au demeurant, il faut tâcher d'obtenir que, si la chose ne peut être empêchée, l'île d'Elbe revienne à la Toscane après la mort de Napoléon ; que je sois nommé cotuteur de l'enfant pour Parme, etc., et que, dans le cas où ma fille et l'enfant viendraient à mourir, les États qui leur sont destinés ne soient pas réservés à la famille de Napoléon[45]. On ne soutiendra pas que ce souverain avait la fibre bien paternelle, car, avec le calme professionnel d'un notaire, il réglait sagement et méthodiquement l'avenir. Comme l'avait dit Napoléon à Caulaincourt, l'Autriche était sans entrailles ! Elle était d'accord avec les alliés pour faire payer à Napoléon toutes les inquiétudes et toutes les angoisses par lesquelles l'Europe venait de passer. Les pouvoirs extraordinaires donnés au marquis de Maubreuil, ainsi que l'attestent les ordres authentiques du général baron de Sacken et du général baron de Brokenhausen, commandants des troupes russes et autrichiennes à la date du 17 avril 1814, prouvent que les alliés auraient même voulu aller plus loin. On sait que la proposition de l'aventurier Maubreuil, acceptée par les ministres de Louis XVIII, Dupont, Angles et Bourrienne, et par les puissances, était de se débarrasser de Napoléon par tous les moyens. Si elle ne réussit pas, ce ne fut point la faute de Maubreuil. Il avait, pour ainsi dire, prévu un an d'avance l'objet de la déclaration des alliés qui, de l'aveu de Talleyrand lui-même, était projetée de manière à porter tous les individus qui figurent dans les divers partis à faire disparaître Bonaparte[46]. Il paraîtrait cependant que, le jour même de l'entrevue
avec sa fille, l'empereur d'Autriche aurait écrit à Napoléon, en lui donnant
encore le titre d'Empereur et de gendre, une lettre où il l'informait que,
venant de constater que la santé de Marie-Louise avait prodigieusement souffert, il lui avait proposé de passer quelques mois dans le sein de sa famille.
Napoléon avait donné trop de véritables preuves d'attachement à Marie-Louise
pour ne point partager ses vues à cet égard. Rendue
à la santé, affirmait François, ma fille ira
prendre possession de son pays, ce qui la rapprochera tout naturellement du
séjour de Votre Majesté. Il serait superflu, sans doute, ajoutait-il, que je
donnasse à Votre Majesté l'assurance que son fils fera partie de ma famille,
et que, pendant son séjour dans mes États, je partagerai les soins que lui
voue sa mère...[47] Pourquoi
promettre à l'exilé qu'on lui rendra bientôt ce qu'il a de plus cher, et
décider secrètement qu'on ne tiendra pas cette promesse ? Cette politique,
toute de ruses et d'expédients, était méprisable, surtout à l'égard d'un tel
vaincu. Le 19 avril, l'empereur Alexandre arriva à Rambouillet et désira voir
Marie-Louise, qui s'en plaignit, car elle lui attribuait toutes les mesures
prises contre Napoléon, ignorant que sans lui on eût envoyé l'Empereur aux
Açores. Alexandre lui témoigna les plus grands égards et demanda à voir le
roi de Rome. M. de Bausset le précéda, après avoir fait prévenir Mme de
Montesquiou. En voyant ce bel enfant, Alexandre
l'embrassa, le caressa, l'admira beaucoup. Il dit des choses flatteuses à Mme
de Montesquiou et embrassa encore, en le quittant, le petit roi...[48] Deux jours
après, le roi de Prusse voulut voir, lui aussi, le roi de Rome. Il fut moins
affectueux, moins caressant que l'empereur Alexandre ; mais, comme lui, il
embrassa le petit roi[49]. D'après
Méneval, ces visites à Marie-Louise et à son fils auraient été conseillées
par Metternich a pour faire croire que Marie-Louise avait renoncé à faire
cause commune avec Napoléon et s'était jetée dans les bras de ses ennemis n.
Le roi de Rome n'avait pas été bien démonstratif pour les souverains qui
étaient venus le voir. Cet intéressant enfant était
assez ennuyé de ces visites. Il voyait bien qu'il n'était que l'objet d'une
indiscrète curiosité...[50] Lorsque Napoléon
en eut connaissance, il blâma les visites du Tsar et du roi de Prusse, et
considéra comme chose inconvenante d'avoir imposé à l'Impératrice la présence
de princes qui venaient d'exiler son mari. Avant son départ, il écrivit
encore trois lettres à Marie-Louise, où il l'engageait à aller aux eaux d'Aix
conseillées par Corvisart, car il lui fallait conserver sa santé pour son fils,
qui avait tant besoin de ses soins. Ses derniers mots étaient ceux-ci : J'espère que ta santé se soutiendra et que tu pourras me
rejoindre... Tu peux compter sur le courage,
le calme et l'amitié de ton époux... Un
baiser au petit roi ! Il dit alors à Caulaincourt, le seul homme
qui eût osé lui parler avec une franchise absolue aux heures les plus
terribles : La Providence l'a voulu, je vivrai...
Qui peut sonder l'avenir ? D'ailleurs, ma femme et
mon fils me suffisent. Je les verrai, j'espère, je les verrai souvent. Quand
on sera convaincu que je ne songe plus à sortir de ma retraite, on me
permettra de les recevoir, peut-être d'aller les visiter. Puis,
emportant cette espérance qui devait être si cruellement déçue, il s'achemina
vers l'île d'Elbe, après avoir fait aux soldats de sa vieille Garde ces
adieux qu'un Français ne peut lire sans frissonner, et après avoir baisé le
drapeau dont le souffle des batailles avait terni les couleurs, mais dont les
derniers revers n'avaient pu effacer la gloire. Le 23 avril, Marie-Louise, cédant enfin aux volontés de son père, quittait le château de Rambouillet, se dirigeant. sur Vienne. Elle s'arrêta un jour au château de Grosbois, où elle reçut les derniers hommages du prince de Wagram, le même qui, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Napoléon, avait fait à Vienne, le 8 mars 1810, la demande solennelle de la main de l'archiduchesse Marie-Louise et déclaré devant toute la Cour que cette princesse assurerait le bonheur d'un grand peuple et celui d'un grand homme. |
[1] Dans un gracieux tableau, exposé au Salon des Champs-Élysées en 1896, M. Dawant a représenté Napoléon laissant sa main prise entre les petites mains de son fils endormi. L'Empereur est assis dans un fauteuil à côté du berceau, le front soucieux. Il est captif de ce petit être, pendant que son esprit médite les combats suprêmes qu'il va falloir livrer.
[2] Œsterreichs Theilnahme an der Befreiuns-Kriege, von Gentz, 29 janvier 1814.
[3] MÉNEVAL, Mémoires. — D'autre part, le chancelier Pasquier rappelle, dans ses Mémoires, que Metternich affirmait, le 18 mars, à Caulaincourt que les vœux de l'Autriche étaient en faveur d'une dynastie intimement liée à la sienne. (T. II.) — Six semaines auparavant, il avait écrit à Caulaincourt que le jour où François II avait donné sa fille au prince qui gouvernait l'Europe, il avait cessé de voir en lui un ennemi personnel. Le sort de la guerre avait seul changé son attitude. Si Napoléon voulait écouter la voix de la raison, François Il reviendrait aux sentiments qu'il avait au moment où il lui avait confié son enfant de prédilection. Sinon, il déplorerait le sort de sa fille, sans arrêter sa marche !
[4] Œsterreichs Theilnahme an
der Befreiuns-Kriege.
[5] Œsterreichs Theilnahme an der Befreiuns-Kriege. — Il ne faut pas croire que nos ennemis étaient toujours aussi navrés. En effet, après la prise de Troyes, le grave Metternich écrivait à Schwarzenberg : Cette nouvelle Troie ne nous a pas arrêtés dix ans comme l'ancienne avait arrêté les héros de la Grèce. Si j'étais Lichnowsky, je vous dirais que vous ne faites ni une ni deux pour avoir Troyes ; que Napoléon vous a dispensé de vous mettre on quatre pour la prendre.
Metternich n'aura plus l'idée de faire de calembours, lorsque Napoléon reprendra cette même Troyes et forcera Schwarzenberg à battre en retraite, après la bataille de Nangis.
[6] Œsterreichs Theilnahme an
der Befreiuns-Kriege, 7 mars 1814.
[7] Œsterreichs Theilnahme an
der Befreiuns-Kriege, 7 mars 1814.
[8] Œsterreichs Theilnahme an
der Befreiuns-Kriege.
[9] Sa lettre du 3 mars à l'Empereur est un monument de fermeté et de noblesse. Elle fait un singulier honneur à sa mémoire.
[10] Voir, entre autres, sur cette abdication, les récite de Pelet, Ségur, Fain, Marmont, Macdonald, Thiers, Pasquier, Henri Houssaye.
[11] L'article 5 du traité de Fontainebleau était ainsi rédigé : Les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla appartiendront en toute propriété et souveraineté à Sa Majesté l'Impératrice Marie-Louise. Ils passeront à son fils et à sa descendance en ligne directe. Le prince, son fils, prendra, dès ce moment, le titre de prince de Parme, de Plaisance et de Guastalla.
[12] Le traité de Fontainebleau, qui figure à la page 493 bis, numéro du 5 mai 1814 du Moniteur universel, dit que les puissances alliées ne pouvaient ni ne voulaient oublier la place qui appartient à l'empereur Napoléon dans l'histoire de son siècle. C'est Alexandre qui avait tenu à cette généreuse déclaration.
[13] Mémoires de Metternich, t. II.
[14] Consulter à ce sujet les Mémoires du chancelier Pasquier, t. II. On y voit, entre autres, que Pasquier était opposé au départ, comme le duc de Massa. Il le fit avec tant de franchise que Talleyrand dit en secret à Mme de Rémusat que M. Pasquier avait donné le conseil le plus contraire aux Bourbons.
[15] Mémoires de Méneval, t. III.
[16] MÉNEVAL, t. III.
[17] Mémoires de Bausset, t. II. — Quelques jours après, le même de Bausset, qui paraissait si dévoué et si impartial, avouait confidentiellement à un agent des Bourbons qu'il était attaché à la monarchie légitime par les services de ses ancêtres, et qu'il lui offrait une franche adhésion. Il appelait le règne de Napoléon une interpolation. Il désirait devenir un des maréchaux de la cour, car ce ridicule nom de préfet du palais, disait-il, ne saurait subsister. Il avait conseillé à Marie-Louise de retourner en Autriche et de mettre fin à une niaiserie sentimentale, en déliant les nœuds d'une conjugalité qu'il regardait comme expirée. Enfin, il s'exprimait ainsi sur Napoléon qu'il avait servi à genoux : Cet homme a en un moment tout le bonheur de Mahomet, ainsi que son audace et son charlatanisme ! Tant de platitude et d'ingratitude ne suffit pas pour faire obtenir à M. de Bausset le poste de maréchal de la Cour. (Voir le Cabinet noir, par M. D'HÉRISSON.)
[18] Notice historique sur le général Caffarelli, par Ul. TRÉLAT.
[19] Cf. Thiers, Méneval, Bausset, Durand, Caffarelli, etc. Le duc de Rovigo dit que l'ascendant de Mme de Montesquiou put seul le calmer. Encore fallut-il qu'elle lui promit bien de le ramener, pour le décider à se laisser emporter. (Mémoires, t. VII.)
[20] BAUSSET, t. II.
[21] M. Pasquier assure qu'il éclata même des murmures. (Mémoires, t. II.)
[22] Le gouvernement d'une femme faible et ignorante ouvrait une belle perspective à l'égoïsme de cette âme ; ce qu'il désirait, c'était la régence de Marie-Louise. (Louis BLANC, Histoire de dix ans.)
[23] Voyez Henri HOUSSAYE, 1814, liv. VIII, § I. — Talleyrand avait cependant laissé entendre à Méneval qu'il eût préféré la régence à la Restauration.
[24] Mémoires de Talleyrand, t. III, p. 155.
[25] Mémoires de Pasquier, t. II.
[26] D'après Gentz, ce n'est qu'à partir de la rupture des conférences de Châtillon que Metternich se mit nettement à la tête du système qui devait rappeler les Bourbons. (Dépêches inédites de Gentz.) — C'est ce que dit aussi Prokesch-Osten (page 99).
[27] Voyez Imbert DE SAINT-AMAND, Marie-Louise et l'invasion en 1814.
[28] Mémoires de Bausset, t. II, et Mémoires du colonel de Galbois.
[29] Le même jour, ce triste personnage écrivait à Talleyrand qu'il adhérait à tous les actes faits par le Sénat depuis le 1er avril.
[30] Nous commençons à espérer, écrit Mme de Rémusat à son fils Charles, qu'il n'y aura pas de bataille, et que, l'armée se débandant, le sang français sera épargné. (Correspondance de Mme de Rémusat, t. I.) — Voyez cette même note dans la belle étude du comte D'HAUSSONVILLE sur le Congrès de Vienne. (Revue des Deux Mondes, 1882.)
[31] Souvenirs du comte d'Haussonville.
[32] Voir sur le séjour de Marie-Louise à Blois un intéressant écrit, La Régence à Blois, Paris, 1814, 27 pages in-8°.
[33] Qu'on se rappelle ses paroles à Caulaincourt, lorsqu'il regrette que les alliés n'aient point donné la Toscane à sa femme : Elle n'aurait eu que le canal de Piombino à traverser pour me rendre visite. Ma prison aurait été comme enclavée dans ses États. A ces conditions, j'aurais pu espérer de la voir. J'aurais même pu aller la visiter ; et quand on aurait vu que j'avais renoncé au monde, que, nouveau Sancho, je ne songeais plus qu'an bonheur de mon île, on m'aurait permis ces petits voyages. (Voyez THIERS, t. XVII.)
[34] Souvenirs du comte d'Haussonville.
[35] MÉNEVAL, Mémoires, t. III.
[36] La générale Durand cite aussi un fait de ce genre. (Voir ses Souvenirs.)
[37] MÉNEVAL, t. III.
[38] On rapporte que le petit roi de Rome, s'amusant à distribuer des bonbons à des enfants qui étaient venus le voir jouer, leur dit tout à coup avec un triste sourire : Je voudrais bien vous en donner davantage, mais je n'en ai plus. Le roi de Prusse m'a tout pris ! Le comte de Suzor affirme avoir entendu ce propos.
[39] Histoire de France, par BIGNON, t. XIV.
[40] Souvenirs de la générale Durand.
[41] MÉNEVAL, t. III.
[42] MÉNEVAL, t. III.
[43] MÉNEVAL, t. III.
[44] Voir le Divorce de Napoléon et les Mémoires de Metternich.
[45] Mémoires de Metternich, t. II.
[46] Mémoires, t. III, p. 181. — M. de Talleyrand avait dit à Méneval, en paraissant regretter le départ de Marie-Louise, que toutes les combinaisons avaient dû échouer devant le fait de l'existence de l'Empereur ; que l'Empereur mort, tout eût été facile ; mais que tant qu'il aurait vécu, son abstention eût été illusoire. (Souvenirs de Méneval, t. III.)
[47] Cité par I. DE SAINT-AMAND, dans Marie-Louise et les Cent-jours.
[48] Mémoires de Bausset, t. II.
[49] Mémoires de Bausset, t. II.
[50] MÉNEVAL, t. III.