HISTOIRE DE NAPOLEON III

TOME PREMIER

 

PAR JACQUES MELCHIOR VILLEFRANCHE

PARIS - BLOUD & BARRAL - LYON - EMMANUEL VITTE — 1898.

 

 

CHAPITRE PREMIER

Naissance de Louis-Napoléon. — Mésintelligence du roi Louis et de la reine Hortense. — Education incohérente, malheur irréparable. — Lord Malmesbury. — Equipée de Forli ; première rencontre de Napoléon III et de Pie IX. — Chateaubriand et Berryer à Arenenberg. — Equipée de Strasbourg. — Louis-Napoléon en Amérique.

CHAPITRE II

Equipée de Boulogne. — Procès ; Berryer, Magnan. — Captivité de Ham ; combien elle fut débonnaire ; écrits politiques et intrigues. — Evasion ; dévouement de Thélin et du docteur Conneau ; Badinguet.

CHAPITRE III

République de 1818. — Louis-Napoléon député ; démissionnaire, il est réélu par cinq départements ; son portrait à cette époque. Ses séductions à tous les partis (Thiers, Proudhon, Montalembert, de Melun, etc.) — Election du 10 décembre ; prestige du nom de Napoléon. — Le prince obtient les trois quarts des suffrages ; il remplace Cavaignac à la présidence ; serment solennel à la République. — Son premier ministère (Odilon Barrot) entièrement conservateur ; ses premiers actes ; surprise et déception pour ceux qui comptaient gouverner sous son nom. — Semonce au prince Napoléon (Jérôme).

CHAPITRE IV

Portrait de Pie IX ; la République à Rome. — Expédition française ; Garibaldi ; échec militaire d'Oudinot. — Mission présidentielle de Lesseps, puis lettre à Edgar Ney, pour ménager les deux partis. — Nouvelle Assemblée, plus conservatrice. — Portrait de Louis-Napoléon par M. de Tocqueville. — Siège et prise de Rome. — Insurrection avortée du 13 juin ; proclamation : Que les méchants tremblent et que les bons se rassurent. — Visite présidentielle à Ham. — Eloquentes discussions à la tribune (Thiers, Victor Hugo, Montalembert...).

CHAPITRE V

Lutte contre l'Assemblée hostile, mais divisée. — Premières tournées présidentielles en province (Nantes, Rouen, Tours, etc.) ; habileté des allocutions du prince. — Etrange mission de Persigny en Allemagne. — Rouher, Morny, Haussmann ; étonnante prédiction de Donoso Cortès. — Liberté d'enseignement. — Nouveaux voyages (Dijon, Strasbourg, Metz, Lyon, Cherbourg...) — Le prince appelle de plus en plus aux affaires ses amis personnels ; destitue Changarnier ; excite la frayeur inspirée par le spectre rouge ; pousse l'Assemblée à mutiler le suffrage universel (loi du 31 mai), afin de pouvoir le rétablir ; nomme Saint-Arnaud ministre de la guerre, tout en achevant d'endormir l'Assemblée. — Circonstances atténuantes.

CHAPITRE VI

Calme profond à l'Elysée le 1er décembre ; Colonel, c'est pour cette nuit. — Saint-Arnaud, Morny, de Maupas, Magnan. — M. de Béville à l'imprimerie nationale ; Espinasse au Palais-Bourbon ; arrestations nocturnes. — Proclamations présidentielles ; bon accueil des foules et de l'armée ; vaine tentative de l'Assemblée à la mairie du 10e arrondissement ; arrestations en bloc. — Mort de Baudin ; fusillades sur les boulevards ; émeutes socialistes dans les départements. — Partout vainqueur, le prince sorti de la légalité pour rentrer dans le droit, demande au peuple de ratifier le coup d'Etat. — Histoire et philosophie du plébiscite ; anecdotes.

CHAPITRE VII

Rétablissement de la Constitution de l'an VIII, un peu modifiée, et du serment politique. — Confiscation des biens d'Orléans ; dotation de la légion d'honneur ; Sénat ; Sociétés de secours mutuels. — Protestations de désintéressement : Conservons la République ! — Distribution des aigles ; splendeurs déjà impériales.

CHAPITRE VIII

Le prince fait de nouveau le tour de la France : partout acclamé ; origine du titre Napoléon trois ; attentat problématique à Marseille : discours de Bordeaux : L'Empire c'est la paix ! ; retour ; enthousiasme des Parisiens ; installation aux Tuileries. — Nouveau plébiscite ; l'Empire rétabli. — Chaude et générale adhésion du Clergé aussi bien que de la Franc-maçonnerie ; double protestation venant de l'exil. — Les puissances étrangères reconnaissent l'Empire ; Monsieur mon frère.

CHAPITRE IX

Isolement de Napoléon III, malgré sa popularité ; divers projets de mariage. — Une idylle à Compiègne ; Eugénie de Montijo impératrice, — Fêtes sur Fêtes ; rétablissement de l'étiquette et des grandes charges de la cour ; l'abbé de Ségur ; négociation pour le sacre par le Pape ; création des Cent-gardes. — Confiance, allégresse et rajeunissement universels, en dépit de quelques bouderies aristocratiques ou académiques et des anathèmes de Victor Hugo. — L'Empereur et l'Impératrice à Windsor ; la reine Victoria et le prince Albert à Paris. — Anecdotes.

CHAPITRE X

Le tsar Nicolas Ier ; question des lieux saints ; ambassade hautaine de Menschikoff à Constantinople ; le Sultan appelle l'Europe à son secours. — Désastre de Sinope ; lettre de Napoléon III et réponse du Tsar. — Guerre déclarée ; l'armée russe, repoussée de Silistrie et menacée sur ses derrières par l'Autriche, évacue les Principautés. — Armées anglo-françaises à Gallipoli, à Varna ; expéditions dans la Dobrudscha et dans la Baltique. — Débarquement en Crimée ; bataille de l'Alma ; mort de Saint-Arnaud ; marche sur Sébastopol. — Description de cette ville ; Kamiesch, Balaclava. — Bataille d'Inkermann ; siège laborieux, héroïque de part et d'autre ; mort de Nicolas Ier et avènement d'Alexandre II.

CHAPITRE XI

Cavour ; son portrait et celui de Victor-Emmanuel. — Une armée piémontaise devant Sébastopol ; bataille de Traktir. — Terrible assaut de Malakoff et du grand Redan ; échec des Anglais, victoire des Français ; Sébastopol évacué. — Napoléon III impose la paix ; sympathies réciproques des Français et des Russes. Congrès de Paris ; d'accord avec Napoléon III, Cavour y pose la question italienne, origine première des fautes et des malheurs de l'Empire. — Union des Principautés moldo-valaques. — Reforme de la loi militaire en France, l'exonération substituée  au remplacement ; conséquences. — Curieuse lettre de la reine Victoria.

CHAPITRE XII

Naissance du Prince Impérial ; joies et félicitations ; baptême ; généreuses inspirations de l'Impératrice. — Canrobert, Bosquet et Randon maréchaux. — Inondations du Rhône et de la Loire, l'Empereur visite les inondés. — Immenses travaux d'assainissement et d'embellissement dans les villes ; M. Haussmann transforme Paris ; le pour et le contre. — Réunion du Louvre aux Tuileries. — Camp de Châlons ; médaille de Sainte-Hélène ; popularité de l'Empereur. — Morny au couronnement d'Alexandre II. — Visite de Napoléon III à Stuttgard ; entrevues avec le prince de Prusse (depuis Guillaume Ier) et le Tsar ; projets menaçants pour l'Autriche. — Attentat de Pianori. — Attentat d'Orsini, cent cinquante-six personnes tuées ou blessées ; exécution de l'assassin ; lettre de sommation à l'Empereur : tant que l'Italie ne sera pas indépendante, la tranquillité de l'Europe et celle de Votre Majesté ne seront qu'une chimère ; l'Empereur a la faiblesse de mettre cette lettre au Moniteur, et Cavour la fait insérer dans la Gazette officielle de Turin.

CHAPITRE XIII

Elections de 1857 encore plus impérialistes que celles de 1852. — Loi de sûreté générale ; rigueurs contre les républicains ; susceptibilités anglaises. — Timides essais de reconstitution de la noblesse ; les vice-empereurs. — Le général Espinasse et M. de Melun. — Napoléon III et Montalembert. — Napoléon III à Plombières ; visite de Cavour ; complot formé entre eux pour révolutionner l'Europe et faire Victor-Emmanuel roi d'Italie, à condition qu'il donne sa fille en mariage au prince Napoléon ; recherche laborieuse d'un prétexte de guerre difficile à trouver ; on en trouve un enfin ; lettre de Cavour racontant le complot. — L'Empire à son apogée ; voyage triomphal en Bretagne et en Normandie.

 

PRÉFACE.

 

L'heure de l'exacte justice, toujours tardive pour les hommes disparus au milieu de grands triomphes ou de grands revers dont ils furent les auteurs, paraît avoir sonné enfin pour Napoléon III. Vingt-cinq années — le longum mortalis ævi spatium de Tacite — ont tempéré les amertumes. Les collaborateurs et les complices ont disparu ; les adversaires ont expérimenté à leur tour les difficultés du pouvoir. Il est donc devenu possible de juger froidement ce prince étrange et si complexe, parfois si lucide et parfois si obstinément aveugle, tour à tour le plus hardi et le plus irrésolu des hommes, comme

aussi le plus heureux et le plus misérable ; bon jusqu'à la faiblesse dans la vie privée et cependant trompeur jusqu'à la perfidie dans la vie publique ; esprit vaste mais encombré de chimères, réformateur bien inspiré quelquefois, conspirateur toujours.

Les ressentiments des Français se sont adoucis. Le souvenir des triomphes et des gloires, après avoir sombré avec le reste dans la catastrophe finale, a réapparu derrière le nuage des décombres à mesure que ce nuage était balayé par le Temps, qui emporte tout. On s'est rappelé quelles intentions généreuses furent mêlées à des rêveries funestes, et comme le coupable fut lui-même percé de ses propres traits plus qu'aucun autre, ses malheurs ont voilé ses fautes.

Peut-on rester impitoyable pour le criminel qui a subi sa peine ?

L'histoire, en effet, ne nous présente pas d'exemple aussi complet des vicissitudes de la fortune. Peut-être à Constantinople Héraclius, d'abord jouet des Perses, puis leur vainqueur et l'arbitre de tout l'Orient, puis dépossédé des trois quarts de son empire par les Arabes ; peut-être encore Napoléon Ier mais ni Héraclius, ni Napoléon Ier n'eurent des débuts aussi cahotés, et la chute du premier ne fut pas aussi entière, ni celle du second aussi humiliante. Ce fut d'entreprises insensées et de la prison que Napoléon III s'éleva aux sommets les plus radieux, et ce fut par sa volonté seule, pour s'être acharné à ne pas voir ce que tous les autres voyaient, en fut précipité. Tel un ballon s'élève par le gaz qu'il renferme, et, dégonflé, tombe à pic ; mais lui, c'est de propos délibéré qu'il s'est privé de ce qui le soutenait. Son histoire confine au roman ; le rêve et l'action s'y confondent ; les changements à vue s'y succèdent, jusqu'au dénouement qui a une horreur tragique ; et quand le drame est terminé, le personnage principal reste une énigme.

Pour trouver d'exactes comparaisons avec sa destinée, il faut les chercher en dehors de l'histoire purement humaine, avant que l'humanité fût adulte.

Le règne de Napoléon III fut un règne biblique. Il nous semble revoir en lui un de ces princes d'Israël ou de Juda, les Saül, les Joas, auxquels tout réussissait tant qu'ils étaient fidèles, et sous lesquels tout se dérobait quand ils se livraient aux faux dieux. Car d'ordinaire les erreurs commises ne développent que lentement leurs conséquences funestes ; ce sont les fils ou les petits-fils qui souffrent des fautes du père ou de l'aïeul. Mais avec Napoléon III, les conséquences sont personnelles, immédiates, sans merci. Pour compléter la similitude, des prophètes avertisseurs multiplient en vain promesses et menaces : le prince, imperturbable comme un somnambule, court à l'abîme, sans se détourner d'un pas. Et Dieu sait, pour Napoléon III, si les Samuel, les Elie et les Elisée ont fait défaut ! Il en trouva parmi ses victimes et parmi ses adversaires ; il en eut jusque dans sa Cour ; il en rencontra dans les rangs de ses meilleurs amis. Fasciné par des chimères, et manquant de l'inappréciable lumière d'une conscience droite, il ne voulut rien entendre ; aussi sa chute épouvanta les hommes sans lui mériter leur pitié.

Puisse-t-elle maintenant les instruire ! C'est le but que nous nous proposons, outre l'amer plaisir de peindre une époque agitée, que nous avons vécue, et des calamités que nous avons vues venir sans pouvoir rien faire pour les écarter...

Notre travail est le fruit de longues années. Commencé dès la mort de notre triste héros, il s'est poursuivi, complété et parfois modifié au fur et à mesure des documents parus, et nous ne pouvons que nous féliciter des délais de la publication, car les documents ont abondé depuis peu. Il s'est dégagé, autant que le permet l'humaine faiblesse, de tout parti-pris, de toute passion, sauf la passion de la justice.

Ni pamphlet, ni panégyrique : la vérité !

Bourg, septembre 1897.

 

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P. S. pour la deuxième édition. — Notre impartialité a été appréciée, si l'on en juge par le succès de l'ouvrage, tiré à près de 3.000 exemplaires et épuisé en quinze mois.

La nouvelle édition a subi de nombreuses corrections et additions. Nous nous ferons un devoir de profiter toujours des documents nouveaux, ainsi que des observations qui pourront nous être faites.

Bourg, janvier 1898.